Tous les soirs et pendant tout l'été, les chroniqueurs de #FacealinfoEte débattent de l'actualité du jour de 19h à 20h
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Bonsoir à toutes et à tous, soyez les bienvenus dans Face à l'Info
00:04 été, il est 19h, l'heure de faire le point sur les principales informations du jour
00:08 avec notre journaliste Isabelle Piboulot. Bonsoir Isabelle.
00:11 Deux jours après l'incendie meurtrier à Vintenheim, une enquête a été ouverte
00:19 par le Parquet de Paris pour homicide et blessures involontaires aggravées par la violation
00:24 d'une obligation de sécurité ou de prudence, pour rappel le gîte de vacances qui a
00:29 accueilli des personnes en situation de handicap n'était ni déclaré en mairie ni conforme
00:35 aux normes de sécurité. 11 personnes ont perdu la vie.
00:38 Agression à Grigny dans l'Essonne, mercredi vers 19h45, un quadragénaire a été passé
00:44 à tabac par 4 individus. Des agresseurs qui ont tenté de lui voler son scooter, 2 d'entre
00:50 eux ont été interpellés. Les enquêteurs les soupçonnent par ailleurs d'une dizaine
00:54 de faits de vol. Le lieu avait déjà été au cœur de l'actualité. En 2016, 4 policiers
01:00 avaient été pris pour cibles par des jets de cocktails Molotov entre Grigny et Viry-Châtillon.
01:05 Et puis dans l'actualité internationale, Hawaï fait face aux dégâts des incendies.
01:11 Un bilan provisoire des autorités du comté de Maoui fait état d'au moins 55 morts.
01:16 Il s'agit de la plus grosse catastrophe naturelle de l'histoire de l'archipel.
01:20 Des milliers d'habitants et de touristes ont déjà été évacués des zones sinistrées.
01:25 Les secouristes sont encore à la recherche de personnes disparues. La Californie a annoncé
01:30 envoyer des équipes pour appuyer le personnel local.
01:33 Merci beaucoup Isabelle. Et sur ce plateau à mes côtés ce soir pour analyser l'actualité
01:41 et débattre, je vous présente mes invités. Paul Sujit, bonsoir. Vous êtes journaliste
01:46 au Figaro. Nathan Devers, écrivain, en habitude ce plateau également. Et Régis Le Saumier,
01:51 vous êtes directeur de la rédaction d'Omerta. Messieurs, bonsoir.
01:55 Alors au sommaire de cette émission, un peu plus de deux mois après la contre-offensive
01:59 ukrainienne, où en est-on ? Entre gains territoriaux et pertes humaines importantes,
02:03 la guerre en Ukraine se prolonge et la situation est de plus en plus difficile pour les troupes
02:07 et les civils. Nous ferons le point avec vous Régis Le Saumier.
02:11 Également dans cette émission, des influenceurs dans le viseur de l'État. C'est le sujet
02:16 que nous allons aborder avec Nathan Devers. Les injonctions contre les stars des réseaux
02:19 sociaux se multiplient de la part de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation
02:23 et de la Répression des fraudes. Quatre influenceuses ont été rappelées à l'ordre pour pratiques
02:27 commerciales trompeuses. Trois d'entre elles pour avoir trompé le consommateur sur la
02:31 lycéité d'un service. Que leur reproche tombe réellement ? Devons-nous encadrer
02:35 davantage ces pratiques commerciales digitales ? Analyse à suivre.
02:38 Et enfin, Paul Sujit s'est intéressé à ces magasins d'ISKUN qui, en ces temps d'inflation,
02:43 permettent à de nombreux Français de réaliser des économies. Ses enseignes s'implantent
02:47 dans de nouveaux quartiers, même dans les centres Vril. Un programme varié et des opinions
02:51 bien tranchées. C'est ce qui vous attend en face à l'Info été. On est ensemble
02:55 jusque 20h. C'est parti.
02:57 Bonsoir à tous, merci de nous avoir rejoints sur CNews. Et comme je le disais dans Le
03:15 Sommaire, la contre-offensive ukrainienne a-t-elle échoué ? Démarrée le 4 juin
03:19 dernier, elle aurait permis à l'armée ukrainienne de reconquérir quelques centaines de kilomètres
03:23 carrés. C'est très peu. Quelles sont les perspectives, Régis Le Sommier ?
03:27 Ces chiffres de reconquête territoriaux de l'armée ukrainienne sont assez variables.
03:34 Récemment, le patron de la DRM, le général Langlade, avait dans une audition au parlementaire
03:45 évoqué 70 km carrés. Les officiels ukrainiens parlaient plutôt de 250 km carrés. Quoi
03:52 qu'il en soit, par rapport aux objectifs affichés au début du printemps, on imaginait
04:00 que l'armée ukrainienne, dotée de beaucoup d'équipements occidentaux, aurait la capacité
04:06 de percer le front sud jusqu'à Mélitopol, Berdyansk et ensuite Mariupol et d'effectuer
04:13 une reconquête partielle des territoires pris par la Russie. Depuis 18 mois, l'Ukraine
04:19 a tenu bon face à la Russie. Elle avait jusqu'à présent surfé sur les victoires de l'an
04:24 passé, vous vous souvenez, la reconquête de Kiev, le départ des Russes des pourtours
04:29 de la capitale, l'Est de Kharkiv aussi qui avait été une offensive victorieuse et puis
04:34 le départ des Russes de Kherson. Elle avait pu, grâce à ça et grâce à ces conquêtes,
04:40 mobiliser sa population qui lui avait permis d'affronter un hiver fait de frappes sur
04:46 ses infrastructures, essentiellement infrastructures électriques et aussi les batailles sanglantes
04:52 comme celles de Bakhmout qui s'est terminée en mai dernier.
04:55 Puis est venu le temps de la contre-offensive avec des espérances élevées affichées.
04:59 Oui, souvenez-vous, à l'époque le président Zelensky parlait de reconquête de la Crimée,
05:04 on avait aussi des comments, on imaginait, beaucoup de commentateurs s'étaient dit
05:11 oui, une percée est possible, l'armée ukrainienne avait été entraînée, l'OTAN avait fourni
05:17 beaucoup de formateurs et donc ça devait normalement fonctionner.
05:23 Vous avez évoqué ces gains territoriaux, très peu par rapport aux ambitions affichées.
05:28 On a parlé au début, souvenez-vous, d'une contre-offensive de printemps qui s'est transformée
05:33 en contre-offensive d'été et là on est en train de se demander si ça ne va pas être
05:36 une contre-offensive d'automne. Donc, gains territoriaux qui ont eu surtout lieu dans
05:42 le sud, le front de Zaporozhye et autour de Bakhmout sans qu'aucun assaut n'ait été
05:49 monté par l'armée ukrainienne pour reprendre cette ville symbole de la victoire de Wagner
05:54 et symbole aussi des batailles de cette guerre. Les troupes ukrainiennes étaient, au moment
06:01 de cette contre-offensive, fraîchement équipées de blindés occidentaux. Dernier cri, on peut
06:06 évoquer les Marders allemands, les Léopard 2, le plus gros char actuel, les Challenger
06:15 2 britanniques, les Bradley américains qui sont des véhicules de transport de troupes
06:19 extrêmement modernes et qui permettent, quand le véhicule est visé, de préserver en partie
06:24 la vie des occupants, sans parler des missiles de croisière Storm Shadow britanniques et
06:29 Scalpe français qui ont permis à l'Ukraine des frappes contre la Russie sur leurs arrières.
06:35 Il faut y rajouter aussi les drones ukrainiens, les drones navals aussi, qui ont permis d'inquiéter
06:41 la flotte russe dans la mer Noire. Tout ça a été assez positif pour l'Ukraine, mais
06:47 cet afflux d'armes occidentales devait changer le cours de la guerre.
06:51 Qu'est-ce qui s'est passé ? Est-ce que vous pensez qu'on a négligé la défense
06:55 russe ?
06:56 C'est un point essentiel à mon avis. On n'avait pas vu, hélas, ou pas voulu voir,
07:00 au cours des 8 mois qui ont suivi le repli des russes de Kersaune, de la rive ouest du
07:05 Dniepr, les russes avaient établi sur quelques 1000 km² une défense très solide, comme
07:11 on en a probablement rarement vu dans l'histoire militaire. Des milliers de mines aussi ont
07:16 été utilisées. Alors la question qu'on peut se poser c'est que les mines c'est
07:21 une tactique relativement ancienne. On a eu l'air surpris au début, souvenez-vous, quand
07:25 les blindés ukrainiens avançaient, de les voir s'embourber dans les champs et sauter
07:30 sur les mines. Les mines, ce n'est pas nouveau. Il y a encore des mines qui sautent, par exemple,
07:37 qui datent de la bataille d'El Alamein entre Montgomery et Rommel en 1942 en Égypte et
07:42 vous en avez encore qui sautent aujourd'hui. Donc la mine, ce n'est pas quelque chose
07:45 de nouveau. Donc qu'on ait négligé dans l'offensive ou qu'on ait été surpris,
07:50 ça dit quand même qu'il y a eu quelques dysfonctionnements. L'autre point crucial
07:54 qui a été passé sous silence à l'annonce de la contre-offensive, c'est hélas l'absence
07:59 de moyens aériens côté ukrainien. On ne remporte pas une guerre sans moyens aériens.
08:04 C'est quelque chose que tous les militaires savent. Les Allemands n'ont pas pu résister
08:10 au débarquement américain parce qu'une des raisons principales c'est qu'ils n'avaient
08:14 pas de moyens aériens et donc ils n'ont pas pu s'y opposer. Cette fois-ci, vous
08:17 avez évidemment les moyens de l'aviation, la chasse, mais vous avez eu surtout des hélicoptères
08:23 d'attaque russes qui s'appellent les Ka-52, des Alligators qui ont fait des ravages sur
08:28 les colonnes ukrainiennes. Le territoire est plat dans le sud, ce qui est très compliqué,
08:32 ce n'était pas le cas dans le Donbass. C'est beaucoup plus vallonné avec des friches
08:35 industrielles pour trouver des points pour se dissimuler et contre-attaquer. Le sud,
08:40 c'est complètement plat, c'est des dizaines de kilomètres de champs de blé. On a envoyé
08:47 véritablement des colonnes de blindés à l'abattoir. Il y a cet exemple incroyable
08:52 qui a surpris tout le monde sur les réseaux, c'est de voir ce char russe T-72 qui, à
08:57 lui seul, a abattu toute une colonne ukrainienne. C'était assez facile, enfin, je ne dis pas
09:02 assez facile, mais c'était que cette colonne était extrêmement visible et que la plupart
09:07 des offensives ukrainiennes sont extrêmement visibles, sauf évidemment quand elles se
09:11 passent de nuit. De plus en plus, dans le grignotage que l'Ukraine est en train de faire,
09:16 le début des opérations a lieu à la tombée du jour. Ce n'était pas le cas au début
09:20 et, comme on peut dire, la plupart de ces blindés ont été détruits très facilement.
09:24 Dans les premiers jours qui ont suivi le déclenchement de la contre-offensive, ça a été une véritable
09:30 hécatombe. Je vais vous donner quelques chiffres. On estime par exemple à un tiers le nombre
09:34 de véhicules de transport de troupes Bradley détruits sur les 100 que les Américains
09:39 avaient fournis. Il y a eu aussi une certaine euphorie médiatique qui n'a pas joué en
09:45 la faveur des Ukrainiens. Par exemple, certains confrères parlaient dès le début de défense
09:49 russe ébréchée. La réalité était toute autre. Aujourd'hui, l'armée ukrainienne
09:55 n'a toujours pas franchi la première ligne de défense des Russes. On a compté, et là
09:59 aussi c'est un petit exemple, jusqu'à 4 chars lourds Léopard 2 perdus dans un seul
10:06 champ au début de la contre-offensive. Alors ces chiffres existaient, malheureusement ils
10:11 ont été peu parlés et je trouve que quand on voulait les trouver, il fallait lire la
10:16 presse américaine. Et ce sont surtout les pertes humaines qui ont été vertigineuses.
10:21 Oui, pressés par leurs alliés, évidemment les Ukrainiens se sont jetés dans la bataille
10:24 avec un courage inouï, mais qui n'aura suffi à arracher aux Russes que quelques
10:29 arpents de terre. Mourir pour un champ de blé pourrait-on résumer ? Je cite le Washington
10:34 Post, l'édition du 10 août. Dans un article consacré à l'Ukraine, ils disent "le nombre
10:39 de morts, qui se compte par milliers, augmente chaque jour. Des millions d'Ukrainiens ont
10:43 été déployés et ne voient aucune perspective de rentrer dans leur maison. Dans tous les
10:47 coins du pays, des civils sont épuisés par les frappes russes, récemment contre la
10:52 cathédrale historique d'Odessa, une zone résidentielle de Krivirir, la patrie de Volodymyr
10:58 Zelensky et un centre de transfusion sanguine dans la région de Kharkiv. Alors ces événements
11:04 ne sont pas nouveaux, ce ne sont pas la première fois que des zones résidentielles ou des
11:08 hôpitaux sont frappés pendant cette guerre. Ce qui change en ce moment, c'est la détermination
11:12 des Ukrainiens qui commence à être ébranlée. Le Washington Post, toujours, cite une femme
11:17 qui explique "avant, même quand c'était horriblement difficile, les gens étaient
11:22 unis, ils étaient volontaires pour aider, donner des repas aux soldats, s'épauler
11:26 les uns les autres. Aujourd'hui, il y a un sentiment collectif de déception. Le nombre
11:32 d'hommes aussi dans les villes a diminué, sans qu'on puisse chiffrer les pertes militaires,
11:37 qui est un secret d'État, qu'il ne faut surtout pas divulguer. Les hôpitaux sont
11:40 pleins, le nombre d'amputations est très important, c'est une guerre d'artillerie,
11:44 vous savez, les blessures sont horribles. Et dans les morgues près du front, certains
11:49 témoins de personnel médical racontent qu'il n'est pas rare d'utiliser plusieurs sacs
11:53 plastiques pour contenir les restes d'un seul soldat.
11:55 Mais qu'est-ce qui va se passer dès à présent ? Parce que ce que vous décrivez
11:59 montre bien que la situation est très difficile pour l'Ukraine.
12:02 Oui, alors évidemment, cette déception générale vient du fait que par rapport à l'euphorie
12:07 de juin, il n'existe aucune bonne nouvelle. Un grand classique est en train de se développer
12:13 quand une guerre se prolonge, ceux qui vont au front en veulent à ceux qui vivent à
12:17 l'arrière et qui font comme s'il ne rien était. C'est pire que la Première Guerre
12:21 mondiale et la Seconde Guerre mondiale en ce sens. Je m'explique, c'est quand vous
12:24 êtes dans la tranchée, que vous êtes un soldat ukrainien, vous regardez votre iPhone
12:29 et vous voyez vos copains qui sont à Kiev, au niveau du moral, c'est beaucoup plus difficile
12:34 que ce qui vous permet de rester connecté avec l'arrière. Un soldat qui partait en
12:39 14, il écrivait à sa femme, il recevait du courrier. Il n'y avait pas cette relation
12:44 immédiate avec ce qui peut se passer à l'arrière du front où les civils, dans la zone de Kiev
12:49 en tout cas, sont protégés par une défense antiaérienne efficace et donc il y a beaucoup
12:54 moins de souffrance. Globalement, au lieu de préparer l'opinion en Ukraine et en Occident
13:01 finalement, à du sang, de lasseurs et des larmes en expliquant qu'il y aurait une victoire
13:06 mais dans une perspective lointaine, je trouve que les tenants de cette contre-offensive
13:10 personnellement ont laissé entendre qu'un dernier effort suffirait. Moralement, il est
13:15 très difficile de revenir d'une pareille désillusion en fait. D'autant que les Russes,
13:20 dans le même temps, pour soulager les effets de l'effort ukrainien dans le sud et dans
13:25 l'est, ont lancé une offensive dans le nord, en direction de la ville de Koupiansk, qu'ils
13:29 avaient évacuée en octobre dernier. Ils n'en sont qu'à 5 kilomètres, la population
13:33 va être évacuée. L'espoir ukrainien dans tout ça réside dans cette fameuse fourniture
13:39 d'avions de chasse et notamment les fameux F-16, ce qui pourrait permettre de rétablir
13:43 l'équilibre. Mais la plupart des experts s'accordent là-dessus, ça ne suffira pas
13:48 à changer le jeu. Les F-16 ne sont pas des "game changers" comme on dit en anglais.
13:53 L'objectif de reconquête de tous les territoires perdus qui avaient été annoncés et proclamés
13:58 par Volodymyr Zelensky juste avant la contre-offensive semble d'ores et déjà illusoire.
14:05 Merci Régis. Paul Sujit, peut-être votre regard sur la situation en Ukraine après
14:11 ces mois de guerre, cette contre-offensive qui a été lancée et ce triste constat dressé
14:17 par Régis ?
14:18 Moi j'ai l'impression que mon regard et peut-être le nôtre collectivement est relativement
14:23 biaisé par l'effet d'annonce qu'a accompagné le lancement de cette contre-offensive et
14:28 fait qu'a été largement alimenté par le jeu médiatique occidental qui l'a accompagné.
14:33 Alors qu'est-ce qui relève d'une volonté ukrainienne de faire monter la sauce ? Évidemment
14:39 le but était de dire "nous préparons une initiative d'ampleur donc aidez-nous à la
14:44 mettre en oeuvre".
14:45 On a mis trop d'espoir sur cette annonce.
14:46 Mais disons que ces espoirs ont été alimentés par une communication de guerre qui évidemment
14:51 fait ce qu'elle doit faire, c'est-à-dire de la propagande en vue d'obtenir des moyens
14:54 supplémentaires.
14:55 Qu'est-ce qui relève aussi d'un enthousiasme exacerbé de la part des médias occidentaux
14:59 ? Je ne saurais pas exactement faire la part de l'un et de l'autre.
15:02 En tous les cas, ce qui est sûr c'est qu'on a construit une trame narrative tout au long
15:05 du printemps qui disait "attention la contre-offensive va bientôt commencer".
15:10 Alors pas encore tout de suite mais bientôt, ça va être énorme, ça va être énorme.
15:13 Et effectivement on se rend compte maintenant que la situation est quand même gelée par
15:17 ces positions russes dont Régis a rappelé à quel point elles sont extrêmement solides
15:21 et infranchissables.
15:22 Et puis l'enlisement de cette guerre dont on sait, ou dont on devrait savoir malgré
15:26 tout, qu'elle va être encore extrêmement longue.
15:28 Nathan Devers, je sais que vous portez aussi un regard très attentif aux réseaux sociaux.
15:33 Régis Le Sommier a rappelé le fait que l'utilisation peut-être des nouvelles technologies sur
15:37 le front pouvait apporter des complications pour le moral des troupes.
15:42 Est-ce que vous partagez cet avis ?
15:44 Oui, c'est possible mais de manière même plus générale.
15:47 J'ai l'impression que si on doit tirer une leçon de ce qui se passe depuis le début
15:52 de la guerre en Ukraine, vous avez parlé de trame narrative, c'est qu'en fait il
15:55 faut vraiment faire très attention aux récits qui sont les nôtres, aux évidences qui
15:59 sont les nôtres et aux prévisions qui sont les nôtres.
16:02 C'est-à-dire que depuis le tout début, les choses se passent systématiquement différemment
16:07 de ce que tout le monde prévoit.
16:08 Et quand je dis tout le monde, je parle non seulement de quelqu'un comme moi, c'est-à-dire
16:11 quelqu'un qui s'intéresse à la guerre en Ukraine mais qui n'a aucune compétence,
16:14 mais je parle aussi des spécialistes.
16:15 On a toute notre part de responsabilité dans l'annonce de cette contre-offensive.
16:19 Oui, même depuis le tout début.
16:20 Je veux dire, avant le début de la guerre en Ukraine, jusqu'à la veille, tout le
16:23 monde disait que la Russie n'envahira jamais l'Ukraine.
16:27 Ce n'est pas vrai, même les spécialistes.
16:29 Ça commence.
16:30 Le matin même, tout le monde dit qu'Eve va tomber en deux ou trois heures, Zelensky
16:34 va partir et s'exiler un peu comme le président afghan et ça va être fini.
16:38 Ce n'est pas le cas, etc.
16:40 Et même quand il y a eu la mutinerie de Prigojin, certains disaient que Poutine va
16:47 tomber demain matin et Moscou va être prise par Prigojin.
16:52 Ça n'a pas été le cas.
16:54 Et donc, j'ai l'impression que si vraiment il y a une leçon à en tirer, c'est que
16:57 l'histoire, notamment l'histoire militaire, est fondamentalement imprévisible et qu'en
17:01 fait, il y a de l'imprévisible en histoire et qu'on ne peut pas avoir, si vous voulez,
17:05 une sorte de vision presque algorithmique des choses.
17:07 Et que donc, par principe, quand il y a des récits qui s'imposent et des prévisions
17:13 comme ça qui s'imposent, y compris quand elles viennent des spécialistes, il faut
17:16 s'en méfier.
17:17 Ensuite, peut-être un des éléments aussi qu'on peut voir, c'est qu'il y a beaucoup
17:19 de promesses européennes d'armement, d'aide militaire à l'Ukraine et qu'entre les promesses
17:23 et la réalité, il y a parfois un décalage.
17:25 Il y a des documents qui étaient sortis début août, notamment sur l'aide allemande.
17:29 Et vous voyez, par exemple, sur les chars Léopard, ils ont promis 110 et ils en ont
17:34 livré en tout cas au 3 août 10, etc.
17:36 Les Challenger 2 britanniques, personne ne les a vus sur le front pour le moment.
17:41 Ils ont été promis aussi et les Ukrainiens disent on les a pas reçus, ils sont pas arrivés.
17:47 L'espoir d'une victoire ou encore d'une motivation plus importante des troupes ou
17:52 encore des Ukrainiens réside seulement dans les moyens déployés, dans ces chars, dans
17:56 ces avions ?
17:57 Le problème qui se pose, à mon sens, c'est aujourd'hui, on efface, mais comme depuis
18:01 le début de ce conflit finalement, même si les Russes ont fait beaucoup d'erreurs
18:05 au début, ils ont pensé justement avoir une guerre rapide et ça n'a pas été le
18:09 cas.
18:10 Ils pensaient être accueillis en héros et ça n'a pas été le cas, ou en tout cas
18:13 en frères par la population russophone d'Ukraine.
18:18 On le voit dans la région de Kharkiv, il y a eu une résistance énorme.
18:22 Pourtant, Kharkov est une ville où les Russophones sont majoritaires.
18:27 Poutine n'a absolument pas vu justement la baisse du soutien des russophones d'Ukraine
18:33 à la Russie pendant ce conflit et avant.
18:35 Donc, il y a eu une sorte de prévision qui ont été mal faites.
18:40 Et on se rend compte finalement que ce conflit a évolué aussi, ce que disait Nathan était
18:51 assez exact, c'est-à-dire qu'il a été imprévisible, mais on a quand même essayé
18:55 de plaquer quelque chose dessus.
18:57 Mais entre nos souhaits de victoire ukrainienne, et cette victoire est toujours possible, mais
19:08 ces souhaits de victoire et une lecture réaliste sur les perspectives d'obtenir cette victoire,
19:13 il y a une différence énorme.
19:15 Et aujourd'hui, comme j'expliquais tout à l'heure sur le souhait de Volodymyr Zelensky
19:21 et des autorités ukrainiennes de reconquérir l'ensemble des territoires perdus, y compris
19:25 pour certains avant 2014, c'est-à-dire la zone du Donbass, de Donetsk, Lugansk, les
19:32 deux oblastes de Donetsk et Lugansk, aujourd'hui, on s'en éloigne quand même.
19:38 Et ça, on ne peut pas ne pas l'analyser.
19:40 Dans cette narration construite, c'était une narration qui était donnée pour la victoire
19:47 de l'Ukraine.
19:48 Maintenant, il y a une dose de réalisme à avoir aujourd'hui, en sachant que le problème
19:54 principal, c'est un problème de masse critique.
19:56 Vous avez une population russe qui fait à peu près autour de 120 millions et vous avez
20:02 des Ukrainiens qui sont autour de 35-40 millions.
20:05 Fatalement, en termes du nombre de soldats, il y en a qui ont des réserves et d'autres
20:11 qui en ont de moins en moins.
20:12 Donc l'OTAN, évidemment, aujourd'hui, ne joue plus avec les Ukrainiens.
20:15 Et quand on sait que c'est quand j'ai parlé de ces 250 kilomètres, c'est pas pour rien.
20:19 Quand je dis mourir pour un champ de blé, c'est des dizaines de soldats, parfois, qui
20:25 décèdent pour quelques arpents de terre, pour une offensive qui souvent, le lendemain,
20:31 dont les gains sont perdus.
20:33 Il y a des villages, déjà, Robotine, par exemple, qui ont été pris une dizaine de
20:38 fois, pris et repris une dizaine de fois.
20:40 Donc, vous me direz, Verdun, c'était pareil.
20:44 C'était un village dont personne n'avait entendu parler.
20:47 Stalingrad, ce n'était pas une ville d'importance moyenne.
20:50 Et le véritable conflit d'attrition, il est là.
20:54 On est en plein dedans.
20:55 C'est-à-dire l'idée d'user l'adversaire et qu'on le veuille ou non, aujourd'hui,
21:00 en termes d'équipement, en termes de force, en termes aussi de capacité de construire
21:05 de l'équipement.
21:06 Les usines russes tournent à plein.
21:08 Les usines ukrainiennes, elles sont dépendantes de nos approvisionnements.
21:12 Et on s'est rendu compte qu'on avait quasiment plus de munitions aussi.
21:15 Et on n'a pas des chaînes pour refabriquer des chars à la dizaine, comme les Russes
21:20 l'ont.
21:21 Donc, il y a un rapport de force qui est déséquilibré et qui handicap les perspectives de victoire
21:25 ukrainienne.
21:26 Un mot, Paul Suggiv, peut-être avant de passer à la page de publicité, sur le traitement
21:31 de cette presse américaine qui est la seule, peut-être, à dévoiler les chiffres, à
21:36 dresser un constat sur la situation en Ukraine.
21:39 Vous êtes journaliste au Figaro.
21:40 Comment, face à une actualité comme celle-ci, on arrive à traiter les informations qui
21:48 reviennent du terrain ? Comment la presse américaine amène ce traitement médiatique
21:55 ?
21:56 Je crois qu'il y a trois manières de traiter journalistiquement cette guerre.
21:58 Deux, qu'on a un peu décrit au cours de cet échange.
22:01 Il y a un journalisme de prospective et d'analyse qui, de fait, a en partie démontré ses limites.
22:06 C'est-à-dire qu'on peut faire des calculs sur un coin de table, promener son compas
22:10 sur la carte de l'Ukraine et réfléchir dans tous les sens.
22:12 Mais c'est vrai que, d'abord, l'incertitude sur les forces réelles en action, sur les
22:17 véritables stratégies, sur les biais qui tempèrent un peu la fiabilité des informations
22:25 que l'on reçoit lorsque l'on est resté dans une rédaction, font qu'effectivement,
22:28 le terrain est toujours plus imprévisible.
22:29 Donc ça, c'est une première façon très analytique qui a montré ses faiblesses.
22:33 En revanche, la guerre en Ukraine a peut-être ressuscité dans ses grandes lettres de noblesse
22:37 le journalisme de guerre, c'est-à-dire le reporter qui se rend sur le front et qui
22:41 montre, en essayant le moins possible de porter son propre discours, la réalité du terrain.
22:46 Il y a quand même malgré tout un biais, c'est que les journalistes occidentaux ont
22:50 beaucoup plus facilement accès aux soldats ukrainiens et que c'est très difficile de
22:55 montrer l'autre côté du front.
22:56 En termes de témoignage ?
22:57 Voilà, c'est très difficile de le faire sans être là aussi.
23:00 On a vu quelques journalistes qui se sont risqués de l'autre côté des lignes de front,
23:03 mais qui là, rentrent aussi dans le jeu d'une autre forme de propagande.
23:06 Mais je ne dis pas pour autant que les Ukrainiens n'ont pas eux-mêmes leur manière de conduire
23:09 leur mise en récit.
23:12 J'ai échangé avec un ami et collègue qui rentrait du front, qui avait passé quelques
23:16 semaines en juillet, et qui m'expliquait à quel point il y a une forme de savoir-faire
23:20 mais extraordinairement sophistiquée des chargés de presse au sein de l'armée ukrainienne
23:25 pour vous emmener exactement là où ils veulent, vous promener sur les opérations qu'ils
23:28 veulent bien vous montrer, etc.
23:29 Tout ceci est évidemment savamment orchestré.
23:31 Et donc voilà, ça a réhabilité ce journalisme de terrain qui montre la guerre dans sa réalité
23:36 nue.
23:37 C'est les éléments de récits que Régis a évoqués et qui évidemment nous glacent
23:42 le sang parce que ça nous rappelle que la guerre au front n'a pas beaucoup changé
23:45 de visage.
23:46 J'entendais quasiment du Charles Péguy dans ce que vous disiez, se battre pour quelques
23:48 arpents de terre.
23:49 C'est le poème de Péguy qui est évidemment très évocateur.
23:53 Ça montre qu'on fait la guerre exactement comme il y a un siècle.
23:55 Il y a quelque chose de...
23:56 Péguy lui-même mort d'ailleurs.
23:57 Mort dans les premières journées du feu d'échec.
23:59 Dans des chambelées.
24:00 Bien sûr.
24:01 Il y a une troisième chose.
24:02 Et vu que vous m'interrogez sur la question des sources, notamment de renseignements dont
24:05 disposent les journalistes américains.
24:06 Évidemment, si vous avez vos entrées à la CIA ou au plaids de services de renseignement
24:10 qui eux ont des agents sur place ou qui suivent de très près la situation, vous pouvez avoir
24:14 des informations que les autres journalistes n'ont pas en n'oubliant jamais que quand
24:18 un service de renseignement communique, même en off, il le fait toujours à des fins qui
24:21 sont bien sûr stratégiques.
24:22 Allez, restez avec nous.
24:23 Suite après la publicité, nous parlerons de ces influenceuses qui ont été épinglées
24:28 par l'État, mais également de ces magasins discount qui fleurissent et qui trouvent beaucoup
24:33 de succès en France.
24:34 Restez avec nous après cette page de publicité.
24:36 Bientôt 19h30 sur CNews et vous êtes dans Face à l'info été.
24:44 Toujours accompagné de mes invités Régis Le Saumier, Paul Le Sujit et Nathan Devers.
24:50 Justement Nathan, vous allez nous parler de ces influenceuses qui ont été épinglées
24:54 par l'État.
24:55 Un rappel à l'ordre qui a été envoyé à quatre influenceuses pour leur manque de
24:59 scrupules.
25:00 Oui, exactement.
25:01 Alors ça s'est passé aujourd'hui.
25:03 C'est la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des
25:07 fraudes qui s'occupe de toutes les pratiques commerciales frauduleuses, qui a envoyé une
25:12 injonction de cesser leurs pratiques commerciales trompeuses à quatre influenceuses.
25:16 On ne va pas citer leur nom pour ne pas...
25:19 Mais en tout cas, c'est des grosses influenceuses qui ont des centaines de milliers d'abonnés
25:24 et pour l'une d'entre elles, presque un million, un peu moins, mais en tout cas, c'est énorme.
25:28 Et donc ces injonctions de cesser ces pratiques commerciales avec deux types de reproches.
25:35 Le premier type de reproche, c'est que certaines d'entre elles auraient fait des publications
25:41 sans préciser que c'était des promotions.
25:44 Donc je vais revenir tout à l'heure sur les détails de ce métier qui est peut-être
25:47 un peu méconnu dans ses dimensions.
25:49 Mais quand vous êtes sur les réseaux sociaux et que vous voyez le compte Instagram, TikTok
25:55 d'un influenceur ou d'une influenceuse qui va mettre une photo d'elle avec, par exemple,
26:01 qu'elle a utilisé telle ou telle crème pour sa peau et qu'elle mentionne la marque.
26:05 On ne sait pas si c'est juste un peu comme moi, je pourrais le faire si j'avais envie.
26:09 Je ne raconte pas ce genre de choses sur les réseaux sociaux, mais je pourrais tout à
26:12 fait prendre une photo et dire voilà, mon vêtement est de telle marque et je n'ai
26:16 pas touché un centime de la marque.
26:17 Je dis ça juste parce que c'est personnel ou si c'est une publicité, dans auquel cas,
26:21 évidemment, ça n'a pas la même signification.
26:23 Parce que par exemple, je peux tout à fait avoir été payé par une marque de chemise
26:26 pour en faire la publicité.
26:27 Je fais croire aux abonnés que c'est vraiment des vêtements que je mets, alors que pas
26:31 du tout, c'est juste que j'ai pris la photo pour le faire.
26:33 Donc là, c'est cette ambiguïté-là qui leur a été reprochée.
26:36 Et la deuxième chose, c'est que trois d'entre elles ont été signalées, épinglées pour
26:42 avoir trompé le consommateur sur la lycéité d'un service.
26:45 Et en l'occurrence, elles auraient mis en avant des services d'injection d'acide
26:52 hyaluronique.
26:53 L'acide hyaluronique, c'est un acide qu'on injecte dans la peau, soit pour les lèvres,
26:57 soit pour les fesses aussi, pour les repulper.
26:59 Donc ça veut dire pour redonner de la forme.
27:01 Et si vous voulez, ça permet, par exemple, de ne pas avoir besoin de mettre un implant
27:06 chirurgical.
27:07 Et donc, c'est des injections qui permettent de repulper les parties du corps pendant
27:15 quelques mois à un an après sa part.
27:17 Et donc, elles auraient fait de la promotion pour ça, ce qui est interdit, je reviendrai
27:22 dessus.
27:23 Et ce qui en plus peut être dangereux, c'est-à-dire que l'acide hyaluronique, quand il est utilisé
27:27 dans des mauvaises conditions, il peut avoir des graves conséquences pour la santé.
27:31 Il y avait une influenceuse, il y a quelques temps, une ancienne candidate de téléréalité
27:37 qui avait fait un témoignage très fort sur le fait qu'elle avait fait des injections
27:41 qui étaient dans des conditions manifestement qui ne respectaient pas toutes les normes
27:46 et qu'après, elle avait eu vraiment la vie brisée, qu'elle avait fait plein d'opérations
27:49 chirurgicales, qu'elle avait eu des effets aussi psychologiques parce qu'elle avait
27:51 eu des psychiatriques, parce qu'elle était devenue dépendante à des antidouleurs.
27:54 Donc, c'est des choses qui peuvent jouer sur les complexes physiques que telle ou telle
27:58 personne peut avoir en regardant les réseaux sociaux et qui après, ça peut impliquer
28:02 une sorte de spirale infernale de destruction.
28:05 Et tout cela fait suite à un changement de législation sur les influenceurs notamment.
28:09 Oui, alors, influenceur, le problème c'est que c'est un mot qu'on emploie comme ça.
28:14 On sait tous plus ou moins ce que ça veut dire, mais s'il s'agit d'en donner une
28:18 définition, une définition dans le dictionnaire en quelque sorte, une définition historique
28:23 et une définition juridique, d'avoir très précisément qu'est-ce que c'est qu'un
28:26 influenceur, eh bien là, voyez-vous, il y a une forme de flou, d'ambiguïté, d'ambivalence
28:32 pour beaucoup de raisons.
28:33 D'abord parce que c'est un métier relativement neuf.
28:36 Donc les influenceurs, c'est évidemment un métier qui est lié à la révolution numérique.
28:40 La révolution numérique, déjà avec Internet, il y avait eu les blogueurs.
28:45 Donc l'apparition, il y avait des centaines de millions de gens qui avaient des blogs et
28:49 déjà il y avait cette sorte d'ambivalence entre des blogs, tout le monde pouvait créer
28:52 son propre blog où il va raconter sa vie, parler de ses goûts, esthétiques, etc.
28:56 Et puis des gens qui peuvent avoir une utilisation "professionnelle" du blog.
29:00 Et sur les réseaux sociaux, cette ambivalence-là peut se retrouver, c'est-à-dire que vous
29:05 avez, à partir du moment où vous avez un réseau social où vous avez énormément
29:10 d'abonnés, je ne sais pas, 20 000, 30 000, 40 000 et puis ça peut aller jusqu'à des
29:13 millions, et bien vous pouvez théoriquement être considéré comme influenceur même
29:17 si de facto vous ne l'êtes pas.
29:18 Je ne sais pas, je prends un exemple très simple, il y a des gens qui sont des journalistes,
29:23 qui ont des réseaux sociaux qu'ils utilisent relativement peu, ils ont des centaines de
29:27 millions d'abonnés.
29:28 On ne les considère pas pour autant comme des influenceurs.
29:29 Donc il y a cette sorte de flou, flou qui se rajoute aussi à deux choses.
29:34 Premièrement, c'est qu'en France, il y a environ 150 000 influenceurs.
29:39 Alors le chiffre est absolument énorme, et nous on connaît les influenceurs les plus
29:42 célèbres et encore, je reviendrai tout à l'heure, mais tout le monde ne les connaît
29:45 pas et on ne connaît pas tous les mêmes, mais 150 000, ça signifie aussi qu'il y
29:49 a beaucoup d'influenceurs pour qui ce n'est pas du tout ce qu'on imagine, ce n'est
29:53 pas des grosses sommes, ce n'est pas des millions d'euros, c'est des choses presque,
29:57 parfois même assez précaires, des situations où ils sont dans une forme de relative discrétion
30:02 en tout cas.
30:03 Et puis, dernière chose aussi, c'est que derrière influenceurs, j'y reviendrai
30:08 tout à l'heure, mais il y a tellement de contenus différents.
30:11 On peut être influenceur en cuisine, on peut être influenceur sur des choses esthétiques,
30:15 on peut être influenceur même dans des sujets plus sérieux, que donc on ne sait vraiment
30:19 pas à quoi ça correspond.
30:20 Alors derrière cette sorte de flou, il y a aussi un autre flou, c'est que parmi les
30:25 influenceurs qui vont faire des promotions de marques, certains avaient des pratiques
30:29 qui étaient très douteuses.
30:30 Et comme c'est un métier en construction, comme c'est un métier récent, et comme
30:34 c'est un métier qui n'était pas encadré juridiquement, vous vous retrouvez avec des
30:37 gens qui mettaient en valeur des produits qui étaient dangereux, qui mettaient en valeur
30:41 des produits qui étaient illégaux, qui faisaient de la publicité sans le dire, etc.
30:46 Et encore une fois, il y avait vraiment des débats structurés là-dessus.
30:49 Alors depuis quelques mois, la polémique est progressivement montée, la polémique
30:55 dite des "influx voleurs".
30:56 Alors comment c'est parti ? C'est parti d'abord du fait qu'il y avait un certain
30:59 nombre de clients, de gens qui suivaient des influenceurs sur les réseaux sociaux, l'influenceur
31:03 fait une publicité pour tel ou tel produit, le client achète le produit avec, vous savez,
31:07 les codes de réduction de l'influenceur, et puis là, problème.
31:10 Soit c'est des marques complètement bidons, donc on ne reçoit pas les produits qu'on
31:13 a achetés, soit des gens qui les recevaient, par exemple parfois des shampoings, et c'était
31:17 des shampoings qui étaient en fait n'importe quoi, et qui étaient parfois très dangereux,
31:20 qui pouvaient faire perdre des cheveux, etc.
31:22 Et donc ces plaintes commençaient à se multiplier sur les réseaux sociaux.
31:25 Et à partir de là, il y a un certain nombre de grandes voix, il y a eu Booba par exemple,
31:29 mais il y a eu aussi des journalistes, Libération a fait une enquête, Complément d'Enquête
31:32 a consacré une enquête très très précise à cette question des "influx voleurs",
31:36 et aussi avec encore une fois certains drames qui ont été rendus publics.
31:41 Donc à partir de là, cette polémique, elle a créé deux choses.
31:45 D'abord, une sorte de réveil de conscience sur le fait que ce métier pouvait avoir des
31:50 conséquences extrêmement dangereuses, et deuxièmement, elle a créé aussi une certaine
31:54 forme d'ambiguïté.
31:55 Ça veut dire qu'en dit "influx voleurs", que veut dire ce mot valise ? Est-ce que ça
31:58 signifie que le métier d'influenceur est un métier "de voleurs", ou est-ce que ça
32:03 signifie que parmi ce métier, il y a des gens qui se sont mal conduits, et parmi les
32:07 gens qui se sont mal conduits, est-ce qu'ils l'ont fait parce qu'ils sont "des arnaqueurs",
32:10 ou est-ce qu'ils l'ont fait parce qu'ils avaient un métier qui n'était pas encadré
32:12 juridiquement ? Donc à partir du moment où vous avez un métier qui n'est pas encadré,
32:14 vous n'avez pas de déontologie.
32:15 Donc tout ça a créé quelque chose de particulier, avec en plus un autre élément, à mon avis
32:22 dont il faut parler parce que c'est très important, c'est que parmi les influenceurs,
32:25 même ceux qui étaient "des influx voleurs", qui avaient eu des pratiques en effet contestables,
32:31 voire interdites, et bien à partir du moment où ça a été rendu public, ils ont aussi
32:34 pour certains subi un véritable harcèlement en ligne hallucinant, avec des milliers de
32:40 tweets quotidiens, de messages privés, parfois un harcèlement qui devenait d'ailleurs personnel,
32:47 ça veut dire des gens qui venaient se rendre devant leur domicile, etc.
32:49 Et d'ailleurs ces influenceurs, pour certains, se sont exprimés en disant que cette expérience
32:54 leur avait fait découvrir les mauvais aspects des réseaux sociaux.
32:57 C'est ça qui est paradoxal, c'est que l'influenceur c'est un métier qui est déjà virtuel, qui
33:01 participe déjà de la révolution numérique, et si vous voulez, avec aussi, c'est un métier
33:04 qui croit en l'utopie numérique, j'y reviendrai tout à l'heure.
33:07 Et ces gens-là ont découvert à ce moment-là que leur métier, ils ne s'en étaient peut-être
33:10 pas rendus compte sur le moment, mais étaient aussi pris dans un dispositif social, qui
33:15 est celui des réseaux sociaux, qui pouvait être extrêmement dangereux.
33:18 Donc à partir de là, quand il y a eu cette polémique, est apparue politiquement la nécessité
33:24 de créer une loi.
33:25 Ça veut dire de ne pas se contenter de reprocher individuellement à tel ou tel d'avoir fait
33:30 ceci, cela, mais de faire en sorte qu'on crée un cadre qui puisse empêcher à l'avenir
33:34 des pratiques fallacieuses.
33:35 Alors dès qu'il y a eu un projet de légiférer sur les réseaux sociaux, une deuxième polémique
33:40 est arrivée, c'est qu'à partir du moment où l'information a commencé à circuler
33:43 qu'une loi se préparait sur la question des influx voleurs, eh bien beaucoup d'influenceurs
33:48 se sont sentis eux-mêmes insultés, et même des influenceurs qui n'étaient pas des "influx
33:52 voleurs".
33:53 Et donc 150 ont écrit une sorte de pétition, tribune, lettre ouverte, où ils ont dit qu'ils
33:58 se sentaient vraiment profondément blessés par toute cette polémique et par cette idée
34:01 de loi, qu'il y avait beaucoup de clichés, beaucoup de stéréotypes sur leur métier,
34:05 que c'était un métier formidable, qui ne méritait pas les insultes qu'il y avait,
34:08 et que encore une fois c'était un métier qui avait tellement de diversité qu'on ne
34:11 pouvait pas le résumer à des grands mots, à des grands hashtags entre guillemets comme
34:14 cela, et donc notamment ils disaient "nous sommes la France dans sa diversité, dans sa
34:17 créativité etc."
34:18 Parmi les 150 influenceurs dont ils signent cette tribune, il y avait des influenceurs
34:24 très célèbres, comme Squeezie par exemple, qui est le premier youtubeur de France.
34:28 Et quand la tribune commence à sortir, très vite la polémique se rajoute à la polémique,
34:32 c'est toujours comme ça quand on parle d'unisport sur les réseaux sociaux, on ne comprend
34:34 plus à la fin combien il y a de polémiques parce qu'elles s'engendrent en domino,
34:38 tant et si bien qu'une vingtaine d'influenceurs, dont Squeezie, retirent leur nom de la lettre
34:44 et Squeezie présente même ses excuses en disant "non non j'ai eu tort, il n'y a pas
34:47 d'amalgame dans la volonté de légiférer dessus etc."
34:50 Donc la loi finit par être discutée à l'Assemblée nationale au Sénat et puis elle est adoptée
34:53 en juin et cette loi amène plusieurs dispositions.
34:57 Première disposition, obligation de signaler quand il y a des promotions.
35:02 Cette obligation elle est très importante parce que les influenceurs, j'aurais peut-être
35:07 même dû commencer par là, mais c'est un métier en fait qui est double.
35:10 Ce qu'on attend d'un influenceur, c'est que sur son compte par exemple Instagram,
35:14 il fasse entre guillemets un travail de journal intime, qui raconte sa vie au quotidien,
35:18 "aujourd'hui j'ai promené mon chien, aujourd'hui je me suis disputé etc."
35:21 Et donc on se filme en permanence et qu'au milieu de ce journal intime, il y ait des
35:25 publicités, un peu comme il y a des publicités à la télévision entre deux séquences de
35:28 débat.
35:29 Seulement à partir du moment où l'utilisateur ne sait pas faire la différence entre ce
35:32 qui relève du journal intime et ce qui relève de la publicité, nous à la télévision
35:35 c'est très précisé, on dit "bah maintenant page de pub".
35:37 Donc quand on ne fait pas cette différence, c'est là qu'il y a déjà quelque chose
35:40 qui est structurellement vicié.
35:41 Donc là, première disposition de cette loi c'est ça.
35:44 Deuxièmement, interdiction de faire de la publicité pour des traitements esthétiques.
35:47 Pas seulement des actes chirurgicaux mais c'est vraiment juridiquement, dans la loi
35:50 je l'ai lu, "actes, procédures et méthodes à viser esthétiques".
35:52 Même quand ce n'est pas fait par un chirurgien.
35:54 Interdiction de faire de la publicité pour des produits contenant de la nicotine, donc
35:58 des substituts à la cigarette.
35:59 On comprend ce que ça veut dire, c'est qu'il y avait beaucoup d'influenceurs qui disaient
36:02 si vous voulez arrêter de fumer, prenez tel ou tel produit.
36:05 Mais à partir de là, quelqu'un qui n'est pas fumeur peut être tenté quand même de
36:07 le prendre et ça lui crée une addition à la nicotine qui peut le rendre fumeur.
36:11 Je serais mal placé pour donner des conseils sur ce terrain.
36:14 Autre interdiction de faire de la publicité pour des abonnements à des conseils ou à
36:19 des paris sportifs.
36:20 Et ça, encore une fois, c'est intéressant parce qu'il y avait des influenceurs qui
36:23 disaient faites du Paris sportif parce que moi j'ai gagné plein d'argent et parce que
36:26 c'est facile de gagner plein d'argent.
36:27 Et évidemment, on ne peut pas dire ça parce que même si la personne a des bons tuyaux,
36:32 une bonne intuition pour savoir qui va gagner tel ou tel match, commencer à rendre public
36:36 ça, c'est extrêmement dangereux.
36:37 Et puis dernière chose, obligation de dire dans des promotions quand les images sont
36:41 retouchées.
36:42 Et encore une fois, notamment sur les réseaux sociaux, on ne fait pas toujours la part des
36:45 choses entre les images retouchées et non.
36:46 Et donc là, ça va être obligatoire.
36:47 Mais qu'est-ce que cela nous dit des influenceurs ? Est-ce qu'on doit en avoir peur ? Est-ce
36:51 que c'est un danger pour notre société, pour les nouvelles générations qui, justement,
36:55 consultent leur contenu ?
36:56 Alors la première chose, c'est que les influenceurs, comme je l'ai dit, c'est lié à la révolution
37:01 numérique.
37:02 La révolution numérique, elle a beaucoup remplacé des métiers.
37:05 On le voit bien entre quelqu'un, par exemple, qui était un critique culinaire dans un journal
37:14 et quelqu'un qui va avoir un compte sur des sites, vous voyez, qui recense les restaurants
37:18 et qui va juste être quelqu'un comme vous et moi, mais qui va être très, très suivi
37:21 sur ce compte-là, il y a une substitution professionnelle.
37:23 Or, dans ce terme d'influenceur, encore une fois, on met tout et rien.
37:27 Des gens qui remplacent des métiers extrêmement différents.
37:30 Vous pouvez avoir des gens, encore une fois, qui sont influenceurs sur le modèle de la
37:35 substitution par rapport aux journalistes.
37:36 Par exemple, je ne sais pas, Hugo Descript, qui est très connu, qui lui, fait du journalisme
37:40 classique, il pourrait tout à fait travailler dans une rédaction d'un journal classique
37:44 et qui lui est influenceur, influenceur journaliste, entre guillemets.
37:48 Vous avez ensuite beaucoup d'humoristes.
37:50 C'est toute la génération des humoristes YouTube.
37:53 Ça, c'est très intéressant parce qu'avant YouTube, pour devenir humoriste, il fallait
37:57 s'essayer dans des salles, dans le métro, etc.
38:00 Et donc, on prenait la peur du bide.
38:02 On pouvait rougir.
38:03 Il y avait la timidité.
38:04 On tremblait avant de monter sur scène, etc.
38:07 À partir du moment où cette génération a commencé à se filmer chez soi, dans son
38:12 studio avec parfois une caméra même pas forcément d'extrêmement bonne qualité, en pouvant
38:17 reprendre.
38:18 Donc ça, ça a eu un changement énorme.
38:19 Et puis aussi, d'ailleurs, chez les humoristes, c'est très important, mais il n'y a plus
38:23 de piston.
38:24 La proposition d'être un humoriste sur YouTube, c'est que vous pouvez venir de n'importe
38:29 où, ne connaître personne du métier et avoir une grande carrière.
38:32 Vous avez aussi des gens qui sont influenceurs, mais sur le modèle du présentateur télévisuel,
38:37 présentateur de jeux.
38:38 Il y a beaucoup de ça qui se développe sur YouTube.
38:39 Et puis enfin, vous avez ce qu'on appelle vraiment...
38:42 Et vous avez juste une chose derrière.
38:43 Vous avez aussi des gens qui ont un vrai métier et qui sont par ailleurs influenceurs de leur
38:47 métier.
38:48 Par exemple, je ne sais pas, François Simon, qui est à la fois critique gastronomique
38:52 et qui a un compte absolument génial où il fait ses critiques de restaurant, etc.
38:56 Là, vous voyez, c'est encore une fois, c'est hybride.
38:58 Et vous avez ce qu'on appelle influenceurs au sens vraiment strict du terme.
39:02 C'est des gens dont on ne saurait pas vraiment dire quel est le métier et qui viennent surtout
39:06 de l'imaginaire de la téléréalité.
39:08 Alors, par exemple, la plus célèbre, Nabila, qui avait eu cette phrase géniale dans une
39:12 interview, elle avait dit "mon métier, c'est d'être moi".
39:14 Donc, c'est exactement ça.
39:16 La téléréalité, c'était de demander à des gens de dire "on va vous rendre célèbre
39:19 parce que vous êtes vous".
39:20 Et à partir de là, ça se reprolonge sur les réseaux sociaux.
39:23 Et c'est là qu'on rentre, me semble-t-il, dans le grand paradoxe de ce que c'est que
39:26 les influenceurs.
39:27 C'est que d'une part, être un influenceur, ça suppose une démocratisation de la visibilité,
39:31 une démocratisation de la célébrité.
39:33 Mais cette démocratisation s'accompagne d'une tautologie de la célébrité.
39:36 Ça veut dire qu'encore une fois, un journaliste, alors pas chez tous les influenceurs, mais
39:40 chez vraiment ces influenceurs précis, ce sont des gens qui sont célèbres parce qu'ils
39:44 sont célèbres.
39:45 Et le fait qu'ils soient célèbres les rend encore plus célèbres, etc.
39:47 Et donc, ça nous fait réfléchir aussi à ça, c'est est-ce que les influenceurs sont
39:51 les stars du monde moderne ? Mais si oui, le paradoxe est que une star se définit précisément,
39:57 pas tellement par sa visibilité, mais par ses mécanismes d'invisibilité.
40:00 C'est Catherine Deneuve qui avait eu cette diagnostic assez géniale de dire "il n'y
40:03 aura plus jamais de stars".
40:04 Le star, c'est un mot qui est complètement, qui appartient à une époque révolue parce
40:08 que la star, précisément, c'était le fait qu'elle était cachée.
40:11 Comme Mélanie Farmer, par exemple.
40:12 Oui, comme Mélanie Farmer, comme je ne sais pas, comme Alain Delon, comme Catherine Deneuve,
40:20 comme Brigitte Bardot.
40:21 Voilà, qu'elle était cachée.
40:22 Brigitte Bardot, c'est le meilleur exemple.
40:23 Les gens allaient à Saint-Tropez pour ne pas voir Brigitte Bardot, mais se dire que
40:26 Brigitte Bardot était peut-être dans sa maison.
40:27 Et donc là, vous avez, si vous voulez, c'est en quelque sorte, c'est le contraire de
40:31 la star, ça veut dire la star avec la visibilité.
40:33 Alors dernière chose, il y a un article très intéressant dans Philosophie Magazine de
40:37 Ariane Nicolas qui disait "les influenceurs, en fait, remplacent la fonction qui était
40:42 anciennement attribuée aux leaders d'opinion".
40:44 En sociologie, le conflit d'influence désigne trois choses.
40:46 La prescription de mode de vie.
40:48 Et vous avez ça chez les influenceurs.
40:49 Faites du sport, faites ceci, faites cela.
40:50 Deuxièmement, la communication à double étage.
40:53 Quand on a un média, ce sont des idées qui sont médiées.
40:56 Quand vous êtes un influenceur, ça passe par des gens.
40:58 Donc c'est un deuxième étage.
40:59 Et troisièmement, et c'est peut-être le plus important, c'est la fausse proximité.
41:02 C'est que quand je consulte le profil d'un influenceur, évidemment, j'ai l'impression
41:07 qu'il parle à sa communauté, il dit "mais chéri, mais voilà".
41:09 Et donc j'ai une sorte de sentiment de proximité qui est évidemment faux et qui peut être
41:13 à l'origine de toutes ces tromperies ou ces duplicités qui peuvent exister quand ce
41:17 n'est pas encadré.
41:18 Merci beaucoup Nathan pour cet éclairage.
41:20 Une réaction très rapide, Régis Lezombier peut-être.
41:23 Est-ce que c'est la prévention des consommateurs qui doit être accentuée ou en contraire
41:27 c'est un manque de formation de ces influenceurs sur leur métier, ce métier qui est tout
41:32 récent ?
41:33 Justement, je pense que la nouveauté impliquait qu'il y ait une législation posée sur
41:38 justement ces déviances, on va dire, ou en tout cas ces choses un petit peu floues sur
41:43 la capacité de générer des revenus en se vendant, en vendant des produits, etc.
41:49 Moi, la vraie question que j'ai envie de poser à Nathan, c'est est-ce que cette
41:52 loi a changé quelque chose dans le comportement des influenceurs ?
41:55 Est-ce qu'aujourd'hui les choses se déroulent, il y a moins de "triches" ?
41:59 Ah bah oui, il y en a quand même moins.
42:01 D'ailleurs le simple fait que quand il y a quatre personnes qui ont des comportements,
42:06 il y a la direction de la lutte anti-fraude qui envoie une injonction, ça a été repris
42:12 dans tous les médias, ça signifie quand même en tout cas qu'il y a une sensibilisation
42:15 qui a un impact et qui aura un impact à long terme, c'est sûr.
42:17 Et ceux qui avaient été accusés justement d'avoir contracté des contrats publicitaires
42:22 sans le dire, ont aujourd'hui complètement arrêté.
42:24 De le faire ? Oui.
42:26 En tout cas, dix qui vont arrêter ? Oui.
42:28 Voilà, tous, sans doute des exceptions.
42:31 Souvent les lois en France, on cherche à les contourner.
42:33 Si certains pensent faire des économies avec les produits présentés par les influenceurs,
42:38 Paul Sujib, vous, vous avez trouvé la méthode de milliers de Français qui ont choisi de
42:46 se rendre dans les magasins discount, difficile de passer à côté depuis quelques années.
42:51 Le discount a le vent en poupe dans la grande distribution, Aldi, Lidl, Action, ces enseignes
42:55 se multiplient et gagnent sans cesse des parts de marché.
42:58 Est-ce qu'on peut dire que les consommateurs français sont de plus en plus à la recherche
43:01 des prix bas pour faire leurs courses ? Oui, de toute évidence et effectivement,
43:04 le succès de ces marques n'aura échappé à personne.
43:07 Vous en avez cité quelques-unes, c'est vrai qu'aujourd'hui le marché du hard discount
43:12 est en plein essor et grignote des parts de marché sur les autres acteurs de la grande
43:17 distribution.
43:18 C'est quelque chose qui s'illustre assez facilement en chiffres.
43:21 Par exemple, vous avez cité Lidl, Lidl gagne chaque mois un peu plus de 400 000 clients
43:26 supplémentaires.
43:27 C'est-à-dire que non seulement Lidl augmente son chiffre d'affaires, mais, et ça c'est
43:30 très important de le comprendre, Lidl aussi augmente la part de population qu'il touche.
43:34 Est-ce que vous savez à peu près combien de pourcentages de Français ont franchi la
43:38 porte d'un Lidl cette année ? Environ 60%.
43:41 Et ça ne fait que grimper.
43:42 Ce qui est d'ailleurs très intéressant, c'est qu'il y a une démocratisation de
43:45 l'accès au hard discount et ça n'est pas réservé, comme on aurait pu encore le
43:48 penser il y a quelques années, aux catégories les plus populaires de la population.
43:52 Ils insistent beaucoup là-dessus.
43:54 Ils insistent beaucoup là-dessus.
43:55 Cette démocratisation de l'accès aux magasins de hard discount, ça se voit beaucoup à
44:02 leur stratégie d'implantation.
44:03 On a maintenant des Lidl, des Aldi qui vont aller s'implanter dans les centres-villes,
44:09 y compris dans les endroits les plus cossus des grandes métropoles, à Bordeaux, à Paris
44:13 ou ailleurs.
44:14 La discountisation, c'est un phénomène vraiment massif qui a émergé il y a quelques
44:19 années maintenant.
44:20 Notamment, on peut imaginer que la crise du Covid forme une borne chronologique pour voir
44:25 une véritable inflexion.
44:26 C'est ce que me dit notamment quelqu'un de passionnant à ce sujet qui s'appelle
44:29 Benoît Hilbrune, qui est professeur à l'ESCP, avec qui j'ai beaucoup échangé là-dessus.
44:32 Je reviendrai un peu sur son analyse tout à l'heure parce qu'il en fait une vraie
44:35 analyse de société.
44:36 Il me disait qu'on peut estimer qu'il y avait à peu près 10 ou 12 % de part de
44:41 marché pour le discount il y a encore quelques années, il y a 4 ou 5 ans.
44:45 Aujourd'hui, ça a grimpé à 16 %.
44:47 Ça ne veut pas dire qu'à la fin, il ne restera que du discount, mais ça veut dire
44:50 en tous les cas que ces enseignes sont des acteurs majeurs qui sont en train de s'implanter
44:54 dans le monde de la grande distribution.
44:56 D'ailleurs, les autres marques de la grande distribution le voient et créent elles-mêmes,
45:00 pour celles qui ne l'avaient pas encore fait, leur propre marque de discount pour essayer
45:05 de s'aligner.
45:06 Il y a aussi un succès d'image qui est très important de ce discount.
45:09 Je disais qu'il se démocratise, c'est-à-dire qu'il élargit sa cible et il ne concerne
45:13 plus seulement les couches les plus paupérisées de la population.
45:18 Aujourd'hui, il n'est plus du tout honteux de franchir la porte d'un Lidl, d'un Aldi,
45:24 d'un Netto.
45:25 Ça a été en fait très travaillé.
45:27 C'est un succès marketing important.
45:29 Je lisais que notamment la marque Lidl a dépensé encore plus d'argent pour sa communication
45:34 que le groupe Leclerc l'année dernière.
45:36 Notamment, on le voit, ils sont arrivés par exemple sur le Tour de France, puisqu'ils
45:40 sponsorisent les équipes du Tour de France.
45:42 Ils sont présents au salon de l'agriculture.
45:43 Mais j'aime bien l'exemple du Tour de France parce que si vous voulez parler à la France
45:47 populaire, pas populaire au sens de la France paupérisée, mais la France de Monsieur Tout
45:51 le Monde, c'est le Tour de France.
45:54 Ce n'est pas anodin de choisir cet angle-là de publicité.
45:57 Et d'ailleurs, il y a cette idée, le Tour de France, c'est aussi la caravane du Tour,
46:00 c'est ces produits qu'on lance à la volée à tout le monde.
46:02 Et le Tour de France est très emblématique, si vous voulez, de l'accès à la consommation
46:07 pour tous.
46:08 Donc, le fait que Lidl sponsorise une équipe de cyclistes n'est pas du tout, du tout anodin.
46:12 Alors, le succès de ces marques de discount, c'est évidemment fondé sur le prix.
46:16 Leur grand secret, qui n'en est donc pas un puisque je vais vous le révéler ce soir,
46:21 c'est évidemment le stock.
46:22 On vous propose beaucoup moins de variétés de produits, mais les produits qu'on vous
46:25 propose ont été achetés en très, très grande quantité.
46:27 C'est ce qui leur permet d'obtenir des rabais sur les prix qui sont significatifs.
46:31 Et ensuite, de les vendre à moindre prix que leurs concurrents.
46:34 Ça, c'est vraiment le grand secret.
46:36 Et puis aussi, évidemment, le fait de se détacher complètement de la marque.
46:40 Et on y reviendra tout à l'heure.
46:41 C'est un peu le paradoxe.
46:42 C'est qu'à force de vouloir dire on efface les marques, on vous vend simplement le produit
46:46 brut, qui est souvent une copie plus ou moins réussie du produit de marque auquel on peut
46:50 l'associer.
46:51 Et bien, en fait, ça devient en soi même un effet de marque.
46:54 Mais en tous les cas, c'est un vrai succès.
46:56 Et c'est vrai que les débats aujourd'hui sur les questions économiques, notamment
46:58 d'accès aux produits d'alimentation, renforcent ce succès.
47:01 La cause première de ce succès, Discoon, semble évidente.
47:04 C'est en effet un des effets de la crise du pouvoir d'achat lié à l'inflation.
47:09 On est sur une solution à l'inflation pour les Français.
47:13 Oui, c'est évident.
47:14 Mais il ne faut pas imaginer simplement que c'est une solution à un problème.
47:17 Je pense qu'il faut imaginer la question du Discoon de manière beaucoup plus englobante.
47:22 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a assisté vraiment à l'émergence définitive de la
47:25 question du pouvoir d'achat comme étant l'enjeu majeur des politiques publiques.
47:29 C'est presque à se demander si l'objectif ultime du politique n'est pas de faire tout
47:34 ce qui est en son pouvoir pour maximiser, in fine, le pouvoir d'achat.
47:37 C'est très important.
47:38 C'est quasiment le but aujourd'hui de l'action dans la cité.
47:40 En tous les cas, ce qui est sûr, c'est que pour les Français et tous ceux qui regardent
47:45 votre antenne le savent en non-conscience, on le voit sondage après sondage, les Français
47:48 sont de plus en plus préoccupés par la question de leur pouvoir d'achat.
47:51 L'inflation et en particulier l'inflation des prix de l'alimentaire est préoccupante.
47:55 Les prix ont augmenté encore de 14,5% l'année dernière.
47:59 Et sondage après sondage, on voit que les Français ressentent cette réalité comme
48:02 de manière de plus en plus dure.
48:04 Et donc, face à cette inquiétude, le Discoon apparaît comme un choix de consommation normalisé.
48:12 Par ailleurs, je crois qu'il faut associer l'accès au Discoon, qui encore une fois,
48:16 je vous l'ai dit, s'est démocratisé, à l'idée de déclassement.
48:19 C'est-à-dire que les personnes, que ce soit vraies ou fausses, mais qui s'identifient
48:22 comme appartenant à des catégories sociales qui sont en déclin économique, sont de plus
48:27 en plus nombreuses.
48:28 Le Discoon est un peu l'emblème de ce déclassement, mais un déclassement qui n'est plus simplement
48:32 vu comme une contrainte ou comme une honte, mais qui est aussi vécu comme une réalité
48:36 contre laquelle il faut faire, si vous voulez, preuve de réalisme.
48:41 J'insiste vraiment sur cette idée qu'encore une fois, le Discoon aujourd'hui a su grimper
48:48 dans les couches sociales de ses clients, puisque les implantations récentes, que ce
48:53 soit à Paris, encore dans le 7e arrondissement, rue Claire, on a ouvert un supermarché Aldi
48:58 quasiment au pied de la tour Eiffel.
48:59 C'est vraiment une stratégie avec des gros guillemets de boboïsation de l'accès au
49:04 Discoon.
49:05 À Bordeaux, c'est dans les rues Piétonnes, c'est dans la rue Merci qu'on a implanté
49:10 récemment aussi un supermarché Lidl.
49:12 Et donc, tout ce phénomène, si vous voulez, participe vraiment à un accès de plus en
49:17 plus normalisé qui dépasse simplement la question de la paupérisation de la société,
49:21 mais plutôt du fait qu'aujourd'hui, les Français n'ont pas envie de dépenser toutes
49:25 leurs économies pour s'alimenter.
49:27 On parle d'idéologie du pouvoir d'achat, mais en clair, qu'est-ce que ça signifie
49:31 cette idéologie ?
49:32 C'est le cœur de l'analyse que j'aimerais faire avec vous ce soir, c'est-à-dire de
49:34 dire au fond comment est-ce qu'en creux, le succès du hard discount montre à quel
49:38 point on est rentré dans l'ère du pouvoir d'achat.
49:41 Je prends des pincettes en le faisant parce que je ne veux pas du tout paraître dénu
49:45 à l'égard des Français, et j'en fais évidemment partie, qui eux-mêmes consomment des produits
49:49 discount.
49:50 La question n'est pas de juger l'acte de consommation, mais d'essayer de penser ce
49:53 que la banalisation de la consommation du discount veut dire de notre rapport justement
49:57 à la consommation dans son ensemble.
49:59 Et c'est là que je m'appuie sur les thèses et elles sont absolument passionnantes de
50:03 Benoît Hilbrun, qui d'ailleurs, je crois, consacrera un livre qui s'appelle "Le mythe
50:06 du pouvoir d'achat" et qui paraîtra dans quelques mois aux éditions de l'Aube.
50:11 Et Benoît Hilbrun a réussi à mettre en mots cette mutation de la société de consommation
50:17 où pour faire simple, on est passé d'un modèle dans lequel la consommation définit
50:22 qui nous sommes.
50:23 La société de consommation dans ses débuts, c'est l'idée que je m'affirme du point
50:28 de vue de mon identité et du point de vue de mes valeurs à l'aune des produits que
50:31 je mets dans mon panier, que j'ai les moyens de mettre, c'est-à-dire il y a évidemment
50:35 une question économique, mais aussi que je choisis de mettre en fonction de mes goûts
50:38 personnels.
50:39 Eh bien, je crois que nous avons, nous sommes en train de tourner la page de cette histoire.
50:43 Je regarde en même temps le temps parce que j'aimerais quand même finir cette analyse.
50:46 Aujourd'hui, c'est plutôt la massification de la consommation qui nous définit comme
50:51 si elle était finalement la clé d'accès au bonheur.
50:53 Il faut consommer le plus possible et le discount et en général le discours sur le pouvoir
50:57 d'achat permet ça, c'est-à-dire peu importe ce que je consomme, tant que je consomme le
51:01 plus possible, tant que je ne suis pas entravé dans cet accès à la consommation.
51:04 Pour moi, l'image archétypique de ça, vous savez, c'est cette dame que la télévision
51:09 locale avait interrogée au moment du confinement et où on avait peur qu'il y ait des ruptures
51:12 de stock dans les supermarchés.
51:14 Elle ouvre son coffre et elle dit j'ai pris tout ce qui venait, j'ai acheté n'importe
51:17 quoi.
51:18 Il y a un peu de ça.
51:19 Alors, je caricature à gros traits, évidemment, mais dans cette idéologie du pouvoir d'achat,
51:23 finalement, ce paradoxe où on essaye de minimiser, voire d'annihiler la valeur des choses parce
51:28 qu'en même temps, on veut maximiser notre accès à la consommation des biens.
51:32 Merci beaucoup, Paul.
51:33 Merci, Nathan.
51:34 Merci, Régis.
51:35 On se retrouve demain à la même heure, 19h.
51:37 Et avant de vous retrouver pour Soir Info ET, je vous laisse entre les mains d'Élodie
51:41 Huchard pour l'heure des produits.
51:42 ...