Les débatteurs du jour sont : Natacha Polony x Jean-Michel Aphatie x Alexandre Devecchio. Thème : « Inéligibilité requise contre M. Le Pen : crise politique en vue ? » Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-18-novembre-2024-6617633
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00:00Débat sur les réquisitions, mercredi dernier, au procès des assistants RN du Parlement européen.
00:06Contre Marine Le Pen ont été requis 5 ans d'emprisonnement, dont 2 fermes, 300 000 euros d'amende
00:14et 5 ans d'inéligibilité avec exécution immédiate, ingérence politique insupportable,
00:22peine de mort politique avec exécution provisoire contre moi, a répliqué Marine Le Pen.
00:29En attendant les plaidoiries aujourd'hui, le débat justice et politique est relancé
00:34une fois encore.
00:35La justice serait partiale, elle voudrait faire disparaître une figure politique de
00:41premier plan, elle trancherait au tribunal une question que les citoyens devraient trancher
00:46dans les urnes.
00:47On va en débattre ce matin avec Jean-Michel Apathy, éditorialiste à l'émission quotidien
00:54sur TMC, avec Natacha Polony, directrice de la rédaction du magazine Marianne, et
01:00avec Alexandre Devecchio, rédacteur en chef du service débat du Figaro et du Figaro magazine.
01:08Merci d'être dans ce studio, ces réquisitions, comment les qualifiez-vous ? Quelle a été
01:14votre réaction lorsque vous les avez entendues à prise Jean-Michel Apathy ?
01:20Spectaculaire, oui, mais normal.
01:22Les juges ont appliqué la loi, les juges ont utilisé tout ce que leur permettait d'utiliser
01:27la loi, et leur prêter des intentions politiques, c'est délégitimer la justice.
01:32Marine Le Pen qui veut présider la République prend une responsabilité énorme en agissant
01:37ainsi.
01:38Je voudrais ajouter que depuis le début de cette affaire, c'est-à-dire depuis que
01:42nous en avons connaissance, tout le monde a dit que ce procès était à très haut
01:46risque pour le Rassemblement National, parce que l'instruction notamment avait mis à
01:52jour des éléments qui montraient le calcul, la durée, l'ampleur de la fraude, des mails
01:58qui montraient que même Marine Le Pen savait bien qu'elle était au-delà de la ligne
02:02rouge.
02:03Quelle a été la stratégie de Marine Le Pen et de ses co-accusés, 24, lors des audiences
02:09publiques ? Le je m'en foutisme.
02:11Nous n'avons rien fait, c'est une opération politique du Parlement européen et de madame
02:16Taubira.
02:17Des dépositions ont été faites devant les juges lors des audiences où les soi-disant
02:23assistants parlementaires, certains devenus députés, racontaient des mensonges qui les
02:27mettaient eux-mêmes dans l'embarras.
02:28Il faut faire la revue de presse de ce que les journalistes ont écrit là-dessus.
02:33Stéphane Durand-Soufflant dans Le Figaro notamment a fait les papiers qui étaient de ce point
02:37de vue remarquable, qui témoignaient de la mauvaise foi de gens qui représentent aujourd'hui
02:40le peuple français.
02:41Et bien la sanction qui est demandée par le parquet est fondée sur tout ce tas de
02:47mensonges et de moqueries dont Marine Le Pen a été l'initiatrice.
02:51Natacha Polony, même question, réaction lorsque vous avez entendu ces réquisitions ?
02:58Prévisibles.
02:59Parce qu'en effet ce sont des réquisitions, ce n'est pas le jugement, ce ne sont pas
03:04les juges, c'est le procureur qui a… Voilà, là les plaidoiries arrivent et on verra
03:09qu'elle sera la nature du jugement, mais de la part du procureur c'était parfaitement
03:13prévisible.
03:14En effet, on a vu à quel point les débats se sont mal passés pour les représentants
03:21du Rassemblement National, à quel point les stratégies de défense étaient mauvaises.
03:26Donc, il était évident que le parquet allait requérir dans ce sens-là, à une exception
03:33près, la question de la dimension exécutoire de la peine.
03:37Et c'est là que ça va devenir extrêmement intéressant.
03:40Pourquoi ? Parce que ça, en revanche, quand il y a condamnation et on sent qu'il y a
03:48un risque de condamnation, l'inéligibilité est désormais automatique.
03:53Donc ça, ce n'est même pas le parquet qui décide de requérir ça, ça va de soi
03:58depuis la loi Sapin 2.
03:59En revanche, demander à ce que la peine soit exécutée après le premier jugement, c'est-à-dire
04:05ne pas appliquer le caractère suspensif de l'appel, qui normalement est un droit
04:10déjusticiable, etc., c'est quelque chose de très particulier.
04:14Ça se fait quand il y a risque de récidive ou au regard de la très grande gravité des
04:19faits.
04:20Et là, en revanche, c'est un choix qui va relever de l'intime conviction des juges
04:27de savoir s'ils décident cela, sachant que ça aura un impact, on l'a tous vu, sur
04:33la vie politique.
04:34Et sachant que, là aussi, ça peut se plaider, parce qu'en termes de jurisprudence, si
04:39on regarde, par exemple, c'est déjà intervenu sur le cas de Gaston Flos, et en fait, c'est
04:46le choix de la dimension exécutoire.
04:49Normalement, la jurisprudence dit que ça ne s'applique pas pour un mandat parlementaire
04:56en cours.
04:57En revanche, la question, c'est pour se présenter à une élection présidentielle.
05:00Ça, on n'a pas de jurisprudence.
05:01Ce point-là aussi vous a, je ne sais pas, étonné ou choqué, Alexandre de Mecquieu.
05:06Et si oui, expliquez-nous.
05:07Je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit Natacha Polonyi.
05:11Alors, effectivement, personne ne conteste l'irrégularité des méthodes du Rassemblement
05:16national.
05:17Mais il faut tout de même rappeler aux auditeurs de quoi il s'agit.
05:20Est-ce que c'est une affaire de corruption et d'enrichissement personnel ? Non.
05:24Il s'agit d'une affaire qui pose aussi la question du financement des partis.
05:28Au moment où le FN arrive au Parlement européen, c'est le FN, d'ailleurs, ce n'est pas le
05:33RN.
05:34C'est la première fois qu'ils ont une grande victoire.
05:35Et c'est un parti qui a du mal à obtenir des prêts à la banque.
05:41D'ailleurs, François Bayrou, qui a été inculpé pour le même type d'affaires, voulait
05:46qu'il y ait une banque de financement des partis politiques.
05:49On tourne autour.
05:50Ça n'a pas été fait.
05:51Donc, c'est important de rappeler le contexte.
05:52Il n'empêche qu'effectivement, personne ne conteste l'irrégularité des méthodes.
05:58Maintenant, ce qui apparaît le plus surprenant dans ce réquisitoire, qui encore une fois
06:02n'est qu'un réquisitoire, c'est l'exécution provisoire.
06:07Il y a la jurisprudence flosse, mais c'est quand même un cas exceptionnel.
06:11Si on compare à l'affaire des parlementaires du Modem, certains disent que les sommes en
06:16jeu ne sont pas les mêmes, tout simplement parce que le Modem avait moins de parlementaires.
06:19Donc, c'est exactement le même type d'affaires.
06:23Il y a un appel, et l'appel suit son cours, et personne n'est condamné de manière définitive.
06:30Il y a une question sérieuse selon vous autour de l'exécution provisoire, Jean-Michel Apathie ?
06:35Ce sont des procédures auxquelles nous ne sommes pas habitués.
06:37Donc, on réfléchit.
06:38Disons que la réflexion est un peu fraîche là-dessus.
06:40Mais quand même, à se concentrer sur le commentaire et sur l'exécution provisoire, on passe
06:46pour peu de choses, finalement, la culpabilité de Marine Le Pen et de ses co-accusés qui
06:52ont, s'ils sont coupables, détourné de l'argent public venant du Parlement européen à une
06:58période où ils disaient que la France devrait cesser de cotiser à l'Europe parce que c'est
07:04de l'argent perdu.
07:05Et donc, avec un cynisme absolu, ils détournaient une partie de cet argent pour faire vivre
07:10le parti, pour que Jean-Marie Le Pen puisse… Marine Le Pen est un garde du corps gratuit.
07:14Donc, la sanction, au fond, tout le monde convient qu'elle est logique.
07:17Bon, ce qui nous gêne, c'est l'exécution provisoire.
07:20Comment est-elle légitimée dans les réquisitions du parquet ?
07:24Elle est légitimée par le nombre de procédures opérées par les accusés.
07:29Il y a eu 43 demandes de renvoi, de suspension, de tout ce que vous voulez, qui font que,
07:35disent les magistrats, ce sont des magistrats.
07:37Comme l'a dit le magistrat dans son réquisitoire, ici, on ne fait pas de politique, on fait
07:41du droit.
07:42Et donc, le Rassemblement national s'est ingénié à écarter le délai entre le moment
07:47où les faits ont été commis et reconnus, et puis le moment où ils sont jugés.
07:51Et donc, ce délai justifie que la suspension provisoire, l'exécution provisoire soient
07:58réclamées.
07:59Vous savez, tout ça, ça a une forme de logique, qu'il est politiquement très contestable
08:06de condamner au nom de… Les juges font de la politique, ils ne font pas du droit.
08:10Les réquisitions sont des réquisitions juridiques.
08:14Et ça, en le contestant, Mme Le Pen s'engage dans une impasse, voire elle nous met tous
08:18en danger.
08:19Et le tribunal a clairement dit, je vous donne la parole Natacha, qu'il appliquait des
08:23lois votées par le législateur.
08:24Ce qui était une manière de clarifier les choses et de remettre l'assemblée au milieu
08:30du village.
08:31Et d'ailleurs, si on regarde les délibérations de cette loi, ça date de 2018, à peu près
08:382017-2018, le Rassemblement National, soit s'est abstenu, soit n'était pas présent
08:46lors des votes.
08:47Donc, ils ont… Voilà, qui ne dit mot consent, en effet.
08:51Pour autant, moi, je me garderais d'avoir autant de certitude sur ce qui doit être
08:57décidé.
08:58J'avoue que j'estime ce sujet complexe.
09:01Pourquoi ? Parce qu'il y ait une culpabilité.
09:07D'accord, très bien.
09:08J'estime qu'Alexandre Devecchio a raison de rappeler qu'il y a d'autres parties
09:15qui ont été épinglées pour cela.
09:18Il y a la France Insoumise, il y a le MoDem, c'est-à-dire les petits partis.
09:21Et en effet, c'est parfaitement condamnable, à partir du moment où il y a une règle,
09:26soit on la change, soit on la respecte.
09:30Mais on ne contourne pas.
09:31Et ces petits partis ont contourné parce qu'ils avaient un problème de financement.
09:35Et dans le cas du Rassemblement National, on comprend bien, la différence immense,
09:40c'est que ça a été considéré par le parquet comme systémique, ce qui n'était
09:46pas le cas du MoDem qui bricolait.
09:48Mais pour autant, pour ma part, je trouve ça très compliqué de décider comme ça,
09:55de dire que c'est une évidence qu'il faut qu'une personnalité qui pèse à ce point
10:02dans la vie politique, soit exclue de la vie politique.
10:06Je me pose des questions, moi je ne trouve pas ça simple.
10:10Pourquoi ? Parce que certes, il y a eu visiblement infraction, il y a eu infraction grave, mais
10:18le droit peut suivre aussi son cours et on peut considérer qu'il va falloir un appel,
10:22la cassation comme d'habitude.
10:24Trouver ça normal qu'on prive Marine Le Pen potentiellement d'élections présidentielles
10:31et se dire que ça ne poserait aucun problème dans les rapports démocratiques, dans la
10:38vision que les citoyens, et en particulier ceux qui votent pour elle, auraient de l'institution
10:43judiciaire.
10:44Est-ce que ça ne fracturerait pas un peu plus la société ? Je m'interroge.
10:48Oui, évidemment que ça va fracturer la société, qu'il y aura chez les électeurs de Marine
10:53Le Pen un sentiment de deux poids deux mesures.
10:56Et ceux qui pensent qu'il y a un système en place pour empêcher tout parti n'appartenant
11:02pas au parti dominant d'arriver au pouvoir vont être confortés dans cette idée-là.
11:07Ce qui est intéressant, c'est même ce qu'il y aura après, on verra sur la justice, je
11:14vous dis juste qu'il y a une partie des électeurs, à tort ou à raison, qui pensent qu'il y
11:17a un système global et que la justice en fait partie, d'ailleurs que les juges en
11:21font partie, et donc ils se font conforter dans cette idée-là.
11:24Ce qui est vraiment inquiétant pour la démocratie, c'est ce qui arrivera après le rassemblement
11:27national.
11:28Ce que je vais vous dire, parce que des partis populaires sont d'un avis au pouvoir, on
11:30a vu que ça ne changeait pas forcément la donne, mais si les gens ne peuvent pas choisir
11:35dans les urnes, il y a toujours des risques qui choisissent dans la rue.
11:39Ça c'était pour le débat sociétal, si vous voulez.
11:42Pour le débat juridique, imaginez que les réquisitions soient suivies et qu'on appelle
11:52Marine Le Pen à une peine plus clémente.
11:54Entre les deux, il y aura eu l'élection présidentielle, qu'est-ce qu'on va dire de la justice ? Donc
11:58il est normal qu'il y ait un appel, qu'elle puisse se défendre.
12:01Ensuite, il y a le droit, mais le droit, il s'interprète.
12:04On n'est pas obligé d'appliquer des peines planchers uniquement, si vous voulez, pour
12:10Marine Le Pen non plus.
12:12Tout pose problème dans cette histoire.
12:13Il faudrait adapter un mot d'Alexandre et Jean-Michel Apatie.
12:19Les politiques ont une lourde responsabilité là-dedans, parce qu'ils ont cédé par démagogie
12:24à la pression sur la moralisation de la vie politique et la transparence.
12:27Moi je pense par exemple à l'inégibilité, surtout dans un moment où il y a une méfiance
12:31à l'égard de la justice, et c'est pas Marine Le Pen qui donne la méfiance, c'est le mur
12:35des cons qui donne la méfiance sur la justice, l'inégibilité automatique ne me paraît
12:39pas une bonne loi, si vous voulez, mais après c'est les politiques qui l'ont votée.
12:44Moi j'attache au suffrage universel, les politiques peuvent être condamnées et les électeurs choisir.
12:49Tout pose problème.
12:50Il faut adapter la loi à Marine Le Pen, pourquoi ? Parce qu'elle a été trois fois
12:53candidate à l'élection présidentielle et parce qu'elle a envie de l'être une quatrième.
12:56La pétition du Rassemblement National ne pose pas problème.
12:59Cette pression sur la justice, initiée par des responsables politiques de premier plan
13:04qui disent à la présidente du tribunal « ne faites pas ça », on a déjà vu ça dans
13:07la République.
13:08Tout pose problème dans cette histoire, et celle qui est à l'origine de tous les
13:12problèmes porte un nom, c'est Marine Le Pen.
13:15Je pense que c'est très facile de croire qu'on règle le problème des électeurs
13:19qui décident de voter Rassemblement National en disant que tout est simple.
13:24Je dis que tout est simple, je dis que tout est problème, la pétition du Rassemblement
13:28National est un problème.
13:29Les plaidoiries aujourd'hui, merci à tous les trois, Jean-Michel Apathy, Natacha Polony,
13:34Alexandre Devecchio.