[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Nous sommes en janvier 1950. Ce jeudi-là, Monsieur Etienne sort de chez lui, l’air un peu ennuyé. Cet homme de 45 ans se rend en bus jusque dans une menuiserie à l’enseigne délabrée. Monsieur Etienne est un homme discret, il vient récemment d’emménager dans son logement, avec sa fille et quelques valises et de maigres achats tout au plus pour seules affaires. Mais Monsieur Etienne n’est pas un homme sans passé. Il y a peu encore, il habitait avec sa fille, et sa femme, dans un autre appartement. Sa femme n'est plus là… Les journaux en ont parlé un peu à l’époque, avant de passer à autre chose. Les autorités, elles, n’ont rien dit quand Monsieur Etienne a déménagé. Mais l’affaire n’est pas close pour autant, a prévenu le juge d’instruction en charge de l’affaire. Est-il un suspect potentiel aux yeux des enquêteurs ? Trois mois après la mort de sa femme, Monsieur Etienne veut en tout cas tourner la page, il cherche d’ailleurs un nouvel emploi. Mais il donne l’impression d’hésiter dans chaque décision. D’où vient cette attitude ? Pourquoi a-t-il réagi d’ailleurs si étrangement quand il a découvert le corps de sa femme étranglée sur leur lit. Et pourquoi est-il resté si calme face aux enquêteurs ? Ces derniers ont une certitude : elle s’est très peu débattue… Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast “Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare”, issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare
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00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 Monsieur Étienne sort de chez lui un journal sous le bras.
00:14 Il a l'air seul. Aujourd'hui c'est jeudi et sa petite fille ne va pas à l'école.
00:20 Aujourd'hui c'est un jour de janvier 1950, il fait très froid.
00:24 Monsieur Étienne a enroulé un cachenet autour de son cou, relevé le col de son pas dessus
00:29 et debout sous le porche de l'immeuble, il observe un moment la pluie, agacée.
00:35 Il est ternu. Au bout d'une minute environ, il se décide, enfonce son chapeau sur sa tête et traverse la rue.
00:41 J'allais dire en courant, mais on ne peut pas appeler cela courir.
00:45 C'est une succession de petits bons pressés qui l'amènent sur le trottoir d'en face à l'arrêt d'un autobus qui arrive.
00:52 Monsieur Étienne monte et s'assoit tout au fond, là où il y a le plus de place vide.
00:59 Il a l'air ennuyé.
01:01 Manifestement, il a horreur de la pluie et s'emploie à nettoyer ses lunettes, à secouer son journal
01:06 qui l'ouvre enfin à la page des offres d'emploi.
01:10 Donc Monsieur Étienne cherche un emploi.
01:13 Au bout de deux arrêts, il se lève tout à coup comme un ressort, il va descendre à la prochaine.
01:17 Non, il consulte l'itinéraire de l'autobus avec beaucoup d'attention, puis va se rasseoir.
01:23 Il a refermé son journal et regarde, par la vitre embuée, défiler les trottoirs.
01:30 On voit très bien ses yeux derrière ses lunettes, des yeux verts, d'un drôle de vert un peu pâle
01:36 qui lui donne un regard de poisson assez gênant.
01:39 Son teint est pâle et ses cheveux très noirs, avec juste un peu de gris sur les oreilles.
01:45 Finalement, il a une drôle de tête, ni beau ni laid, mais curieux, ni lard ni cochon, sans âge.
01:53 En fait, il a 45 ans.
01:55 Maintenant, Monsieur Étienne se lève.
01:57 Il s'apprête à descendre, mais attend soigneusement que les autres passagers aient évacué le couloir au maximum.
02:02 Il donne toujours l'impression de ne vouloir en aucun cas frôler quelqu'un.
02:08 Sur la petite place où il est descendu, il cherche à s'orienter un instant,
02:11 semble trouver sa direction et marche à pas, menu, en s'abritant le plus possible du côté des stores de magasins.
02:19 Au bout de cinq minutes, il s'immobilise devant une porte d'immeuble pas très reluisant et y pénètre.
02:26 Il tourne à gauche dans la cour et s'arrête devant une enseigne, délabrée, menuiserie, travaux à façon.
02:34 Il entre et disparaît dans l'ombre de la boutique.
02:38 La cour sent le bois mouillé.
02:42 Vous venez de vivre environ 30 minutes de la vie de Monsieur Étienne, de très près, comme si vous marchiez à côté de lui.
02:51 En observant bien, vous auriez même pu apercevoir le petit morceau de sparadrap qu'il a sous le menton.
02:57 Il a dû se couper en se rasant.
03:00 C'est rare de pouvoir examiner d'aussi près un personnage des Dossiers Extraordinaires.
03:04 D'aussi près qu'on a l'impression de le suivre.
03:08 Qui dit que ce n'est pas le cas.
03:30 Si vous demandiez à la concierge de Monsieur Étienne des renseignements sur lui, elle serait bien en peine de vous en donner.
03:36 C'est un nouveau, il est arrivé il y a quinze jours avec deux valises de vêtements et en taxi.
03:41 Son emménagement s'est arrêté là, il occupe un troisième étage sans ascenseur, un petit deux pièces cuisine meublées avec vue sur la cour.
03:48 Le jour de son arrivée, il était seul et le lendemain, il ramenait avec lui une petite fille de dix ans, un peu maigre mais gentille, et deux valises supplémentaires.
03:56 Certainement les affaires de la petite.
03:58 Mirna, un drôle de prénom.
04:01 C'est tout ce que sait la concierge.
04:03 Mais nous, nous pouvons en savoir davantage.
04:06 Nous savons qu'il a acheté du linge, des ustensiles de vaisselle, des produits de bazar, une lampe, un chauffage électrique, des couvertures, etc.
04:13 Monsieur Étienne est un homme qui s'installe dans un nouveau domicile et visiblement, il n'a rien amené de l'ancien avec lui.
04:21 Un homme sans meubles et sans passé.
04:25 Tous les matins, à la même heure, il descend en même temps que sa fille.
04:28 Il attend l'autobus avec elle, la fait monter, mais ne l'accompagne pas.
04:31 Il ne l'embrasse pas non plus.
04:33 Elle part seule pour l'école et mange à la cantine.
04:37 Monsieur Étienne est donc libre toute la journée.
04:39 Depuis quinze jours, dès le départ de l'autobus, il entre dans un bistro voisin, boit un café au comptoir en lisant les offres d'emploi.
04:46 Aujourd'hui, il a pris le premier autobus pour se rendre dans cet atelier de menuiserie.
04:51 C'est donc qu'il a trouvé du travail.
04:53 Pour savoir si on l'a embauché, il suffit d'attendre le lendemain et de vérifier s'il se rend à la même adresse.
04:59 Voyons maintenant pourquoi M. Étienne vit en cette journée de 1950, à l'intérieur d'un dossier extraordinaire,
05:05 et pourquoi nous connaissons avec autant de certitude les moindres détails de sa vie.
05:10 Le personnage, tout d'abord.
05:12 Cet homme qui a l'air sans passé pour sa concierge n'en manque pas.
05:16 C'est un homme qui n'a pas vécu jusqu'à 45 ans sans laisser de traces.
05:21 Depuis 15 jours, M. Étienne habitait un autre appartement avec sa fille, et plus loin encore, il y a 3 mois.
05:26 Il habitait ce même appartement avec sa fille et sa femme depuis 12 ans.
05:31 Or, il est seul maintenant avec Myrda.
05:33 Oh, les journaux en ont parlé un peu à l'époque.
05:36 Oh, jamais plus grand qu'un fait divers.
05:39 Encore, n'ont-ils pas dit grand-chose.
05:41 Maintenant, on n'en parle plus nulle part.
05:44 Même la police a fini d'accumuler ses paperasseries, et depuis 15 jours, M. Étienne a obtenu l'autorisation de partir de chez lui,
05:50 de s'éloigner comme il le voulait.
05:52 Jusque-là, on lui avait conseillé de ne pas bouger.
05:55 Oh, il ne désirait pas tellement aller loin, d'ailleurs.
05:58 Ce n'est pas le genre d'homme à quitter un pays pour fuir un passé dramatique, comme on dit.
06:02 C'est trop compliqué. Un changement de quartier lui a suffi.
06:05 Tout ce qu'il voulait, c'était changer de maison.
06:08 La vue de ce petit intérieur douillé, de ses meubles, de tous ses objets familiers, lui était insupportable.
06:14 On le comprend.
06:16 Dormir dans cette chambre, en particulier sur ce lit, où elle avait dormi si longtemps, était à la limite de ses forces.
06:25 Mais tant que la police avait besoin de lui, il avait des scrupules à partir.
06:30 Son dernier entretien avec le juge d'instruction l'avait soulagé.
06:35 L'enquête piétine, M. Étienne, dans ce genre d'affaires.
06:39 Il se passe parfois plusieurs mois, parfois plusieurs années, avant que l'on mette la main sur le coupable.
06:44 Le juge avait ajouté « Je vous rends votre liberté. D'ailleurs, je l'ai à peine prise, tout compte fait. J'espère que vous oublierez tout cela. »
06:53 M. Étienne avait dit que oui, qu'il s'efforcerait d'oublier.
06:58 « Votre petite-fille va bien ? »
07:01 M. Étienne avait apprécié cette sollicitude et affirmé que Myrna, Dieu merci, ne connaissait pas les détails.
07:07 Il comptait la reprendre avec lui. Le séjour chez sa grand-mère s'était révélé une bonne solution.
07:11 Il ne voulait pas que l'enfant soit trop longtemps privé de ses habitudes.
07:14 Puis, il s'était hasardé à poser une question, lui qui n'en posait jamais, attendant toujours qu'on lui adresse la parole.
07:22 « Est-ce que vous classez le dossier, M. le juge ? »
07:29 « Bien entendu, non. Chez nous, un dossier n'est jamais vraiment classé. Non, non, mais vous êtes libre. »
07:37 M. Étienne avait alors tenté un sourire.
07:41 « Vous me soupçonnez encore ? »
07:45 Le juge cette fois avait changé de ton. La réponse était plus sèche, probablement plus sincère que la courtoisie qu'il affichait.
07:54 « Soupçonner est un métier, monsieur. Il se trouve que c'est le mien. »
07:59 « Cela dit, je n'ai aucun motif en ce qui vous concerne. »
08:02 « Si j'ai cru devoir vous faire subir la prison, c'était à l'époque des faits une chose logique. L'enquête vous avait mise en cause. »
08:08 « Mon devoir était d'éclaircir certains points. »
08:12 Cette fois, M. Étienne avait hoché la tête sans insister.
08:15 Il avait même jugé inopportun de demander si les objets saisis à son domicile par les enquêteurs lui seraient rendus.
08:20 Pourtant, il avait dû longtemps se demander si cette question devait être ou non posée,
08:25 au nom qu'il tienne à récupérer ses choses, bien au contraire,
08:28 mais il devait être difficile pour lui d'ajuster son comportement à ce genre de situation.
08:33 Or, en toute chose, M. Étienne pensait qu'il était essentiel d'ajuster son comportement à la situation.
08:41 Il l'avait fait pendant la guerre, en entendant la résistance.
08:45 Il le faisait quotidiennement, prenant des précautions pour sa santé.
08:48 Une vieille tuberculose guérie, mais toujours menaçante,
08:51 l'avait peu à peu transformée en une sorte de chat fourré,
08:54 craignant l'humidité, les courants d'air et l'hiver en général.
08:58 En ce moment particulièrement, il semble ne pas goûter ses allées et venues dans le froid pour chercher du travail.
09:03 La chose est cependant urgente.
09:05 Depuis la mort de sa femme, M. Étienne a préféré quitter son emploi d'ouvrier menuisier
09:09 en l'y regardant d'un peu trop près.
09:12 Voilà M. Étienne.
09:14 [Musique]
09:24 M. Étienne sort de l'atelier où il est entré pour chercher un emploi.
09:28 Son visage ne traduit rien de précis, mais sur le trottoir, il jette son journal dans une corbeille à papier
09:33 et repart en sens inverse jusqu'à l'arrêt de l'autobus.
09:36 Ce faisant, il observe la rue et les passants autour de lui avec une grande attention,
09:41 comme s'ils cherchaient quelqu'un.
09:44 Peut-être ne se sent-il pas à l'aise.
09:49 Ce serait normal pour un homme qui vient de vivre trois mois comme cela.
09:55 C'était le 8 octobre 1950.
09:59 Il était dix heures du soir.
10:02 M. Étienne frappe contre la porte de l'ascenseur qui ne vient pas,
10:05 puis descend l'escalier en courant. Il est affolé.
10:07 Le patron de la brasserie du coin le voit entrer, blanc comme un linge, et demande
10:10 "Ça ne va pas, monsieur ? S'il vous plaît, il faut que j'appelle la police au téléphone, s'il vous plaît.
10:14 Vous avez des ennuis, monsieur ? On a étranglé ma femme. Elle est là-haut."
10:19 Dans le silence qui se fait autour de lui, M. Étienne prend le téléphone,
10:21 mais il ne sait pas quel numéro faire et quelqu'un se propose pour l'aider.
10:24 Il remercie. Peu à peu, les gens s'affolent autour de lui.
10:27 On lui offre un verre de rhum, puis de l'accompagner chez lui. Il refuse.
10:31 Lorsque le quart de police arrive, il est sur le trottoir, grelottant de froid,
10:35 et guide sans un mot les policiers en indiquant l'immeuble.
10:39 La porte de l'appartement est restée ouverte.
10:42 M. Étienne désigne du doigt la chambre.
10:47 Sa femme est allongée sur le lit des fées en peignoir.
10:52 Il semble qu'elle se soit débattue très peu.
10:55 Un élastique blanc est serré autour de son cou, un gros élastique,
10:59 du genre de ceux que l'on glisse à l'intérieur des ceintures.
11:03 Sur le tapis, une boîte à couture sur pied, en tapisserie bleue est renversée,
11:08 tout son contenu est pas.
11:11 On dirait que l'assassin a surpris la femme en train de coudre,
11:14 et s'est servi de ce qui lui tombait sous la main pour l'étrangler.
11:18 D'ailleurs, l'examen d'un travail entrepris sur un tailleur, et notamment à la ceinture de la jupe,
11:22 indique que la victime était certainement en plein raccommodage au moment de l'agression.
11:28 Une bonne partie de la nuit, les policiers s'affairent, photos, empreintes,
11:32 question à n'en plus finir.
11:34 À trois heures du matin, M. Etienne raconte sa vie, sa journée et sa soirée
11:38 à un inspecteur de police bougon et aussi fatigué que lui.
11:41 Oh, c'est simple pourtant.
11:43 M. Etienne ne devrait pas avoir à le répéter plusieurs fois et dans tous les sens.
11:47 Il rentre chez lui à dix heures du soir, il fait des heures supplémentaires à son atelier.
11:51 Il découvre sa femme sur le lit et appelle la police de la brasserie du rond-point.
11:55 Sa femme, quarante ans, infirmière, ne travaillait pas ce jour-là,
11:59 elle restait à la maison comme d'habitude dans ces cas-là.
12:01 Sa petite-fille a eu une mauvaise grippe, elle est actuellement chez sa grand-mère
12:05 et liée depuis deux jours.
12:06 M. Etienne craint la contagion.
12:08 Il n'en sait pas plus.
12:10 Il ne sait pas si sa femme avait un amant, ni si elle avait reçu des menaces.
12:15 Il n'a rien remarqué de suspect ces derniers temps.
12:18 Ils sont mariés depuis douze ans, elle n'a pas de famille.
12:21 Tout le monde est mort sous les bombardements.
12:23 Mais ils s'entendaient bien.
12:25 Ils ne se sont pas disputés récemment, ni la veille, ni aujourd'hui.
12:29 Il n'a pas de testament à sa connaissance, pas d'assurance-vie non plus.
12:33 D'ailleurs, ils ne sont pas riches, rien que leurs deux salaires.
12:37 M. Etienne ne sait rien de plus, rien d'autre.
12:40 Son calme triste agace le policier.
12:45 M. Etienne le sidère en affirmant
12:47 « Je ne suis pas calme, monsieur, je m'efforce de l'être.
12:50 On doit toujours s'efforcer d'être calme. Ce n'est pas votre avis ? »
12:56 Le lendemain, M. Etienne parle de son alibi puisqu'on le lui demande.
13:00 Il a travaillé toute la journée et jusqu'à dix heures dans l'atelier
13:03 où il est employé depuis dix ans maintenant.
13:05 Son patron pourra le confirmer.
13:07 C'est le seul témoin, car il n'y a pas d'autres ouvriers, mais il confirme.
13:11 Son trajet en métro est reconstitué, soigneusement minuté.
13:15 Il n'y a rien à dire.
13:17 De toute façon, l'heure de la mort se situe aux environs de 19 heures
13:20 et à cette heure-là, M. Etienne travaillait.
13:23 Le juge l'inculpe cependant car ses emprunts sont retrouvés
13:26 sur les montants métalliques de la boîte de couture
13:29 et sur un médaillon d'or que sa femme portait au cou.
13:32 M. Etienne se contente de répondre qu'il a souvent manipulé le petit meuble
13:35 car sa femme le laissait toujours traîner au milieu de la chambre.
13:38 Quant au médaillon, il pense l'avoir touché en se penchant sur elle.
13:42 Mais le juge inculpe quand même.
13:45 Il espère pouvoir démontrer que l'assassin connaissait d'avance
13:48 l'emploi du temps de la victime et notamment qu'elle ferait de la couture.
13:52 Cet élastique lui paraît convenir tout à fait à un mari étrangleur
13:56 et pas d'empreinte possible sur une matière pareille.
13:59 En tout cas, pas utilisable.
14:01 Au bout du délai légal...
14:04 Bien, on relâche M. Etienne.
14:07 Le juge n'a rien trouvé d'autre.
14:09 Il le convoque de temps en temps.
14:11 Mais il semble avoir pas mal de travail, ce juge.
14:14 On lui propose d'examiner l'emploi du temps d'un sadique
14:16 qui avouerait n'importe quoi pour qu'on s'occupe de lui.
14:18 La piste est sans espoir mais on ne sait jamais.
14:21 Enfin, M. Etienne peut partir.
14:23 Il est veuf et innocent.
14:26 Voilà le drame affreux qui a frappé cet homme en plein bonheur.
14:31 Maintenant, vous savez presque tout.
14:34 Et M. Etienne est à nouveau dans l'autobus en direction de son nouveau domicile.
14:39 Il continue à regarder autour de lui.
14:42 Il a toujours l'air ennuyé.
14:43 Il se mouche à plusieurs reprises et sort de sa poche une petite boîte de réglisses.
14:49 En descendant de l'autobus, il se dirige vers une épicerie et en ressort,
14:52 une dizaine de minutes après, chargé d'un sac de victuailles.
14:55 À la boulangerie, il achète une baguette de pain,
14:58 puis il se hâte de regagner son immeuble traversant la rue par petits bons,
15:01 comme une sauterelle mouillée.
15:03 Il disparaît.
15:05 Cinq minutes plus tard, il est à nouveau en bas,
15:07 refait son petit manège pour traverser la rue,
15:10 et entre sans hésiter dans le bistrot.
15:12 Sans hésiter, il s'approche d'une table.
15:14 Surpris, l'homme qui s'y trouvait installé se lève précipitamment
15:18 mais il n'a pas le temps de se dégager.
15:20 M. Etienne s'adresse à lui à voix basse.
15:22 — Je ne vous connais pas, monsieur, mais je vous vois là tous les jours depuis deux semaines.
15:27 Vous me surveillez, n'est-ce pas ?
15:30 L'homme regarde autour de lui, gêné, et d'une voix tout aussi basse.
15:34 — Mais moi non plus, je ne vous connais pas.
15:37 Vous devez vous tromper.
15:39 M. Etienne regarde l'homme un moment, puis ajoute.
15:43 — Vous ne me suivez pas ?
15:46 Il parle si bas qu'il a l'air inquiétant avec ses yeux pâles et son visage hélacé.
15:49 Il répète.
15:50 — Vous ne me suivez pas ?
15:52 — Mais absolument pas, monsieur.
15:55 Vous me prenez pour quelqu'un d'autre, mais je ne sais pas qui vous êtes.
15:58 — Excusez-moi.
16:00 M. Etienne rentre chez lui sans se retourner.
16:05 Le lendemain, il se rend à son travail.
16:09 Sa vie est d'une régularité exemplaire.
16:13 Tous les matins, il prend l'autobus avec sa fille, qui descend avant lui pour se rendre à l'école.
16:17 À midi, il mange une omelette dans un café près de l'atelier.
16:20 Il rentre vers 6 heures, fait les courses et certainement la cuisine, car il ne ressort pas.
16:24 Le jeudi, la petite Myrna va chez sa grand-mère toute seule.
16:27 Et le dimanche, s'il ne pleut pas, ils vont se promener ensemble, jamais plus d'une heure.
16:32 Et les jours passent.
16:35 Deux, trois, quatre.
16:37 Quatre.
16:40 C'est le quatrième jour que M. Etienne a remarqué qu'un autre prend le même autobus que lui, à la place de l'autre homme.
16:48 Cinq, six, sept.
16:51 Il en arrive un autre.
16:54 Il semble que tous les trois jours, il se remplace.
16:58 M. Etienne s'en rend compte.
17:00 Et en un mois, il en compte quatre.
17:02 Quatre qui se relaient tous les trois jours.
17:05 Mais il ne revoit pas le premier.
17:09 6 février 1950, M. Etienne se rend chez sa mère et lui confie la petite Myrna.
17:14 Il a, dit-il, un petit voyage à faire.
17:17 Il laisse aussi les clés de son appartement au cas où la petite aurait besoin de quelque chose et un peu d'argent.
17:24 Toujours en autobus, son cache-nez bien serré autour de son cou,
17:28 il fait un long trajet et une petite serviette noire sur les genoux, apparemment bourrée.
17:34 Il a demandé à voir le juge d'instruction.
17:38 Il s'est assis après avoir patienté un quart d'heure en silence et il a dit.
17:43 « C'est moi. »
17:46 L'interrogatoire n'a pas été difficile cette fois-là.
17:51 Entre 18 heures et 19 heures 15,
17:56 M. Etienne avait laissé tourner la machine sur laquelle il travaillait.
18:01 Son patron, un homme âgé, sommeillé comme tous les jours à cette heure-là,
18:05 dans un petit cagibi au fond de l'atelier, l'alcool l'aidait toujours à sommeiller.
18:10 Quand M. Etienne est revenu, le vieux dormait toujours et la machine tournait toujours.
18:15 En ce qui concerne le mobile, M. Etienne est extrêmement circonspect.
18:19 Il se contente de révéler que sa femme ne voulait pas se soumettre à certaines fantaisies,
18:24 ce qui l'obligeait souvent à d'autres recours dont il désapprouve la vulgarité.
18:29 Il veut bien dire également pourquoi il n'a pas avoué immédiatement.
18:34 « J'avais soigneusement préparé tout cela. C'était une vengeance que j'espérais depuis longtemps.
18:39 Ma femme parlait toujours trop fort et se prenait pour quelqu'un.
18:43 Après la naissance de notre fille, elle s'est mise à jouer les grandes dames pudibondes. Je la détestais. »
18:49 On se demande comment un homme peut détester avec une telle douceur de voix.
18:54 « Mais je n'ai pas profité de sa mort comme je le pensais. »
18:58 « Comment cela, profiter ? »
19:02 « Elle est morte trop vite. Elle ne s'est presque pas défendue. »
19:07 « C'était extrêmement décevant. »
19:12 « Je n'ai pas eu le temps de lui prouver que j'étais le plus fort, que j'avais raison, que c'était moi le maître. »
19:18 « Même après, cela n'a pas été satisfaisant. »
19:23 « Je n'arrivais pas à reconstituer la scène dans mon esprit. »
19:26 « Ça s'est passé trop vite. »
19:30 Et puis M. Etienne a posé sa question.
19:33 « M. le juge, depuis la dernière fois, vous m'avez fait suivre, n'est-ce pas ? »
19:43 M. le juge a répondu.
19:48 « Non, M. Etienne, je n'ai pas les moyens de faire suivre tout le monde. »
19:56 « Mais alors ? »
19:58 « C'est votre mère, M. Etienne. »
20:01 « Elle a utilisé les services d'une agence privée. »
20:05 « Elle m'en avait informé. »
20:08 « Ça lui a coûté très cher. »
20:12 M. Etienne a fait « Ah ! »
20:17 Et puis il n'a plus rien dit.
20:24 Une semaine avant son procès, il s'est pendu dans sa cellule.
20:28 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:32 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:36 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:40 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:44 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:48 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:52 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:56 Le jour où M. Etienne a été décédé.
20:59 Le jour où M. Etienne a été décédé.
21:03 Le jour où M. Etienne a été décédé.
21:07 Le jour où M. Etienne a été décédé.
21:11 Le jour où M. Etienne a été décédé.
21:15 Le jour où M. Etienne a été décédé.
21:19 Le jour où M. Etienne a été décédé.