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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 27 Juin 2023)

Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marseille en grand avec ce plan.
00:08 Emmanuel Macron s'était engagé en 2021 à soutenir la deuxième ville de France,
00:12 et aussi l'une des plus pauvres, développant une enveloppe,
00:17 un plan ambitieux de 5 milliards d'euros.
00:19 Deux ans plus tard, le chef de l'État est de retour à Marseille et détaillera pendant trois jours
00:24 le deuxième volet de son plan.
00:26 Cette visite d'une durée inédite envoie un signal aux Français.
00:30 La période dite des 100 jours est terminée.
00:32 Le chef de l'État repart au contact de la population et développe des moyens pour aider les territoires.
00:40 Pour évoquer Marseille, la représentation de cette ville,
00:44 j'ai presque envie de dire en matière d'histoire des représentations,
00:48 comment Marseille est devenue en quelque sorte le reflet des mots français.
00:53 Nous sommes en compagnie de Béatrice Giblin.
00:55 Bonjour Béatrice Giblin, vous êtes géographe, géopolitologue française.
01:01 Vous avez fondé et dirigé l'Institut français de géopolitique.
01:04 Et puis nous sommes en duplex avec Philippe Pujol.
01:07 Bonjour.
01:08 Bonjour.
01:09 Philippe Pujol, vous êtes journaliste, écrivain, lauréat du prix Albert Londe
01:14 pour une série d'articles intitulé "Quartiers chiites sur les quartiers nord de Marseille".
01:20 Peut-être la première question qu'il faudrait se poser est justement
01:24 les différentes étapes de la transformation de Marseille en une sorte de ville symbole.
01:30 Vous avez particulièrement suivi ça, Philippe Pujol,
01:32 votre regard sur les représentations, peut-être le mythe de Marseille.
01:38 Marseille, oui, c'est un mythe.
01:40 Au sein de la France, c'est la représentation de toutes les problématiques françaises.
01:46 C'est-à-dire que souvent on dit Marseille, ce n'est pas la France.
01:49 Pour moi, c'est l'inverse.
01:50 Marseille, c'est une concentration de toute la France
01:53 avec toutes les problématiques qui y sont, notamment par exemple celles des banlieues.
01:57 Mais à Marseille, ce n'est pas les banlieues, c'est les quartiers populaires.
02:00 C'est les quartiers nord, vous dites souvent.
02:02 Moi, je ne pense pas en termes de quartiers nord, quartiers sud,
02:05 mais les quartiers nord sont les quartiers de la régulation qui sont dans la ville.
02:08 Donc, on a toutes les problématiques qu'on peut avoir ailleurs.
02:12 On les a à Marseille.
02:13 Et évidemment, dans l'histoire, ça s'est installé au tournant des années 70.
02:18 – Question de pauvreté, question d'insécurité, question de trafic.
02:24 Est-ce que ces différents mots vous paraissent effectivement
02:28 être justement présents à Marseille
02:31 ou bien est-ce que l'on noircit le tableau lorsqu'on est au nord ?
02:34 – Non, c'est incontestable.
02:36 Il y a quand même une ville profondément pauvre
02:38 avec un tiers de la population sous le seuil de pauvreté.
02:42 Et le reste, la moitié de la population est pauvre.
02:46 Donc, c'est quand même important.
02:48 La violence existe, on le voit,
02:50 mais c'est une violence qui est liée à des règlements de compte,
02:54 à du banditisme, à des assassinats sur fond de trafic de stupéfiants.
02:58 Après, est-ce que la violence en termes d'agression au quotidien
03:02 est plus forte qu'ailleurs ?
03:03 Non, sûrement pas.
03:04 Est-ce que c'est une ville qui n'est que violente ?
03:06 Non, évidemment.
03:07 Mais on ne peut pas occulter quand même pauvreté et violence.
03:10 Ça, c'est impossible.
03:13 – Béatrice Giblin, Marseille a une longue histoire,
03:17 mais dans cette longue histoire, justement, il y a des étapes,
03:21 alors sans remonter à l'antiquité romaine,
03:24 on peut dire qu'effectivement, la ville a eu un rôle central
03:29 pendant l'époque coloniale et qu'ensuite,
03:33 la décolonisation a transformé Marseille.
03:36 – À l'époque coloniale, tout le trafic avec l'Algérie passe par Marseille.
03:41 Les activités industrielles de Marseille,
03:44 huilerie, savonnerie, pâtes, industrie alimentaire,
03:49 sont liées effectivement, pour l'essentiel,
03:51 dans les relations commerciales avec l'Algérie essentiellement.
03:56 Donc, la situation post-coloniale a été particulièrement marquée à Marseille,
04:03 non seulement avec l'arrivée des massifs, des pieds noirs
04:06 qui se sont installés nombreux sur le littoral méditerranéen,
04:10 mais pas que, en région parisienne,
04:12 y compris aussi dans le nord de la France,
04:15 mais aussi avec l'arrivée d'une immigration maghrébine
04:18 qui était déjà bien antérieure à la décolonisation,
04:22 mais qui s'est accélérée avec la décolonisation.
04:26 Et si on a ce phénomène de ce qu'on appelle les quartiers nord,
04:29 c'est-à-dire la construction de cités,
04:32 c'est-à-dire de nombreux logements construits dans un temps très court.
04:35 C'est ça une des caractéristiques de l'histoire du logement en France.
04:39 C'est-à-dire qu'en France, on n'a pas construit de logement
04:42 entre, on va dire, la guerre XIV et les années 50.
04:47 Pourquoi ? Parce que la guerre XIV a été une saignée démographique terrible,
04:51 parce qu'on a bloqué les loyers,
04:54 parce que les hommes étaient au front et les femmes, il fallait bien qu'elles assurent,
04:58 et ce blocage de loyer, on l'a maintenu entre les deux guerres.
05:02 Et donc, les propriétaires n'ont plus construit
05:05 pour le loyer, pour avoir des locataires.
05:09 Et il n'y avait pas vraiment de demande.
05:11 Seul en 36, on commence avec le Front Populaire à reconstruire,
05:15 mais c'était un tel problème qu'on avait perdu le savoir-faire.
05:18 Vous savez, ces fameux maçons qui venaient du Massif Central, du Limousin,
05:22 pour faire ces murs de meulière impeccablement droits,
05:26 et il ne s'était pas donné à tout le monde de savoir faire ça.
05:28 Donc, on n'avait plus ce savoir-faire-là.
05:31 Début du baby-boom, arrivés des pieds noirs qui arrivent,
05:37 plus une main d'oeuvre qu'on appelle, parce que c'est le début des Trente Glorieuses,
05:41 il faut construire.
05:42 Et on a construit de façon industrielle.
05:45 Alors, c'était une réussite, parce qu'on a réussi à loger beaucoup de gens,
05:49 mais ces logements, en 40 ans après, ne correspondaient plus du tout.
05:52 Donc, c'est un phénomène qu'il faut bien comprendre.
05:55 Pourquoi on a ces cités-là ?
05:57 Non seulement à Marseille, mais on va les retrouver,
06:00 Région parisienne, Lyon ou autre.
06:02 C'est une spécificité française, et j'insiste là-dessus.
06:06 Donc, on a eu constitution de ce qu'on a appelé des ghettos.
06:10 C'est beaucoup plus compliqué que l'image seulement du ghetto,
06:12 mais ça fait des phénomènes de concentration de populations à faible revenu,
06:18 la pauvreté dont parlait Philippe Pujol,
06:20 et aussi de constitution d'immigration,
06:24 qu'elle soit comorienne, maghrébine, subsaharienne ou autre,
06:28 avec un phénomène de rejet, évidemment.
06:32 En plus, à Marseille, ce qui a été dit, la banlieue est dans la ville,
06:35 c'est une immense commune, à la différence de beaucoup de communes françaises.
06:40 Avec une spécificité, Philippe Pujol, parce que l'habitat à Marseille,
06:44 on le connaît bien, j'ai presque envie de dire, hélas,
06:46 puisqu'il y a eu le drame de la rue d'Aubagne,
06:49 qui est lié donc à une paupérisation des immeubles,
06:53 des travaux auraient dû être faits,
06:55 ils n'ont pas été faits, parce qu'on le sait peu,
06:59 mais Marseille est une ville en majorité constituée de propriétaires,
07:04 de propriétaires souvent pauvres,
07:06 parce que le foncier a été bon marché pendant très longtemps,
07:10 et c'est ce qui explique cette situation, n'est-ce pas ?
07:15 - Ah oui, Marseille est une ville où il y a le plus de maisons individuelles,
07:19 et c'est en centaines de milliers,
07:21 donc il faut pouvoir entretenir ça, et la plupart des gens ne peuvent pas,
07:26 et donc ça se paupérise.
07:27 Comme en plus l'action publique n'allait pas dans ce sens jusqu'à quelques années,
07:33 eh bien la détérioration a été accélérée,
07:37 avec une construction en plus de mauvaise qualité dès le début,
07:40 vite fait mal fait toujours,
07:42 donc le logement c'est un des symptômes de l'impossibilité qu'a cette ville
07:49 pour le moment à se développer.
07:52 - Est-ce que vous avez vu des choses changer ?
07:54 Dans quel sens d'ailleurs Philippe Pujol à cet égard ?
07:58 - Alors sur le logement, il y a quand même depuis le drame de la rue d'Aubagne,
08:03 donc depuis 2018, une prise de conscience réelle du drame,
08:08 c'est-à-dire qu'il y a 40 000 logements insalubres ou en péril à Marseille,
08:14 40 000, c'est une ville entière,
08:16 il y a à peu près 20 000 immeubles,
08:18 c'est-à-dire que c'est bien plus qu'après un bombardement.
08:21 Marseille est dans un état plus déplorable qu'après un bombardement.
08:25 Donc il y a eu cette prise de conscience,
08:27 et après maintenant il y a des affrontements entre les promoteurs d'un côté,
08:32 ou en tout cas une partie des promoteurs qui ne lâchent rien,
08:34 qui veulent continuer à faire du business et beaucoup d'argent,
08:37 comme c'était le cas jusque-là à Marseille,
08:39 et des politiques qui eux sont poussées par la population pour améliorer les choses.
08:43 Donc il y a des affrontements, ça se passe un peu difficilement,
08:46 mais en attendant il y a quelques améliorations,
08:48 notamment sur le sujet des écoles,
08:50 où on commence à avoir des investissements dans la rénovation des écoles,
08:54 des écoles primaires, qui étaient vraiment dévastées,
08:57 c'est pas une manière de parler, c'est vraiment dans un état impossible.
09:02 Et l'autre point sur lequel Marseille est souvent évoqué dans l'actualité,
09:09 presque d'ailleurs de manière quotidienne,
09:12 c'est l'insécurité liée au trafic de drogue avec les règlements de comptes.
09:16 Comment les expliquer, Philippe Pujol,
09:18 puisque vous avez particulièrement travaillé là-dessus,
09:22 avec cette série d'articles qui vous a valu le prix Albert Londe
09:24 consacré au trafic de cannabis à Marseille ?
09:28 Déjà il y a deux choses qu'il faut comprendre.
09:30 Les règlements de comptes évidemment il y en a ailleurs,
09:32 notamment en région parisienne,
09:34 mais par contre ces règlements de comptes et Marseille,
09:37 ce sont deux mots qui sont liés,
09:38 on peut rajouter le mot Kalachnikov et on a le trio.
09:41 Mais en fait Marseille c'est la soupape de sécurité des questions d'insécurité en France.
09:46 C'est-à-dire que c'est un endroit où on a le droit d'en parler,
09:48 la population l'accepte, elle râle un peu mais elle laisse faire,
09:52 et puis quand on parle banditisme, il y a même un peu de fierté,
09:54 du genre, nous il y a des bandits chez nous,
09:57 ce qui veut dire que politiquement parlant et médiatiquement parlant,
09:59 c'est une ville où on a le droit de s'exprimer.
10:03 Ça c'est la première chose.
10:04 Puis après, les règlements de comptes,
10:06 ça n'est l'indicateur que d'une chose, de la concurrence.
10:10 Si ça s'entre-tue en ce moment, ça veut dire qu'il y a de la concurrence.
10:13 Ça ne veut pas dire que le banditisme est plus gros que par le passé,
10:17 ça veut juste dire qu'ils se disputent la part de gâteau qu'il y a en place,
10:22 qui n'est pas si grosse que ça.
10:23 – C'est ça, est-ce que le gâteau diminue ?
10:26 Parce que c'est parfois ça aussi, l'exacerbation de la concurrence.
10:30 – Non, il se déplace, c'est-à-dire qu'il y a de plus en plus de consommateurs,
10:35 d'ailleurs il faut se poser la question pourquoi,
10:36 il ne faut pas tout de suite les pointer du doigt,
10:39 et il y a de plus en plus de consommateurs,
10:41 donc de plus en plus de demandes,
10:42 en même temps il y a plus d'offres,
10:43 parce que la cocaïne, à Marseille, comme partout dans le monde,
10:46 s'est démocratisée parce que les prix ont chuté,
10:49 donc ça fait que le gâteau est plus gros,
10:51 mais ce gâteau dans ce milieu-là, le milieu du banditisme,
10:53 ce n'est pas un milieu partageur.
10:55 C'est donc... a été mis en place un système qui fait que les jeunes des quartiers,
11:01 les jeunes des quartiers populaires,
11:03 on leur a délégué le sale boulot, la vente au détail,
11:07 et donc ils s'entretuent pour pas grand-chose ceux-là.
11:09 Cependant il y a quand même beaucoup d'argent pour ceux qui sont au-dessus,
11:12 ceux qui sont dans d'autres pays, l'Algérie, l'Angleterre,
11:18 il y en a en Angleterre, il y en a au Gabon, il y en a en Espagne,
11:22 il y en a à Dubaï, enfin bref, il y a beaucoup de pays
11:25 où des patrons se sont recroquevillés pour pouvoir faire de l'argent.
11:30 Donc il y a beaucoup de concurrence parce qu'on a ubérisé les trafics,
11:34 ça s'est fait au tournant des années 2010,
11:36 et ça s'est accentué avec le confinement en 2019.
11:41 Et aujourd'hui, ça tire,
11:44 ce qui fait qu'on s'entretue aujourd'hui dans les quartiers populaires,
11:47 ce n'est pas de la stratégie comme par le passé,
11:49 où on tuait le camp Aguébert, c'est la peur.
11:52 C'est principalement l'émotion qui aujourd'hui régit les règlements de comptes,
11:55 très peu la stratégie.
11:57 C'est-à-dire ? Quelle distinction faites-vous ?
12:00 Dans les années 80, quand il y a Zampa qui se bagarre contre Lebesge et contre Mbert,
12:07 eux, ils vont tuer le lieutenant de l'arme pour pouvoir avoir tel marché, etc.
12:12 Il y a des stratégies mises en place.
12:14 Aujourd'hui, on est très endetté et on se dit,
12:17 je vais vite zigouiller le gars à qui je dois 100 000 euros,
12:20 parce que sinon, il va lui-même me zigouiller.
12:22 Et on apprend qu'il va y avoir un contrat sur la tête de son frère,
12:28 on va vite essayer d'exécuter le contrat contre l'assassin
12:31 avant que le frère disparaisse, etc.
12:34 On est plus aujourd'hui dans une réaction instantanée par rapport à la crainte, à la peur.
12:40 Et le ciment de tout ça, le ciment des réseaux aujourd'hui, c'est l'endettement.
12:45 On endette les gens pour qu'ils ne coûtent pas d'argent.
12:49 Mais alors, Philippe Pujol, est-ce que ça, ça se fait dans un climat ?
12:52 Pour utiliser un terme que le chef de l'État a employé,
12:58 est-ce que ça se fait dans un climat de décivilisation ?
13:02 Ou bien est-ce que ça se fait dans un climat d'impunité ?
13:04 Puisque l'on a l'impression que la vie humaine a perdu en partie sa valeur dans ces règlements de comptes.
13:11 Comment vous l'expliquez ?
13:12 Ça, c'est de la mythologie tout ça.
13:13 C'est-à-dire que le banditisme a toujours été violent, amoral.
13:19 C'est le principe même du banditisme.
13:21 Donc la compétence violente chez les voyous, elle date des voyous, de l'âge des voyous.
13:26 Je pense que déjà, à l'époque de l'Antiquité, c'était déjà le cas.
13:31 Donc il n'y a pas de violence plus forte aujourd'hui que par le passé.
13:34 Un salopard est un salopard, c'est tout.
13:36 Et donc, il n'y a pas de décivilisation, ça n'a aucun sens.
13:40 Au contraire, ils sont totalement dans leur époque.
13:43 Grosse société de consommation, ils parlent par les réseaux sociaux,
13:47 ils ne mangent que dans des snacks.
13:49 Ils sont très dans la culture moderne au contraire.
13:52 Ils ne sont pas dans une décivilisation.
13:53 Ça, on dit ça pour essayer de faire porter le problème ailleurs.
13:57 Et ensuite, voilà, c'est totalement une question de société.
14:02 Pourquoi il y a des consommateurs ?
14:04 Il y a deux raisons à ça, parce que ça, on fuit cette question,
14:06 et c'est la question principale.
14:08 Il y a des consommateurs, parce qu'on a une époque
14:10 où il y a à la fois un besoin d'anxiolithique,
14:14 une société qui est compliquée, qui est anxiogène, dans une ville.
14:17 Alors Marseille, c'est encore plus compliqué,
14:19 il n'y a pas de transport en commun, il y a très peu de travail.
14:23 Donc c'est extrêmement anxiogène.
14:24 Donc beaucoup de consommation de cannabis.
14:27 Il y a assez peu de consommation d'alcool à Marseille,
14:29 alors le cannabis, c'est exceptionnel.
14:31 Et en même temps, une société qui demande de la performance.
14:36 Et donc, il y a aussi une grosse partie de la population,
14:39 en tout cas de consommateurs, qui consomment de la cocaïne pour la performance.
14:44 Et très, très peu dans tout ça de consommation festive.
14:48 Donc quand on pointe du doigt le consommateur en disant
14:52 "c'est lui qui est responsable des trafics",
14:54 non, c'est une société qui est responsable de la consommation.
14:58 Et on pourra, tant qu'on veut, sanctionner les consommateurs,
15:03 ça ne changera pas grand-chose, voire même, ce n'est pas très honnête, je trouve.
15:07 Pourquoi pas très honnête ?
15:09 Parce que s'il y a des consommateurs, c'est bien parce qu'on est dans une situation
15:14 sociale qui pousse à la consommation,
15:16 ou qui fait que la consommation est le seul problème.
15:18 C'est-à-dire, ils piquent le moins,
15:20 ils n'arrivent pas tous à obtenir des anxiolithiques
15:24 parce qu'ils ne font pas tous faire des ordonnances,
15:27 ils ne sont même pas tous des médecins.
15:28 Et donc, il y a une forte consommation de cannabis,
15:31 elle est considérable, et elle est principalement issue des quartiers populaires de la consommation.
15:35 C'est-à-dire qu'il y a un mythe qui dit "les quartiers riches vont acheter chez les pauvres".
15:39 C'est pas vrai ça.
15:40 Les riches, ils ont leur propre réseau de cocaïne, ils n'ont pas besoin des pauvres.
15:44 Ils ont déjà des réseaux très performants,
15:47 qui vendent à domicile, et c'est des voyous de ces quartiers-là qui vendent.
15:52 Après, la voyoucratie, elle n'a pas évolué,
15:55 elle a évolué dans sa mécanisation, mais pas dans son mode de fonctionnement.
15:59 La violence est la première des compétences,
16:01 et ensuite c'est le réseau, c'est-à-dire l'interconnaissance.
16:05 Et ça, ça n'a pas changé.
16:07 Donc, il n'y a pas de question de civilisation ou quoi que ce soit.
16:10 Le fait qu'aujourd'hui, il y ait des maghrébins dans les cités, ça ne change rien.
16:13 Avant, c'était des Italiens, et demain, ça sera encore une autre population.
16:17 Donc, il n'y a pas de lien entre l'origine ethnique et le type de banditisme qu'on a maintenant.
16:23 Il y a juste un lien entre la situation sociale et le type de banditisme.
16:27 Et le fait qu'Emmanuel Macron soit là,
16:32 soit aujourd'hui à Marseille pour trois jours avec un certain nombre d'annonces,
16:37 la permet donc de mettre l'accent sur différentes problématiques
16:43 qui se retrouvent un peu partout sur le territoire national,
16:45 mais qui serait exacerbé à Marseille.
16:48 Et peut-être, cela permet aussi de dessiner une autre géographie de la France,
16:53 puisque le Sud a beaucoup attiré, avec une proportion des Français allés vers le soleil,
17:00 où on est le territoire et les différents équilibres.
17:03 On en parle dans quelques instants.
17:04 Nous sommes en compagnie du journaliste Philippe Pujol.
17:07 Il a obtenu le prix Albert Londe pour sa série d'articles consacrés
17:11 au trafic de cannabis à Marseille et la géographe Béatrice Giblin.
17:16 Il est 8h sur France Culture.
17:17 7h-9h, les matins de France Culture.
17:24 Guillaume Erner.
17:25 Mon camarade Jean Lemarie vient de le rappeler.
17:27 Emmanuel Macron, le président, est en visite dans la cité Fossé.
17:32 Depuis hier jusqu'au 28 juin, il a notamment évoqué les maux
17:38 dont souffrirait Marseille, la sécurité, le logement, la pauvreté et donc le chômage.
17:45 Nous sommes en compagnie de Béatrice Giblin.
17:48 Vous êtes géographe.
17:50 Philippe Pujol, vous êtes journaliste.
17:52 Alors, est-ce que vous avez fait le tour du Vieux-Port récemment ?
17:55 Est-ce que vous avez compté les offres d'emploi qui y sont proposées, Philippe Pujol ?
18:00 Non, quand je fais le tour du Vieux-Port, ce n'est pas pour chercher du boulot pour les autres.
18:04 C'est pour la promenade.
18:05 C'est quand même chouette, le tour du Vieux-Port.
18:07 Mais le vrai problème, ce n'est pas savoir si on va trouver 10 emplois de serveurs mal payés autour du Vieux-Port
18:13 ou si un restaurateur cherche un super-cuisineau et qu'il ne trouve pas.
18:18 Ce n'est pas ça le problème.
18:19 Le problème, c'est que si on veut de l'emploi à Marseille, et il en faut beaucoup,
18:22 c'est quand même un immense souci, il faut penser à de l'emploi massif,
18:28 pas de la bricole, pas des livreurs,
18:32 pas juste des emplois qui sont là pour faire baisser les chiffres du chômage,
18:35 mais qui ne sont pas une réalité sociale.
18:37 Il faudrait revenir à soit une industrialisation, il y en a qui défendent ça,
18:42 soit à des pourvoyeurs d'emplois importants, on pense notamment à l'industrie du cinéma.
18:48 Et aujourd'hui, c'est beaucoup dans les chiffres...
18:52 Voilà, si on parle du cinéma, il y a beaucoup de tournages faits à Marseille,
18:56 mais est-ce qu'il y a beaucoup d'emplois pour les gens du bassin marseillais ?
18:59 Non, pas particulièrement.
19:01 C'est plutôt sur ces choses-là qu'il faut travailler.
19:03 Et là, l'État, avec les institutions marseillaises locales,
19:08 devrait travailler un peu plus dessus, mais bon, ça se fait très mollement, ça.
19:12 – Béatrice Gible a une réaction.
19:15 – La provocation, c'est une façon de travailler pour Macron incontestablement.
19:20 Et il sait aussi qu'il a un électorat qui est très sensible à l'idée que
19:27 on peut aller travailler si on a le courage d'aller travailler,
19:29 c'est son électorat de sa réserve de droite, si vous voulez.
19:32 Et il sait bien que c'est par là qu'il va attirer et remonter dans les sondages.
19:38 Donc je pense que cette provocation est tout à fait lucide.
19:41 – Il y a beaucoup de secteurs en tension, Béatrice Gible.
19:44 – Oui, il y a des secteurs en tension, mais c'est pas forcément...
19:47 – Vous avez eu des échos, par exemple, sur le secteur bancaire, aujourd'hui.
19:50 – Oui, bien sûr, mais c'est des secteurs où, soit effectivement,
19:53 comme ça a été rappelé par les maris,
19:56 c'est des gens qui doivent avoir une certaine compétence
20:00 et qu'on ne trouve pas forcément, et qu'il faut former, et ça demande du temps.
20:04 Soit c'est des emplois qu'ils n'attirent pas parce qu'ils ont des horaires difficiles,
20:10 parce qu'ils sont mal payés, parce qu'ils ne sont pas valorisants,
20:13 pour des tas de raisons.
20:14 Là justement, entre l'offre d'emploi et la demande d'emploi,
20:19 il est difficile à se faire, c'est absolument incontestable.
20:22 Mais il est incontestable aussi que le chômage a baissé,
20:26 il a aussi baissé chez les jeunes.
20:28 Il y a quand même quelque chose qui est important, je crois, à dire.
20:32 Ça ne suffit pas, mais c'est important,
20:33 c'est l'apprentissage qui a pris des proportions extrêmement importantes.
20:37 – Et puis l'autre transformation de Marseille, Philippe Pujol,
20:41 parce qu'il ne faudrait malgré tout pas voir uniquement les mots de la cité phocéenne,
20:47 l'autre transformation de Marseille, c'est sa transformation
20:50 dans les imaginaires, les imaginaires positifs,
20:52 avec l'attrait de la ville, du soleil, un rêve pour les parisiens, le TGV.
20:57 Ça, vous l'avez vécu aussi, Philippe Pujol ?
21:00 – Bien sûr, en fait, c'est une ville qui est belle et agréable depuis toujours.
21:04 Et avec l'arrivée du TGV, on connaît l'histoire,
21:07 à peu près aux alentours de 1998-2001,
21:10 on va avoir un nouvel attrait pour Marseille,
21:12 qui va se faire progressivement, qui va être à son sommet en 2013
21:16 avec la capitale de la culture,
21:18 et ensuite, quand il y a eu 2020 avec le confinement,
21:22 où là, ça s'est accéléré encore.
21:24 Maintenant, il faut relativiser ça,
21:27 évidemment, il y a une arrivée, comme on dit, des parisiens,
21:29 on appelle parisiens tout ce qui n'est pas marseillais,
21:31 c'est-à-dire qu'un Antin, un Bordelais, un Strasbourgeois est un parisien.
21:34 On a surtout des gens qui viennent des grandes capitales européennes,
21:36 qui sont partis de toutes les villes standardisées d'Europe.
21:41 Ils en ont marre de Barcelone, ils en ont marre de Berlin,
21:46 ils ne veulent pas s'entasser à Paris,
21:48 donc ils vont chercher une ville qui est hors standard,
21:51 avec une manière de vivre, une manière de fonctionner qui est différente.
21:54 La grande force de Marseille,
21:56 et j'ai même envie de dire la toute puissance de Marseille par rapport aux autres villes,
22:00 ce n'est pas ses paysages, ce n'est pas sa qualité de vie,
22:04 c'est la capacité qu'ont les gens à discuter entre eux.
22:07 C'est-à-dire que c'est l'une des rares villes qui restent
22:10 où tu peux parler avec n'importe qui, n'importe quand, sur n'importe quoi,
22:13 et c'est quelque chose qui est rarissime, ça n'existe plus ailleurs.
22:16 D'ailleurs, ça perturbe même quand on vient à Marseille,
22:19 parce qu'on se dit "Mince, mais pourquoi il me parle ?"
22:21 Mais en fait, c'est absolument génial, parce que le lien social existe toujours,
22:24 sans tablettes, sans écran, sans réseaux sociaux,
22:28 et c'est quelque chose qui, pour certains, est presque émouvant.
22:31 C'est ce qui fait rester.
22:32 Après, il y a tous les problèmes qui vont avec cette ville aussi,
22:36 mais la plus grande force de Marseille, c'est ses habitants,
22:39 et c'est pour ça que les gens viennent.
22:40 Et bon, après, ça provoque deux phénomènes importants.
22:43 Le premier phénomène, c'est celui de la gentrification,
22:47 mais qui n'est que sur certains quartiers,
22:49 et qui est pour le moment relativement raisonnable, je dirais.
22:53 Après, les gens de ces quartiers-là, les habitants, ont raison de résister,
22:58 je trouve qu'ils ont raison de le faire,
22:59 mais Marseille est plus en voie de paupérisation que de gentrification,
23:02 à l'échelle de la ville.
23:04 Et ensuite, il y a l'illusion de gentrification,
23:07 ça se fait beaucoup parce qu'il y a beaucoup de AirBnB à Marseille,
23:09 puisque c'est une ville instagrammable.
23:11 Donc comme elle est instagrammable, eh bien on vient.
23:13 On vient pour aller là où on a vu la photo, super, de ci, de là.
23:16 Et donc, ça aussi, ça donne une illusion de gentrification,
23:20 mais il faut savoir que les gens qui investissent dans tous les commerces,
23:24 dits à bobos, enfin qui sont à touristes en fait, à touristes AirBnB,
23:28 ces gens-là, dans les commerces ou dans le AirBnB,
23:32 c'est principalement une petite bourgeoisie locale
23:35 qui a cessé d'investir à Aix et dans l'huitième arrondissement,
23:38 qui s'est mis, l'huitième c'est un arrondissement riche de Marseille,
23:41 et qui s'est mis à revenir au centre-ville qui est historiquement pauvre.
23:46 Donc il y a un peu une illusion de l'arrivée massive des Parisiens,
23:49 qui n'est pas si massive que ça, parce que les Parisiens,
23:51 quand ils restent ici et qu'ils commencent à avoir des enfants
23:54 et que c'est compliqué de les mettre à l'école
23:55 et qu'il faut se déplacer, c'est l'enfer,
23:57 et que l'hiver, on t'avait promis qu'il ferait beau
23:59 alors qu'il y a un mistral froid sans arrêt,
24:01 et que tu n'as pas de piscine, tu ne peux pas aller nager,
24:03 enfin bref, que les galères arrivent, ben ils ne restent pas.
24:06 La plupart du temps, les gens ne restent pas,
24:07 ils font du 2, 3, 4 ans ici, et après ils disent c'était bien,
24:10 mais c'est dommage, c'est une ville compliquée.
24:12 Oui, il faut accepter le côté compliqué de cette ville pour y vivre.
24:17 Justement, Béatrice Giblin, alors cette nouvelle géographie française,
24:21 puisqu'on a parlé d'héliotropisme pour la France,
24:24 autrement dit d'un attrait du soleil qui a modifié les équilibres
24:29 pour certaines villes comme Marseille, on aurait pu citer aussi Montpellier,
24:33 qu'est-ce que ça vous inspire à vous, géographe ?
24:36 Surtout qu'avec le réchauffement climatique,
24:38 il est possible qu'on voit dans quelque temps le phénomène inverse,
24:41 c'est-à-dire que quand il fera 35, 40, qu'on aura des grosses canicules,
24:45 peut-être qu'il se passera autre chose.
24:47 Il paraît que c'est déjà le cas en Bretagne, où la pluie est supportée,
24:52 mais d'ailleurs il pleut peu.
24:54 Il pleut peu, effectivement, et peut-être même de moins en moins.
24:58 Non, on a eu un changement dans la géographie française,
25:03 mais tout dépend à quel niveau on le regarde.
25:06 On a toujours des zones qui restent des zones assez répulsives d'où on part.
25:13 C'est le nord de la France, c'est une partie du Grand Est,
25:17 au bénéfice de quoi ?
25:19 Effectivement, au sud de la Loire, c'est vrai, mais aussi tout l'ouest.
25:24 Le littoral, vous avez cité la Bretagne à très juste titre,
25:27 mais toute la Nouvelle Aquitaine, tout au moins la bordure littorale,
25:32 qui, elle, attire le Pays Basque.
25:35 Donc, on a effectivement, y compris dans ce qu'on appelle la campagne,
25:41 on a aujourd'hui des tas de communes qui sont en croissance démographique.
25:47 Faible, bien sûr, mais ce phénomène de l'exode rural qui a vidé les campagnes,
25:52 il est aujourd'hui stabilisé, voire peut-être même, avec une certaine reprise,
25:57 tout au moins dans ce qui est l'arrière de zones attractives.
26:01 Voilà, parce qu'il y a une caractéristique qui reste vraie dans le cadre de la France,
26:06 c'est la très grande différence de densité de population.
26:09 Moi, je dis souvent, la France est un pays pas assez peuplé.
26:13 C'est-à-dire qu'on a la diagonale du vide ?
26:16 Ce qu'on appelle la diagonale du vide, qui va, en fait, d'une partie du Massif Central jusqu'aux Ardennes, si vous voulez.
26:22 Mais à l'intérieur même des zones densément peuplées,
26:25 on a aussi des zones qui sont très faiblement peuplées.
26:29 Dans l'Ordre, vous avez les agglomérations,
26:32 le péri-urbain qui est à peu près à 75 habitants au kilomètre carré.
26:37 Puis, vous avez ce qui est un peu plus loin, qui peut aller évidemment autour de 30,
26:41 voire même à moins de 10 habitants au kilomètre carré.
26:44 Alors, il est bien évident qu'au pays de l'égalité,
26:48 où tous les services doivent être offerts à l'ensemble des Français,
26:52 on se rend bien compte que ça pose un certain nombre de problèmes à régler.
26:56 Donc, on a dit mais les métropoles absorbent tout, ce qui est assez vrai.
27:01 La métropole absorbe les activités économiques, culturelles,
27:08 tous les services et au fond, on est obligé,
27:13 parce que le foncier est très cher, d'aller habiter à 20, 30 kilomètres.
27:18 Et puis, parce qu'on aime la maison avec son jardin autour.
27:22 C'est un appel, c'est vraiment un désir fort des Français d'habiter de cette façon-là.
27:29 Donc, on a une nouvelle géographie qui a été liée d'ailleurs au développement des transports automobiles.
27:34 Parce que pourquoi on a du transport automobile ?
27:36 Parce qu'il n'est pas facile de faire du transport en commun sur des densités qui sont assez faibles.
27:41 Je veux dire, on veut tout et son contraire quand même en même temps.
27:44 On veut avoir tous les services, mais on veut avoir la campagne.
27:48 On veut avoir de l'espace et pas avoir trop de monde autour de soi pour profiter soi-disant de la nature.
27:56 Donc, c'est compliqué de gérer tout ça.
27:58 Et à l'intérieur même des métropoles, ce n'est pas, ça a été dit par Philippe Pujol pour Marseille,
28:06 au cœur même de la seconde ville de France, la pauvreté est très présente.
28:09 Métropole ne veut pas dire niveau de vie élevé, tout est facile.
28:13 Ce n'est pas vrai.
28:14 Le phénomène de taudification d'un certain nombre de centres-villes est important.
28:19 Alors ça, justement, ça fait partie des chantiers prioritaires d'Emmanuel Macron.
28:24 On l'a évoqué avec le drame de la rue d'Aubagne.
28:27 Est-ce que les choses évoluent à cet égard, Philippe Pujol ?
28:32 Les choses évoluent, oui.
28:33 Alors là, on est dans un travail qui va prendre plusieurs décennies.
28:37 C'est, je vous ai dit, à peu près 20 000 immeubles à refaire.
28:40 Donc, c'est vraiment énorme.
28:42 Donc, ça évolue. Le problème, c'est qu'au-delà des façades d'accords
28:48 qui iraient vers une rénovation collective,
28:51 la réalité, c'est qu'il y a des enjeux,
28:54 enfin, il y a des conflits d'intérêts forts entre les différents partis.
28:58 Les parties prenantes de la rénovation ont des intérêts différents.
29:04 Donc, il y a le BTP, l'immobilier d'un côté,
29:07 il y a une partie, le monde politique côté région, département,
29:11 puis après, il y a le Printemps marseillais qui est la gauche marseillaise
29:14 qui s'est unie un petit peu avant qu'il y ait l'union des gauches pour le présidentiel.
29:20 Ça s'est fait à Marseille un peu avant.
29:21 Et ces gens-là n'ont pas tous les mêmes intérêts.
29:24 Donc, est-ce qu'il y a de l'argent injecté ?
29:26 Oui, pas assez, très, très loin d'être assez, mais il y en a quand même un peu.
29:30 Et ensuite, il manque une gouvernance claire pour le moment.
29:34 Et il n'y a que sur les écoles qu'il y a eu un consensus.
29:37 Il n'y a que sur les écoles qu'on arrive à peu près à avancer
29:39 parce que là, on mesure à quel point...
29:43 On ne parle pas simplement de bâti et de dur,
29:45 mais des gamins qui grandissent, qui vont à l'école dans des conditions dramatiques,
29:50 de carmonde, on ne peut pas espérer derrière les amener à être de bons citoyens,
29:56 bien sages, ce n'est pas possible.
29:57 Donc, là-dessus...
29:58 Un chantier aussi sur l'école, effectivement, comme vous le rappelez, Philippe Pujol.
30:04 Béatrice Giblin, l'autre sensation lorsqu'on a découvert,
30:08 notamment ces images dans les écoles marseillaises il y a quelques années,
30:12 c'est l'idée qu'il y a aussi en France de profondes inégalités territoriales,
30:17 qu'il y a eu effectivement des choses qu'on a laissé faire.
30:20 C'est l'immense responsabilité de la gestion de la municipalité de Marseille
30:26 par Godin et peut-être même avant déjà par Defer.
30:29 Les communes relèvent effectivement...
30:32 Pardon, les écoles élémentaires relèvent des municipalités.
30:37 Les collèges relèvent des départements, les lycées relèvent des régions.
30:40 Donc, c'est effectivement un sous-investissement qu'on peut dire scandaleux
30:46 de la part de la municipalité marseillaise, réélu très régulièrement,
30:51 sans doute à l'aide d'un clientélisme efficace,
30:54 qui a maintenu cette situation de façon absolument inacceptable.
30:58 Et là, pour l'instant, parce que ce n'est pas la première fois que...
31:01 - Alors, dans votre représentation des choses, l'État s'en tire à bon compte ?
31:07 Il n'y a pas de responsabilité du pouvoir central ?
31:11 - Sur l'état des écoles proprement dites, c'est de la responsabilité des communes.
31:16 On est constamment, dans mon sens, dans une contradiction entre les communes,
31:22 les maires qui réclament de l'autonomie,
31:24 "laissez-nous faire, nous connaissons le local, on peut nous intervenir,
31:28 vous, à Paris, vous êtes trop loin, vous ne comprenez rien de ce qui se passe,
31:32 laissez-nous faire."
31:33 Et puis, d'un autre côté, ça ne va pas bien, mais que fait l'État ?
31:36 Mais l'État devrait intervenir.
31:38 Donc, c'est sans arrêt comme ça.
31:40 J'ai un de mes amis qui parle des jacondins,
31:43 c'est-à-dire, on est girondins à Paris,
31:45 et on est jacobins pour les besoins en province.
31:49 Donc, ce n'est pas que l'État s'en tira à bon compte,
31:52 ce n'est pas la première fois que l'État vient au secours de Marseille.
31:55 Il est déjà venu une fois.
31:57 C'est quand même l'argent de l'ensemble des contribuables français
32:00 qui vont aider au plan du Marseille en grand.
32:03 Tant mieux, moi j'aime beaucoup Marseille,
32:05 il fallait faire quelque chose, c'est sûr.
32:07 Mais, originaires du Nord, et voyant les difficultés quand même
32:11 qui existent dans la métropole du Nord,
32:13 je me dis que certains élus du Nord doivent se dire,
32:16 "ça serait peut-être pas mal non plus si on pouvait avoir
32:19 un sacré coup de pouce comme on en a."
32:21 Alors, je veux bien, il y a des spécificités à Marseille,
32:24 c'est indispensable et il faut incontestablement faire les choses.
32:29 Mais vous savez, pour un certain nombre de gestionnaires
32:31 où le taux de pauvreté est largement aussi important qu'à Marseille,
32:35 quand je pense à une ville comme Roubaix,
32:37 ou je ne sais pas, d'autres encore,
32:39 c'est quand même très difficile.
32:42 Donc, on est toujours dans cette tension
32:44 où on veut plus de décentralisation,
32:46 plus de pouvoir pour pouvoir agir
32:49 et mieux, efficacement, avec un État lointain.
32:53 Mais avec aussitôt, ce qui est à mon avis une contradiction,
32:57 pas de hiérarchie à ce niveau-là.
33:00 C'est-à-dire que les communes n'ont aucun droit,
33:02 il n'y a pas de droit de regard du département ou de la région sur les communes.
33:06 À mon sens, ça ne peut pas marcher.
33:07 Qu'est-ce que vous en pensez, Philippe Pujol ?
33:09 Est-ce qu'à Marseille, par exemple,
33:11 on revendique une indépendance vis-à-vis de Paris ?
33:15 Est-ce qu'il y a un rapport comme cela ambivalent
33:18 vis-à-vis de la capitale ou du pouvoir central ?
33:21 Il y a une relation adolescent-parent entre Marseille et Paris.
33:25 C'est-à-dire que, laissez-nous tranquille,
33:26 mais donnez-moi mon argent de poche quand même.
33:28 Donc, c'est vraiment ça.
33:31 Puis, ils s'aiment bien, mais ils se disputent tout le temps.
33:35 Donc, c'est vraiment, Marseille,
33:37 ça a beau être la plus vieille ville de France,
33:38 c'est une ville d'ados, politiquement parlant, je dirais.
33:43 Et Paris, c'est les parents qui ont tout compris, qui savent tout.
33:46 C'est un peu une ville de vieux cons aussi.
33:48 Donc, c'est un peu ce trafement-là.
33:50 Mais, donc, cette relation-là, elle a toujours existé.
33:53 Marseille, ville rebelle, non, ce n'est plus le cas depuis très longtemps.
33:57 Ce n'est pas du tout une ville qui se rebelle, Marseille.
33:59 Et les rares fois où c'est arrivé dans l'histoire, elle l'a payée.
34:02 C'est une ville quand même qui a perdu son nom sous Louis XIV.
34:07 Ça a appelé Marseille ville sans nom.
34:09 C'est une ville qui, à chaque fois qu'elle s'est rebellée,
34:10 elle a pris des sanctions majeures.
34:13 Il n'y a pas de velléité d'indépendance.
34:14 Par contre, il y a des velléités, je dirais, un peu d'autonomie.
34:18 Et ça, c'est plutôt sain.
34:19 Moi, je trouve qu'une petite autonomie des territoires,
34:23 que ce soit le nord, le sud ou la Corse,
34:26 pour moi, c'est nécessaire une petite autonomie
34:28 et que l'État au milieu puisse un petit peu gérer tout ça.
34:33 Mais sur Marseille en particulier, le fait que l'État aide enfin Marseille,
34:39 pour moi, c'est la moindre des choses.
34:41 Et les sommes annoncées sont très, très loin des sommes réelles
34:43 puisqu'on annonce 5 milliards.
34:44 Mais on oublie de dire que dans les 5 milliards,
34:46 il y a énormément d'argent qui sont mis par les collectivités locales.
34:49 Donc l'État met tout au plus 1,5 milliard, ce qui peut sembler beaucoup.
34:53 Mais la grande couronne en 2013 de Paris, ça a été 3 milliards.
34:58 Et puis, ils ont encore mis des milliards derrière
35:00 pour une ville qui n'en avait pas franchement besoin.
35:02 Et ensuite, Marseille est aidée.
35:05 Il faut se rappeler quand même que Marseille a été totalement utilisée
35:09 par l'État central bien avant Macron pour être exploité, je dirais.
35:15 Je vais m'expliquer.
35:17 Quand il y a eu la fin de l'industrie française,
35:21 on va dire grosso modo au début des années 70,
35:23 ça avait le premier choc pétrolier.
35:26 On a enlevé toute l'industrie marseillaise qui était très importante
35:30 et on a créé Berne, Fos, c'est-à-dire l'industrie pétrolière.
35:36 Mais l'industrie pétrolière, ça crée quelques emplois, ça fait une illusion.
35:40 Comme ça détruit les paysages, ça donne l'impression qu'il y a une activité.
35:43 La réalité, c'est qu'il y a eu très peu d'emplois, plus du tout pour les Marseillais.
35:47 Et que par contre, l'État, il gagne beaucoup
35:50 parce qu'il prélève des taxes du pétrole qui arrivent, des taxes considérables.
35:54 C'est-à-dire que Fos est une manne d'argent phénoménale pour l'État
36:00 depuis les années 70 et que l'État n'a jamais reversé un centime sur Marseille de tout ça.
36:06 Donc si maintenant, l'État donne un milliard,
36:09 ce qui était déjà prévu sous Chirac et qui n'a jamais été fait,
36:11 si ça finit par se faire maintenant, c'est juste normal.
36:14 Et puis, c'est une ville qui a tellement été exploitée politiquement
36:19 par rapport aux questions d'immigration, par rapport aux questions d'emploi
36:23 et surtout d'insécurité, c'est juste normal qu'on donne un petit peu à Marseille maintenant,
36:28 qui est quand même la deuxième ville de France et qui n'a pas bénéficié,
36:31 ce qu'ont pu bénéficier d'autres villes plus bourgeoises.
36:33 – Suffisamment de moyens selon vous Philippe Pujol, Béatrice Giblin.
36:37 – Oui, il n'y a pas eu que le pétrole.
36:39 Il me semble qu'on avait aussi installé une sidérurgie sur eau,
36:43 au détriment d'ailleurs du Grand Est qui a vu partir sa sidérurgie
36:46 pour que ça parte à ce moment-là sur surface.
36:49 Et puis, dans la disparition d'un certain nombre d'industries marseillaises,
36:53 ce n'est pas la volonté de l'État de les supprimer.
36:56 C'étaient des industries qui appartenaient à des entreprises privées,
37:00 qui ont d'abord, parce qu'elles perdaient le marché qu'elles avaient au fond,
37:04 qui était un marché captif avec la colonisation,
37:07 c'était devenu moins intéressant et on a replacé cet argent,
37:11 soit dans le BTP, soit dans du foncier, soit dans d'autres activités.
37:16 Moi, c'est aussi arrivé, j'allais dire, dans le nord de la France,
37:21 où effectivement un certain nombre de grands industriels
37:23 ont fermé un certain nombre d'usines parce que les marchés avaient changé
37:27 et puis sont allés investir dans la presse à Paris ou ailleurs.
37:31 J'allais dire, l'État n'est pas forcément responsable systématiquement de tout.
37:36 Et je voudrais revenir sur la question d'importance du logement
37:40 et de la codification du logement et de propriétaires
37:43 qui ont peu les moyens d'entretenir correctement leur logement.
37:48 C'est extrêmement difficile à résoudre cette question-là
37:52 parce que c'est des propriétaires privés, donc il faut racheter.
37:57 Ça prend un temps fou.
37:59 Moi, j'ai étudié ça sur la Seine-Saint-Denis, à Saint-Denis même,
38:02 le temps qu'il faut pour résorber, même avec une volonté très forte de la municipalité,
38:08 qui peut même être soutenue par le département, ce qui était le cas en Seine-Saint-Denis,
38:12 c'est une question qui est très difficile.
38:14 Il ne faut pas donner à penser que ce serait simple à régler.
38:17 Un mot de conclusion, Philippe Pujol ?
38:20 Ah ben, Marseille, Marseille, Marseille éternellement,
38:23 les deux faces de Marseille, Marseille la plus belle et Marseille la plus pauvre,
38:27 ça ne va pas s'arrêter d'un coup.
38:29 En tout cas, c'est plutôt bien qu'il y ait enfin une dévéléité de changement ici,
38:34 jusqu'à quel point elles ne sont que politiques et pas que dans l'action,
38:39 je ne le sais pas, je n'arrive pas à le mesurer.
38:41 Il y a de toute façon des affrontements politiques forts qui se jouent à Marseille.
38:46 Et si le président Macron est aussi intéressé par cette ville,
38:51 c'est vraiment pour des questions politiques et électorales, on va dire,
38:59 et pas uniquement pour aider une ville parce qu'il aime bien l'OM.
39:02 Moi, je n'y crois pas du tout.
39:03 Un mot de conclusion, Béatrice Giblin ?
39:05 Alors, ce n'est sans doute pas parce qu'il aime l'OM qu'il s'intéresse comme ça à Marseille.
39:09 Je suis tout à fait d'accord avec Philippe Pujol.
39:12 Réussir, effectivement, une expérience, parce que Marseille, c'est une expérience,
39:16 y compris sur les écoles, qui a fait hurler beaucoup les syndicats,
39:20 donner plus d'autonomie, comme le disait Philippe Pujol.
39:25 Mais ça n'empêchera pas jamais ces rivalités internes extrêmement importantes
39:29 entre communes, métropoles et départements.
39:32 Merci Béatrice Giblin.
39:35 Merci à vous, Philippe Pujol.
39:38 8h44 sur France Culture.
39:41 On se retrouve dans quelques instants pour Le Point sur l'actualité, le 8h45 d'Anne-Lorchoin.

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