Affaire n° 2023-1074 QPC

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Information du notaire poursuivi du droit qu’il a de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire
Date de rendu de la décision : 8 décembre 2023

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00:00 Je vous souhaite une bonne fin de semaine et à la prochaine !
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00:44 Mesdames et Messieurs, bonjour !
00:47 L'audience est ouverte. Nous avons à l'ordre du jour une seule question prioritaire de constitutionnalité, sous le numéro 2023/1074.
00:59 Elle porte sur les articles 2, 5, 6-1, 10 et 11 de l'ordonnance 45-14-18 du 28 juin 1945, relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.
01:17 Madame la Gréfière, voulez-vous nous dire où nous en sommes de la procédure d'instruction ?
01:22 Merci, M. le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 octobre 2023 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité,
01:31 posée par M. Renaud Nirdé, portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 2, 5, 6-1, 10 et 11 de l'ordonnance 45-14-18 du 28 juin 1945, relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.
01:51 Cette question, relative à l'information du notaire poursuivi du droit qu'il a de se taire dans le cadre d'une procédure disciplinaire, a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel, sous le numéro 2023/1074-QPC.
02:07 La SAS-Bouloche-Colin-Stockley, et associée dans l'intérêt de M. Renaud Nirdé, partie requérante, a produit des observations les 2 et 15 novembre 2023.
02:19 M. Christophe Ayela, dans l'intérêt de la Caisse régionale de crédit agricole de la Martinique et de la Guyane, partie à l'instance, et la Première ministre ont produit des observations le 2 novembre 2023.
02:32 Seront entendues aujourd'hui l'avocat de la partie requérante, l'avocat de la partie à l'instance et le représentant de la Première ministre.
02:40 Merci Madame. Alors nous allons donc d'abord écouter François-Régis Bouloche, qui est avocat au Conseil, qui représente M. Renaud Nirdé, partie requérante. Maître.
02:52 Destitution. M. le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, la gravité de cette sanction, qui peut être prononcée à l'encontre d'un notaire, doit être appréciée dans ses 2 dimensions principales.
03:09 Il s'agit d'une interdiction d'exercer une profession à vie. Donc la première dimension, c'est une dimension matérielle, l'interdiction d'exercer la profession de notaire.
03:18 En réalité, c'est pas uniquement la profession de notaire qui est interdite une fois que cette sanction est prononcée, contrairement à ce que prétend la banque.
03:26 C'est une interdiction d'exercice de toutes les professions réglementées que le notaire pourrait exercer dans le domaine du droit.
03:33 En effet, l'accès aux professions juridiques est interdit à toute personne qui a été condamnée pénalement ou disciplinairement.
03:39 Cela concerne notamment les professions d'avocat, d'avocat au Conseil, de commissaire de justice ou de greffier de tribunaux de commerce.
03:46 La sanction est extrêmement lourde, puisque pour être notaire, il y a à peu près une dizaine d'années d'études et ces années d'études deviennent inutiles une fois que le notaire a été sanctionné disciplinairement.
03:58 Il s'agit presque d'une mort civile professionnelle, alors pourtant que la mort civile a été abrogée en 1854, puisque le notaire ne pourra plus exercer tout ce pour quoi il a été formé.
04:10 Alors, évidemment, on peut se reconvertir, exercer une activité complètement différente, mais cela reste un bouleversement dans les conditions de vie de l'intéressé.
04:18 Et donc la sanction est extrêmement lourde.
04:21 La seconde dimension, c'est une dimension temporelle, c'est-à-dire une interdiction à vie.
04:26 Et dans cette matière, contrairement au droit pénal, il n'y a pas d'aménagement, de relèvement de peine, de libération conditionnelle.
04:34 Une fois qu'on est condamné à une peine définitive, on est condamné à la peine définitive.
04:40 On est destitué, c'est terminé.
04:41 Il n'y a plus de rémission possible.
04:44 Donc la sanction disciplinaire, finalement, est plus lourde qu'une sanction pénale sur ce point.
04:50 J'ajoute que cette sanction correspond aux fonctions essentielles de la peine en droit pénal, pour lesquelles il y a deux objectifs principaux.
04:58 Le premier, c'est une punition.
05:00 La peine a une fonction punitive.
05:02 Pour reprendre les termes de messieurs Deporte et Legunéek, il s'agit d'une fonction rétributive.
05:08 Je cite la peine est une souffrance infligée en compensation du mal causé à la société.
05:13 Il y a un deuxième objectif aussi à une peine.
05:16 C'est une fonction de dissuasion.
05:17 Selon les mêmes auteurs, il s'agit d'une fonction intimidatrice.
05:21 La peine doit dissuader le condamné de récidiver.
05:24 Alors là, monsieur le président, on est au maximum de la dissuasion, puisque une fois que le notaire a été destitué, il ne pourra plus jamais récidiver.
05:33 Donc, à part en matière pénale, où on avait la peine de mort qui était effectivement une dissuasion maximale, il n'y a plus en droit pénal de peine aussi lourde dans cette fonction de dissuasion.
05:43 La destitution a donc une finalité répressive de par ses deux aspects et peut être assimilée à une sanction pénale.
05:50 Alors, c'est le sens de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg qui est une application assez large de la notion d'accusation en matière pénale.
05:57 Pour la Cour, il s'agit de toute sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, ressortit à la matière pénale.
06:03 Donc, elle a jugé, par exemple, pour un retrait de point en permis de conduire ou une amende importante infligée par une autorité administrative ou par le fisc.
06:11 Or, ces sanctions sont quand même beaucoup moins lourdes qu'une destitution.
06:15 Il y a aussi une deuxième dimension. La Cour de Strasbourg, et vous l'avez jugé aussi, décide que même si des sanctions infligées par une autorité n'ont pas un caractère pénal,
06:24 la nécessité de respecter le droit au silence dans le cadre d'une procédure d'enquête menée par une autorité résulte du fait que les éléments de preuve qui ont été
06:32 obtenus pourraient être utilisés dans le cadre d'une procédure ultérieure.
06:36 Alors, ce n'est alors plus la nature de la sanction qui justifie l'application du droit au silence, mais l'utilisation possible des déclarations qui ont été faites dans une procédure ultérieure.
06:48 Alors, la Cour de justice de l'Union européenne statue dans le même sens et votre jurisprudence est comparable.
06:54 Vous avez appliqué l'article 8 à des sanctions disciplinaires et notamment dans les principes essentiels des droits pénals, que sont la légalité, la nécessité et l'individualisation.
07:05 Il vous reste aujourd'hui à franchir un pas, c'est d'appliquer ces principes au droit au silence.
07:12 Alors, ce droit résulte de l'article 406 du code de procédure pénale.
07:16 Il est fondamental parce qu'il a pour objet d'assurer le respect d'une règle de fond, qui est le fait que la culpabilité doit être apportée par la partie poursuivante,
07:26 le ministère public ou le plaignant.
07:29 C'est le sens de votre jurisprudence et vous décidez qu'il résulte de l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
07:36 Le principe suivant lequel nul n'est tenu de s'accuser dont découle le droit de se taire.
07:41 Il s'agit donc d'appliquer la présomption d'innocence.
07:44 Or, vous jugez que ce principe s'applique non seulement aux peines qui sont prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
07:55 Vous l'avez jugé par exemple dans le décision du 26 mars 2021 relative aux obstructions aux enquêtes de l'autorité de la concurrence.
08:03 Il me semble donc que la conséquence de votre propre jurisprudence est d'appliquer le droit au silence à toute procédure pouvant conduire aux prononcées d'une sanction ayant le caractère d'une punition.
08:15 Dès lors que la présomption d'innocence est en jeu.
08:18 Alors, la Cour de cassation retient la même justification au droit de se taire.
08:22 Il s'agit de ne pas s'auto incriminer et selon elle, la méconnaissance de droit de ce droit fait nécessairement grief aux prévenus et entache donc la procédure de nullité.
08:32 Enfin, toujours selon la Cour, l'article 406 relative au droit de se taire concerne toute sanction pénale.
08:38 Il s'applique même à une personne morale, donc par hypothèse à des peines qui ne sont pas des peines privatives de liberté, qui sont donc infiniment moins graves que la destitution.
08:48 Donc, pour l'ensemble de ces motifs, le droit de se taire doit être reconnu également aux sanctions disciplinaires.
08:55 Alors, la première mise dans ces observations s'oppose à cette solution.
08:59 Je vais reprendre en quelques mots ces éléments de défense.
09:02 Le premier élément de défense, c'est que vos décisions concernent des procédures pénales.
09:08 Mais ça me paraît assez logique parce que dans la plupart des décisions, vous étiez saisi de textes relatifs à la procédure pénale.
09:14 Sauf dans deux décisions, votre décision du 9 avril 2021, qui concernait une disposition permettant l'audition d'un mineur par le service de la protection judiciaire et de la jeunesse.
09:28 Dans cette décision, vous avez reconnu le droit de se taire parce que les décisions, les déclarations du mineur pouvaient être utilisées dans une procédure ultérieure.
09:38 Vous avez retenu une solution comparable dans une décision du 25 février 2022 pour les personnes devant faire l'objet d'un examen psychologique psychiatrique afin de s'assurer des conditions préalables à l'exercice des poursuites.
09:51 Donc, votre jurisprudence n'est pas strictement limitée à la matière pénale.
09:56 Dans ces observations écrites, la première ministre fait également valoir que la Cour de Strasbourg a refusé d'étendre le droit de se taire à la matière disciplinaire.
10:05 C'est exact, mais rien ne vous empêche sur ce point d'être en avance sur sa jurisprudence, d'autant qu'il me semble que la Cour n'a pas statué sur un des éléments que vous vous retenez, c'est-à-dire les conséquences possibles d'une déclaration sur des procédures ultérieures.
10:19 La Cour s'est bornée à apprécier la nature de la sanction sans apprécier cette seconde dimension.
10:25 La première ministre écarte le risque d'utilisation de déclarations dans une procédure ultérieure en évoquant l'indépendance des procédures disciplinaires et pénales et la divergence des intérêts protégés.
10:38 Mais en fait, le principe d'indépendance n'a pas cette portée. Il permet simplement d'engager des poursuites disciplinaires, des poursuites pénales, simultanément ou l'une après l'autre.
10:46 Mais il n'empêche pas que des déclarations faites dans le cadre d'une procédure disciplinaire puissent être utilisées dans le cadre d'une procédure ultérieure.
10:54 Et le dernier élément de défense de la première ministre, c'est l'absence de contrainte qui est relevé dans votre commentaire d'une décision du 18 novembre 2011.
11:05 Mais cette absence de contrainte ne figure pas dans votre décision du 9 avril 2021.
11:09 Donc, pour l'ensemble de ces motifs, le droit au silence doit être étendu en matière disciplinaire.
11:17 Je vais maintenant dire juste un mot sur les effets d'une déclaration d'inconstitutionnalité.
11:22 Alors, effectivement, on peut hésiter sur la reconnaissance d'un droit général, puisque les procédures disciplinaires irriguent notre droit.
11:29 Il y en a dans beaucoup de domaines et les sanctions sont très larges.
11:33 Donc, vous pourriez limiter la portée de votre jurisprudence aux sanctions les plus graves et notamment celles d'interdiction d'une activité professionnelle, que ce soit temporaire ou aviaire.
11:43 Mais là, compte tenu de la nature de la sanction qui est susceptible d'être encourue par un notaire, la destitution, une telle limitation n'aurait pas d'incidence.
11:53 Alors, par ailleurs, les dispositions dont vous êtes saisi, l'ordonnance de 1945, sont abrogées.
11:59 Donc, il faudrait passer par une réserve d'interprétation et juger que le droit de se taire est devant être mis en œuvre, même pour des dispositions abrogées.
12:09 Les articles de l'ordonnance des articles litigieux de l'ordonnance de 1945 ne sont conformes à la Constitution que si, préalablement, la partie poursuivie a été avertie de son droit de se taire.
12:20 Ce qui n'a pas été le cas en l'espèce et donc, votre décision devrait avoir un effet immédiat sans qu'il y ait de report des effets de l'inconstitutionnalité.
12:29 En conclusion, Monsieur le Président, mon propos doit être bien compris.
12:34 Il ne s'agit pas d'assurer une immunité aux notaires, d'empêcher des poursuites disciplinaires.
12:39 Il s'agit simplement de leur reconnaître un droit fondamental reconnu en droit pénal, qui peut aboutir à une sanction extrêmement lourde.
12:48 J'observe d'ailleurs qu'une autre garantie fondamentale est appliquée en droit disciplinaire.
12:53 C'est le fait que la partie poursuivie doit avoir la parole en dernier.
12:57 Donc, si vous consacrez le droit de se taire en matière disciplinaire, cette procédure pourra reposer sur deux piliers fondamentaux, le silence en premier et la parole en dernier.
13:07 Merci, Monsieur le Président.
13:10 Alors, nous allons maintenant écouter Maître Aude Ducret, qui est avocate au barreau de Paris, qui représente la Caisse régionale de crédit agricole de la Martinique et de la Guyane, partie à l'instant.
13:25 Maître.
13:27 Monsieur le Président, merci. Messieurs, Mesdames du Conseil constitutionnel, la question qui a été résumée par mon contradicteur, c'est « Devez-vous aujourd'hui franchir le cap ?
13:38 Devez-vous aujourd'hui aller plus loin dans votre propre jurisprudence ? Devez-vous étendre l'exigence de notifier le droit de se taire, un droit au silence,
13:48 à une personne poursuivie dans un cadre disciplinaire, en l'occurrence un notaire poursuivi sur le fondement de l'ordonnance de 45, dans le cadre d'une procédure disciplinaire ?
13:57 Aujourd'hui, vous ne le cantonnez qu'à la matière pénale, à la procédure pénale, compte tenu de cette spécificité. Est-ce qu'aujourd'hui, vous devez le faire ?
14:04 Je vais essayer de vous convaincre que non, contrairement à ce qui vous a été plaidé de l'autre côté de la barre, pour trois raisons.
14:11 Je vais essayer d'être très succincte et répondre seulement à trois observations qui ont été faites. Pour le reste, je m'en rapporte à mes écritures.
14:16 À mon sens, ce qu'on vous a exposé de l'autre côté de la barre, c'est uniquement un critère de gravité, de sévérité de la peine. On a beaucoup insisté sur ce point-là.
14:26 On vous dit finalement que la sanction disciplinaire de destitution des fonctions du notaire, c'est assimilable à une sanction pénale privative de liberté.
14:35 Et donc, vous devriez, pour cette raison-là, étendre le droit à la matière disciplinaire. Moi, je m'inscris en faux.
14:42 Je ne pense pas qu'on puisse considérer que la destitution des fonctions de notaire, la destitution permanente, voire même définitive, est assimilable à une peine pénale,
14:55 parce que le notaire reste libre de pouvoir exercer une fonction. Il n'est pas privé de ses mouvements. Il n'est pas enfermé.
15:05 Il peut librement exercer une autre profession. Alors peut-être pas toutes les professions réglementées. On n'en a cité que quelques-unes. Il y en a d'autres.
15:11 En revanche, il peut parfaitement travailler, continuer d'exercer une activité. Il est tout à fait libre de ses mouvements. Et ça, c'est important, à mon sens, de le préciser.
15:21 Il n'y a pas de mort civile, comme ça a été plaidé longuement, d'ailleurs, en première instance. J'étais moi-même devant le tribunal judiciaire de Fort-de-France.
15:28 Ce n'est pas le cas en l'espèce. Et M. Nirdé est libre d'exercer toute profession. Et en tout état de cause, ce critère de la gravité et de la sévérité ne saurait être
15:39 le seul critère que vous pourriez retenir. Il y a, à mon avis, et c'est ma deuxième observation, il faut prendre en compte la nature fondamentalement différente de la matière disciplinaire
15:51 par rapport à la matière pénale. Dans la matière disciplinaire, l'objectif, la finalité même de la matière disciplinaire est différente dans le sens où elle vise principalement
16:03 à la moralisation d'une profession, à l'assainissement, comme je l'ai repris, un terme que j'ai repris dans la doctrine, un assainissement de la profession.
16:12 Pour l'avenir aussi, d'ailleurs, pas seulement pour le présent. Les règles disciplinaires sont d'ailleurs édictées par les propres membres de la profession.
16:25 C'est important. Par un petit groupe d'individus, ce ne sont pas des règles qui s'appliquent erga omnes à toute la société. Ce sont des règles qui sont définies par les membres,
16:34 choisies par les membres. J'allais même dire dont les membres s'engagent, les notaires s'engagent à respecter les règles professionnelles qu'ils ont eux-mêmes édictées,
16:44 souvent d'ailleurs de façon solennelle. Donc le statut particulier d'une profession réglementée nécessite, à mon sens, des règles différentes et une application différente,
16:55 et en tout état de cause, pas les règles de la procédure pénale, qui sont des règles erga omnes, qui s'appliquent à la protection de l'ordre public et qui ont une fonction répressive,
17:06 ce qui, à mon sens, n'est pas le cas de la matière disciplinaire. Et je viendrai, à mon sens, sur la question que vous pourriez vous poser. C'est ma troisième et dernière observation.
17:16 Finalement, pourquoi est-ce que vous avez même dans votre jurisprudence obligé la notification du droit au silence dans le cadre d'une procédure pénale ?
17:28 Au fond, votre jurisprudence repose sur l'idée que la personne qui est poursuivie dans le cadre d'une procédure pénale est dans une situation, je reprends, de contrainte.
17:41 Elle se place dans une situation de contrainte et ses propos peuvent conduire à s'auto-incriminer. Donc vous devriez... C'est d'ailleurs pour cela qu'en 2016, vous avez reconnu
17:52 la valeur constitutionnelle dans le cadre du droit au silence dans la matière, dans le cadre d'une procédure pénale. Vous l'avez étendue en 2021. Mais uniquement dans cette même idée,
18:01 parce que le mineur qui est interrogé par les services de la protection judiciaire, qui vont ensuite rapporter ses propos au juge des enfants, qui prendra une décision,
18:14 soit une décision éducative, soit une décision répressive. Donc il y a bien un côté strictement pénal à cette audition du mineur. Vous l'avez prise, cette décision, parce qu'il fallait s'assurer
18:25 que le mineur puisse avoir conscience de la portée de ses propos. C'est bien cette notion de conscience, d'être librement éclairée, qui doit, à mon sens, qui est, à mon sens,
18:37 au cœur de votre jurisprudence. De la même façon, le droit de se taire n'étant pas absolu, vous avez vous-même accepté, dans votre jurisprudence, de reconnaître à toute personne
18:46 le droit de s'inculper, de reconnaître sa culpabilité. Mais vous y avez aussi mis une contrainte. Cette reconnaissance doit intervenir uniquement si elle est volontaire, si elle est
18:57 librement éclairée, si la personne a totalement conscience de ce qu'elle fait. C'est bien là aussi ce garde-fou que vous devez prendre en compte. Donc la question que vous pouvez vous poser,
19:06 c'est est-ce que dans le cas d'une procédure disciplinaire, engagée sur assignation du procureur de la République, devant un tribunal judiciaire, contre le notaire qui a commis des fautes,
19:16 enfin qui est poursuivi pour des fautes professionnelles, déontologiques, est-ce qu'il est libre ? Est-ce qu'il est conscient ? Est-ce qu'il intervient volontairement ?
19:27 Est-ce que les éléments qu'il apporte dans le cadre de cette procédure le sont sans contrainte ? Et à cette question, vous ne pouvez que répondre à l'évidence par oui, puisque dès le départ dans le dossier,
19:38 dès le départ dans le cadre de cette procédure disciplinaire, le notaire a accès au dossier, à la différence de la matière pénale. Il a accès au dossier, il connaît toutes les pièces qui lui sont notifiées
19:48 dans le cadre de l'assignation, il a toutes les pièces sur lesquelles se fonde le procureur pour considérer qu'il a commis des fautes. Les parties lésées également peuvent intervenir volontairement.
20:00 Je représente ici la Caisse régionale de crédit agricole de Guadeloupe et de Martinique, qui est intervenue à cette procédure avec de nombreuses autres parties lésées, par les agissements.
20:12 Je suis aujourd'hui seule, mais on était nombreux à Fort-de-France, au tribunal judiciaire. Ces parties-là ont communiqué des pièces. Il y a eu des débats, des échanges dans le cadre du principe contradictoire.
20:24 Monsieur le notaire a le temps de préparer sa défense lorsqu'il vient à l'audience après plusieurs renvois dans le cadre d'une mise en état. Il intervient devant le tribunal judiciaire librement
20:37 en ayant préparé sa défense et, en l'occurrence, en ayant choisi de communiquer des pièces, de se défendre et de parler. Donc, lorsqu'il est interrogé dans le cadre de l'audience devant le tribunal,
20:52 c'est librement, sans contrainte, qu'il donne des éléments, qu'il répond aux questions qui lui sont posées et qu'il se défend. Donc, on n'est pas du tout dans le cadre d'une procédure pénale
21:03 où il peut y avoir une sorte de contrainte ou de coercition d'un juge ou d'un enquêteur qui cherche des pièces, des preuves d'une incrimination pénale. Il est libre, il est conscient
21:17 et, même si sa déclaration, du coup, sera utilisée ultérieurement, il s'est volontairement exprimé dans le cadre de l'audience. Et moi, j'y étais, à Fort-de-France, devant le tribunal judiciaire,
21:30 et je peux vous dire que M. Nirdé était assisté de trois conseils, que le magistrat, le tribunal a pris un temps à étudier chacune des pièces qui ont été communiquées.
21:42 Alors, lorsque j'entends de l'autre côté de la barre qu'on me dit que tout a été fait à charge et uniquement sur les déclarations de M. Nirdé à l'audience, je ne peux que dire que c'est faux,
21:53 puisque j'y étais et tout a été basé sur les pièces du dossier et que M. Nirdé a eu largement le temps de préparer sa défense en amont. Il était libre, conscient,
22:03 il n'était absolument pas sous la contrainte dans le cadre d'une procédure disciplinaire prévue par l'ordonnance de 45. Je vous demanderai donc de répondre négativement à la question qui vous est posée.
22:14 Merci, maître. Alors, nous allons maintenant écouter, au nom de la Première ministre, M. Canguilhem.
22:22 Merci, M. le Président. Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, le régime disciplinaire des notaires a été modifié récemment par l'ordonnance du 13 avril 2022
22:30 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels. Cette ordonnance prévoit toutefois que les procédures disciplinaires engagées avant son entrée en vigueur,
22:38 soit le 1er juillet 2022, demeurent régies par le régime disciplinaire antérieur déterminé par l'ordonnance du 28 juin 1945. Et au terme de cette ordonnance,
22:47 l'autorité disciplinaire varie selon le degré de gravité de la sanction. Les sanctions les moins sévères de rappel à l'ordre, de censure simple et de censure sont prononcées par la
22:57 Chambre de discipline, alors que le tribunal judiciaire était seul compétent pour prononcer les sanctions les plus sévères de défense de récidivité, d'interdiction temporaire et de destitution
23:07 qui nous occupent aujourd'hui. En l'espèce, il est reproché aux dispositions contestées, et vous pourrez circonscrire le champ de la question aux seules dispositions de l'article 6.1
23:15 de l'ordonnance, de ne pas prévoir que le notaire objet d'une procédure disciplinaire soit informé de son droit de se taire à l'occasion de son audition durant la procédure
23:24 et lors de sa comparution devant le tribunal judiciaire. Vous avez développé une abondante jurisprudence sur cette question du droit de se taire qui résulte de l'article 9
23:33 de la déclaration de 1789 et du principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser. Très rapidement, au terme de cette jurisprudence, l'intéressé doit être informé de ce droit
23:43 lorsqu'il comparaît devant un juge statuant sur une mesure privative de liberté, devant le juge des libertés de la détention, devant la chambre de l'instruction devant statuer
23:51 sur un placement en détention provisoire, devant une juridiction saisie d'une demande de main levée d'une mesure de contrôle judiciaire ou encore devant le JLD en vue d'être soumis
23:59 à une ou plusieurs obligations de contrôle judiciaire. Cette jurisprudence est toutefois précisément circonscrite à la matière pénale. Le commentaire de votre décision 594 QPC précise ainsi
24:12 que vous avez affirmé expressément le caractère constitutionnel du droit de se taire dans le cadre d'une procédure pénale. Le Conseil d'État a d'ailleurs récemment eu l'occasion
24:23 de refuser de vous transmettre une question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été transmise par le Conseil de la magistrature en rappelant expressément
24:31 que le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser dont découle le droit de se taire, là nous citons le paragraphe 5 de cet arrêt de non-renvoi, a seulement vocation
24:40 à s'appliquer dans le cadre d'une procédure pénale et ne s'étant pas à l'action disciplinaire. Vous voyez donc l'arrêt du 23 juin 2023 du Conseil d'État. Enfin, il pourrait être
24:50 souligné que l'ordonnance réformant la procédure disciplinaire des notaires en 2022 et alors que votre jurisprudence sur le droit de se taire était déjà bien établie,
24:59 n'a pas étendu l'obligation de notifier ce droit dans le cadre de la procédure disciplinaire applicable aux notaires. Il est soutenu devant vous qu'une extension du droit de se taire
25:09 à la sphère disciplinaire est justifiée par la gravité des conséquences de la sanction disciplinaire en cause. Mais votre jurisprudence très brièvement rappelée
25:18 précédemment et relative au droit de se taire n'est pas fondée sur la gravité de la sanction pénale en cause. Elle repose d'une part sur le fait que les observations du prévenu,
25:29 ses déclarations, ses réponses apportées aux questions du juge sont susceptibles d'être portées à la connaissance de la juridiction de jugement. Et c'est d'ailleurs parce que les
25:41 déclarations d'un mineur entendues par le service de la protection judiciaire de la jeunesse sont susceptibles d'être portées à la connaissance de la juridiction de jugement
25:48 que vous avez étendue à ce cadre l'obligation d'informer du droit de se taire. Voyez les paragraphes 8 et 9 de votre décision de 894 QPC. Mais cet élément ne se retrouve pas en matière
26:01 disciplinaire. L'indépendance des procédures disciplinaires et pénales empêche de considérer que les éléments recueillis lors de la procédure disciplinaire ont pour
26:13 circuit naturel si je puis dire, ont vocation à être pris en compte par une juridiction de jugement. Ce peut être le cas, cela n'est pas contesté, mais ce n'est pas
26:23 l'enchaînement normal nécessaire des choses alors que c'est le cas dans le cas de la procédure pénale. D'autre part, votre jurisprudence sur la notification du droit au silence
26:36 est justifiée par la situation de contrainte dans laquelle est placé l'intéressé. Le commentaire de votre décision de 894 QPC relève ainsi que vous n'exigez pas que la
26:48 personne soupçonnée mais non contrainte, cela a été dit, se voit notifier le droit de garder le silence lorsqu'elle est entendue par les enquêteurs. La protection du droit de se taire,
26:58 votre jurisprudence sur le droit de se taire a pour objet la protection du mis en cause contre la coercition dans la recherche de la preuve. Dès que cette coercition
27:07 disparaît ou n'existe pas, la justification de la notification du droit de se taire disparaît avec elle. Et cette dimension coercitive, absolument essentielle dans
27:16 votre jurisprudence pour justifier l'obligation de la notification du droit de se taire, est évidemment absente en matière disciplinaire. La gravité de la sanction encourue,
27:26 dont se prévaut le requérant, est donc indifférente dans le cadre de votre jurisprudence relative au droit de se taire. Le grief tiré de la méconnaissance du principe
27:34 selon lequel nul n'est tenu de s'accuser est donc inopérant en matière disciplinaire. Aucune exigence concisionnelle n'ayant été méconnue. Je vous invite à déclarer des dispositions
27:43 contestées conformes à la constitution. Merci M. Gorginez. Alors, nous avons entendu les arguments de part et d'autre. Est-ce qu'un des membres du Conseil,
27:53 oui, M. le Conseiller Pilet. Oui, ma question s'adresse aux représentants du gouvernement. Pardon. Je mesure combien, d'ailleurs, cette question peut se heurter à des difficultés
28:07 techniques, techniques statistiques, mais je l'attends tout de même. Combien de procédures disciplinaires précèdent, en cas d'interdiction temporaire ou de destitution,
28:18 les procédures pénales ? M. Canguilhem. Alors, si vous êtes d'accord, j'apporterai cette réponse par une attendez-liberté. Oui. Le Conseiller Pilet n'attendait pas que vous répondiez par un chiffre
28:31 avec une décimale. Donc, vous attendez-lui. M. le Conseiller Pinault. Oui, ma question, c'est une interrogation que j'ai, s'adresse à M. Bouloche. Votre point de départ, c'est la gravité de la sanction
28:49 de destitution, dont vous nous avez dit c'est une sanction perpétuelle. Alors, j'ai quelques souvenirs. Il y a une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui dit précisément qu'il n'y a pas de sanctions disciplinaires
29:07 perpétuelles. Et donc, bien sûr, destitution prend effet, mais l'intéressé, là encore, je me rappelle certaines affaires, peut demander sa réhabilitation. Et on doit l'examiner. La formation disciplinaire doit l'examiner.
29:29 Alors, j'aimerais là-dessus que vous complétiez vos propres observations, éventuellement avec d'ailleurs le support de M. Canguilhem et de votre collègue. Voilà. Alors ça, c'était ma première interrogation.
29:47 La deuxième, nous sommes dans le cadre d'une profession réglementée. Donc, on n'est pas dans le cadre d'une procédure pénale, généralement applicable à l'ensemble des prévenus.
30:07 On est donc entre professionnels qui connaissent parfaitement les règles déontologiques de leur profession. Ce sont principalement des professions à caractère juridique.
30:21 Véritablement, est-ce qu'il n'y a aucune différence dans la notification du droit de se taire entre ces procédures qui s'adressent à des professionnels qui connaissent très très bien toutes les règles de leur profession
30:36 et la procédure pénale ordinaire où là, il y a effectivement besoin de notifier le droit de se taire à des gens que l'on peut impressionner ou qui ne connaissent pas tous les arcanes de la procédure et de la preuve.
30:54 Alors mettre. Merci, monsieur le président. Comme vous, je me suis interrogé sur la question de la réhabilitation et il me semblait singulier qu'effectivement, cette destitution soit ad vitam aeternam.
31:07 J'ai trouvé comme réponse un arrêt de la chambre criminelle du 14 février 2012, bulletin 10 86 832 où enquête de destitution, la cour de cassation nous dit qu'il n'y a pas de réhabilitation possible.
31:18 Donc. Pour l'instant, la cour de cassation ne s'est pas aligné sur la géospatiale, la cour de Strasbourg sur le second point. Effectivement, le fichier, le notaire, l'avocat au conseil.
31:34 On a suivi 10 ans d'études. On peut considérer que non seulement on sait qu'il y a des règles à respecter. Ça, c'est évident. Je suis le premier à le savoir. Il n'en demeure pas moi.
31:44 Alors je n'étais pas à Fort-de-France, mais je me retrouverais devant un tribunal judiciaire chargé d'examiner des poursuites disciplinaires contre moi. Je n'aurais peut-être pas la même assurance que je peux l'avoir dans l'exercice de ma profession au quotidien.
32:00 Et j'imagine que un notaire, un avocat, un avocat au conseil, quand il est devant un tribunal judiciaire, qu'il interroge. Moi, personnellement, je me vois pas répondre. Non, monsieur le président, je répondrai pas à vos questions.
32:14 Si on ne m'a pas notifié préalablement mon droit de notaire, je le prendrai quasiment comme une offense à la juridiction. Et donc je me sentirai obligé de répondre. Pour moi, c'est évident.
32:26 Donc j'imagine que pour pour mettre une idée, c'était la même chose. Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose?
32:37 Alors très rapidement, vu que monsieur le conseil, vous m'invitez à le faire sur la jurisprudence de la CEDH. Effectivement, la cour a considéré qu'il n'y avait pas de caractère perpétuel à ces sanctions disciplinaires.
32:49 Et il y a toute une déclinaison juridiciponentielle sur la matière disciplinaire dans énormément de domaines, sur les sanctions disciplinaires dans les fédérations sportives, pour les militaires et aussi dans les professions réglementées, pour la révocation d'avocats, de magistrats.
33:02 La jurisprudence est très fixée là dessus. Sur le je me permets aussi sur le deuxième volet de l'interrogation sur le caractère professionnel du destinataire de la procédure disciplinaire.
33:17 C'est effectivement un élément, mais qu'il faut aussi combiner pour réagir aux propos de maître Boulogne, combiné surtout à l'absence de coercition, qui me semble vraiment être l'élément tout à fait central.
33:29 Merci. Est-ce qu'il y a d'autres questions ? Non. Donc nous sommes éclairés, nous allons délibérer et nous rendrons, comme d'habitude, notre décision rapidement, puisqu'elle sera prise, elle sera annoncée dans dix jours, le 8 décembre prochain.
33:48 L'audience est levée. Bonne journée à toutes et à tous.
33:51 Merci.
33:52 [SILENCE]