• il y a 11 mois
Dans le Débat du 7/10, le regard de deux jeunes sur le nouveau gouvernement Attal : Salomé Saqué, journaliste à Blast et autrice du livre "Sois jeune et tais-toi. Réponse à ceux qui critiquent la jeunesse" (Payot) et Nathan Devers, essayiste, auteur de "Penser contre soi même" (Albin Michel). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-15-janvier-2024-8785364

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Transcription
00:00 Débat ce matin alors qu'on attend le discours de politique générale de Gabriel Attal la semaine prochaine
00:05 sur le nouveau paysage gouvernemental vu par de jeunes.
00:09 La première, Salomé Sake, 28 ans, journaliste chez Blast,
00:13 auteur de « Sois jeune et tais-toi », réponse à ceux qui critiquent la jeunesse,
00:17 chez Payot. Le second, Nathan Devers, 26 ans, philosophe, écrivain,
00:23 auteur de « Penser contre soi-même » aux éditions Albain Michel.
00:26 Bonjour à tous les deux.
00:27 Bonjour.
00:28 Merci d'être avec nous ce matin. Vous voyez, depuis le remaniement, on est obligé de donner les âges.
00:32 Il va falloir vous dépêcher, vous n'avez donc plus que 5 ou 6 ans, on a calculé,
00:35 avant d'entrer à Matignon, si on en croit la jurisprudence Attal.
00:39 Trêve de plaisanterie. Justement, Salomé Sake, vous avez été agacée au fond qu'on ne s'attarde que sur ce symbole
00:44 et que la presse étrangère ne retienne que deux choses de la nomination de Gabriel Attal,
00:47 son âge et son homosexualité.
00:50 Oui, j'ai été assez sidérée par le traitement médiatique de la nomination de Gabriel Attal,
00:54 à l'étranger particulièrement, mais aussi en France, où la première chose qu'on mentionnait, c'était son âge.
00:59 On a passé des heures à débattre pour comprendre ou essayer de savoir si, oui ou non, son âge était une bonne nouvelle.
01:05 Et je crois que l'âge, qu'on soit jeune ou qu'on soit plus âgé, ce n'est pas un gage de compétence ou d'incompétence.
01:12 Et moi, ce qui m'intéresse chez Gabriel Attal, c'est d'essayer de comprendre quelle politique il va mener dans les mois à venir.
01:18 Et si on en croit son parcours politique et ses déclarations, et tout simplement, oui, ce qu'il a effectué déjà en tant que responsable politique,
01:26 on peut essayer de deviner qu'il va suivre la politique d'Emmanuel Macron, qui jusqu'à présent a été néolibérale, conservatrice,
01:33 extrêmement, qui a produit beaucoup d'injustice, qui a augmenté la pauvreté, qui s'est fait au détriment des minorités,
01:39 qui a été discriminante à certains égards, qui s'est fait au détriment des femmes et qui est bien sûr une catastrophe sur le plan écologique.
01:44 On va rentrer dans les détails après.
01:48 On arrive. Nathan Devers, sur l'âge du nouveau Premier ministre.
01:52 Alors, désolé pour le débat, mais je suis assez d'accord. C'est-à-dire que j'ai été frappé de voir qu'il y a eu beaucoup d'articles qui ont repris quasiment mot pour mot
01:58 ce qu'ils écrivaient sur Emmanuel Macron quand il était ministre de François Hollande, sur Gabriel Attal aujourd'hui, en l'insistant sur son âge.
02:04 Or, précisément, la jeunesse est une chose trop importante pour être réduite simplement à l'âge.
02:10 La jeunesse, c'est avant tout une question de rapport au monde. Je ne sais pas si vous partagerez cette définition-là.
02:15 De rapport au monde interrogatif, de rapport au monde de se remettre en question, de ne pas être prisonnier des dogmatismes.
02:20 Et à cet égard, mettre en avant uniquement l'âge des hommes politiques comme si c'était un gage d'une politique de la jeunesse, ça me semble être une erreur.
02:28 Je me souviens qu'en 2017, quand Emmanuel Macron a été élu au deuxième tour, je regardais la télé et il y avait un débat, je ne sais plus sur quelle chaîne,
02:34 et le représentant de LREM disait "ça va être formidable parce qu'on va faire le grand moment du renouvellement des visages".
02:40 C'était incroyable comme lapsus, parce qu'il s'agissait de dire "on ne va pas changer d'idée, on ne va pas changer de vision de la société,
02:45 on ne va pas imposer une véritable jeunesse en politique, mais on va juste remplacer des vieux briscards de la politique par des gens qui sont moins connus,
02:52 mais qui vont probablement, peut-être, reconduire exactement les mêmes directions".
02:56 La politique c'est aussi une affaire d'incarnation et il y a du symbole quand même à mettre un jeune garçon de 34 ans à la tête de la gestion de la France,
03:05 parce que le travail du Premier ministre, ce n'est pas le président, c'est vraiment d'être à la tête de la technocratie, de l'État France.
03:12 Mais en fait, je pense que c'est un très bon coup de communication, au même titre qu'avoir nommé Elisabeth Borne il y a quelques temps,
03:18 avait été un très bon coup de communication parce qu'on avait parlé simplement du fait qu'elle était une femme.
03:22 Là, on parle du fait que Gabriel Attal est le plus jeune Premier ministre de la Ve République, qu'il est ouvertement homosexuel.
03:28 Et pendant qu'on parle de ça, on ne parle pas encore une fois du fond de la politique.
03:32 Quelle politique il va appliquer ? Quel est le futur de cette politique-là ?
03:35 Et en fait, je crois que c'est tomber dans ce piège-là que de s'attarder trop sur l'âge du Premier ministre.
03:41 Et bien sûr que la politique est une question d'incarnation, mais la politique c'est aussi et peut-être surtout les décisions qui sont prises pour l'ensemble de la population
03:50 et les conséquences très concrètes que ça a dans la vie des gens.
03:53 Et je trouve que dans les médias, on a trop tendance à parler de l'incarnation, à parler un peu de politique-politicarde
03:58 et à ne pas parler des conséquences concrètes que ça a sur la vie des gens.
04:01 Lors du premier conseil des ministres, Emmanuel Macron a dit à son gouvernement
04:05 « Vous n'êtes pas seulement des ministres, vous êtes les soldats du quinquennat, de l'en-deux du quinquennat.
04:11 Je ne veux pas des gestionnaires, je veux des révolutionnaires, de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace. »
04:18 Ça vous a parlé, ça, Nathan Devers, à l'amérique de l'énergie, de la dynamique ?
04:23 En effet, c'est très intéressant, parce qu'il y a un paradoxe.
04:26 C'est que d'une part, il s'agit de réactualiser le macronisme des origines.
04:30 D'ailleurs, « Révolution » était le titre de l'ouvrage d'Emmanuel Macron.
04:33 Donc de dire « Le pragmatisme à tout va, les résultats, les résultats, les résultats, etc. »
04:37 Et d'autre part, quand on rentre sur le fond, et là, par contre, là où je ne suis pas d'accord,
04:42 je pense qu'il y a une vraie différence entre le macronisme d'origine et ce à quoi nous assistons aujourd'hui.
04:48 C'est-à-dire que 2017, c'est un moment où le projet d'Emmanuel Macron,
04:52 même si économiquement, il est plutôt de droite, qu'il est assez libéral,
04:55 d'un point de vue, ce qu'on appelle sociétal, j'aime pas trop le mot, mais tout le monde comprend ce que ça veut dire,
04:59 Emmanuel Macron se présentait quand même comme le candidat du progressisme.
05:03 Comme une sorte d'Obama français, qui allait être du côté, c'était contre Marine Le Pen,
05:07 la société ouverte contre la société fermée.
05:09 Et aujourd'hui, quand il nous dit « la mission de notre gouvernement, c'est d'empêcher le grand effacement de la France,
05:15 c'est-à-dire d'un pays qui est décivilisé », et on sait très bien quels sont les clins d'œil de ces deux concepts,
05:21 il me semble qu'il y a quand même un reniement de l'acte originaire de 2017.
05:26 Quoi qu'on pense de cet acte originaire ?
05:28 Pour vous, il y a un reniement ?
05:30 Oui, alors je ne suis pas sûr que ça soit daté de ce remaniement-là,
05:34 mais en tout cas, c'est une pente qui va dans l'autre.
05:36 Vous ne le voyez plus le Macron progressiste, c'est ça que vous dites ?
05:39 Oui.
05:40 Et vous êtes d'accord ?
05:41 Je crois que globalement, Emmanuel Macron n'a jamais mené une politique progressiste en termes économiques ou en termes sociaux.
05:46 En revanche, effectivement, je rejoins Nathan sur ce point, il a prétendu le faire au début,
05:50 et notamment pendant la campagne de 2017.
05:53 Et là, effectivement, il assume très clairement une politique conservatrice, un discours conservateur,
05:58 sur quasiment tous les plans, y compris sur le plan du droit des femmes.
06:01 Je voudrais rappeler quand même ses récentes déclarations à propos de Gérard Depardieu,
06:04 qui ont choqué énormément de personnes.
06:07 Salomé Sakey, il est aussi le président qui devrait inscrire l'avortement dans la Constitution.
06:11 C'est pour ça que j'ai dit sur quasiment tous les plans, il y a quelques petits détails.
06:15 On pourrait aussi penser à la loi sur l'endométrie, où il y a eu quelques toutes petites victoires,
06:20 mais globalement, on est vraiment sur un recul.
06:22 Moi, je suis journaliste économique, j'ai documenté ces dernières années les conséquences, encore une fois, concrètes,
06:29 dans la vie des gens, de la politique d'Emmanuel Macron, en termes de pauvreté notamment, c'est vraiment un échec.
06:33 On a une augmentation de la pauvreté.
06:35 Depuis 10 ans, le nombre de personnes sans-abri a doublé.
06:38 On a aujourd'hui 330 000 personnes qui dorment dans la rue.
06:41 Je pourrais vous aligner les chiffres pendant des heures,
06:43 pour vous expliquer à quel point sa politique a été vraiment antisociale.
06:47 Qu'est-ce que vous attendez de lui demain ? Il va faire sa grande conférence de presse demain soir à 20h.
06:51 Nathan Devers, qu'est-ce que vous attendez ? Qu'est-ce que vous espérez de lui ?
06:54 Il lui reste 3 ans et demi de mandat.
06:57 Qu'est-ce que vous aimeriez entendre le président dire ?
07:01 Puisque vous dites « sapin de conservatrice », vous aimeriez qu'il ait aussi des mots pour les jeunes, pour les progressistes, pour vous ?
07:09 Oui, alors je vais peut-être vous étonner.
07:11 J'aimerais l'entendre dire du « et » en même temps, mais du vrai « et » en même temps.
07:14 Souvent, quand on critique la politique d'Emmanuel Macron, on lui reproche de lui faire du « et » en même temps.
07:18 Cette formule est assez belle.
07:19 L'idée de se dire qu'on sort d'une vision dogmatique de la politique,
07:22 où chacun est juste captif de sa chapelle et il défend sa petite vision du monde et sa boutique, etc.
07:27 Et qu'on peut se dire qu'il y a quelque chose d'intéressant dans chaque perspective politique.
07:31 C'est quelque chose, pourquoi pas ?
07:33 Or, je remarque que depuis 2017, les moments où Emmanuel Macron a vraiment fait, sur le plan des idées,
07:38 je ne parle pas sur le plan stratégique, mais sur le plan des idées du « et » en même temps, ont été assez rares.
07:42 Et que finalement, il me semble que ce qui s'est passé, c'est qu'Emmanuel Macron a suivi la pente des opinions.
07:49 Il a vu qu'il vivait dans un pays qui se droitisait de plus en plus.
07:52 Je ne pense pas d'ailleurs que lui, peut-être, ait-il resté aussi dans le même logiciel intellectuel qu'en 2017.
07:58 Je pense qu'il s'est dit « voilà, dans le pays que je préside, je suis obligé d'épouser cette pente,
08:02 de parler de grand effacement, de parler de décivilisation ».
08:05 Revenir à cette idée initiale du « et » en même temps, peut-être qu'il n'a jamais porté dans son effectivité, ça serait intéressant.
08:12 Mais est-ce qu'il a tort, au fond, de voir, il regarde les sondages les uns après les autres,
08:15 d'une France qui se droitise, d'une France qui devient de plus en plus conservatrice,
08:19 et au fond, il répond à ses attentes ?
08:22 Est-ce pas, on peut dire opportuniste, mais n'est-ce pas aussi pragmatique, tout simplement ?
08:28 D'abord, on peut estimer que la politique, ce n'est pas de suivre les sondages, ça c'est la télé-réalité.
08:32 Et puis deuxièmement, quand on a la chance d'avoir un deuxième mandat, c'est rare dans la vie politique,
08:36 qu'on n'a pas de perspective électorale qui a plus d'intérêt,
08:39 alors là, on peut vraiment s'émanciper des sondages, affirmer ses convictions, comme l'a fait un peu Chirac d'ailleurs.
08:43 Et vous, Salomé Sake, en attendez-vous quelque chose de cette grande conférence de presse, demain soir ?
08:49 Alors non, je n'attends rien, en tout cas en tant que journaliste, observatrice de la vie politique,
08:53 je ne crois pas qu'il va y avoir de tournant qui va être marqué.
08:56 En revanche, qu'est-ce que j'espérais, moi, j'espérais pas qu'il dise, mais j'espérais qu'il fasse,
09:01 et qu'il change réellement sa politique pour, encore une fois, modifier ce bilan qui est catastrophique,
09:06 et ce n'est pas une opinion personnelle sur ces questions-là, c'est vraiment, c'est documenté par l'ensemble des ONG.
09:11 Quand vous dites catastrophique, il faut être précis.
09:14 Pardon, vous êtes journaliste économique, vous dites, le chômage a baissé de manière sensible.
09:20 Mais la pauvreté a augmenté, donc en fait, dans un contexte, ok, peut-être que des gens ont travaillé plus.
09:24 Oui, mais quand vous dites catastrophique, ça veut dire que rien ne va.
09:26 Le chômage a baissé, la France est un des pays où les investisseurs étrangers investissent le plus.
09:31 Mais concrètement, 330 000 personnes dans la rue, deux fois plus, non, trois fois plus de bénéficiaires des Restos du Coeur,
09:38 en dix ans, on est à une augmentation sans précédent de la crise alimentaire, de la crise du logement.
09:43 4 millions de personnes mal logées selon la fondation Abbé Pierre, on a une augmentation sans précédent de la pauvreté qui continue.
09:50 Et ça, peu importe qu'il y ait plus ou moins de chômage, les gens n'arrivent plus à se loger, n'arrivent plus à se nourrir,
09:56 et je pense que parmi ceux qui nous écoutent, ils se reconnaîtront là-dedans.
09:58 Vous êtes aussi sévère que Salomé Sake sur le bilan d'Emmanuel Macron.
10:01 Pardon, mais j'aimerais aussi rajouter qu'il y a une augmentation des inégalités,
10:04 comme d'ailleurs l'a très bien cité en début de ce journal, le rapport d'Oxfam,
10:08 alors c'est aussi à l'international, mais ça a été documenté à l'échelle de la France,
10:11 depuis le début du mandat d'Emmanuel Macron, sur le plan économique, ça dépend de ce qu'on a,
10:15 qui on est en fait dans la société.
10:16 Effectivement, si on est dans les 10% ou les 1% les plus riches, non, c'est pas catastrophique.
10:20 Par contre, si on est dans les 10% les plus pauvres, c'est dramatique.
10:24 Alors, Nathan Devereux, vous êtes aussi sévère ou non ?
10:26 Je ne suis pas économiste, je n'ai pas de compétences pour juger d'un point de vue strictement économique,
10:31 mais ce qu'on peut remarquer en effet, c'est qu'il n'y a pas eu de grande avancée sociale,
10:34 sous les deux mandats, enfin le mandat et demi d'Emmanuel Macron,
10:38 et que notamment, c'est vrai que ce moment où Emmanuel Macron est réélu en 2022,
10:42 et que son premier réflexe est de faire cette loi, cette réforme des retraites,
10:46 en présentant la chose comme une nécessité, comme s'il n'y avait pas d'autre perspective,
10:50 que c'était une urgence, que c'était un impératif du moment,
10:52 et en cachant le fait que c'était évidemment un choix écologique, pardon, idéologique,
10:56 qui impliquait toute une certaine conception du travail, de l'idéologie, du mérite, etc.,
11:02 ça évidemment, c'est des choses qu'il faut remettre en question.
11:05 Oui, simplement, on parle d'avancée sociale, non seulement il n'y a pas eu d'avancée sociale,
11:10 mais il y a eu des reculs sociaux extrêmement importants,
11:12 et puisqu'on parle toujours sur des questions économiques,
11:14 il y a eu des lois qui ont vraiment augmenté la pauvreté, qui sont du fait d'Emmanuel Macron,
11:18 comme la loi sur le RSA qui va être mise en place,
11:21 qui demande aux bénéficiaires du RSA de désormais travailler, ou en tout cas,
11:26 exercer une activité en échange du montant du RSA,
11:30 ou encore la loi chômage, qui encore une fois a été décriée par les associations,
11:34 par les professionnels du secteur, qui nous disent à chaque fois que ça va augmenter la pauvreté.
11:38 Donc, non seulement il n'y a pas eu d'avancée, mais il n'y a eu quasiment que des reculs sociaux.
11:41 On verra si Emmanuel Macron vous surprend bien, comme disent les Suisses,
11:46 ou ne vous déçoit pas en mal.
11:50 On verra ça demain soir, et on vous réinvitera pour en parler.
11:53 Merci à tous les deux.
11:54 de Salomé Sake, Nathan Devers.

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