• il y a 2 ans
L'assassin idéal et autres histoires extraordinaires

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00:00:00 Toutes nos histoires sont irées de faits réels.
00:00:03 Et pour préserver l'anonymat des protagonistes, des comédiens interprètent leur rôle.
00:00:26 Un célèbre avocat du barreau de Paris m'a dit un jour un peu désabusé que, selon lui,
00:00:32 la justice c'était une immense hypothèse.
00:00:35 Eh bien l'histoire que vous allez voir maintenant illustre ce propos.
00:00:39 Car lorsque les faits accablent un présumé coupable, lorsque les événements se liguent contre lui,
00:00:45 est-il encore possible de démêler le vrai du faux et de rendre la justice avec sérénité ?
00:00:51 Marcel Vigo a 45 ans, mais il pourrait en avoir 60. Il est sans âge, sans adresse.
00:00:56 Il appartient à ces êtres de l'ombre, clochards ou SDF que la vie a mal mené
00:01:00 ou qui ont décidé de payer au prix fort leur liberté.
00:01:04 Le 26 octobre 2002, Marcel s'est abrité sous un Porsche pour se protéger d'une pluie fine et glaciale.
00:01:11 Il attend Yvan, celui avec lequel il partage depuis toujours le vin et certaines utopies.
00:01:17 Soudain, la porte de l'immeuble contre laquelle il est appuyé s'ouvre brusquement
00:01:22 et un jeune homme élégant apparaît.
00:01:25 Il sort de sa poche un étui et offre à Marcel une cigarette à bout d'oreilles.
00:01:30 Le vagabond accepte de bon cœur.
00:01:33 À cet instant, le piège est refermé.
00:01:37 Marcel se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment.
00:01:45 - Il pleuvait ce soir-là, je m'en rappelle.
00:01:48 Il devait être 22h, y avait pas un rat dans les rues.
00:01:56 Puis d'un seul coup, je l'ai entendu gueuler, Marcel.
00:01:58 Mais vraiment, il gueulait comme un putois, là. Il était dans un appartement, là-haut.
00:02:03 Il bouffait, justement. Ouais, ouais, il bouffait, le gars Marcel.
00:02:06 Alors, il avait une cuisse de poulet dans une main, un litre en rouge dans l'autre.
00:02:11 Puis ça, il gueulait. Ça, j'aime mieux dire que Marcel, c'était un gueulard.
00:02:14 - Ah ouais ? Moi, je l'ai bien connu, Marcel.
00:02:16 Marcel a-t-il raison d'entrer dans cet immeuble attiré par un inconnu ?
00:02:20 Il ne sait pas, à cet instant, que la mort va croiser sa route.
00:02:23 - Celui qui a fait ça, c'était un boucher, quoi.
00:02:26 Seul un monstre était capable de faire une chose pareille.
00:02:29 - Ouais, ouais, alors je lui ai demandé ce qu'il foutait, là-haut, moi, le gars Marcel.
00:02:33 Avec qui il était, chez qui il était.
00:02:35 "Mais Marcel, qu'est-ce que tu fous, là-haut ?" je lui ai dit.
00:02:37 Ah ouais, c'est ce que je lui ai dit, moi.
00:02:40 Il m'a dit "On s'en fout, Yvan, allez, viens, monte, monte, tu verras, c'est bien, c'est bien."
00:02:44 Mais il faisait tellement de boucan, ce gars Marcel,
00:02:47 que moi, j'avais pas envie d'avoir de problèmes, alors je me suis cassé.
00:02:50 Parce que Marcel, les problèmes, ça, il les connaissait aussi, hein.
00:02:53 Alors là, il a commencé à me traiter de tous les noms, vraiment, d'abruti, de pauvre mec, d'aïri.
00:03:01 C'était un gueulard, le Marcel, vraiment, c'était un gueulard.
00:03:04 Puis après, quand il m'a raconté vraiment ce qui s'était passé...
00:03:08 Mais je vous jure, hein, je vous jure que j'ai eu des mal à le croire.
00:03:11 D'ailleurs, personne n'y a cru, à cette histoire de prince donateur, et encore moins les jurés.
00:03:16 Il m'a dit qu'il avait pas vu la tête du mec qu'il a croisé.
00:03:22 Faut dire qu'il faisait noir, il faisait noir à l'entrée de l'immeuble.
00:03:25 Mais Marcel, il s'en foutait.
00:03:30 Ouais, il s'en foutait, Marcel.
00:03:33 Lui, ce qu'il avait surtout repéré, c'était que le mec, c'était vraiment le pigeon idéal.
00:03:38 Ce mec, il portait des super pompes vernis noires, un costard, mais alors le truc, super coupe.
00:03:44 Et puis alors, un étui en or, mais alors, un étui à cigarette en or extra.
00:03:48 Il a même dit à Marcel qu'il allait lui donner.
00:03:52 "Lui offrir", il lui a dit à Marcel. Alors tu m'étonnes.
00:03:54 Pour moi, c'était évident, il se moquait de moi.
00:03:56 Plus je l'interrogeais, plus il faisait semblant de rien comprendre.
00:04:00 Il bredouillait, "Pourquoi j'aurais fait ça ? Pourquoi j'aurais fait ça ?"
00:04:03 Mais attention, hein, c'était pas un inconnu pour nos services.
00:04:06 Il avait déjà été fiché pour voix de fée.
00:04:08 Et c'était un violent.
00:04:10 Alors le mec, il lui a expliqué à Marcel, là, il lui a expliqué que là-haut, il y avait tout un tas de victuales, quoi, tu vois, un vrai festin.
00:04:15 Mais que le mec, il devait se casser.
00:04:19 Alors, plutôt que la nourriture soit perdue, il voulait l'offrir à Marcel.
00:04:22 Il a même dit qu'il pouvait dormir sur place.
00:04:25 Mais le petit truc, c'est qu'il fallait vraiment qu'il déguerpisse au matin, parce que, bon, on sait pas pourquoi, mais une histoire de dingue, quoi.
00:04:32 Alors le gars, Marcel, il s'est pas fait prier, hein.
00:04:36 Il allait bouffer, il pleuvait dehors.
00:04:39 Alors le mec, il s'est cassé.
00:04:41 Bah, le gars, Marcel, il est rentré à l'intérieur, hein.
00:04:43 Ah ouais.
00:04:44 Tu sais, moi, je crois que j'aurais fait la même chose.
00:04:47 J'aurais fait la même chose que Marcel.
00:04:49 Je crois que je serais rentré aussi ce jour-là.
00:04:51 Tout semblait indiquer qu'il avait pris son temps et qu'il était forcément sûr de lui.
00:04:56 Et effectivement, j'étais pas loin de la vérité.
00:05:01 Et puis alors le mec, il s'est pas foutu de sa gueule, hein, Marcel.
00:05:03 Ah, ça non.
00:05:04 Parce qu'il avait vraiment plein de bouffe.
00:05:06 Il y avait du pinard, il y avait des huîtres, il y avait du saumon, il y avait du poulet, du pâté.
00:05:11 Vraiment, il y avait un truc monumental.
00:05:13 Il y en avait partout.
00:05:14 Mais alors le petit truc qui était un peu bizarre, c'est que la table était mise pour de...
00:05:19 Genre, je sais pas, un petit dîner comme ça, romantique, avec les chandelles.
00:05:24 Enfin, tu vois, dîner d'amoureux, quoi.
00:05:25 Alors il était mort de rire, le gars, Marcel.
00:05:27 Mort de rire.
00:05:28 Moi, j'aurais rigolé aussi, je crois.
00:05:30 S'il n'avait pas été avec lui.
00:05:31 J'avais l'impression qu'une tornade était passée par là.
00:05:34 Il y en avait partout.
00:05:35 Il y avait du vin sur les fauteuils, sur la table il restait de la nourriture.
00:05:39 Puis lui, il était là, crasseux.
00:05:42 Il a échoué comme une baleine sur le tapis blanc.
00:05:44 J'avais l'impression qu'il avait forcé sur la bouteille.
00:05:48 Parce que malgré tout le rame d'âme, eh ben, il ronflait, comme ça.
00:05:53 Ah, c'était écœurant, tiens.
00:05:57 À quoi rêve Marcel, confortablement étendu sur la moquette de ce luxueux appartement ?
00:06:02 Au repas plantureux qu'il vient de déguster ?
00:06:04 À une plage tropicale baignée de lumière ?
00:06:07 À une éternelle liberté dont il pourrait jouir sans entrave ?
00:06:10 À une femme, peut-être ?
00:06:11 Marcel ignore que les images chatoyantes qui flattent son esprit ne reviendront pas de si tôt.
00:06:18 Car dès son réveil, ses agréables illusions se transforment en cauchemars bien réels.
00:06:25 Ah, c'est la femme de ménage qui a découvert le corps au matin.
00:06:27 Elle nous a appelés tout de suite.
00:06:29 Quel travail !
00:06:32 Moi, j'en ai vu dans mon métier, hein.
00:06:35 Mais alors là, ça m'a fait un choc.
00:06:36 Elle avait été étranglée, égorgée avec violence.
00:06:41 Ah, c'est bien simple, encore maintenant, je revois la scène.
00:06:46 C'était une femme plutôt jolie, jeune.
00:06:51 Elle avait des yeux verts, écarquillés, qui fixaient le plafond.
00:06:55 Mais les flics, quand ils ont réveillé le gars Marcel, il était pas très net.
00:07:10 D'ailleurs, je crois qu'ils l'avaient même pas dessoulé, le gars Marcel.
00:07:13 Ils savaient pas trop où il était, ils savaient pas.
00:07:19 Mais je suis presque sûr qu'ils savaient pas que la bonne femme était derrière le canapé.
00:07:21 Sinon, il serait pas resté, Marcel.
00:07:23 Ça, j'en suis certain.
00:07:24 Lui, ce qui lui intéressait, c'était de bouffer, picoler un peu.
00:07:28 Je suis sûr qu'il a même pas visité l'appartement, le gars Marcel.
00:07:31 Mais les flics, il va leur faire comprendre ça, la flic à recul.
00:07:35 Ça, c'est autre chose.
00:07:37 La femme de ménage l'a certifiée dans sa déposition.
00:07:39 Sa patronne lui avait donné sa soirée.
00:07:41 Apparemment, elle attendait quelqu'un pour dîner, qui n'est jamais venu.
00:07:46 Alors, elle a passé la soirée toute seule.
00:07:48 Mais attention à la porte, elle ne la fermait apparemment jamais.
00:07:51 Marcel est réveillé avec violence par la police.
00:07:54 Et ce qu'il découvre en regardant autour de lui dépasse en horreur ses pires cauchemars.
00:07:59 Là, à quelques mètres, j'ai une femme égorgée renversée sur un canapé, couverte de sang.
00:08:04 Marcel ne tarde pas à comprendre que la femme a été tuée chez elle, dans son appartement.
00:08:09 Et qu'il est bien sûr le coupable idéal.
00:08:12 Tout était sous nos yeux, l'arme du crime.
00:08:15 Un opinel qu'on avait retrouvé dans la poche de M. Vigo.
00:08:18 La blessure à la main qui témoignait de la lutte.
00:08:21 Et tous les événements s'enchaînaient.
00:08:24 À mon avis, il avait dû rentrer par la porte restée ouverte.
00:08:29 Et puis ensuite, il avait dû commencer à manger, à se repètre.
00:08:34 Il a dû être surpris par la victime, qu'il a supprimée.
00:08:37 Sans dire un mot.
00:08:39 Mais le plus étonnant dans l'histoire, c'est qu'il a terminé son repas.
00:08:44 À quelques mètres du cadavre.
00:08:45 Et puis ensuite, il s'est endormi.
00:08:47 Le gars Marcel, il m'a dit qu'il avait essayé de leur expliquer.
00:08:54 Qu'il n'avait pas trouvé de tir bouchon, qu'il faisait sombre.
00:08:57 Mais il n'écoutait même pas les flics.
00:09:00 Il n'écoutait même pas le pauvre Marcel.
00:09:02 Ah non, ça il n'écoutait pas le pauvre Marcel.
00:09:06 Je crois que tout le monde a été soulagé.
00:09:08 On avait attrapé un monstre et l'affaire a été classée.
00:09:11 Arrêté, placé en garde à vue, puis en détention préventive.
00:09:18 Marcel comparait, huit mois plus tard, devant une cour d'assises.
00:09:22 Il a beau clamer son innocence, jurer qu'il ignorait tout de la femme retrouvée morte dans son appartement.
00:09:27 Dire que s'il se trouvait sur les lieux, c'était parce qu'un jeune homme y avait invité.
00:09:30 Aucun membre du jury ne croit à son histoire.
00:09:33 Comment le pourrait-il ? Son récit est inimaginable.
00:09:38 Après une heure de délibération, le vagabond est condamné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité.
00:09:43 Marcel croupit en prison depuis six mois.
00:09:47 Lorsqu'un homme pousse la porte d'un commissariat de police parisien.
00:09:50 Il porte une valise, semble épuisé.
00:09:53 D'une voix blanche, il se présente à l'accueil et demande à voir d'urgence un inspecteur.
00:09:58 C'est au sujet d'un meurtre.
00:10:01 A-t-il juste la force de murmurer avant de s'effondrer sur une chaise ?
00:10:06 Mon client, monsieur Laurent C, avait 30 ans au moment des faits.
00:10:11 Il n'avait jusqu'alors jamais eu affaire à la justice.
00:10:14 Fils de bonne famille, sans précédent, j'envisageais alors pour lui avec optimisme une réduction de peine.
00:10:21 Plus la déposition avançait, et moi plus je m'enfonçais dans mon fauteuil.
00:10:25 Il était là en face de moi, jeune, élégant, mais fébrile.
00:10:33 J'avais l'impression d'avoir un gamin qui avait chapardé dans un supermarché.
00:10:37 Il ne se rendait pas compte. Il semblait tomber du ciel.
00:10:41 Je me préparais à plaider le crime passionnel, l'affaire en avait tous les aspects.
00:10:46 Mon client fréquentait régulièrement la victime.
00:10:49 Ils entretenaient ce qu'il est commun d'appeler une liaison.
00:10:52 À 30 ans, quand on est amoureux, on est parfois jaloux.
00:10:56 Trop jaloux.
00:10:59 Mon client s'est rendu le soir du 26 octobre au domicile de la victime, certain de la surprendre avec son amant.
00:11:05 Sur place, la table dressée pour deux parlait à elle seule.
00:11:10 Une dispute, le ton monte, et mon client comme elle irréparable.
00:11:16 A priori un cas classique.
00:11:19 J'ai eu du mal à me contenir. Je comprenais que comme tout le monde, moi aussi je m'étais planté.
00:11:25 Quand M. Laurent est venu m'avouer en pleurant qu'il avait tout de suite pensé en voyant le clochard derrière la porte qu'il l'accuserait à sa place,
00:11:34 alors là, j'ai failli lui sauter à la gorge.
00:11:39 Mais pourquoi il n'était pas venu me le dire plus tôt ?
00:11:43 Mon client était parti à l'étranger quelques mois après l'homicide.
00:11:47 Il n'avait pas suivi l'avancée de l'affaire.
00:11:50 Et c'est parce qu'il était écrasé par le remords.
00:11:54 Parce qu'il ne pouvait plus supporter l'image du crime qu'il avait perpétré de ses propres mains qu'il est revenu à Paris pour se dénoncer.
00:12:01 En arrivant au commissariat, je l'ai découvert là, dépité, honteux.
00:12:08 Il m'a regardé avec des yeux ronds et stupides, et il tremblait en fumant une cigarette.
00:12:16 Puis il m'a dit "Ah bon, il est monté le clochard ?"
00:12:21 Bien évidemment qu'il était monté, monté, jugé, emprisonné.
00:12:25 C'est en rencontrant l'inspecteur chargé de l'enquête que j'ai découvert que ma tâche allait sérieusement se compliquer.
00:12:35 Ça faisait des mois qu'il était enfermé le gars Marcel, moi je ne savais plus quoi lui raconter.
00:12:39 Mais merde, il fallait qu'il tienne quoi, qu'est-ce que je pouvais lui raconter de plus maintenant ?
00:12:43 Vous avez attendu un jour de trop, je lui ai dit.
00:12:47 Il n'a rien compris, il bredouillait, plus il bredouillait, plus j'avais envie de l'égorger.
00:12:52 Ce jour-là au parloir, il n'y avait personne.
00:12:58 Je n'ai pas compris, j'ai appelé le gardien.
00:13:01 Il m'a dit en regardant ailleurs "Il n'y a plus de Marcel Vigo ici."
00:13:05 Mais je vous jure que je n'avais pas bu, j'avais toute ma tête à moi.
00:13:10 Mais je ne voulais pas le croire.
00:13:14 Il l'a retrouvé le matin même.
00:13:16 Pendu.
00:13:20 Pendu au bout de sa chemise le gars Marcel.
00:13:26 Il répétait en boucle "Mort, il est mort."
00:13:32 Bien évidemment qu'il était mort, pendu dans sa cellule, au matin.
00:13:38 Le jour même où il était passé aux aveux.
00:13:42 Franchement, je peux vous dire que Marcel Vigo, il n'a jamais eu de chance.
00:13:46 A un jour près, il était libre.
00:13:49 A un jour près.
00:13:51 A un jour près, j'aurais pu le retrouver le gars Marcel.
00:13:54 Bon, il m'aurait encore saoulé la gueule avec son histoire.
00:13:57 Personne ne l'aurait cru.
00:13:59 Mais en tous les cas, je peux vous dire que pour lui, la rue, c'était le paradis.
00:14:03 Le paradis.
00:14:04 Et que derrière les barreaux, il n'y avait pas de vie.
00:14:10 Mais qu'une vraie amitié était née sur le trottoir.
00:14:12 Une vraie amitié.
00:14:13 Et ça c'est du solide.
00:14:16 Allez mon Marcel.
00:14:20 Je pense à toi mon Marcel.
00:14:23 Tais, mon Marcel.
00:14:26 Parce qu'à son procès, le récit de Marcel Vigo était rocambolesque.
00:14:29 Parce qu'il était proprement incroyable.
00:14:32 La police et le juge d'instruction n'ont pas cherché plus loin.
00:14:35 Pourquoi en effet douter de l'identité d'un meurtrier, lorsqu'il s'agit d'un vagabond,
00:14:39 retrouvé ivre, repu, couvert de sang,
00:14:43 dans un salon bourgeois, à proximité d'un cadavre ?
00:14:56 Souvenez-vous de ce que me disait mon ami avocat.
00:14:59 La justice est une immense hypothèse.
00:15:02 Cette hypothèse s'est malheureusement démontrée.
00:15:07 Et Marcel l'a payée de sa vie.
00:15:13 On dit de Paris qu'elle est la ville lumière.
00:15:23 Mais pour les âmes en peine et pour les cœurs brisés,
00:15:26 Paris peut se transformer, croyez-moi, en cité des ténèbres.
00:15:30 Tenez, j'ai un avant-garde qui m'a fait penser à la ville de Paris.
00:15:35 Tenez, Jeanne a 24 ans.
00:15:37 Et elle vit seule dans son coquet appartement à la lisière du bois de Boulogne.
00:15:41 Secrétaire comptable dans un important laboratoire pharmaceutique,
00:15:45 elle gagne confortablement sa vie et se passionne pour la musique.
00:15:49 D'éphémères compagnons ont partagé sa vie,
00:15:52 mais le dernier en date n'est plus aujourd'hui qu'un douloureux souvenir.
00:15:56 Ainsi, quand la jeune femme entre chez elle le soir,
00:15:59 personne n'est là pour l'accueillir, et sa vie coule,
00:16:03 sans haut ni bas, sans joie ni peine,
00:16:05 une petite vie, terne, banale.
00:16:09 Ce jour-là, j'avais décidé que tout devait s'arrêter.
00:16:23 C'en était vraiment trop.
00:16:26 Ma vie à l'époque, franchement, désespérément banale.
00:16:32 J'avais un boulot qui me plaisait, mais sans plus.
00:16:34 J'étais célibataire, mais je pense que j'aurais été avec quelqu'un,
00:16:37 ça aurait été la même chose.
00:16:39 J'avais plus goût à rien.
00:16:42 Je crois que c'est ça la déprime, ouais, vraiment.
00:16:46 Ça vient pas d'un seul coup, hein.
00:16:49 C'est des petites choses qui s'incrusent, qui s'accumulent,
00:16:52 qui nous tirent vers le bas, et...
00:16:55 de la mélancolie.
00:16:57 L'idée que, bah, la vie, si c'est ça, bah, ça sert à rien.
00:17:01 Qu'est-ce que je pouvais faire à 6000 kilomètres de distance ?
00:17:05 Moi, j'étais à New York, elle, à Paris, j'étais complètement paniquée.
00:17:09 Vraiment, ce jour, je m'en souviendrai toute ma vie.
00:17:12 Je vais vous dire, des histoires comme celle-là,
00:17:14 on n'en voit qu'une dans une carrière de policier.
00:17:16 Une seule.
00:17:18 Alors, j'ai eu envie d'en finir.
00:17:22 Cette jeune fille, je n'en avais jamais entendu parler.
00:17:26 Et après, cette histoire est devenue un peu pour moi
00:17:30 comme une seconde fille.
00:17:32 J'ai pris tous les médicaments qui traînaient,
00:17:37 et je me suis allongée sur le lit.
00:17:39 J'ai attendu 20, 30 minutes.
00:17:42 Je me suis sentie bien, comme transportée, un peu ailleurs.
00:17:47 Et j'ai pris un rasoir,
00:17:51 et je me suis donné des petits coups sur les poignets.
00:17:54 Je ne me souviens pas avoir eu mal, hein, c'était...
00:17:57 Enfin, j'étais droguée, donc ça saignait beaucoup, c'est tout.
00:18:00 Il était minuit, minuit et demi.
00:18:03 En France, on compte un suicide toutes les 40 minutes.
00:18:23 C'est vrai, ce sont les chiffres officiels.
00:18:26 Et ça ne s'arrête pas la nuit, au contraire.
00:18:28 C'est là qu'on en a le plus.
00:18:30 L'isolement, l'idée qu'autour de vous, tout le monde dort,
00:18:33 que personne ne pourra vous arrêter.
00:18:35 Je vous dis, dès que la nuit tombe, les gens ont des idées noires.
00:18:39 J'ai voulu prévenir quelqu'un pour expliquer mon geste.
00:18:47 Il y en a qui laissent des lettres.
00:18:49 Moi, j'avais envie de parler une dernière fois.
00:18:52 J'ai pris mon carnet d'adresse,
00:18:55 j'ai regardé tous les noms des amis, de la famille, des copains à Paris.
00:19:00 Et là, je me suis dit, si t'appelles quelqu'un à Paris,
00:19:03 il va tout de suite t'envoyer les pompiers ou je ne sais qui,
00:19:05 il t'aura tout raté.
00:19:07 Et non, ce jour-là, j'avais vraiment pas envie de m'en rater.
00:19:10 Dix ans plus tôt, rêvant d'Amérique comme beaucoup d'adolescentes,
00:19:14 Jeanne avait bouclé son sac pour rejoindre une famille d'accueil à New York.
00:19:17 Un séjour de trois semaines inoubliable,
00:19:20 partagé entre visites culturelles, rencontres, découvertes.
00:19:24 Edouard, le garçon de la famille, avait été à la fois son guide attentionné
00:19:28 et son flirte affectueux.
00:19:30 Et c'est lui, alors que chaque seconde la rapproche maintenant de la mort,
00:19:34 c'est lui qu'elle décide d'appeler.
00:19:37 Mais se souvient-il seulement de la petite Française d'autrefois ?
00:19:42 On avait gardé le contact.
00:19:44 Et alors, elle savait ce que je faisais,
00:19:47 je savais ce qu'elle faisait, son travail, sa vie.
00:19:52 Ça faisait vraiment longtemps que je n'avais pas eu de contact avec elle,
00:19:54 alors j'avais presque oublié.
00:19:56 À six heures et demie, je me souviens vraiment très bien,
00:20:00 à six heures et demie du soir, tout à coup le téléphone a sonné.
00:20:03 Quand on appelle aux Etats-Unis, il y a un long silence
00:20:06 et puis après il y a une autre sonnerie très particulière qui vient de loin.
00:20:10 Et quand je l'ai entendu, je me suis dit qu'il allait répondre très vite.
00:20:14 Alors je décrochais, je dis "Hello, hello".
00:20:17 Je n'entendais rien.
00:20:20 "Are you there ?" Je parlais en anglais,
00:20:22 évidemment je ne pouvais pas savoir quelqu'un appelait de France.
00:20:25 Je l'entendais, mais je ne pouvais pas lui parler.
00:20:31 J'entendais la respiration comme ça.
00:20:35 Alors j'ai continué "Hello, hello".
00:20:37 "Edouard, c'est Jeanne".
00:20:40 Voilà, c'est tout ce que je lui ai dit.
00:20:42 Jeanne ? Je ne la connaissais pas.
00:20:46 Cinq ans, Jeanne, je ne la connaissais qu'une seule,
00:20:49 alors je savais exactement qui c'était.
00:20:51 Mais en même temps, j'étais surpris,
00:20:53 parce que comme je disais, ça faisait tellement longtemps,
00:20:55 mais j'étais contente vraiment.
00:20:57 Alors je lui ai dit "Comment ça va ? Qu'est-ce que tu deviens ?"
00:21:00 Et là, elle me dit quelque chose de complètement horrible.
00:21:06 J'étais choquée.
00:21:10 Et puis j'ai tout dit, les médicaments, l'envie d'en finir,
00:21:13 la lame de rasoir, le sang, que c'était trop tard
00:21:17 et que j'avais juste besoin de dire à quelqu'un.
00:21:19 Alors pendant un moment, je me dis "C'est pas possible, c'est une blague,
00:21:25 on ne fait pas des blagues comme ça, "seriously".
00:21:28 Et alors je lui demande "Mais qu'est-ce qui se passe ?
00:21:31 Qu'est-ce que tu as fait ? Il faut que quelqu'un vienne t'aider."
00:21:35 Et moi, qu'est-ce que je peux faire ? Je suis, regardez, je suis ici,
00:21:39 à 6 000 kilomètres de distance, je ne sais pas qu'est-ce que je peux faire.
00:21:44 Et je commence à paniquer.
00:21:47 Edouard, c'était le correspondant américain de Mathieu,
00:21:50 mon petit-fils, qui est à Londres maintenant.
00:21:53 Les parents d'Edouard, chaque année, recevaient des étudiants étrangers
00:21:58 pour des séjours linguistiques.
00:22:01 Edouard, je ne l'ai jamais vu.
00:22:06 Mais Mathieu en a beaucoup parlé. Ils étaient devenus amis.
00:22:11 C'est un garçon de la Suisse que j'avais connu il y a longtemps,
00:22:14 qui était aussi venu dans ma famille, comme Jeanne,
00:22:17 comme d'autres personnes qui étaient venues,
00:22:20 puisque la maison, comme je disais, c'était plein de gens qui venaient,
00:22:23 c'était, comme vous dites, l'auberge espagnole.
00:22:27 Alors moi, je me dis qu'il faut absolument faire quelque chose,
00:22:31 il faut appeler Mathieu, même s'il est en Suisse,
00:22:34 et puis bon, la Suisse, la France, pour moi, c'est le même pays,
00:22:39 c'est la même région, vous savez, aux Etats-Unis,
00:22:41 on n'est pas très bons en géographie.
00:22:43 Alors je me dis, c'est pas grave, ils se connaissent pas,
00:22:46 c'est pas grave, il faut qu'il appelle les secours en France
00:22:49 et qu'ils fassent quelque chose, c'est pas grave s'ils se connaissent pas.
00:22:53 Et moi, je parlais pas français, et bon, là, depuis,
00:22:56 j'ai appris un peu le français, voilà, je vis d'ailleurs en France.
00:23:00 Le téléphone a sonné.
00:23:03 C'était en pleine nuit, j'ai eu peur, j'ai cru qu'il était arrivé
00:23:07 et je me suis précipité sur le téléphone, et là, j'entends Mathieu.
00:23:12 Mathieu.
00:23:14 J'ai compris tout de suite qu'il s'agissait d'un étranger,
00:23:17 j'ai essayé de parler anglais, c'est la seule langue que je connaisse.
00:23:21 Quand j'ai entendu cette femme parler en anglais tout de suite,
00:23:25 j'ai été rassurée, parce que je me suis dit,
00:23:29 bon, Jeanne, elle est pratiquement sauvée.
00:23:33 Mathieu, c'était Mathieu, mon petit-fils.
00:23:37 Alors là, j'ai pensé tout de suite à Edouard.
00:23:41 Je sais pas pourquoi, mais j'ai fait le rapprochement.
00:23:44 Mais je savais pas du tout où j'appelais chez la grand-mère de Mathieu.
00:23:48 Il m'avait donné ce numéro, peut-être parce qu'il passait ses vacances là-bas,
00:23:53 je m'en rappelle plus.
00:23:55 J'entendais tout au téléphone.
00:23:57 Edouard avait repris une autre ligne, il essayait de joindre quelqu'un en France.
00:24:02 Je voulais pas y croire.
00:24:04 Vous pensez, un Américain me téléphone, à moi, une grand-mère qui habite Genève,
00:24:12 pour me dire qu'il est en ligne avec une jeune fille de Paris,
00:24:16 qui est en danger de mort, et qu'il faut que je passe tout pour la sauver.
00:24:22 Il faut sauver Jeanne, il faut envoyer les secours, il faut faire quelque chose.
00:24:27 Voilà, c'est ça que j'ai dit, aller, me demander son adresse,
00:24:31 et moi, je le savais pas.
00:24:33 J'avais pas du tout envie d'être sauvée.
00:24:36 Et puis, je sais pas pourquoi, je lui ai donné mon adresse.
00:24:43 Alors, j'avais d'un côté Paris au téléphone, j'avais de l'autre côté la Suisse,
00:24:48 et moi j'étais là, au beau milieu, à 6000 kilomètres, en train d'essayer de gérer cette crise.
00:24:54 Et y avait quelqu'un de l'autre côté au téléphone, qui allait peut-être mourir,
00:24:59 qui allait perdre tout son sang, et c'était... c'est n'importe quoi, cette histoire.
00:25:03 Il m'a donné l'adresse, 25 rue de Passy, c'est tout ce que je savais.
00:25:07 Elle s'appelait Jeanne, cette jeune femme que je ne connaissais pas,
00:25:11 qui perdait tout son sang, et qui pouvait mourir d'un moment à l'autre, chez elle.
00:25:17 C'était à moi, à trouver comment faire pour la sauver.
00:25:25 Je disais qu'il fallait appeler les secours, appeler la police, faire quelque chose,
00:25:29 moi je pouvais pas le faire, il fallait que je reste au téléphone avec Jeanne.
00:25:35 Et en plus, de toute façon, moi je parlais pas français,
00:25:39 donc la police, elle aurait rien compris à ce que j'aurais raconté.
00:25:42 Je raccrochais le téléphone, j'ai tout de suite appelé les renseignements à Genève
00:25:46 pour avoir le numéro de téléphone de la police à Paris,
00:25:50 mais moi, à Genève, je savais pas qu'il y avait tellement de commissariats de police à Paris.
00:25:55 J'avais perdu le contact avec Alice depuis déjà une minute, ça me paraissait des siècles.
00:26:03 Et de l'autre côté, j'entendais plus Jeanne.
00:26:08 J'étais à bout de nerfs, j'ai hurlé dans tout le bureau.
00:26:16 [Musique]
00:26:30 Et j'ai dit aux policiers que ma fille, Jeanne, avait fait une tentative de suicide à Paris, au 25 rue de Passy.
00:26:38 J'ai appris bien après qu'Alice avait dit aux policiers qu'elle était ma mère.
00:26:43 J'ai agi pour elle comme j'aurai agi pour ma propre fille.
00:26:46 Le policier m'a dit qu'il allait envoyer tout de suite une patrouille et qu'il allait prévenir les pompiers.
00:26:53 On pouvait plus rien faire, on était... complètement impuissants.
00:27:00 À cet instant précis, Édouard et Alice ont joué leur vatou.
00:27:05 Édouard a téléphoné à Alice qui, de son côté, a réussi à joindre la police française.
00:27:11 Mais la police, est-elle déjà en route ? Jeanne, est-elle encore en vie ?
00:27:15 Figé devant leur téléphone, Édouard et Alice ignorent tous les événements qui se déroulent à Paris.
00:27:20 Ils n'ont d'autre choix que d'endurer l'épreuve insupportable de l'attente.
00:27:24 Attendre, attendre, attendre, attendre...
00:27:28 Et je n'entendais plus rien au téléphone et...
00:27:33 Et je me disais "c'est trop tard".
00:27:39 Et qu'est-ce que j'aurais pu faire pour gagner du temps ?
00:27:43 Et rien, c'était... c'était trop tard.
00:27:49 Mais je... je... je ne pouvais pas raccrocher.
00:27:54 Le silence, c'était...
00:27:59 Ça m'a fait vraiment perdre espoir.
00:28:05 Je voyais déjà les médecins autour de Jeanne, agonisant.
00:28:09 Morte, peut-être ?
00:28:12 Et tout d'un coup, j'entends comme des bruits sourds dans le téléphone,
00:28:19 comme quelqu'un qui frappe à une porte.
00:28:23 Et j'entendais des voix qui criaient, c'était en français, alors je ne comprenais pas.
00:28:29 Et tout de suite, tout de suite, j'ai pensé "c'est le secours".
00:28:34 Ils ont défoncé ma porte.
00:28:36 De toute manière, je ne pouvais pas leur ouvrir, j'étais presque inconsciente.
00:28:40 J'ai pris le téléphone et il y avait un homme au bout du fil, visiblement c'était un Américain.
00:28:50 Alors j'ai dit "elle est sauvée, Jeanne est sauvée, la personne est vivante, vivante".
00:28:56 Jeanne est sauvée, Jeanne en vie.
00:29:02 Jeanne est sauvée en vie, ça j'ai bien compris.
00:29:07 Je me suis effondré de soulagement sur mon bureau.
00:29:15 Et tout de suite après, j'ai appelé Alice pour lui donner la bonne nouvelle.
00:29:20 Je savais déjà bonne nouvelle parce que la police m'avait rappelé.
00:29:27 La voix d'Edouard ce soir-là, c'est une chose que je n'oublierai jamais.
00:29:31 Sa joie, son soulagement.
00:29:34 A l'hôpital, j'ai appris comment j'avais été sauvée, comment Edouard et Alice avaient agi.
00:29:41 Et je les ai appelés tous les deux pour les remercier.
00:29:44 Depuis, j'ai repris confiance en moi et je sais ce que le mot "générosité" veut dire.
00:29:54 Edouard et Alice, c'est un peu comme mes anges gardiens.
00:29:57 Je pense à eux tous les jours et ça me fait avancer.
00:30:00 Quant à la limite de ses forces, Jeanne a composé le numéro d'Edouard.
00:30:07 Il aurait pu se trouver à Pékin ou à Sydney.
00:30:10 Alice aurait pu être à Rome ou au fond de son jardin.
00:30:13 Elle aurait pu aussi ne pas croire à un mot de cette histoire extravagante et raccrocher son téléphone.
00:30:19 Les langues étrangères, les décalages horaires, la qualité des liaisons transatlantiques
00:30:24 auraient pu eux aussi contrarier cette incroyable opération de sauvetage à distance.
00:30:28 Eh bien le destin, on a décidé autrement.
00:30:31 Jeanne devait vivre.
00:30:33 Mais pendant quelques heures tragiques, sa vie n'a tenu qu'à un fil.
00:30:37 Un petit fil en cuivre.
00:30:40 Le fil d'un téléphone.
00:30:44 [Musique]
00:30:48 On dit fréquemment que le rire est le propre de l'homme.
00:30:52 Le rire allège le poids de l'âme et ensoleille le quotidien.
00:30:56 Pour ma part, je ne conçois pas passer une journée sans rire au moins quelques instants.
00:31:00 Mais on connaît aussi l'expression mourir de rire.
00:31:04 Elle peut être diversement interprétée.
00:31:07 Elle peut aussi parfois être prise au pied de la lettre.
00:31:12 Brigitte Legrand a 27 ans.
00:31:15 Elle est employée depuis 6 ans par la banque régionale de crédit à Paris.
00:31:19 C'est une jolie fille, affectueuse, un peu effacée.
00:31:23 Elle vient d'emménager avec Gérard Piller, son fiancé, employé de banque lui aussi.
00:31:27 La vie de Brigitte se déroule sans heure.
00:31:30 En 94, je suis rentrée à la banque régionale de crédit.
00:31:35 J'y étais depuis un ou deux ans quand j'ai su qu'ils recrutaient.
00:31:39 Alors j'ai tout de suite pensé à Brigitte.
00:31:41 Au début, elle n'avait pas de petit copain.
00:31:46 On ne sortait pas beaucoup.
00:31:48 Enfin, de temps en temps, le samedi soir.
00:31:51 Et puis, un jour, elle est tombée amoureuse.
00:31:54 Mais ça, elle ne le disait à personne.
00:31:56 Même moi, il a fallu que je lui sorte les verres du nez.
00:31:58 C'était Gérard au guichet de change.
00:32:02 Il est beau garçon, c'est vrai.
00:32:05 Même si ce n'est pas mon genre.
00:32:09 Et dès qu'il s'approchait à moins de 5 mètres, Brigitte rougissait jusqu'aux oreilles.
00:32:13 Manifestement, il n'était pas indifférent non plus.
00:32:17 Et puis, il a fini par se décider.
00:32:21 Ils sont installés ensemble l'été 2001.
00:32:24 Tout allait vraiment bien pour elle.
00:32:28 Bon, écoutez, on ne va pas perdre de temps.
00:32:30 Je vais vous dire rapidement ce qui s'est passé.
00:32:32 Mais je vous rappelle que je suis pressé. J'ai un rendez-vous urgent.
00:32:35 Le directeur de l'agence bancaire n'a pas souhaité s'exprimer officiellement sur cette affaire.
00:32:38 Nous l'avons donc filmé à son insu.
00:32:41 Dès que le colis est arrivé, j'ai convoqué Brigitte Legrand. Qu'est-ce que vous vouliez que je fasse ?
00:32:45 Le colis ?
00:32:47 Il était gros. Comme ça.
00:32:49 Brigitte a décroché le téléphone. Elle était toute pâle.
00:32:53 Elle s'est levée et elle m'a dit "je suis convoquée chez Parisot".
00:32:56 Ce n'était pas très bon signe. Il n'est pas du genre à faire des compliments.
00:32:59 Il n'y avait que le nom de Brigitte Legrand sur le colis et l'adresse de l'agence.
00:33:04 Pas de nom d'expéditeur.
00:33:05 Mademoiselle Legrand m'a assuré qu'elle n'attendait pas de paquet.
00:33:09 Cela dit, c'est rigoureusement interdit de se faire envoyer quoi que ce soit de personnel à la banque.
00:33:15 Alors j'ai pensé qu'elle pouvait me mentir.
00:33:18 Et comme elle refusait de prendre le paquet et qu'elle jurait n'être au courant de rien, j'ai appelé la police.
00:33:24 Brigitte Legrand trouve la réaction de son patron tout à fait excessive.
00:33:28 Elle souhaiterait que cette affaire en reste là.
00:33:31 Mais la police est bientôt sur les lieux.
00:33:33 En fait, c'était une alerte à la bombe comme nous en avons l'habitude.
00:33:41 Dans un premier temps, la police arrive sur les lieux pour examiner le colis.
00:33:44 Et s'ils confirment le risque, ils font appel à nos services.
00:33:47 Toute l'agence a été évacuée.
00:33:49 Je me souviens, ça faisait du monde sur le trottoir.
00:33:51 Et ensuite, ils ont fait évacuer les habitants de l'immeuble.
00:33:54 J'étais affolée. Je ne voyais pas Brigitte.
00:33:57 Elle n'était pas sortie du bureau de Parisot.
00:34:00 Et puis ensuite, je l'ai vue de loin, entourée de policiers.
00:34:04 J'étais paniquée, je me demandais ce qui se passait.
00:34:06 La police a fait un cordon de sécurité tout autour du quartier.
00:34:10 Des hommes en civil sont entrés avec des grosses machines, des chiens avec des muselières.
00:34:15 C'était fou.
00:34:17 Les collègues interrogeaient Mademoiselle Legrand, mais elle semblait tomber des nues.
00:34:24 La pauvre, elle avait peur.
00:34:28 Ce colis pouvait contenir une bombe, elle s'est dit qu'on pouvait en vouloir à sa vie, c'est normal.
00:34:31 On s'est approchés du colis, on a fait l'examen habituel.
00:34:35 Apparemment, il n'y avait rien de suspect.
00:34:37 L'attente nous a paru interminable.
00:34:39 On savait tous qu'on pouvait sauter d'une minute à l'autre.
00:34:42 Gérard et moi, on se faisait vraiment du souci pour Brigitte.
00:34:45 Et puis, les journalistes sont arrivés.
00:34:48 Ça faisait facilement une heure que tout le quartier était bouclé.
00:34:51 Alors, on entendait claxonner dans les rues adjacentes.
00:34:54 Ce sont les chiens qui nous ont alertés, en fait.
00:34:57 Ils étaient pas comme d'habitude, ils étaient excités, attirés par le paquet, ils remuaient la queue.
00:35:00 Alors, je me suis dit que je pouvais prendre le risque de l'ouvrir.
00:35:03 J'ai consulté mes collègues une dernière fois, et quand j'ai vu qu'ils allaient dans mon sens, j'ai enlevé le papier.
00:35:08 Et là, une fois le colis ouvert, j'ai pas pu retenir un fou rire.
00:35:14 Je n'aime pas la publicité de ce genre, je suis là pour faire mon travail, c'est tout.
00:35:20 Le cauchemar d'un patron d'agence, c'est le hold-up ou l'attentat.
00:35:23 Nous avons la responsabilité de nos clients.
00:35:26 Alors, je peux vous dire que cette histoire ne m'a pas du tout amusé, mais alors pas du tout !
00:35:30 Le responsable du service de déminage quitte la banque.
00:35:52 Il a le colis suspect dans les mains.
00:35:55 Les employés et quelques curieux qui attendaient sur le trottoir se précipitent aussitôt pour voir ce qu'il contient.
00:35:59 Et un éclat de rire tonitruant, contagieux, gagne bientôt l'assistance.
00:36:04 Une belle tête de veau, la langue pendante, trône dans le carton, enrobée de papier argenté.
00:36:11 Mais c'est pas tout ! La tête est affublée d'une magnifique perruque blonde, les yeux sont maquillés, et le groin a été passé au rouge à lèvres.
00:36:19 La tête ainsi travestie ressemble à qui ?
00:36:24 A Brigitte Legrand.
00:36:25 On n'a pas pu en parler tout de suite avec Brigitte, parce qu'elle est tout de suite partie au poste de police avec l'inspecteur, qui ne trouvait pas ça drôle du tout d'ailleurs.
00:36:34 Gérard, il se posait des questions, tandis que les collègues, ils se marraient, ils se moquaient de Brigitte.
00:36:39 Le commissaire a convoqué Brigitte Legrand au poste.
00:36:44 En fait, il craignait une manœuvre de diversion, c'est une technique assez classique, mettre toutes les ressources sur un leurre pendant que les terroristes frappent ailleurs.
00:36:53 Brigitte a dû subir un interrogatoire en règle, évidemment, tout y est passé, sa famille, ses amis, sa vie privée.
00:36:59 Ils sont venus nous chercher, Gérard et moi. Ils ont vérifié nos carnets d'adresse, nos relations, ils nous ont demandé nos opinions politiques.
00:37:07 Gérard était furieux. Ils ont tout passé au peigne fin, comme si on était des terroristes.
00:37:13 Et on n'est retourné à la banque que dans l'après-midi.
00:37:16 J'étais soulagée qu'on en finisse et que Brigitte soit enfin libérée.
00:37:21 Brigitte est à bout de nerfs, humiliée par la mascarade grotesque, épuisée par l'interrogatoire qu'elle vient de subir.
00:37:29 Elle n'a qu'un désir, fuir, se réfugier chez elle, oublier ce cauchemar.
00:37:33 Elle ignore que son calvaire ne fait que commencer.
00:37:36 De retour à l'agence, Parizeau nous a dit de rentrer chez nous. Mais pas Brigitte. Il l'a convoquée une nouvelle fois dans son bureau, avec son ton dur et autoritaire.
00:37:58 Je l'ai déjà dit, on ne va pas y revenir. Pour moi, l'image de la banque, la sécurité et la clientèle, c'est sacré. Qu'est-ce que vous voulez savoir de plus ? Le sujet est clos.
00:38:05 Je l'ai licenciée pour faute grave, c'est ça que vous voulez me faire dire ?
00:38:10 Eh bien oui ! Je ne l'ai pas empêchée de nous attaquer au prud'homme. Mais je ne pouvais pas laisser le discrédit et le ridicule toucher notre établissement.
00:38:17 Et maintenant, excusez-moi, mais je ne peux pas vous laisser faire ce que vous voulez.
00:38:22 Seule, abandonnée de tous, sa lettre de licenciement en main, Brigitte vacille sur le trottoir et des larmes amères roulent sur ses joues.
00:38:42 Elle a très mal vécu tout ça. Être chômas, ça l'a tout simplement détruite.
00:39:05 Sa famille était partie s'installer dans le sud. Combien de fois je l'ai poussée à y aller, elle était effondrée. Elle n'avait même plus envie de les voir.
00:39:15 Et la question qu'on s'est tous posé, c'était qui avait bien pu faire cette blague stupide ? On a tout imaginé. On n'a jamais trouvé.
00:39:27 Et j'ai pensé qu'il fallait oublier. Dans le fond, c'était le passé. Ça n'avait pas tellement d'importance. C'est ce que j'ai dit à Brigitte. Mais elle ne m'a pas écoutée.
00:39:38 Brigitte Despery. Toute énergie l'a abandonnée. Son appartement se transforme en taudis. Son humeur est massacrante.
00:39:58 Elle a beau s'être fait teindre les cheveux en brun pour n'avoir plus aucun rapport avec la stupide tête de veau, rien n'y fait. Cette image l'obsède.
00:40:12 Gérard, son fiancé, cède à son tour à la norasténie. Des querelles éclatent à tout propos entre les jeunes gens jusqu'à ce qu'une séparation devienne inévitable.
00:40:22 Elle était blanche comme un linge quand elle a sonné à la maison. Gérard venait de partir. Elle est restée quelques jours. Mais elle ne mangeait rien. Elle était méconnaissable.
00:40:39 Elle alternait les moments de larmes et d'agressivité. Je crois qu'elle n'a pas fermé l'œil pendant tout le temps qu'elle était là. Alors j'ai appelé mon médecin. On y est allés toutes les deux. Et il a confirmé qu'elle était très mal.
00:40:56 Il lui a conseillé des antidépresseurs, des anxiolytiques. Et puis j'ai cru qu'elle allait mieux. Alors elle est retournée chez elle. J'aurais jamais dû la laisser repartir.
00:41:15 J'étais à la banque quand la police a appelé. Ils l'ont trouvée morte dans son lit. Les flacons vides autour d'elle.
00:41:39 Quand j'ai appris sa mort, je peux vous assurer que ça m'a fait un choc. J'ai eu un peu honte. Je m'en suis voulu d'avoir ri à la découverte de cette tête de veau. Même si en même temps, avec du recul, je me dis que je ne suis pas responsable de son geste.
00:41:52 En tout cas aujourd'hui, quand j'ouvre un colis suspect, je fais toujours attention à mes réactions et j'ai toujours une pensée pour elle.
00:42:03 Je vous ai dit tout ce que j'avais à dire sur cette affaire. Je décline toute responsabilité. Allez, vous entrez. J'ai du travail.
00:42:25 À l'enterrement, il y avait toute sa famille, ses amis. On était tous dans un état. La pauvre Brigitte. Et puis, au cimetière, il y avait cette femme à côté de moi qui arrêtait pas de pleurer.
00:42:43 Au moment de l'inhumation, on était juste là. Elle était comme secouée de tremblements nerveux. Je connaissais pas du tout son visage, mais sa peine me touchait. Alors je lui ai demandé comment elle connaissait Brigitte.
00:42:59 Et elle m'a conduite un peu à l'écart. Et tout en pleurant, elle m'a dit "la tête de veau". C'était moi. J'étais abasourdie. Je lui ai demandé des explications.
00:43:14 Elle m'a avoué qu'elle était la petite amie de Gérard avant qu'il tombe amoureux de Brigitte. Elle a pas supporté la rupture. Jalouse, elle a suivi Brigitte jusqu'à la banque.
00:43:25 Et puis un matin, elle a mis au point cette vengeance stupide. Elle est allée chez le charcutier. Elle m'a dit que ce qu'elle voulait, c'était juste la ridiculiser devant ses collègues et devant Gérard.
00:43:41 Et elle a pensé que cette blague pourrait aller aussi loin. C'est bizarre, mais j'arrivais pas à lui en vouloir. C'était une femme touchante dans le fond.
00:43:57 L'inconnue s'est vengée de la trahison de son amant au-delà de ses espérances. A aucun moment, elle n'a réellement mesuré les conséquences d'un acte qu'elle voulait innocent. Elle n'a pas imaginé un instant que le rire est une arme.
00:44:12 Qu'un rire peut blesser comme une gifle. Qu'un rire peut tuer. Ne dit-on pas qu'on peut mourir de rire.
00:44:24 [Générique]
00:44:31 Quand j'étais passionné de navigation, j'ai eu l'occasion de me faire raconter d'innombrables histoires de mers et de marins. Des récits de toutes sortes, cocasses, pathétiques, drôles, tragiques.
00:44:41 Certains me sont sortis de l'esprit, mais il y en a un que je n'ai jamais oublié. Le plus extraordinaire de tous.
00:44:49 Écoutez bien. Notre affaire se déroule en Méditerranée. Une aube brumeuse se lève sur le pont d'un yacht.
00:44:55 A cet instant, deux ombres grotesques s'avancent l'une vers l'autre. Deux monstres, caparassonnés de fer et de boulons. Deux chevaliers casqués, supportant des armures.
00:45:08 Le premier, Charles, est le fils d'un banquier. Le second, Sébastien, possède des vignes dans le bordelais. Ils ont 27 en tous les deux et ils s'apprêtent à combattre.
00:45:19 Je tiens à préciser que mon histoire ne se déroule pas dans un lointain passé, mais à la fin des années 90. Je tiens encore à indiquer qu'il ne s'agit pas d'un jeu de rôle ou du tournage d'un film.
00:45:34 La scène est bien réelle, puisqu'il s'agit d'un duel à mort pour les beaux yeux d'une créature de rêve.
00:45:49 Vous comprendrez quand vous la verrez. Véronica est bien trop belle pour être décrite. Sublime, sauvage, sensuel, magnétique. Aucun de ses mots ne rend hommage à ce qu'elle est.
00:46:02 J'avais à peine 18 ans la première fois que je l'ai vue dans ce restaurant. Et elle m'a rendu fou.
00:46:08 Cet homme est arrivé entouré de femmes. Il paraissait le ménage de l'endroit, donc je suis allée vers lui et j'ai lui demandé ce qu'il désirait.
00:46:17 Vous. C'est ça que j'ai répondu. Juste vous. Je la voulais. Je voulais qu'elle soit à moi tout de suite.
00:46:26 Donc je lui ai mis une claque avec toutes mes forces. Moi j'ai l'horreur que les hommes me parlent comme ça, comme si j'étais une potiche.
00:46:37 Le patron, qui devait savoir qui était mon père, est arrivé en courant, complètement épouvanté. Pour me présenter ses excuses, il voulait la renvoyer sur le champ.
00:46:44 Mais moi, je les aurais me brûlés, je devais être au rouge et j'avais jamais été aussi humilié, mais je lui ai ordonné de surtout pas la renvoyer.
00:46:54 Depuis le temps que j'attendais qu'une femme me résiste, je n'allais pas la laisser filer comme ça.
00:46:59 Les jours après, il est arrivé nous. Alors que j'étais en coussine, il m'a fait apporter une boîte dans laquelle j'ai trouvé un bras salé en or assorti de diamants.
00:47:09 Je suis allée vers sa table, j'ai mis en face le bras salé et j'ai lui dit "combien ça coûtait ça?"
00:47:18 Et après je lui ai dit que ce prix là, je n'étais pas intéressée, je suis partie. Qu'est-ce que je croyais?
00:47:25 J'étais estomaqué. Je lui ai répondu que c'était un cadeau et que ça se faisait pas de demander le prix.
00:47:32 Alors elle sèchement, elle m'a répondu "ce bras salé c'est pour m'acheter, non? Alors je veux savoir ce que je vaux pour vous."
00:47:41 Jamais personne ne m'avait parlé comme ça avec autant de franchise. J'ai trouvé ça irrésistible.
00:47:47 Alors je lui ai donné le prix du bras salé. Entre nous, c'était mon père qui l'avait payé. Un million. Je pensais que ça l'impressionnerait.
00:47:56 Et une fois encore, sa réponse m'a désarçonné.
00:48:04 Il pouvait les garder son bras salé. J'ai vu plus que ça. J'ai lui dit qu'à ce prix là, je n'étais plus intéressée. Et puis je suis partie.
00:48:13 L'histoire entre Charles et Véronica commence ainsi. Pour Charles, auquel la vie a tout offert, ne refuse rien, cette femme est un défi.
00:48:22 Car il a beau l'installer dans un somptueux appartement, la couvrir de cadeaux, l'inviter dans les meilleurs restaurants, la belle s'échappe et repousse ses avances.
00:48:31 Alors toute la ville se gosse, du playboy est conduit.
00:48:34 Un jour, alors que le couple assiste à une soirée mondaine, il fait la connaissance de Sébastien, le jeune véticulteur dont je vous ai parlé.
00:48:43 Comme si le destin les avait désignés du doigt, Charles, Sébastien et Véronica vont devenir inséparables.
00:48:54 Toute ma vie, je m'en voudrais d'avoir insisté pour qu'il vienne. Nous étions en pleine période de vendange et il travaillait jour et nuit.
00:49:03 D'ailleurs, je trouvais qu'il en faisait un petit peu trop. C'est pourquoi je lui ai proposé de faire une petite pause.
00:49:07 Il faut vous dire que depuis la mort de son père, je me sentais un peu responsable de lui. Bref, nous venions d'arriver à cette fête quand Sébastien a aperçu Véronica.
00:49:17 Comme moi, il avait entendu parler de la jeune femme qui avait envoûté le fils du banquier.
00:49:21 Mais comme c'était pas le genre à écouter les racontards, pourtant, du premier regard, je l'ai senti subjugué.
00:49:29 D'ailleurs, il ne m'écoutait même plus. Il faut vous dire que la jeune femme était d'une beauté vraiment extraordinaire.
00:49:35 Charles adorait me montrer dans toutes les soirées mondiales de la région. Et moi, je m'en moquais complètement.
00:49:41 C'était comme si je n'avais rien à perdre. Je me laissais faire. Jusqu'un jour, Sébastien était venu à me parler.
00:49:49 Il m'a regardé droit aux yeux. Alors que tous les hommes me sortaient le même type de banalité sur ma beauté, mes origines hispaniques, toujours les mêmes choses.
00:49:59 Sébastien, lui, il était différent. La première chose qu'il m'a demandé, c'était si c'était vrai, ça que tout le monde disait, que je faisais ça, que je voulais de Charles.
00:50:11 Ça m'a moussé. Mais quand il m'a demandé pourquoi je faisais ça, il m'a vraiment déstabilisé. J'étais touchée.
00:50:23 Sébastien était fasciné autant par sa beauté que par son raisonnement. Cette espèce de volonté qu'elle avait de tout vouloir contrôler pour se faire respecter des hommes.
00:50:35 Et ce, quel que soit le prix. J'ai lui dit que de jouer comme ça avec Charles ne me faisait plaisir pas spécialement, mais je n'avais pas le choix.
00:50:44 C'était la seule façon de me protéger, de me faire respecter pour les hommes. Je n'aimais pas faire traiter comme une pute. Et si un jour un homme voudrait m'épouser.
00:50:55 Auparavant, Sébastien n'avait jamais été vraiment intéressé par une femme. Mais là, c'était différent. Je le sentais. Ça crevait les yeux.
00:51:03 C'est pourquoi je n'ai pas été très étonné quand il a invité cette jeune femme à venir passer une journée sur nos terres quelques jours plus tard.
00:51:10 Et je crois que c'est ce jour là que tout a commencé. On a passé une vraie journée authentique. La campagne, lui, il m'a raconté tout simplement sa vie.
00:51:21 On a parlé de nous. En fait, c'était si loin de l'efface et les paillettes et les fêtes auxquelles je m'avais habitué avec Charles.
00:51:30 Déjà, avec tous les hommes qui lui avaient précédé. Elle était rayonnante. Il ne fallait pas être un grand devin pour voir ce qui se passait entre eux.
00:51:39 Il s'attirait littéralement comme deux aimants. J'en étais vraiment heureux pour Sébastien. J'ai résisté à tous mes efforts. Je ne voulais pas tomber amoureuse de lui.
00:51:50 Moi, je pensais que si je lui cédais, il va me méfier pour ça. Et puis, c'était plus fort. C'était plus fort que moi. Je n'ai plus tenu.
00:52:00 Je suis restée ce soir là et tous les jours qui ont suivi. On s'est plus séparés pendant un mois. On a passé toutes les journées, tous les soirs ensemble.
00:52:13 Jusqu'un jour, Charles, il était venu. Il venait d'apprendre. Une voiture de sport est arrivée en trompe sur la propriété. Un type en est descendu.
00:52:24 J'ai tout de suite reconnu le fils du banquier. Il était hystérique, certainement à moitié saoul. Il a forcé toutes les portes de la propriété.
00:52:33 Personne n'a pu l'arrêter, bien évidemment. Et là, il les a découverts nus, endormis ensemble. Alors il est devenu complètement fou. Il s'est mis à hurler voleur, espèce de voleur.
00:52:44 Elle est à moi, à moi. Et si j'avais su ce qui allait se passer ensuite, je serais tout de suite intervenu.
00:52:54 Je n'ai pas supporté l'entendre dire que je lui appartenais. Avec quel droit elle disait ça? Je lui ai dit que je n'ai jamais vu appartenant que c'était Sébastien qui m'avait.
00:53:05 Je sentais qu'il fallait se battre. Je sentais la violence en l'air et moi, je déteste trop la violence. Je ne la supporte pas. Donc je leur dis de régler ça entre nous. Je suis partie.
00:53:18 Charles exige que le combat soit à la hauteur de son enjeu. Démesuré. Il veut un duel sans merci. Total, titanesque. Sébastien accepte les conditions.
00:53:34 En secret, en se jurant mutuellement de ne jamais en informer Véronica, les jeunes gens décident de se retrouver le lendemain matin sur le pont d'Aït. Ils recrutent quatre témoins et achètent leur silence.
00:53:49 Tout est prêt pour que se déroule la joute la plus délirante qu'on puisse imaginer.
00:53:55 Ça va? Je vous présente Jean-Baptiste, qui était un des témoins à l'époque sur le duel.
00:54:09 Je vais pouvoir rester. Je viens des armures. J'avais récupéré deux armures du 16e siècle dans le château de mon père.
00:54:32 Comme c'était moi l'offensé, j'avais aussi choisi les armes, deux vieilles carabines à répétition, qui elles aussi appartenaient à mon père. Sébastien et moi, on en a pris chacun une.
00:54:42 Fallait qu'on règle ça comme des hommes. Nous, avec les poulies, on les a descendus tous les deux sur les canaux. On leur a énoncé les règles.
00:54:50 Si au bout d'une heure, il n'y avait pas de vainqueur, on arrêterait le combat. Avec le soleil qui commençait à se lever, on n'avait pas intérêt à se faire repérer.
00:54:57 Entre nous, on rigolait, on faisait même des paris. Qu'est ce qu'on était irresponsable à l'époque?
00:55:05 Et puis, les deux canaux sont éloignés l'un de l'autre et la mer était de plus en plus agitée, au point qu'ils avaient du mal à tenir en équilibre.
00:55:12 Sébastien et moi, on savait très bien que les balles avaient très peu de chances de traverser les cuirasses. L'objectif, c'était qu'elle déstabilise l'autre et qu'elle le fasse tomber à l'eau.
00:55:20 Parce qu'avec le poids de l'armure, celui qui tombait à l'eau était condamné à la noyade. Alors j'ai visé, j'ai tiré le premier et il a tiré à son tour.
00:55:28 Moi, j'avais parié sur lui. Il avait l'air de mieux connaître les armes. Mais au premier coup de feu, même s'il a réussi à toucher ta cuirasse, ça ne t'a pas déstabilisé.
00:55:38 J'étouffais complètement sous cette cuirasse de 60 kilos. La mer était déchaînée. Mais cet homme avait porté atteinte à mon honneur. Il fallait qu'il paie.
00:55:45 Au bout de 43 minutes exactement, Charles a déversé un nouveau chargeur sur Sébastien. Je ne sais pas très bien où les balles ont ricoché, mais ce qui est sûr, c'est qu'il a perdu l'équilibre.
00:55:55 Son canot s'est retourné et très vite, une lame de fond l'a recouvert. En deux, trois secondes, l'armure avait été engloutie. C'était fini.
00:56:04 Le vainqueur du combat est hissé à bord du yacht, brisé de fatigue et on fait rapidement disparaître son armure dans les flots. Les hommes rentrent au port.
00:56:23 Personne ne dit mot. Une semaine s'écoule avant que Charles se décide enfin à revoir Véronica. J'imaginais quelque chose de grave, peut-être à venir.
00:56:37 Et quand Charles était venu vers moi, je lui ai demandé où il était Sébastien. Je voulais savoir. Il était hors de question que je dise quoi que ce soit.
00:56:46 J'ai pas ouvert la bouche. Un secret, c'est un secret. J'ai pensé qu'elle n'avait pas grand chose à faire du Sébastien. Au bout de quelques secondes, elle s'est levée contre moi.
00:56:56 Elle m'a dit que quoi qu'il se soit passé, elle me pardonnait. J'ai été surpris une seconde et puis je me suis dit que finalement, elle n'était pas si différente des autres.
00:57:05 Elle avait succombé. J'ai dit que je n'appartenais qu'au banquier, que c'était eux que j'ai appartenu et j'ai l'ambassé, j'ai rempli d'amour et de tendresse.
00:57:21 Je voulais savoir la vérité. Enfin, j'avais gagné. J'avais ce que je voulais. Elle m'aimait, je le sentais. Après ce que j'avais fait pour elle, je la voulais pour la vie.
00:57:35 Alors j'ai demandé en mariage. J'ai accepté sa proposition en mariage avec une seule condition qu'il me dise la vérité sur Sébastien, qu'il me raconte tout.
00:57:47 Et après, on en parlera plus. Il m'a tout dit. Il m'a tout raconté sur les douelles, les canons, les armes, les armures de soixante kilos.
00:58:04 Il avait l'air si fier. Elle m'a fait un merveilleux sourire. Elle avait l'air ému de ce que j'avais fait pour elle.
00:58:18 Elle s'est ensuite éclipsée quelques minutes. Quand elle est revenue, j'ai compris à quel point j'avais été stupide. Elle était entourée de policiers. Ils venaient m'arrêter.
00:58:47 Véronica a mis six mois à parfaitement appréhender la vérité, à connaître les circonstances exactes de la mort de Sébastien.
00:58:56 Six mois de patiente obstination, six mois à dissimuler sa haine grandissante au meurtrier de son amour, six mois à peaufiner sa vengeance.
00:59:06 Charles a été condamné à cinq ans de prison. Il venait d'être libéré quand nous l'avons interrogé.
00:59:13 Quant à Véronica, elle a engagé des plongeurs pour repêcher le corps de son amant resté prisonnier de son armure au fond de la mer.
00:59:22 Puis elle l'a mise en terre en l'état. Sébastien, dans sa cuirasse d'un autre âge, comme un chevalier.
00:59:38 Il existe mille et une manières de commettre un crime de sang. Les criminologues les étudient car l'imagination des tueurs est sans limite.
00:59:45 Et les boîtes opératoires sont aussi variées que les personnalités de ceux qui les commettent.
00:59:50 Dans mes histoires, j'ai eu l'occasion d'évoquer des centaines de cas. J'ai dressé le portrait de quantité de psychopathes.
00:59:57 J'ai pourtant rarement eu connaissance d'un fait divers comme celui-ci où le mystère le dispute à l'angoisse.
01:00:04 Nous sommes le 22 décembre. Au volant de sa voiture, le commandant Miller de la police judiciaire fait la grimace.
01:00:12 Il fait nuit, il neige. Mais ce ne sont pas ces conditions atmosphériques détestables, mais normales pour la saison, qui contrarient l'officier de police.
01:00:19 Non. Il vient d'apprendre qu'une femme vient d'être assassinée sur le parking d'un immeuble dans un quartier populaire.
01:00:27 Un drame malheureusement banal dans une grande ville en proie à des bouffées périodiques de violence.
01:00:33 Pourtant, le commandant Miller a de bonnes raisons de penser qu'il s'apprête à passer le pire Noël de sa carrière.
01:00:40 Je vais voir du côté de la bagnole, ok ?
01:00:46 A tout à l'heure.
01:00:47 Ce soir-là, je n'étais pas de service. Je me souviens, ma coéquipière m'a appelé. Je devais aller au cinéma avec ma femme Florence.
01:00:58 C'était la première soirée depuis une semaine que je m'étais accordé pour aller au cinéma avec Flo.
01:01:02 Raté, quoi.
01:01:09 Et j'ai tout de suite sauté dans ma voiture, j'ai mis le gérophare sur le toit et je me suis rendu sur le lieu du crime.
01:01:17 Le 22 décembre, j'en ai entendu parler le lendemain, quand l'affaire a éclaté.
01:01:28 Mais j'avais déjà lu dans le journal l'article sur l'assassinat de la coiffeuse.
01:01:34 Une petite blonde, ils avaient montré sa photo dans la page des faits divers.
01:01:39 Quand je suis arrivé sur le lieu du crime, j'ai soulevé la couverture et je me suis aperçu que c'était une femme qui avait été sauvagement poignardée.
01:01:47 Même arme, même blessure. On s'est rendu compte en fait que c'était certainement le travail nature en série.
01:01:53 Le pire cauchemar des flics, parce que même s'il y a des mobiles, c'est toujours très difficile à déterminer.
01:01:59 Alors tout ça, ça m'avait bouleversé. J'arrêtais pas de penser à ces malheureuses.
01:02:03 Je me disais mais comment, comment est ce qu'on peut faire une chose pareille?
01:02:06 Surtout en période de Noël, d'ailleurs.
01:02:08 J'ai commencé par interroger le mari. Apparemment, il pouvait rien me dire.
01:02:13 Il était complètement abattu. J'avais très peu d'informations.
01:02:18 D'habitude, ce genre de fou sadique s'attaque toujours au même type de femmes, les blondes, les brunes, les jeunes, les vieilles.
01:02:24 Et là, en fait, dans cette affaire, tout opposait les deux victimes. L'une était jeune, l'autre beaucoup plus âgée.
01:02:29 L'une était coiffeuse, l'autre infirmière. Et là, on s'est vraiment rendu compte que l'enquête allait être très compliquée.
01:02:36 Quel était le lien entre ces deux femmes? Qu'est ce qui avait déclenché la folie meurtrière de ce criminel?
01:02:42 C'est la question que nous nous posions.
01:02:45 Le commandant Miller relit avec attention le rapport d'autopsie réalisé sur la victime du premier meurtre, celui de l'infirmière.
01:02:52 Et brusquement, un détail qu'il avait négligé lui saute aux yeux.
01:02:57 Le médecin a noté la présence d'une forte coxalgie, autrement dit, d'une importante déformation de la hanche.
01:03:05 Le policier téléphone au mari de la victime pour en avoir confirmation.
01:03:10 Et ce dernier dit qu'effectivement, sa femme était affectée d'une douloureuse claudication qui la faisait souffrir depuis toujours.
01:03:17 J'avais enfin trouvé le point commun entre les deux victimes.
01:03:20 Elles boitaient toutes les deux, une depuis quelques temps déjà et l'autre après une maladie.
01:03:27 Je n'avais que ça. Quitte à avoir l'air ridicule, j'ai quand même informé les médias locaux.
01:03:32 Mais le soir du 23 décembre, il y avait un message au journal télévisé.
01:03:38 C'est un officier de police qui expliquait à toutes les femmes qui boitaient qu'il fallait qu'elle redouble de prudence dans les jours à venir.
01:03:47 C'était marrant parce qu'en fait, il était très, très, très embarrassé.
01:03:52 Et il bafouillait parce qu'il ne savait pas du tout comment dire aux femmes qui boitaient de rester chez elles.
01:03:57 On était en pleine période de Noël. Tout le monde était dehors avec ses paquets.
01:04:01 Alors j'ai demandé du renfort. Je voulais protéger la population.
01:04:06 Et j'ai fait appel à la brigade féminine.
01:04:12 Donc, Miller nous a appelé. Je suis intervenue avec cinq de mes collègues féminines.
01:04:18 La plus frêle d'entre nous était capable d'immobiliser un colosse par une prise de judo ou un coup de karaté.
01:04:24 On n'est pas des brutes, mais on est assez bien entraînés, on doit le dire, dans la police.
01:04:27 Et Milan nous a donné ensuite un itinéraire et il nous a demandé de nous exercer à boiter.
01:04:34 Voilà. D'ailleurs, ça a suscité le fouir général et le chef n'a pas vraiment apprécié.
01:04:40 Non, ça ne m'a pas vraiment plu. Le 23 décembre à 22 heures, le dispositif était en place.
01:04:46 Nous n'avions plus qu'à attendre. Et c'est là que j'ai eu un doute.
01:04:51 Moi, je m'en souviens. Tu as commencé à flipper.
01:04:53 Tu t'es dit si jamais l'assassin, il ne s'intéresse pas seulement qu'aux boiteuses. Le flip général.
01:04:58 C'est vrai qu'il pouvait attaquer à ce moment là n'importe quelle femme.
01:05:01 24 décembre, 5 heures du soir, les rues illuminées du centre ville sont pleines de gens pressés.
01:05:08 Pour lui permettre d'effectuer ses derniers achats, la banque où travaille Judith la libérait une heure avant la fermeture.
01:05:14 La jeune femme est dû me ranger. Elle se hâte.
01:05:17 Les devantures des magasins scintillent de mille feux et un immense sapin aiguille la grand place.
01:05:23 Ce soir là, je suis passée dans le grand magasin Nicolas et Marjorie.
01:05:28 Mes enfants voulaient des grandes chaussettes à accrocher sur la cheminée.
01:05:33 Ensuite, je vais aller chez le boucher pour aller chercher la dinde qu'on avait commandé.
01:05:37 Et alors là, j'étais empétrée dans tous mes paquets. C'était lourd, c'était pesant.
01:05:41 En plus, il commençait à neiger. Donc là, je me suis dit tiens, je vais aller prendre le bus.
01:05:44 Impossible, il était bondé. Bon ben alors à ce moment là, j'ai décidé de rentrer à pied.
01:05:49 J'étais assez soulagée parce que la matinée n'avait rien donné.
01:05:52 Et à mon sens, il était peu vraisemblable que l'assassin attaque alors que les rues étaient pleines de monde
01:05:56 et que tout le monde était en train de chercher leurs paquets pour les veilles de Noël.
01:06:00 Et pourtant, Miller était toujours anxieux. Il avait toujours un doute.
01:06:03 Alors, les policiers ont tenu, continuent à quadriller le secteur.
01:06:07 Et nous, les agents d'intervention, on continuait à boiter.
01:06:10 Merci. Toujours, en sillonnant les rues et pour surveiller quoi.
01:06:14 Alors maintenant, j'étais plus très loin de chez moi et j'ai décidé de prendre un raccourci.
01:06:19 En fait, c'est un chemin qui traverse le terrain vague.
01:06:22 Je le prenais très souvent quand j'étais pressée.
01:06:24 Oh non. Pardon.
01:06:28 Ah !
01:06:30 Et j'étais empitrée avec tous mes paquets.
01:06:35 Et puis j'avais aucune envie de rester plus longtemps dans cet endroit sinistre.
01:06:38 C'était quand même pas... Mais je craignais pas du tout le tueur.
01:06:41 Parce que le policier avait dit qu'il s'attaquait qu'aux boiteuses finalement.
01:06:46 La nuit était tombée et la pression était montée.
01:06:51 J'avais demandé aux agents de me tenir au courant des moindres faits et gestes inhabituels.
01:06:57 Alors là, je sais pas du tout ce qui s'est passé.
01:07:00 J'ai dû buter contre une pierre. Je me suis étalée, mais alors de tout mon long.
01:07:04 J'ai lâché tous mes paquets dans la boule.
01:07:06 Les jouets pour les enfants, la dinde de Noël. J'étais énervée.
01:07:10 Je fulminais toute seule comme ça dans le noir.
01:07:12 Judith se baisse pour ramasser sa dinde et soudain, elle pousse un cri de douleur.
01:07:19 Son pied droit la fait atrocement souffrir.
01:07:22 Elle s'est sûrement foulée la cheville.
01:07:24 Elle essaie de faire quelques pas avec précaution, mais la douleur est vite intolérable.
01:07:28 Et puis, en un éclair, elle éprouve une sensation de vertige, une peur incontrôlable.
01:07:33 Elle réalise qu'elle est seule, perdue au milieu de la nuit, dans un terrain vague, boueux,
01:07:37 loin de tout secours et des lumières rassurantes de la ville.
01:07:40 Et puis surtout, quelle boite !
01:07:42 J'ai entendu des pas pesants derrière moi.
01:07:46 Je me suis instinctivement arrêtée de marcher, ou plutôt de boiter d'ailleurs.
01:07:50 C'est vrai, à l'instant auparavant, je craignais rien du tout.
01:07:53 Et là, d'un coup, d'un seul, tout avait basculé.
01:07:57 De manière complètement stupide d'ailleurs.
01:08:00 Je n'osais plus du tout bouger.
01:08:02 Quelqu'un s'approchait de moi.
01:08:05 J'ai senti son souffle sur ma joue.
01:08:08 Là, l'homme s'est arrêté, il m'a dit "bonsoir".
01:08:13 C'était quelqu'un d'à peu près mon âge, bien habillé, plutôt élégant même.
01:08:18 Un manteau bien coupé, une écharpe en cachemire, des cheveux courts, des petites lunettes.
01:08:23 J'étais vraiment soulagée à ce moment-là, parce que je me suis dit que c'était quelqu'un
01:08:26 qui rentrait chez lui, comme moi, qui allait peut-être m'aider à porter mes paquets en plus.
01:08:30 L'inconnue scrute Judith avec un léger sourire ambigu.
01:08:35 En dépit du froid, la jeune femme sent de la sueur brûlante lui couler le long du dos.
01:08:42 Car à bien y réfléchir, l'homme n'a rien de rassurant, bien au contraire.
01:08:45 Judith aurait préféré avoir affaire à un voyou avec une chaîne de vélo dépassant de sa poche.
01:08:49 Lui au moins aurait été à sa place dans ce terrain vague sordide.
01:08:53 Car que fait cet homme distingué et silencieux dans ce décor de fin du monde ?
01:09:00 Le jour où la jeune femme se retrouve en prison
01:09:04 Nous étions seules, le tueur et moi, au bon milieu du terrain vague.
01:09:15 J'ai compris qu'il m'avait vue boîter, que c'est pour ça qu'il était là.
01:09:18 Et que si je voulais rester en vie, il ne fallait surtout pas que je bouge, à aucun prix.
01:09:23 Il a ironisé et il a dit "Vous avez remarqué que vous avez les pieds dans une flaque d'eau ?"
01:09:29 Je suis restée silencieuse et il a ajouté "Vous n'avez pas remarqué qu'il neige ?"
01:09:35 "Vous n'avez pas remarqué que vous avez laissé tomber vos paquets par terre ?"
01:09:39 Je ne savais plus du tout quoi répondre.
01:09:42 Et là, l'homme a dit d'une voix douce, mais trop douce "Marchez."
01:09:50 J'ai compris en un éclair que si j'obéissais, j'étais perdue.
01:09:53 Quand je me suis engagée sur le terrain vague, la femme était en train de parler avec un homme, grand, élégant.
01:10:09 Je ne voyais pas grand chose dans l'obscurité, mais j'avais vraiment l'impression qu'ils se connaissaient.
01:10:15 Et après je me suis posée la question "Pourquoi s'arrêter comme ça, dans un terrain vague, sous la neige en plus ?"
01:10:21 Et je me suis dit que c'était peut-être un couple illégitime qui essayait de se retrouver à la boue des regards, je sais pas.
01:10:26 En fait j'ai pensé ça et puis je suis repartie discrètement sur le chemin.
01:10:30 Et là il était comme en proie à une idée fixe.
01:10:33 Il me disait "Marchez, marchez s'il vous plaît."
01:10:37 Là j'ai pas obéi. Je me suis laissée tomber par terre, je lui ai montré ma cheville toute enflée.
01:10:43 J'ai essayé de lui expliquer calmement que c'était un accident, que j'étais pas du tout une vraie boiteuse.
01:10:46 Et puis il m'écoutait pas du tout, il était comme en trance, il me répétait tout le temps "Marchez, marchez, marchez."
01:10:52 Et soudain il est devenu comme fou, il a sorti un immense couteau de sous son manteau et il m'a dit "Marchez, comme tout à l'heure vous aviez si bien commencé."
01:11:00 Je sais pas pourquoi mais je suis retournée sur mes pas. Je sais pas pourquoi, sorte d'intuition.
01:11:07 Et là en fait j'ai vu le dos de l'homme et la femme qui était debout était désormais assise dans la boue, carrément dans la boue.
01:11:14 Assise et sous la neige. Et je me suis dit "Ce couple c'est vraiment un truc bizarre."
01:11:19 Moi j'étais comme hypnotisée par ce couteau qui brandissait vers ma poitrine.
01:11:24 Mais j'arrive encore à réfléchir avec pas mal de lucidité. Je me suis dit que s'il avait envie de me tuer il l'aurait déjà fait.
01:11:32 Est-ce que son délire érotique ne s'assouvissait qu'en regardant une femme boitée en fait ?
01:11:37 Donc je lui ai dit fermement "Non, je vais pas marcher. J'ai pas envie, je sais très bien où je suis."
01:11:45 Et alors là, d'un coup toute sa physionomie, tout son visage a complètement changé. J'ai cru que j'avais un gamin devant moi.
01:11:53 Un gamin à qui on avait refusé son bonbon, il tempétait, il pestait, il était frustré.
01:12:01 D'un coup je lui ai dit très calmement "D'accord, d'accord, d'accord. Je vais me lever, je vais marcher. Mais d'abord vous allez me parler de vous, d'accord ?"
01:12:11 Quand j'ai vu briller la lame du poignard, j'ai aussitôt compris l'horreur de la situation.
01:12:18 J'ai voulu appeler Miller sur mon portable pour demander du renfort, mais j'ai compris que ça mettrait vraiment beaucoup de temps.
01:12:27 Donc j'ai tenté le tout pour le tout. Puis en même temps je voulais pas risquer la vie de cette femme quoi.
01:12:33 Donc en fait je me suis un peu dégagée, j'ai repris le petit chemin face à eux, et je me suis approchée de l'homme en boitant.
01:12:41 Et à ce moment là il s'est détourné de la femme, il est venu à ma rencontre. Voilà.
01:12:48 Ensuite, comme vous pouvez l'imaginer, tout va très vite.
01:12:52 Surentraîné au combat rapproché, le lieutenant Belfort neutralise en quelques prises bien ajustées le tueur en série.
01:12:58 Quant à Judith, elle n'est pas prête d'oublier cette nuit d'angoisse.
01:13:02 Elle l'a terminée en état de choc dans une chambre d'hôpital, la cheville dans le plâtre, en compagnie bien sûr de son mari et de ses enfants.
01:13:09 Un réveillon pas ordinaire.
01:13:11 Et ensuite une fois rétablie, elle s'est réveillée chaque nuit en hurlant, terrorisée par un cauchemar.
01:13:19 Et la fève, un homme silencieux et élégant, l'a traqué dans un terrain vague couvert de neige.
01:13:23 Après une course folle, l'homme parvenait à l'empoigner.
01:13:26 Son visage se métamorphosait alors en celui d'un tout petit garçon, peineux et malheureux.
01:13:31 Nous sommes dans une banlieue cossue.
01:13:40 Une charmante villa de style classique a été acquise 25 ans plus tôt par monsieur et madame Norman.
01:13:47 Après le décès de son mari, Micheline Norman a continué d'y vivre et elle entendait bien y passer la dernière partie de son existence.
01:13:53 Seulement, une telle propriété occasionnait beaucoup de charges.
01:13:56 Et Micheline avait du mal à y faire face avec sa pension, même si son activité d'auteur de livres pour enfants lui apportait quelques ressources supplémentaires.
01:14:03 Aussi, elle a décidé de vendre son bien en viagés.
01:14:07 Chacun connaît le principe du viagé.
01:14:10 L'acheteur paie au vendeur, au moment de la transaction, un bouquet, c'est-à-dire une somme très inférieure à la valeur de la maison ou de l'appartement,
01:14:17 et à partir de là, il lui verse une rente mensuelle à vie.
01:14:21 Le prix d'un viagé est donc très variable.
01:14:24 Il est directement en fonction de la longévité du bénéficiaire.
01:14:28 Le viagé est la solution idéale pour toutes les personnes qui disposent de faibles revenus,
01:14:33 mais qui possèdent un bien immobilier et qui n'ont pas d'héritier, comme c'est le cas de Micheline Norman.
01:14:38 Il leur permet de rester dans ce qui est le cadre de leur existence, au lieu de le vendre purement et simplement, et de finir leur jour dans une maison de retraite.
01:14:45 Mais psychologiquement et moralement, on ne peut nier que le viagé soit un système pervers.
01:14:51 L'acheteur a en effet un intérêt direct à ce que le vendeur meure le plus vite possible.
01:14:56 C'est ainsi, nul n'y peut rien.
01:14:58 Même s'il s'agit de la personne la plus honnête, même si son sens moral est absolument irréprochable,
01:15:04 il ne pourra s'empêcher de souhaiter, dans un coin reculé et caché de sa conscience, la disparition de celui avec lequel il a passé ce marché.
01:15:11 Qu'on le veuille ou non, la mort est au cœur du viagé.
01:15:15 Elle en est la raison d'être, le principe, le ressort.
01:15:18 Son ombre plane derrière les sourires, les paroles aimables, les poignées de main amicales.
01:15:23 Dès que les deux parties ont imposé leur signature au bas du contrat, c'est elle qui entre en scène et qui joue le premier rôle, le seul rôle.
01:15:32 Viendra-t-elle à grands ou à petits pas ? Se montrera-t-elle impatiente ou paresseuse ?
01:15:38 Nul ne sait. Chacun attend.
01:15:41 Dans le cas de Michy de Norman, tout commence en ce mois d'avril 2003.
01:15:46 La première vue, rien d'inquiétant, il fait beau, on ne voit que la vie en ce début de printemps.
01:15:51 Et pourtant, si l'on y réfléchit bien, la menace est déjà là, qui plane.
01:15:58 Et j'ai envoyé Romain, mon jeune enquêteur, à la rencontre des témoins de cette incroyable histoire.
01:16:03 Il débarrassa le passage du grillage qui l'obturait, se retourna vers...
01:16:17 Micheline Norman est une retraitée heureuse.
01:16:19 Elle écrit des livres pour enfants qu'elle soumet en première lecture à son ami Gilbert et à Samy, le fils des voisins.
01:16:26 Mais Micheline, les piles peuvent durer trois plombes aujourd'hui.
01:16:29 C'est vrai, t'as raison, mais c'est quand même plus effrayant d'entrer dans un tunnel tout noir.
01:16:34 Si, c'est vrai que t'avais vu, il faut laisser un suspense. C'est pas la petite maison dans la prairie qu'elle écrit.
01:16:39 Je continue. La route est longue, l'aventure est devant nous.
01:16:44 Micheline a de la chance, elle vit seule dans cette belle maison que son mari, aujourd'hui décédé, avait achetée au début de leur mariage.
01:16:50 Mais la grande maison est lourde à entretenir pour la modeste retraite de Micheline.
01:16:55 Celle-ci décide donc de la mettre en vente en viagé.
01:16:58 Les visites commencent.
01:17:00 Et quand Eva Jansen, une jolie jeune femme, se présente, Micheline est conquise par la gentillesse et le charme de cette septième visiteuse.
01:17:10 De son côté, Eva Jansen semble, elle aussi, sous le charme de la maison.
01:17:16 Aucun détail ne lui échappe.
01:17:19 Elle semble avoir trouvé, comme par miracle, la perle rare, l'endroit idéal, la maison qu'elle rêve de posséder.
01:17:28 Le courant va immédiatement passer avec Micheline.
01:17:42 Bonjour, Eva Jansen.
01:17:46 Eva Jansen, ma septième visiteuse, est arrivée exactement à l'heure convue.
01:17:50 J'aime bien les gens ponctuels.
01:17:52 Pour moi, c'est une grande qualité.
01:17:54 Vous avez marqué un point, là.
01:17:56 Oui, en quelque sorte.
01:17:58 Donc, vous cherchiez à vendre votre maison en viagé occupé, c'est ça ?
01:18:01 Oui, c'est ça. Sur les conseils de mon notaire.
01:18:04 C'est une solution qui me convenait très bien, économiquement, je veux dire.
01:18:08 L'entretien d'une maison comme celle-là, c'est des frais assez considérables.
01:18:13 Je ne roulais pas sur l'or.
01:18:15 On peut la visiter ?
01:18:16 Bien sûr, avec plaisir. Allez, suivez le guide.
01:18:19 Ici, comme vous l'avez compris, c'est le salon.
01:18:23 La cuisine, bien sûr.
01:18:26 Donc, c'est votre chambre, ici ?
01:18:29 Mais oui, c'est ma chambre.
01:18:30 Ici, c'est mon bureau.
01:18:33 C'est là que je travaille, que j'écris mes histoires.
01:18:36 Cette pièce-là a eu l'air de l'intéresser particulièrement.
01:18:45 Elle a eu le coup de foudre pour la maison en général, ça se sentait nettement.
01:18:49 Mais cette pièce-là avait l'air de l'attendrir.
01:18:53 C'est donc ici que vous écrivez vos livres ?
01:18:54 Oui. Ce sont des contes, n'est-ce pas ?
01:18:56 Des contes et des romans d'aventure.
01:18:58 Mais je n'écris que pour les moins de 16 ans. Au-delà, ça ne m'intéresse pas.
01:19:02 Suivez-moi.
01:19:03 Cet escalier, c'est mon cauchemar.
01:19:07 Je peux vous aider ?
01:19:09 Non, ça va. Vous êtes patiente.
01:19:12 Non, c'est à cause de lui que je marche si mal.
01:19:14 Il y a une dizaine d'années, j'ai fait une mauvaise chute et...
01:19:19 Et alors, j'ai décidé de me vivre recourir de chaussée.
01:19:23 Ça me va pas très bien.
01:19:24 Ça ne vous embête pas si je ne vous accompagne pas ?
01:19:32 Non, pas du tout. Je vais me débrouiller.
01:19:34 Merci.
01:19:35 Vous verrez, c'est plus petit là-haut à cause du toit.
01:19:38 D'accord.
01:19:39 A l'étage, une chambre, un cage-hibis et une petite salle de bain.
01:19:55 C'est une très belle maison. Je comprends qu'elle ait craqué.
01:19:58 Et vous, en somme, vous avez craqué pour cette acheteuse. Merci.
01:20:01 Oui, c'est un peu bête à dire, mais je l'ai trouvée extrêmement romanesque.
01:20:06 Romanesque ?
01:20:08 Elle avait l'air de sortir d'un film ou d'un roman.
01:20:11 Et puis danseuse à l'Opéra de Paris, excusez du peu.
01:20:14 Votre maison est magnifique.
01:20:16 Quelque chose de magique.
01:20:19 On y sent une âme.
01:20:21 C'est comme si la pierre vivait.
01:20:23 Gilbert, vous êtes la meilleure amie de Micheline Norman.
01:20:27 Vous vous souvenez de l'époque où Eva Johnson est rentrée dans la vie de votre amie ?
01:20:31 Elle est venue me voir tout de suite après.
01:20:33 Elle était complètement emballée.
01:20:35 Elle m'a dit "Gilbert, ça y est, j'ai trouvé la perle rare".
01:20:38 Eva est aux anges.
01:20:43 Elle a un coup de cœur pour la maison et Micheline a décidé de la lui vendre à elle.
01:20:48 L'affaire est rapidement conclue devant le notaire.
01:20:51 La maison est maintenant en viage.
01:20:54 Je vais habiter dans la région pendant quelques temps.
01:21:02 Au début, je vais aller à l'hôtel.
01:21:03 Puis après, je vais me trouver un appartement.
01:21:05 Écoutez, pourquoi ne pas venir ici pendant le temps de vos démarches ?
01:21:08 Oh non, non, non, vraiment, il n'en est pas question.
01:21:11 Ce serait tellement simple.
01:21:12 J'ai une chambre là-haut.
01:21:14 C'est gentil, mais vraiment, ça me gêne.
01:21:15 Je ne voudrais pas vous déranger.
01:21:16 Ça vous éviterait ces trajets Paris-Reims.
01:21:18 Je suis sûre que nous pourrons cohabiter.
01:21:20 Ok, d'accord.
01:21:22 On sera de grandes amies.
01:21:24 Merci, c'est très gentil.
01:21:25 Micheline invite donc Eva à passer quelques jours chez elle.
01:21:29 Je vais proposer la chambre du haut,
01:21:30 parce que moi, je ne vais plus y aller à cause de ce fichu escalier.
01:21:33 Vous imaginez, monter et descendre 36 fois par jour.
01:21:37 Moi, ça ne m'a pas étonné plus que ça.
01:21:40 C'est du Micheline tout craché.
01:21:42 Elle vit dans ses contes, dans ses romans.
01:21:45 Et des fois, ça l'a un petit peu trop, trop gentille.
01:21:49 Enfin, ça, c'est pas grave.
01:21:51 Mais après, il y a eu ce gros malentendu.
01:21:54 Quel malentendu ?
01:21:55 Quand ses démarches ont abouti,
01:21:57 et qu'elle a signé son contrat avec le théâtre,
01:21:59 les répétitions ont commencé très vite.
01:22:01 Et, elle est restée.
01:22:04 Vous voulez dire qu'elle s'était installée chez vous ?
01:22:06 Oui, on s'était mal comprises.
01:22:08 Moi, je l'avais invitée quelques jours pour la dépanner.
01:22:10 Et elle a compris que je l'invitais pour toute la durée des répétitions.
01:22:14 Micheline !
01:22:15 Ça y est !
01:22:17 J'ai signé !
01:22:18 Merveilleux !
01:22:19 Je suis tellement contente.
01:22:23 Je commence la semaine prochaine.
01:22:25 Six mois de répétitions intensives !
01:22:27 Merci Micheline. Vraiment, merci.
01:22:31 Six mois...
01:22:34 Elle a pas su lui dire qu'elle s'était mal comprise.
01:22:38 Elle a pas osé dissiper ce malentendu.
01:22:40 Du coup, elle s'est retrouvée avec cette femme chez elle pendant six mois.
01:22:44 Et vous l'avez sentie comment, cette femme,
01:22:46 les premières fois que vous l'avez vue ?
01:22:48 Bon, je dirais...
01:22:49 Oh, c'était une femme très convenable.
01:22:52 Et puis alors là, elle est aux petits soins pour Micheline.
01:22:55 Qu'est-ce qu'elle faisait ?
01:22:59 Je peux vous aider ?
01:23:06 Oh non, non, non.
01:23:07 Vous voulez pas ?
01:23:09 Non, je vous assure, ça va.
01:23:11 En effet, Eva Johnson s'avère une compagne idéale pour Micheline.
01:23:16 Elle fait les courses, elle aide au ménage, elle fait la cuisine.
01:23:19 Elle est très intelligente.
01:23:20 Elle lui mitonnait de ses petits plats.
01:23:26 Faut dire que c'était une femme très serviable.
01:23:29 Mais...
01:23:31 Elle était pas très occupée pour une danseuse.
01:23:34 Tu veux devenir cinéaste ?
01:23:36 Ouais.
01:23:37 Je veux faire des films à partir des histoires de Micheline.
01:23:40 Elle m'a dit que tu étais son collaborateur le plus important.
01:23:42 Ça veut dire quoi ?
01:23:43 Ben...
01:23:48 Qu'elle me fait lire ses manuscrits.
01:23:49 Et je lui dis tout ce que je comprends pas.
01:23:51 Ou quand je trouve qu'un personnage sonne pas très juste.
01:23:53 Et des fois, je la renseigne sur des trucs qui sont de mon âge.
01:23:56 Et qu'elle connaît pas bien.
01:23:57 Par exemple ?
01:23:59 Par exemple...
01:24:00 Dans son dernier livre.
01:24:03 Elle voulait que tous les enfants parlent en verlan.
01:24:05 Et bon...
01:24:07 Micheline est verlan.
01:24:08 Ça craint quoi.
01:24:09 Donc tu l'aides beaucoup.
01:24:10 Ouais.
01:24:12 Et pour m'en remercier, elle m'a acheté ça.
01:24:17 Et cette femme qui est venue chez elle, Eva Johnson...
01:24:19 Tu l'aimais bien ?
01:24:20 Non.
01:24:22 Non, pas du tout.
01:24:23 C'est donc pas le tunnel qui s'est écroulé,
01:24:26 mais quelqu'un qui l'a bouché volontairement.
01:24:28 Ouais.
01:24:29 Mais Micheline...
01:24:30 Oui ?
01:24:31 Il devrait être tout ce mort de trouille à ce moment-là.
01:24:33 Bon mais qu'est-ce que tu voudrais dire ?
01:24:35 Oui...
01:24:36 C'est sûr qu'au début, je la trouvais super sexy, tu vois.
01:24:39 Et puis...
01:24:41 Petit à petit...
01:24:42 Je sais pas comment dire...
01:24:43 Ça collait pas entre nous.
01:24:46 Je crois qu'elle aimait pas les jeunes.
01:24:47 Elle a sa torche.
01:24:48 Regardez, au sommet, la flamme de la torche est attirée de l'autre côté.
01:24:51 En haut, il y a...
01:24:52 Il y a...
01:24:54 Attends, attends, là, il y a une faute.
01:24:55 Il n'y a peu de matériel.
01:24:57 Il y a peu de matériaux, puisque l'air circule.
01:25:00 On va dégager.
01:25:01 Et ils y sont tous ?
01:25:02 Et puis...
01:25:03 Il y a eu cet après-midi, là, où elle nous a invités à manger.
01:25:06 Elle vous a invitées ?
01:25:07 Oui.
01:25:08 Elle nous a invitées à déjeuner dans le jardin.
01:25:10 Qui ça, nous ?
01:25:12 Gilbert, Samy et moi.
01:25:13 Et vous ?
01:25:15 Mais vous étiez chez vous.
01:25:16 Elle vous a invitées à déjeuner chez vous, en somme.
01:25:18 Oui, en quelque sorte.
01:25:20 Bref, elle nous a fait un repas dans le jardin, un samedi midi.
01:25:24 C'est un repas délicieux, très raffiné.
01:25:28 À côté cuisine, il n'y a pas à dire, elle savait y faire.
01:25:30 Moi, j'ai jamais su faire de la bonne pâte à tarte.
01:25:34 Alors c'est simple, j'ai simplement enlevé l'envie.
01:25:37 Maintenant, je l'achète au supermarché.
01:25:39 C'est moins personnalisé, peut-être, mais au moins, on sait ce qu'on mange.
01:25:44 Je t'avoue que depuis qu'Eva habite ici, je n'ai pas pu toucher le fourneau une seule fois.
01:25:48 Et voilà ! Et merci.
01:25:50 Samy, qui veut devenir réalisateur, passe son temps à tout filmer.
01:25:54 Tu t'arrêtes avec cette caméra.
01:25:56 Et ça en agace certaines.
01:25:57 T'arrêtes, oui !
01:25:58 Elle supportait pas que je la filme.
01:26:00 Alors, j'ai commencé à la filmer en cachette, quand elle me voyait pas.
01:26:03 Piqué au vif, Samy fait des vins sa cible favorite.
01:26:10 Tel un paparazzi à la film star, il la suit dans les moindres de ses gestes.
01:26:14 Sans le savoir, jour après jour, Eva est traquée par la caméra de Samy.
01:26:19 C'est à cette époque que Micheline commence à avoir ses premiers trous de mémoire.
01:26:24 Et tout commence le jour où elle égare bêtement ses lunettes.
01:26:29 Tu comprends pas ce que j'ai fait de ces maudites lunettes.
01:26:35 J'ai cherché partout.
01:26:37 Partout.
01:26:40 Non, c'est vraiment un mystère.
01:26:41 Tant pis, hein ! On va faire sans.
01:26:45 Mais enfin, c'est fou, ça ! Tu es sûre d'avoir bien regardé dans le salon ?
01:26:48 Qu'est-ce que je te le dis ?
01:26:49 Et dans le salon ?
01:26:50 Mais j'ai cherché partout. Non, c'est un mystère.
01:26:52 Samy, je t'interdis de me filmer.
01:26:55 Eva, c'est pas très grave.
01:26:57 Non, c'est pas grave, mais je veux pas.
01:27:05 Le lendemain, Eva Jansen trouve les fameuses lunettes là où on ne les attendait pas.
01:27:11 Micheline !
01:27:13 Micheline, toujours si soigneuse et ordonnée, est consternée.
01:27:25 Comment a-t-elle pu oublier ses lunettes dans le réfrigérateur ?
01:27:28 Mes lunettes dans le frigo.
01:27:32 Ça, ça m'a fait peur.
01:27:34 Je me suis dit, là, ma vieille, tu commences à dérailler sérieusement.
01:27:37 On peut dire que ça a jeté un froid.
01:27:40 Bon, on est tous un peu distraits, ça peut arriver.
01:27:42 Mais là, quand même...
01:27:44 Et la danseuse ?
01:27:46 Comment c'était, là ?
01:27:47 Elle essayait de dédramatiser.
01:27:50 Comme si elle voulait me rassurer.
01:27:52 Et moi, ça m'affolait encore plus.
01:27:54 Ces petits incidents à nos âges...
01:27:57 On pense tout de suite à Alzheimer.
01:28:00 Et puis, à un moment donné,
01:28:01 la Eva, elle m'a pris à part.
01:28:04 Comme quoi, ça inquiétait ?
01:28:06 Elle m'a dit que Micheline perdait souvent ses affaires,
01:28:08 qu'elle ne voulait pas l'admettre,
01:28:10 qu'elle avait confiance en moi,
01:28:12 qu'il fallait que je lui parle,
01:28:14 mais... subtilement.
01:28:17 Vous l'avez fait ?
01:28:18 Oui. Le lendemain matin, je l'ai appelée.
01:28:20 Et je lui ai dit qu'il fallait quand même qu'elle gère ce genre de problèmes,
01:28:23 parce que ça lui arrivait souvent.
01:28:25 Et à mon grand étonnement,
01:28:27 elle l'a très mal pris.
01:28:28 Mais alors, vraiment très mal.
01:28:31 Micheline est horriblement vexée par ce coup de téléphone,
01:28:34 et le ton monte.
01:28:36 Mais j'ai pas besoin de ta compassion.
01:28:38 Tu m'emmerdes avec ta soi-disant bonne santé.
01:28:41 Au revoir, Gilbert.
01:28:43 Vous vous êtes donc fâchée avec Gilbert ?
01:28:45 Oui. Je me suis laissée emporter.
01:28:48 Je lui ai dit des horreurs.
01:28:50 Et puis, à partir de là, on a été en froid, toutes les deux.
01:28:53 J'étais embêtée.
01:28:55 Pour elle, surtout.
01:28:56 Mais qu'est-ce que vous voulez ?
01:28:57 Quand vous énervez les gens à ce point-là,
01:28:59 et qu'ils vous jettent, hein, bah...
01:29:01 Après, qu'est-ce qu'il y a d'y faire ?
01:29:04 Vous m'amusez pas du tout, ces histoires-là.
01:29:08 C'est la vie, hein.
01:29:10 La vie continue.
01:29:14 Mais Micheline semble vraiment avoir un problème de mémoire.
01:29:18 Maintenant, elle éprouve même des difficultés à écrire.
01:29:22 Je travaillais sur un roman d'aventure.
01:29:24 Une histoire d'adolescent échoué sur une île déserte.
01:29:27 Et plus j'avançais, plus je m'embrouillais.
01:29:29 Je comprenais pas ce que j'avais écrit la veille.
01:29:31 Je confondais les personnages.
01:29:33 En fait, c'était la vraie catastrophe.
01:29:36 Et évidemment, plus je m'énervais, pire c'était.
01:29:39 Bon, effectivement, il peut m'arriver d'oublier des petits détails, mais là...
01:29:51 Et il y a eu beaucoup de petits incidents ou problèmes de mémoire de ce genre ?
01:29:56 Mais oui, de plus en plus souvent.
01:29:58 L'histoire de clés que j'avais perdues, qu'on retrouvait dans la poubelle,
01:30:01 de robinets que j'oubliais de fermer,
01:30:03 enfin, des tas de trucs embêtants comme ça qui commençaient à m'inquiéter.
01:30:07 Jusqu'à... jusqu'à l'histoire de la galignière.
01:30:10 Micheline ? Tu peux venir, s'il te plaît ?
01:30:15 Regarde.
01:30:20 T'as laissé la galignière ouverte.
01:30:23 Je vais la mettre au lit.
01:30:25 Ça commence à devenir vraiment sérieux, tes problèmes de mémoire, maintenant.
01:30:41 Tu crois pas qu'il faudrait faire quelque chose ?
01:30:44 On pourrait aller chez le médecin, toutes les deux.
01:30:47 D'accord.
01:30:50 Bon.
01:30:51 J'étais en face.
01:30:52 Bonjour, docteur.
01:30:55 Bonjour.
01:30:56 Je voulais revenir sur les événements de l'été 2003 concernant Micheline Norman.
01:31:00 Vous étiez son médecin généraliste.
01:31:02 Oui, madame Norman est ma patiente depuis de nombreuses années.
01:31:06 Effectivement, à cette époque, je l'ai trouvé...
01:31:10 Comment dire...
01:31:12 Anormalement stressé, quasiment déprimé, pas bien du tout, non.
01:31:16 Eva Johnson l'accompagnait ?
01:31:17 Oui, oui, bien sûr.
01:31:18 C'est même elle qui l'avait convaincue de venir me voir.
01:31:21 Madame Norman présentait des symptômes de confusion mentale, de troubles de la mémoire,
01:31:27 mais rien à voir avec la maladie d'Alzheimer.
01:31:29 Par contre, on lui a découvert son insuffisance cardiaque.
01:31:33 Alors je lui avais prescrit un double traitement, l'un pour le cœur et l'autre pour la mémoire,
01:31:38 avec du repos, bien sûr, pas d'émotions fortes.
01:31:41 Mlle Johnson vous a fait quelle impression ?
01:31:46 Écoutez, pour vous parler sincèrement,
01:31:49 j'avais vu en elle une femme solide, très calme, extrêmement sensée.
01:31:56 J'étais plutôt rassuré que Mme Norman, étant donné son état, fût-on s'accompagnée.
01:32:05 À ce moment-là, je pensais comme le docteur,
01:32:11 que j'avais beaucoup de chance de l'avoir à la maison.
01:32:15 Micheline a en effet de la chance d'avoir trouvé Eva,
01:32:18 qui veille sur elle et s'occupe de tout.
01:32:21 Ce n'est pas forcément la vie de Samy,
01:32:31 qui ne rate pas une occasion de film,
01:32:33 mais la jeune femme, qui le trouve pour le moins intrigante.
01:32:38 Et c'est ainsi qu'un soir toujours aux aguets,
01:32:41 Samy surprend et filme Eva en train de travailler sur l'ordinateur de Micheline.
01:32:46 Qu'est-elle en train de trafiquer ?
01:32:48 De quel droit se permet-elle d'utiliser le portable personnel de la vieille dame ?
01:32:52 Pourquoi le fait-elle à son insu ?
01:32:54 Eva se comporte comme quelqu'un qui a quelque chose de très important à lui.
01:33:00 Elle est en train de travailler sur son ordinateur.
01:33:03 Et le fait-elle à son insu ?
01:33:05 Eva se comporte comme quelqu'un qui a quelque chose à cacher.
01:33:10 Rentrée chez lui, Samy visionne les images qu'il a filmées
01:33:13 et découvre avec stupéfaction ce que faisait Eva.
01:33:16 En analysant les images,
01:33:18 il comprend qu'Eva a supprimé des pans entiers du livre que Micheline est en train d'écrire,
01:33:22 le rendant incompréhensible.
01:33:24 Samy décide alors de revoir ce qu'il a filmé il y a plusieurs jours.
01:33:30 Et de faire une nouvelle découverte.
01:33:32 Les images sont formelles.
01:33:41 En pensant capturer un geste anodin d'Eva,
01:33:43 Samy a filmé la preuve que c'est elle qui a subtilisé les lunettes de Micheline
01:33:49 le jour où celle-ci les avait perdues.
01:33:52 J'ai voulu appeler Micheline pour lui dire que l'autre l'embrouillait et que j'avais des preuves.
01:33:55 Mais je suis tombé sur Eva.
01:33:57 Elle m'a dit que Micheline ne voulait plus me parler.
01:34:00 Et elle m'a raccrochonné.
01:34:02 Samy revisionne tout.
01:34:06 Et veut à tout prix prévenir Micheline de l'étrange comportement d'Eva.
01:34:09 J'ai fini par avoir Micheline.
01:34:11 Mais...
01:34:13 Allô Micheline ?
01:34:14 Elle avait les boules après moi.
01:34:15 Franchement, sur le moment, j'ai rien compris.
01:34:18 Elle m'a fait la morale comme quoi elle était très déçue.
01:34:21 Enfin, tout un délire quoi.
01:34:23 Mais, je l'ai...
01:34:27 Qu'est-ce qui s'est passé exactement avec Samy ?
01:34:30 Elle m'a dit qu'il avait été grossier avec elle.
01:34:32 Grossier comment ?
01:34:34 Samy n'aimait pas Eva.
01:34:36 Enfin, il s'en cachait pas, c'est vrai.
01:34:38 Il allait même aux limites de l'insolence.
01:34:40 Mais là, elle m'a dit que...
01:34:43 qu'il l'avait traité de conne.
01:34:45 Et vous l'avez cru ?
01:34:47 Mais c'était moi la vraie conne dans l'histoire.
01:34:50 Ben oui, je l'ai cru.
01:34:51 Mais oui, bien sûr.
01:34:53 Et elle a voulu me fâcher avec lui.
01:34:55 Vous vous rendez compte, Samy ?
01:34:57 Ce môme que j'adore.
01:34:58 Qui est presque comme mon petit-fils.
01:35:00 Samy poursuit son inexorable travail sur les images
01:35:05 comme pour se prouver à lui-même
01:35:07 qu'il n'a pas inventé cette histoire.
01:35:09 Oui, Eva a bien subtilisé les lunettes.
01:35:12 Oui, Eva saccage le texte de Micheline.
01:35:15 Mais Samy doit partir en vacances dans le sud de la France
01:35:18 et comme il est fâché avec Micheline,
01:35:20 eh bien, il ne peut rien faire.
01:35:22 Vers la mi-août,
01:35:23 quand les gens ont commencé à partir en vacances,
01:35:26 Gilbert, Samy, le docteur, tous les voisins,
01:35:30 elle a commencé à se sentir...
01:35:33 plus libre de ses mouvements.
01:35:35 Dis donc, Micheline,
01:35:38 il est dans un drôle d'état, votre plafond.
01:35:40 C'est vrai que les plafonds de ma chambre et de mon bureau
01:35:44 avaient besoin d'être refaits.
01:35:45 Ils étaient dans un état lamentable
01:35:47 à cause d'une fuite d'eau l'année précédente.
01:35:49 Elle m'a dit que...
01:35:50 Et si on lui donnait un petit coup de propre?
01:35:52 Qu'elle pourrait y travailler,
01:35:53 que c'était l'affaire de 3 jours
01:35:55 et qu'elle le ferait pendant le week-end du 15 août.
01:35:58 Moi, j'ai dit oui, c'est une bonne idée, pourquoi pas?
01:36:02 En fait, ça me rendait service.
01:36:05 Et voilà comment Eva, réussie par un avile stratagème,
01:36:12 a isolé Micheline
01:36:13 en l'installant dans la chambre du 1er étage.
01:36:16 L'escalier reste un obstacle presque insurmontable
01:36:20 pour la vieille dame,
01:36:21 qui, une fois en haut, sera contrainte d'y rester
01:36:25 avec comme seule liberté celle d'épier les gestes d'Eva.
01:36:30 Micheline, confiante, prend son mal en patience.
01:36:37 [Musique]
01:36:40 Tenez, je vous ai mis vos médicaments.
01:36:58 N'oubliez pas de les prendre avant de manger.
01:37:00 Merci Eva.
01:37:02 [Musique]
01:37:05 Eva a maintenant conquis le rez-de-chaussée pour elle seule
01:37:10 et elle vient de prendre possession du petit bureau
01:37:13 qui, depuis le 1er jour, la fascine tant.
01:37:17 À ce stade-là, vous sentiez que ça commençait à mal tourner?
01:37:22 Oui, j'étais coincée là-haut.
01:37:25 Mon espace se réduisait,
01:37:27 mais je pensais toujours qu'elle me voulait du bien.
01:37:29 Je m'accrochais à cette idée.
01:37:31 Et elle était toujours aussi aimable avec vous?
01:37:33 Non, elle ne faisait plus d'efforts.
01:37:36 Disons que le masque tombait.
01:37:39 Merci Eva.
01:37:41 Et j'ai vu son vrai visage le soir où elle a ciré l'escalier.
01:37:48 Eva, vous mettez beaucoup trop de cire.
01:37:52 Ah bon? Et pourquoi?
01:37:54 Ça va être dangereux.
01:37:58 Il suffira de faire très attention.
01:38:01 Je lui ai dit qu'elle mettait beaucoup trop de cire,
01:38:09 que ça allait être terriblement glissant.
01:38:12 Le piège vient de se refermer sur Micheline.
01:38:16 Désormais, l'escalier lui est interdit.
01:38:19 Cette nuit-là, j'ai très mal dormi.
01:38:21 Et quand j'ai réussi à m'endormir...
01:38:25 Je vais aller voir.
01:38:27 - Il a dormi? - Pas du tout.
01:38:30 Il faut que je vous en parle. Cette nuit, j'ai entendu des bruits.
01:38:33 Plein de bruits. C'est pour ça que je n'ai pas dormi.
01:38:35 - Vous n'avez pas entendu? - Non.
01:38:37 Vous avez dû faire des cauchemars.
01:38:40 Il y a un problème.
01:38:44 Je ne suis pas sûre que vous avez entendu des bruits.
01:38:47 C'est un problème de la vie.
01:38:49 Je ne sais pas si vous avez entendu des bruits.
01:38:51 Je ne sais pas si vous avez entendu des bruits.
01:38:54 Mais il n'y a pas les médicaments.
01:38:57 - Non, pourquoi? - Mais...
01:39:00 Je veux descendre.
01:39:03 Mais Micheline, qui vous en empêche?
01:39:06 Je ne peux pas.
01:39:08 Alors Micheline va faire une tentative...
01:39:27 pour sortir de sa prison.
01:39:30 Je ne peux pas.
01:39:32 Je ne peux pas.
01:39:34 - Il y a un téléphone là-haut? - Non.
01:39:56 Je n'ai jamais éprouvé le besoin de faire installer une ligne à l'étage.
01:40:00 Vous avez vu le téléphone? Pas de mail sur votre ordinateur.
01:40:03 Non, vous avez compris. J'étais coupée du monde.
01:40:06 Cette fois-ci, Micheline a compris.
01:40:09 Elle doit se sauver.
01:40:11 Elle appelle au secours.
01:40:13 Mais le long week-end du 15 août, il n'y a personne pour l'entendre.
01:40:18 Je ne sais pas à combien d'heures je suis restée comme ça.
01:40:21 Je ne sentais plus rien.
01:40:23 Ni chaleur, ni soif.
01:40:25 Pas même la peur.
01:40:27 Mon cœur battait au ralenti.
01:40:30 Et puis, tard dans la nuit,
01:40:34 je me suis rendue à la maison.
01:40:36 Je me suis dit que j'allais me faire un petit déjeuner.
01:40:39 Je me suis dit que j'allais me faire un petit déjeuner.
01:40:42 Je me suis dit que j'allais me faire un petit déjeuner.
01:40:45 Et puis, tard dans la nuit...
01:40:47 Eva était là comme un vampire.
01:41:00 Ce qu'elle m'a dit, je m'en souviens mot pour mot.
01:41:03 C'est gravé dans mon cerveau.
01:41:05 Je vais vous raconter une histoire pour vous endormir.
01:41:14 Vous avez mis les comptes, n'est-ce pas ?
01:41:16 Eva avait un ton inquiétant.
01:41:20 Elle a poursuivi son récit.
01:41:22 C'est l'histoire d'une petite fille
01:41:25 chassée de sa maison avec ses parents.
01:41:28 Alors, elle danse
01:41:30 pour leur faire oublier qu'ils ont perdu leur toit.
01:41:33 Elle danse.
01:41:36 Elle ne peut pas faire autre chose.
01:41:38 Micheline comprend qu'Eva vient lui raconter sa propre histoire.
01:41:43 Eva a subi un traumatisme dans son enfance
01:41:46 en étant chassée de sa maison avec ses parents.
01:41:49 Et c'est en devenant une danseuse appréciée
01:41:52 qu'elle a pu gagner sa vie et retrouver sa dignité perdue.
01:41:56 En attendant, Eva a complètement redécoré le bureau de Micheline
01:42:07 qui s'est transformé en chambre de petite fille.
01:42:10 Je partais en vacances dans le Bercor, chez ma sœur.
01:42:13 C'était juste la veille du 15 août.
01:42:16 Je marchais dans la rue, j'allais à la gare.
01:42:19 Et tout à coup, je la vois.
01:42:22 Elle travaillait dans une agence immobilière.
01:42:28 Alors, j'ai fini une, dit deux, j'ai appelé.
01:42:31 J'ai demandé Eva Johnson.
01:42:33 Elle prend le téléphone. Allô ?
01:42:35 J'ai raccroché tout de suite.
01:42:37 C'était ça, la danseuse.
01:42:40 Alors là, je me suis dit,
01:42:42 "Toi, ma petite, c'est quelque chose qui ne tourne pas rond dans ta petite tête.
01:42:46 "C'est pas normal, tout ça."
01:42:48 Et j'avais raison, quelque part.
01:42:51 Oui, Gilbert a raison.
01:42:56 Eva, dont le comportement est inquiétant,
01:42:58 représente un véritable danger pour Micheline.
01:43:01 Eva, là, en effet, complètement isolée du reste du monde.
01:43:04 J'arrivais pas à joindre Micheline.
01:43:07 C'était occupé jour et nuit.
01:43:09 Alors, j'ai appelé Samy.
01:43:11 Lui aussi avait essayé de la joindre, mais sans succès.
01:43:13 Il était inquiet.
01:43:15 Il m'a raconté comme quoi Micheline s'était énervée contre lui.
01:43:18 Et même qu'elle l'avait engueulée.
01:43:20 Tout à fait comme avec moi.
01:43:22 Alors, j'ai fait ni une, ni deux.
01:43:24 J'ai pris le premier train.
01:43:26 Et Samy et Gilbert, comme deux aventuriers du dimanche,
01:43:29 se donnent rendez-vous chez Micheline.
01:43:31 Heureusement, ils connaissent bien les lieux et la façon d'y entrer.
01:43:35 On ne sait pas encore qu'ils sont en train de sauver la vie de leur amie.
01:43:39 - Qu'est-ce que vous foutez là ? - Toi, qu'est-ce que tu fais là ?
01:43:49 - Justez-moi, viens-toi. - Hé, Louis, Micheline !
01:43:52 Louis, Micheline !
01:44:01 Et Gilbert découvre avec stupeur l'incroyable décor
01:44:05 que l'esprit dérangé d'Eva a recréé dans le bureau de Micheline.
01:44:09 Micheline !
01:44:16 Micheline, Micheline !
01:44:18 Micheline !
01:44:20 Gilbert ! Appelez les pompiers ! La police !
01:44:26 S'il te plaît, Micheline, arrête ! Micheline !
01:44:30 Micheline ! Micheline ! Micheline !
01:44:34 Allez, réveille-toi. Micheline, heureux.
01:44:39 Et dans un crissement de pneus, Eva, la belle Eva, disparaît.
01:44:59 Cette pièce était la chambre d'Eva enfant.
01:45:03 Oui. C'est pour ça qu'elle l'a tellement intéressée le jour de la visite.
01:45:07 C'est étonnant, non, ce qu'on peut voir avec le recul ?
01:45:10 J'ai l'impression que cette pièce est à part dans votre maison, non ?
01:45:15 Oui. Depuis les événements, d'ailleurs, c'est un peu la chambre d'Eva.
01:45:19 Elle a failli vous tuer, tout de même. Vous lui avez pardonné aujourd'hui ?
01:45:23 Je m'ai le marge en vœu à l'adulte, bien sûr.
01:45:26 Mais je n'arrive pas à en vouloir, la petite fille.
01:45:28 Et vous pensez que vous auriez pu changer le cours des choses ?
01:45:32 Si j'avais su. Si nous avions su, mon mari et moi, en achetant la maison,
01:45:37 que sans le vouloir, nous avions brisé le rêve d'une petite fille,
01:45:40 ça n'excuse pas ce qu'elle a fait, bien sûr, mais...
01:45:43 Eva, complètement désemparée, fonds sans voiture, sans destination, sans but,
01:45:50 son rêve vient de s'écrouler.
01:45:57 Lorsque Gilbert et Samy m'ont sauvée, elle s'est enfuie en voiture.
01:46:01 Elle est partie comme une folle à toute vitesse.
01:46:04 On a retrouvé sa voiture fracassée contre un arbre, à quelques kilomètres.
01:46:08 Pauvre Eva.
01:46:15 Oui, pauvre Eva.
01:46:17 Et vous, Micheline, comment allez-vous ?
01:46:23 Moi, j'ai eu un peu de mal à m'en remettre physiquement.
01:46:26 Mais sur le plan moral, j'ai retrouvé mes amis. C'est le plus important.
01:46:29 Vous avez, en quelque sorte, retrouvé vos repères.
01:46:31 Oui.
01:46:32 Attention, ça va être un travelling d'enfer.
01:46:36 Moteur, action.
01:46:39 Mais, arrête !
01:46:43 Arrête Spielberg, tu vas nous donner le tournis.
01:46:49 Ainsi, s'est terminée la terrible aventure de Micheline Norman.
01:46:55 D'une certaine manière, elle avait tout d'un compte pour faire peur aux enfants.
01:47:00 Elle réunissait les personnages qu'on trouve dans ce genre de récits.
01:47:03 La sympathique et fragile grand-mère autour de qui plane le danger.
01:47:07 Ses amis attentifs et débrouillards qui sont là pour la sauver.
01:47:10 Et la vilaine sorcière.
01:47:12 D'autant plus dangereuse, d'ailleurs, qu'elle a pris au début l'apparence d'une gentille.
01:47:16 Eh bien, c'est ce que s'est dit Micheline.
01:47:18 Et dès son séjour à l'hôpital, elle a commencé la rédaction d'un roman
01:47:22 à partir de ce qu'elle avait vécu.
01:47:24 Le livre auquel elle a donné pour titre "La Septième Visiteuse"
01:47:28 a connu un beau succès en librairie
01:47:30 et il est actuellement en cours de traduction en plusieurs langues.
01:47:33 Oui, une jolie histoire.
01:47:36 Le tout était d'être là pour pouvoir la raconter.
01:47:41 Sous-titrage Société Radio-Canada
01:47:45 ...
01:48:14 [Musique]

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