Face à Bock-Côté (Émission du 24/02/2024)

  • il y a 7 mois
Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote

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Transcript
00:00 Il est quasiment 19h sur CNews, merci d'être avec nous pour Face à Mathieu Bocoté.
00:04 Mathieu Bocoté, bonsoir.
00:05 Bonsoir.
00:06 Est-ce que vous étiez au Salon de l'Agriculture aujourd'hui ?
00:08 Je n'ai pas eu l'occasion pour rester.
00:09 Bon, mais vous allez y aller cette semaine.
00:10 On a bien la tension.
00:11 Arthur de Vatrican, bonsoir.
00:12 Bonsoir.
00:13 Ravi de vous retrouver.
00:14 Même question ?
00:14 Si Mathieu est là, je l'accompagne évidemment.
00:17 Sympa de m'inviter messieurs, merci beaucoup.
00:19 Le Point sur l'Information, c'est à 19h avec Michael de Santos.
00:22 Bonsoir Eliott, bonsoir à tous.
00:23 Emmanuel Macron continue sa déambulation sous haute tension au Salon de l'Agriculture.
00:29 Le président de la République a été sifflé, hué, parfois même insulté.
00:33 Ce matin, dès son arrivée, des heurts avaient éclaté entre les agriculteurs en colère
00:37 et les forces de l'ordre.
00:38 Le chef de l'État était alors réuni à l'étage avec des représentants syndicaux.
00:42 À Paris, les touristes retrouvent le sourire.
00:45 Après une grève de 5 jours, la Tour Eiffel va réouvrir ses portes au public dès demain.
00:49 Les salariés, inquiets du modèle économique et la dégradation de la dame de fer,
00:53 ont obtenu des garanties, notamment un investissement de 380 millions d'euros jusqu'à 2031.
00:59 Enfin, Volodymyr Zelensky l'assure, l'Ukraine va vaincre la Russie.
01:03 Deux ans après l'invasion de son pays, le président a tenu à envoyer un message d'optimisme à ses concitoyens.
01:09 Une annonce faite ce samedi dans un aéroport militaire près de Kiev,
01:12 en compagnie de dirigeants occidentaux.
01:15 À la une de face à Mathieu Bocoté, le Salon de l'Agriculture s'est donc ouvert dans le bruit et la fureur.
01:21 La présence du président de la République a entraîné ce matin et entraîne encore
01:26 des mouvements de foule, bousculades et fermetures partielles du salon au public.
01:30 Des agriculteurs en colère ont voulu exprimer leur désarroi au plus près du chef de l'État.
01:35 Cette journée est-elle le symbole d'une France au bord de la crise de nerfs ?
01:39 On en parle dans un instant avec Mathieu.
01:40 À la une également, Mathieu, la liberté de la presse est-elle menacée en Europe occidentale ?
01:45 Si la question est au cœur des débats depuis deux semaines en France,
01:48 après les attaques répétées contre CNews de certains idéologues, qu'en est-il chez nos voisins ?
01:53 Vous avez souhaité faire un focus ce soir sur la Belgique. On en parle dans un instant.
01:58 Enfin, votre invité ce soir est l'historien Pierre Vermeurenne.
02:01 Vous allez revenir sur la révolte agricole, mais également sur la question des frères musulmans.
02:06 L'auteur, les frères musulmans, a les preuves du pouvoir.
02:11 Voilà le programme. On passe à Mathieu Bocoté. C'est parti.
02:14 *Musique*
02:26 Mathieu Bocoté, vous l'aviez annoncé, on l'avait annoncé, le Salon de l'agriculture
02:31 pourrait bien marquer le grand retour des agriculteurs au cœur de la vie publique.
02:35 C'est ce qui s'est passé à Paris aujourd'hui.
02:37 C'est bien évidemment sur ces événements que vous souhaitez revenir pour votre première édito.
02:42 Oui, en fait, il y a eu un moment de flottement.
02:43 Est-ce qu'on s'est dit finalement, est-ce que c'est apaisé ?
02:45 Certains l'espéraient. C'est une forme de discours qui revenait en boucle dans l'espace public.
02:50 Finalement, la crise est derrière nous. Et manifestement, il ne l'était pas, mais pas du tout.
02:55 C'était assez violent d'ailleurs. J'aurais eu l'occasion d'y revenir.
02:57 Mais là, on est au terme de la journée et je vois que dans certains médias,
03:01 on nous raconte que finalement, c'était le parcours héroïque d'un président
03:05 qui a traversé les colères aujourd'hui et qui, par la puissance de sa dialectique,
03:09 est parvenu à surmonter la colère des agriculteurs qui ont enfin compris
03:13 qu'ils avaient en lui leur premier défenseur. Peut-être est-ce le cas.
03:17 Mais ce qui est certain, c'est que ce récit héroïque du président qui renverse la colère
03:22 ne me semble pas correspondre au fait.
03:25 Qu'est-ce qu'on voit à travers la colère des agriculteurs ?
03:27 Et on y reviendra effectivement avec Pierre Vermeren,
03:29 qui nous disait il y a quelques temps, dans le Figaro, il y a quatre semaines environ,
03:33 il nous disait que les agriculteurs, la campagne, sont devenus un refuge de l'identité culturelle française.
03:38 C'est-à-dire dans une France qui se technocratise, qui s'européanise,
03:41 qui s'islamise, qui se transforme culturellement, démographiquement, qui s'américanise aussi.
03:48 Eh bien, les agriculteurs sont un peu aujourd'hui les dépositaires
03:51 d'une part fondamentale de l'identité française.
03:55 Et qu'est-ce qu'on voit en fait depuis le début de cette révolte des agriculteurs
03:58 qui s'est poursuivie aujourd'hui de manière assez vive ?
04:01 C'est deux Frances en fait, en fait deux entités qui prétendent être la France.
04:06 Et il reste à voir, savoir si l'une d'entre elles, l'une des deux, parle avec davantage d'autorité.
04:11 D'un côté, on a une France techno.
04:13 Une France techno qui est de plus en plus déracinée du pays,
04:17 qui fonctionne à la manière d'une techno-structure autoréférentielle
04:22 dont la fonction consiste essentiellement à aligner la France,
04:26 et je vous dirais c'est même dans tous les pays occidentaux,
04:29 dans ce cas-là sur l'Europe, on pourrait dire plus largement sur le système de la mondialisation.
04:33 Donc le rôle de ces élites est d'intégrer toujours plus la France dans le système européen.
04:39 Mais le système européen n'est pas pensé ici comme une communauté de puissance et de civilisation.
04:43 Le système européen est pensé à la manière d'un système, je l'ai dit, technocratique,
04:48 mondialiste, sans frontières, et qui est porté par une idée de l'homme,
04:53 qui est, on pourrait dire, l'homme artificiel,
04:55 qui est l'homme qui doit se détacher de tous les liens vitaux
04:59 pour enfin advenir à la pleine émancipation dans l'humanité artificielle,
05:03 dans l'humanité reprogrammée, l'humanité transhumaniste,
05:06 l'humanité strictement juridique, l'humanité déracinée, désincarnée.
05:11 Et l'Europe est un peu le symbole de cette promesse et de ce projet politique
05:15 qui se veut un projet d'émancipation.
05:17 Et parmi les observateurs, les intellectuels qui ont commenté la crise du monde agricole,
05:22 la révolte du monde agricole, l'un d'entre eux, Vincent Piednoir,
05:26 a fait quelques remarques tout à fait justes, et je tiens à y revenir,
05:30 lorsqu'il nous dit fondamentalement, derrière l'appel à toujours l'ajustement des campagnes
05:36 aux différentes normes écologiques, écologistes, et ainsi de suite,
05:39 il y a aussi le fantasme derrière ça qui se dessine d'une Europe sans agriculture,
05:44 d'une Europe sans paysans, car une Europe qui se convertira à la nourriture de synthèse.
05:49 Il disait ça, et je trouvais que c'était assez juste.
05:51 C'est-à-dire, puisqu'on rêve d'un homme qui ne produirait plus,
05:54 parce que la fameuse empreinte carbone, c'est-à-dire l'homme qui laisserait partout son empreinte
05:58 en existant sur cette terre, il y a le fantasme d'une humanité sans cheptel,
06:03 d'une humanité sans terres à exploiter, d'une humanité sans bovins, sans animaux,
06:08 donc une humanité qui se nourrirait véritablement à partir des produits de synthèse de laboratoire.
06:13 Et il y a toute une utopie, j'y reviens, de l'humanité artificielle qui se dégage autour de ça,
06:18 le transhumanisme, et avec la fameuse viande de synthèse,
06:21 qui est probablement, à mon avis, la pire élucubration que l'esprit humain a jamais pu imaginer.
06:25 Mais quoi qu'il en soit, la France techno, la France qui vient,
06:28 la France au pouvoir, se prend pour l'incarnation, le visage du progrès.
06:35 Et de l'autre côté, il y a la France pays.
06:37 Donc pas la France techno, mais la France pays.
06:39 La France paysanne, dirait certains, mais je trouve que le mot paysan est insuffisant dans les circonstances.
06:43 C'est la France comme pays, donc avec ses paysans, mais avec ses paysages.
06:47 Et un pays, c'est davantage qu'un État, pourrait-on dire.
06:50 En un État, ça structure politiquement un pays.
06:52 Mais un pays, c'est un lieu d'enracinement profond.
06:54 Un pays, c'est le lieu de la continuité historique des générations.
06:58 Un pays, c'est le lieu de la continuité d'un peuple, fondamentalement.
07:02 Et de ce point de vue, l'essentiel quand on a un pays,
07:05 c'est de s'assurer, toujours cette idée que nous devons faire en sorte que ce que nous avons reçu de nos pères,
07:10 nous devons le conserver, nous avons la possibilité de l'améliorer, de l'amender,
07:14 mais nous avons le devoir de ne jamais le saccager.
07:17 Nous devons faire en sorte que le pays qu'on laigra à notre fils ressemble un peu à celui qu'on a reçu de notre père.
07:22 Ce qu'on voit dans la colère des agriculteurs, c'est une formule d'ailleurs que tout le monde utilise aujourd'hui,
07:27 que la France reste la France.
07:29 Quand Wauquiez utilisait ça en 2018, on disait « aïe aïe aïe, fascisation ».
07:33 Quand Zemmour et Le Pen ont utilisé ces termes, on disait « aïe aïe aïe, fascisme ».
07:37 Quand Emmanuel Macron l'a dit il y a quelques mois, on a dit « mais quelle phrase lumineuse ».
07:41 Et aujourd'hui, qu'est-ce qu'on voit avec cette expression, ce désir que la France reste la France,
07:46 qui est porté par les agriculteurs aussi, c'est que ce pays ne devienne pas tout simplement étranger en lui-même,
07:52 en toutes circonstances.
07:53 Pierre Vermeren, on l'a dit qu'on le recevra, notait dans un article du Figaro que j'ai mentionné,
07:57 que de plus en plus les Français, qui sont pourtant les porteurs des gastronomies les plus riches au monde,
08:02 les plus formidables au monde, ont tendance à américaniser leur propre alimentation.
08:07 Vous vous rendez compte, vous êtes en France et vous finissez par manger comme des gens du Kansas.
08:11 Il n'y a rien de plus catastrophique qu'on puisse imaginer.
08:14 Donc de ce point de vue, au-delà du fait qu'il y a des intérêts catégoriels bien réels,
08:17 révolte contre l'Europe, révolte contre les normes écologiques, révolte contre...
08:21 Il y a aussi, je pense, un enjeu existentiel profond,
08:24 c'est la volonté d'un peuple de ne pas être expulsé symboliquement de chez lui.
08:27 Et signe de cela peut-être, on a vu une partie du public en donner la marseillaise en soutien aux agriculteurs.
08:33 Faut-il y voir un événement politique ?
08:35 Je crois que c'est tout le contraire de fêtes d'hiver.
08:37 On aimerait mourir les fêtes d'hiver, bonsoir.
08:39 Non, non, c'était assez fascinant.
08:41 La Marseille, donc, ça veut dire quelque chose.
08:44 On ne se contentait pas de reprendre des slogans des agriculteurs.
08:47 Ça aurait pu être une chose.
08:48 On reprenait pas seulement les slogans des agriculteurs,
08:50 on reprenait pas seulement leurs revendications catégorielles pour se souder avec eux.
08:56 On ne chantait pas non plus « Sois-disant passant » en international.
08:58 Et on ne chantait pas non plus d'autres chants disponibles.
09:01 Non, on chantait « Manu, ciao » et tout ça.
09:03 Non, ce qu'on chantait, c'était la marseillaise.
09:06 Donc, lorsque ce chant est entonné, ça veut dire que la révolte vient du pays profond.
09:10 C'est-à-dire que, quelles que soient les représentations catégorielles des uns et des autres,
09:14 on sent que c'est l'existence même du pays, de la nation qui est en question.
09:19 Et lorsque la marseillaise est entonnée, en plus avec une part de colère,
09:23 parce que ce n'était pas ce qu'on pourrait appeler la marseillaise conquérante des stades.
09:27 Et ce n'était pas non plus la marseillaise solennelle des militaires.
09:30 Non, il y avait une marseillaise en colère.
09:32 C'est-à-dire, à un moment donné, c'est le peuple qui veut afficher sa colère
09:35 et qui le fait dans le langage du patriotisme.
09:37 Alors non, c'était un événement politique assez fort.
09:40 Et j'ajouterais, devant cela, on a un pouvoir qui était déstabilisé.
09:45 Alors, nous l'avons souvent dit sur ce plateau, en toutes circonstances,
09:48 la violence est toujours condamnable.
09:50 La question n'est pas là.
09:51 Mais ce qu'il faut constater, c'est qu'on sentait ce matin,
09:53 et on l'a senti toute la journée,
09:55 le fait, non seulement la violence était visible, on la sentait ce matin,
10:01 et elle est encore visible en fin de journée, l'exaspération.
10:04 On sent qu'on est en fait à une demi-crise, en fait d'un demi-événement,
10:08 d'un basculement dans une situation qui échapperait véritablement au pouvoir.
10:11 Et devant ça, il faut bien le dire, le pouvoir a peur.
10:15 Alors, Emmanuel Macron pouvait défiler aujourd'hui,
10:17 protégé par ailleurs, sans le moindre même pas peur,
10:20 et se promener ainsi, mais on sent que le pouvoir en lui-même aujourd'hui a peur.
10:24 Je ne m'en réjouis pas, je ne m'en désole pas,
10:26 je me contente de l'observer.
10:28 Le sentiment d'un pouvoir, je le redis, détaché, déraciné, désincarné,
10:33 enfermé en lui-même, enfermé dans un langage strictement technocratique,
10:37 qui ne sait plus comment parler au pays, et ça on l'a vu, je crois.
10:41 À travers cela, Mathieu Bocoté, est-ce que nous n'avons pas l'impression
10:44 de voir le président de la République en campagne depuis quelques jours,
10:48 de replonger au cœur du jeu politique ?
10:51 Alors, celui qui est au-dessus de la mêlée, normalement,
10:53 l'était peut-être un peu moins, effectivement, ces derniers jours.
10:56 À l'horizon des Européennes, on l'a vu sortir,
10:58 en fait, il est parti en campagne sur plusieurs registres.
11:02 Le premier, là je fais un petit retour dans le temps,
11:05 c'est avec la séquence Manouchéan.
11:06 Alors, séquence émouvante, évidemment, un homme mort pour la France,
11:10 donc en cela il mérite un respect absolu.
11:11 Mais ce qui est étonnant, c'est dans son entretien à l'UMA,
11:14 Emmanuel Macron qui nous dit, finalement, et qui laisse dire, en fait,
11:18 les gens de l'humanité, les gens du RN globalement,
11:21 de la reconquête de la droite nationale,
11:23 ce sont les héritiers des vaincus de la Deuxième Guerre mondiale.
11:27 Ce sont les héritiers de ceux, des bourreaux de Manouchéan.
11:30 Est-ce que c'est véritablement habile, aujourd'hui,
11:32 de relancer la mécanique antifasciste dans un pays aussi tendu ?
11:36 Est-ce qu'on doit vraiment présenter les adversaires du président de la République,
11:40 qui ont raison, qui est lui qui a les siennes,
11:42 comme des fascistes, lorsqu'il dit dans l'UMA du RN,
11:46 qu'on le comparerait au FN,
11:47 qu'il n'est plus ouvertement antisémite et négationniste ?
11:51 Ça veut dire qu'il l'est clandestinement,
11:53 ça veut dire qu'il l'est secrètement.
11:55 Je ne suis pas certain que cette accusation soit porteuse,
11:57 mais quoi qu'il en soit, c'est la mobilisation de l'antifascisme.
12:01 Ensuite, sur la frappe sur CNews,
12:04 j'ignore ce qu'en pense le président de la République,
12:06 il ne s'est pas prononcé là-dessus,
12:07 mais ce qui est certain, c'est que dans l'UMA,
12:09 il a mentionné le fait qu'il s'est réjoui du fait que Christophe Deloire,
12:12 celui qui porte la charge contre CNews,
12:15 s'occupait des états généraux de l'information,
12:17 et sachant la conception de la liberté d'expression
12:20 de ce Christophe Deloire qui en appelle,
12:21 avec reportage sans frontières,
12:23 à la répression dans les faits de la liberté d'expression,
12:26 à l'encadrement politique et administratif et juridique de la liberté éditoriale
12:30 pour encadrer un pluralisme selon les goûts idéologiques de monsieur,
12:33 il y a quelque chose d'assez étonnant là-dedans.
12:35 La confrontation que les agriculteurs ont aujourd'hui avec la tentation,
12:37 est-ce que c'était la fameuse invitation qui n'a pas eu lieu,
12:40 mais qui a peut-être eu lieu,
12:41 mais on ne sait pas vraiment où est le soulèvement de la terre ?
12:43 C'était quand même étonnant cette séquence-là.
12:44 Donc une volonté de polariser,
12:46 on sent un désir de polarisation,
12:48 on sent un désir de fracture du jeu politique,
12:50 en se disant on va encore une fois mobiliser le bloc central
12:53 contre le soulèvement des fascistes.
12:55 J'ai même vu aujourd'hui sur les réseaux sociaux
12:57 des figures macronistes importantes
12:59 dire que derrière la colère des agriculteurs aujourd'hui,
13:01 il y avait peut-être une forme de jeu secret du RN
13:05 qui aurait piloté l'opération pour créer une colère
13:07 et chercher à humilier le président de la République.
13:09 Donc c'était la colère des agriculteurs,
13:11 ce n'était pas la colère des agriculteurs,
13:13 c'était le résultat d'un complot organisé par les gens du RN
13:17 et de l'extrême droite pour humilier le président de la République.
13:20 Je me suis dit voilà ce qu'on pourrait appeler
13:22 le conspirationnisme d'extrême centre.
13:23 Arthur de Vatrigan,
13:26 quel regard portez-vous sur cette première journée
13:29 du Salon de l'agriculture,
13:31 dans le bruit et la fureur, malheureusement pour nous ?
13:33 Je pense que Mathieu a parfaitement raison,
13:35 ça s'inscrit dans une séquence politique.
13:37 Ça ne vous aura pas échappé,
13:40 ça n'a échappé à personne,
13:41 surtout pas Emmanuel Macron,
13:42 des élections européennes qui arrivent dans quelques semaines.
13:44 Qui dit élection dit retour du fameux arc républicain,
13:48 c'est une tradition, comme les bourgeons au printemps,
13:50 comme les grèves lors des vacances scolaires.
13:52 Alors Jordan Mardela squatte le haut du podium,
13:54 loin devant les autres,
13:55 et le corps des peuples qui se fait entendre un peu partout en Europe
13:58 résonne comme le chant du signe du mirage européen.
14:01 Et ça Emmanuel Macron l'a parfaitement compris.
14:03 Il a donc lancé les hostilités dimanche dernier,
14:06 et une séquence qui a duré jusqu'à ce matin,
14:09 avec une défense pas piquée des hannetons du modèle européen,
14:12 maquillée de souveraineté face à des agriculteurs.
14:15 Alors, je n'ai jamais considéré que le RN ou Reconquête
14:19 s'inscrivait dans l'arc républicain,
14:20 a-t-il déclaré dimanche dernier dans le journal de l'Humanité.
14:23 Le ton était clair, l'objectif également,
14:27 causer valeur république chez les cocos,
14:29 c'est toujours haute n'en fait oser.
14:30 C'est un peu comme si on faisait une table ronde
14:32 sur l'emprise des mineurs avec Benoît Jacout, Gabriel Mazenef,
14:35 c'est un peu baroque.
14:36 Donc, entre célébration de la collaboration
14:40 Apologie de Saline, de Mao, tout ça on rappelle le passif,
14:42 évidemment la passion pour les jeunes aussi d'air,
14:44 certains appellent ça le pluralisme,
14:46 mais de là à venir lustrer leur faucille
14:48 pour glaner quelques voix,
14:49 l'amputation de la honte s'opère aujourd'hui sans douleur.
14:53 Alors, comme en 2017, comme en 2022,
14:55 comme d'ailleurs à chaque élection,
14:56 il faut ressortir la bête du monde.
14:57 Et donc là, on a eu en milieu de semaine
14:59 la séquence manoukian qui tombait à point.
15:01 Les forces d'extrême droite, je rappelle,
15:03 se rinspiraient de pas venir,
15:04 a-t-il affirmé la veille de la panthéonisation
15:06 du résistant communiste ?
15:08 Mais il est même allé plus loin le jour même
15:10 lors de son discours, je rappelle,
15:11 qu'il a dit parce qu'ils sont communistes,
15:13 ils ne connaissent rien d'autre que la fraternité humaine.
15:16 Bon, l'apologie du communisme par un ancien banquier,
15:18 je sais bien que la politique réserve quelques surprises,
15:20 mais tout de même, c'est assez surprenant.
15:22 Quant à la fraternité humaine,
15:24 les corps d'échiquetés de Katine, de Changchun,
15:26 de Lassen et des Goulags, les en remercie.
15:30 100 millions de morts en détail, comme disait l'autre,
15:31 mais encore une fois, ça permet de gagner.
15:33 Il y en a qui n'hésitent pas à les utiliser.
15:36 Et en bon Jupiter, évidemment, il a conclu plein d'emphases.
15:40 L'ordre de la nuit est désormais complet.
15:42 Fermez le banc, les décennies de Norv,
15:43 les Monseigneurs Salier, Gézette Bédéry, tout ça,
15:45 ils peuvent aller ailleurs.
15:46 Le pluralisme aux panthéons, ce n'est pas pour tout de suite.
15:48 Donc, si vous voulez, c'est plus commémoré
15:50 pour mieux diviser et les vaux seront bien gardés.
15:52 Ça tombe bien, c'est la séquence du salon de l'agriculture ce matin.
15:56 Le seul endroit où l'Ancien Monde bouge encore un peu.
15:59 Notre président pensait renouveler son exercice préféré,
16:01 l'empape à otages en bras de chemise.
16:03 Sauf que les agriculteurs ne sont pas des maires triés sur le volet
16:06 qu'on convoque à un grand débat.
16:07 Et ça lui a fait un peu tout drôle ce matin,
16:09 lors de la séquence improvisée, parce qu'on ne le refait pas aux paysans,
16:12 surtout quand l'un des leurs meurt un jour, se suicide,
16:14 un jour, tous les deux jours, pardon.
16:17 D'ailleurs, je félicite au passage le comédien Raphaël Kenard,
16:20 qui a reçu le César du meilleur espoir masculin
16:23 et qui a rendu hommage aux agriculteurs,
16:26 comme quoi tout n'est pas perdu dans ce milieu-là.
16:28 - Pas de culture, France agriculture.
16:29 - Exactement, avec l'agriculture, en disant "Vive la France",
16:31 afin que l'agriculture, c'était de l'agriculture
16:33 que la France dépendait.
16:36 Et donc Emmanuel Macron, évidemment, face à des agriculteurs
16:40 qui connaissent bien leur dossier et qui sont loin d'être débiles
16:43 que certains médias souhaitent nous présenter,
16:45 ou des gens corrompus ou achetés par des médias,
16:47 a promis beaucoup de choses.
16:48 Il connaissait Classique, rappelez-vous la phrase de Rabi Jacob,
16:51 comme d'habitude, vous promettez tout.
16:52 Et moi, je ne donne rien.
16:54 Surtout s'il faut sauver le modèle européen,
16:56 surtout s'il faut préserver une utopie qui pourtant ne cesse de nous détruire.
16:59 Et qu'est-ce qu'il a fait ? Il en a profité à la fin de la séquence
17:02 pour taper sur le Rassemblement national,
17:04 qui n'a jamais été au pouvoir, son obsession des frontières, tout ça,
17:07 en refusant de voir qu'en agriculture comme ailleurs, d'ailleurs,
17:10 c'est par le manque de frontières que la France meurt.
17:13 Et je rappelle, il y a une question qui lui a été posée à la fin,
17:16 qui n'a pas été relevée et qui était pourtant la question,
17:18 c'est "Qui commande à l'Europe ?"
17:20 Il n'a pas, évidemment, il n'a pas eu de réponse
17:22 et Macron en a profité pour vite partir.
17:25 - Voilà ce qu'on pouvait dire sur le Salon de l'agriculture.
17:26 On y reviendra dans la deuxième partie, bien évidemment,
17:28 avec Pierre Vermeuren.
17:30 En attendant, en attendant,
17:32 parlons de la liberté de la presse.
17:33 Mathieu Bocoté, qui est au cœur de l'actualité depuis maintenant deux semaines
17:37 et elle le sera dans les prochains temps.
17:39 Et c'est ce soir, vous souhaitez remettre en question une évidence,
17:43 celle voulant que la liberté de la presse soit protégée en Europe occidentale.
17:48 C'est à l'examen de ce mythe que vous souhaitez consacrer
17:50 votre second édito Mathieu Bocoté.
17:52 - Oui, je m'imaginais si je fondais une association
17:54 qui pourrait s'appeler, par exemple,
17:55 les Reporteurs à la Défense de la Liberté d'Expression.
17:58 Et je me dirais, est-ce que l'Europe occidentale,
17:59 donc je le distingue de l'autre association
18:01 qui manifestement veut mettre des frontières à la liberté d'expression.
18:04 Donc je me dirais, est-ce que l'Europe occidentale est une région
18:07 où la liberté d'expression se porte bien?
18:09 La réponse qu'il faudrait donner, hélas, c'est non.
18:12 C'est-à-dire, moi, je suis de ceux,
18:13 vous connaissez la formule de Nicolas Baverez,
18:16 un homme que j'estime beaucoup,
18:18 qui nous dit, aujourd'hui, il y a les empires autoritaires
18:20 contre les démocraties libérales.
18:21 Et je suis d'accord avec lui, il y a les empires autoritaires.
18:23 Mais la tentation des démocraties libérales,
18:26 elles sont elles-mêmes travaillées par une tentation autoritaire, on le voit.
18:29 Et je vais donner quelques exemples pour comprendre, justement,
18:33 à quel point la liberté d'expression est menacée en Europe occidentale.
18:36 Je reviens d'abord sur l'exemple belge, vous l'avez mentionné.
18:39 J'en parle souvent parce que pour plusieurs, c'est un modèle.
18:43 Il existe en Belgique, en Belgique francophone,
18:45 je prends la peine de le préciser,
18:47 ce qu'on appelle le cordon sanitaire.
18:49 Le cordon sanitaire, ça consiste à dire,
18:52 il faut refuser de médias, interdire l'accès aux médias
18:57 aux partis qu'on assimile, ou plus largement,
18:59 à ce qu'on appelle l'extrême droite, entre guillemets.
19:02 Et donc, il y a cette idée qu'il faut une démocratie militante,
19:04 entre guillemets, qui fait un tri explicite et idéologique
19:08 selon les partis entre qui a accès aux médias
19:10 et qui ne devrait pas avoir accès aux médias.
19:14 Qu'est-ce qu'on voit en Belgique francophone?
19:15 C'est une politique explicitement discriminatoire
19:17 sur le plan politique et idéologique,
19:19 qui dit que l'espace public est réservé
19:21 à certains types de partis et pas à d'autres.
19:23 Donc, ça, là-bas, il faut comprendre,
19:24 les médias participent à la répression
19:26 de la liberté d'expression dans ce cas.
19:29 Premier élément.
19:30 Ce que je note, c'est qu'en France,
19:31 on en trouve plusieurs pour se réjouir de ce modèle,
19:34 pour souhaiter l'importer, pour souhaiter dire
19:36 que ce sera un excellent modèle pour la France
19:39 que d'avoir cette volonté d'interdire de médias
19:42 les partis qui heurtent l'idéologie dominante.
19:45 Donc, ça, il faut comprendre qu'une partie des médias
19:48 dans l'Europe occidentale, aujourd'hui,
19:50 participe non pas à la liberté d'expression,
19:52 mais cherche en fait à l'étouffer.
19:54 - Et justement, quel autre exemple avez-vous en tête
19:59 à part la Belgique, Mathieu Bocote?
20:00 - J'ai souvent parlé ici, donc je ne reviendrai pas
20:03 trop longtemps sur l'Irlande et l'Écosse,
20:05 où les lois sur les propos haineux sont rendues très, très loin.
20:08 Et on sait, je le redis, les lois sur les propos haineux
20:10 consistent dans les faits à assimiler à la haine
20:12 toute forme de désaccord avec les revendications diversitaires.
20:15 Je note, soit dit en passant, que l'Europe aussi
20:17 propose d'étendre la définition de la criminalisation
20:21 des propos haineux.
20:22 Mais là, il y a un nouveau type de censure
20:24 qui est apparu aussi ces dernières années,
20:26 ces derniers temps, c'est la volonté de censurer
20:28 au nom de la lutte contre la désinformation
20:30 ou la mésinformation.
20:31 On en parlait d'ailleurs à Davos cette année.
20:33 Et qu'est-ce qu'on nous dit?
20:34 Pour empêcher le dérèglement du débat public
20:37 où certaines informations soient fausses
20:39 ou plus encore des informations qui peuvent être vraies,
20:42 mais qui sont amplifiées injustement par certains médias,
20:45 ce qu'on appelle les faits divers amplifiés médiatiquement,
20:49 dans cette logique, on nous dit qu'il faut contrôler
20:51 l'information, il faut contrôler la circulation
20:54 de l'information parce que si certains faits en viennent
20:57 à surgir dans l'espace public,
20:58 ils pourraient troubler le récit médiatique dominant
21:01 qui est conforme avec l'idéologie dominante,
21:03 diversitaire, post-national et ainsi de suite.
21:05 Donc aujourd'hui, la censure qui s'exerce en Europe occidentale
21:10 aussi, et va s'exercer de plus en plus
21:11 parce que c'est l'appel lancé,
21:13 pour au nom de la lutte contre les fausses informations,
21:15 on a une lutte contre les infox,
21:17 ce que l'on souhaite à travers cela,
21:18 c'est tout simplement avoir un récit médiatique contrôlé
21:22 dont il ne serait pas possible de sortir.
21:25 Et de ce point de vue, si j'étais à la tête d'une association
21:28 qui défend la liberté d'expression,
21:29 j'empêcherais, je ferais tout pour empêcher l'État
21:32 ou quelques pouvoirs publics
21:33 d'encadrer le récit médiatique autorisé.
21:35 - Et vous semblez dire qu'à travers cela,
21:37 c'est une tentation illibérale
21:39 qui se déploie en Europe aujourd'hui.
21:41 - Exactement, et c'est le bon mot, illibérale.
21:43 On parle toujours que la démocratie illibérale,
21:45 c'est à l'est de l'Europe.
21:46 Bien franchement, c'est un peu aujourd'hui,
21:49 en Europe occidentale, qu'on piétine le libéralisme,
21:52 qu'on conteste les principes de base du libéralisme,
21:54 la liberté d'expression, la liberté de presse.
21:56 C'est en Europe occidentale aujourd'hui
21:58 qu'on a réinventé le délit de blasphème,
22:00 on l'a camouflé en délit d'opinion.
22:01 Vous savez, quand vous pouvez être poursuivi
22:02 pour des fameux propos haineux dont je parlais plus tôt,
22:04 dans les faits, qu'est-ce que ça veut dire?
22:06 C'est-à-dire qu'on a transporté,
22:08 et je précise, la haine, c'est mal,
22:09 mais qu'on assimile à la haine des propos qui n'ont rien d'haineux.
22:12 Qu'est-ce qu'on fait?
22:13 On crée des délits d'opinion qui ne sont rien d'autre
22:15 que des délits de blasphème sécularisés.
22:19 Donc, à travers tout ça,
22:20 il y a une tentation illibérale dans l'Europe occidentale.
22:23 Et de ce point de vue, si j'étais à la tête d'une association
22:25 qui voulait défendre la liberté d'expression,
22:27 je serais obligé aujourd'hui, étrangement,
22:29 de m'en prendre aux journalistes
22:30 qui sont parmi les premiers ennemis
22:32 de la liberté d'expression.
22:33 - Il nous reste exactement une minute trente
22:35 avant la publicité.
22:36 Arthur Devatricon, pardonnez-moi, je savais dire.
22:39 Mathieu Beaucote et Arthur,
22:41 quel regard portez-vous sur cette liberté d'expression
22:45 et cette liberté de la presse
22:46 qui peut être mise en difficulté,
22:47 et pas qu'en France aujourd'hui?
22:48 - Justement, c'est quand je vois que certains
22:50 souhaitent en France imposer un modèle d'information,
22:53 de journalisme, tout en luttant pour les libertés
22:57 de la presse à l'international
22:58 et notamment dans le régime autoritaire.
22:59 Ils ont raison.
23:00 Ça me fait souvent penser, vous savez,
23:02 à ces bobos en treillis
23:03 qui descendent de leur appartement coçu
23:05 en jambant un clochard pour les manifester
23:06 contre la faim à Place de la République.
23:08 Donc, il faut quand même rappeler
23:10 que le président a reconnu cette semaine
23:12 que la prise du contrôle du GDD par Vincent Bolloré
23:15 n'était pas sans lien avec le lancement
23:17 des états généraux de la presse.
23:19 Donc, à des réels enjeux sur les évolutions
23:21 du journalisme qui se posent
23:22 aux questions fondamentales telles que l'indépendance
23:25 ou le contre-pouvoir que doit jouer la presse,
23:27 Macron avoue, c'est quand même
23:28 ses médiocres intentions politiques
23:30 qui sont que le cercle de la raison
23:32 ne doit souffrir d'aucune contradiction
23:34 et que ceux qui se sont octroyés sournoisement
23:36 le titre de garant des libertés
23:38 devraient s'inquiéter au lieu d'applaudir.
23:40 Le problème, c'est que nous avons en France
23:41 le progressisme et la gauche libérale
23:43 qui sont devenus la norme.
23:44 L'opinion incompressible, irréductible,
23:46 qui sert de clé de voûte à notre démocratie occidentale.
23:50 Et donc, tous ceux qui s'en écartent
23:51 sont forcément, pour eux,
23:53 doivent porter le saut de l'infamie.
23:54 Et le problème, c'est que les médias d'opinion,
23:56 il y en a partout, tous les médias
23:59 sont des médias d'opinion,
24:00 sauf qu'il y a des médias d'opinion
24:01 qui sont tellement installés dans l'imaginaire
24:06 et qui squattent les différents canaux de presse
24:10 qu'ils font partie des meubles aujourd'hui
24:12 et qu'on oublie que c'est des médias,
24:13 ce qui est le plus pervers,
24:14 ce qui est difficile à contester,
24:16 parce que moins visible.
24:18 Or, le sujet, il est là aujourd'hui.
24:20 Et donc, moi, je pense quand même dans cette séquence
24:22 que les grands perdants dans cette affaire
24:25 ne seront pas ceux qu'on croit aujourd'hui.
24:27 La publicité, on revient dans un instant.
24:29 Votre invité ce samedi soir,
24:31 Pierre Wermerein, historien.
24:32 Vous allez parler de la révolte des agriculteurs,
24:34 mais également de son livre
24:36 sur les frères musulmans au pouvoir.
24:38 À tout de suite pour la suite de Face à Mathieu Bocoté.
24:40 Il est 19h30 sur CNews,
24:45 la suite de Face à Mathieu Bocoté.
24:47 Cher Mathieu, vous recevez Pierre Wermerein ce soir.
24:50 Bonsoir, Pierre Wermerein.
24:52 Pourquoi avoir invité Pierre Wermerein ce samedi soir ?
24:56 Alors, formule d'exception pour invité exceptionnel.
24:59 Alors, Pierre Wermerein a écrit il y a quelques semaines
25:01 dans le Figaro, un texte tout à fait remarquable
25:03 pour comprendre la crise des agriculteurs
25:06 qui renaît à tout le monde,
25:08 qui se manifeste encore aujourd'hui.
25:10 Et il publiait aussi ces dernières semaines
25:13 un ouvrage sur son domaine de spécialité,
25:14 donc le monde arabe et les frères musulmans au pouvoir.
25:17 Donc, qu'est-ce qu'on va faire ?
25:18 On va faire un entretien en deux temps
25:19 sur deux sujets assez différents.
25:20 Un, la crise des agriculteurs
25:22 et deux, son ouvrage sur les frères musulmans au pouvoir.
25:25 Pierre Wermerein, bonjour.
25:26 - Bonsoir.
25:27 - Bonsoir, oui, plutôt, c'est plus exact.
25:29 Alors, cette crise qui se manifeste encore aujourd'hui
25:32 au Salon de l'agriculture,
25:36 au fond d'entendre, quels sont les ressorts profonds
25:38 de cette révolte des agriculteurs qu'on connaît aujourd'hui ?
25:42 - Les ressorts profonds sont effectivement anciens
25:45 parce qu'on peut accabler le gouvernement, les autorités,
25:50 mais c'est une crise très ancienne.
25:52 Je disais dans cet article que la modernisation
25:55 de l'agriculture française s'est déroulée en deux temps.
25:57 Le premier temps à l'époque de De Gaulle,
25:58 quand on est passé de 2,5 millions de paysans à 1 million.
26:02 Et puis ensuite, ça s'est pas accéléré, mais ça s'est transformé.
26:06 C'est-à-dire que la première phase de modernisation,
26:07 elle s'est faite sous le parapluie européen
26:09 et le parapluie notamment du tarif extérieur commun.
26:12 C'est-à-dire que l'Europe, c'était,
26:13 on pourrait dire qu'il y avait une agriculture un peu technogaulliste
26:17 qui visait à protéger les agriculteurs français
26:19 pour en faire la force de frappe au service
26:21 de toute la communauté européenne à l'époque.
26:24 Et puis, depuis 1992, depuis l'acte unique,
26:28 depuis le traité de Maastricht, le grand marché en 1993,
26:32 on est passé à une phase B,
26:33 c'est-à-dire une phase de libéralisation des échanges,
26:36 à la fois à l'intérieur, mais surtout vis-à-vis de l'extérieur,
26:39 avec un tarif extérieur commun qui est devenu très faible
26:42 et surtout les accords de libre-échange au fur et à mesure
26:44 qui ont désactivé ce tarif extérieur commun.
26:48 Il n'a pas disparu, mais il est tellement faible
26:50 et surtout quand les accords de libre-échange y tombent.
26:52 Du coup, la régression du nombre d'agriculteurs s'est accélérée.
26:58 On est passé de 1 million à 650 000 en 2000,
27:02 et puis aujourd'hui, moins de 400 000.
27:04 C'est-à-dire que le secteur perd à peu près 10 000 entreprises
27:08 chaque année, uniquement pour l'exploitation agricole,
27:11 des exploitants.
27:12 Donc, une chute très rapide,
27:14 et puisque d'ici 10 ans, nous dit-on,
27:19 200 000 agriculteurs seraient sur le point de prendre leur retraite,
27:22 ça risque de s'accélérer.
27:22 Et donc, cette révolte, elle arrive à ce moment-là,
27:25 au moment où finalement, c'est le saut pour passer
27:28 de ce qui reste de l'agriculture paysanne,
27:31 avec aussi des grandes entreprises déjà dans le secteur agricole,
27:35 à une agriculture qui serait de type industriel,
27:38 on le voit notamment pour l'élevage,
27:40 et qui reposerait de plus en plus sur des importations
27:43 pour tout un tas de produits dans lesquels on n'est pas spécialiste.
27:46 Donc, une accélération de la dégradation,
27:50 enfin de la chute du nombre d'exploitants,
27:52 qui ne se fait pas sur la base d'un choix,
27:54 mais qui se fait par l'appauvrissement de paysans
27:57 qui, au fond, sont au contraint,
27:59 alors on parle des suicides très dramatiques,
28:01 mais la masse ne se suicide pas, bien heureusement.
28:04 En revanche, ils partent en retraite,
28:05 ou alors ils arrêtent,
28:06 parce que leur activité n'est plus rentable.
28:08 Et donc, on est à un moment clé de ce processus,
28:11 d'où la demande, en quelque sorte,
28:13 aux autorités françaises et européennes,
28:15 d'un moratoire en disant "stop, ça suffit,
28:17 est-ce qu'on ne peut pas sanctuariser les 400 000
28:20 ou 350 000 ou 400 000 entreprises qui restent
28:22 pour garder une agriculture diversifiée,
28:25 complexe, paysanne,
28:26 ou bien est-ce qu'on passe à un modèle industriel,
28:28 à l'allemand ou de manière mondiale,
28:31 comme ça se passe dans certains grands États du monde,
28:34 je pense au Brésil ou ailleurs.
28:35 - Alors, il y a un paradoxe autour de cette question,
28:37 ça traîne depuis quelques semaines,
28:38 on dit que les Français souhaiteraient manger français,
28:41 disons ainsi, avoir accès aux produits français,
28:43 mais vous nous dites,
28:44 en n'ont-ils les moyens, c'est une autre question,
28:46 mais vous nous dites dans votre article du Figaro,
28:48 au même moment, la France est un des pays
28:50 les plus américanisés d'Europe,
28:52 où les Français, leur alimentation
28:55 est beaucoup plus américaine qu'on ne le croit,
28:57 donc c'est le paradoxe d'une gastronomie d'exception,
28:58 connue à travers le monde,
29:00 et les Français qui finalement,
29:01 mangent comme au Kansas et au New Jersey.
29:04 - Oui, parce qu'on a deux modèles culturels en lutte,
29:06 on a le modèle mondialisé,
29:09 porté par la grande distribution,
29:11 dont il faut rappeler qu'on est un des champions du monde,
29:13 si ce n'est le champion européen,
29:14 et puis aussi pour l'alimentation à l'extérieur,
29:18 pour les fast-food, on est les premiers,
29:20 on est les premiers consommateurs européens
29:22 de pizzas, de surgelés, de burgers, etc.
29:25 Vous voyez, une alimentation rapide,
29:27 qu'on appelle parfois, pas seulement les fast-food,
29:30 mais la mauvaise, enfin il y a plusieurs termes.
29:32 - La malbouffe.
29:33 - La bad-bouffe, voilà, il y a beaucoup de termes.
29:35 Donc on est les champions dans ce domaine,
29:36 et puis historiquement, on est aussi les champions,
29:38 parce que les Européens, ou les touristes du monde entier
29:41 qui viennent à Paris ou en France,
29:43 c'est justement pour déguster la nourriture,
29:46 vous savez, les derniers Français,
29:50 ou les derniers endroits où on mange des cuisses de grenouilles à Paris,
29:53 c'est des cuisses de grenouilles chinoises
29:54 dans les restaurants du centre de Paris,
29:55 pour les touristes allemands ou américains.
29:57 Bon, c'est un peu caricatural, mais c'est vrai.
30:00 Et donc, il y a tout un secteur encore
30:03 dans la restauration un peu de luxe,
30:05 ou dans les grandes zones touristiques,
30:08 ou dans les restaurants,
30:10 où pour la population aisée d'ailleurs,
30:12 qui a le moyen d'aller dans les marchés ou chez les traiteurs,
30:14 qui peut encore manger, je dirais, à l'ancienne.
30:17 Mais le modèle qui a été choisi,
30:20 c'était de spécialiser un grand nombre d'agriculteurs
30:22 sur ces produits de luxe,
30:24 des produits pas forcément de luxe,
30:26 mais en tout cas des produits haut de gamme, disons,
30:28 mais qui du coup, laissaient des pans entiers du marché
30:33 pour les classes moyennes et les classes populaires
30:35 à une alimentation à bas coût,
30:36 d'où les campagnes de Leclerc et de la grande distribution
30:39 sur un seul objectif, le coût réduit,
30:41 et qui a rencontré évidemment l'accord des libre-échangistes,
30:46 qui en échange du libre-échange,
30:48 on parle souvent des voitures allemandes,
30:49 on a une importation de produits à bas coût,
30:52 et actuellement c'est le poulet ukrainien,
30:56 ça peut être le porc chinois,
30:58 ça peut être tout un tas de produits,
31:00 en réalité la tomate espagnole,
31:02 on en a parlé récemment, etc.
31:04 Et aujourd'hui, 70% des fruits consommés en France
31:07 sont des fruits importés.
31:08 Donc on voit qu'il y a une crise.
31:10 En fait, c'est une vraie bataille culturelle
31:12 entre le modèle agricole et alimentaire
31:14 et gustatif français très renommé,
31:16 mais qui devient de plus en plus sélectif,
31:18 et une alimentation de masse,
31:19 alimentée par le marché mondial,
31:21 que ce soit pour le poisson, pour les légumes,
31:23 et la viande notamment.
31:25 Et là, ces deux modèles sont à la bataille.
31:27 Qui est-ce qui l'emportera ?
31:29 C'est un des enjeux de la bataille.
31:30 - Alors, vous nous disiez aussi dans cet article,
31:32 ça m'avait marqué,
31:33 qu'une des raisons pour lesquelles
31:34 pour le commun et mortel,
31:36 la majorité des Français s'identifient aux agriculteurs,
31:39 soutiennent leur cause,
31:40 c'est que le milieu agricole
31:42 devienne un des derniers lieux
31:44 qui incarnent ou est déposé
31:45 l'identité culturelle française.
31:47 Est-ce que c'est pour une raison,
31:48 pour celle-là, qu'on a ce matin entendu
31:50 une partie du public en donner de la marseillaise
31:52 pour soutenir les agriculteurs ?
31:54 Et deux, est-ce que ça peut avoir
31:55 des effets politiques plus larges ?
31:57 - Alors, on a eu des effets similaires
32:01 dans d'autres pays du monde.
32:02 Je pense au Japon, par exemple,
32:03 où les campagnes aussi sont un conservatoire
32:06 des traditions, etc.
32:08 En France, elles ont été lessivées,
32:11 les campagnes, et la France périphérique,
32:13 dont les campagnes évidemment sont,
32:15 et les agriculteurs sont des figures importantes,
32:17 ont été lessivées en 60 ans
32:20 ou en 40 ans de mondialisation.
32:22 Mais il reste quand même,
32:24 notamment dans certaines régions,
32:25 dans certaines spécialités,
32:27 on pense à la véticulture, par exemple,
32:29 mais pas seulement, bien sûr, au fromage.
32:31 Je disais ce matin qu'il y a 1200 spécialités
32:34 de fromage en France,
32:35 je croyais qu'il y en avait 350,
32:36 mais ça veut dire qu'il y a quand même...
32:38 C'est extraordinaire.
32:40 Mais c'est un conservatoire à certains égards,
32:43 et ce conservatoire ne veut pas mourir
32:45 parce qu'au fond,
32:47 qu'est-ce que c'est que le modèle français,
32:48 le modèle culturel dans le monde ?
32:49 C'est d'abord ça,
32:51 c'est d'abord cette sanctuarisation
32:53 d'un mode de vie, d'un mode de consommation,
32:56 d'un plaisir gustatif, etc.,
32:58 unique au monde.
33:00 Voilà, donc, ce n'est pas seulement,
33:02 si vous voulez, un combat d'arrière-garde,
33:04 c'est un combat culturel,
33:05 et c'est un combat politique,
33:06 parce que face aux poulets, aux hormones,
33:10 bon, ce combat peut-être est gagné,
33:11 mais il n'est jamais gagné en réalité
33:13 parce que les tentations du marché,
33:14 la pression sur les prix...
33:17 Le consommateur aujourd'hui en France,
33:19 il est soumis à des pressions énormes.
33:21 Il a des consommations imposées de toutes sortes.
33:26 Il est obligé d'avoir un téléphone,
33:27 un ordinateur, des baskets,
33:30 un budget...
33:32 Le logement qui est très élevé
33:33 par rapport à l'Allemagne, etc.
33:34 Donc, il y a tellement de contraintes
33:36 qui pèsent sur la classe moyenne
33:37 dont les salaires sont faibles,
33:38 et les classes populaires plus encore,
33:40 qu'ils sont obligés de faire des tris drastiques.
33:44 Et l'alimentation a vraiment,
33:45 énormément chuté dans les budgets.
33:48 C'est souvent de manière contrainte.
33:50 Il y a quelques années,
33:51 je ne sais pas si c'est encore le cas aujourd'hui,
33:52 mais il y a cinq ans,
33:53 au moment de la crise des Gilets jaunes,
33:54 l'immobilier en France avait un coût par habitant
33:57 trois fois supérieur à celui de l'Allemagne.
33:59 Donc, si vous voulez,
34:01 ça ampute des marchés, des consommations
34:04 que les Français aiment.
34:05 Et donc, ils sont très attachés à ce mode de vie,
34:07 à ce mode de consommation traditionnel
34:09 par certains côtés, dans leur famille,
34:10 parce qu'il faut pas oublier
34:12 qu'il y a trois générations,
34:13 il y avait encore un agriculteur sur deux en France.
34:15 Donc, c'était après la guerre.
34:16 Donc, tout le monde a ce modèle dans sa famille.
34:18 Ce n'est pas un mythe du 18e siècle.
34:21 C'est très récent.
34:22 C'est les grands-parents.
34:23 Voilà.
34:24 Donc, il y a ce passif,
34:26 cet héritage très puissant
34:28 qui fait qu'il y a un attachement particulier.
34:32 Maintenant, les contraintes économiques,
34:34 tout le monde les ressent.
34:35 Et c'est vrai qu'en contexte de très forte inflation,
34:38 il faut voir où est ce qui fera emporter la balance,
34:41 pour répondre à votre question.
34:43 Ce n'est pas dit, mais c'est au cœur des enjeux, en tout cas.
34:46 Toujours sur la question de la crise des agriculteurs,
34:49 Arsenault de Vatrigan.
34:50 Et ensuite, nous passerons à votre livre.
34:52 Qu'est-ce que vous avez pensé d'Emmanuel Macron ce matin,
34:54 notamment dans ses annonces sur l'emprunt trois principales,
34:57 l'instauration d'un prix plancher,
34:59 la reconnaissance de l'agriculture
35:00 comme intérêt général majeur de la nation française
35:03 et une souplesse ou une réouverture du débat sur les pesticides ?
35:07 Écoutez, on ne peut qu'être d'accord.
35:10 Ce sont des débats qui sont sur la table depuis très longtemps.
35:12 On comprend.
35:13 Il n'est pas difficile de comprendre qu'un agriculteur
35:15 ne peut pas vivre en gagnant,
35:17 en travaillant je ne sais combien d'heures par semaine
35:19 et en gagnant réellement 300 ou 400 euros
35:23 une fois qu'il a payé ses charges impondérables,
35:26 en quelque sorte.
35:27 Donc, le prix plancher lui permettrait de vivre au SMIC.
35:29 On en est là.
35:30 Le SMIC français étant lui-même,
35:32 le Premier ministre parlait récemment de la SMICardisation des Français.
35:35 Alors, les agriculteurs, ils en sont bien loin,
35:37 en tout cas pour les deux tiers d'entre eux.
35:40 Donc là, il y a un vrai problème.
35:41 Voilà, si ce prix plancher qui leur permettrait d'être payé au SMIC,
35:47 j'allais dire dans le meilleur des cas,
35:49 n'était pas appliqué,
35:50 c'est la liquidation des 200 000 agriculteurs
35:54 que l'Europe a condamnés à mort.
35:55 Bon, après pour les pesticides,
35:58 enfin, on ne va pas prendre chacun de ces points,
36:00 mais ce sont des points évidents
36:02 qui sont dans le débat depuis plus d'un mois
36:03 et qui sont des conditions sine qua non
36:05 de la survie d'un mode d'agriculture en France.
36:08 Voilà, donc c'est une question existentielle.
36:09 Le problème, c'est qu'elle met en équation
36:13 l'Union européenne et ses contraintes telles qu'elles pèsent sur nous.
36:16 C'est-à-dire que voilà, on voit très bien
36:18 que ce sont des contraintes d'ampleur continentale
36:23 et c'est au cœur des traités de libre-échange,
36:26 c'est au cœur des réglementations de la Commission européenne,
36:29 c'est au cœur de la politique énergétique et sanitaire.
36:31 Donc ce ne sont plus des questions nationales
36:34 et c'est là qu'il faut franchir le rubicon.
36:36 Est-ce que oui ou non, c'est un intérêt comme la culture
36:40 ou comme l'armement stratégique,
36:42 est-ce que c'est un intérêt national ou pas ?
36:44 Alors la proclamation, c'est bien.
36:46 Maintenant, est-ce que derrière, les faits vont suivre ?
36:49 Eh bien, on le verra.
36:50 Mais j'ai des doutes, mais on verra.
36:52 Ça serait une bonne nouvelle.
36:53 Alors nous allons faire de l'acrobatie intellectuelle.
36:55 Nous avons parlé de la crise des agriculteurs,
36:57 mais puisque vous êtes un esprit universel,
36:58 nous allons aussi parler de votre domaine de spécialité universitaire,
37:02 le monde arabe, le monde musulman.
37:03 Et vous venez de publier avec une de vos collègues
37:06 un ouvrage consacré aux frères musulmans au pouvoir,
37:09 c'est-à-dire des frères musulmans,
37:10 cette confrérie que nous connaissons, dont on parle beaucoup,
37:12 mais qui a exercé le pouvoir ces dernières années
37:15 et ça n'a pas toujours donné des résultats très heureux.
37:18 Alors la question, je la poserai tout simplement,
37:20 que se passe-t-il lorsque les frères musulmans arrivent au pouvoir ?
37:22 Ils sont porteurs d'un projet de régénération sociale,
37:25 ils sont porteurs d'un projet de transformation profonde de la société
37:28 et ça ne semble pas toujours être accepté positivement par la société.
37:32 Que se passe-t-il pour que ça ne fonctionne pas ?
37:34 Pour la première fois, on a eu un laboratoire grandeur nature,
37:37 c'est-à-dire que ça fait un siècle qu'on vit avec le projet des frères musulmans.
37:41 Il y a eu 150 livres sur leur projet.
37:43 Mais là, ils ont dirigé deux pays en ayant été élus librement,
37:47 la Tunisie et l'Égypte.
37:49 Un an et demi en Égypte et dix ans en Tunisie, en coalition, etc.
37:53 Mais ils sont restés au pouvoir.
37:55 Et ils ont été chassés par les peuples qui les avaient acclamés,
37:58 qui les avaient portés au pouvoir avec des scores considérables en Égypte,
38:02 presque 40% en Tunisie.
38:05 Quelques années plus tard, il y a eu deux coups d'État dans les deux pays,
38:08 un coup d'État du président en Tunisie, un coup d'État de l'armée,
38:11 mais ces coups d'État ont été soutenus dans des proportions
38:14 encore plus considérables que celles qui les avaient portés au pouvoir.
38:17 Pourquoi ? Parce qu'à la suite des printemps arabes,
38:20 ils sont enfin parvenus au pouvoir par des voies démocratiques,
38:24 pas par une tentative de prise par les armes comme en Algérie ou en Syrie par la suite.
38:29 Non, ils sont arrivés librement, ils ont été élus,
38:33 ils ont remporté toutes les institutions et ils devaient répondre
38:37 à la demande pressante des peuples arabes qui voulaient plus de dignité,
38:41 plus de liberté, plus d'emploi, plus de prise en charge par l'État,
38:45 des services santé, école, etc.
38:47 Et ce n'est pas vraiment ce qui les intéressait.
38:48 Et ce n'est pas du tout ce qui les intéressait,
38:50 parce qu'ils ont un projet idéologique, ils ont un projet religieux,
38:54 ils voulaient ré-islamiser la société tunisienne ou égyptienne à partir des individus,
39:00 à partir de leur programme.
39:01 Maintenant, en plus, comme ils ont été au pouvoir,
39:03 tous leurs textes ont été mis en circulation,
39:04 c'est pour ça que mes collègues égyptiens et tunisiens dans le livre les ont étudiés.
39:08 Et quand on confronte leur texte dogmatique, leur politique au pouvoir,
39:13 maintenant on sait ce qu'ils font,
39:14 on sait que leur objectif ce n'est pas de réformer l'État,
39:16 c'est de l'affaiblir considérablement dans un objectif internationaliste
39:21 pour créer un État éventuellement islamique, ça serait le terme de leur projet.
39:24 Donc, ils ne répondent absolument pas aux intentes des citoyens tunisiens et égyptiens
39:29 qui, du coup, en ont tiré les consécutions.
39:31 Ces gens-là qui se présentaient comme des gens honnêtes et droits,
39:34 ils devaient forcément bien gouverner au nom de Dieu,
39:36 ils ne se sont montrés ni honnêtes ni droits,
39:38 et ils ont mal gouverné parce que ce n'est pas ça qui les intéresse.
39:40 - Alors, vous avez une formule qui est étonnante,
39:41 on dit "pour ré-islamiser les égyptiens et les tunisiens".
39:45 D'un point de vue occidental, on peut croire qu'ils étaient déjà musulmans.
39:48 Donc, que veut dire ré-islamiser des peuples déjà musulmans ?
39:51 - C'est les grandes théories de Saïd el-Khôt,
39:54 notamment le frère musulman égyptien des années 50,
39:57 parce que la littérature, c'est el-Banna, le créateur des frères,
40:01 et puis el-Khôt, son disciple, qui sont au cœur.
40:03 Parce que ça veut dire que, si vous voulez,
40:05 ce sont des textes qui ont presque un siècle ou 70 ans,
40:08 qui sont toujours les textes aujourd'hui valides pour la confrérie,
40:10 parce que ce sont des textes, en fait, de théologie ou de théologie politique,
40:14 de théologie politique révolutionnaire,
40:16 mais ils ne sont pas adaptés au bout de jours, parce que ce n'est pas ça qui compte.
40:19 Donc, votre question, c'était ?
40:21 - On dit "vous avez les Tunisiens, vous avez les Égyptiens,
40:26 qu'il faudra ré-islamiser".
40:27 - C'est ça.
40:27 - D'un point de vue occidental, on avait l'impression qu'ils étaient déjà musulmans.
40:30 - Donc, el-Khôt considérait effectivement que l'islam, c'est un idéal,
40:33 que le seul islam valide, c'est celui des origines.
40:36 Et il faut revenir aux origines, aux premières décennies,
40:40 aux compagnons du Prophète, d'où le mot "salafiyya",
40:42 pour ré-islamiser d'abord une élite,
40:46 c'est un parti d'élite, les frères musulmans,
40:48 une élite, les pères de famille, certaines femmes, les disciples,
40:52 qui autour d'eux feront, organiseront un mode de vie islamique.
40:57 Et une fois que, par contamination comme ça, petit à petit,
41:00 toute la société vivra selon des normes islamiques rigoureuses, strictes,
41:05 eh bien, à ce moment-là, ce n'est pas la peine de faire une politique économique,
41:08 culturelle, scolaire, etc., puisque tout ira bien,
41:11 puisque chacun vivra selon la norme islamique,
41:14 les commandements de Dieu, et donc la société sera en quelque sorte parfaite.
41:18 Ça rappelle les mythes du communisme, ou certains mythes politiques de la modernité,
41:24 la volonté de créer un homme nouveau, là c'est un homme nouveau,
41:27 qui serait celui de la société islamique parfaite.
41:30 - Jules Monroe avait présenté le communisme comme l'islam du XXe siècle.
41:34 - Oui, ça n'est pas sans parenté.
41:38 Je rappelle que les Frères Musulmans sont un parti qui a été créé dans les années 1920,
41:42 comme tous les partis totalitaires ou les partis révolutionnaires sur le modèle léniniste.
41:48 Et donc, il y a des aspirations à créer une société parfaite sur des bases radicalement neuves.
41:53 C'est pour ça que la petite politique étatique,
41:58 on a eu l'imam punisien cette semaine qui s'est exprimé en disant,
42:01 qui a montré son hostilité envers le drapeau, symbole de la nation et de l'État.
42:04 Ça, ça ne les intéresse pas, voyez ?
42:06 C'est quelque chose, ce qu'il a dit, est parfaitement représentatif de la doctrine des Frères Musulmans.
42:11 Rejeter l'État et toutes ses contraintes,
42:14 parce qu'au fond, c'est un héritage qui parasite au fond l'héritage de la culture islamique.
42:19 - Arthur de Matrigan.
42:19 - Alors, vous l'avez dit, les Frères Musulmans, sa création, c'était il y a un siècle.
42:23 Ils ont pris le pouvoir lors des printemps arabes.
42:25 Et vous êtes assez critique justement à l'égard des dirigeants occidentaux,
42:28 à ce moment-là, qui pourtant, les Frères Musulmans existaient déjà,
42:32 ont été même plutôt positifs.
42:34 Et vous dites aujourd'hui, on sait, les élites savent,
42:36 mais est-ce que vous pensez que nos élites intellectuelles, médiatiques, politiques
42:39 ont pris conscience de ce qu'étaient les Frères Musulmans,
42:40 du danger qu'ils pouvaient même menacer en France ?
42:44 - Absolument pas.
42:44 C'est pour ça qu'on a fait ce livre aussi.
42:46 C'est pour mettre à disposition des gens que ça intéresse et des responsables
42:50 une analyse critique de cette expérience, de ce bilan.
42:53 Parce que pour l'instant, on disait, vous les dénigrez parce que vous parlez d'un projet.
42:56 Ce que je n'ai jamais fait personnellement, ça n'était pas ma spécialité.
42:59 Mais là, on a des choses réelles.
43:00 Ils ont gouverné vraiment.
43:01 On a vu ce qu'ils ont fait.
43:02 On a vu leurs impératifs idéologiques et théologico-politiques.
43:06 Et donc là, on a un outil maintenant qui permet de lire,
43:08 de décrypter leur pensée, leur système, leurs partis, leur fonctionnement.
43:14 Donc oui, en France, comme aux États-Unis, comme dans tous les pays arabes,
43:18 les États ont fait une énorme erreur pour lutter contre la gauche
43:23 et pour des tendances diverses, d'ailleurs, idéologiques diverses.
43:27 Ils ont donné la main aux Frères Musulmans en pensant que, au fond,
43:31 ces religieux, peut-être pas très malins, au fond, seraient impisalés,
43:36 dans le pire des cas, quand on les prenait pour des idiots en Égypte ou ailleurs.
43:39 Ou alors, en Europe, en disant, au fond, ces gens sont des musulmans.
43:42 Ils sont dans la réappropriation culturelle.
43:44 Donc, ils reviennent à leur culture et puis tout ira bien.
43:47 Mais les choses sont un peu plus compliquées que ça quand on a affaire à des gens
43:51 qui ne sont pas idiots, parce que les idéologues, évidemment, ne sont pas idiots.
43:54 Et il y a beaucoup de mépris, d'ailleurs, dans le fait de les attitudes qui ont été prises.
43:58 Et puis donc, il faut les lire.
43:59 Il faut les prendre au sérieux.
44:00 Il faut les écouter.
44:01 Ils écrivent, ils produisent.
44:02 Voilà, c'est ce qu'on a essayé de faire.
44:04 Et j'espère qu'à partir de là, les choses, les grilles de lecture seront un peu plus faciles.
44:10 D'autant plus, comme vous dites, qu'en Europe, ils sont bel et bien là.
44:13 Ils sont aujourd'hui interdits dans la plupart des pays arabes.
44:16 Ils sont combattus parfois très durement.
44:18 Et c'est parce qu'ils sont combattus très durement qu'il ne faut pas le dire.
44:22 En Égypte, notamment, pas seulement, ne parlons pas de la Syrie ou des Émirats,
44:25 mais en France, en Europe, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Angleterre, effectivement,
44:32 ils ont une opportunité d'être libres et de se déployer.
44:34 On vient de le voir avec les mampundiens et avec bien d'autres.
44:36 Et là, il faut écouter sérieusement ce qu'ils disent et ne pas entrer dans un misérabilisme
44:41 en disant au fond, c'est une réappropriation culturelle, c'est du tiermondisme, c'est leur culture, c'est ceci, cela.
44:47 Non, ce sont des gens sérieux qui pensent et qui écrivent.
44:50 Et donc, lisons-les.
44:52 Il nous reste 2 minutes 30.
44:53 Une question toute simple, en fait.
44:54 J'ai l'impression que les politiques étrangères occidentales, la diplomatie occidentale
44:58 ne prend plus la peine de connaître les cultures des différents pays.
45:02 C'est-à-dire, on a une forme de modèle universaliste.
45:03 On dit que tout le monde souhaite à peu près la même chose.
45:05 Tout le monde souhaite nos droits de l'homme.
45:07 Tout le monde souhaite notre conception des droits de l'homme.
45:09 Et on ne prend plus la peine de connaître souvent la culture des différents pays
45:12 auxquels on destine une politique particulière.
45:14 Est-ce qu'il n'y a pas un peu cette faiblesse de la connaissance dans la politique étrangère des pays occidentaux aujourd'hui?
45:19 Écoutez, je rebondis sur votre chronique de la première partie sur l'information.
45:23 Vous voyez, en vous écoutant, je me disais c'est intéressant parce qu'il y a 20 ans,
45:29 l'Europe, la France, était très exigeante sur la liberté de la presse.
45:34 Au Maghreb, par exemple, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, il y avait des demandes.
45:38 Voilà, il y avait des pressions.
45:40 Il y avait une comptabilité.
45:41 Les Américains font une comptabilité.
45:42 Aujourd'hui, la liberté de la presse au sud de la Méditerranée, elle a disparu.
45:48 Les réseaux Internet ont permis de liquider en gros la presse papier.
45:51 Et aujourd'hui, vous avez des pôles liés au pouvoir qui contrôlent la presse,
45:55 qui est très dynamique, très diverse d'ailleurs, la presse Internet, mais elle est aux mains des États.
46:00 Et donc, la liberté de la presse a disparu ou elle est très, très affaiblie.
46:03 Est-ce qu'aujourd'hui, quelqu'un demande en Europe qu'on s'intéresse à cette question?
46:08 Est-ce qu'on a demandé aux frères musulmans, quand ils étaient au pouvoir, qu'ils respectent la liberté de la presse?
46:12 Alors, ils sont arrivés à un moment d'ouverture.
46:14 Oui, c'est vrai qu'au début, ils étaient dans une prise de position pleine d'espoir.
46:19 Ils pensaient qu'ils allaient rester au pouvoir pendant des centaines d'années ou plus.
46:23 Et donc, ils étaient assez tolérants.
46:24 Mais très vite, des pressions se sont levées et ils ont montré leurs excès idéologiques.
46:31 Une fois au pouvoir, personne ne leur a demandé des comptes.
46:34 On a attendu que les Tunisiens et les Égyptiens, finalement, en aient assez.
46:37 Et puis, on a tourné la page.
46:38 On ne fait pas le bilan. On n'en parle plus.
46:40 On fait comme si on ne les avait pas soutenus.
46:42 Mais si, il s'est passé un moment historique.
46:44 Il faut absolument l'analyser encore une fois.
46:46 Et bien, c'est terminé.
46:47 Merci, Mathieu Beaucoté.
46:49 Merci à Arthur de Vatregan.
46:50 Monsieur Pierre Vermeeren, merci beaucoup.
46:52 Merci beaucoup.
46:53 On se retrouve évidemment la semaine prochaine pour un nouveau numéro.
46:56 Et nous, on se retrouve dans un instant pour l'heure des pro 2.
46:59 À tout de suite.
46:59 Merci.
47:00 Merci à tous !