La maternité : fabrique d’une pensée féministe

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 29 Septembre 2023)
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00:00 * Extrait de la vidéo *
00:06 Repensez la maternité sous le prisme féministe, c'est le livre que vous publiez Camille
00:11 Froidevaux-Métry, bonjour ! Vous êtes philosophe, professeur de sciences politiques à l'université
00:16 de Reims-Champagne-Ardennes et vous publiez donc un si gros ventre, expérience vécue
00:21 du corps enceint aux éditions Stock, ma camarade Catherine Dutuc qui est dans ce studio et
00:26 qui il y a quelques minutes nous a livré sa revue de presse internationale, évoquait
00:31 la manière dont les maladies, dont le corps des femmes et les cancers qui touchaient spécifiquement
00:38 les femmes étaient sous-représentées dans la médecine.
00:42 Peut-être pourrions-nous débuter par cela, par la manière dont justement les inégalités
00:47 de genre, la manière dont le corps des femmes peut être observé d'une manière et négligé
00:54 d'une autre.
00:55 Oui, on est vraiment tout de suite au cœur du sujet en effet, puisque par un côté le
00:59 corps des femmes est considéré dans sa dimension fonctionnaliste, comme un corps par exemple
01:05 maternel, un corps à faire des bébés et qu'il est dès lors appréhendé notamment
01:09 par la médecine comme un corps objet qui dépossède en fait les femmes, on va sans
01:15 doute y revenir, de leur subjectivité.
01:17 Mais par un autre côté on observe que dans la science, dans la médecine et jusque dans
01:21 la philosophie, on ne pense pas cette condition incarnée des femmes et encore moins quand
01:26 elles regardent les caractéristiques supposément spécifiquement féminines qui entraînent
01:31 notamment aux fonctions sexuelles et maternelles.
01:34 C'est intéressant d'ailleurs que vous parliez des spécificités du corps féminin
01:38 puisque dans la revue de presse internationale de Catherine que j'ai sous les yeux, il
01:43 y a également un certain nombre de choses Catherine sur le fait que le corps des femmes
01:48 est moins pris en compte par les hommes par exemple dans l'automobile, les airbags protègent
01:56 mieux les hommes.
01:57 Oui c'est ce que souligne le magazine américain Forbes, les mannequins féminins n'ont
02:02 été que très rarement pris en compte dans les crash test alors que les femmes notamment
02:06 aux Etats-Unis sont celles qui conduisent le plus, ce sont celles qui ont le moins d'accidents
02:11 mais ce sont celles qui sont le plus blessées, qui ont le plus de risques de mourir parce
02:15 que les systèmes de protection ne sont pas adaptés au corps féminin.
02:19 De la même façon que les études pour la mise sur le marché des médicaments sont
02:25 faites sur la base de corps soit disant génériques mais qui sont des corps masculins avec tout
02:30 ce que ça implique de différentiel en termes de dosage, de posologie etc.
02:33 Et on sait aussi que bien des médicaments, la majorité d'entre eux sont testés quasiment
02:38 exclusivement sur des hommes ce qui produit des effets souvent négatifs pour les femmes.
02:43 Vous poursuivez Camille Froidevaux-Métry une œuvre singulière, c'est en tant que
02:47 philosophe que vous évoquez le corps des femmes mais vous êtes une femme et vous évoquez
02:51 aussi des moments autobiographiques, en l'occurrence dans ce dernier livre "Ainsi gros ventre"
02:57 il est question de l'expérience du corps enceint et donc vous racontez aussi comment
03:03 se sont déroulées vos grossesses, les différents épisodes de votre vie de femme et de mère,
03:10 pourquoi justement à la fois ce mélange et qu'est-ce qu'une philosophe souhaite
03:14 peut dire sur ces expériences-là ?
03:16 Alors c'est une approche que je développe dans tous mes livres, j'ai élaboré au
03:21 cours du temps une méthode un peu de façon artisanale, expérimentale que je qualifie
03:26 d'enquête phénoménologique.
03:27 Il s'agit pour moi de penser le corps des femmes et il m'est apparu assez immédiatement
03:33 qu'il m'était difficile de le faire sans impliquer les personnes concernées, sans
03:37 entendre la voix de celles qui éprouvent ces expériences vécues parce qu'elles
03:41 ont ceci de caractéristique et notamment l'expérience vécue de la grossesse, qu'on
03:46 ne demande jamais aux femmes d'exprimer ce qu'elles éprouvent, ce qu'elles traversent,
03:51 qu'on ne s'intéresse pas même à la question du ressenti de la douleur, de la souffrance
03:56 et que d'une façon générale, dès lors qu'il est question de leur corps, elles
04:00 cessent d'être des sujets réflexifs pour n'être plus que des corps-objets entre
04:05 les mains de la médecine.
04:06 Et donc ma méthode consiste à mêler ma voix, donc des éléments autobiographiques,
04:11 avec celle des femmes que je rencontre et à tisser avec ces voix une espèce de toile
04:16 dans laquelle je viens poser les idées et les approches d'autrices, de philosophes,
04:22 de politistes, de sociologues qui m'aident à penser la condition incarnée qui est celle
04:26 des femmes aujourd'hui.
04:27 Et vous racontez comment la maternité a transformé votre vie, sachant que chaque expérience
04:33 est une expérience unique, en tant que professeure, en tant que femme.
04:36 Qu'est-ce qui a changé en vous avec cette maternité, Camille Froide-Vaumétry ?
04:41 Alors je dis souvent que je suis entrée en féminisme par la maternité.
04:45 J'ai eu un parcours jusque dans ma trentaine où j'ai pu rester à distance des discriminations,
04:51 si ce n'est celles qu'on subit au quotidien, disons le sexisme ordinaire.
04:54 Mais c'est vraiment par la maternité que j'ai pris conscience, un peu brutalement
04:58 je dois le dire, de ce qu'impliquait le fait d'avoir un corps sexuel féminin, en
05:02 partie maternelle, en termes notamment de silenciation et de désubjectivation.
05:09 J'ai été très frappée.
05:10 J'ai fait quatre grossesses et j'ai eu deux enfants.
05:13 Donc j'ai vécu notamment à deux reprises des arrêts naturels de grossesse.
05:18 Et c'est dans ces moments-là spécifiquement que j'ai pris conscience que ce que je traversais
05:22 et qui était pour moi véritablement de l'ordre du cataclysme existentiel était absolument
05:27 nié et invisibilisé d'un point de vue social et même médical d'une certaine façon.
05:31 Mon corps maternel avait dysfonctionné.
05:33 Il était question simplement de réessayer, de relancer la machine.
05:37 Mais en revanche, mon expérience vécue intime, elle était totalement niée.
05:40 Et donc c'est quelque chose qui m'a interrogée, qui a fait que j'ai commencé à lire et
05:44 à réfléchir sur cette question de comment on oublie en fait de penser le corps des femmes.
05:52 D'où cette assertion, une tribune qui en a été donc extraite.
05:59 "Nous ne faisons pas de fausses couches, nous les subissons", disait cette tribune,
06:04 Camille Froidevaux-Métry.
06:05 Il y a là donc à la fois une expression qui nomme mal les choses, mais aussi un phénomène
06:13 qui n'est pas considéré comme il devrait l'être.
06:16 Expliquez-nous pourquoi.
06:17 Alors l'origine de tous nos problèmes, si je puis dire, c'est la définition quasi
06:24 immémoriale, puisqu'elle remonte à l'Antiquité grecque, de l'existence des femmes au seul
06:28 prisme de leurs fonctions corporelles, et spécifiquement de leurs deux fonctions sexuelles
06:31 et maternelles.
06:32 Aux yeux de la société dans sa dimension patriarcale, et jusqu'à aujourd'hui y
06:36 compris.
06:37 Et même si, je le dis tout de suite, il y a évidemment toute une série de conquêtes
06:40 et d'avancées sur le terrain des droits des femmes qui marquent les cinq dernières
06:44 décennies, mais il est demeuré par-delà tous ces progrès, il est demeuré que la
06:49 condition féminine est restée définie par cette idée que nous sommes et nous devons
06:54 rester des corps disponibles, des corps à disposition dans ces deux fonctions sexuelles
06:59 et maternelles.
07:00 Et c'est quelque chose qui se manifeste notamment dès lors que le corps des femmes
07:05 est concerné par une problématique comme une maladie, la grossesse, etc.
07:09 Où là, soudain, les femmes doivent accepter en quelque sorte de s'abandonner entre les
07:14 mains de la médecine et sont privées de toute prise et de toute participation à leur
07:19 propre parcours de maladie ou de grossesse.
07:22 Alors vous expliquez et vous montrez au travers de ces différents discours de femmes, puisque
07:28 comme je l'ai dit, comme vous l'avez rappelé Camille Froid-Vaumétry, vous avez rencontré
07:32 28 femmes pour écrire ce livre.
07:35 À quel point il y a un regard à la fois normatif et des contraintes qui sont imposées
07:39 au corps de ces femmes enceintes ?
07:43 Oui, alors ça c'est l'aspect.
07:46 En fait, la grossesse permet de révéler le moment un peu de charnière dans lequel nous
07:50 sommes, c'est-à-dire que par un côté il y a en effet encore dans la vie quotidienne
07:53 des femmes et spécifiquement pendant la grossesse, tout un flux d'injonctions et de dictates
07:57 qui concernent ce que les femmes sont censées faire de ce corps enceint, les comportements
08:02 qu'elles doivent adopter mais aussi les représentations auxquelles elles doivent souscrire.
08:05 Par exemple, cette exaltation très commune de la maternité qui impose aux femmes de
08:10 le vivre et de le dire comme si c'était là l'épanouissement absolu de leur existence
08:14 et comme si elles vivaient là un accomplissement sublime.
08:18 Alors que, et c'était un des constats de l'enquête, beaucoup de femmes n'aiment
08:22 pas être enceintes, voire même détestent cela, ce qui n'empêche qu'elles souhaitent
08:27 ardemment être mères et qu'elles adorent même le devenir, mais simplement elles n'aiment
08:31 pas ces neuf mois pour des raisons qui leur sont propres.
08:33 Et ça c'est quelque chose, c'est un ressenti que l'on n'entend jamais puisque socialement
08:38 la maternité demeure comme un idéal auquel doivent souscrire toutes les femmes.
08:42 Alors vous le rappelez, l'une des femmes que vous rencontrez par exemple dit de manière
08:46 générale "je ne suis pas dingue d'être enceinte, c'est pas le truc waouh, je savais
08:51 au fond de moi que le côté "ce ventre qui porte la vie" c'était un peu du bullshit".
08:54 Qu'est-ce qu'elles vous disent ces femmes Camille Froidebaut-Métry ? Car c'est l'une
09:00 des choses surprenantes que vous rapportez dans ce livre, le fait que l'expérience
09:05 d'être enceinte n'est pas nécessairement une expérience heureuse.
09:09 Oui, ou en tout cas, elle est en tout cas ambivalente.
09:12 Et c'est simplement mettre au jour quelque chose que les femmes savent bien et éprouvent,
09:17 mais qu'elles n'ont une fois encore pas la possibilité d'exprimer.
09:20 Alors je voudrais nuancer un petit peu parce que en parallèle de ce constat d'une grossesse
09:26 qui peut être un moment pénible, il y a aussi, et de façon aussi très majoritaire,
09:32 une aspiration très forte de ces femmes à reprendre possession de leur corps enceint
09:35 et à réclamer en quelque sorte qu'elles soient à nouveau considérées comme des corps-sujets.
09:39 La grossesse, c'est un moment de dépossession radicale qui met vraiment au jour cette condition
09:44 séculaire d'objectivation du corps des femmes.
09:48 Or, dans nos sociétés occidentales, il faut préciser que c'est dans ce cadre que je
09:52 réfléchis exclusivement, les femmes ont cette chance de pouvoir, dans un tas de domaines,
09:57 pouvoir faire à peu près tous les choix possibles.
09:58 Eh bien, il devrait être possible pour elles de reprendre possession aussi de toutes les
10:04 dimensions incarnées de leur existence, notamment de ce processus de gestation jusqu'à l'accouchement
10:08 y compris, pour s'affirmer comme les sujets libres, réflexifs, agissant qu'elles sont.
10:14 Alors justement, comment se réapproprier à la fois son corps, peut-être son destin ?
10:19 Comment ces femmes qui vous ont parlé, Camille Froidevaux, maîtrise, qui sont prises pour
10:25 aboutir à cela, à nouveau une expérience de sujet alors qu'elles étaient contraintes
10:29 par la médecine, par la situation ?
10:31 Écoutez, elles font comme elles peuvent, ce n'est pas toujours facile.
10:35 Mais en tout cas, ce qui est important, c'est que j'observe que dans le champ féministe,
10:40 que ce soit celui de la pensée ou des luttes, il y a des initiatives de plus en plus nombreuses
10:44 autour de ces thématiques qui permettent de rendre public, mais aussi de politiser,
10:48 on parlait des arrêts naturels de grossesse, eh bien les mobilisations de terrain ont permis
10:52 qu'avant l'été, une loi passe qui pose le principe de congé sans jour de carence
10:57 et le principe même d'un accompagnement psychologique des femmes traversant ce moment.
11:01 On est en train de vivre une véritable révolution sur les deux aspects procréatifs et familial.
11:07 Après le grand moment des années 70 où il s'agit de décorréler la sexualité de
11:11 la procréation par la conquête des droits reproductifs et après le tournant des années
11:16 80-90 avec l'apport des études de genre et des études queer qui ont permis de dénaturaliser,
11:21 de débiologiser le genre, on est à un moment important où peut-être on peut commencer
11:25 de penser une décorrélation entre peut-être la grossesse et le féminin.
11:29 Et je le dis parce que j'ai tenu dans mon enquête aussi à rencontrer un homme, un
11:33 homme trans qui a été le premier homme en France à porter un enfant.
11:36 Et c'était important pour moi de faire entendre aussi d'abord l'existence de
11:42 ces familles nouvelles et elles sont pionnières dans bien des aspects parce qu'elles ouvrent
11:46 aussi des perspectives.
11:47 Et quelles justement ?
11:48 Et bien, il y a deux types de familles, les familles de personnes en couple lésbien ou
11:53 en couple homosexuel ou les familles de mères qui choisissent d'avoir un enfant en solo
11:58 de façon tout à fait volontaire.
11:59 J'ai été très frappée du nombre de femmes seules qui souhaitaient me rencontrer pour
12:03 parler de leur expérience.
12:04 J'ai même dû arrêter de faire des entretiens parce que ça dépassait leur poids statistique.
12:09 Mais ça m'a mis sous les yeux un phénomène qui je crois va devenir massif.
12:15 C'est-à-dire que la famille traditionnelle telle qu'on la connaît depuis à peu près
12:18 toujours, elle a depuis un moment déjà été questionnée et mise en cause.
12:23 Mais surtout, ce qu'on observe, c'est une ouverture des possibles familiaux, des possibles
12:27 conjugaux.
12:28 Et ça, c'est quelque chose qui marque un vrai grand tournant.
12:30 Camille Froidevaux-Métry, un si gros ventre, expérience vécue du corps à sein aux éditions
12:35 Stock.
12:36 Vous serez rejointe dans une vingtaine de minutes par la romancière Maria Pourchet
12:40 qui publie Western et qui elle aussi pose son regard sur le corps des femmes.
12:45 7h55.
12:46 6h39, les matins de France Culture.
12:51 Guillaume Erner.
12:52 Oui Camille Froidevaux-Métry, vous publiez un si gros ventre aux éditions Stock.
12:58 Un livre où vous posez un regard politique sur la manière dont la société observe
13:03 les femmes, les femmes enceintes, la manière dont celles-ci également se le représentent
13:07 puisque vous nous l'avez expliqué.
13:08 Vous avez rencontré 28 femmes pour évoquer avec elles leur expérience de la grossesse
13:16 et en lisant votre livre, j'ai songé à une romancière qui est là.
13:19 Maria Pourchet, bonjour.
13:20 Bonjour.
13:21 Vous songez à une romancière dont l'un des livres précédents, Toutes les femmes
13:26 sauf une, qu'on pourrait qualifier d'autofiction.
13:28 Oui, oui, à minima.
13:30 Ce livre représente une tentative de raconter aussi une expérience du corps enceint, une
13:39 expérience qu'on pourrait qualifier d'ambivalente puisque vous racontez la manière dont ce
13:45 personnage, cette femme vient d'accoucher douloureusement d'une petite fille.
13:51 Pourquoi avoir décidé d'écrire ce livre de cette manière-là, Maria Pourchet ?
13:55 De cette manière-là, vous voulez dire en m'adressant à un enfant ?
13:59 En faisant un discours.
14:01 Déjà, ce livre, je ne me suis pas tellement interrogée sur sa forme parce qu'il vient
14:05 tellement de la colère.
14:06 Il vient d'un endroit de ma pensée qui est très élémentaire, il vient vraiment
14:14 de l'émotion.
14:15 J'écoutais attentivement ce que disait Camille parce que ce moment-là de l'accouchement,
14:22 pour moi, ça a été le moment de ma vie où je me suis sentie le plus, pas abusée,
14:31 mais minorée parce que femme.
14:33 Je n'avais jamais ressenti, j'ai eu la chance de ne pas avoir senti d'injustice
14:38 sociale et encore moins biologique du fait d'être une femme.
14:42 Et pendant toute cette expérience, de la fin de la grossesse jusqu'à l'expérience
14:49 de la clinique, je me suis sentie violemment renvoyée à une condition que je n'avais
14:56 jamais éprouvée comme une violence.
14:58 Si bien qu'il y a cette violence-là et puis il y a aussi une filiation, une forme
15:04 de malédiction racontée dans ce livre "Toutes les femmes sauf une", une malédiction
15:09 qui touche les femmes, leur règne de soi, la manière dont tout cela peut s'hériter
15:14 d'une génération à l'autre.
15:15 Oui, c'était aussi le prétexte, le point de départ d'une réflexion sur le langage
15:22 puisque la narratrice part du fait qu'on ne lui a rien dit de ça.
15:26 On lui a raconté la merveille et l'effort, la merveille qui succédait à l'effort
15:31 en parlant très peu de l'effort, de ses conséquences, en parlant très peu du pourquoi
15:35 les hommes étaient absents de la maternité, etc.
15:39 Et elle décide de comprendre pourquoi elle est la somme de ces mensonges, de toutes ces
15:46 injonctions, ce que j'appelle la rhétorique du "tiens-toi droite" où on lui a dit
15:51 tout ce qu'il fallait faire, de prendre du plomb dans la tête, de se tenir droite,
15:57 de regarder où elle met les pieds, de ne pas avoir la tête dans les nuages.
15:59 Toutes ces phrases que les femmes adressent aux femmes d'une génération à l'autre
16:03 pour finalement les tenir dans un certain inconditionnement.
16:06 C'est là que les femmes participent à leur propre oppression, c'est ce qu'elles
16:10 transmettent aux filles.
16:12 Et en revanche, ça, l'expérience de la maternité, la narratrice, on ne lui a jamais
16:16 raconté.
16:17 Elle a eu le sentiment d'avoir été précipitée dans une expérience quasi-médiévale sans
16:23 qu'on lui ait dit tout.
16:26 Camille Froidevaux-Maitry.
16:27 Oui, "Toutes les femmes sauf une", c'est un magnifique roman que j'ai vraiment
16:30 adoré et qui résonne beaucoup avec mes propres réflexions, notamment dans ce qu'il
16:35 dit de ce que vous appelez la haine que les femmes vouent à leur genre, dans cette relation
16:40 spécifique entre les mères et les filles.
16:42 Et je remarque que cette question de la difficile transmission, voire impossible, d'un rapport
16:48 à soi et à son corps, notamment apaisé, serein, c'est quelque chose qui devient
16:53 de plus en plus central, parce que c'est là que se condense aussi un des problèmes
16:59 qui est qu'en effet, comme vous le disiez, il y a quelque chose de l'ordre de la
17:02 malédiction féminine dans cette transmission génération après génération de la condition
17:07 patriarcale.
17:08 J'ai travaillé cette question aussi de la toxicité maternelle sous une forme littéraire
17:14 dans mon premier roman qui s'intitule "Plein et douce".
17:17 Et ce que je vois autour de moi aussi, c'est comment cette thématique en fait, relie entre
17:23 elle beaucoup d'autrices.
17:24 Je pense notamment au roman de Pauline Perrad "L'âge de détruire", mais plus récemment
17:29 en cette rentrée littéraire, les deux très beaux premiers romans de Joséphine Tassi
17:34 "L'indésir" et de Léna Gare "Tumeur et tutu".
17:37 Le point commun entre tous ces livres, et le vôtre et le mien aussi d'une certaine
17:40 façon, c'est de mettre au jour en fait ce tabou que ce n'est pas parce qu'une
17:45 femme devient mère qu'elle entre dans une phase sublime caractérisée par la bienveillance
17:53 et la douceur, et que c'est parfois tout à fait l'inverse, et que c'est le moment
17:56 d'une immense violence, le moment de la détestation, et le moment aussi où se met
18:01 en route ce mécanisme que Simone de Beauvoir avait repéré, que les femmes sont entre
18:06 elles comme des camarades de captivité, c'est-à-dire dans un système patriarcal, elles ne peuvent
18:11 faire autrement que rentrer dans la rivalité entre femmes, et de jouer ce jeu de la détestation
18:18 entre femmes.
18:19 - Maria Pourcher, il n'y a pas beaucoup de place à la sororité dans ce contexte-là.
18:23 - Alors moi je n'ai pas appréhendé ça sous l'angle de l'absence de sororité,
18:32 ou non.
18:33 Là où je pourrais poursuivre votre propos, c'est que, en tout cas, ce moment-là, c'est
18:43 un des moments de l'existence où le corps se rappelle soudainement et violemment à
18:49 son propriétaire, en tout cas pour moi, dans une vie où tout est fait depuis l'éducation,
18:53 on pourra peut-être en parler, pour que ce corps soit une abstraction, jusqu'à ce qu'on
18:56 l'oublie.
18:57 Ça c'est vraiment un motif que j'ai exploré dans tous mes romans.
19:01 - Je voulais vous permettre de vous éclaircir la gorge, et je voulais en profiter pour lire
19:08 un extrait, cette fois-ci de votre dernier roman western.
19:12 Là aussi, on voit une mère et son fils, cette fois-ci ce n'est plus une fille, autrement
19:19 dit Aurore et Cosma, qui, la mère s'en va de la région parisienne et décide d'aller
19:27 habiter dans le Lot, dans une petite maison héritée de sa mère.
19:32 Et là, dans ce lieu où ils devaient être tous les deux tranquilles, où elle aurait
19:37 pu télétravailler, ce silence, cet apaisement est troublé par l'arrivée d'un homme,
19:44 Alexis, qui s'avère être un acteur, lequel fuit une scène parisienne dans les deux sens
19:50 du terme, une pièce qu'il devait jouer, mais aussi une accusation qu'il sent venir,
19:56 une accusation de masculinité toxique, pour le dire en deux mots.
20:00 Et il y a donc à nouveau ce thème de la contrainte, qui est un thème qui vous appartient,
20:08 avec la difficile lutte des femmes, mais aussi des êtres humains, pour l'autonomie.
20:12 Et il y a ce passage qui décrit la manière dont Aurore voit le fait d'être enceinte.
20:21 Donc, elle est enceinte, elle ne voulait pas, mais par chance, elle arrive largement après
20:26 Vell, Alimie et consoeur, héritière de troisième génération, des combats pour la liberté
20:31 des filles à disposer d'elle-même, à l'image des peuples souverains.
20:35 Elle va pouvoir maintenir le cap grâce à l'IVG.
20:38 Oui, sauf qu'elle ne pourra pas le faire.
20:40 Oui, oui, dans ce livre-là, j'essaye à nouveau de témoigner d'un rapport au corps
20:47 qui me paraît très très contemporain, où notre corps est comme le champ d'une bataille
20:52 qu'on mène depuis le début contre soi-même.
20:56 En tout cas, moi, les expériences les plus violentes de mon existence, c'est ça.
20:59 Quand je parlais d'abstraction tout à l'heure, c'est exactement ce qui arrive à mon personnage
21:05 d'Aurore, à mon personnage féminin.
21:07 On me demande plus de parler du personnage masculin, d'habitude, donc j'en profite.
21:11 Aurore, c'est quelqu'un dont le corps a été oublié depuis l'éducation, au profit,
21:16 subordonné à la performance scolaire, intellectuelle, et puis ensuite sociale, professionnelle,
21:22 et même conjugale.
21:23 Le corps est toujours une variable d'ajustement au profit du mental, de toutes ces performances-là,
21:29 jusqu'à ce que, alors ça peut être une maternité, ça peut être un choc amoureux,
21:33 ça peut être un burn-out, elle c'est un burn-out, ça peut être une maladie, un accident,
21:37 mais le corps est là quand même et il va se rappeler violemment à sa propriétaire.
21:42 Et elle n'a pas le choix que de le regarder, que de l'investir.
21:47 Ce corps que dans son éducation, elle ne devait pas ni montrer, ni investir, ni transformer,
21:52 parce que dans les éducations normées et normatives, qui sont les nôtres, il ne faut
21:55 pas trop maigrir, il ne faut pas trop grossir, il ne faut pas se tatouer, il ne faut pas
22:00 donner le corps non plus.
22:01 C'est plus facile de l'oublier.
22:03 Et là, elle n'a pas le choix que de le réparer, que de le regarder, et elle s'aperçoit
22:08 qu'elle ne sait absolument pas comment faire ça, sauf dans la fuite, l'isolement.
22:13 C'est pour ça qu'elle va à l'Ouest.
22:14 Camille Froid, Vomitri.
22:15 Oui, ce personnage, il est un peu emblématique de toute une génération de femmes, celles
22:19 qui ont grandi, qui ont investi le monde social dans les années 80, 90, 2000.
22:25 Des femmes à qui on a dit qu'elles pouvaient tout faire, mais à une condition, qu'elles
22:28 taisent et qu'elles oublient presque qu'elles avaient un corps.
22:31 Elles devaient devenir des hommes comme les autres, et donc ça au sacrifice des dimensions
22:36 incarnées de leur vie.
22:37 Et il se trouve que depuis une petite dizaine d'années, on a engagé dans un processus
22:40 de réappropriation de nos corps pour précisément essayer de tenir ensemble les deux dimensions,
22:47 l'objectivation d'un côté et la subjectivation de l'autre, et faire en sorte qu'une forme
22:50 de réconciliation entre nos existences qui sont nécessairement incarnées.
22:54 Je suis pas sûre que cette expérience-là soit si genrée.
23:03 Finalement, ce phénomène d'abstraction du corps touche aussi les hommes.
23:08 Et puis il y a toujours si on…
23:10 Il prend pas notre temps, je crois.
23:12 Camille Froivaud-Métry, vous voulez réagir ?
23:14 Oui, non, là je serais pas d'accord avec Maria Porchet parce que je pense qu'il y
23:16 a une expérience vécue de la sexuation qui est spécifiquement féminine parce que ce
23:20 que produit le corps des femmes dans leur quotidien en termes de discrimination et de
23:23 violence n'a vraiment aucune commune mesure avec ce que vivent les hommes du même fait
23:27 qu'ils sont leur corps sexuel masculin.
23:29 Ah non, j'étais pas spécifiquement sur les violences sexuelles.
23:32 Oui, mais je pense que l'expérience vécue du corps, elle a dans sa dimension féminine
23:38 quelque chose de spécifique.
23:40 Bien sûr, spécifique, oui.
23:41 Si on poursuit avec la manière dont le corps d'Aurore se rappelle à Aurore, alors il
23:48 y a quelque chose, vous allez me donner votre point de vue, il y a quelque chose de très
23:53 présent, c'est le rappel de la chair qui, là, lui fait rappeler qu'elle a un corps
23:59 avec une dimension là aussi très ambivalente, très ambiguë puisque le roman ne juge pas,
24:06 il présente Maria Pourchet, mais vous qui l'avez écrit ce roman, qu'en pensez-vous
24:11 et pourquoi avoir décidé justement de montrer cette femme dont le corps se rappelle à elle
24:16 par ses épisodes charnels ?
24:18 Comme je disais tout à l'heure, on écrit d'où on pense, d'où l'on ressent.
24:26 On écrit à partir de soi et je n'ai jamais rien connu de plus violent, donc la maternité
24:33 en fait partie, que ces moments-là.
24:35 Alors ça peut être la maternité, encore une fois la maladie, ça peut être la passion
24:40 amoureuse que j'ai traitée dans mon livre précédent, mais c'est la même expérience
24:45 de… le corps rappelle à quel point il est souverain et soit on s'en détache, soit
24:52 on le regarde.
24:53 Oui, c'est une façon tout à fait quasi idéale de décrire ce que j'entends moi
24:59 par l'expérience phénoménologique du fait que nous ne pouvons pas faire abstraction
25:04 précisément de nos corps et que toute expérience, toute relation passe par celui-ci et que c'est
25:11 un peu un des enjeux de ces livres qui nous réunissent que de rappeler ou même voir
25:17 de révéler à quel point nous devons faire de nos corps, redevenir les corps que nous
25:22 sommes.
25:23 Et l'autre expérience qui est aussi très frappante, elle est dans vos deux livres d'ailleurs,
25:28 c'est l'expérience de la parentalité, donc ce petit garçon, Cosma, qui est avec
25:33 sa mère, Aurore, et c'est lui pratiquement qui protège sa mère.
25:37 Oui, alors ça c'est le rapport mère-enfant.
25:41 Alors moi j'ai souvent l'impression qu'on m'avait menti sur la merveille de la naissance
25:48 en me parlant de la merveille du moment et finalement en me parlant très peu de la naissance
25:53 d'une relation, de l'apparition très précoce des personnalités des enfants.
25:58 Donc ça c'est la part de l'histoire de la maternité qui me fait me dire de quoi
26:06 j'ai vécu avant.
26:07 Et effectivement ça fait partie des motifs que j'essaye de réinvestir parce que c'est
26:13 vraiment l'enchantement.
26:14 A quel endroit cette relation mère-fils ou mère-fille peut devenir égalitaire,
26:21 il y a peut-être presque des inversions d'autorité, ou parfois l'enfant a la capacité intuitive
26:28 de comprendre ce qui se passe chez l'adulte, pas de le conseiller mais de le guider.
26:33 Il est génial ce petit garçon parce qu'il a un imaginaire beaucoup plus vaste que ces
26:38 adultes qui sont encerrés dans des contraintes.
26:40 Il va vers, il n'est pas encombré par tous les freins, les filtres, les conditionnements,
26:54 toute la complexité pathologique qu'on met entre nous et l'autre pour éviter de
26:58 le rencontrer.
26:59 Donc quelque part il a quelque chose d'exemplaire dans sa manière d'aller vers Alexis, l'homme
27:05 qui va vers sa mère et dont sa mère a priori ne veut pas, dans sa manière d'aller vers
27:09 les animaux, vers les pierres ou vers les gens, à l'âge qu'il a, c'est encore
27:12 la même, elle n'est pas encombrée.
27:13 Il y a quelque chose de tragique là-dedans parce qu'on sait que ça ne va pas durer,
27:18 la socialisation fait que ça ne peut pas durer, mais sur le plan romanesque c'est
27:23 un moment merveilleux à observer.
27:24 Il y a un passage Camille, "Froide Vométrie", dans votre livre que j'ai trouvé très émouvant
27:28 lorsque vous racontez la grossesse et l'accouchement de votre fils, accouchement difficile, et
27:35 vous évoquez, je ne l'avais jamais lu, de cette manière-là, la manière dont cet
27:40 enfant vous a protégé.
27:41 Oui, c'est un magnifique mécanisme que j'ai compris quand je suis allée chercher
27:49 quelques explications au tourment que j'ai vécu dans la continuité de cet accouchement
27:53 très difficile et cette phase, dont une enquête récente a montré qu'elle concerne presque
27:58 une femme sur six de dépression du postpartum.
28:01 Les nourrissons dont les mamans ne vont pas bien, qui n'arrivent pas à établir le
28:05 lien, soit pour des raisons de maladie, comme c'était mon cas, ou de difficulté à établir
28:09 ce fameux lien, développent des stratégies pour aller chercher leur mère et pour aller
28:14 créer ce lien qu'elles ne parviennent pas à tisser, en développant notamment des toutes
28:18 petites pathologies qui ne sont pas bien graves, mais qui causent bien du souci et
28:21 qui permettent aux mères ou aux parents, de façon générale, de se tourner vers l'enfant.
28:27 Et donc, il y a eu un moment, moi dans mon propre parcours de maternité, où c'est
28:32 mon enfant qui s'est d'abord occupé de moi avant que je sois moi en capacité de
28:35 m'occuper de lui.
28:36 Et donc, une manière d'avoir un lien à la fois fort et extrêmement protecteur, dans
28:44 un sens inverse à celui auquel on s'attendrait.
28:46 Oui, c'est-à-dire que son souci, c'était que j'aille mieux.
28:51 Et donc, il a fait en sorte que ça devienne possible parce qu'il y a cette… Vous
28:56 parliez de l'intuition des enfants, je pense qu'elle est immense, elle est très puissante
29:01 aussi, dès les premières heures de la vie.
29:04 Et l'intuition que quelque chose n'allait pas bien et qu'il fallait d'une certaine
29:06 façon le réparer, elle s'est manifestée de façon absolument merveilleuse.
29:10 Bon, alors Maria Pourchet, il y a ce couple unique entre la mère et l'enfant.
29:14 Hélas, celui-ci est brisé par la présence d'un type véritablement déplorable qui
29:20 est le père, en l'occurrence, que vous appelez l'élu.
29:23 Et l'élu n'a véritablement pas le beau rôle, puisque le portrait que vous en faites
29:28 est plutôt…
29:29 - C'est-à-dire que celui que la narratrice appelle l'élu, c'est le père de l'enfant,
29:32 précisément.
29:33 - Le père de l'enfant.
29:34 Et donc, vous le traitez de gentil fils de pute, par exemple, qui est une manière de
29:43 dire à quel point vous tenez en basse estime le père.
29:46 Quelle est la place qu'il peut avoir dans ce monde-là et dans cette représentation-là
29:52 des choses ?
29:53 - Ouh là, c'est très programmatique, ça, comme question.
29:56 Je ne peux vraiment partir qu'à partir de mon récit.
30:00 - Oui, à travers de Western.
30:01 - Quand elle parle de l'élu, elle parle de son passé immédiat, de son passé conjugal.
30:06 Ce dont elle parle, c'est d'une absence.
30:09 C'est une figure d'homme qu'on la concevrait presque comme appartenant au XIXe siècle,
30:16 où l'homme est extérieur, il procède à l'extérieur, à sa vie, à lui, à sa
30:21 croissance, à lui, à sa propre croissance.
30:23 - Il n'est pas tellement XIXe siècle, parce que l'élu pense qu'on attend de lui le
30:28 talent d'un seul homme en termes d'écoute, de cunnilingus et de travaux pénibles.
30:32 - Oui, ça ne me paraît pas très développé.
30:35 - XIXe siècle, cunnilingus, je ne suis pas sûr.
30:38 - En tout cas, elle, telle qu'elle le décrit, c'est un homme qui s'intéresse, en dehors
30:51 de ça, à sa propre croissance sociale, personnelle.
30:54 Elle se rend compte, au bout de quelques années d'efforts conjugaux, que la sienne a complètement
31:00 été oubliée.
31:01 Ses ressources, son corps, sa patience, sa nervosité, ses émotions, peut-être même
31:10 ses ressources matérielles, ont été mises, sous prétexte d'être mises au service d'un
31:14 foyer, ont été mises au service de la croissance de cet homme.
31:17 C'est son temps à lui que ça a libéré, c'est ses forces à lui que ça a libéré,
31:21 c'est ses ressources à lui que ça a permis de potentialiser, et pas les siennes.
31:24 Alors ça, ce n'est pas mon expérience, c'est celle que je donne à mon héroïne
31:27 pour expliquer sa démarche.
31:30 Mais quand je disais qu'on peut concevoir ça au XIXe siècle, c'est un peu les hommes
31:35 chez maux passants.
31:36 - C'est un peu les hommes dans le système patriarcal depuis à peu près toujours, c'est-à-dire
31:39 des hommes notamment dont on ne considère pas que la paternité soit quelque chose de
31:44 l'ordre de la relation aux enfants.
31:46 - Attendez, parce que moi je ne suis pas du tout d'accord avec toutes les deux.
31:48 Quand on parle de cunnilingus, ça veut dire qu'il y a au moins un souci du plaisir de
31:52 la femme.
31:53 Jamais chez maux passants, jamais chez maux passants, les hommes ne se soucient du plaisir
31:56 de la femme.
31:57 - Ce n'est pas tant la question du plaisir.
31:59 - On a fait un lien un peu arbitraire avec maux passants.
32:01 - J'ai vu que maux passants était une référence qui comptait chez vous, Maria Pourcher, vous
32:06 l'avez reprise.
32:07 - Très très longtemps, les pères ne se sont pas occupés de leurs enfants et encore
32:10 moins de leurs filles.
32:11 Dans mon roman Pleine et douce, justement, je travaillais la question de la possibilité
32:14 de ce qu'on pourrait appeler une paternité intime, c'est-à-dire que les pères d'aujourd'hui
32:18 sont peut-être de façon tout à fait inédite en capacité d'être dans une relation à
32:22 leurs propres enfants qui soit vraiment en rupture avec ce type de paternité distante.
32:26 Et ça c'est quelque chose d'inédit.
32:27 - Et par ailleurs, dans mon roman, je ne parle absolument pas de l'expérience de la paternité
32:31 du père de l'enfant puisque la narratrice dit qu'elle s'est barrée avec un enfant de
32:35 deux mois.
32:36 Donc quelque part, la violence faite au foyer, la violence faite à la paternité, c'était
32:40 aussi elle qui l'a fait, elle la revendique.
32:42 Je ne suis pas… C'est quelques pages où elle parle de son passé conjugal.
32:47 Mais finalement, on peut tout à fait aussi lire ça comme une… C'est elle qui abandonne,
32:53 pour des tas de raisons, c'est elle qui abandonne la parentalité classique.
32:59 - Et puis il y a effectivement l'autre histoire, Maria Pourched, en western.
33:04 L'autre histoire, c'est celle d'Alexis, donc cet acteur qui prend la fuite.
33:07 Et là, c'est une interrogation sur ce qu'on appellerait aujourd'hui la masculinité toxique.
33:12 - Alors, je n'emploie pas le mot toxique.
33:16 - C'est moi qui l'appelle.
33:19 - Ça vient en tout cas d'une…
33:21 - Mais je ne voulais pas qualifier les choses à votre place.
33:24 - Non, justement, j'essaye moi-même de ne pas avoir des qualifications abusives et
33:30 des positions trop tranchées sur un phénomène en train de se faire, en train d'être observé,
33:35 sur lequel il était urgent justement de suspendre le jugement, de prendre encore le temps.
33:40 Et la fiction permet ce temps-là.
33:41 - Alors, ce que l'on peut dire, c'est que…
33:43 - Donc, quand on me renvoie à des distinctions très polarisées comme ça, je suis toujours
33:48 un peu figée, mais c'est très bien.
33:50 - Non, ce que l'on peut dire, c'est que ça n'est pas un criminel au sens trivial du terme.
33:54 - Ce n'est pas un criminel à l'heure pénale, c'est un donjon.
33:56 Ça veut dire que son crime, c'est d'avoir mal aimé ces donjons.
33:59 C'est-à-dire, c'est la brute, séductrice, prédative, qui subordonne toute sa vie au
34:06 plaisir et à sa répétition, à la possibilité de sa répétition.
34:09 Et qui, dont la principale arme est le verbe, est la parole.
34:13 C'est-à-dire qu'il établit avec ses proies un rapport sédatif, un rapport d'hypnose
34:19 amoureuse presque.
34:20 Et une fois qu'il a fait ça, il abandonne, il abandonne cet un donjon et il passe à
34:24 autre chose.
34:25 Sauf que le donjon, là, on le prend, alors que c'était une figure abusivement sympathique
34:29 jusque-là, on le prend à un moment de l'histoire culturelle où il est heureusement devenu
34:35 détestable.
34:36 Plus personne ne veut se regarder dans cette figure-là.
34:38 C'est pour ça qu'on le trouve au début du roman dans un western.
34:42 C'est-à-dire quelqu'un qui a fait rupture avec l'ordre établi, suite à une logique
34:44 de bannissement.
34:45 Et qu'est-ce qu'il va devenir ? Est-ce qu'une femme comme Horreur peut encore l'aimer ?
34:49 - Il faut dire aussi que vous avez une vision très idiosyncrasique du western.
34:52 C'est-à-dire que pour vous, le western incarne des histoires de femmes fortes.
34:57 - Disons que j'ai été très sensible enfant, dans mon paysage mental, dans le référentiel
35:03 de western que je mobilise.
35:05 Oui, il y a des très beaux rôles de femmes qui étaient, paradoxalement pour un genre
35:11 dit macho, qui étaient dans mon enfance des fenêtres ouvertes sur ce que peut être une
35:16 femme puissante.
35:17 Parce que quand les femmes étaient à l'ouest, elles étaient seules.
35:19 Elles avaient échappé à ce que la société réservait à leur genre.
35:23 Elles avaient des chevaux, des bêtes, elles avaient un fusil, elles savaient s'en servir.
35:26 Elles savaient désarmer les hommes.
35:27 Et ça, ça me donnait beaucoup d'espoir.
35:29 Je me souviens.
35:30 - Maria Pourchet, western, c'est aux éditions Stock.
35:34 Camille, froide vomettrie, un si gros ventre, expérience vécue du corps enceint.
35:37 C'est également aux éditions Stock.
35:39 On m'a déjà piqué plusieurs fois ces deux livres.
35:42 8h44 sur France Culture, le point sur l'actualité dans quelques secondes.

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