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Anne Fulda reçoit Colombe Schneck pour son livre «Mensonges au paradis» dans #HDLivres

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00:00 - Bonjour, Colin Plushenek.
00:01 Alors, vous venez de publier votre dernier roman, votre 15e,
00:05 qui s'appelle "Mensonges au paradis", et c'est paru chez Grasset.
00:08 Et alors là, encore une fois,
00:10 vous nous entraînez sur les pas de votre enfance,
00:13 mais vous souhaitiez au début faire un roman un peu pur et revigorant,
00:18 en vous plongeant, en retournant en Suisse,
00:22 dans un endroit où vous alliez en vacances chaque année,
00:25 pendant deux mois.
00:26 Et finalement, la vérité sera moins riante que ce à quoi vous vous attendiez.
00:32 Pourquoi vous avez fait ce choix ?
00:33 - C'est pas un choix.
00:35 J'aurais voulu raconter une belle histoire avec une fin heureuse,
00:38 parce que c'est à ce que j'aspire,
00:40 comme écrivain, mais aussi comme femme.
00:44 J'aime bien que les histoires se terminent bien.
00:46 Et je me suis heurtée à la réalité, celle qu'on esquive,
00:49 c'est que l'histoire se termine pas forcément bien
00:51 et qu'il faut faire avec, il faut faire avec la réalité.
00:56 J'ai passé toute mon enfance en Suisse,
00:57 comme vous l'avez raconté, dans un raume d'enfants.
00:59 J'étais très heureuse.
01:01 Toutes les vacances scolaires, j'étais très heureuse.
01:03 J'étais accueillie par une famille, les parents, les enfants,
01:07 Vava et Patou, qui avaient mon âge,
01:09 qui étaient comme des frères et sœurs d'adoption.
01:11 Et alors que je commençais ce livre, que je voulais heureux,
01:14 j'ai appris que Patou était en prison,
01:17 qu'il avait passé sa vie à escroquer, à voler,
01:19 une sorte de mythomanie.
01:22 Et sa sœur, encore plus tristement, était malade,
01:26 enfermée chez elle à réécrire les évangiles sur les réseaux sociaux.
01:30 Et outre la tristesse de ce qui leur était arrivé,
01:33 je savais de façon un peu presque cynique,
01:36 le cynisme de l'écrivain, que là, j'avais une histoire
01:38 qu'il fallait que je sache,
01:40 qui était arrivée à Vava et Patou et que j'enquête.
01:42 J'ai enquêté pendant deux ans,
01:45 j'ai compris ce qui leur était arrivé,
01:47 pourquoi elles vivaient au pays du mensonge.
01:49 Mais au bout de deux ans, j'ai compris qu'il manquait quelque chose.
01:52 Il manquait moi et mes mensonges.
01:54 En fait, on vit tous au pays du mensonge.
01:56 -Oui. Alors, les mensonges, c'est que vous étiez fait
01:59 une image idéale de cette famille d'adoption,
02:02 et dans le même temps, vous avez occulté certain manque
02:05 que vous avez eu probablement dans votre propre famille,
02:08 c'est-à-dire chez votre père et votre mère,
02:09 c'est-à-dire qu'il y avait la normalité,
02:11 presque la banalité de cette famille d'adoption,
02:13 et chez vous, il manquait peut-être la tendresse d'une mère
02:16 qui était empointillée, on va dire.
02:19 -Disons que mes parents vivaient dans un monde
02:21 auquel je ne pouvais pas accéder.
02:23 C'était deux enfants cachés pendant la guerre,
02:25 deux enfants victimes de la Shoah,
02:28 dont la famille avait été détruite.
02:30 Mais ce monde-là, on n'en parlait pas, il n'existait pas.
02:35 Donc, j'ai vécu avec le sentiment d'avoir eu une enfance heureuse,
02:40 protégée de leur passé,
02:43 mais je ne me souviens pas que ma mère m'ait embrassée, par exemple,
02:45 et je trouvais ça normal, enfin.
02:48 Mes parents étaient en fuite permanente,
02:50 et donc, cette Suisse, pour moi, c'était l'endroit réel.
02:53 On marchait dans la montagne, on était punis,
02:55 il y avait des règles, c'était dur, mais j'aimais ça, oui.
02:58 -Vous écrivez à un moment "Je suis l'un de ces enfants suppliants
03:00 pour de l'autorité et des baisers",
03:02 donc c'était effectivement pour combler un manque
03:04 que vous ressentiez instinctivement.
03:07 -Oui, je rêvais de règles, de punitions,
03:10 je rêvais qu'on s'occupe de moi, je pense, comme tout enfant.
03:12 J'ai passé mon enfance dans ma famille, dans ma chambre, à lire.
03:17 C'est comme ça que je me suis construite.
03:20 Je passais beaucoup de temps, par exemple, à lire l'annuaire,
03:22 les pages blanches, à chercher des noms, des adresses,
03:24 des numéros de téléphone.
03:27 J'ai cherché des absents et des disparus,
03:30 et je les ai trouvés dans les mots, dans les livres,
03:32 dans les annuaires, bizarrement.
03:35 -Pourquoi, à votre avis, vous avez toujours cette quête,
03:39 ce besoin d'explorer sans cesse et à nouveau votre passé ?
03:42 Est-ce que vous pensez que cette quête, à un moment,
03:44 va s'arrêter ?
03:46 -Parce qu'il faut beaucoup de mémoire pour se séparer du passé,
03:49 comme le disait Deleuze.
03:50 Bien sûr, c'est mon ambition, c'est me séparer de ce passé.
03:55 Quand j'ai écrit "La réparation", qui était une histoire de ma famille
03:57 pendant la guerre, certains se trompaient et me disaient
04:00 "La séparation" plutôt que "La réparation".
04:02 C'est un titre qui me plaisait, la séparation,
04:03 se séparer, effectivement, du passé.
04:05 À chacun de mes livres, je me dis "Ça y est, j'ai raconté ce que j'ai...
04:09 J'ai écrit ce que j'avais à écrire, je peux passer à autre chose."
04:13 Et bien sûr, à chaque fois, c'est un échec.
04:15 Je y retourne toujours.
04:16 -Et il y a aussi cette question, finalement, de qu'est-ce que c'est
04:20 que des bons parents, dans ce livre ?
04:22 Ce qui est une question extrêmement difficile.
04:24 -J'ai eu des parents très aimants, ça, je n'ai aucun doute.
04:29 Mais c'était des grands traumatisés qui ne le savaient pas.
04:32 Ils ont eu l'intelligence de nous confier.
04:39 Mais je crois que j'ai pas fait mieux avec mes propres enfants.
04:40 J'ai levé mes enfants seuls, j'ai été aidée, je les ai confiées.
04:46 Je crois qu'il faut tout un village pour élever des enfants.
04:49 Un village aimant, en tout cas.
04:51 -En tout cas, je vous conseille de lire.
04:54 C'est vraiment un joli livre, tout en finesse, avec des tiroirs.
04:59 Ça s'appelle "Mensonges au paradis" et c'est paru chez Grasset.
05:02 Merci beaucoup, Colombeschneck.
05:04 -Merci, Anne Filda.
05:06 ...
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