• il y a 8 mois
Les débatteurs du jour sont : Bernard Guetta x Henri Guaino. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-18-mars-2024-6164705

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00:00 Ce débat ce matin sur un couple qui bat de l'aile, un vieux couple à l'histoire
00:04 tourmentée, qui s'est retrouvé ce week-end pour faire le point sous l'œil amical et
00:09 vigilant de la Pologne.
00:11 Blague à part, et plus sérieusement, on parle de Paris et Berlin, de la France et
00:15 de l'Allemagne.
00:16 Que se passe-t-il au sein de ce moteur sans lequel rien ne peut se faire en Europe ? Pour
00:22 en parler, Bernard Guetta, eurodéputé Rignou, Henri Guenot, ancien commissaire au plan,
00:29 conseiller spécial du président Nicolas Sarkozy à l'Elysée.
00:33 Et bonjour à tous les deux, merci d'être là.
00:35 Nouveau couple qu'on inaugure avec vous ce matin.
00:38 Pas Guenot et moi.
00:39 Si, c'est ça le nouveau couple.
00:42 Couple radio de débatteurs.
00:44 Emmanuel Macron dans l'avion du retour de Berlin vendredi a affirmé « il n'y a jamais
00:47 eu de fâcherie entre le chancelier et moi, nous avons une très grande communauté de
00:51 vues sur les objectifs et sur la situation en Ukraine, c'est la manière de les traduire
00:55 qui est différente ». N'est-ce pas Henri Guenot, une manière de voir le verre à moitié
00:59 plein alors que ça fait des semaines que les tensions sont perceptibles entre Emmanuel
01:03 Macron et Olaf Scholz sur la guerre en Ukraine ?
01:05 Oui, c'est une manière diplomatique de dissimuler les tensions.
01:09 Mais vous venez de parler de couple.
01:12 Et la réaction de Bernard Guetta est très significative.
01:17 Les rapports entre les nations ne sont pas des rapports de couple.
01:20 Avec l'Allemagne, nous devons avoir quelque chose qui pourrait s'appeler, comme jadis
01:24 avec l'Angleterre, une entente cordiale, un respect mutuel.
01:28 C'est ce qu'essayent de faire le général de Gaulle et Adénoir.
01:35 C'était en n'oubliant rien du passé, nous avons décidé de regarder ensemble vers
01:40 l'avenir.
01:41 Mais ne jamais oublier qu'il y a dans les rapports entre les nations des intérêts,
01:47 des idées qui sont parfois, même souvent, très différentes.
01:52 Il y a une géographie, il y a une histoire.
01:56 L'histoire, ce qui pèse dans la conscience allemande ou dans l'inconscient allemand,
02:00 qui vient de l'histoire, n'est pas la même chose que ce qui vient de l'histoire en France.
02:04 Il y a l'idée d'un moteur tout de même.
02:07 Oui, mais ça c'est autre chose.
02:08 Moi ce qui me gêne c'est le couple.
02:09 Parce que dans cette idée de couple, où on a fait passer une forme de sentimentalisme
02:14 presque amoureux, avant la politique, on a mis sous le boisseau, le plus souvent possible,
02:21 toutes nos divergences et nos différences.
02:22 Quand les candidats de Tension du Monde sont là, elles révèlent cette ensemblement.
02:26 Vous, il y a une crise en ce moment, pour vous il y a une crise en ce moment, dont on
02:29 va enlever le couple entre l'Allemagne et la France.
02:31 Bien sûr, il y a une crise.
02:32 Mais cette crise, elle a une partie de ses racines dans cette idée de couple.
02:36 Parce qu'on a trop mis sous le boisseau aussi nos différences et nos intérêts, au
02:39 lieu de respecter chacun les intérêts et les différences.
02:42 Bernard Guetta, une crise ?
02:43 Écoutez, je crois que véritablement, là, j'ouvre les guillemets "crise franco-allemande",
02:50 et la plus vieille rengaine de l'après-guerre, en tout cas depuis le traité de l'Elysée.
02:54 Tous les 5-6 ans, il y a une crise, et des vraies crises d'ailleurs, des vraies crises
02:58 réelles.
02:59 Pourquoi ? Parce que lorsqu'on doit coordonner des politiques entre deux pays importants,
03:07 les deux premières puissances évidemment de l'Union Européenne, qui ont des histoires
03:13 différentes, qui ont des cultures différentes, qui ont accessoirement des langues différentes,
03:17 il y a plus que des tiraillements.
03:20 Il peut y avoir des désaccords.
03:22 Et je vais vous surprendre, il me semble que les désaccords d'aujourd'hui à propos
03:26 de l'Ukraine sont réels, mais sont bien moins grands que des désaccords dans l'histoire,
03:34 entre la France et l'Allemagne d'après-guerre.
03:35 Oui, on entend bien votre volonté à l'un et à l'autre de replacer les choses dans
03:39 une perspective historique, et c'est très bien.
03:41 Mais là, pardon de vous reposer la question, qu'est-ce qui se joue en ce moment dans
03:45 ces tiraillements ?
03:46 On a eu Olaf Scholz il y a un mois critiqué avec d'autres États, la France qui ne livrait
03:51 pas assez de munitions par rapport aux Allemands.
03:53 On a Emmanuel Macron ensuite qui dit « il faut se réveiller, il faut que les Allemands
03:59 envoient les Taurus » et ils ne sont pas en train de le faire.
04:01 Il y a quand même quelque chose qui se passe aujourd'hui.
04:04 Est-ce que c'est une guerre de leadership ?
04:10 Je crois que oui, premièrement.
04:12 Il y a eu une guerre de leadership entre les deux pays pour une raison très simple,
04:17 c'est que depuis la fin de la guerre, les Allemands laissaient, assez rigolard d'ailleurs
04:23 en disant « oui, oui, la grande nation » ironiquement, ils laissaient la France s'occuper de politique,
04:30 de critiquer les États-Unis, l'Alliance Atlantique, etc.
04:33 Et puis eux, ils construisaient leur industrie en disant « ha, ha, ha, contrairement aux
04:38 Français, nous on n'investit pas un sou dans la défense et donc on est plus riches
04:42 que les Français pour notre industrie ». Et brusquement, patatras, les Allemands réalisent
04:47 premièrement qu'il n'y a plus beaucoup de parapluie américain ou en tout cas qu'ils
04:52 se referment, qu'il y a une crise en plein cœur de l'Europe, c'est-à-dire en vérité
04:55 à leur frontière, plus encore qu'à la nôtre, et bien qu'il faut prendre les affaires
05:00 en main et ils ne veulent plus, le chancelier voudrait ne plus laisser aux Français le
05:06 monopole de la conduite des affaires politiques et stratégiques dans l'Union Européenne.
05:12 C'est ça le cœur de la crise ?
05:14 Attendez, il y a d'autres raisons, mais puisque Léa en parlait, oui, il y a ça.
05:19 Et puis il y a une deuxième raison, je vais vous surprendre, c'est que l'Allemagne
05:22 est en pleine crise existentielle.
05:25 L'Allemagne, sa prospérité était fondée sur le parapluie nucléaire américain, crac,
05:32 il se referme.
05:33 Sur les exportations vers la Chine, crac, elles se réduisent.
05:37 Sur le gaz russe, ha, ha, prix, il n'y en a plus.
05:41 Ha, mais écoutez, là pour l'Allemagne, ça ne va pas bien.
05:44 Alors, un problème de leadership et une crise existentielle.
05:47 Henri Guaino.
05:48 D'abord, il y a une double crise existentielle parce qu'il y a aussi une crise existentielle
05:52 en France, mais c'est vrai que l'état du monde, qu'il soit économique, politique,
05:58 géostratégique, a fait apparaître des tensions, a fait apparaître des divergences et des
06:04 intérêts vitaux différents, ou en tout cas une vision de ces intérêts vitaux différents
06:09 d'un côté du Rhin et de l'autre.
06:12 Mais nous avons face à face deux pays qui sont en crise politique parce que la coalition
06:18 allemande...
06:19 Face à face, Henri, côte à côte.
06:20 La coalition allemande, elle est fragile, elle est pour être divergente, ils n'arrivent
06:27 rarement maintenant lors des élections à dégager une majorité sans faire une coalition
06:32 après les élections.
06:33 En France, on a un pouvoir qui n'a pas de majorité parlementaire.
06:37 On a dans les deux cas deux pays divisés où on voit monter les radicalités et les
06:42 extrêmes et deux situations économiques qui sont des situations préoccupantes.
06:46 Et c'est vrai, je rejoins ce que dit Bernard Guetta, c'est la crise du modèle allemand,
06:52 elle est aujourd'hui, le modèle économique allemand, elle est très profonde, très profonde
06:56 et ça entraîne une remise en cause très grande du statut économique de l'Allemagne
07:05 dans le monde et au sein de l'Europe.
07:06 Donc toutes ces crises cumulées se transforment forcément en tension très très forte.
07:13 Chacun se crispe sur ses intérêts et c'est normal.
07:17 Mais c'est parce qu'on a longtemps aussi refoulé toutes les divergences.
07:21 Je ne suis pas d'accord en revanche avec Bernard Guetta pour dire qu'il y a eu tant de crises
07:24 que ça, de vraies crises, comparables à celles d'aujourd'hui.
07:29 On a souvent cédé, on a en fait souvent cédé, la France a souvent cédé à l'Allemagne,
07:34 de temps en temps l'Allemagne et la France, mais assez rarement, et bien maintenant nous
07:37 le payons.
07:38 Les phrases d'Emmanuel Macron sur « il faut se réveiller sous peine d'être des lâches,
07:43 nous n'excluons pas d'envoyer des troupes au sol », ont-elles divisé les Européens
07:49 ou ont-elles clarifié les positions ?
07:51 Moi je dirais qu'elles ont ouvert et amplifié spectaculairement un débat qui est le même
07:59 dans les 27 pays de l'Union Européenne aujourd'hui.
08:02 Les propos d'Emmanuel Macron, qu'on soit d'accord, qu'on ne soit pas d'accord
08:06 évidemment, il a ouvert un débat, mais ces propos ont fait de l'Union Européenne une
08:15 seule et même scène politique sur laquelle on débat aujourd'hui effectivement, est-ce
08:22 que rien n'est exclu, est-ce que, est-ce que, est-ce que, mais c'est toujours les
08:26 mêmes questions, que ce soit en Finlande ou en Sardaigne, au Portugal ou en Pologne.
08:31 C'est très frappant.
08:32 Là il y avait une ligne rouge, on disait, la ligne rouge c'est « on n'enverra pas
08:35 d'hommes au sol », en tout cas pas officiellement.
08:38 Oui, et je pense là aussi que Macron a vraiment eu raison de briser ce tabou parce que pourquoi
08:47 est-ce que depuis deux ans nous disions à Vladimir Poutine « on s'oppose à votre
08:53 agression contre l'Ukraine, mais on le fait, et je le mime avec les deux bras dans le dos
08:59 ». Pourquoi lui dire ça ?
09:00 Enri Guenot, qu'est-ce qu'il aurait pensé de tout ça ?
09:02 Moi je pense que c'est à la fois les accusations de lâcheté qui s'adressaient d'abord
09:10 à nos alliés et à nos partenaires.
09:13 Il a dit, excusez-moi, il a dit « il ne faudra pas dire lâcheté ».
09:15 Non, non, mais attention, c'est pas la même chose.
09:16 Non, non, mais tout le monde a compris la même chose.
09:18 Mais à tort.
09:19 On peut jouer.
09:20 Non.
09:21 Non, à tort.
09:22 Moi le président de la République dit des choses, puis après il rajoute une phrase
09:23 en disant ou une nuance.
09:24 Non, non, non, il ne faudra pas dire lâcheté.
09:25 Non, c'est pas à tort.
09:26 Tout le monde entier, Bernard, tout le monde entier a compris la même chose.
09:30 Et tous nos partenaires européens aussi.
09:32 Je le crois.
09:33 Si, si, moi je le crois.
09:34 Il n'y a qu'en France où on fait des contorsions sur les plateaux de télévision et dans les
09:37 studios de radio pour se dire « non, il n'a pas vraiment voulu dire ça, c'est plus
09:40 nuancé ». Non, c'est pas nuancé du tout.
09:42 Moi j'ai regardé le président de la République l'autre soir.
09:44 C'était un homme qui allait vers la guerre.
09:47 C'était un homme qui, je pense, voulait la guerre.
09:50 J'espère que je me trompe.
09:51 Qui voulait la guerre ?
09:52 Oui.
09:53 La façon de parler de ce sujet était impressionnante.
09:56 Mais qui a ouvert la guerre si ce n'est M. Poutine ?
09:58 Mais ça, ça n'est pas le sujet.
10:01 Ça n'est pas le sujet.
10:02 Mais comment c'est pas le sujet ? C'est le sujet.
10:03 Non, ça n'est pas le sujet.
10:04 Le sujet n'est pas aujourd'hui les responsabilités de la guerre.
10:07 Quand un pays est attaqué, il ne se pose pas la question des responsabilités de la
10:10 guerre.
10:11 Il se défend.
10:12 Bon, quand on est en face d'une escalade ou d'un engrenage qui nous mène vers la
10:17 guerre et vers la montée aux extrêmes qu'est la guerre, la question n'est pas de savoir
10:20 qui a commencé l'escalade, la question est de savoir comment on arrête l'escalade.
10:24 Voilà.
10:25 C'est pour ça qu'il n'aurait jamais dû dire ça.
10:26 Mais non, parce que tous les tabous, cette idée folle de la post-modernité sur laquelle
10:31 tous les tabous doivent être brisés est insensée.
10:35 Il y a des tabous qui ne doivent pas être brisés.
10:38 Il y a des tabous qui sont très utiles.
10:39 Il n'y a plus de société sans tabou.
10:41 Il n'y a plus de civilisation sans un minimum de tabou.
10:43 Il n'y a plus de raison sans un minimum de tabou.
10:45 De quel tabou vous parlez ?
10:46 C'est vous qui avez employé cette expression.
10:48 Il a brisé un tabou en disant "on peut envoyer des troupes au sol".
10:54 Il a rajouté d'ailleurs "il n'y a pas d'exclus".
10:56 Non, il a dit "rien n'est exclu".
10:57 Écoutez, on ne va pas poursuivre ce débat trois semaines après.
11:00 Il a dit "rien n'est exclu".
11:01 Mais continue, moi j'ai lu.
11:02 Bernard Guetta.
11:03 Il a dit "rien n'est exclu".
11:04 Il n'a pas dit "je vais envoyer des troupes".
11:06 Et d'abord, Henri Guetta, le président de la République française ne peut pas, et
11:12 il le sait bien, envoyer des troupes seul.
11:15 Bon, alors il dit "rien n'est exclu".
11:17 Moi, je m'en félicite.
11:19 Je m'en félicite parce que...
11:20 Bernard Guetta.
11:21 Je m'en félicite parce que, j'ai compris, parce que exclure un moyen de résistance
11:25 à l'agression russe, c'est véritablement faciliter la tâche à Vladimir Poutine.
11:32 Il n'y avait aucune raison de le faire.
11:34 Ça ne veut pas dire "je vais envoyer des troupes".
11:37 Ça veut dire "Vladimir Poutine, sois conscient que nous pourrions le faire".
11:43 Parce que Vladimir Poutine, quand il agresse l'Ukraine, est absolument persuadé que les
11:49 Européens sont des décadents lâches, achetés, corrompus, qui ne feront rien en réaction
11:59 à cette invasion de l'Ukraine.
12:00 Et il est très surpris parce que le soir même, il y a une mobilisation jamais vue
12:05 de l'Union Européenne et qui n'a jamais cessé.
12:07 Henri Guenaud.
12:08 Je m'étonne que vous vous concentriez à ce point sur la superficialité de l'analyse
12:15 psychologique qui d'ailleurs n'est pas faite.
12:17 C'est pas psychologique, c'est politique.
12:18 On ne se met jamais à la place de l'autre.
12:20 Il faut essayer de savoir ce qu'il a réellement dans la tête et qu'on fasse table rase
12:28 de l'histoire, des réalités de la géopolitique, de la géographie, etc.
12:31 C'est beaucoup plus compliqué que ça.
12:32 Et au fond, à ce stade, ça n'a pas de grande importance.
12:35 L'important, c'est de savoir si oui ou non, nous voulons faire la guerre à la Russie.
12:39 Et si c'est non, il va falloir trouver d'autres voies.
12:43 Et les voies notamment...
12:44 Mais nous ne voulons pas faire la guerre à la Russie.
12:45 La Russie nous fait la guerre.
12:46 Mais non, elle ne veut pas la guerre à la France.
12:47 Mais si, bien sûr.
12:48 Mais non.
12:49 Mais bien sûr.
12:50 Mais non.
12:51 C'est de la science-fiction.
12:52 Ah bon, la guerre hybride, pour vous, c'est absolument négligeable ?
12:54 Ce n'est pas la même chose que la vraie guerre.
12:55 Vous savez, la vraie guerre, quand on est sur le front, on est en face de soi quelqu'un
12:59 et chacun se dit...
13:00 Essuyez vos cadrans, Guédo.
13:01 Attendez.
13:02 Et chacun se dit, c'est lui ou moi.
13:04 Voilà, ça c'est la guerre.
13:05 Un mot, un mot, Bernard Guetta, et on arrête.
13:07 Non, Guédo, essuyez vos cadrans.
13:08 La guerre hybride fait aujourd'hui totalement partie de la guerre.
13:12 Absolument.
13:13 Non, ce n'est pas la vraie guerre.
13:14 Elle est menée...
13:15 Ah justement, c'est un sujet passionnant qu'on va vous réinviter.
13:17 Je veux vous dire...
13:18 Pourquoi c'est fini ?
13:19 C'est un sujet qui mérite un peu de temps pour en discuter.
13:22 La guerre hybride fait-elle partie de la guerre ? Faut-il qu'Henri Guédo essuie ses cadrans ?
13:26 Tout le monde vous le dit.
13:27 Tout les militaires vous le disent.
13:28 C'est pas la même chose que la vraie guerre.
13:30 C'est pas la même chose que la vraie guerre.
13:31 Mais on a des armes.
13:32 C'est comme une opération extérieure.
13:33 La vraie guerre, c'est pas ça.
13:34 La guerre spatiale, on disait hier que ce n'était pas la vraie guerre.
13:38 On sait aujourd'hui que c'est la guerre.
13:40 On vous réinvite la semaine prochaine.

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