Face à Bock-Côté (Émission du 03/02/2024)

  • il y a 8 mois
Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote

Category

🗞
News
Transcription
00:00 - 19h sur CNews, le point sur l'information avec vous,
00:03 Mathieu Deveze.
00:04 Bonsoir Mathieu.
00:05 - Bonsoir Eliott, bonsoir à tous.
00:06 Trois personnes ont été blessées lors d'une attaque au couteau à Paris.
00:09 Elle a eu lieu peu avant 8h ce matin à la gare de Lyon.
00:12 Le suspect est un Malien de 32 ans, atteint de troubles psychiatriques.
00:16 Et puis à Lyon, cette fois, un homme fiché S a été interpellé
00:19 alors qu'il menaçait des passants avec un couteau.
00:21 Il a été arrêté dans le 8e arrondissement de la ville.
00:23 Aucune personne n'a été blessée.
00:25 La préfecture précise que l'homme d'une trentaine d'années
00:28 avait été diagnostiqué schizophrène.
00:31 Enfin, les Etats-Unis annoncent avoir détruit 8 drones au large du Yémen.
00:34 L'objectif est notamment de protéger la liberté de navigation
00:37 des attaques des rebelles outils contre le trafic maritime.
00:40 Ces opérations surviennent dans un contexte d'embrasement régional
00:44 lié à la guerre entre Israël et le Hamas.
00:46 (Générique)
00:59 À la une de face à Mathieu Bocoté 2024
01:02 comme un tournant politique pour l'Occident.
01:05 En juin, se tiendront les élections européennes.
01:08 En novembre, la présidentielle américaine
01:10 comme un parfum de révolution idéologique à Bruxelles
01:14 et celui d'un comeback historique à Washington.
01:17 En quoi ces élections peuvent changer la face de notre histoire ?
01:21 On en parle dans cette émission.
01:23 Au programme également, cette passe d'armes par médias interposés
01:26 entre Génie Bastier et Jean Viard, sociologue, macroniste convaincu.
01:31 Il faut être extrêmement prudent avec l'extrême centre
01:35 sous peine d'être taxé d'extrême droite.
01:38 J'espère Mathieu l'avoir bien résumé.
01:40 La dérive autoritaire de Jean Viard vous surprend.
01:43 On en parle dans cette émission.
01:44 Enfin, cher Mathieu, vous recevez ce samedi
01:46 le journaliste, critique littéraire et écrivain Olivier Molin,
01:49 auteur notamment du populisme de point la mort.
01:53 Voilà le programme face à Mathieu Bocoté.
01:56 C'est parti, cher Mathieu, bonsoir.
01:57 - Bonsoir.
01:58 - Ravi de vous retrouver.
01:59 - C'est un bonheur.
01:59 - Vous m'aviez manqué la semaine dernière.
02:01 - Heureux de vous revoir parmi nous.
02:02 - Ça me fait plaisir.
02:03 Je me suis dit ça y est, un week-end
02:05 et je suis déjà oublié par Mathieu Bocoté.
02:07 - De aucune manière, cher ami.
02:08 - Je tremblais.
02:09 Arthur de Vatrigan, je vous sais plus peut-être loyal.
02:12 - Je vous ai manqué également ou pas ?
02:14 - Énormément.
02:14 - Eh bien c'est partagé.
02:16 Merci en tous les cas d'être là, cher Arthur de Vatrigan.
02:19 On commence avec 2024, l'année de la grande révolte électorale.
02:23 C'est la grande question de ce premier édito.
02:25 C'est un constat qui frappe de plus en plus les esprits.
02:27 2024 sera une année électorale particulièrement importante
02:30 en Occident, Mathieu, tant elle offre le spectacle de société
02:34 de plus en plus polarisé, de moins en moins réconciliable.
02:38 Et c'est sur ce contexte que vous souhaitez revenir.
02:40 - Oui, parce qu'en fait d'ailleurs, nos amis de Davos
02:43 s'en étaient inquiétés il y a quelques semaines à peine
02:46 en disant que l'année 2024, à l'échelle du monde,
02:50 mais plus particulièrement en Occident,
02:51 peut être une année de bascule remettante en question
02:55 des choix de société.
02:57 La notion de choix de société recouvre souvent
02:59 les préférences des élites qu'on décide de faire porter
03:01 à l'ensemble d'une société.
03:02 Mais remettant en question les choix de société
03:05 faits dans le monde occidental depuis quelques décennies déjà,
03:09 donc les élections de 2024 pourraient être un moment
03:11 de bascule au-delà, je dirais, de ce qui caractérise
03:15 chacune de ces élections aux États-Unis ou en Europe.
03:18 Alors, qu'est-ce qu'on entend par là?
03:20 C'est la fin d'un double consensus, en fait.
03:22 La fin du consensus social-libéral,
03:26 qui était le consensus post-année, on pourrait dire,
03:28 90, qui était aussi un consensus, dis-je, mondialisé.
03:33 Donc globalement, il y avait un modèle de société
03:35 qui s'imposait à nous.
03:36 C'était l'héritage de l'État-providence.
03:38 L'État-providence qui disait un peu partout
03:40 dans le monde occidental, quels que soient les problèmes
03:43 que nous ayons, la réponse est toujours socio-économique.
03:46 Les questions identitaires, les questions culturelles,
03:48 les questions existentielles trouvaient une réponse
03:51 exclusive dans une matrice matérialiste.
03:54 Et on s'entend bien, je ne condamne pas ici
03:55 toute dimension matérialiste de l'existence,
03:57 en dernière instance, ça compte, mais le propre
03:59 de cette espèce de social-technocratie,
04:02 ça consistait à dire le politique n'existe pas,
04:05 le politique est simplement question d'ajustement technique
04:07 et il y avait des gens globalement d'accord
04:09 sur les objectifs, sur les orientations,
04:12 les sociolibéraux d'un côté et les libéraux sociaux de l'autre,
04:14 et un désaccord relatif sur les méthodes.
04:17 Ça, c'est vraiment l'héritage des années 90.
04:20 C'est aussi le consensus mondialisé, je l'ai dit.
04:23 Donc la mondialisation était l'horizon indépassable
04:25 de notre temps.
04:26 Il était inimaginable d'en sortir.
04:29 À la rigueur, il pouvait, on l'a même vu
04:30 dans l'évolution du vocabulaire, il y a eu,
04:32 au début des années 90, les anti-mondialistes,
04:35 qui sont très rapidement devenus les alter-mondialistes,
04:38 qui sont très rapidement devenus, finalement,
04:40 des mondialistes comme les autres,
04:41 qui avaient tous la même idée, qu'on soit de gauche,
04:45 de droite, de centre, qu'importe, c'est à l'échelle du monde,
04:47 de la gouvernance globale que doit se poser désormais
04:50 le problème politique.
04:51 L'espace national est un espace périmé.
04:55 Je note qu'en Europe, c'était indissociable aussi
04:58 du consensus européiste, c'est-à-dire, il fallait,
05:01 l'intégration européenne était non seulement
05:04 un projet politique qu'on pouvait fixer,
05:05 une forme de semi-fédéralisme, on aurait pu s'y opposer,
05:08 mais on aurait su de quoi on parle, non, c'était l'idée
05:10 qu'il fallait que l'intégration européenne
05:11 soit toujours plus poussée, elle devait aller
05:14 toujours plus loin et c'était inarrêtable.
05:18 Ce que disait d'ailleurs Madame von der Leyen en 2022,
05:20 dans une préface qu'elle consacrait à la réédition
05:23 des mémoires de Jean Monnet, le père fondateur de l'Europe
05:27 à bien des égards, où elle disait, l'Europe est
05:29 un processus qui jamais ne doit s'arrêter.
05:32 Donc, on comprend qu'en l'annière instance,
05:33 les nations n'étaient plus que résiduelles.
05:35 C'était un consensus autour de la société des droits.
05:38 Alors là, l'extension sans cesse des droits,
05:40 validés, créés, même souvent par les cours suprêmes,
05:43 et ce qui restreignait le domaine du politique,
05:46 parce que ce dont on pouvait parler autrefois,
05:48 on n'en parlait plus maintenant, parce que tout relevait
05:49 du domaine des droits. C'est mon droit, de quel droit
05:51 osez-vous vous y opposer? Donc, restriction du politique,
05:54 extension du gouvernement des juges.
05:55 Et consensus aussi autour de l'État administratif.
05:59 L'État administratif, c'est quoi? C'est le politique.
06:01 Lui, oui, encore une fois, était congédié,
06:03 et les autres autorités administratives se multipliaient
06:06 sous le signe officiellement de l'expertocratie,
06:09 c'est-à-dire que ces gens sont plus qualifiés
06:10 que les élus pour gouverner. Mais dans les faits,
06:12 c'était un pouvoir, c'était une redistribution
06:15 de la souveraineté dans nos États qui sortait
06:17 de la matrice démocratique. Et là, j'ai trois exemples
06:19 qui me viennent à l'esprit pour évoquer ce consensus,
06:23 mais dont nous sortons. J'y arrive.
06:25 Delors, Jacques Delors, dont on a parlé récemment,
06:27 qui, au moment du référendum sur Maestricht,
06:29 disait que si vous vous opposez à Maestricht,
06:31 quittez la politique. Il n'y a plus de place
06:33 pour vous en politique. Donc, autrement dit,
06:36 le sens de l'histoire était fixé,
06:38 nulle possibilité de sortir de ce sens.
06:40 Ensuite, vous pouvez aller plus rapidement,
06:42 moins rapidement, mais il n'y a pas d'autre direction possible.
06:45 Jean-Claude Juncker qui avait dit aussi, un peu plus tard,
06:48 il n'y a pas de démocratie à l'extérieur
06:50 des traités européens. Donc, les traités sont fixés
06:53 et on ne peut pas en sortir d'aucune manière.
06:55 Et finalement, un terme qui relève du vocabulaire
06:57 politique ordinaire qui est assez intéressant,
06:59 l'idée qu'il y a des partis de gouvernement
07:02 et d'autres qui ne sont pas de gouvernement.
07:04 On pourrait dire qu'à l'instant, tous les partis peuvent être
07:06 de gouvernement théoriquement, il suffit de gagner une élection.
07:08 Non, il y avait des partis de gouvernement
07:09 qui étaient des partis qui étaient naturellement voués
07:12 à prendre le pouvoir et à se le partager.
07:13 Centre-gauche, centre-droite, on se partage le pouvoir.
07:16 Donc, c'était toujours sous le signe de l'alternance,
07:18 l'alternance des équipes, l'alternance des bandes,
07:21 l'alternance des amitiés, mais ce n'était jamais
07:24 l'alternative entre différents projets politiques.
07:26 Et il y avait des partis extérieurs au système,
07:28 dit anti-système. Ce système, justement, qu'on voit
07:31 qui s'est déployé depuis l'après-guerre,
07:34 mais plus encore depuis les années 70 et encore 90,
07:37 ce système n'est plus capable de répondre aux problèmes
07:39 dans le monde occidental. C'est un système qui n'est plus
07:41 capable de répondre aux questions profondes
07:44 qui traversent notre civilisation.
07:45 C'est un système qui a fait faillite un peu partout.
07:48 Et de ce point de vue, on voit émerger un peu partout aussi
07:51 ce qu'on appelle l'alternative dite populiste.
07:54 - Les premières expériences populistes n'ont pourtant
07:56 pas été concluantes, Mathieu.
07:58 - Et vous avez absolument raison de le noter.
08:00 D'ailleurs, c'est ce que notait récemment l'essayiste québécois
08:02 Martin Lemay en disant que le populisme, on l'a essayé,
08:07 et pour l'instant, ça ne fonctionne pas.
08:09 Est-ce que ça veut dire que ça ne fonctionnera jamais?
08:11 Il donnait quelques exemples. Par exemple, Donald Trump,
08:14 en 2016, prend le pouvoir, mais est-il prêt à exercer
08:18 le pouvoir? Plus ou moins, on constate qu'il y avait
08:20 une stratégie de conquête du pouvoir, il y avait moins
08:22 une stratégie d'exercice du pouvoir.
08:25 Peut-être que ça va changer la prochaine fois.
08:27 Il se présente comme en disant, maintenant, je sais ce que je fais
08:29 si j'arrive au pouvoir, mais lui-même était conscient
08:31 qu'en prenant le pouvoir en 2016, il était presque surpris,
08:34 en fait, de cette prise du pouvoir.
08:35 Et c'était assez intéressant.
08:36 Johnson, Boris Johnson, qui a été capable de construire
08:40 une majorité impressionnante et qui s'est perdu
08:42 par cause de sa personnalité fantasque en partie.
08:45 Ensuite, par ailleurs, il n'est pas interdit de penser
08:47 qu'il peut revenir un jour.
08:48 Ensuite, en Europe occidentale, c'est un peu différent.
08:51 Les partis dit populistes ont intégré les coalitions
08:54 gouvernementales à des partis de gouvernement classique,
08:56 soit directement, soit indirectement, en Suède,
08:59 au Danemark, en Italie.
09:01 Et là, c'est intéressant parce que participant désormais
09:03 aux coalitions gouvernementales, ils sont parvenus souvent
09:05 à réorienter vraiment la politique de leur pays.
09:08 L'exemple marquant là-dessus ici, c'est le Danemark.
09:11 Il y a deux pays où, pour l'instant, le populisme
09:13 demeure dans l'opposition sous le signe de l'infréquentabilité.
09:17 La France, évidemment.
09:18 On le voit avec le RN et tout ce qui tourne autour de ça.
09:21 Ça demeure le parti de l'infréquentabilité absolue.
09:23 On l'extrême-droitiste toujours, infréquentable, méchant.
09:26 On refuse d'y voir un autre parti qui pourrait gouverner.
09:29 On cherche encore, on joue contre lui,
09:31 la chansonnette de l'antifascisme.
09:34 En Allemagne aussi, mais là, pour des raisons un peu différentes,
09:37 je dirais que je conçois parfaitement la méfiance naturelle
09:40 envers le populisme allemand.
09:41 En ces matières, vous pouvez me classer parmi les démocrates
09:44 inquiets lorsqu'on regarde ce qui se passe en Allemagne.
09:46 Mais l'Allemagne n'est pas la France, l'Allemagne n'est pas l'Italie,
09:48 l'Allemagne n'est pas la Suède, l'Allemagne n'est pas le Danemark.
09:51 Mais ayons à l'esprit une chose, cela dit,
09:53 partout, partout, les populistes,
09:55 soit lorsqu'ils ont pris le pouvoir, ils n'étaient pas prêts,
09:58 ou s'ils ont intégré, ils ont développé une culture gouvernementale,
10:01 alors là, soudainement, ils ont été capables de faire de nouveaux choix politiques
10:04 dans leur société, j'ai l'exemple du Danemark.
10:07 Quoi qu'il en soit, quoi qu'il en soit,
10:08 l'affrontement politique a changé de nature.
10:10 Et je pense que c'est sur ça qu'on doit insister.
10:12 Ce n'est plus un affrontement entre des partis
10:14 qui sont globalement d'accord sur la vision de la société,
10:17 mais en désaccord sur les méthodes.
10:19 Ce sont des visions de la société, des philosophies différentes
10:22 qui s'affrontent aujourd'hui dans le monde occidental,
10:25 et on n'avait pas vu ça depuis plusieurs décennies.
10:26 - Et justement, dernière question, Mathieu Bocoté,
10:29 donc quelles en sont les lignes de fracture aujourd'hui?
10:33 - Alors, je pense la première, elle est structurelle,
10:35 c'est le rapport à la technostructure.
10:37 Disons ça comme ça, c'est développer,
10:39 ce que certains appellent un terme qui me semble un peu inutile,
10:42 l'état profond. Donc laissons de côté ce terme,
10:44 mais c'est à ça qu'on fait référence quelquefois, donc la technostructure.
10:47 Donc le fait est qu'aujourd'hui, vous pouvez voter pour qui vous voulez,
10:50 le vrai pouvoir est ailleurs que chez les élus.
10:52 Le pouvoir a été redistribué chez les juges,
10:54 dans les autorités administratives, dans les médias, un peu partout.
10:57 Donc là, il y a un enjeu de fond,
10:59 c'est est-ce qu'il est possible de ramener le pouvoir chez les élus?
11:02 Est-ce que quelqu'un qui se fait élire a suffisamment de pouvoir
11:05 pour réorienter la société, ou s'il se fait élire,
11:08 toute la machine, tout le système cherche à le bloquer?
11:11 C'est pas inimaginable, soit dit en passant.
11:13 Il y a le rapport à la nation, évidemment.
11:15 Est-ce que la nation est encore le cadre de l'expérience démocratique?
11:19 Ou est-ce que c'est désormais un reste qu'on doit simplement tolérer
11:22 parce qu'on ne peut pas le liquider directement,
11:24 mais la nation devrait disparaître?
11:26 De même, c'est le rapport à l'immigration.
11:27 Est-ce que l'immigration massive est vouée à transformer en profondeur nos sociétés?
11:31 Ou est-ce qu'il est légitime de la stopper, l'immigration massive?
11:35 Le rapport aux identités traditionnelles,
11:37 par là j'entends les sexes, les cultures,
11:39 on est dans un monde où l'ingénierie sociale
11:42 est devenue une forme d'ingénierie psychologique,
11:44 où on cherche à reconstruire intégralement les notions de base
11:47 par lesquelles se définissait l'humanité, l'homme, la femme, et ainsi de suite.
11:50 Il y a un clivage autour de cela.
11:52 Le rapport aussi à l'écologisme autoritaire,
11:54 ça je pense qu'il faut la peine de le dire.
11:55 On l'a vu avec la crise des agriculteurs,
11:58 un certain écologisme étant fait l'instrument de déconstruction des cultures,
12:03 de déconstruction des souverainetés,
12:05 ça devient une forme de monstre technocratique et bureaucratique
12:09 qui multiplie les normes et qui étouffe la société.
12:11 Le désaccord est aussi sur ça.
12:12 Deux dernières réflexions sur ce thème.
12:14 Aux États-Unis, cela dit, il faut comprendre,
12:16 c'est une société qui est à ce point divisée
12:18 que je suis de ceux qui ne sont pas persuadés
12:20 que quel que soit le camp qui l'emporte, l'autre camp l'acceptera.
12:23 Si Biden l'emporte, c'est loin d'être certain
12:26 que les Trumpiens vont accepter l'élection,
12:29 mais si Trump l'emporte,
12:31 le refus prendra une autre forme chez les démocrates,
12:34 mais il sera bien réel
12:36 parce que c'est une nation fragmentée profondément.
12:39 En Europe, c'est différent.
12:40 L'enjeu, c'est la réorientation fondamentalement
12:43 de la structure de pouvoir européenne,
12:45 de la structure de pouvoir européiste,
12:47 de la structure de pouvoir à Bruxelles.
12:49 Est-il possible de la réorienter,
12:51 d'enlever le pouvoir à la technocratie,
12:53 d'enlever le pouvoir à la technostructure von der Leyenesque?
12:56 Est-il possible, sans sortir de l'Europe,
13:00 de réaménager la structure de pouvoir
13:02 à l'avantage des nations et du politique?
13:04 Chose certaine, nous renouons avec des années très, très politiques.
13:08 On s'est désolé pendant 30 ans que la politique
13:10 était strictement technique et technicienne.
13:12 Nous avons quitté cette période.
13:14 La politique redevient existentielle.
13:16 - Arthur de Vatrigan,
13:18 sur ces enjeux 2024,
13:20 élection européenne, élection américaine,
13:23 est-ce que vous partagez, en quelque sorte,
13:25 le constat de Mathieu Boccoté?
13:28 - En partie, mais pas complètement.
13:30 Crise sanitaire, crise sociale, crise économique,
13:33 crise identitaire, crise migratoire.
13:35 Il y a des crises partout.
13:37 Macron devait annoncer la révolution en 2017.
13:39 Pour une fois, un président tient ses promesses.
13:41 Mais la révolution ne se passe pas vraiment
13:43 comme il l'avait prévue.
13:45 Aujourd'hui, tous les regards sont dirigés vers Bruxelles.
13:47 L'Union européenne est la coupable désignée.
13:51 Elle porte le visage de madame von der Leyen, évidemment.
13:54 Mais ce serait un peu trop facile
13:56 de la rendre seule responsable.
13:58 Je pense que même si vous voulez convoquer
14:00 tous les coupables sur le banc des accusés,
14:02 le stade de France ne suffirait pas à tous les réunir.
14:05 Il faut peut-être commencer par rappeler
14:07 ce que c'est que l'Union européenne.
14:09 Contrairement à ce qu'on nous dit,
14:11 ce n'est ni une fédération, ni un empire, ni une union.
14:13 C'est juste une machine à acheter de la souveraineté.
14:15 C'est uniquement ça. C'est le royaume des lobbies.
14:17 Un pays dans l'Union européenne, dans cette structure,
14:19 c'est un lobby.
14:21 Parce qu'il ne bosse pas pour l'intérêt général,
14:23 il bosse pour son intérêt à lui.
14:25 Alors oui, il existe l'intérêt général européen
14:27 ou le bien commun européen.
14:29 En fait, on appelle ça l'Allemagne.
14:31 Un exemple, le Mercosur, c'est l'Europe,
14:33 donc la France également, qui pourrait se retrouver
14:35 avec des containers entiers de poulets dopés
14:37 encore plus que des culturistes.
14:39 En échange, on leur donne un peu de cognac
14:41 et surtout, les Allemands vendent leur berline.
14:43 Macron a eu peur de finir en pare-buffe de tracteur,
14:45 donc il a dit "on met stop pour l'instant,
14:47 ça reviendra". Mais des exemples comme ça,
14:49 il y en a tous les jours.
14:51 Ce qu'il faut rappeler également, c'est que personne
14:53 n'oblige la France à plouer le genou devant la Sainte-Europe.
14:55 Elle l'a toujours fait toute seule,
14:57 de son plein gré,
14:59 par les différents gouvernements successifs,
15:01 comme de gauche,
15:03 et qu'on aime éventuellement l'idée
15:05 de peut-être sortir ou réfléchir à sortir
15:07 temporairement d'un traité ou d'un truc.
15:09 On nous dit "non, ce n'est pas possible".
15:11 "Ce n'est pas possible, pour quelles raisons ?"
15:13 On nous explique la raison du droit.
15:15 Or, la primauté du droit européen n'a jamais été votée
15:17 souverainement par les Français,
15:19 c'est juste glissé surnoisement par les juges.
15:21 Le seul moment où on a demandé aux Français leur avis,
15:23 c'était en 2005, on connaît le résultat.
15:25 Ensuite, d'un point de vue de l'argent,
15:27 on finance plus l'Union européenne
15:29 avec des rapports d'argent,
15:31 donc le chantage à l'argent, comme on peut le faire avec l'Italie,
15:33 ça ne fonctionnerait pas.
15:35 Et ensuite, si on sort d'un traité,
15:37 qu'est-ce que va faire Mme Von der Leyen ?
15:39 Elle ne va pas envoyer des blindés rouler sur Paris.
15:41 Ça ne fonctionne pas.
15:43 Donc, évidemment, là, on arrive, Mathieu l'a dit,
15:45 à un moment, le rapport de force pour changer.
15:47 Une élection arrive en juin, Jordan Bardella
15:49 et le Rassemblement national sont en pôle position,
15:51 et ce ne sont pas les derniers événements
15:53 qui risquent d'obstruer leur probable victoire à cette élection.
15:55 Mais malheureusement, il existe aussi une malédiction en France.
15:57 Tous ceux qui ont vu un jour les portes du pouvoir s'ouvrir,
15:59 devant eux, tout de suite,
16:01 il y a eu l'évaporation immédiate des convictions.
16:03 Le gauchisme culturel qui est magistralement décrit par Jean-Pierre Le Goff
16:07 règne encore en mettre un exemple.
16:09 On a vu cette semaine le vote en première lecture
16:11 sur l'inscription de l'avortement dans la Constitution.
16:13 Alors certes, le Rassemblement national
16:15 n'est pas connu pour ses positions conservatrices
16:17 et les sujets sociétaux,
16:19 qui sont pourtant des piliers de notre civilisation,
16:21 semblent les intéresser autant que la compétition de Kierling pour Mathieu,
16:23 mais le résultat, quand même,
16:25 c'est qu'aujourd'hui,
16:27 rappelez-vous en novembre 2022,
16:29 l'Assemblée nationale avait déjà voté
16:31 la proposition de loi constitutionnelle
16:33 visant à garantir l'IVG.
16:35 Dans les rangs du Rassemblement national,
16:37 23 députés avaient voté contre.
16:39 À peine un an plus tard,
16:41 ils ne sont plus que 12.
16:43 Et côté LR, c'est l'inverse.
16:45 Ils étaient 7 en 2022.
16:47 En 2024, ils sont 22.
16:49 Alors, qu'est-ce qui s'est passé ?
16:51 Les uns se sont approchés du pouvoir
16:53 et les autres s'en sont éloignés.
16:55 Quand on s'éloigne du pouvoir, tout d'un coup,
16:57 les convictions reviennent.
16:59 Quand on s'en approche, les convictions disparaissent.
17:01 Et il y a un exemple assez frappant,
17:03 c'est une ancienne journaliste qui travaillait
17:05 dans un quotidien qui a aujourd'hui disparu,
17:07 qui est devenue députée et qui autrefois défendait
17:09 des positions assez courageuses sur sujets tabous.
17:11 Et bien, aujourd'hui, elle s'est abstenue dans le vote.
17:13 Donc, que le rapport de force puisse changer très bien,
17:15 mais c'est pour que les convictions s'évaporent,
17:17 je ne vois pas l'intérêt non plus.
17:19 - 2024, l'année de la grande révolte électorale.
17:21 Je suis certain qu'on reviendra sur ce sujet
17:23 dans les prochaines émissions.
17:25 - Absolument.
17:27 - Autre thématique ce soir,
17:29 la dérive autoritaire du centrisme.
17:31 Eugénie Bastier, notre consoeur de Figaro,
17:33 s'est livrée cette semaine à une critique mordante
17:35 du dernier livre de Jean Villard,
17:37 le sociologue macroniste,
17:39 qui lui a ensuite répondu.
17:41 Et vous souhaitez revenir sur cette querelle.
17:43 - Oui, et ce n'est pas que revenir sur une querelle
17:45 entre collègues, disons-le comme ça.
17:47 C'est un moment intéressant.
17:49 C'est un moment intéressant
17:51 sur l'évolution du débat public.
17:53 Alors, je résume.
17:55 Jean Villard publie ce livre,
17:57 "Une émeute et le langage de ceux qui ne sont pas entendus",
17:59 pour une pensée postcoloniale positive.
18:01 Je le dis en tout respect,
18:03 c'est un des livres les plus mauvais
18:05 que j'ai lus depuis longtemps.
18:07 Mais je vous invite à lire la chronique
18:09 que lui a consacrée Eugénie Bastier
18:11 dans le Figaro jeudi,
18:13 où non seulement elle le dit, mais elle le démontre.
18:15 Et elle nous présente donc
18:17 une forme de pensée un peu niaise,
18:19 un peu simplette, pas très maligne,
18:21 sur le mode du boomer émerveillé
18:23 devant la diversité radieuse.
18:25 Donc, que nous propose-t-on?
18:27 Plus de mosquées, plus de diversité,
18:29 plus d'immigration, la France qui doit
18:31 s'accepter comme une grande puissance
18:33 métissée afro-méditerranéenne.
18:35 Il n'y a pas tant d'insécurité que ça,
18:37 il ne faut pas exagérer. Faites la liste.
18:39 Imaginez, en fait, le propos satisfait
18:41 d'un homme qui se dit "Ce monde est merveilleux".
18:43 Donc, il y a une grande mutation démographique
18:45 française, elle est considérable,
18:47 mais c'est une bonne chose, finalement.
18:49 Du point de vue, d'ailleurs, de l'immigration,
18:51 je dirais que Jean Viard et Renaud Camus
18:53 voient le monde de la même manière,
18:55 simplement que Renaud Camus voit ça en négatif
18:57 et Jean Viard le voit en positif.
18:59 Mais ils ont presque une commune lecture de la situation.
19:01 C'est assez intéressant. Quoi qu'il en soit,
19:03 ce qui est intéressant...
19:05 Il y a ce livre, et Eugénie Bastier
19:07 répond très vivement dans un texte mordant
19:09 où elle dit, elle l'épingle,
19:11 en fait, dans un texte cruel, en disant
19:13 "Regardez, c'est une vision complètement
19:15 évaporée, complètement
19:17 désincarnée, c'est l'optimisme
19:19 obligatoire, c'est le pangloss à l'heure
19:21 de la diversité, tout est merveilleux
19:23 et tout va bien".
19:25 Donc ça, et je précise dans le livre,
19:27 par exemple, on va nous dire de manière
19:29 très subtile
19:31 au moment des émeutes, parce qu'on revient notamment
19:33 sur les émeutes, 67%
19:35 des policiers ont voté RN
19:37 au premier tour de la présidentielle.
19:39 Ne pas oublier, on dirait la
19:41 guerre de deux bandes.
19:43 45 000 policiers contre 50 000 émeutiers,
19:45 d'après Jérôme Fourquet.
19:47 Donc les policiers, c'est une bande,
19:49 les émeutiers, c'est une autre bande,
19:51 et c'est la guerre des deux bandes.
19:53 De la même manière,
19:55 ça c'est exceptionnel, je vous en cite une autre,
19:57 parlant des émeutes. Chaque fois,
19:59 des jeunes, essentiellement à la peau
20:01 brune ou noire, se mettent en mouvement
20:03 contre une police et une société de plus
20:05 en plus formatées aux idées brunes.
20:07 Je vous traduis pour que ça soit simple.
20:09 D'un côté, vous avez des populations
20:11 dites racisées, qui s'opposent
20:13 aux idées brunes, ça veut dire nazis,
20:15 donc globalement, les émeutes,
20:17 c'est une population, sous le signe
20:19 de l'émancipation démocratique,
20:21 qui s'oppose à un pouvoir
20:23 à tendance presque nazifiée,
20:25 que serait celui de la France
20:27 aujourd'hui. Je pourrais multiplier
20:29 les exemples, mais je crois que vous avez,
20:31 par exemple, le jeu de Nael, on dira qu'il est victime
20:33 d'un meurtre, le terme est choisi,
20:35 le meurtre de Nael. Je pourrais multiplier
20:37 les exemples. Quoi qu'il en soit,
20:39 si il vient le temps de dénoncer des émeutes,
20:41 on va nous dire, parlant de la bonne bourgeoisie,
20:43 facile de dénoncer ces vols au moment des émeutes
20:45 et du piège en sortant du restaurant.
20:47 Donc, il y a une vision un peu étonnante.
20:49 Et donc, Eugénie Bastier
20:51 décide
20:53 de le critiquer très, très
20:55 sévèrement, et à ce
20:57 moment précis,
20:59 Jean Viard réagit assez mal.
21:01 - Et c'est-à-dire que sa réaction,
21:03 justement, qu'elle est-elle?
21:05 J'ai entendu Jean Viard
21:07 qui a sévèrement répondu, mais juste,
21:09 quelle était sa réponse? Pardonnez-moi. - Sur France Inter,
21:11 bien évidemment, il le fallait, devant la radio
21:13 du régime, il nous dit
21:15 "C'est l'extrême droite n'a pas aimé
21:17 mon livre, et c'est très bien que l'extrême droite
21:19 n'aime pas mon livre." Donc là, on comprend.
21:21 D'abord, il nazifie, Jean Viard,
21:23 sociologue réputé,
21:25 d'abord, il nazifie la société française.
21:27 Les idées brunes contre les corps bruns.
21:29 C'est clair! On n'a pas besoin
21:31 de se forcer pour comprendre ce qu'il nous dit.
21:33 Ensuite, on nous dit, Eugénie Bastien
21:35 s'oppose à moi, j'ai pas à répondre.
21:37 J'ai pas à répondre, je dis "extrême droite", c'est fini.
21:39 Je n'ai pas à répondre. Pour moi, c'est la dérive autoritaire
21:41 du centrisme, ça. Parce que quand on dit
21:43 "Il suffit de coller l'étiquette dégueu, des bouseux,
21:45 des malpropres, des possédés,
21:47 extrême droite, Bastien",
21:49 j'ai plus à répondre, j'ai collé l'étiquette.
21:51 Qu'est-ce qu'on voit à travers cela?
21:53 On cherche à marquer sous le signe de l'infréquentabilité,
21:55 on cherche à maudire, et c'est là qu'on voit
21:57 que le système est à la fois fort et faible.
21:59 Fort parce que ça suffit encore aujourd'hui
22:01 sur la radio d'État, coller la sale étiquette et c'est terminé.
22:03 Mais faible parce que quand tout ce que vous avez
22:05 à répondre à une critique sérieuse et argumentée,
22:07 c'est "extrême droite, extrême droite,
22:09 extrême droite", vous confessez, je crois,
22:11 le fait que votre propre pensée est sous le signe
22:13 de la décrépitude. - Il nous reste moins d'une minute
22:15 avant la publicité. Arthur De Vatrigan,
22:17 on rappelle évidemment que dans la deuxième partie,
22:19 vous recevrez Olivier Molin.
22:21 Arthur, l'extrême droite,
22:23 on n'a pas le droit de critiquer le livre
22:25 de M. Vière? C'est interdit?
22:27 - C'est interdit d'affection pour Jean Vierre.
22:29 Mais je vous avoue, j'ai toujours eu une passion
22:31 pour les vieux disques rayés, et là, on a toujours
22:33 le... Depuis tous les dix ans, ça revient
22:35 et ça raye de plus en plus,
22:37 mais il y a un petit côté nostalgique.
22:39 Alors évidemment, la chronique d'Eugénie Bassier
22:41 est brillante comme à chaque fois, elle met le doigt sur une réalité.
22:43 Cette réalité, c'est qu'on voit
22:45 que cette gauche, sans découvrir
22:47 le réel, en même temps qu'elle s'aperçoit
22:49 qu'elle n'a aucun remède appliqué
22:51 aux germes de destruction qu'elle elle-même semet.
22:53 Résultat, vous avez deux possibilités, pour elle, soit
22:55 elle s'en put de sa conscience et rejoint les rangs
22:57 de celles qu'elle énonçait avant, sans problème
22:59 et vraiment s'en met à coup de pince sans rien,
23:01 soit au contraire, elle se félicite
23:03 de la partition qu'elle a elle-même créée et l'encourage.
23:05 Donc on n'est pas loin de la créolisation
23:07 espérée par Jean-Luc Mélenchon.
23:09 Donc finalement, on a quoi? On a des
23:11 gens qui sont... Qui nous parlent
23:13 d'avenir en restant complètement dans le passé.
23:15 Je suis retombé sur une phrase de Jean Vierre assez marrante.
23:17 "Nous sommes le 21 mars 2020,
23:19 soit quatre jours après le début du grand confinement."
23:21 Vous savez ce qu'il déclare?
23:23 "Ma plus grande crainte, c'est le retour du nationalisme."
23:25 Quatre jours après le grand
23:27 confinement. C'est-à-dire que la France
23:29 est sous cloche. Tout le monde flippe.
23:31 On sait pas s'il faut se vacciner. Raoul, t'arrives
23:33 avec son produit miracle.
23:35 On fait des plaintes PQ et de patte.
23:37 Non, le danger, c'est le nationalisme. C'est-à-dire que même
23:39 dans cette période-là, ils arrivent
23:41 toujours à faire le théâtre antifasciste.
23:43 Mais après, c'est le seul recours qu'il leur reste
23:45 pour encore exister, malheureusement.
23:47 La publicité, revenons dans un instant.
23:49 Vous pourriez recevoir, M. Vierre?
23:51 "Rosy n'accepte l'évitation."
23:53 Vous êtes là, peut-être qu'il...
23:55 "Mais quelle excellente idée !"
23:57 Je ne suis pas sûr qu'il ait très envie de venir.
23:59 La publicité, on revient dans un instant.
24:01 Quasiment 19h30 sur CNews. Merci d'être avec nous
24:07 pour la suite de Face à Mathieu Bocoté.
24:09 Toujours avec Mathieu, bien sûr, Arthur De Vatrigan.
24:11 Bonsoir, Olivier Molin.
24:13 "Bonsoir."
24:15 Vous êtes critique littéraire, écrivain.
24:17 Pourquoi avoir invité M. Molin ce soir,
24:19 M. Bocoté?
24:21 "En 2019, Olivier Molin a publié un livre,
24:23 'Le populisme ou la mort', aux éditions
24:25 chez Via Romana, si je ne me trompe pas.
24:27 C'est un livre qui m'avait marqué,
24:29 que j'avais trouvé très éclairant pour comprendre
24:31 la nature de ce qu'on pourrait appeler
24:33 l'insurrection populiste aujourd'hui,
24:35 et avec le mouvement des agriculteurs
24:37 ces dernières semaines, et plus largement
24:39 ces insurrections qu'on voit un peu partout en Europe,
24:41 je me suis dit qu'il serait intéressant
24:43 d'interviewer Olivier Molin à la lumière
24:45 de son ouvrage de 2019. Olivier Molin, bonjour.
24:47 - Bonjour. - Tout de simple. Question première.
24:49 L'insurrection des agriculteurs,
24:51 la colère des agriculteurs,
24:53 pour reprendre le terme des derniers jours,
24:55 est-ce que pour vous, il s'agissait d'un moment
24:57 de ce que vous avez analysé comme étant
24:59 une forme de révolte populiste en Europe?
25:01 - Oui. Pour commencer,
25:03 je vais essayer de dire un peu ce que dit
25:05 cette crise, effectivement, qui s'ajoute
25:07 à des tas de crises qu'on a connues
25:09 et qui donne quand même une première impression
25:11 d'un système à bout de souffle.
25:13 Ça, c'est la première impression. La deuxième chose
25:15 qui a frappé dans cette crise,
25:17 c'est l'impuissance de l'État.
25:19 Alors, on le savait, mais là, on fait
25:21 même plus semblant. Tout se passe à Bruxelles.
25:23 On avait vu Gabriel Attal,
25:25 vous savez, sur sa boîte de foin,
25:27 qui a fait deux, trois
25:29 annonces, mais tout le monde
25:31 a compris que c'était à Bruxelles que ça se passait.
25:33 Donc, première chose, c'est une révolte
25:35 contre l'Europe, contre l'Union
25:37 européenne, qui, si vous voulez,
25:39 pour des raisons idéologiques
25:41 qu'on pourra peut-être développer tout à l'heure,
25:43 je pense, a véritablement mis à mort l'agriculture.
25:45 C'est une mise à mort sur
25:47 laquelle on a assisté. Vous savez,
25:49 Houellebecq avait écrit dans "Sérotonine", dans son roman,
25:51 il parlait beaucoup de l'agriculture,
25:53 et il disait, avec sa préscience
25:55 coutumière, qu'on assistait à un plan social
25:57 et il disait même le plus grand
25:59 plan social à l'œuvre, à l'heure actuelle.
26:01 Je crois qu'il avait absolument raison.
26:03 Et c'est un plan social qui est
26:05 voulu, si vous voulez, qui est parfaitement
26:07 voulu. C'est l'idéologie libre-échange
26:09 jésiste qui a décidé, à un moment donné, que
26:11 l'agriculture, si vous voulez,
26:13 européenne n'avait plus d'avantages comparatifs
26:15 et qu'il fallait par conséquent s'en séparer
26:17 et acheter au Brésil,
26:19 en Argentine, en Nouvelle-Zélande,
26:21 etc. Donc c'est vraiment une mise à mort.
26:23 C'est ça qu'il faut commencer par...
26:25 Autant vous dire que
26:27 demander la protection
26:29 à l'Union européenne, vous savez,
26:31 ça fait penser à la... Comment s'appelait la duchesse
26:33 de Paris ? - Oui, encore un instant.
26:35 - En un instant, M. Le Bourreau. Voilà.
26:37 Donc on a aujourd'hui 40 traités libre-échange qui ont été
26:39 comment dirais-je
26:41 adoptés par l'Union européenne
26:43 dans le dos des Français en partie, parce que personne
26:45 n'était au courant véritablement de cette affaire-là.
26:47 Et donc on a aujourd'hui une Union européenne
26:49 qui impose aux agriculteurs une concurrence
26:51 frontale avec
26:53 des pays qui sont dispensés
26:55 des contraintes qui pèsent sur les agriculteurs.
26:57 C'est totalement fou. Pendant
26:59 la crise, j'avais vu un reportage qui était fascinant.
27:01 Ça se passait à Sedan, à la frontière
27:03 belge, en face de Bouillon.
27:05 Il y a des agriculteurs belges qui tombent sur
27:07 un camion qui vient d'Ukraine, rempli
27:09 de centaines de milliers d'œufs
27:11 qui ont passé la frontière sans droit,
27:13 et des œufs qui ne sont pas aux normes européennes.
27:15 Alors, eux, on les emmerde
27:17 si vous me passez l'expression, on leur calibre,
27:19 ils ont des normes dans tous
27:21 les sens, et il y a des œufs qui arrivent,
27:23 produits trois fois moins chers, évidemment, et qui inondent
27:25 le marché. Donc c'est insupportable. Et pour
27:27 répondre directement à votre question, je voulais faire
27:29 ce petit concours pour un petit peu voir de quoi on parlait.
27:31 Oui, moi je pense que c'est effectivement
27:33 un nouvel épisode
27:35 d'une révolte populiste, et plus exactement
27:37 d'une révolte contre la mondialisation.
27:39 Vous savez, il y a des gens, ces dernières
27:41 années, qui ont un peu enterré la mondialisation,
27:43 qui l'ont peut-être enterrée un peu vite.
27:45 Au moment de la crise
27:47 Covid, par exemple, la mondialisation est terminée,
27:49 on l'entendait souvent. Voilà, exactement. En fait, elle n'est pas terminée
27:51 du tout. Elle n'est pas terminée du tout, elle continue
27:53 de plus belle, et je pense que...
27:55 Vous savez, cette mondialisation, il y a une époque
27:57 où on la disait heureuse, ce qui était un peu
27:59 absurde, mais la vérité, c'est que la dire
28:01 malheureuse serait absurde aussi.
28:03 Et en fait, je pense que cette mondialisation, elle n'est ni heureuse
28:05 ni malheureuse, ou plus exactement, elle est heureuse
28:07 pour une minorité,
28:09 et elle est malheureuse pour une majorité.
28:11 Et si vous voulez, je crois que...
28:13 Parce qu'elle crée de la richesse, cette mondialisation,
28:15 c'est-à-dire que le commerce qu'elle
28:17 permet crée de la richesse, mais cette richesse,
28:19 et ça, c'est évidemment Christophe Guilluy, le géographe,
28:21 qui l'a montré dans tous ses ouvrages,
28:23 cette richesse, si vous voulez, il y a 90-90%
28:25 de cette richesse
28:27 va dans les grandes métropoles,
28:29 et elle laisse complètement en carafe
28:31 le territoire entier, cette fameuse France périphérique
28:33 de Guilluy, qui regroupe
28:35 60-70% des gens, et qui ne
28:37 touche absolument
28:39 aucun fruit de cette mondialisation.
28:41 - Alors, je reviens un instant sur le mot
28:43 "populisme", parce que dans votre ouvrage,
28:45 "Le populisme ou la mort", vous le revendiquez positivement.
28:47 Normalement, "populisme", c'est une insulte,
28:49 "populisme", c'est une manière d'étiqueter
28:51 négativement quelqu'un, vous dites "non, le populisme, c'est bien".
28:53 Alors, qu'entendez-vous par "populisme" ?
28:55 - Alors, si vous voulez, ce "populisme", effectivement,
28:57 il est vu en général en termes apocalyptiques,
28:59 en termes de menaces, de replis d'antiterre,
29:01 de dangers
29:03 démocratiques, etc. Certains même
29:05 l'ont comparé à une forme
29:07 de totalitarisme qui reviendrait.
29:09 C'est un chiffon rouge, en fait,
29:11 qui est agité au nez de tous
29:13 les gens qui vont remettre en cause
29:15 l'évolution de notre société,
29:17 l'immigration massive, l'islamisation
29:19 de la société, l'insécurité, la fin des frontières,
29:21 etc. C'est un chiffon rouge. Moi, évidemment, je ne le prends pas
29:23 comme ça, bien entendu.
29:25 Je le prends... Alors, moi, j'ai beaucoup, si vous voulez,
29:27 compris ce qu'était le "populisme" en lisant
29:29 un auteur que vous avez, je crois, un philosophe que vous avez reçu
29:31 ici même, Vincent Cousaudière,
29:33 qui a beaucoup parlé
29:35 de ça dans ses ouvrages.
29:37 Si vous voulez, lui, qu'est-ce qu'il dit ?
29:39 C'est que le "populisme", c'est pas une
29:41 crispation identitaire, c'est une
29:43 liberté que
29:45 le peuple... C'est une liberté
29:47 que le peuple s'octroie pour conserver quelque chose,
29:49 et notamment conserver une sociabilité.
29:51 C'est comme ça qu'il faut voir ce qu'est le "populisme".
29:53 C'est-à-dire que c'est, à un moment donné,
29:55 si vous voulez, en se dressant
29:57 contre son élite, ce peuple
29:59 populiste, il entend signifier
30:01 à son élite qu'il veut conserver
30:03 une sociabilité et qu'il veut que cette élite
30:05 le protège, si vous voulez, des...
30:07 on pourrait dire des influences
30:09 extérieures excessives. - Autrement dit, c'est pas...
30:11 Si je vous comprends bien, pour vous, le "populisme",
30:13 ce n'est pas un refus de l'élite, mais c'est un rappel
30:15 à l'ordre de l'élite, quand vous faites votre travail.
30:17 - Exactement. Pour moi, c'est un rappel
30:19 à l'ordre de l'élite, et c'est, si vous voulez,
30:21 c'est un rappel à l'ordre
30:23 politique, précisément contre une absence
30:25 de politique. C'est comme ça qu'il faut l'articuler,
30:27 si vous voulez. C'est-à-dire que c'est simplement
30:29 des gens qui disent "nous, ce qu'on veut, c'est de gouverner
30:31 selon notre intérêt". C'est ça que disent
30:33 les populistes. On veut être gouverné, on veut être protégé,
30:35 on veut... Vous savez, c'est ce que je vous disais
30:37 avant, là, ce système de...
30:39 cette mondialisation, elle met aujourd'hui
30:41 aux prises, donc, des...
30:43 des gens des villes connectées, etc.,
30:45 puis les gens de cette France périphérique, si vous voulez.
30:47 C'est ces deux Frances qui sont présides. Il y a une de ces
30:49 Frances, ceux qui vivent dans les villes,
30:51 qui font du business, qui voyagent, qui ont,
30:53 si vous voulez,
30:55 un entre-genre
30:57 et une situation sociale, qui font...
30:59 qui peuvent se protéger. Je pense que
31:01 la grande idée, c'est ça. C'est qu'il y a des gens qui peuvent se
31:03 protéger tout seuls. Vous savez, quand on enlève des frontières
31:05 à un État, on les remet à l'intérieur.
31:07 Et il y a des gens qui ne peuvent pas se protéger.
31:09 Et ces gens qui ne peuvent pas se protéger, c'est les gens
31:11 de cette France périphérique, c'est des gens
31:13 qui ont moins de diplômes, donc qui subissent le
31:15 chômage, comment dire,
31:17 à haute dose. Enfin, c'est des gens qui subissent
31:19 la concurrence du monde entier sur leur palier,
31:21 c'est des gens qui subissent l'insécurité,
31:23 etc. Et c'est ces deux
31:25 Frances, aujourd'hui, en fait, si vous voulez, qui se...
31:27 qui...
31:29 Dans le populisme, c'est
31:31 une de ces Frances qui exprime
31:33 son rejet de la politique
31:35 qui est faite contre elle.
31:37 - Arthaud de Vatrigan. - Donc là, on parle de votre
31:39 ouvrage, qui est un recueil de chroniques
31:41 dont on essaie, mais je rappelle, ceux qui ne vous connaissent
31:43 pas encore, que vous êtes un très grand romancier
31:45 et que si vous aimez Marcel Aimé, Frédéric Dard,
31:47 Audillard, si vous voulez,
31:49 Zébélène Archipoétique, Rire, Boire et Pleurer,
31:51 je vous conseille d'acheter ces romans.
31:53 Parce que justement, dans ces romans-là, vos personnages
31:55 sont les abandonnés, ce sont ceux de la France
31:57 périphérique, qui sont toujours des pionniqués, à qui
31:59 arrivent des aventures, souvent très drôles,
32:01 mais toujours en lien, justement, avec cette déconnexion.
32:03 Et j'ai l'impression que dans vos romans, vous
32:05 permettez de remettre ces gens abandonnés,
32:07 réels, qui existent, à une échelle
32:09 qui, pour le lecteur,
32:11 permet de voir que
32:13 quand on pense à une échelle
32:15 européenne, forcément qu'on est complètement déconnectés,
32:17 quand on pense, quand vous les mettez en scène
32:19 scénaristiquement à leur échelle,
32:21 on se rend compte vraiment de la réalité.
32:23 Alors, d'où vient-vous cette passion
32:25 pour ces exclus et quels sont les messages
32:27 que vous voulez passer par vos romans ?
32:29 - Alors, je suis pas sûr certain qu'il y ait un véritable message.
32:31 C'est vrai que le roman,
32:33 contrairement à l'essai, puisque l'essai
32:35 dont on parle ce soir, c'est un ensemble
32:37 de chroniques, mais c'est vraiment de l'ordre de l'essai
32:39 où j'essaie un petit peu de comprendre, d'organiser
32:41 les idées. Le roman, c'est autre chose,
32:43 mais le roman, je pense qu'il doit précisément
32:45 échapper à la politique,
32:47 échapper à l'idéologie. Alors, évidemment,
32:49 je suis ce que je suis,
32:51 donc il y a certainement des choses qu'on retrouve dans ces romans,
32:53 mais il est vrai que c'est des romans,
32:55 si vous voulez, tous les romans que j'ai écrits, quasiment,
32:57 se passent dans cette France périphérique, en effet,
32:59 et se passent dans des gens,
33:01 si vous voulez, alors, des perdants
33:03 de la mondialisation, en quelque sorte,
33:05 mais des gens qui ne trouvent plus leur place
33:07 dans ce que la France est devenue, si vous voulez.
33:09 C'est-à-dire que,
33:11 vous savez, toujours,
33:13 c'est...
33:15 Comment dirais-je ? On a l'impression que l'économie
33:17 a tout bouffé, quoi. On a l'impression que l'économie
33:19 n'a plus de place en dehors de l'économie,
33:21 et moi, je mets en scène, plutôt, effectivement,
33:23 des gens qui sont un peu des rêveurs,
33:25 et des gens qui ne veulent pas vivre sous la contrainte
33:27 permanente de l'économie, et qui, donc, par conséquent,
33:29 vont créer des sortes
33:31 de contre-monde,
33:33 des alter-monde, je vous entendais parler avant,
33:35 d'alter-monde. Alors, c'est pas tout à fait
33:37 les mêmes, mais enfin, ils vont créer des contre-monde
33:39 entre eux, et ils vont essayer de recréer, finalement,
33:41 des communautés réelles,
33:43 avec une sociabilité réelle,
33:45 et qui puissent
33:47 dans la tradition, quelque part.
33:49 C'est des romans qui ont à voir
33:51 avec une certaine tradition revisitée.
33:53 - Alors, c'est pas sans faire lien avec la prochaine question que j'ai pour vous.
33:55 On a parlé du mouvement des agriculteurs.
33:57 Vous nous parlez des... Arthur évoquait
33:59 dans votre oeuvre, finalement, les déclassés,
34:01 les bras cassés
34:03 des temps présents, mais il y a eu un épisode
34:05 avant la révolte des agriculteurs,
34:07 c'est le mouvement des Gilets jaunes.
34:09 Est-ce que le mouvement des Gilets jaunes s'inscrivait aussi
34:11 dans votre logique ? Parce qu'on l'a dit,
34:13 s'il y a révolte populiste, elle prend plusieurs visages,
34:15 à l'époque électorale. Est-ce que le mouvement des Gilets jaunes,
34:17 c'était pour vous aussi,
34:19 un moment important
34:21 dans cette révolte populiste ? - Alors, oui.
34:23 Encore plus, peut-être même, que le mouvement agricole.
34:25 Je crois que c'était vraiment, là, un mouvement
34:27 tout à fait important,
34:29 et, j'allais dire,
34:31 populiste chimiquement pur,
34:33 quelque part. Vous savez, alors, après,
34:35 ce mouvement a été récupéré par des tas
34:37 de gens, il a été brisé par
34:39 les Black Blocs et compagnie,
34:41 mais surtout, la gauche a essayé de tirer
34:43 la couverture à elle en en faisant un mouvement social, ce qui n'était pas,
34:45 en fait. C'était pas un mouvement social.
34:47 Au sens, vous savez, où on connaît les mouvements sociaux,
34:49 on voit la CGT qui défile, les travailleurs, etc.
34:51 Là, non, c'était pas une catégorie professionnelle,
34:53 c'était des gens qui venaient de...
34:55 Il y avait des petits patrons, il y avait des artisans,
34:57 des commerçants, des ouvriers,
34:59 il y avait des agriculteurs, déjà, sur les ronds-points.
35:01 Et si vous voulez, c'était cette France extrêmement diverse,
35:03 et c'était, moi, je ne dirais plus que c'était un mouvement national,
35:05 pas un mouvement social,
35:07 un mouvement national. C'était la petite France,
35:09 justement. - Un peuple qui voulait faire sortir son existence ?
35:11 - Un peuple qui voulait, justement,
35:13 qu'on veut faire sortir, si vous voulez, par la petite pente,
35:15 et qui dit, et c'est ça, principalement,
35:17 le populisme, qui dit "non,
35:19 j'existe". Vous savez, le populisme, ça fait parfois
35:21 penser au... Quand on amène les vaches
35:23 à l'abattoir et qu'elles ruent, vous savez, les vaches,
35:25 elles sont beaucoup moins bêtes qu'on le dit, elles sentent le
35:27 sang, elles sentent la mort et elles ruent.
35:29 Le populisme, c'est ça, c'est un peuple
35:31 qu'on mène vers les poubelles de l'histoire et qui dit "non, non,
35:33 je veux encore vivre".
35:35 Il y a des points communs, cela dit,
35:37 entre cette crise agricole
35:39 et la crise des Gilets jaunes, à mon avis.
35:41 Il y a d'abord une chose,
35:43 et ça, Christophe Guilul a rappelé, d'ailleurs, cette semaine,
35:45 je crois que c'était même sur votre antenne,
35:47 il disait que toutes les crises récentes qu'on a connues
35:49 viennent, justement, de cette France périphérique, déjà.
35:51 Donc, géographiquement, elles viennent toutes du même endroit.
35:53 La deuxième chose qu'on pourrait noter,
35:55 c'est, donc,
35:57 ce que je disais, c'est...
35:59 cette diversité
36:01 dont je parlais pour les Gilets jaunes,
36:03 une diversité sociale, on la retrouve quelque part
36:05 dans ce monde agricole.
36:07 Alors, évidemment, c'était des agriculteurs,
36:09 mais si vous voulez, on était plus habitués, jusqu'à présent, à voir
36:11 des betteravis en colère, des céréaliers en colère.
36:13 Là, on avait le monde agricole qui était représenté
36:15 dans tous ses échelons,
36:17 j'allais dire, avec une grande quantité
36:19 d'éleveurs, d'ailleurs, parce que je crois que c'est eux
36:21 qui prennent le plus, si vous me permettez l'expression.
36:23 Et puis, il y a un autre point qui pourrait
36:25 en effet rapprocher
36:27 les deux crises, c'est une volonté,
36:29 du moins dans un premier temps, pour cette crise
36:31 agricole, une volonté d'échapper
36:33 aux syndicats. Dans un premier temps, c'était clair,
36:35 d'échapper aux institutions
36:37 intermédiaires.
36:39 - Pour éviter que la révolte ne soit confisquée
36:41 par une logique corporatiste ?
36:43 - Je crois qu'il y a une grande méfiance et qu'il y a de plus en plus,
36:45 on assiste, dans ce populisme,
36:47 à des colères hors cadre, si vous voulez.
36:49 Des colères qui n'appartiennent plus à des cadres.
36:51 Il y a quand même énormément de paysans qui, par rapport à la FNSEA,
36:53 sont un petit peu gênés, aux entournures,
36:55 quand même. Ils n'ont pas tout à fait
36:57 confiance dans ce syndicat pour les mener
36:59 et pour les défendre correctement, si vous voulez.
37:01 Donc, il y a, vous voyez,
37:03 des points de convergence. Et puis, alors, évidemment,
37:05 le point à noter, quand même, c'est que
37:07 cette crise agricole n'a pas été parasitée, justement,
37:09 par les Black Blocs dont je parlais avant.
37:11 Il ne faut jamais oublier, quand même, que c'est eux qui ont pourri les Gilets jaunes
37:13 et qui ont à tel point qu'à l'époque,
37:15 vous savez, il y a même des gens qui disaient que
37:17 peut-être que la police laissait rentrer
37:19 volontairement, vous savez, quand il y avait toutes ces manifestations
37:21 sur les Champs-Elysées. Bon, je ne sais pas
37:23 si c'est vrai ou pas. En tout cas, c'était la meilleure manière
37:25 de pourrir le mouvement, puisqu'à un moment donné, il est devenu tellement
37:27 violent et tellement incontrôlable
37:29 que les Français ont rallié le Parti de l'ordre.
37:31 - Mais est-ce que ce n'est pas la différence, d'ailleurs,
37:33 entre ces deux mouvements ? D'un côté, les Gilets jaunes étaient
37:35 non organisés et ne voulaient pas l'être. Donc, ils pouvaient
37:37 plus facilement se faire organiser de l'extérieur
37:39 par un groupe, un activiste, alors que
37:41 si vous êtes devant des agriculteurs qui, manifestement,
37:43 sont organisés, ont conscience de leurs intérêts,
37:45 savent les formuler et, en dernière instance,
37:47 font des formes de démonstration
37:49 de force, c'était beaucoup plus difficile
37:51 de les instrumentaliser. - Oui, je suis absolument d'accord avec vous.
37:53 Et puis, il y a une chose aussi importante, c'est que les tracteurs, les paysans
37:55 ont des fourches et des tracteurs.
37:57 Ce qui permet, quand même, si vous voulez, à un moment donné,
37:59 voilà, si des gens
38:01 veulent véritablement venir parasiter le mouvement, je pense qu'ils
38:03 ne viennent pas s'y frotter. Mais en tout cas,
38:05 juste pour conclure là-dessus, si vous voulez, je pense que tous ces gens,
38:07 en effet, que ce soit les Gilets jaunes,
38:09 les agriculteurs, etc., expriment
38:11 une même colère, en fait. Ils expriment
38:13 une même colère. Et cette colère, c'est quoi ? C'est d'avoir été
38:15 dépouillés de leur souveraineté politique
38:17 par des institutions
38:19 européennes, enfin,
38:21 par des technocrates, si vous voulez. Il faut quand même savoir,
38:23 personne ne connaît leur nom.
38:25 On ne connaît même pas leur nom, si vous voulez.
38:27 Et des gens qui, si vous voulez, c'est à peine si les peuples ont été
38:29 informés d'évolutions institutionnelles
38:31 fondamentales pour notre vie au quotidien,
38:33 on en était à peine informés.
38:35 Et je pense que c'est
38:37 contre ça. Moi, je vois
38:39 quand même vraiment cet élément anti-européen.
38:41 Et là, dans la crise agricole, il était
38:43 encore plus clair, à mon avis, que
38:45 dans la crise des Gilets jaunes. - Arthur de Matrigan.
38:47 Vous aviez
38:49 pris position pour les Gilets jaunes, mais aussi
38:51 vous avez pris, au moment de Notre-Dame-des-Landes,
38:53 pris position pour
38:55 les paysans, justement en rappelant que Notre-Dame-des-Landes
38:57 allait déposséder
38:59 les paysans de leur terre.
39:01 Notre-Dame-des-Landes, bon, ça s'est fini
39:03 un peu en haut de boudin. Les Gilets jaunes,
39:05 c'est fini avec un chèque. La révolte des agriculteurs,
39:07 ça a l'air de s'éteindre doucement.
39:09 Est-ce que vous pensez qu'il
39:11 puisse y avoir une sortie,
39:13 une vraie sortie de cette différente crise successive
39:15 avec une vraie révolution
39:17 au moment d'un structure politique ?
39:19 Ou c'est vous à l'échec ?
39:21 - Moi, enfin, je...
39:23 Vous à l'échec, c'est toujours
39:25 difficile de l'affirmer comme ça, mais moi,
39:27 il y a une chose dont je suis absolument convaincu,
39:29 si vous voulez, c'est que
39:31 nos élites dirigeantes,
39:33 elles sont pétrées d'une idéologie.
39:35 Cette idéologie libre-échangeiste,
39:37 qui est une idéologie, voilà, qui dit simplement,
39:39 j'en parlais avant, il n'y a plus d'avantage
39:41 comparatif, OK, on arrête l'agriculture
39:43 et on va acheter ailleurs. Parlez-leur
39:45 des paysages, parlez-leur du rôle des paysans
39:47 pour la France, ils s'en foutent quoi tant.
39:49 C'est une vision purement économiste.
39:51 Moi, ce que je pense, si vous voulez, c'est que
39:53 j'ai pas beaucoup de convictions,
39:55 je suis quelqu'un qui doute beaucoup, mais j'en ai
39:57 une quand même, c'est que c'est pas ceux
39:59 qui nous ont conduits là où on est qui nous en sortiront.
40:01 Que ce soit à Paris ou à Bruxelles, quoi. Ça, je
40:03 ne pense pas. Je pense qu'à un moment donné,
40:05 il y a cette élite dirigeante, il faudra
40:07 la balayer, quoi.
40:09 Sinon, on ne sortira pas, parce que là,
40:11 aujourd'hui, c'est une plaisanterie. On voit Macron à Bruxelles
40:13 qui se dit quasiment souverainiste.
40:15 On voit l'Europe qui dit "vous inquiétez pas, on va faire..."
40:17 C'est une plaisanterie. L'Europe,
40:19 40 traités de libre-échange,
40:21 le Mercosur n'est pas du tout arrêté,
40:23 les négociations ne sont pas arrêtées, contrairement à ce que dit le président de la République.
40:25 Ça continue. Je pense que
40:27 dans l'ADN de cette Europe, si vous voulez,
40:29 il y a ce libre-échange, il y a une croyance véritablement
40:31 quasi religieuse de
40:33 ce pouvoir du libre-échange
40:35 et je ne crois
40:37 pas qu'ils renonceront. Et puis, il y a quelque chose, je voudrais juste
40:39 quand même préciser, il y a quelque chose
40:41 si vous voulez, qu'il faut bien
40:43 comprendre, je crois, et qu'on a parfois, qu'on
40:45 sous-estime parfois, c'est que cette élite
40:47 européenne ou libérale, on l'a comme
40:49 on voudra, elle a une haine
40:51 de la nation qu'on n'imagine pas.
40:53 Elle a chargé la nation de tous les maux.
40:55 C'est-à-dire que la nation, c'est les crimes du passé,
40:57 c'est l'horreur absolue. Moi, je pense que dans
40:59 cette haine farouche pour la nation,
41:01 il y a aussi une forme de haine de soi.
41:03 Ça, c'est un autre débat. Mais en tout cas, il y a, si vous voulez,
41:05 cette haine de la nation, ils ne reviendront
41:07 pas en arrière. Vous savez, aujourd'hui,
41:09 le vrai clivage,
41:11 c'est ceux qui ont tout perdu,
41:13 si vous voulez, avec la mondialisation
41:15 et qui auraient tout à gagner au retour des États.
41:17 Face à ceux qui ont tout gagné
41:19 à la mondialisation et qui auraient tout à perdre au retour des États.
41:21 Il est là, le clivage. - Vous nous y conduisez,
41:23 il nous reste une minute trente environ.
41:25 "Le populisme ou la mort", c'est le titre
41:27 de l'ouvrage, 2019, donc on comprend
41:29 que pour vous, le populisme peut gagner. Mais que
41:31 pourrait vouloir dire une victoire
41:33 du populisme dans votre esprit ? - Alors oui, c'est une excellente
41:35 question, vous avez absolument raison. Moi, je pense,
41:37 si vous voulez, que le populisme est un
41:39 outil, j'allais dire, c'est un moyen.
41:41 Ce n'est pas une fin en soi.
41:43 Déjà, ce n'est pas une idéologie, il faut bien le dire.
41:45 Regardez, quand vous voyez le... Vous en parliez
41:47 un peu avant, le populisme
41:49 se traduit par une offre politique extrêmement
41:51 diverse, qui va d'offres très libérales,
41:53 d'offres très étatistes.
41:55 On a même récemment un populiste
41:57 qui est quasiment libertarien
41:59 en Argentine, qui a l'air un petit peu
42:01 urluberlu, mais enfin bon, mais vous voyez, il est aussi classé
42:03 dans la grande famille des populistes.
42:05 Donc, ce n'est pas une idéologie. Pour moi,
42:07 c'est un moyen.
42:09 En vérité, une fois que les populistes
42:11 arrivent au pouvoir, qu'est-ce qu'ils font comme politique ?
42:13 Ils font une politique nationale, puisque le populisme,
42:15 c'est un rappel à l'ordre pour dire
42:17 nous voulons que les dirigeants
42:19 gouvernent selon notre intérêt national.
42:21 Nous protègent des influences excessives,
42:23 nous protègent de l'excès
42:25 de liberté des marchés, nous protègent...
42:27 Vous voyez, donc, la traduction,
42:29 pour moi, du populisme,
42:31 c'est une politique simplement nationale,
42:33 c'est-à-dire d'intérêt national, tout simplement.
42:35 Autrement dit, le populisme,
42:37 c'est la norme d'avant-hier pour vous ?
42:39 Le populisme, c'est simplement une manière
42:41 de changer les dirigeants,
42:43 de dire à un moment donné,
42:45 vous ne changerez pas. Moi, je ne crois pas,
42:47 si vous voulez, que les gens qui nous emmenaient là
42:49 nous en sortiront. Je ne crois pas qu'Emmanuel Macron
42:51 va se découvrir souverainiste.
42:53 Ce n'est pas vrai. Il dit ça parce qu'il y a eu la pétage des tracteurs
42:55 15 jours avant le salon de l'agriculture, mais ce n'est pas vrai.
42:57 Il n'est pas souverainiste. Son ADN,
42:59 si vous voulez, c'est réellement un ADN.
43:01 Il l'a dit tout le temps.
43:03 L'égoïsme national, il voulait lutter contre ça, etc.
43:05 La souveraineté européenne.
43:07 Maintenant, il parle de deux souverainetés, ce qui est une absurdité,
43:09 puisque la souveraineté, par principe, ne se partage pas.
43:11 Donc, simplement, si vous voulez, pour vous dire que
43:13 je ne crois pas que ces élites
43:15 européistes nous sortions de là.
43:17 Donc, pour moi, le populisme, c'est simplement
43:19 de balayer
43:21 et de mettre une autre élite dirigeante
43:23 à la place qui gouvernerait selon les intérêts du peuple.
43:25 - Eh bien, un grand merci,
43:27 Olivier Molin. - Merci à vous.
43:29 - Merci à tous les deux, Mathieu Bochoté-Arthur de Vatrigan.
43:31 Rendez-vous la semaine prochaine
43:33 pour une nouvelle émission.
43:35 Et nous, dans un instant, on se retrouve
43:37 pour l'heure des pro 2. A tout de suite sur CNews.
43:39 [Musique]

Recommandations