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Salomé Saqué, journaliste à Blast, et Frédéric Gilbert, directeur général du Comité Miss France, sont les débatteurs du jour.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00 Alors, un débat ce matin qu'on ne pensait franchement jamais faire avec Léa, mais vu
00:04 l'ampleur de la polémique, il faut s'y arrêter quelques instants et poser la question, y-a-t-il
00:10 une longueur de cheveux acceptable pour être Miss France ? Ça peut vous faire sourire
00:16 ou vous sembler grotesque, amis auditeurs, mais sachez qu'Eve Gilles, Miss France 2023,
00:22 a été victime d'un harcèlement odieux sur les réseaux sociaux en raison de sa coupe
00:28 de cheveux à la garçonne, jugée trop courte, et de son corps, jugé lui, trop maigre ou
00:34 masculin ou androgyne. Encore un exemple de ce qu'on appelle en anglais le body shaming,
00:40 soit le fait de se moquer ou de critiquer le corps d'une personne, qu'elle soit connue
00:44 ou non. On va en parler ce matin avec Salomé Saquet, journaliste, auteur de « Sois jeune
00:50 et tais-toi », réponse à ceux qui critiquent la jeunesse chez Payot, et Frédéric Gilbert,
00:55 directeur général de la société Miss France. Bonjour à tous les deux et merci d'être
00:59 là pour ce débat improbable, mais tout de même qui dit quelque chose de l'époque,
01:03 qui dit quelque chose de notre société. Eve Gilles, cette nouvelle Miss France, s'est
01:07 confiée à la Voix du Nord hier en se disant blessée par l'avalanche de critiques et
01:11 d'insultes qu'elle a reçues sur les réseaux sociaux sur cette coupe de cheveux,
01:15 sa fameuse coupe de cheveux courte à la garçonne, et sur son corps, jugé trop maigre. On en
01:20 est donc encore là en 2023, Frédéric Gilbert. Eh oui, bonjour. Bonjour. Mais le fait qu'elle
01:27 ait gagné Miss France prouve que les choses bougent petit à petit, on y arrive, on va
01:31 y arriver, c'est important. Eve, elle l'a gagnée cette couronne telle qu'elle est.
01:38 Elle ne l'a pas gagnée parce qu'elle avait les cheveux courts, elle l'a gagnée par rapport
01:42 à un discours, par rapport à des idées, par rapport à l'image qu'elle a dégagée.
01:46 Et on est très content à la société Miss France aujourd'hui d'avoir cette gagnante-là.
01:52 C'est important pour nous aussi. Salome Saké, oui. Je pense que ça dit beaucoup de ce qu'est
01:57 Internet, donc des problèmes causés par le cyberharcèlement, de cet espace sans régulation
02:02 quasiment où on peut se permettre d'insulter quiconque, et cet espace où les femmes sont
02:06 victimes plus que les autres de cyberharcèlement. Je rappelle que selon les chiffres de l'ONU,
02:11 une femme est 27 fois plus susceptible d'être victime de cyberharcèlement qu'un homme
02:15 dans les espaces numériques. Donc ça c'est un vrai problème. Et deuxièmement, ça soulève
02:20 la question de la misogynie ordinaire où on pense qu'on peut se permettre collectivement
02:24 de juger une femme sur son physique, de l'insulter. Et le fait que ce soit aussi massif, parce
02:30 qu'encore une fois... Mais c'est ça, pour tout vous dire, on a hésité à faire ce
02:34 débat, mais on a regardé avec Nicolas Demorand, c'est pas trois insultes au milieu de...
02:39 C'est du... Je sais pas... C'est sous votre contrôle Frédéric Gilbert. Moi j'ai pas
02:46 l'impression qu'une édition de Miss France ait suscité autant d'insultes violentes.
02:52 Je pense que c'est à mettre en corrélation avec les audiences qui ont quand même été
02:56 extrêmement élevées samedi soir. Mais Clémence Bottineau, il y a quatre ans, pareil, a subi
03:04 un flot d'insultes après son élection. Parce que quoi ? C'était quoi ? C'était sur quoi ?
03:08 Sa couleur de peau, tout simplement. Elle était guadeloupéenne.
03:12 Sa couleur de peau, mais pourtant ça fait longtemps qu'il y a des femmes...
03:17 Oui, ça fait longtemps. La première c'était Véronique Delacruz, il y a très longtemps,
03:23 dans les années 90. Puis après on a eu Sonia Rolland, etc. Mais non, l'année de Clémence
03:29 Bottineau, je ne sais pas pourquoi, hier on a remonté le fil de l'Instagram Miss France
03:34 justement, pour remonter sur l'année de Clémence, et on a vu à nouveau tous ses commentaires
03:38 haineux, racistes, la concernant. Miss France a déclenché ça, malheureusement.
03:44 En fait, pour moi, ce n'est que le révélateur de, encore une fois, cette misogynie ordinaire
03:48 qui est profondément ancrée dans nos inconscients collectifs, qu'on retrouve en ligne, mais
03:52 qu'on retrouve aussi dans la rue, où les femmes sont régulièrement harcelées, et
03:56 où on pense qu'on peut, collectivement, juger une femme, que ce soit sur son physique, ou
04:00 sur sa manière de s'exprimer, sur n'importe quoi. Et aujourd'hui encore, on n'a pas du
04:05 tout dépassé ça. Et là, effectivement, c'est mis en lumière par Miss France, mais
04:10 c'est un problème qu'on retrouve, nous aussi, les femmes journalistes sur les réseaux sociaux,
04:13 qu'on retrouve, en fait, que n'importe quelle femme qui s'exprime publiquement peut retrouver,
04:17 et contre lequel, parfois, on n'arrive pas, déjà, à lutter, et c'est un phénomène
04:21 sur lequel on continue à fermer les yeux en se disant "on a dépassé ça, on est une
04:24 société progressiste". Non, on est une société où le sexisme est encore profondément ancré
04:28 dans les mentalités. Et vous avez raison de dire que sur les réseaux sociaux, c'est
04:31 quand même édifiant, quelle que soit la catégorie socio-professionnelle, je peux parler moi,
04:37 je peux personnaliser et parler des journalistes, effectivement, les journalistes femmes, posant
04:42 la même question que l'homme, se font démolir dix fois plus, vingt fois plus, cent fois
04:47 plus que le même journaliste homme qui pose la même question avec le même ton. C'est
04:51 pas possible. Mais c'est bien qu'il y a un changement des mentalités à opérer, et
04:55 on va peut-être parler du rôle culturel que peut jouer Miss France, ou que peuvent
04:58 jouer d'autres émissions là-dessus, mais je crois qu'il y a vraiment un changement
05:01 à opérer activement, lutter contre ça et peut-être changer les imaginaires.
05:05 Oui, parce que Frédéric Gilbert, vous avez voulu moderniser ce concours. C'est un immense
05:12 succès d'audience cette année, 7 millions et demi de téléspectateurs, jury uniquement
05:17 composé de femmes, la limite d'âge des candidats a été levée, repoussée, l'interdiction
05:24 des tatouages banni, les mères de famille peuvent candidater, tous ces sujets qui avaient
05:28 fait polémique ne sont plus sur la table. Est-ce qu'il ne faut pas aller encore plus
05:34 loin ? Parce que force est de constater que le conservatisme demeure.
05:38 C'est culturel, Miss France en France, pour le coup.
05:42 Alors expliquez-nous, est-ce qu'il y a un problème Miss France ?
05:46 Il n'y a pas un problème Miss France. Il y a des codes qui existent depuis longtemps,
05:52 c'est un gros, gros paquebot qui est très dur à manier et qui est très difficile à
05:55 faire évoluer. Il y a deux ans avec Alexia Laroche-Joubert, on a un peu foncé dans le
06:00 mur histoire de péter un peu les codes. Et on est très critiqué aussi là-dessus d'ailleurs,
06:05 parce qu'il y a beaucoup de gens très conservateurs par rapport à l'image de Miss France qui
06:09 était absolument contre le fait d'enlever ces règles-là.
06:12 C'est quelle règle qui bloquait le plus, qui fait le plus réagir ?
06:14 Oh, l'âge. Le fait d'avoir autorisé au-delà de 24 ans. Il y a beaucoup de gens qui vous
06:21 disent "mais non, on ne veut pas de filles au téléspectacle".
06:22 L'âge et le fait de pouvoir être maman aussi. C'est les deux critiques qu'on a
06:28 le plus.
06:29 C'est quoi le profil de ceux qui critiquent ?
06:33 C'est les spectateurs, les gens qui viennent en région. Oui, il y a plein de gens qui
06:39 critiquent.
06:40 Qui vous disent "elle est trop vieille, on ne veut pas une Miss France qui a été maman".
06:43 Oui, on nous dit "ah non, Miss France, ça doit rester des jeunes filles de 18 à 24
06:47 ans".
06:48 Ça le met saqué, regarde le ciel, lève les yeux au ciel.
06:52 Avant toute chose, avant d'exprimer une critique, je tiens à préciser que moi, quand j'étais
06:55 plus jeune, j'ai regardé Miss France.
06:57 J'ai même peut-être finalement rêvé d'être Miss France quand j'étais adolescente
07:00 et je comprends parfaitement qu'on ait envie d'y participer et je comprends parfaitement
07:03 qu'on regarde ce type de programme.
07:06 Même si moi, aujourd'hui, je ne le regarde plus.
07:07 Par contre, aujourd'hui, après plusieurs années de réflexion, j'en viens à remettre
07:12 en cause le concept même de concours de beauté sans encore une fois vouloir stigmatiser les
07:17 personnes qui y participent parce que c'est vraiment un écueil dans lequel je ne souhaite
07:20 pas tomber ou leur prêter des intentions qui ne seraient pas les leurs.
07:22 Mais le simple fait qu'en France, en 2023, on continue à mettre des femmes en compétition
07:28 à heure de très grande écoute sur la base de leur physique, car c'est bien sûr le
07:32 critère principal, même si ce n'est pas le seul critère, je trouve que c'est en
07:35 soi problématique et que ça participe à cette culture qui nous permet de juger les
07:40 femmes sur la base de leur physique.
07:42 Et je rêve d'une société où on mettrait les femmes en avant, effectivement, à heure
07:45 de grande écoute, mais peut-être sur d'autres critères.
07:48 Et si on pousse loin le curseur de l'inclusivité, que vous êtes en train finalement de pousser
07:53 aussi, c'est-à-dire d'autoriser plusieurs formes de corps, même si là on en est encore
07:58 quand même très loin de la diversité totale, on n'aurait plus de concours de beauté.
08:02 Si à la fin, tous les âges, tous les corps sont représentés, toutes les couleurs de
08:06 peau, à la fin, sur quoi on va se baser ? Puisque le critère de beauté qui est profondément
08:12 subjectif, arbitraire, qui est celui auquel on se réfère aujourd'hui, n'existera
08:16 plus, sur quoi on va se baser pour élire une nouvelle Miss ? Donc moi je pense que
08:19 le principe même de mettre ces femmes en compétition, sur ce critère-là, ce critère
08:24 de beauté-là qui est très arbitraire, n'a en soi aucun sens.
08:27 Sur ce point, Frédéric Gilbert ?
08:28 Alors sur ce point, vous regardiez il y a 10 ans, donc ça devait être l'époque
08:32 de Malika Ménard et Laurie Tillman.
08:34 Il y a 10 ans, oui, j'aurais totalement adhéré à ce que vous dites.
08:39 Depuis quelques temps maintenant, on le constate nous sur les audiences et les courbes d'audience,
08:44 ce qui joue l'élection de Miss France, c'est les discours.
08:47 Aujourd'hui, les candidats, dans les portraits de présentation, sur ce qu'on donne sur
08:51 les réseaux, elles sont très écoutées sur les réseaux.
08:53 Et sur le prime, le pic d'audience, quand on parle du pic d'audience de samedi, c'est
08:57 9 millions de téléspectateurs.
08:58 C'est au moment où les 15 candidats prennent la parole.
09:01 Et l'élection se joue sur la prise de parole.
09:03 Alors pourquoi continuer à les faire défiler en maillot de bain ? Et pourquoi continuer
09:07 à imposer des critères comme le critère de la taille ? Puisqu'il faut faire 1m70
09:11 aujourd'hui pour participer à Miss France.
09:12 Et la taille moyenne des Français, c'est 1m62.
09:14 Peut-être que ça tombera un jour.
09:16 Avant c'était 74, puis 72, maintenant c'est 70.
09:18 Salomé Saké, c'est foutu pour vous.
09:21 J'ai 28 ans.
09:22 Non, non, la taille.
09:23 Ah non, je fais 1m76, mais je ne souhaite plus participer à Miss France.
09:31 Mais c'est encore une fois, même s'il y a plus...
09:34 C'est un spectacle, Miss France.
09:35 Aujourd'hui, c'est un vrai spectacle.
09:36 Même moi, je n'ai pas la recette magique.
09:39 Je ne comprends pas pourquoi ça a autant de succès encore aujourd'hui.
09:44 Mais c'est ça, moi je voudrais savoir.
09:46 Parce que Salomé Saké, vous dites carrément que le moyen le plus efficace, c'est d'arrêter
09:49 de produire cette émission.
09:50 Oui.
09:51 Et comment voulez-vous, dans le monde moderne, avec une émission, c'est très rare, une
09:54 émission qui fait 7 millions et demi de téléspectateurs en prime time.
09:57 Il y en a très très peu qui font ça.
09:58 Ça veut dire qu'il y a un intérêt des Français.
10:00 Et au-delà, je vais défendre votre Miss France, mais c'est une émission, il n'y a
10:04 plus beaucoup d'émissions familiales.
10:06 Des émissions qu'on regarde en famille.
10:08 Aujourd'hui, chacun est devant son écran et chacun regarde, en fonction de votre âge,
10:13 la télé d'une manière différente.
10:14 Et les enfants ne regardent plus la télé et ne regardent plus avec leurs parents.
10:17 Et Miss France, c'est un moment où toute la famille regarde.
10:19 Et vous voulez arrêter de produire ça ?
10:21 Je pense qu'il faut déjà reconnaître le problème de la misogynie, le problème du
10:25 sexisme dans notre société.
10:27 Il y a des inégalités femmes-hommes qu'on documente.
10:29 Il y a des inégalités de salaire.
10:30 Il y a des violences qui sont faites aux femmes.
10:32 On a un problème de sexisme qu'on doit reconnaître.
10:35 A partir de là, on se pose la question comment le combattre ? Si on regarde les outils législatifs,
10:39 ils existent déjà.
10:40 En tant que femme, j'ai les mêmes droits qu'un homme.
10:42 En revanche, c'est un problème culturel, un problème de comportement, un problème
10:46 d'inconscient.
10:47 Et on sait que la culture joue un rôle extrêmement important dans la manière dont on va façonner
10:51 les imaginaires.
10:52 Donc c'est le cinéma, c'est la publicité et c'est évidemment des émissions extrêmement
10:56 regardées comme la vôtre.
10:57 Et ce type d'émissions qui met les femmes en compétition sur la base de leur physique
11:01 et permet au public de les juger encore une fois, tout de même, sur avant tout ce critère-là,
11:07 sur des femmes qui, il faut quand même le rappeler, pour la plupart, ne représentent
11:11 pas la majeure partie des femmes.
11:13 C'est-à-dire qu'elles sont grandes, globalement très minces.
11:16 Alors là, il y a une femme aux cheveux courts, mais c'est la première fois.
11:19 On est quand même sur des stéréotypes de femmes qui sont véhiculées et qui, à la
11:23 fin, participent à créer ces critères de beauté qui pèsent aussi sur les femmes.
11:28 Vous l'entendez ça, Frédéric Gilbert ?
11:31 Je l'entends, oui et non.
11:34 Miss France, déjà, c'est une émission qui est féminine par sa définition, qui
11:39 met en lumière une diversité absolument incroyable.
11:42 Je vous rappelle que tous les Dom-Toms sont quand même représentés dans cette émission.
11:45 Vous avez eu Vahima Lama-Chavez qui ne rentrait pas dans un 32 ou un 34.
11:50 La taille moyenne des femmes en France, c'est du 42.
11:54 C'est-à-dire qu'on est tellement éloigné de ce que les spectatrices sont.
11:59 Vous parlez d'un concours qui a 100 ans.
12:01 C'est difficile de bouger les lignes et elle bouge.
12:03 Mais pourquoi vous ne faites pas un Miss France et Mister France ?
12:07 En fait, c'est ce que j'allais dire.
12:09 Pourquoi un concours pour les hommes le même soir ?
12:11 Ça a existé sur TF1, Mister France.
12:15 Pourquoi un concours d'hommes n'a pas autant de succès et n'existe pas, d'équivalent
12:19 n'existe pas, c'est-à-dire avec cette portée médiatique ?
12:21 Parce qu'on ne juge pas les hommes de la même manière sur leur physique.
12:24 Oui, je pense que parce que les femmes sont plus belles et parce qu'il y a le côté
12:29 un peu "on s'habille, on peut mettre plein de costumes différents".
12:33 Un homme, vous allez le faire défiler en slip et en costume, ça n'a pas grand intérêt.
12:38 En fait, moi je rêve d'un monde où on arrête de juger les femmes sur leur physique, où
12:41 on peut être grande, petite, avoir n'importe quel type de corps, avoir des aspérités
12:46 aussi sur ce corps sans que ce soit jugé et qu'on puisse être libre dans cette société.
12:50 Et qu'on le montre en prime time.
12:52 Mais je pense que l'élection de samedi et le fait qu'Eve ait été élue, ça a encore
12:57 fait bouger les choses.
12:58 Merci à tous les deux.
12:59 C'était très intéressant.
13:01 On a hésité à le faire.
13:02 C'était très intéressant.
13:03 Et on est content de l'avoir fait.

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