• il y a 10 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] 
Une nuit, Vicenza et Pino déambulent dans les rues de la commune de Poisat, près de Grenoble. Ce 19 mars 1958, l’un d’entre eux va mourir. Pourtant, il y a encore quelques mois, le couple s’aimait passionnément... Leur histoire commence dans leur village de Sicile à la fin des années 1930. Enfants, les deux amis issus de villages voisins, se connaissent bien. Puis, Pino rejoint sa sœur en France, à Grenoble, pour y travailler. C’est l’occasion pour lui d’échapper à la pauvreté. Mais lorsqu’il retourne au village, il recroise la belle Vicenza. La jeune fille a bien changé et très vite, les deux Siciliens tombent amoureux. Le père de Vicenza promet alors une dot à la belle-famille pour sceller cette union. En réalité, il est criblé de dettes et ne peut honorer sa promesse. Le mariage est alors rompu. Vincenza est désespérée. D'autant que Pino, entre-temps, est reparti travailler en France. Elle décide alors de le rejoindre mais son amoureux a bien changé : il est devenu sensible au charme des Françaises... Très vite, la jeune femme tombe enceinte et Pino qui s’était mis à rêver d’une autre vie, est coincé. Quand Vicenza comprend qu’il ne l’épousera pas et qu’elle est déshonorée, elle ne voit d’autre solution que de l’éliminer. De son côté, Pino ne peut plus supporter les conflits avec Vicenza. Cette nuit du 19 mars 1958, la rage monte en lui, il veut en finir avec elle. Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 Pour l'honneur, combien d'actes de fous insensés ont été commis par nos ancêtres pour l'honneur.
00:18 Je dis par nos ancêtres car il semble que ce fameux honneur soit de moins en moins à l'ordre
00:24 du jour par les temps qui courent. Toujours est-il que le dossier d'aujourd'hui s'ouvre chez nous
00:29 en France, il n'y a pas si longtemps. Mais il n'est en France si l'on peut dire que, géographiquement,
00:37 par l'esprit, il se passe ailleurs, au milieu de gens pour qui l'honneur est encore une chose
00:42 vivante. Mais comme tous ceux qui y vivent, il porte avec lui ses contraintes et ses malheurs,
00:49 ainsi que le prouve cette histoire. Pour l'honneur de Vicenza, tel est le titre que nous propose
00:56 Grégory Franck pour ce dossier extraordinaire.
01:16 0h45. Nous sommes le 19 mars 1958. Une route battue par un vent glacé, un vent qui semble attiser
01:27 un incendie. Cet incendie brûle dans le cœur de deux jeunes gens. Il n'y a pas si longtemps, cet
01:32 incendie était celui de l'amour, de l'amour fou, de l'amour qui brave les contraintes ancestrales
01:38 les plus sévères et les ondits qui savent faire tant de mal. Oui, il n'y a pas si longtemps, cet
01:45 incendie se nourrissait des flammes de l'amour et aujourd'hui, 19 mars 1958, c'est un feu, peut-être
01:51 encore plus brûlant, qui couvre dans le cœur des deux jeunes gens. C'est la haine. La haine farouche,
01:59 la haine que rien n'arrête, la haine qui tue. Pour l'instant, le garçon et la fille ne sont
02:08 que deux silhouettes fugitives sous une lune indifférente qui brille dans le ciel nettoyé par
02:13 le vent. Dans quelques instants, des instants qui ne se comptent même plus en minutes, l'une de ces
02:20 deux silhouettes va rouler sur les cailloux du chemin. L'un des deux, le jeune homme ou la jeune
02:27 fille, l'un des deux va mourir. Celui des deux qui a décidé la mort voudrait-il à cet instant arrêter
02:34 la machine que cela ne serait pas non plus en son pouvoir et que la terrible décision s'accomplirait
02:39 malgré tout. Ainsi en est-il lorsque la vendetta est en marche. Oui, c'est bien de Vendetta qu'il
02:48 s'agit. Elle s'appelle Vicenza Geraci. Il se nomme Giuseppe Tardanico. On l'appelle Giuseppino. Elle
02:59 l'a toujours appelé Pino. Pino. Réfléchis encore. La jeune femme s'est arrêtée brusquement. Elle
03:07 pose la main sur le bras de l'homme et lui tient la manche. Il ne la regarde même pas. La main fourrait
03:12 dans la poche de sa veste. Il se dégage d'un mouvement d'épaule et reprend la marche. Vicenza
03:18 le rattrape après quelques pas. Elle fixe avec ardeur ce profil qu'elle trouve toujours si beau
03:23 et qui lui oppose l'indifférence d'un mur. Elle parle en marchant à voix basse. Pino, pense à
03:33 l'enfant. Pense à l'enfant. Toujours le profil indifférent. Toujours les pas rapides qui ne laissent
03:43 aucun répit. Pino. J'ai prié. J'ai tellement prié la madone. Et maintenant? Fais attention, Pino.
03:53 Les mâchoires de l'homme se sont serrées et dans sa poche sa main saisit le manche en corne d'un
04:00 long couteau à cran d'arrêt. Les mâchoires sont tellement serrées que l'on pourrait entendre ses
04:05 dents grincer à chaque parole de la petite dame brune qui trotte à ses côtés. Giuseppino a
04:12 glissé l'ongle du pouce dans la petite rainure de la lame d'acier et dans la poche le grand couteau
04:20 commence à s'ouvrir. Cette entrevue, cette marche pressée côte à côte dans la nuit ne peut, ne doit
04:29 se terminer que dans le sang. Ainsi, on a décidé une loi implacable, une loi qui n'est écrite nulle
04:36 part, une loi aussi vieille que la mémoire des hommes dont elle règle la vie et la mort, une loi
04:43 de l'honneur. Et les deux silhouettes qui marchent pressés en pleine nuit ce 19 mars 1958, ces deux
04:51 silhouettes n'ont plus aucun moyen à cette minute d'échapper à la loi implacable, celui des deux
04:56 qui doit mourir se mettraient-ils à genoux ou s'enfuiraient-ils à l'autre bout du monde? Qu'ils
05:02 mourraient quand même. Oui, je vous l'ai dit, dans quelques secondes l'une des deux silhouettes va
05:09 franchir les portes noires de la mort cette nuit du 19 mars 1958 à 0h45. Pourtant nous ne sommes
05:22 pas en Sicile. Ce vent froid qui balaie la route à traverser les glaciers des Alpes, nous sommes
05:27 près de Poisa, rue Léon Jouau à trois kilomètres de Grenoble. Grenoble, oui, en France, Grenoble où
05:34 se joue le dernier acte de la vendetta. 15 mai 1934. Dans le petit village de Riesi, la famille
05:44 Tardanico salue de quelques bouteilles de vin la naissance de Giuseppino, un garçon de pluie. Le
05:51 10 septembre 1939, à Somatino, le village voisin, à peu près autant de bouteilles du même vin chez
05:57 les Geraci pour la venue au monde de Vicenza, une fille de plus. Entre les deux villages on s'est
06:03 battus et on se battra encore en se jurant une haine éternelle pour un bout de terrain pelé. Mais
06:10 entre les deux villages on se marie, garçons et filles sont tous plus ou moins cousins. Et puis
06:16 chaque jour les enfants issus de ces mariages se retrouvent ensemble à l'école de la liberté et
06:21 des grandes promenades dans les maquis. À l'école de la vie on n'y apprend pas tellement à lire et
06:25 à écrire mais quand on en sort on sait jouer des coudes, marcher pieds nus sur les cailloux,
06:30 trouver de l'eau où il n'y en a pas et se contenter d'une tranche de blé dur et quelquefois c'est la
06:34 fête d'un fromage de chèvre. Giuseppino, Giuseppino. La bande de gosses aux jambes fines tout en muscles
06:42 est en pleine escalade, petite silhouette agrippée à flanc de rocher comme des chamois. Giuseppino,
06:48 où es-tu? Oh, je suis là. Je vous rejoins. Le gamin est en bas de la porte, il agite le bras en
06:55 sortant de l'ombre. Où était-il encore fourré celui-là? Il causait, il causait avec la Vicenza,
07:02 la Vicenza Ghirachi. Vicenza et Pino sont fiancés, ils sont fiancés. Vicenza et Pino sont fiancés,
07:11 Vicenza et Pino. Le soleil de Sicile, les enfants des deux villages jouent à se fiancer, ils jouent à
07:19 la guerre, à la bataille comme tous les enfants du monde mais plus sérieusement peut-être que
07:23 chez nous. Ici on ne joue pas aux gendarmes et aux voleurs, personne ne voudrait être le gendarme.
07:28 Il y a des bandes, des clans mais chacun est fier et libre comme dans les histoires que l'on raconte
07:33 dans les familles. Des histoires où le fil conducteur est toujours l'honneur, le motif toujours la
07:39 vengeance et la fin toujours la mort. Et puis on grandit, la guerre passe mais ici on est déjà
07:47 tellement pauvre que même la guerre ne peut pas apporter les privations dont on souffre ailleurs.
07:52 On grandit et on oublie les fiançailles d'enfants dans le maquis, les belles histoires d'honneur et
07:57 de mort s'estompent et n'intéressent plus que les très vieux ou les très jeunes. On n'est plus
08:03 préoccupé que par une chose, le travail, le travail qu'il faut trouver et c'est déjà tout un travail.
08:09 Les plus âgés, ceux qui ont de la chance ou du courage s'en vont vers les pays riches, vers la
08:14 France. Antoinette, la soeur de Giuseppino a épousé l'aîné de la famille Sambito, le gars d'Amiano,
08:21 du village d'à côté. Giuseppino rêve quand arrivent les lettres d'Antoinette. Grenoble, Poisa,
08:28 le lieu d'îlés marais où habite sa soeur, tous ces noms étrangers lui font envie tout comme nous
08:32 font envie les noms des villages de Sicile. Chère famille, ici tout va de mieux en mieux,
08:37 nous avons acheté une radio, nous parlons bien français, nous avons retrouvé dans la région
08:41 beaucoup de compatriotes. Embrassez bien Giuseppino et dites-lui que nous regrettons bien de ne pas
08:46 l'avoir près de nous car avec son métier de maçon qu'il a appris, il pourrait facilement
08:51 trouver du travail lui aussi. Giuseppino, eh bien le voici qui débarque à Poisa avec sa
08:57 valise de carton, sans un sou en poche car il a tout dépensé pour le voyage mais avec deux mains
09:03 bien solides et toute l'énergie de la jeunesse. Sa soeur Antoinette est folle de joie, son beau
09:10 frère Damiano lui trouve aussitôt du travail. Bien entendu Pino, tu habites chez nous, nous
09:15 avions déjà préparé un lit pour toi. Et Giuseppino travaille, avec la joie de travailler chaque soir
09:21 il rentre chez sa soeur et son beau frère dont il ne dépense guère. Aussi arrive-t-il à faire ce
09:26 qu'il croyait impossible en ce bas monde, des économies et puis après des mois et des mois
09:31 de travail il se rend compte qu'il va pouvoir faire comme les français une chose impensable,
09:35 prendre des vacances. Des vacances, est-ce que l'on pouvait croire qu'une chose pareille existe?
09:43 Et pourtant le voici prêt à partir avec une valise neuve, une chemise neuve, tout naturellement
09:49 il retourne au pays. Il dit au revoir aux amis et notamment à Filippo Geraci qui s'est installé dans
09:56 le voisinage après avoir épousé la soeur de Damiano. Adieu Giuseppino, sacré vénère. Tiens,
10:02 puisque tu retournes là-bas, passe un message pour moi. Si tu vois ma soeur, dis-lui que je
10:09 l'aime bien et que je pense à elle. Ta soeur Filippo? Oui ma soeur, la Vicenza, la Vicenza
10:17 Geraci. Oh oui! Giuseppino retourne au pays. Giuseppino n'oubliera pas le message. Il va la
10:27 revoir la Vicenza et cela va être le début d'un court bonheur et d'un long malheur.
10:35 C'est le bal, le bal du plein été entre les quatre arbres de la place du village. On a tendu
10:49 des fils avec des petits drapeaux, quelques lampions. Giuseppino a mis la belle chemise
10:54 de France. Il y a là toute la jeunesse des villages de Riesi et Somatino. Giuseppino
10:59 cherche la Vicenza pour lui passer le message d'affection de son frère qui est installé à
11:03 Grenoble. La Vicenza? Mais c'est elle là-bas près des musiciens. Jésus, c'est cette jolie
11:10 fille? Je ne l'aurais jamais reconnu. Je me souviens d'une gamine à peine grande comme
11:17 ça. Hé, c'est qu'elle a vieilli elle aussi. Elle a eu ses 16 ans. Elle va vers les 17.
11:24 Et Giuseppino retrouve Vicenza. Il lui passe le message de son frère. Et Vicenza voit devant
11:33 elle un grand gars si beau dans sa chemise de France. Un grand gars avec un profil de prince
11:37 enfin. Comme elle imagine les princes des histoires de princes. Et Vicenza danse avec
11:43 Pino. Et ils se reverront le lendemain et le lendemain encore. Et puis voici très proche la
11:49 fin des vacances. À la table installée derrière la ferme de Garaci, il y a deux hommes face à face.
11:56 Les femmes ont débarrassé les restes du repas exceptionnel et elles se sont retirées. Elles se
12:02 sont retirées y compris Vincenza. Et pourtant c'est d'elles que l'on parle de son avenir, de toute
12:06 sa vie. Les deux hommes face à face c'est le père de Vincenza, Giuseppino. On parle fiançailles et
12:13 mariages. Ce sont des décisions qui se prennent sans la fiancer. On parle de la dotte. 50 000
12:19 lires. Pourtant le père, ancien mineur dans les mines de soufre, rongé par la maladie, ne peut
12:24 même plus subvenir aux besoins de la famille. Cela fait déjà plusieurs années que Vincenza est
12:29 employée comme servante dans des familles bourgeoises. Giuseppino et Vincenza sont amoureux.
12:34 Cela devrait suffire mais pourtant le père promet la dotte. C'est un point d'honneur.
12:41 Avant la fin des vacances, avant le retour de Pino vers la France et le travail, les fiançailles sont
12:47 célébrées. Pino rentre à Poisa et il porte en lui une provision de soleil du pays et sur lui,
12:53 autour du cou, une chaîne avec une petite croix d'or pour lui rappeler le serment qu'il a échangé
12:58 avec Vincenza. Entre la France et la Sicile, entre Poisa et San Mattino, on s'écrit. On s'écrit des
13:06 lettres officielles avec des formules d'amour à la fois indispensables et raisonnables car les
13:10 lettres sont lues par les parents. Ah oui, alors il faut bien qu'il y ait des mots d'amour puisque
13:15 l'on est fiancé mais il faut aussi rester dans les limites du respect et de l'honneur. Un jour,
13:22 c'est le choc. Le père de Vincenza, trop malade, trop pauvre, ne pourra pas payer la dotte.
13:27 Alors la famille décide que les fiançailles seront peu. L'honneur le commande. Mais Vincenza a
13:37 donné son cœur à Giuseppino. Elle continue malgré tout à se considérer comme sa future femme et elle
13:43 continue aussi à lui écrire clandestinement. Et après ce que Pino a juré, elle pense, elle est
13:49 sûre qu'il continue à songer à elle de la même manière. Mais ses lettres à lui s'espacent et
13:57 finissent par ne plus arriver. C'est que Giuseppino change. Il change au grand étonnement de tous.
14:04 Voyez-vous, chers amis, il faut bien imaginer dans quel cadre se passe la vie de ces exilés. Si
14:09 vous pensez un seul instant qu'ils sont seuls, isolés ou en petites cellules au sein d'un monde
14:14 étranger, vous vous trompez. Dans le Dauphiné, il y a une vraie colonie italienne, 60 000 personnes
14:19 environ. Chaque année, 2 à 3 000 émigrants viennent s'y ajouter et tout naturellement,
14:24 ils se regroupent pour habiter dans les mêmes quartiers où bientôt fleurissent les pizzerias.
14:28 Et on a tôt fait de lancer les cordes à linge de fenêtre en fenêtre en travers de la rue,
14:32 où l'on préfère crier fort pour se dire quelque chose plutôt que de monter les étages. On
14:38 retrouve sa langue, ses histoires, sa nourriture, ses traditions. Et personne ne fait rien pour y
14:43 échapper, bien au contraire. Personne. Sauf Giuseppino. Giuseppino a conscience que s'il
14:51 reste dans cette atmosphère, il ne sera pas véritablement sorti de tout ce qu'il cherchait
14:56 à fuir en quittant la Sicile. Alors il s'éloigne, il sort beaucoup, il fraternise presque uniquement
15:02 avec des Français et surtout des Françaises. Oh oui, les Françaises, si différentes, qui aiment
15:08 tant rire, qui sont tellement plus libres que les Siciliennes vêtues de noir. Or en voici une,
15:15 une Sicilienne brune, discrète, qui débarque à Grenoble le 22 août 1957. C'est Vincenza. Elle a
15:26 tout quitté son village, sa famille, car elle n'en pouvait plus d'être loin de son fiancé. Dans la
15:32 maison de Poisa, il y a Antoinette et Damiano. Il y a leurs six enfants, tout le monde en costume
15:39 du dimanche. Et Pinot, où est Giuseppino? C'est la première question de Vincenza quand elle
15:45 franchit le seuil. Pinot, mais il est sorti, comme tous les dimanches, sorti avec ses amis.
15:52 Le soir, il est là. On les laisse seuls, ils ont sûrement des choses à se dire. Mais elle,
16:02 elle ne peut dire qu'une chose. Tu vois, j'ai tout laissé, tout bravé pour venir te rejoindre.
16:07 Est-ce que tu m'aimes encore? Et lui, lui, qu'est-ce qu'il peut répondre dans une telle
16:12 situation? Il répond que oui, qu'il l'aime encore, qu'il l'aimera toujours. Il a tort,
16:18 certainement il a tort. Mais peut-il faire autrement avec toute la famille qu'il sent
16:24 attendant derrière la porte? Et puis Vincenza est bien joli. Trois jours plus tard, il devient
16:33 évident qu'ils ont besoin d'une chambre pour eux. Alors le beau-frère Damiano aménage le garage
16:38 avec un clin d'œil à sa femme Antoinette. Si les choses en sont là, laissons les faire. Ils ne
16:44 tarderont pas à se marier puisqu'ils sont fiancés, puisque Pinot a juré fidélité. Mais Pinot n'en
16:50 est plus là. Pinot voudrait autre chose maintenant qu'il connaisse le coin de France. Il sait qu'avec
16:55 son métier, il peut travailler n'importe où. Il sent qu'il pourrait éclater, se libérer enfin de
17:00 la famille, des traditions. Il y était presque. Et le voilà maintenant avec une femme sur les bras
17:04 et tous les regards du clan fixés sur lui. Ils se sont de plus en plus coincés. Surtout le jour
17:09 où Vincenza lui annonce qu'elle attend un enfant. Et le voilà, Pinot qui tourne en rond dans le
17:13 garage aménagé qui est leur maison. Le voilà qui parle de moins en moins, qui semble pour un oui,
17:18 pour un non, pris d'une rage froide. Rien les nerve. Ils sont loin les serments d'amoureux
17:22 après le bal du petit village sicilien. Voici bientôt les disputes dont les cours de plus en
17:28 plus fréquents parviennent aux oreilles de la famille, des amis. Plus personne dans le clan
17:32 n'ignore l'état des choses et le moindre déjeuner, le dimanche, la moindre soirée n'ont plus qu'un
17:36 sujet de conversation. Alors quand, Pinot, quand mènes-tu Vincenza chez le maire? Et Giuseppino
17:43 pris sous le feu roulant des questions. Giuseppino tergiverse de plus en plus enragé. Il essaie de
17:48 gagner du temps. Bientôt, mais oui, très bientôt. Alors pourquoi pas tout de suite? Mets-lui des
17:52 papiers. Vous comprenez les papiers? Nous sommes étrangers tous les deux. On se marie pas comme
17:56 ça. Il faut des papiers, beaucoup de papiers qui sont pas encore arrivés. Ah, les papiers. Il a
18:02 trouvé cette maigre excuse. La famille et les amis pourtant qui n'y connaissent pas grand chose y
18:06 croient à cette histoire de papiers. C'est vrai qu'il faut des papiers pour tout quand on est
18:10 étranger. Voilà un peu le temps de gagner. Mais combien? Bientôt les discussions reprennent,
18:15 qui se transforment cette fois en bagarre. Le ton monte. On s'empoigne avec rage en dessus
18:19 des tables renversées. On ressort le vieux mot sacré, l'honneur, l'honneur de la famille,
18:24 l'honneur de la parole donnée. Le bruit de cette situation est remonté jusqu'au pays. Cela ne
18:29 peut plus durer. Pinot doit épouser Vincenza avant que l'enfant naisse. Oui, on a ressorti
18:36 le vieux mot sacré. Et avec lui sont apparus les couteaux, les longs couteaux à cran d'arrêt.
18:40 Voici l'ami Piliteri du village de Vincenza. L'ami Piliteri crache au visage de Pinot en le
18:47 traitant de parjure. Et comme Pinot se détourne, l'ami Piliteri lui plombe son couteau dans le
18:53 ventre. Au retour de l'hôpital, Pinot va trouver Vincenza et pleurer. Vincenza en larme car c'est
19:00 à cause d'elle que tout cela est arrivé. Elle l'aime toujours. Elle n'envisage d'autre solution
19:06 que d'unir sa vie à celle de cet homme. Mais les mois passent. La blessure est guérie et Pinot est
19:13 de plus en plus froid, de plus en plus lointain. Maintenant, Vincenza a compris. Pinot ne l'épousera
19:22 jamais. Elle va trouver son frère Filippo. J'ai compris, tu sais. À cause de moi, ton honneur et
19:32 celui de toute la famille est menacé. Trouve-moi une arme. Je ferai ce qu'il faut. Au pas une seconde,
19:40 Filippo essaie de dissuader sa soeur. Elle est dans la droite ligne de la tradition des femmes de son
19:45 pays. Il connaît un brocanteur nord-africain qui lui procure sans difficulté un vieux revolver
19:50 d'ordonnance calibre 11 mm. Vincenza fourre le revolver chargé dans son sac. Si je vois Pinot,
19:58 je le tue. Nous sommes le mardi 18 mars. Elle le voit, Pinot. Elle a le revolver sur elle. Mais
20:11 elle ne tire pas. Elle l'a retrouvée dans le café au coin de la rue chez Maria Bianca, l'enseigne
20:17 du bon vin. Elle ne tire pas. Elle ne tire pas parce que Pinot vient près d'elle avec un sourire,
20:24 le sourire qu'elle lui connaissait dans les jours passés. Vincenza, les papiers sont en règle,
20:30 tu vois. Je ne t'ai pas menti. Demain, nous irons faire les démarches. Et le lendemain,
20:37 mercredi 19 mars 1958, Vincenza et Pinot, accompagnés du frère de la fiancée, vont
20:42 à la mairie et à la clinique pour les certificats prénuptiaux. Le mariage se fera très vite,
20:48 le jeudi 27 mars. Le soir, chez Philippot, c'est une double fête, la Saint-Joseph, jour de liesse
20:56 traditionnel et le mariage prochain de la soeur. Tout le monde est gai, tout le monde chante,
21:01 sauf Vincenza. Bientôt, au bout de la table, on entend des éclats de voix et l'on s'aperçoit
21:08 qu'une dispute, une de plus, oppose les futurs mariés. Pinot est exaspéré. Mais ce n'est pas
21:15 parce que j'ai les papiers que je t'épouserai. Qu'est-ce qu'il dit? Mais calme-toi, Pinot,
21:19 fait Philippot qui essaie d'adoucir les choses. Alors Vincenza éclate à son tour et révèle ce
21:25 qu'il sait. Pinot s'est fait engager sur un chantier à 40 km et il compte se sauver demain matin.
21:30 Tenez, vous voulez une preuve? La voilà la preuve! Et Vincenza arrache de la poche de Pinot sa
21:36 carte de travail avec l'adresse du nouveau chantier. Le silence est retombé soudain.
21:41 Pinot s'est redressé, gifle, Vincenza a tout volé et sort. Mais derrière lui, Pinot a laissé un
21:52 tribunal. Un tribunal de famille. Et c'est Vincenza qui prononce la sentence. Un peu plus tard,
22:01 tout le monde retrouve Pinot au café au bon vin, tous semblent oubliés, on joue aux cartes et l'on
22:06 va voir encore quelques vers chez Salvatore Amato. Il est minuit et demi lorsqu'on se sépare.
22:13 À minuit 45, nous retrouvons les deux silhouettes qui marchent à pas pressés sur la route de Poisa.
22:22 C'est la scène que je vous ai décrite au début de cette histoire. Vincenza essaie une dernière
22:29 fois de parler mais elle ne rencontre que le profil buté de l'homme qu'elle aime. Et voici
22:36 Pinot qui sent la rage monter en lui. Pinot qui commence à ouvrir dans sa poche le long couteau
22:41 à cran d'arrêt. Maintenant quelqu'un doit mourir. Alors Vincenza se retourne, fait un signe et quatre
22:51 silhouettes sortent de l'ombre. Il y a là Filippo, le frère de la fiancée bafouée, Salvatore Amato et
22:59 les frères Sambito. Ils ont suivi le couple en silence. Pinot se retourne. "Vous m'avez suivi il y a
23:09 quatre. Vous ne me faites pas peur. Je vais vous faire manger la terre." Les quatre silhouettes se
23:17 rapprochent. À la dernière seconde, Vincenza essaie de s'interposer. Quelqu'un la bouscule. Elle tombe
23:24 dans le fossé où elle s'entaille profondément la main sur un tesson de bouteille. Pendant qu'elle
23:30 sent monter en elle la douleur, elle voit Domenico Sambito tirer de sa poche le vieux revolver 11
23:36 millimètres qu'elle lui a donné après la réunion du tribunal de famille. Salvatore Amato brandit un
23:41 8 millimètres tout aussi vieux mais tout aussi efficace. Cinq coups de feu claquent à bout portant.
23:47 Giuseppe tarda Nico. Pinot, qui a manqué à sa parole. Pinot est mort. Un an plus tard,
24:00 une jeune femme brune sort un peu éblouie du palais de justice. Vincenza a été condamné à
24:07 trois ans de prison avec sursis et les deux meurtriers à cinq ans ferme. Un verdict qui
24:13 laisserait penser que les jurés ont compris ce que représente la loi de l'honneur pour les Siciliens.
24:18 Vincenza marche vers le quartier italien où des centaines de personnes l'attendent. Dans ses bras,
24:25 elle porte un petit garçon de quelques mois. Un petit garçon né en prison. Un petit garçon
24:33 qu'elle a appelé Giuseppe Pinot. Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre
24:57 Belmar. Un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et
25:04 composition musicale Julien Taro. Production Sébastien Guyot. Direction artistique Xavier
25:11 Joly. Patrimoine sonore Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne
25:19 Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
25:24 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute
25:30 préférée.