Nos débatteurs du jour sont Clément Sénéchal, chroniqueur à Frustration Magazine, ancien porte-parole de l’ONG Greenpeace, et Marine Braud, associée fondatrice d’Almeda, société de conseil en transition écologique, ancienne conseillère écologie d’Élisabeth Borne. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-11-novembre-2024-8760580
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00:00Débat ce matin sur la COP29 qui démarre à Bakou en Azerbaïdjan, Patrick Cohen le
00:05rappelait dans son édito tout à l'heure, une trentaine de personnalités politiques
00:10de tous bords appellent en France au boycott de cette COP, une honte organisée par un
00:20régime autocratique, pollueur et corrupteur.
00:24Autre élément de contexte, les données publiées par Copernicus qui indiquent que 2024 pourrait
00:33être la première année où la moyenne des températures dépasse 1,5 degré par rapport
00:39au niveau pré-industriel, la situation est grave, ce n'est même plus la peine de le
00:44souligner.
00:45Mais après le semi-échec de la COP biodiversité, que peut-on attendre de la COP de Bakou et
00:54de la diplomatie climatique en général ? On va en débattre ce matin avec Marine Brault,
00:59bonjour, associée fondatrice d'Alameda, société de conseil en transition écologique,
01:06ancienne conseillère écologie d'Elisabeth Borne et Clément Sénéchal, bonjour, vous
01:12êtes chroniqueur à Frustration Magazine, ancien porte-parole de l'ONG Greenpeace et
01:18l'auteur de « Pourquoi l'écologie perd toujours » qui vient de sortir aux éditions
01:22du Seuil.
01:23Merci d'être au micro de France Inter, j'ajoute pour que le tableau soit complet que Donald
01:29Trump, qui était sorti de l'accord de Paris quand il était président, a d'ores et déjà
01:34dit qu'il en sortirait à nouveau s'il était réélu, voilà, c'est le cas, un mot pour
01:40commencer rapidement sur ce sujet, la diplomatie climatique sans les Etats-Unis, Marine Brault,
01:46c'est une catastrophe ? Quand Donald Trump était sorti de l'accord de Paris en 2017,
01:54on avait craint à une catastrophe et en fait c'est plutôt l'effet inverse qui s'était
01:58produit, c'est-à-dire qu'il y avait eu un élan de solidarité entre les Etats et
02:02aussi les entreprises, exactement pour dire « malgré tout on y arrivera », c'était
02:06le fameux « make our planet great again » qu'avait lancé Emmanuel Macron.
02:10Aujourd'hui le monde a changé, on n'est pas au même moment et il est possible que
02:14certains Etats prennent ça comme un argument pour dire « si les Etats-Unis qui représentent
02:20environ 15% des émissions mondiales n'y vont pas, je ne vois pas pourquoi nous on
02:24y irait ». Et c'est l'effet boule de neige qui est à craindre derrière qui peut
02:27être un souci.
02:28Clément Sénéchal, Trump a promis de tout faire pour creuser, fracturer, pour avoir
02:33de l'énergie bon marché, vous prenez la promesse au pied de la lettre, ce sont de
02:39mauvaises années pour l'environnement qui se profilent ?
02:42Oui, cette élection de Donald Trump est bien évidemment dramatique, mais les négociations
02:46climatiques n'ont pas attendu cet événement lugubre pour être dans l'impasse.
02:50On est à la COP 29, c'est-à-dire la 29ème COP, donc ça fait quasiment 30 ans qu'on
02:53discute du sujet et que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d'augmenter
02:59et les températures avec.
03:00Moi ce qui m'inquiète beaucoup plus, c'est la décision de la Papouasie, un Etat insulaire
03:04et vulnérable, de boycotter cette conférence cette année.
03:08Expliquez-nous pourquoi ?
03:10Parce que c'est un Etat qui est au premier rang du réchauffement climatique, et donc
03:15ça veut dire que non seulement ces négociations sont inefficaces, mais elles ne sont même
03:18plus un motif d'espoir pour les premiers concernés.
03:21Et ça tient à trois raisons, la première c'est que l'accord de Paris est un mauvais
03:24accord, contrairement à ce que nous avaient vendu les ONG, c'est-à-dire que dans sa
03:27rédaction, dans son architecture juridique interne, il ne prévoit pas de mécanismes
03:32de sanctions suffisants et donc de contraintes sur les états membres, donc c'est comme essayer
03:36un petit peu de contenir la marée du réchauffement climatique avec une passoire.
03:39Le deuxième problème, c'est le format des COP lui-même, aujourd'hui elles sont envahies
03:43de bataillons entiers de lobbyistes qui viennent pourrir les négociations, qui viennent répandre
03:48du conflit d'intérêts un petit peu partout, et donc on a des COP qui ressemblent de plus
03:52en plus à des foires commerciales où les élites viennent faire des affaires, et je
03:55rappelle que l'année dernière on avait Patrick Pouyanné, le patron de Total Energy, qui était
03:59dans les bagages de la ministre de l'énergie Agnès Pannier-Rounacher.
04:04Et le troisième aspect problématique, c'est que ces COP servent de vitrine, aujourd'hui,
04:10à des régimes autocratiques, Petro-Gazier, c'était le cas il y a deux ans en Égypte
04:15avec le régime du général Sisi, c'était le cas l'année dernière avec les Émirats
04:19Arabes Unis, et c'est le cas cette année avec l'Azerbaïdjan qui a envahi le Karabagh
04:23il n'y a pas si longtemps avec possiblement des crimes de guerre à la clé, et donc ces
04:28régimes-là se refont une virginité sur le dos du climat, donc je considère qu'aujourd'hui
04:33la seule attitude responsable des écologistes c'est effectivement une position de boycott
04:38qui soit fière.
04:39Prenons les choses une par une, sur l'accord de Paris et la critique radicale que vous
04:43en faites, un mauvais accord, qui est pourtant reconnu comme le modèle type de l'accord
04:49réussi.
04:50Marine Brault, que répondez-vous à Clément Sénéchal ?
04:54Alors, on peut voir le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein.
04:57Est-ce que l'accord de Paris est suffisant ? Est-ce qu'aujourd'hui on est sur la trajectoire
05:01de la neutralité carbone ? La réponse est non, ça c'est vrai.
05:04Par contre, quand l'accord de Paris a été signé en 2015, le monde était sur une trajectoire
05:10de réchauffement de 4,2 degrés à la fin du siècle.
05:13Aujourd'hui, on est sur une trajectoire de réchauffement de 3,1 degrés à la fin du
05:18siècle.
05:19C'est insuffisant, c'est sûr, on n'est pas sur la trajectoire des 2 degrés voire
05:22moins.
05:23Mais par contre, on ne peut pas dire que ça a été totalement inefficace, c'est-à-dire
05:26qu'aujourd'hui il y a des politiques qui ont été enclenchées parce que le monde
05:29s'est mis en branle autour de l'accord de Paris, qui fait qu'on a drastiquement réduit
05:35le réchauffement qu'on imagine d'ici la fin du siècle.
05:38Et ça, 3,1 degrés, c'est juste la poursuite des politiques actuelles.
05:42Et il y a des craintes, notamment, vous l'avez dit, par rapport à l'élection de Trump.
05:46Mais si on prend en plus les engagements des différents États, si on imagine qu'on vit
05:51dans un monde où les États font ce qu'ils se sont engagés à faire, on peut tenir les
05:561,9 degrés.
05:57Est-ce qu'on peut imaginer ça ? Un monde où les États font ce à quoi ils s'engagent.
06:04C'est vrai que l'accord de Paris ne prévoit pas de sanctions.
06:07Pourquoi ? Parce qu'en fait, si on avait essayé de mettre des sanctions dans le texte
06:10en 2015, tout bêtement, on n'aurait pas eu d'accord parce que les États ne se seraient
06:13pas mis d'accord.
06:14On rappelle quand même que l'accord de Paris, c'est 197 États qui se mettent d'accord
06:19sur un mécanisme qui permet d'essayer de limiter le réchauffement climatique à 2
06:24degrés.
06:25Un autre point que soulevait Clément Sénéchal, le fait que ces COP soient devenus de grandes
06:32foires commerciales qui regroupent les jet-setters du climat, comme vous le dites par ailleurs.
06:40Ça, comment le recevez-vous Marine Brault ?
06:43Eh bien pareil, on peut voir aussi le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein.
06:47Aujourd'hui, ces COP sont des endroits où tout le monde doit aller.
06:52Effectivement, on doit être allé à la COP, sinon on n'est pas sérieux sur ce qu'on
06:55fait sur le climat.
06:56Après, attention, à la COP, et je vais rentrer un tout petit peu dans la technique
07:00onusienne, il y a ce qu'on appelle la zone bleue où se négocient les textes et la zone
07:04verte qui est la fameuse foire dont parlait Clément Sénéchal avec effectivement des
07:09stands où chacun présente ce qu'il fait, ça ressemble aux différents salons que certains
07:14peuvent connaître.
07:15Mais les lobbyistes ne rentrent pas dans les salles de négociation.
07:19Aujourd'hui, les salles de négociation sont quand même des salles avec des diplomates
07:24de chaque Etat qui négocient les textes.
07:27Il ne faut pas imaginer que Patrick Pouyanné était dans une salle de négociation avec
07:31les négociateurs français quand bien même il était dans la délégation.
07:34Clément Sénéchal sur ce point, sur le fait qu'il y a des barrières au fond entre…
07:40Non, il n'y a pas de barrières.
07:43C'est-à-dire que…
07:44Le côté commercial et le côté strictement diplomatique…
07:46Il n'y a pas de barrières.
07:47Les lobbyistes sont là, ils produisent l'intelligence qui permet de positionner les Etats derrière.
07:51Parfois, ils président même les COP.
07:53Je veux dire, le président de la dernière COP, il était aussi patron d'une compagnie
07:56pétrolière.
07:57Donc, les lobbyistes sont au pouvoir en général aujourd'hui.
08:00Un autre problème, c'est qu'on est déjà sur une trajectoire là, on est à plus 1,2
08:04degrés.
08:05On n'arrive déjà pas à s'adapter.
08:07C'est-à-dire qu'il y a eu des morts à Valence en traversant la rue il n'y a pas
08:10si longtemps à cause des inondations massives.
08:12En France, il y a un million et demi de logements qui sont en zone inondable.
08:15Il y a toute la Corne de l'Afrique qui est frappée par des sécheresses et des famines.
08:19On parle de centaines de milliers de personnes déplacées.
08:22Donc, le réchauffement climatique, il est déjà là.
08:23En fait, ni la COP ni l'Accord de Paris n'ont réussi à le contenir.
08:28Une trajectoire à plus 3,5 degrés, c'est complètement lunaire de considérer que ça
08:34peut être relativement positif.
08:36C'est un échec qui est majeur et aujourd'hui, il faut repenser complètement la diplomatie
08:40climatique.
08:41On reprend ça comment ? Quel modèle alternatif pour la diplomatie climatique ?
08:48Alors déjà, je pense qu'il faut se garder l'illusion de croire que c'est précisément
08:51la diplomatie climatique qui va régler le problème.
08:54Le ravage écologique, c'est d'abord une question économique.
08:57Donc là, l'urgence, c'est de sortir du paradigme néolibéral qui considère l'écosystème
09:01comme un gisement de marchandises inépuisable, davantage qu'une entité à préserver.
09:07Ensuite, il faut le rapport de force diplomatique qui dépend du rapport de force domestique.
09:11C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a besoin, au sein des États, de forces écologiques
09:15et sociales qui s'emparent des leviers législatifs, exécutifs et donc diplomatiques.
09:19Ça, ça se joue dans les urnes !
09:22Absolument !
09:23Et au niveau diplomatique, je pense que pour que l'écologie gagne dans les urnes, il
09:31faudrait peut-être un petit peu abandonner l'écologie d'opportunisme qui a été
09:34pratiquée par les professionnels de la cause ces dernières années.
09:38Et enfin, je pense qu'il est temps de poser sur la table le fait qu'on a besoin d'un
09:41nouvel accord sur le climat.
09:43Je pense qu'on a besoin de réformer complètement l'espace onusien dédié au climat et peut-être
09:48de développer aussi une diplomatie alternative qui soit économique et commerciale, qui
09:53soit conduite par les États les plus progressistes et qui se mettent au service réellement des
09:58États les plus vulnérables.
09:59Et donc, une diplomatie qui soit courageusement décoloniale.
10:03Qu'en pensez-vous Marine Braud ?
10:07Je vais être très claire, moi je pense qu'on n'a pas le temps et on n'a pas le luxe
10:12d'attendre le grand soir pour faire la transition écologique.
10:15Donc on n'a pas le luxe d'attendre qu'effectivement tous les États aillent bouger, que le système
10:21libéral se soit effondré.
10:22En fait, il faut qu'on avance aujourd'hui, on le dit en permanence, les prochaines années
10:26vont être cruciales pour le climat.
10:27Effectivement, passer de 4,2 à 3,1, c'est un début.
10:32Ça n'est pas suffisant, ça n'est pas suffisant du tout, il faut accélérer.
10:36Mais ça démontre bien qu'on est sur un système qui commence à produire des effets.
10:40L'enjeu, ce n'est pas comment est-ce qu'on détruit ce système-là, l'enjeu c'est
10:44comment est-ce qu'on le renforce et comment est-ce qu'on fait en sorte qu'avec ce
10:47système amélioré, on réussisse à atteindre nos objectifs.
10:51Parce qu'on peut se dire que le monde est foutu et qu'on va tous mourir.
10:55Et d'ailleurs, spoiler alert, on va effectivement tous mourir un jour.
10:58Et il y a déjà des gens qui meurent, tout à fait, l'adaptation est un sujet clé.
11:03Mais cette peur en fait, qui peut servir de moteur pour certains, cette peur, elle peut
11:09aussi avoir deux conséquences.
11:11La première, c'est le côté « oh foutu pour foutu, vivons, brûlons la chandelle
11:15par les deux bouts, et ça clairement on va dans le mur climatique ». Et l'autre,
11:18c'est l'éco-anxiété, c'est des gens qui sont paniqués par leur avenir et qui
11:22ne peuvent rien faire, c'est la biche dans les phares d'une voiture.
11:25Et je pense qu'on a besoin d'avoir ces petites lueurs d'espoir, de voir qu'il
11:29y a des choses qui commencent à se faire, parce qu'on a besoin de cette petite lueur
11:35d'espoir pour s'accrocher et pour avancer.
11:37Dernière question Clément Sénéchal, vous y croyez encore, je veux dire au sens d'une
11:44action possible, je ne demande pas une croyance, pensez que les leviers d'action peuvent
11:50être inventés, réinventés, et que le combat peut être plus efficacement mené que là,
11:58dans le cadre de ces COP ?
11:59Oui, moi je suis plutôt pessimiste et assez réaliste, pour autant je ne parle pas de
12:05grands soirs, c'est souvent mes interlocuteurs qui sont obsédés par cette formule.
12:08Là je parle simplement de prendre le pouvoir par les urnes, de manière extrêmement démocratique,
12:13sur des bases populaires, et je pense qu'il faut réformer le logiciel de l'écologie
12:18dominante.
12:19Aujourd'hui on a une écologie bourgeoise qui est davantage mise au service des classes
12:23populaires, et je pense que si on parvient à inverser un petit peu cette donne là,
12:28on peut avoir des progrès sociaux et écologiques majeurs.