Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote
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00:00 Aujourd'hui, le ministre de l'Agriculture a participé à une réunion de travail avec les organisations professionnelles agricoles dans le Cher,
00:07 après une rencontre avec un éleveur laitier.
00:09 Ces derniers jours, les agriculteurs multiplient les actions pour dénoncer leur manque de moyens.
00:14 Le Premier ministre Gabriel Attal n'était lui dans l'euro, ni il promet de leur faciliter la vie dans les prochains mois.
00:20 Éric Zemmour était lui en déplacement dans les Yvelines, aujourd'hui à l'occasion de la Galette des Rois de la Fédération locale.
00:26 Le président de Reconquête a tenu une conférence de presse devant plusieurs centaines de personnes.
00:31 Il a notamment critiqué les dépenses publiques et apporté son soutien aux agriculteurs.
00:36 Et puis, Joseph Borrell accuse Israël d'avoir créé et financé le Hamas pour le chef de la diplomatie européenne.
00:42 Une solution à deux États doit être imposée de l'extérieur pour ramener la paix, alors que la guerre se poursuit dans la bande de Gaza.
00:49 « Si nous n'intervenons pas fermement, la spirale de la haine et de la violence se poursuivra »,
00:54 m'a-t-il déclaré depuis l'Espagne.
00:56 Merci Adrien pour le point sur l'information face à Mathieu Bocoté, bien sûr.
01:00 Bonsoir Mathieu Bocoté.
01:01 Bonsoir.
01:01 Bonsoir Arthur de Vatrigan.
01:03 Bonsoir.
01:03 Une émission exceptionnelle ce soir avec un invité exceptionnel.
01:08 Bonsoir Alain Finkielkraut.
01:10 Bonsoir.
01:10 Tous mes voeux, bonne année.
01:12 Bonne année à vous.
01:13 Vous avez de belles résolutions pour 2024 ?
01:16 Tenir bon.
01:18 C'est déjà mal.
01:18 Tenir bon, c'est-à-dire aller au moins jusqu'à 2025.
01:22 On vous souhaite de vous poser cette question chaque année.
01:26 Mathieu Bocoté, pas de sommaire ce soir,
01:28 mais vous vouliez commencer avant de vous entretenir pendant une heure avec Alain Finkielkraut.
01:33 Tenez à dire quelques mots à propos d'une polémique qui s'est imposée dans la presse de gauche
01:37 depuis quelques jours, celle imposée par des poètes qui ont décidé de pétitionner
01:42 contre Sylvain Tesson, accusé d'être d'extrême droite.
01:47 Oui, c'est une polémique, j'aurais préféré ne pas en parler
01:49 parce que j'aurais préféré qu'une telle polémique soit impossible.
01:52 Alors, on voit ça, Sylvain Tesson, un des grands écrivains aujourd'hui français,
01:56 un des plus grands, je crois, qui a une capacité non seulement d'enchanter le monde,
02:01 mais de le révéler par l'enchantement poétique.
02:03 J'ai beaucoup d'estime pour Sylvain Tesson.
02:06 Et là, qu'est-ce qu'on voit ?
02:07 Il y a une meute, en fait, pas énormément, mais une meute de lyncheur
02:11 qui se présente contre lui parce qu'il est invité à parrainer le printemps de la poésie,
02:15 le printemps des poètes 2024.
02:17 Et là, il y a à peu près 200 au début, 400, 600, 1200.
02:21 Et ça, ensuite, ça continue de pétitionner, qui se lèvent en disant
02:24 « Comment peut-on accepter que Sylvain Tesson soit le parrain de ce printemps des poètes ? »
02:30 Pourquoi ? Eh bien, parce qu'on nous dit, Sylvain Tesson, apparemment, serait d'extrême droite.
02:35 Surprise !
02:36 Alors, on nous dit, et sur quoi se fonde cette accusation ?
02:39 Je reviens sur trois éléments, et je vais en citer quelques extraits de cette accusation débile.
02:43 Parce que c'est une accusation débile.
02:44 Premier élément, on nous dit Sylvain Tesson,
02:47 on se fonde en fait sur l'ouvrage de François Krug, dans « Fractures françaises »,
02:51 un ouvrage dont on avait parlé ici, on peut s'en rappeler,
02:54 qui faisait le procès de Yann Moix, de Sylvain Tesson et de Michel Houellebecq,
02:57 en écrivant qu'il représenterait la nouvelle extrême droite littéraire française.
03:02 Et sur quoi se fondait François Krug pour nous dire cela ?
03:06 Eh bien, il y avait une photo venue de Paris Match de mémoire,
03:08 sur laquelle il avait fait un zoom sur la bibliothèque de Sylvain Tesson,
03:11 et il avait trouvé, grâce au zoom sur cette photo,
03:14 des ouvrages interdits dans la bibliothèque de Tesson.
03:18 Et il en arrivait à la conclusion que Tesson était d'extrême droite,
03:22 et il fallait le marquer comme tel.
03:24 Alors là, on en voit la suite ici.
03:25 Je donne un exemple.
03:26 Dans cette lettre contre Tesson, on nous dit notamment qu'il a préfacé
03:31 un ouvrage de référence de l'extrême droite, « Le camp des Saints »,
03:35 qui n'est autre chose qu'une dystopie raciste sur l'immigration.
03:39 Sauf que c'est faux.
03:40 Ces gens-là ne sont même pas capables d'avoir des fiches de commissaires politiques bien faites.
03:43 Sylvain Tesson a préfacé « Là-bas au loin »,
03:46 qui est un recueil des ouvrages de Jean Raspail,
03:49 dans la collection bouquins, consacré au voyage.
03:52 Dans cette collection d'ouvrages, on ne trouve pas « Le camp des Saints ».
03:57 Donc, ce qu'on comprend, c'est que ces gens-là décident de s'en prendre à Tesson
04:00 sans avoir lu manifestement le texte de Tesson,
04:03 sans avoir lu « Le camp des Saints »,
04:05 sans avoir lu les ouvrages dénoncés de Raspail,
04:07 et au final, cela suffit pour en faire le procès.
04:10 Je donne deux ou trois autres éléments.
04:12 On nous explique que, je cite,
04:15 « Nous alertons sur le fait que la nomination de Sylvain Tesson
04:17 comme parrain du Printemps des Poètes 2024,
04:20 loin d'être contingente,
04:21 vient renforcer la banalisation et la normalisation de l'extrême droite
04:25 dans les sphères politiques, culturelles, dans l'ensemble de la société. »
04:27 On voit un autre signe de cela dans le fait que la présidente du Printemps des Poètes,
04:31 en 2018, avait proposé un défilé de la garde républicaine.
04:34 Et à la fin, je donne la dernière phrase,
04:36 pour terminer ce segment et engager la conversation avec Anne-Infini Kellkraut,
04:39 je cite, « Nous, poétesses, poètes, éditrices et éditeurs,
04:44 libraires, bibliothécaires, enseignants et enseignantes,
04:47 actrices et acteurs de la scène culturelle française,
04:50 nous nous élevons contre la nomination de Sylvain Tesson
04:53 et demandons au Printemps des Poètes d'y renoncer.
04:55 Ciel, IEL, vous savez IEL ?
04:58 Ils écrivent comme ça les poètes, ce sont des massacreurs de la langue.
05:01 Ciel, I-E-L, S, nous prennent la grâce, nous garderons la dignité. »
05:06 C'est la logique du commissaire politique.
05:08 C'est la même chose qu'on avait fait contre Marcel Gauchet
05:10 il y a quelques années au rendez-vous d'Histoire.
05:12 On avait fait une pétition contre lui parce que Gauchet, apparemment,
05:15 ne pensait pas ce que l'on doit penser lorsqu'on est invité dans de tels rendez-vous.
05:19 Ce type de lynchage public me dégoûte profondément.
05:22 L'œuvre de Sylvain Tesson est une œuvre fondamentale.
05:24 Qu'il nous soit permis ici de redire notre affection pour l'homme,
05:27 notre estime pour l'œuvre et notre mépris pour ces 600 pétitionnaires minables
05:31 qui décident de le flinguer en écriture inclusive
05:33 sans même avoir des fiches correctes de dénonciation,
05:36 au moins le KGB travaillait mieux.
05:38 - Oui, je dois dire un mot.
05:40 Le verre final, c'est un verre d'Apollinaire.
05:44 C'est donc un verre d'un des plus grands poètes français
05:49 réécrit en écriture inclusive.
05:52 Ils sont 600 à avoir fait ça.
05:55 Qui aujourd'hui vandalise la poésie ?
05:59 Les poètes eux-mêmes.
06:00 C'est vraiment à pleurer.
06:02 - Alors, je me permets justement, nous allons rentrer très rapidement
06:05 pour parler de votre ouvrage "Pécheur de perles".
06:07 Un ouvrage tout à fait magnifique, je le dis maintenant.
06:09 Mais je vous pose la question inévitablement sur Sylvain Tesson,
06:12 d'autant que vous parlez de la question des parias dans votre ouvrage,
06:15 d'autant que vous parlez des techniques de disqualification.
06:18 Que vous inspire cette meute lancée, lâchée contre Sylvain Tesson ?
06:22 - Le problème, c'est que notre époque
06:29 consomme insasiablement un "aime le maudit"
06:35 par mois, voire par semaine.
06:38 Le sport favori des démocraties tardives,
06:45 c'est la chasse à cours, c'est-à-dire la lalie et la curée.
06:51 Voilà.
06:53 Et je suis...
06:55 Depardieu, nous parlerons par tête, Gérard Depardieu,
06:59 a dû renvoyer sa Légion d'honneur.
07:03 J'aimerais que... Je souhaiterais, moi,
07:06 que ces poètes soient destitués du nom même de poète.
07:11 Ce que ça m'inspire, c'est un profond dégoût
07:15 et aussi une profonde inquiétude,
07:18 d'autant qu'il y a parmi eux des libraires.
07:22 Les libraires font un métier merveilleux.
07:25 Mais ce qui se passe aujourd'hui,
07:29 c'est qu'à l'extrême-gauche et même à gauche,
07:35 l'antiracisme a succédé à l'anticapitalisme.
07:41 L'ennemi, ce n'est plus la bourgeoisie,
07:45 l'ennemi, c'est le raciste.
07:48 Et on met le racisme à toutes les sauces.
07:50 Le racisme devenu fou, dit très justement Pierre-André Tregev.
07:54 Mais là, s'il vous plaît, il y a une radicalisation du discours
08:00 parce qu'on peut lutter contre le capitaliste
08:05 sans forcément le mettre à mort.
08:08 La conflictualité est admise,
08:12 mais pas de conflictualité avec le raciste.
08:15 Le raciste, c'est l'ennemi du genre humain.
08:18 Donc, il ne doit pas exister.
08:21 Et c'est dans ce contexte que prennent sens
08:26 toutes les chasses à l'homme auxquelles on assiste aujourd'hui.
08:29 - Et sur ces chasses à l'homme, nous reviendrons.
08:31 Mais d'abord et avant tout, parlons de ce livre magnifique,
08:34 "Dispêcheurs de perles".
08:35 Alors, point de départ, on a pu vous entendre au fil des ans
08:39 vous inquiéter, vous ne cachiez pas votre inquiétude.
08:42 Vous vous dites, est-ce que j'ai encore quelque chose à dire?
08:45 Vous vous dites aussi, pire encore,
08:47 est-ce que je suis condamné à me répéter?
08:49 Et finalement, on vous lit et ce qu'on voit,
08:50 c'est qu'à travers une méditation autobiographique,
08:53 par le passage des citations de votre vie,
08:55 mais finalement, vous retrouvez un souffle, en fait,
08:58 et vous aviez peur d'avoir perdu ce souffle.
09:00 Et c'est par la méditation autobiographique
09:02 que vous retrouvez ce souffle littéraire,
09:03 ce souffle philosophique.
09:05 - Mais puisque vous le dites, ce doit être vrai.
09:11 De toute façon, cette inquiétude me tourmente depuis longtemps.
09:16 C'est pour ça que je suis un peu gêné
09:19 quand on dit de moi, c'est un écrivain.
09:23 Oui, peut-être, mais ça n'a jamais eu pour moi,
09:28 cette qualité, une réalité substantielle.
09:32 Ce n'est pas un attribut.
09:34 Chaque livre, dans mon esprit, était mon dernier livre.
09:38 J'ai commencé presque par hasard.
09:40 J'écrivais des articles pour des revues un peu savantes,
09:45 la revue critique, la revue communication.
09:48 À l'époque où j'étais l'élève de Roland Barthes,
09:50 j'étais un étudiant qui voulait faire ses preuves.
09:53 Et puis, Pascal Bruckner me propose d'écrire avec lui
09:58 le nouveau "Désordre amoureux".
10:00 Et nous nous voyons tous les jours à cette époque,
10:04 nous discutons tout le temps.
10:05 Je dis d'accord.
10:06 Et je l'ai déjà raconté, ça n'a pas été simple pour moi
10:10 parce que je n'avançais pas.
10:12 Donc, on s'était partagé les chapitres.
10:15 J'avais écrit neuf pages, je n'avais écrit cent.
10:18 Donc, Pascal s'est dit, c'est mon meilleur ami,
10:21 mais ça ne va pas le faire.
10:22 Donc, j'ai cravaché, je l'ai rejoint, j'ai écrit.
10:26 Nous avons fait un deuxième livre ensemble,
10:28 "Au coin de la rue, l'aventure".
10:29 Mais bon, je devenais écrivain un peu par la force des choses,
10:34 sans l'avoir complètement décidé,
10:37 décidé et sans être sûr.
10:39 Et ça a continué comme ça.
10:41 Un livre en a appelé un autre et j'ai eu des moments
10:45 assez terribles, des moments, en effet,
10:47 de dépression parce que je ne trouvais rien à écrire,
10:52 parce que j'étais bloqué.
10:54 J'ai eu quelques épisodes dépressifs dans ma vie.
10:58 C'était dû à cela, parce que dans ces cas-là,
11:00 je me disais, mais à quoi bon ?
11:03 À quoi bon vivre sur Terre ?
11:05 Et donc, voilà, cette fois-ci,
11:08 les choses se sont décidées assez calmement.
11:12 En effet, j'ai feuilleté les carnets de citations
11:17 que j'accumule pieusement depuis plusieurs décennies.
11:21 Alors, il y en a tout un tas.
11:23 Et puis, je me suis dit, mais pourquoi pas ?
11:26 Pourquoi pas prendre des fragments et des aphorismes
11:30 et en quelque sorte, penser dans leur sillage ?
11:33 Alors, j'ai retrouvé évidemment des thèmes qui me sont chers,
11:38 dont j'ai déjà parlé par ailleurs, l'école, l'Europe et d'autres.
11:44 Mais j'ai pu aussi aborder des thèmes
11:49 auxquels je n'avais pas encore eu accès.
11:51 Ou alors, en tout cas, j'avais beaucoup parlé de l'amour,
11:53 mais pas à la première personne.
11:55 - Eh bien, justement, je me permets de vous y conduire
11:57 parce que tous ceux qui ont lu votre livre
11:59 sont bouleversés par ce premier chapitre.
12:02 "Le cœur consiste à dépendre", citation de Paul Valéry,
12:04 où vous racontez votre histoire avec votre épouse.
12:08 Et c'est presque l'anti-manuel du stratège amoureux.
12:10 Aujourd'hui, on nous explique si elle se détache,
12:13 toi-même, tu dois te détacher, cultive l'indifférence,
12:16 ne te jette pas sur elle, ne lui dis pas à quel point tu l'aimes
12:19 et elle reviendra.
12:20 Les Machiavelli de l'amour nous expliquent cela.
12:22 Et vous nous racontez votre histoire avec votre femme
12:24 et en gros, elle vous plaque et vous vous jetez dans le vide
12:26 en disant "je la veux à tout prix, je me jette dans le vide".
12:28 Et finalement, de ce vide, vous sortez et vous vous retrouvez à deux.
12:32 - Oui, enfin, c'est...
12:35 J'ai pris un triple risque
12:38 en racontant une partie de mon histoire.
12:42 Le risque du ridicule, les gens disent "on s'en fout,
12:44 pourquoi il parle de lui, d'accord, t'es content, etc."
12:47 Le risque aussi de me donner en exemple.
12:49 Parce qu'effectivement, j'y reviendrai,
12:52 les choses se sont bien terminées,
12:54 j'explique pour toi, alors tu dis "voilà, regardez".
12:58 Et le risque aussi d'apparaître avec ma femme
13:01 comme un couple attendrissant.
13:03 Ça, ça me fait terriblement peur.
13:05 Donc j'espère que je ne suis tombé dans aucun de ces pièges.
13:09 Mais je me suis dit, il y a quelque chose éventuellement à raconter.
13:13 D'abord, de cette rupture.
13:16 Oui, en effet, nous n'avions vu un film,
13:20 nous étions pas tout à fait d'accord sur l'interprétation, etc.
13:24 Et le lendemain matin, petit déjeuner,
13:26 elle m'annonce "c'est fini, je te quitte, ma décision était revocable".
13:29 Évidemment, la dispute, c'était la goutte d'eau.
13:31 J'étais envahissant, je pompais l'air.
13:34 Elle avait besoin de son camp d'assoi, etc.
13:37 Et bon, et effectivement, j'ai vu à ce moment-là,
13:41 j'étais complètement follé.
13:42 Donc je suis allé voir un ami écrivain
13:45 et je lui ai demandé quelle stratégie adopter.
13:47 Il m'a dit "il faut faire le mort, elle reviendra".
13:50 Et j'ai fait le contraire.
13:52 Je ne me suis pas agrippé non plus,
13:54 parce que déjà, j'étais envahissant, donc il fallait faire attention.
13:57 Mais nous avions vu un très beau tableau ensemble
14:00 et je suis allé à la galerie et j'ai cassé ma tire.
14:03 Je l'ai acheté et j'ai dû même batailler pour le prendre tout de suite,
14:08 parce que les vendeurs dans les galeries,
14:09 ils mettent une pastille et ils disent "vous allez le chercher".
14:11 À la fin, il dit "non, non, non".
14:13 Donc je l'ai pris et je l'ai déposé sur le palier de mon épouse,
14:18 au risque d'ailleurs qu'il soit volé.
14:19 Donc évidemment, elle a été touchée.
14:21 Elle m'a écrit.
14:22 Après, j'ai quand même attendu.
14:24 J'ai attendu et effectivement, les choses ont bien tourné par moi.
14:30 Alors que le ciel m'était tombé sur la tête.
14:34 Et ce que j'essaye de dire ensuite,
14:37 c'est que l'amour ne consiste pas seulement à dépendre.
14:41 Oui, aimer, c'est l'expérience merveilleuse
14:46 d'une alienation meilleure que la liberté.
14:49 Tout d'un coup, l'autonomie n'est plus le bien suprême,
14:52 mais il y a aussi une composante de l'amour
14:55 totalement négligée par la littérature,
14:59 aussi bien poétique que romanesque.
15:02 Parce que j'ai essayé de lire des livres
15:06 et je ne me suis jamais retrouvé.
15:08 C'est l'admiration.
15:10 Et l'admiration qui, effectivement,
15:14 n'est pas à la merci de la lassitude.
15:18 Et c'est aussi de cela que je voulais parler.
15:21 Donc l'amour aveugle, dit-on.
15:24 Non, l'amour ouvre les yeux.
15:27 Et c'est une lucidité qui ne se définit pas
15:34 par la déception, par le désenchantement.
15:37 C'est une lucidité émerveillée.
15:39 Voilà ce dont j'ai voulu parler.
15:41 - Arthur de Vatrugan, toujours sur ce thème.
15:43 - Mathieu a raison, on découvre deux choses dans ce merveilleux chapitre.
15:46 Un, que c'est quand même compliqué d'être conservateur
15:48 quand on n'a pas son permis de conduire.
15:50 Et ça, je laisserai au lecteur la joie de découvrir cette scène
15:52 que vous racontez, qui est un peu digne d'un film sorti de Woody Allen.
15:56 Mais surtout, on découvre que Finkelkraut, qu'on connaissait pessimiste,
16:00 qu'on connaissait philosophe punk,
16:02 qui se croit de gauche, mais qui ne l'est plus vraiment,
16:05 mais qui est surtout optimiste dans ce premier chapitre.
16:08 Et vous dites que vous êtes optimiste parce que votre cœur est devenu immortel.
16:11 C'est quoi la recette pour transformer son cœur en cœur immortel ?
16:15 - Non, il n'y a pas de recette.
16:16 Encore une fois, je ne me donne pas en exemple.
16:19 Il n'y a pas de recette.
16:20 La recette, c'est la rencontre, si vous voulez.
16:22 C'est pour ça aussi que je n'aime pas
16:26 les amoureux
16:31 qui révèrent le sentiment lui-même,
16:34 qui oublient la personne aimée au profit presque de leur cœur sensible,
16:39 de leur être sensible.
16:41 Ce que Kundera appelle l'homo sentimentalis.
16:44 Non, il n'y a pas de recette.
16:46 C'est la chance de ma vie.
16:49 Mitterrand avait une très jolie formule pour Anne Pingeot.
16:52 Vous vous rendez compte où vont mes références ?
16:55 Dans sa correspondance, je n'ai pas lu, évidemment,
16:59 mais il dit d'Anne Pingeot,
17:02 quelle est sa chance de vie ?
17:04 C'est beau ça, chance de vie.
17:06 Voilà, c'est ça.
17:06 Sous un coup, c'est une chance, une chance que
17:09 j'ai su saisir et je me suis agrippé.
17:13 - Alors, une dernière question sur ce thème avant d'aborder les autres.
17:16 Le nouveau désordre amoureux, un cœur intelligent.
17:19 Si l'amour durait, et maintenant ce chapitre, au terme,
17:22 finalement, la question de l'amour est un filon dans votre oeuvre.
17:24 De quelle manière a-t-elle évolué, finalement, entre le film
17:27 "Quelqu'un du Nouveau Désordre Amoureux" et le film "Quelqu'un"
17:29 qui confesse son histoire dans le premier chapitre ?
17:31 De quelle manière cette représentation de l'amour a-t-elle évolué ?
17:34 Je précise, dans un monde où l'amour est de plus en plus présenté
17:37 comme une alienation triste, où on parle d'emprise,
17:40 dans un monde où le désir est souvent criminalisé.
17:43 Est-ce que parler d'amour aujourd'hui n'a pas un petit parfum
17:45 de dissidence, de transgression ?
17:47 Bien sûr, ma réflexion a évolué du fait de ma vie.
17:55 Mais je dois dire, c'est assez drôle, parce que quand on a écrit
17:57 "Le Nouveau Désordre Amoureux" avec Pascal Bruckner,
17:59 on s'est partagé la tâche.
18:01 Et Pascal Bruckner,
18:04 il est parti, si vous voulez, d'une critique.
18:09 Ça va paraître curieux aujourd'hui, mais nous vivions
18:13 dans l'époque de la libération sexuelle et l'auteur
18:17 auquel on se référait, c'était Wilhelm Reich.
18:19 Wilhelm Reich, qui célébrait l'orgasme,
18:22 mais l'orgasme comme grand moment fusionnel.
18:25 Et Bruckner disait non, c'est pas ça.
18:28 Il y a une dissymétrie dans le plaisir.
18:30 La femme nous échappe.
18:32 Le plaisir de la femme est sans commune mesure
18:34 avec le plaisir de l'homme.
18:36 Donc, il explorait cette dissymétrie
18:40 avec une acuité et un lérisme extraordinaire.
18:45 Et moi, j'ai aussi parlé de la dissymétrie,
18:48 mais sous l'angle un peu sentimental.
18:51 Donc, je me suis chargé, au départ, j'ai fait aussi d'autres choses,
18:54 de la formule "je t'aime".
18:57 Quel sens a la formule "je t'aime"?
18:59 Donc, vous voyez, c'était déjà là, en quelque sorte.
19:02 Et ensuite, j'écris "La sagesse de l'amour" autour de Lévinas.
19:05 Et je le regardais l'autre jour.
19:09 Et il y a un sous chapitre qui s'appelle "L'emprise".
19:11 Donc, avant même que
19:13 la doxa contemporaine s'empare de ce terme.
19:19 Donc, je se sentais.
19:20 Et il y a une phrase dans Lévinas pour
19:23 définir la relation éthique,
19:28 mais qui s'applique encore mieux à la relation amoureuse,
19:32 à la passion, malgré moi pour un autre.
19:34 C'est magnifique. Malgré moi pour un autre.
19:37 C'est la passion même.
19:38 Donc, voilà tout cela.
19:39 Et que j'ai essayé d'explorer peu à peu.
19:43 Et puis, j'étais quand même frustré.
19:46 Et par mes propres explorations et parce que je lisais.
19:49 Voilà pourquoi je me suis permis d'ajouter ce post scriptum
19:54 en disant l'admiration et en disant
19:57 l'amour dans sa modélité la plus haute peut être un chemin de connaissance.
20:02 Alors, vous dites l'amour.
20:03 Je me permets d'ajouter un sentiment de l'amitié
20:05 qui est peut être moins présent dans l'oeuvre,
20:06 bien qu'il ne soit pas étranger.
20:08 C'est un sentiment qui n'est pas étranger dans votre vie.
20:09 Vous connaissez probablement le très beau livre d'Anne Blum,
20:12 l'amour et l'amitié.
20:13 De ce point de vue, de quelle manière ces deux sentiments
20:15 s'alimentent-ils l'un l'autre?
20:16 Oui, souvent, les gens me disent
20:21 vous êtes très malheureux, vous détestez votre époque.
20:24 C'est vrai que je me sens un peu.
20:27 Oui, je me sens pas tout à fait à l'aise
20:31 dans le moment présent, mais.
20:35 J'ai une vie privée, c'est à dire l'histoire,
20:37 fort heureusement, ne s'est pas emparée de nos existences
20:41 comme à d'autres moments terribles.
20:44 Et ma vie privée est plutôt heureuse.
20:48 C'est vrai, c'est vrai.
20:50 Malgré tout, malgré ce qui arrive autour de moi,
20:52 malgré les maladies dont j'ai été affecté parce que
20:56 je suis disons, mais je ne peux même pas toucher du bois.
21:00 C'est foutu, là.
21:01 Je suis heureux en amour et heureux en amitié.
21:05 Il y a des amitiés qui comptent beaucoup pour moi.
21:08 Et ce cas de commun, l'amour et l'amitié, comme je l'entends,
21:12 c'est que l'ami
21:16 et les rares amis et la femme qu'on aime,
21:19 que j'aime, sont des êtres dont je veux me montrer digne.
21:25 Je ne veux pas de biais, je veux me montrer digne.
21:29 Je ne veux pas démériter.
21:32 En quelque sorte, je vis sous leur regard.
21:35 Et ça, c'est ça.
21:39 Ça me force à me tenir droit.
21:41 Voilà le rapport que je fais.
21:42 Arthur de Vatrigan.
21:43 Et ensuite, dans la deuxième partie, évidemment,
21:45 nous nous concentrons sur l'autre partie du livre.
21:47 Arthur de Vatrigan.
21:47 Justement, si vous me permettez, Mathieu, je trouve que c'est intéressant
21:50 si vous parliez de l'amitié, de l'amour et de la dignité.
21:52 Premier chapitre est positif et vous enchaînez tout de suite rapidement
21:57 avec un chapitre qui l'est un peu moins, qui repart sur vos obsessions.
22:01 C'est "La mort qui rôde".
22:02 Et justement, comment vous articulez ce lien d'amour, d'amitié, de dignité
22:07 avec la mort, sachant que vous arrivez à la question,
22:10 évidemment, de la fin de vie de Lothen Asie ?
22:12 Écoutez, d'abord, c'est une citation
22:17 qui m'a en quelque sorte invité à sauter le pas.
22:21 C'est Canetti.
22:23 "La mort est de Dieu et elle a dévoré son père."
22:27 C'est magnifique parce que ça donne la vérité cruciale de l'athéisme.
22:31 Il y a au départ un athéisme conquérant.
22:34 L'homme remplace Dieu.
22:37 L'homme occupe le trône.
22:39 Il va conquérir peu à peu les attributs de l'omniscience
22:43 et de la toute-puissance.
22:46 C'est le programme moderne.
22:48 Non, mais les choses ne se déroulent pas ainsi, ne se vivent pas ainsi.
22:54 Les athées sont des orphelins de Dieu.
22:57 C'est-à-dire qu'ils pensent que la mort a le dernier mot.
23:02 Et comme l'a écrit Gershon Schonem, là où était Dieu,
23:06 il y a maintenant la mélancolie parce que, bien sûr, la mort a vaincu.
23:10 D'abord, et qui est déjà omniprésente dans le christianisme.
23:15 C'est la beauté du christianisme.
23:17 Après tout, on révère le Christ en croix.
23:20 Il n'y a pas d'image du Christ ressuscité.
23:23 Ça, ça doit nous faire réfléchir.
23:25 Il y a toute cette iconographie de la mise au tombeau,
23:30 de la descente de croix, etc.
23:33 Et puis, il y a aussi cette phrase qui est vraiment le génie du christianisme.
23:39 Mon père, mon père, pourquoi m'as-tu abandonné ?
23:42 C'est Dieu. Dieu a craint la mort.
23:46 Pourquoi m'as-tu abandonné ?
23:47 Donc, c'est déjà là.
23:49 Et maintenant, ça l'est totalement, totalement.
23:53 Il n'y a plus de remède, il n'y a plus de consolation à la mort.
23:57 Mais j'ai voulu pousser la question un peu plus loin,
24:01 un peu plus loin, parce qu'une autre angoisse s'empare de nous.
24:07 Non pas la peur de la fin de la vie, mais la peur de la fin de vie.
24:12 Et nous y arrivons en deuxième partie.
24:14 Nous allons aborder directement cette question.
24:16 Oui, c'est le passage, la transition.
24:18 Alors, la publicité, on revient dans un instant.
24:22 Je peux boire quelque chose ?
24:23 Bien sûr.
24:24 Quasiment 19h30 sur CNews.
24:27 Dans un instant, on poursuit évidemment l'entretien avec Alain Finkielkraut.
24:31 Mais avant ça, le point sur l'information.
24:33 Adrien Spiteri.
24:34 La colère des agriculteurs se poursuit.
24:37 Il dénonce un manque de moyens et des charges trop importantes.
24:41 Plusieurs actions ont continué aujourd'hui, notamment sur l'autoroute A64,
24:44 qui a été bloquée dans les deux sens à hauteur de carbone.
24:47 De son côté, le ministre de l'Agriculture, Marc Faineau,
24:50 s'est rendu dans le Cher cet après-midi pour échanger avec certains d'entre eux.
24:54 Un élève de 18 ans a succombé à ses blessures aujourd'hui.
24:57 Il avait été grièvement blessé mercredi matin dans une expédition punitive
25:02 près de son lycée de Saint-Denis.
25:04 L'agression avait eu lieu quelques heures avant la mort d'un adolescent de 14 ans
25:08 dans la ville, poignardé à mort dans le métro.
25:11 Et puis, pour Benjamin Netanyahou, Israël doit conserver le contrôle
25:14 de la sécurité à Gaza.
25:16 Une fois le Hamas détruit, le but, s'assurer qu'il ne représente plus
25:20 une menace pour l'Etat hébreu.
25:21 Le premier ministre israélien s'est entretenu avec Joe Biden hier
25:24 sur le sujet.
25:25 Selon le président américain, il est encore possible que Benjamin Netanyahou
25:29 accepte une certaine forme d'Etat palestinien.
25:32 Merci, Adrien. On vous retrouve bien sûr à 20h.
25:36 On reprend l'entretien.
25:37 Ah ben oui. Avec jeu.
25:39 Alors, la première partie de notre entretien,
25:40 mais la première partie d'ouvrage, était centrée sur la question de l'amour.
25:44 Mais il y a l'autre, pour Grand Paul, qui est non seulement la mort
25:46 dont vous parlez dans le livre, mais plus encore la peur de mourir de son vivant.
25:50 Et autrement dit, cette peur qui, je pense, qui vous travaille,
25:52 qui est celle d'Alzheimer et ce qui vous conduit à avoir un point de vue assez,
25:56 très nuancé autour des questions liées à la fin de vie et ainsi de suite.
25:59 Oui, c'est à dire que une autre peur a surgi avec les progrès de la médecine.
26:05 La médecine répare tout.
26:07 Le corps est devenu un appareil.
26:10 Elle explore très bien le cerveau.
26:12 Elle répare pas le cerveau.
26:14 Donc, elle fabrique, comme l'a dit
26:17 une neurologue, Anne Lorbock, des non-ingénieurs démons.
26:22 Et l'Alzheimer aussi peut commencer beaucoup plus tôt.
26:27 Alzheimer, maladie de pique, toutes sortes de démons séniles.
26:31 Et il faut bien savoir que
26:35 cette maladie, cette longuébétude, dure en effet très longtemps.
26:43 Et qu'au début, le malade comprend ce qui lui arrive au moment du diagnostic.
26:49 Rézvani, qui a beaucoup aimé son épouse,
26:53 a vécu cette épreuve avec elle et il parle de l'immense chagrin
26:59 de se savoir en état de destruction mentale.
27:05 Ce chagrin, ce chagrin, c'est tout à fait.
27:08 Et voilà. Et donc, j'ai peur, moi, une peur bleue.
27:14 De ce chagrin là, j'ai vu.
27:15 C'est cette hébétude programmée, je l'ai vu autour de moi
27:22 et je me dis toujours, je ne veux pas vivre ça.
27:26 Je ne veux pas imposer à mes proches
27:29 de faire leur deuil de mon vivant.
27:32 Mais il faut savoir que le projet de loi
27:38 sur l'euthanasie et le suicide assisté
27:42 ne prévoit pas de s'appliquer à ces malades.
27:47 Ça concerne surtout la souffrance, la terrible souffrance de l'agonie.
27:53 Et là, on pourrait répondre, bah oui, mais pour ça, il y a les soins palliatifs.
27:57 La médecine peut effectivement soigner ces souffrances.
28:02 En revanche, face à l'Alzheimer, elle ne peut rien.
28:05 Et je cite dans le livre le cas d'une femme qui,
28:09 encore assez de lucidité et de force pour écrire,
28:12 à son médecin, "J'ai la maladie d'Alzheimer,
28:15 je perds mes mots, je n'en peux plus.
28:17 Aidez-moi, aidez-moi."
28:20 Et maintenant, on nous dit, ah non, le médecin doit être fidèle
28:24 au serment d'Hippocrate, respecter la loi,
28:27 c'est-à-dire l'interdit majeur, le tu ne tueras point.
28:31 Et donc, il ne doit pas entendre cet appel désespéré.
28:35 Dans ce refus d'entendre, je ne vois aucune miséricorde.
28:38 Je vois une véritable cruauté.
28:41 - J'entends votre argument, et je pense que nous avons plusieurs à l'entendre.
28:45 Mais que faites-vous de l'inquiétude à tout ce qui entoure
28:49 justement le droit de mourir dans la dignité,
28:51 le droit au succès d'assister, comme on le voit en Belgique,
28:54 comme on le voit au Canada, où par exemple, on va nous dire
28:56 la détresse psychologique ou le mal de vivre,
28:59 tout simplement, qui était annoncé d'ailleurs par Michel Houellebecq
29:03 dans une très belle scène du "La carte et le territoire",
29:05 où il y a cette peur, finalement, qu'à partir d'une situation
29:09 d'exception que vous présentez, une situation parfaitement compréhensible,
29:11 on généralise finalement la possibilité pour chacun de se retirer du monde
29:15 au frais de l'État, tout simplement parce qu'il n'a plus envie de poursuivre la vie.
29:17 - Non, mais bien sûr.
29:20 Encore, je le répète, le cas
29:24 qui me préoccupe et même qui me tourmente
29:27 n'est pas pris en compte par le projet de loi.
29:31 Donc, si une telle chose m'arrive, je devrais aller en Suisse.
29:35 Je choisirais la Suisse et non la Belgique,
29:37 parce que l'idée du suicide assisté me paraît plus juste que l'euthanasie.
29:43 Si ça doit arriver, je préfère en quelque sorte me l'infliger à moi-même,
29:48 mais aussi davantage.
29:50 Ce serait de pouvoir dire adieu à mes proches
29:54 à un moment où je suis assez lucide pour le faire.
29:58 Donc, mais cela étant, je comprends très bien la prudence.
30:05 Je comprends très bien qu'on tremble
30:09 devant, justement, le suicide assisté ou l'euthanasie.
30:14 Je cite d'ailleurs dans "Pêcheur de perles",
30:17 le journal of "Bietics", un grand magazine,
30:23 enfin médical américain.
30:26 "Des personnes sur le point de perdre leur identité morale
30:29 ont le devoir de se supprimer afin d'éviter à leurs proches
30:33 un lourd fardeau émotionnel et financier."
30:37 Alors, on peut se demander si un jour, les médecins ne seront pas autorisés,
30:41 voire incités par une société soucieuse de ne pas creuser les déficits,
30:47 des déficits à éliminer des malades toujours plus nombreux
30:51 et toujours plus coûteux.
30:53 Donc, cette évolution est extrêmement dangereuse.
30:58 Mais d'un autre côté, vous citez Welbeck, et Welbeck dit très, très sévère.
31:02 Il dit "si on autorise l'euthanasie, on sort de la civilisation
31:06 et notre civilisation ne mérite pas de survivre.
31:10 Une autre doit apparaître."
31:11 Et dans son livre "Anéantir", il traite le problème
31:15 parce que l'un des héros, assez âgé, a un accident terrible.
31:20 Il se réveille, il est paralysé, il ne peut plus parler.
31:24 Et donc, il est mis à l'hôpital, mais des militants
31:27 d'un groupe anti-euthanasie, en quelque sorte, l'enlèvent
31:32 pour précisément préserver sa vie.
31:35 Simplement, cet homme, qui est extrêmement diminué,
31:39 a gardé toutes ses facultés.
31:41 Donc, il ne parle pas, mais il échange, il écoute, il lit.
31:45 Il entend la musique.
31:48 Welbeck ne parle pas de cet immense chagrin,
31:53 de ce savoir en état d'étération mentale.
31:57 "Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement",
32:00 dit La Rochefoucauld.
32:02 Mais ça, ce dont je parle, non plus.
32:05 C'est ça, la réalité.
32:07 - Arsaud de Vatrigan.
32:08 - Quand on en écoute ce débat qui commence à arriver sur la fin de vie,
32:11 on a l'impression de retrouver un peu le débat qu'il y avait eu
32:13 sur la loi de Simone Veil sur l'avortement,
32:16 c'est-à-dire par des cas d'exception, de cas particuliers.
32:19 En parlant, évidemment, de mettre en place plein de garde-fous.
32:22 On a vu que sur l'avortement, tous les garde-fous ont sauté
32:24 à tel point que là, le gouvernement va constitutionaliser l'IVG
32:28 et en même temps, on va débattre de la loi sur la fin de vie.
32:31 Donc, on voit qu'il y a peut-être aussi des risques de dérive
32:34 d'une société vers le génisme.
32:35 La question, c'est est-ce que le cas de quelques-uns qui est dramatique,
32:39 évidemment, et que personne ne souhaite, peut-il être pris en compte
32:43 au risque de transformer notre société vers une société
32:47 de plus en plus utilitariste et donc géniste ?
32:51 Non, il y a un risque de dérive vers l'économisme, justement.
32:55 L'économie peut primer et donc, pour cela, il faut tous les garde-fous.
32:59 Mais nous sommes dans une situation
33:02 aujourd'hui où tout dépend de la bonne volonté du médecin.
33:07 Vous avez trouvé un médecin qui comprend,
33:10 donc justement, qu'il y a ce geste de bonté.
33:14 Il ne peut pas vous aider à vivre.
33:17 Il peut vous aider à mourir.
33:21 Mais tous les médecins ne l'ont pas.
33:24 Et donc, vous êtes à la merci.
33:26 Il y a quelque chose de très arbitraire.
33:28 Mais je le répète, ce cas n'est pas pris en compte
33:33 par le nouveau projet de loi.
33:35 De toute façon, si loi, il doit y avoir,
33:38 il faudra que les choses soient traitées au cas par cas
33:43 et que de toute façon, on n'obéit jamais à la demande sociale.
33:49 Mais pour des raisons, dans des occurrences très particulières,
33:53 à la volonté de l'individu.
33:56 Alors abordons la question, l'autre grande question,
33:58 qui est une question au cœur de votre œuvre, la question de la transmission.
34:01 Vous nous dites avec raison, vous l'avez dit un peu plus tôt aujourd'hui,
34:04 l'homme moderne est en deuil d'une transcendance.
34:07 Et vous nous répondez la transcendance disponible pour l'homme moderne,
34:10 c'est la culture, c'est la transmission.
34:12 Et vous avez un passage, un chapitre où vous dites finalement,
34:15 vous acceptez une accusation.
34:17 C'était mieux avant, c'était mieux avant.
34:19 Normalement, on dit toujours non, non, c'était pas mieux avant.
34:20 Non, non, c'est pas ce qu'on veut dire. C'est plus subtil.
34:22 Non, non, c'était mieux avant.
34:24 Tout simplement. Pourquoi c'était mieux avant et qu'est ce qui était mieux avant ?
34:26 Ah ben, tellement de choses.
34:29 Des fois, j'ai envie de dire, mais par pure provocation,
34:32 tout était mieux avant, sauf la médecine.
34:36 C'est Sies Lewis, un philosophe britannique, théologien d'ailleurs,
34:41 qui dit fermer les yeux et imaginer un monde sans chloroforme.
34:46 Voilà. Imaginons un monde sans antibiotiques.
34:49 Imaginons un monde pour les femmes sans péridurale, par exemple.
34:54 Oui, nos souffrances sont allégées et c'est un progrès extraordinaire.
34:59 Donc, nous devrions être pleins de gratitude
35:03 pour la modernité aussi antimoderne que nous voulions être.
35:07 Voilà. Mais ce qui était mieux avant,
35:13 c'était, par exemple,
35:17 une école où
35:21 régnait
35:24 l'exigence, l'excellence et la sélection.
35:30 La sélection, parce que c'est Condorcet qui disait
35:35 que les peuples libres ne connaissent pas d'autres moyens de distinction
35:42 que les talents et les vertus.
35:44 Pourquoi les peuples libres ?
35:46 Parce que dans les sociétés hiérarchiques,
35:48 il y avait un privilège héréditaire.
35:51 Et les peuples libres, les démocraties, ont créé l'école obligatoire
35:58 pour tous, afin précisément que la sélection succède à la cooptation.
36:04 Aujourd'hui, tout s'est renversé.
36:08 La sélection apparaît comme une manière de couronner les héritiers,
36:14 selon l'expression de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron.
36:19 Donc, ce n'est pas du tout ce qu'on dit.
36:22 La sélection est maudite.
36:24 Elle a été longtemps dans le monde éducatif.
36:27 Il faut donc...
36:30 Parce qu'elle en vient à stigmatiser les déjà défavorisés.
36:35 Donc d'abord, on met en cause la culture patrimoniale
36:40 parce qu'elle favorise les favorisés,
36:42 ceux qui vivent dans une maison pleine de livres,
36:45 les enfants qui vont à la comédie française, au musée, etc.
36:50 Et donc, cette culture, on la marginalise.
36:53 Et puis, on fait mieux.
36:54 On décide de ne pas instaurer aucune gradation dans les classes.
37:00 Donc, on met tout le monde dans le collège unique
37:05 et les élèves les moins bons et les élèves les meilleurs.
37:09 Et puis, on se règle ensuite sur les moins bons
37:13 pour ne pas les laisser sur le bord de la route.
37:15 Résultat, le niveau s'étend.
37:17 Et qui est le plus stigmatisé par ça ?
37:22 Ce sont ceux qui n'ont que l'école pour s'élever.
37:24 - Alors, tout ça s'est concrétisé cette semaine
37:26 autour de la question de Stanislas.
37:27 Arthur de La Trigance, sur cette question.
37:29 - Oui, justement, on a vu un débat sur Stanislas.
37:33 Alors, j'ai une question, c'est, pensez-vous que ça soit
37:35 un retour de la guerre école privée-public
37:39 ou plutôt une guerre contre une école catholique ?
37:42 Parce que si on regarde ceux qui ont été les premiers
37:44 à attaquer ces médiapartes,
37:46 qui ont célébré à Veroes qui est une école privée
37:48 et qui ont attaqué Stanislas qui est une école privée,
37:50 mais qui n'est pas une école privée avec la même culture,
37:53 en tout cas la même confession.
37:54 - Vous avez raison, ce n'est pas l'école privée,
37:57 c'est l'école catholique qui est mise en cause
38:01 à travers l'affaire Stanislas.
38:03 Ce rapport, mais ce rapport est étonnant
38:07 parce que dans les dernières lignes,
38:09 ce rapport de l'inspection dit qu'au terme de la mission,
38:12 l'équipe ne confirme pas l'effet d'homophobie,
38:15 de sexisme, de totalitarisme mis en avant
38:17 par les articles de presse à partir de témoignages anciens,
38:21 sauf à remonter éventuellement à une époque antérieure
38:24 à celle de l'actuelle direction.
38:27 Alors dit, il y a un esprit Stan,
38:29 effectivement, qu'il faut remettre en cause.
38:34 Il faut dépoussirer les règles de fonctionnement.
38:36 Mais cette mobilisation est en effet sans commune mesure
38:41 et on reproche le catéchisme,
38:44 l'enseignement du catéchisme dans un lycée catholique.
38:47 C'est un peu étrange.
38:49 Et comme l'a dit Chantal Delsol, il est extraordinaire
38:52 de se voir conspuer
38:57 parce qu'on ne partage pas
39:00 sur la question du genre ou sur l'éducation sexuelle
39:03 les convictions, des convictions identiques à celles de la DOXA.
39:07 Donc, tout cela me paraît de très mauvaise alloi.
39:12 Alors, il s'agit évidemment de régler un compte
39:14 avec la nouvelle ministre de l'Éducation nationale,
39:18 dont la justification a été évidemment catastrophique.
39:22 Elle a dit tout ce qu'il fallait pour se faire détester
39:25 par le monde enseignant.
39:27 Elle a mis ses enfants à Stannislas à cause de l'absenténisme
39:30 et parce qu'elle cherchait l'exigence, etc.
39:32 Bon, c'est...
39:33 Mais il faut dire quand même,
39:36 il faut souligner la différence de traitement
39:38 entre elle et Papendiaï.
39:41 Papendiaï a mis ses enfants à l'école alsacienne.
39:45 Ça a fait des vaguelettes,
39:47 mais ça n'a pas effectivement suscité la colère de médias.
39:51 Mais moi, j'ai un autre reproche.
39:53 Donc, la ministre de l'Éducation nationale a fait une gaffe.
39:57 Comme dit le président Macron, ça arrive.
40:00 Mais j'ai un autre reproche et il ne concerne pas que la ministre.
40:05 Il concerne le gouvernement tout entier.
40:08 C'est l'intitulé du ministère.
40:10 Ministère de l'Éducation nationale,
40:13 de la jeunesse des sports et des Jeux olympiques.
40:17 Il faut refonder l'école.
40:23 Il y a cet élargissement des Jeux olympiques.
40:26 C'est-à-dire, on fait cohabiter sous le même toit
40:28 la vie avec la pensée et les Jeux du cirque.
40:32 Alors, je propose qu'on rebaptise le ministère de la Culture,
40:37 ministère de la Culture et du Black Friday.
40:39 Ça serait vraiment...
40:41 Ça serait bien, ça serait dans l'époque.
40:43 Donc, je trouve que cet intitulé,
40:46 je trouve cet intitulé absolument scandaleux et ridicule.
40:49 Mais est-ce qu'il n'y a pas aussi derrière la question de l'école catholique,
40:52 derrière la question de l'école privée,
40:54 un régime au sens idéologique qui ne tolère plus
40:57 les derniers restes du monde d'hier,
40:59 les dernières oasis, les dernières enclaves,
41:01 les derniers restes d'un monde qui continuait
41:03 de se transmettre à tout le moins dans les marges?
41:06 Oui, vous avez raison.
41:07 Vous avez raison.
41:08 Et puis, on ne tolère pas non plus.
41:13 C'est comme si on ne tolèrait pas non plus la verticalité,
41:16 parce que beaucoup de parents,
41:18 qui n'ont pas souvent d'ailleurs de forts revenus,
41:22 mettent un sortiment de "sauf qui peut"
41:25 leurs enfants dans les écoles privées,
41:29 justement pour retrouver un peu d'exigence,
41:33 un peu de tenue, même vestimentaire.
41:35 Il ne s'agit pas d'uniforme.
41:37 Il s'agit simplement de ne pas aller à l'école
41:40 en pantalon de jogging et éventuellement pas en basket.
41:45 Donc, c'est tout.
41:46 Et ça, évidemment, l'école privée le donne encore.
41:51 Alors que le spectacle de l'école publique,
41:54 et je trouve ça terrible,
41:57 le spectacle de l'école publique est de plus en plus infligeant,
42:01 d'autant qu'il règne une obsession qui est celle,
42:05 non seulement de l'égalité au détriment de la sélection,
42:11 mais de la diversité.
42:13 C'est-à-dire, voilà, il faut de plus en plus de diversité.
42:17 Et peu importe le reste et peu importe le niveau,
42:21 il y a cette espèce de fureur idéologique
42:23 qui est en train de mettre à mort l'école républicaine.
42:27 Alors, il nous reste une minute, douze secondes.
42:29 Je vous propose... - C'est tout ?
42:30 - Bien sûr, je m'en excuse. - On commençait.
42:31 - Une question.
42:33 C'est un livre, ce n'est pas un livre qui est à l'encre du désespoir.
42:35 Pas du tout même.
42:36 Et c'est un livre où on retrouve un Life in Calcote heureux.
42:39 Alors, je vous pose une question toute simple,
42:40 qui est à la fois dans sa dimension politique et culturelle.
42:42 Quelle raison avez-vous d'espérer
42:45 pour croire que la transmission va se réenclencher, va reprendre ?
42:48 Autrement dit, quelle raison avez-vous d'espérer
42:50 dans la poursuite du monde commun ?
42:52 - Écoutez,
42:53 j'ai pas beaucoup de raisons d'espérer.
42:57 Ma raison d'espérer, c'est quand même la prise de conscience grandissante
43:02 dans une partie de l'opinion de l'état des choses.
43:07 Voilà. Alors, peut-être y aura-t-il un sursaut
43:09 venu des profondeurs de la société.
43:12 Mais là, je dois tout de suite mitiger ce que j'ai à dire,
43:15 parce qu'on le voit, par exemple, avec le rôle grandissant
43:19 du contrôle continu, puisque le bac n'est plus rien.
43:22 Le bac est une blague.
43:24 Donc, le contrôle continu et la pression croissante des parents
43:29 sur les professeurs pour qu'ils donnent des bonnes notes à leur enfant.
43:33 Alors, les profs ont toutes les raisons d'avoir peur aujourd'hui.
43:36 Ça pourrait être un nouveau débat, mais maintenant, il y a cette peur au ventre.
43:40 C'est les parents qui vont se plaindre.
43:42 Il y a d'un côté les parents qui se disent, il faut faire quelque chose
43:46 pour rendre à l'école sa puissance, sa dignité, son rôle de transmission.
43:51 Puis, d'autre côté, il y a cette attitude de plus en plus consumériste
43:55 qui met les professeurs dans une situation toujours plus difficile.
44:00 Merci Alain Finkielkraut, pêcheur de perles, à lire de toute urgence.
44:05 Merci beaucoup pour cette émission.
44:07 Merci Mathieu Bocoté, Arthur De Waegtrigand, un grand merci.
44:09 On se retrouve tous les trois la semaine prochaine.
44:12 L'info se poursuit sur CNews.
44:13 Dans un instant, vous regardez un peu, c'est l'heure des pros.
44:16 Vous regardez parfois ?
44:18 Ça m'arrive, ça m'arrive.
44:20 Surtout quand c'est vous.
44:21 Vous allez faire un jaloux.
44:23 Que vous avez fait attention.
44:25 Ah oui.
44:26 Il fait un peu le show, mais sinon, c'est très bien.
44:28 Il le fait parfois bien avec vous,
44:30 puisque vous étiez il y a quelque temps sur le plateau avec lui.
44:33 C'est commencé, c'est commencé.
44:35 C'est terminé. On se retrouve dans un instant.
44:37 Merci à tous !
44:39 Merci.