• il y a 2 ans

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Le 25 mars 1953, dans un appartement du quartier de Notting Hill, à l’ouest de Londres, quatre cadavres sont découverts. Les victimes sont quatre femmes, toutes vêtues de simples sous-vêtements. L’ancien propriétaire de l’appartement, John Christie, a quitté les lieux la semaine précédente pour, aurait-il déclaré, rejoindre sa femme partie s’installer à Birmingham... Depuis, l’homme est introuvable. Dans le jardin, deux autres corps de femmes sont encore découverts. Dans le quartier, John Christie et sa femme sont bien connus : ils pratiquent des avortements clandestins. Les victimes auraient-elles succombé lors de leurs interventions ? Après analyse des corps, l’un d’entre eux est identifié comme… celui de la femme de John Christie. Son alibi vole en éclats. Il n’y a plus de doutes pour les enquêteurs d’autant plus que cet immeuble de Rillington Place est déjà connu des services de police. À la même époque, le voisin de John Christie, Timothy Evans, a été condamné à mort pour le meurtre de sa propre femme et de leur bébé. Mais certains détails interpellent les enquêteurs : lors du procès de Timothy Evans, le seul témoin n’était autre que… John Christie. L'Angleterre aurait-elle exécuté un innocent ? Quelque temps plus tard, John Christie est retrouvé… Qu’aura-t-il à dire pour sa défense ? L’Angleterre va-t-elle maintenir la peine de mort ? Pierre Bellemare raconte cet incroyable récit dans cet épisode du podcast “Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare”, issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 *Musique*
00:14 Monsieur Browne au 10 Rillington Place dans une vieille maison,
00:17 dernière d'une rangée grise dans une impasse sale du quartier ouest de Londres.
00:21 Un seau plein de lessive d'une main, la serpillière de l'autre,
00:25 à entrepris de nettoyer la cuisine.
00:28 Il est nouveau locataire de cet appartement du rez-de-chaussée
00:30 et sa femme n'a pas voulu se charger de cette besogne,
00:33 car elle ne supporte pas l'odeur due sans doute aux années de crasse
00:38 accumulées dans les coins et les recoins du lino et du papier peint.
00:42 *Bruit de clavier*
00:44 Tiens, ça sonne le creux.
00:46 Tiens, dommage de perdre cette place,
00:48 on pourrait peut-être utiliser ce creux pour en faire un placard.
00:51 Monsieur Browne déchire le vieux papier,
00:53 arrache une planche branlante et se trouve...
00:57 devant un cadavre roulé dans une couverture.
01:01 Que feriez-vous à sa place?
01:03 D'abord, vous sentiriez vos cheveux se dresser sur votre tête.
01:07 Eh bien, c'est bien ce qui lui arrive.
01:09 Vous laisseriez tomber le seau de lessive et la serpillière.
01:12 C'est bien ce qu'il fait.
01:14 Vous iriez prévenir la police.
01:16 Il y court.
01:18 Quelques instants plus tard, l'inspecteur Griffin, de Scotland Yard, arrive
01:23 et sans doute moins impressionné, en tout cas plus curieux que M. Browne,
01:27 il farfouille plus profondément dans le placard
01:32 et découvre, roulé dans des couvertures,
01:37 deux autres cadavres.
01:39 Pendant qu'ils y sont, les policiers arrachent le lino du sol
01:42 car le parquet leur a semblé instable et pour cause,
01:45 les lames sont déclouées.
01:47 Il les soulève et se trouve, nez à nez, si j'ose ainsi m'exprimer,
01:51 avec un quatrième cadavre.
01:54 C'est assez pour aujourd'hui.
01:56 En effet, les policiers ont fait du beau travail
01:58 puisqu'ils viennent d'ouvrir l'un des plus extraordinaires dossiers de la police,
02:02 celui de la fantastique affaire Christie Evans
02:05 qui allait déterminer les Anglais à abolir la peine de mort.
02:09 Il est probable d'ailleurs que si une affaire semblable s'était déroulée en France,
02:12 nous aurions pris la même décision que les Anglais.
02:15 Mais ce sera à vous d'en juger
02:18 lorsque vous aurez entendu l'histoire dont Jacques-Antoine a réuni les éléments.
02:43 Donc, le 25 mars 1953,
02:47 on découvre quatre cadavres cachés dans la cuisine
02:52 de l'appartement du rez-de-chaussée 10, Rillington Place.
02:56 C'est déjà pas mal pour une première journée de travail.
02:59 Et les policiers font le point.
03:01 Les quatre femmes,
03:03 en fait j'ai remis ce détail, il s'agit du corps de femmes,
03:06 ne sont habillées que de leurs sous-vêtements.
03:09 Elles ont toutes été roulées dans une couverture,
03:13 toutes les quatre étranglées,
03:16 les trois du placard avec une cordelette
03:18 et celles qu'on a trouvées sous le parquet avec un bas.
03:21 Les trois premières auraient été tuées il y a quelques semaines
03:24 et la quatrième il y a quelques mois.
03:27 Étant donné leur état, l'identification ne pourra se faire qu'en comparant
03:30 les empreintes digitales avec celles de toutes les femmes portées disparues
03:33 cette dernière année.
03:35 Évidemment, on recherche l'ancien locataire.
03:38 Cet homme qui s'appelle Christie est parti la semaine dernière
03:42 avec une valise et son chien en déclarant
03:45 qu'il allait rejoindre sa femme partie depuis Noël,
03:48 s'installer à Birmingham chez sa sœur.
03:50 Il avait l'intention de chercher du travail dans cette ville.
03:53 Christie n'est pas totalement inconnu de la police
03:57 car il a fait l'objet de plusieurs condamnations,
04:00 vols, faux et même coups et blessures.
04:03 Il a frappé une femme avec un bâton de criquette,
04:06 ce qui ne l'a pas empêché d'entrer dans la police pendant la guerre.
04:10 Dernièrement, il était employé dans une maison de transport routier
04:14 mais il s'occupait également de photographie.
04:16 On le voyait dans les banquets et les réunions de famille avec son appareil.
04:21 Mais ce n'est pas tout.
04:23 Le 10 Wellington Place est un endroit déjà célèbre.
04:27 Dans le quartier on l'appelle la maison du crime.
04:30 En effet, quatre ans plus tôt, on y avait arrêté Timothy Evans,
04:37 soupçonné d'avoir assassiné sa femme et son bébé de 14 mois.
04:41 Et tenez-vous bien,
04:43 Christie fut le principal témoin à charge dans le procès de Timothy Evans
04:49 qui fut bel et bien pendu en janvier 1950.
04:53 Inutile de vous dire que l'inspecteur Griffin se prend la tête à deux mains.
04:58 Il doit se demander pourquoi on lui fait ça à lui.
05:01 Ça aurait pu tout aussi bien tomber sur un autre inspecteur.
05:04 Il a fallu que ce soit lui.
05:06 Pour commencer, deux mesures s'imposent.
05:09 Rechercher Christie et à tout hasard, continuer à chercher des fois qu'il y ait d'autres cadavres.
05:14 Je sais ce que vous pensez, il exagère.
05:17 Je n'exagère pas.
05:19 Je ne fais que raconter les faits.
05:21 Les policiers sondent les murs et descendent dans le jardin la pelle et la pioche à la main.
05:27 26 mars 1953,
05:29 Scott Landyard diffuse le signalement de Christie, près de 2 mètres,
05:33 mince et élégant, cheveux noirs avec début du calvitie, lunettes en écailles.
05:37 La dernière fois qu'il a été aperçu, il était vêtu d'un complet bleu marine en tweed,
05:41 d'un imperméable à ceinture, d'un feutre nègre et de chaussures jaunes.
05:45 Le cadavre trouvé sur le plancher serait celui de sa femme, Ethel Christie.
05:49 Dans le jardin, les fouilles continuent.
05:52 27 mars 1953, John Christie, introuvable.
05:56 Pourtant, la presse a diffusé la photographie de ce quinquagénaire poli tiré à quatre épingles
06:00 que ses voisins considéraient comme un homme tranquille, souvent sans travail,
06:04 mais ne paraissant jamais à court d'argent.
06:06 Explication, Christie et sa femme auraient pratiqué des avortements.
06:11 Dans ce cas, les cadavres pourraient peut-être être ceux de clientes gravement accidentées à la suite de l'opération.
06:17 Mais cela n'expliquerait pas la mort de sa femme, Ethel Christie, qui remonte à environ quatre mois.
06:23 Les trois autres femmes seraient mortes depuis cette date, chacune à un mois d'intervalle.
06:28 28 mars 1953, Christie toujours introuvable.
06:33 On a identifié les quatre premiers cadavres.
06:35 L'un est bien celui de la femme de Christie, Ethel Christie, âgée de 45 ans.
06:39 Les autres se connaissaient.
06:41 Toutes les trois sont venues poser pour des photos de nues.
06:44 Ce n'est peut-être le prétexte dont elles se sont servies pour cacher leur avortement.
06:48 Ce n'est pas tout.
06:49 Scott Landyard vient de découvrir un squelette et un crâne calcinés
06:53 enfermés dans une boîte à ordures et enterrés dans le jardin.
06:56 Il s'agit d'une femme d'environ 30 ans et dont la mort remonte à environ quatre ans.
07:00 Puis, à trois mètres de profondeur, on déterre de nouveaux ossements,
07:04 dont un fémur, un tibia presque entier, ainsi que des lambeaux de vêtements féminins.
07:08 Il semblerait donc qu'il y ait eu deux séries de meurtres,
07:11 dont les derniers seraient de plus en plus rapprochés.
07:14 Cela semble indiquer un désir sadique de tuer qui devient plus fréquent et incontrôlable.
07:20 Scott Landyard donne l'ordre de faire évacuer tous les locataires de l'immeuble
07:24 et de le démanteler planche par planche, brique par brique.
07:28 Christie, toujours introuvable.
07:30 Mais l'horreur provoquée par la découverte des six cadavres crée un sentiment d'inquiétude.
07:34 Scott Landyard, sortant de sa réserve habituelle, demande à la presse
07:38 de publier des avis de recherche concernant Christie,
07:40 qui risque de tuer encore avant la fin du mois.
07:43 Au 10, Rillington Place, les fouilles continuent.
07:47 Premier avril 1953, 6 heures du matin,
07:50 un journalier qui connaît Christie de vue se précipite au commissariat de police de Notting Hill.
07:55 Il déclare l'avoir vu à l'arrière d'une camionnette.
07:58 Lorsque la police arrive, la camionnette est vide.
08:02 Deux heures plus tard, un homme, agarres et barbus,
08:06 est accoudé au parapédiaire de la Tamise, près du pont de Putney.
08:09 Par cette matinée printanière, il regarde avec mélancolie des dockers décharger une péniche.
08:16 Gonstable Thomas Ledger, 43 ans, 2,06 m de haut, accomplit sa ronde habituelle.
08:23 Il aperçoit l'homme, à tout hasard il sort la photo de Christie et croit le reconnaître.
08:27 Il est 9h10.
08:29 Le constable s'approche de l'homme. « Êtes-vous John Christie ? »
08:33 L'homme tourne vers lui un regard là et presque ébêté.
08:36 « Êtes-vous John Christie ? »
08:40 L'homme bredouille des mots sans suite, incompréhensible.
08:43 « La loi anglaise interdisant qu'on arrête un homme si l'on n'est pas muni d'un mandat nominal ? »
08:48 Le constable demande.
08:50 « Acceptez-vous de m'accompagner au commissariat ? »
08:54 « Oui. »
08:57 Deux autres policemens ont rejoint Thomas Ledger dans une voiture de service.
09:01 L'un d'eux demande à Christie d'enlever son chapeau.
09:03 Tous trois constatent la calvitie partielle que précise le signalement.
09:08 Arrivé au commissariat de Putney, John Christie demande un verre d'eau.
09:12 Il est manifestement épuisé, traqué et sans doute n'a-t-il rien mangé depuis plusieurs jours.
09:17 Alors les policiers, avec des précautions de mère de famille, font infuser le thé.
09:21 Et bientôt, dans le commissariat se répand une bonne odeur de bacon en train de frayer.
09:26 Senté si bien que quelques instants plus tard, réconforté,
09:29 John Christie retrouve ses forces et jette autour de lui un œil martial.
09:34 Déjà, il y a 300 personnes, surtout des femmes, qui se pressent devant le commissariat
09:38 tandis que l'inspecteur-chef Griffin vient le chercher.
09:41 Quelques heures plus tard, John Christie est inculpé du meurtre de sa femme,
09:44 car en Angleterre, on ne peut être accusé que d'un meurtre à la fois.
09:48 Je n'ai pas besoin de vous dire que l'inspecteur Griffin fait « houf »,
09:52 mais derrière lui, tout Scotland Yard fait « houf » et toute l'Angleterre fait « houf ».
09:57 Seulement, en même temps, toute l'Angleterre essaie de se cacher une terrible vérité.
10:03 Cette vérité qu'elle ne pourra se dissimuler longtemps cependant.
10:18 Après de se la cacher toute la journée du 2 avril 1953 ce jour-là,
10:23 une première audience a lieu qui dure à peine cinq minutes devant le tribunal de premier instant
10:27 du district ouest de Londres.
10:29 John Christie, qui semble retomber dans un état de dépression physique,
10:33 est conduit à l'infirmerie de la prison de Brangton.
10:36 Il ne nie ni n'avoue rien, il ne prononce pas un seul mot.
10:40 Les spécialistes, pendant ce temps, ont reconstitué avec du fil de fer
10:44 des squelettes en partant des ossements trouvés dans le jardin.
10:47 Les squelettes de plâtre et le plâtre d'un plastique qui simulent la peau
10:51 de façon à donner à l'ensemble une apparence humaine et les mensurations
10:55 sont communiquées à la police pour identification.
10:57 À ce point de l'enquête, comme Christie s'obstine à nier toute participation
11:01 au meurtre de ses six femmes, trois questions se posent.
11:03 Première question, Christie a-t-il tué ses femmes poussées par un désir sadique
11:08 ou pour dissimuler la preuve de tentatives d'avortement manquées ?
11:12 Deuxième question, est-elle Christie, sa femme, qui pratiquait avec lui
11:16 des avortements, était-elle sa complice lors des deux premiers assassinats
11:19 et dans ce cas, pourquoi l'a-t-il tué ?
11:22 Mais surtout, il y a une troisième question, autrement plus importante,
11:26 mais que l'on refuse encore de se poser ce 2 avril, comme on refusera le 3 avril,
11:31 mais le 4 avril 1953, l'affaire éclate, il le fallait bien.
11:36 En effet, le 4 avril, ce dont toute la presse anglaise parle,
11:43 ce n'est pas de la découverte de nouveaux ossements dans le jardin,
11:47 ce n'est pas de la déclaration des inspecteurs qui s'attendent à en trouver
11:51 également dans le jardin voisin, mais de l'affaire Evans.
11:57 Car, je vous le rappelle, au 10 Ridington Place, il y a quatre ans,
12:04 on a arrêté Timothy Evans, soupçonné d'avoir assassiné sa femme et son bébé de 14 mois.
12:10 Christie fut le principal témoin à charge dans le procès de Timothy Evans,
12:17 qui fut bel et bien pendu en janvier 1950.
12:22 Et aujourd'hui, toute l'Angleterre horrifiée rouvre le dossier Evans,
12:27 atterré à l'idée que celui-ci a peut-être été victime d'une monstrueuse erreur judiciaire.
12:36 Voyons les faits.
12:38 1er décembre 1949, Evans se rend au poste de police.
12:42 « J'ai tué ma femme, déclare-t-il, elle était querelleuse,
12:45 elle ne m'accordait aucun répit, je l'ai jetée dans la fosse sceptique de ma maison.
12:50 Si vous vous rendez au 10 Ridington Place, vous trouverez la fosse dans le jardin.
12:55 D'ailleurs, où les squelettes des deux victimes de Christie ont été retrouvées.
12:58 Or, le corps de Mme Evans, mais aussi celui de sa fille,
13:02 empaqueté dans des papiers, y sont en effet découverts.
13:04 Cinq fois de suite.
13:06 Evans confirmera qu'il est le meurtrier de son épouse,
13:08 mais lorsqu'il compare devant la cour criminelle de l'Hall Bailey,
13:11 cet homme, qui ne sait ni lire ni écrire,
13:15 et qui paraît d'une intelligence limitée, raconte une histoire bien différente.
13:22 « Beryl, ma femme, dit-il, m'attendait un bébé.
13:27 Je ne voulais pas de cet enfant qui alourdissait nos charges.
13:31 J'en ai parlé à mon voisin, John Christie.
13:35 Je peux mettre fin à sa grossesse sans aucun danger pour elle, m'a dit Christie.
13:40 Le 8 novembre, rentrant de mon travail, j'ai trouvé mon voisin dans l'escalier.
13:45 Votre femme est morte pendant l'opération, m'a dit Christie.
13:49 Bizarre histoire. »
13:52 La suite à l'époque parut tout aussi télébreuse.
13:55 Evans aida Christie à transporter le cadavre dans l'appartement au-dessous du sien qui était inoccupé.
14:00 Par la suite, affirme Evans, il ne revit jamais le corps de sa femme.
14:03 Son voisin, après avoir été reconnaissant de ne rien dire au sujet du drame qui venait de se produire,
14:08 lui proposa de confier son bébé à des amis.
14:10 Deux jours plus tard, le 10 novembre, en rentrant chez lui le soir,
14:14 Evans apprit par Christie que ses amis étaient venus chercher le bébé et qu'il se trouvait en lieu sûr et bien soigné.
14:21 Il n'apprit la mort de l'enfant que lorsque la police retrouva son petit cadavre avec celui de sa mère.
14:27 Evans affirme qu'il n'a avoué son crime au poste de police que pour protéger Christie
14:32 qui s'était mis dans une situation difficile afin de lui venir en aide.
14:36 À l'époque, le récit fait par Evans paraît invraisemblable.
14:40 On ne peut pas croire qu'il ne se soit pas inquiété de savoir ce qui était devenu le corps de sa femme
14:44 et qu'il n'ait pas demandé où son bébé avait été emmené.
14:48 Christie est le témoin essentiel du procès Evans.
14:51 Interrogé par l'avocat de la défense, Christie réfute toutes les accusations portées contre lui par Evans
14:56 et les témoignages médicaux lui donnent raison.
14:58 On ne constate en effet aucune tentative d'avortement sur le cadavre de Mme Evans
15:02 qui est morte étranglée avec une cordelette.
15:06 Aujourd'hui, en se rappelant les faits, la police, les magistrats qui ont condamné Evans
15:12 réalisent que ce qui paraissait invraisemblable au moment du procès devient tout à fait plausible maintenant que l'on connaît Christie.
15:18 Celui-ci peut parfaitement avoir tué la femme d'Evans en expliquant son crime par un avortement raté.
15:25 Il y a de quoi secouer un pays tout entier et l'Angleterre tout entière est secouée.
15:30 Je ne vous raconterai évidemment pas en détail la suite de l'enquête.
15:33 Nous verrons simplement deux points.
15:36 Premier point, Christie doit-il être considéré comme fou ou comme responsable et dans ce cas être pendu ?
15:44 Deuxième point, en exécutant Evans, l'Angleterre a-t-elle pendu un innocent ?
15:50 Voyons le premier point.
15:52 Je vous rappelle qu'en Angleterre, on ne peut être accusé que d'un meurtre à la fois.
15:55 Christie est donc accusé du meurtre de sa femme parce que c'est le plus difficile à expliquer par une folie sadique.
16:02 On peut en effet trouver bien des raisons pour qu'un homme tue sa femme.
16:05 L'avocat de la Défense veut donc prouver qu'il a tué beaucoup de femmes avant et après
16:09 et que le meurtre de sa femme est donc à placer dans un contexte de folie comme les autres.
16:14 Aussi bien qu'il est nié pendant plusieurs semaines, Christie avoue maintenant le plus de meurtres possibles.
16:19 « Christie est fou, dit l'avocat au juré. Je plaide la non-responsabilité mentale de mon client. »
16:25 Puis il fait valoir que Christie a été gazé pendant la guerre de 14, qu'il est resté aveugle pendant six mois et d'une santé précaire.
16:31 Qu'il a déjà été plusieurs fois condamné et enfin qu'il n'était pas sensible à l'odeur de cadavres qui pourtant faisaient fuir tout le monde.
16:39 Lorsque Christie marche lentement vers la barre des témoins pour la première fois,
16:43 il lance un regard furtif vers les jurés et sort son mouchoir.
16:48 « Pour essuyer ses larmes, disent les uns, pour se moucher tout simplement, disent les autres. »
16:53 Il ne fait aucun doute que Christie est ému lorsqu'il commence le récit de sa terrifiante histoire.
16:59 Et son avocat montre une habileté extraordinaire pour faire ressortir l'état mental de son client.
17:06 « Christie, combien de femmes avez-vous tuées ? »
17:11 « Je ne sais pas. Je ne me rappelle plus. »
17:15 « Comment ? Vous ne vous en souvenez plus ? s'esclave l'avocat. »
17:21 « Parfois, je sens quelque chose. Je ne peux plus m'en défaire. »
17:30 Puis, d'une voix basse et timide, clignant des yeux derrière ses lunettes,
17:35 Christie, l'homme tranquille, le petit employé d'une entreprise de transport, révèle qu'il tua pour la première fois il y a dix ans.
17:44 La première des sept victimes, ce fut la petite Autrichienne, Margaret Friesel, dont on retrouva le squelette dans le jardin macabre.
17:53 « J'ai rencontré Margaret, dit Christie, lorsque j'étais dans la police en 1943. Elle vint me rendre visite deux fois. »
18:01 « Que lui avez-vous fait durant la deuxième visite ? »
18:05 « Je l'ai étranglé. Je crois que c'était avec un bas. »
18:09 Deuxième victime, Miss Muriel Heredie de Putenay, dont on découvre également le squelette dans le jardin.
18:16 Christie précise qu'il l'a rencontrée en 1944. Il asphyxia d'abord la malheureuse au gaz avant de l'étrangler.
18:24 « Christie, demande l'avocat, entre 1944 et 1949, avez-vous tué d'autres femmes ? »
18:33 « Peut-être, dit Christie, le regard fixé sur l'avocat. Je ne me rappelle plus. »
18:41 La troisième victime, c'est un coup de théâtre.
18:46 « Christie avoue que c'est Madame Evans. Mais si Christie admet qu'il a tué Madame Evans, il se défend d'avoir tué le bébé. »
18:58 « Le 7 novembre, dit Christie, je sens une odeur de gaz dans la maison. Je monte chez Madame Evans. »
19:03 « Il la découvre allongée par terre. Le robinet de gaz est ouvert. »
19:06 « J'ouvre la fenêtre. Je l'aide à se relever et lui donne un verre d'eau. »
19:09 « Madame Evans me supplie de ne rien dire à personne. Je fais du thé et nous en buvons tous les deux. »
19:14 « Le lendemain, Madame Evans vient me trouver. Elle me dit qu'elle est las de vivre, mais qu'elle n'a pas le courage de se tuer. »
19:20 « Elle me demande de la tuer, alors je l'ai étranglé, je crois avec un bas, pendant que ma femme faisait la cuisine à l'étage en dessous. »
19:29 Incroyable.
19:31 Quatrième victime, Madame Christie, sa femme.
19:34 « Il était 8 heures du soir en décembre, dit Christie. »
19:37 « Ma femme qui était souffrante me réveilla. Elle semblait convulsée. »
19:42 « Je ne pouvais pas la voir souffrir ainsi. Je pris un bas et le serrai autour de son cou. »
19:49 Christie raconte aussi comment il a tué les trois autres femmes, mais je vous ferai grâce de son récit.
19:54 Sachez simplement que le motif réel de ces crimes ne fait aucun doute, car Christie avait des rapports sexuels avec ses victimes avant et après l'étranglement.
20:06 Évidemment, il y a comme dans tous les procès, même les plus macabres, quelques moments comiques.
20:11 Par exemple, quand Christie explique qu'en faisant du jardinage, il déterrait souvent par mégarde un crâne ou un tibia.
20:19 Quand Christie explique qu'il a placé le cadavre de sa femme sous le plancher pour ne pas en être séparé.
20:27 Évidemment, de tout cela, il ressort que Christie est pour le moins anormal.
20:32 Alors va-t-il être condamné à la pendaison ?
20:35 La loi anglaise n'admet l'irresponsabilité que si l'accusé est inconscient d'enfreindre la loi au moment où il accomplit son crime.
20:44 Là-dessus, comme les psychiatres ne sont pas d'accord, l'accusateur fait valoir que puisque Christie cachait les cadavres dès le crime accompli,
20:52 c'est qu'il avait conscience de violer la loi, donc il est coupable et il obtient la condamnation de Christie pour le meurtre de sa femme.
21:00 Le dossier de police de ces autres meurtres sera clos avec la mention "meurtrier présumé" Christie.
21:07 Mais Christie sera-t-il pendu ?
21:10 On peut dire que c'est à ce moment que l'affaire Christie-Evans prend toute son ampleur et c'est là que nous abordons le deuxième point.
21:17 Evans a-t-il été la victime d'une erreur judiciaire ?
21:21 Rappelons que la loi anglaise, voulant qu'on ne soit accusé que d'un meurtre à la fois, Evans fut accusé et condamné pour le meurtre de sa petite-fille Géraldine.
21:31 Pendant le procès de Christie, l'accusateur public, l'avocat, le président se sont efforcés de faire préciser à celui-ci que s'il avait tué Mme Evans, il n'avait pas tué la petite-fille.
21:43 Donc Evans était bien coupable et les magistrats ont pu proclamer avec soulagement qu'aucun innocent n'avait été condamné par erreur.
21:51 Mais l'opinion publique n'est pas convaincue du tout.
21:54 Les travaillistes déposent un projet de loi contre la peine de mort.
21:58 Christie refuse de faire appel.
22:00 Christie doit être pendu le 15 juillet à 8h du matin.
22:03 Le ministre de l'Intérieur travailliste estime n'avoir aucune raison de le gracier.
22:07 Le député de la circonscription de Christie demande que la sentence soit remise.
22:11 Tous les députés hostiles à la peine de mort essaient d'obtenir le sursis.
22:14 Les socialistes aussi, de même que la mère d'Evans, qui espèrent un témoignage de Christie permettant de sauver l'honneur de son fils.
22:21 Mais celui-ci est pendu le 15 juillet.
22:24 Certains trouvent que le gouvernement fait preuve d'une hâte indécente dans le but non de trouver la vérité mais de donner aux exécuteurs d'Evans justification de leur acte.
22:35 Deux ans plus tard, M. Cutterhead, le ministre de l'Intérieur qui a fait exécuter Evans,
22:41 monte à la tribune de la Chambre au cours d'un débat sur l'abolition de la peine de mort.
22:46 Il reconnaît l'innocence d'Evans.
22:49 Selon lui, l'application de la peine de mort eut pour résultat dans cette affaire une première fois l'exécution d'un innocent
22:56 et une deuxième fois celle du témoin qui pouvait le disculper.
23:00 C'est trop et la peine de mort est abolie.
23:04 11 juin 1961, parution d'un livre qui point par point disculpe Evans et déclenche un grand mouvement en faveur de la réhabilitation.
23:15 19 octobre 1966, soit 16 ans après l'exécution d'Evans, l'affaire est close juridiquement et il est admis qu'Evans n'a pas tué sa petite-fille.
23:25 La Reine Elisabeth accorde le pardon.
23:28 Mais comme, par contre, le rapport de la contre-enquête laisse entendre qu'il aurait probablement étranglé sa femme,
23:38 on peut dire que ce fantastique dossier de la police se termine par une magistrale queue de poisson.
23:44 Une seule chose est certaine, la peine de mort en Angleterre n'y a pas survécu et à notre avis, les Anglais ont eu bien raison.
23:53 [Musique]
24:11 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
24:20 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
24:24 Production, Sébastien Guyot.
24:27 Direction artistique, Xavier Joli.
24:30 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
24:35 Remerciements à Roselyne Belmar.
24:38 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
24:42 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.