Lorsque qu'Emile Soleil, deux ans et demi, disparaît de son hameau des Alpes-de-Haute-Provence, toute la presse s'émeut. Mais elle déchante rapidement : ses parents sont des catholiques traditionalistes adhérent à des groupes très ancrés à droite, et son grand-père a officié à Riaumont, un institut qui comprenait une maison de correction. Il a été entendu comme témoin assisté dans une affaire de violences, sans qu'aucun élément ne vienne attester sa culpabilité. Tout cela exclurait-il la famille d'Emile du champ des citoyens "ordinaires" ?
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00:00 Non, non, Richard Millet n'est pas mort, il a pourtant été médiatiquement assassiné
00:15 en 2012.
00:16 Jusque là, on le voyait encore un peu sur les plateaux de télévision.
00:20 De moins en moins, fréquemment, il est vrai.
00:23 Depuis, plus rien.
00:25 Du noir sur fond noir.
00:27 Bref, on l'a débranché d'un clic ou d'un quick, comme la guillotine.
00:31 De l'assassinat considéré comme un des beaux arts, disait l'écrivain britannique
00:36 Thomas de Quincy.
00:37 Si encore c'était vrai.
00:39 Mais les assassinats politiques ne sont jamais beaux.
00:42 Ils sont l'oeuvre de sectionnaires hargneux et de tricoteuses effrontées.
00:47 La vôtre de tricoteuse s'appelle Annie Ernaud, Harpie Ernaud, transfuge de classe,
00:54 qui joue à causette dans les salons de la Mélenchonnie et qui vous a, il y a un peu
00:58 plus de dix ans, cloué aux pylories avec la bénédiction du monde médiatique et du
01:03 monde littéraire.
01:04 Au fond, cher Richard Millet, c'est un lieu commun qui vous a tué.
01:07 Un lieu commun qui a reçu en 2022 le prix Nobel de littérature.
01:11 Je veux parler d'Ernie ou d'Annie Ernaud.
01:14 Et si j'évoque les lieux communs, c'est que vous venez de leur consacrer votre dernier
01:18 livre, Nouveau lieu commun, exégèse exorcisme, aux éditions de la Nouvelle Librairie, où
01:24 nous sommes.
01:25 Après Flaubert et son dictionnaire des idées reçues, ou des idées chics, peu importe,
01:30 après Léon Bloy et son exégèse des lieux communs, après Jacques Ellul, après Philippe
01:35 Muray, vous vous aventurez à votre tour dans cet énorme trou noir qui dépasse la seule
01:40 bêtise fut-elle pourvue d'une majuscule pour l'élever au rang de type, on ose dire
01:46 d'idéal, sinon même d'anti-idéal.
01:49 Il faut dire qu'une mise à jour s'imposait.
01:51 La voici donc sous la forme de 300 nouveaux lieux communs, 300 tartes à la crème, servies
01:56 par un cuisinier d'exception.
01:58 Elle se dévore d'un coup, sans reprendre son souffle, dans un état de frénésie,
02:03 de nervosité, d'euphorie, comme porté par la sainte colère qui anime l'auteur
02:08 de bout en bout de son livre.
02:10 Richard Millet, bonjour.
02:11 Alors nous vous recevons dans la Nouvelle Librairie pour ce nouveau livre.
02:16 Je trouve que c'est un livre qui vous manquait, qui manquait à votre bibliographie, étreindre
02:20 la bêtise avec un B majuscule, étreindre le conformisme, comment l'appeler d'ailleurs,
02:25 bêtise, conformisme, on va y revenir.
02:27 Comment donc étreindre ces lieux communs comme totalité, comment dresser la phénoménologie
02:32 pour en accoucher l'ontologie ? Pour cela, il ne fallait pas écrire un essai, mais un
02:36 inventaire me semble-t-il.
02:38 Et il fallait que cet inventaire soit incendiaire comme Léon Bloy, un de vos modèles, devant
02:43 le bazar de la charité en feu, il y a plus d'un siècle de cela.
02:46 D'ailleurs, comment peut-on réunir ces deux mots, bazar et charité ? Quels sont les
02:50 points communs entre ce 19e siècle qui vous est cher et cet auteur en particulier, Léon
02:54 Bloy, et vous aujourd'hui ?
02:56 On peut dire qu'il y a une permanence de la bêtise, la bêtise se métamorphose et
03:04 donc il était urgent de dresser un peu l'état de ce qu'elle suscite et ce qui produit aujourd'hui.
03:09 Bon, Léon Bloy, je ne vais pas me comparer à lui, c'est écrasant par certains côtés,
03:14 mais par d'autres, c'est un frère, donc après tout, pourquoi pas ? Il a déblayé
03:18 beaucoup des porcheries, comme vous le savez.
03:21 La porcherie d'aujourd'hui, les écuries d'Augeas sont très très encombrées et elles
03:27 sont très encombrées par des gens qui sont au coup très parfumés.
03:30 C'est ça au fond qui caractérise notre époque, c'est-à-dire que le port du 19e siècle,
03:35 c'est-à-dire ce que Bloy appelait le bourgeois, est devenu le petit bourgeois planétaire
03:40 aujourd'hui.
03:41 C'est même de toute façon pire parce qu'il est partout et il se drape dans une vertu
03:48 parfumée qui est quand même abjecte.
03:52 Donc, comme disait Jouando, qui a écrit un traité, de l'abjection, allons au cœur
04:01 de l'abjection.
04:02 Et l'abjection aujourd'hui, elle est redoutable parce qu'elle n'a pas l'air de ce qu'elle
04:07 est.
04:08 Vous voyez, les lieux communs, si vous les lisez comme ça, quelques-uns, ils n'ont
04:12 l'air de rien.
04:13 Club très fermé, par exemple.
04:14 Ça vous a plu ?
04:16 Oui, bon, l'été indien, c'est très gentil.
04:20 On est dans un monde presque de bisounours et de jantes d'âme.
04:26 En réalité, derrière tout ça se cache une machine terrifiante à desserveler, à subvertir,
04:32 à remplacer et à révolutionner ce qui n'a pas lieu d'être.
04:37 Le lieu commun comme politique ? Le lieu commun comme idéologie ? Le lieu commun comme slogan ?
04:41 Le lieu commun est politique.
04:43 Aujourd'hui, il est politique.
04:44 Mais la différence, il y a d'autres grands devanciers.
04:48 On évoquait Lombois, mais le maître, si je puis dire, en tout cas, est ce l'être,
04:52 c'est Flaubert et son dictionnaire des idées reçues que j'évoquais en introduction.
04:56 Flaubert, regardez bien ce qu'il dit.
04:59 Par exemple, Madame Bovary, livre, Mœurs de province, c'est le sous-titre.
05:03 Condamnation par le tribunal du second empire, etc.
05:07 Pourquoi ? Parce qu'il y a des scènes de cul dans… Non, non, pas du tout.
05:11 Parce que c'est un livre d'une férocité, d'une ironie envers la bourgeoisie de son époque.
05:19 Regardez le personnage le plus ridicule aujourd'hui et le plus emblématique de Madame Bovary.
05:25 Ce n'est finalement pas tout à fait Madame Bovary.
05:27 C'est son mari, c'est le pharmacien.
05:28 C'est le pharmacien Omé, progressiste, qui vient de recevoir la Légion d'honneur.
05:33 C'est la dernière phrase de Madame Bovary.
05:36 Vous voyez, aujourd'hui, le monde est gouverné par les Omés.
05:40 En France, tout le monde, dans l'édition par exemple, ce sont des Omés avec des Bovary.
05:46 Au fond, Madame Bovary a épousé Omé aujourd'hui.
05:49 C'est ça qui est fabuleux.
05:50 Donc il s'agit d'aller voir qu'est-ce que c'est que ce mariage avant les divorces,
05:54 avant les transformations sexuelles, avant tout ce que vous voulez.
05:57 Qu'est-ce que c'est que ce mariage ? Il est là-dedans.
05:59 C'est dans les lieux communs.
06:00 – Alors Madame Bovary, c'est Annie Ernaud, par exemple ?
06:03 – Non, c'est faire trop d'honneur à Annie Ernaud.
06:05 – Non, Madame Bovary, un côté tragique, c'est mieux qu'Annie Ernaud.
06:08 – Elle finit mal, elle finit mal, tandis qu'elle finit bien Annie Ernaud
06:11 puisqu'elle finit par obtenir le Nobel.
06:13 – C'est vrai, elle a obtenu le Nobel.
06:14 – Une petite objection néanmoins à Richard Millet,
06:16 c'est que la bêtise au 19ème siècle, elle a un B majuscule, elle est triomphante,
06:21 c'est l'avènement du bourgeois avec toujours la majuscule,
06:24 évidemment Baudelaire, Flaubert, que nous évoquions, Blois, mais quantité d'autres,
06:31 restent néanmoins, je trouve, à un siècle de distance,
06:33 sinon même un peu plus, 150 ans de distance,
06:35 elles restent quand même un petit peu sympathiques.
06:38 En tout cas, elle est drôle, en tout cas, elle prête à sourire,
06:40 en tout cas, elle a des ridicules, au sens où M. Jourdain chez Molière
06:43 avait des ridicules qui nous font rire, et qui nous font toujours rire.
06:46 Ils ont tendance, ils se sont estompés ces ridicules.
06:50 Elle est beaucoup moins drôle, désormais, cette néobourgeoisie.
06:53 – Ce n'est pas drôle du tout, parce qu'aujourd'hui,
06:58 l'ironie est une chose qu'on ne comprend plus,
07:02 la judiciarisation du discours médiatique, même littéraire, est permanente,
07:08 la 17ème chambre est au bout du couloir,
07:10 chambre correctionnelle du tribunal Paris,
07:13 ne vous aventurez pas trop à critiquer ouvertement X, Y, Z,
07:18 vous voyez très bien ce qui peut se passer.
07:20 Donc au fond, la bêtise aujourd'hui est vertueuse,
07:23 et c'est en cela qu'elle est beaucoup plus redoutable.
07:25 – Et est-ce qu'on peut préciser, donner une définition de ce terme "lieu commun",
07:30 qu'est-ce que vous mettez derrière cette notion de "lieu commun",
07:33 est-ce que c'est le poncif, est-ce que c'est encore autre chose ?
07:35 – C'est le poncif, mais c'est un poncif qui est devenu un automatisme langagier
07:40 dont on ne se rend plus compte en l'utilisant.
07:44 Et comme, contrairement à l'époque de Flaubert et de Blois,
07:48 la presse est devenue triomphale et triomphante,
07:52 et les médias et les réseaux sociaux le sont encore plus,
07:56 on a affaire à des choses qui sont beaucoup plus rapides.
07:58 Donc l'ennemi est métamorphique, partout, changeant, inattendu,
08:07 donc ces lieux communs sont partout ubiquitaires, si j'ose dire.
08:13 Et donc il faut faire attention, on est en faute dans une guerre,
08:16 non pas de position, mais d'une guerre à l'arme légère,
08:20 et je connais bien ça puisque… – Liban ?
08:23 – Liban, et donc c'est une guerre extrêmement difficile.
08:28 Ça a l'air très sympathique, on peut très bien faire une soirée
08:32 comme ça sur les lieux communs, rigoler en lisant quelques extraits,
08:36 vous voyez, un peu comme il y a 40 ans,
08:38 on lisait "Les frustrés" de Claire Bretécher dans "Le Nouvel Observateur".
08:41 C'était très féroce aussi, mais c'était entre soi,
08:44 c'est-à-dire c'est des gens de gauche qui se moquaient des gens de gauche.
08:46 Là c'est tout à fait différent, nous sommes peu à nous intéresser
08:49 aux lieux communs, du moins à cette lecture des lieux communs,
08:54 cette lecture politique, et donc si vous voulez,
08:57 si on oublie que le lieu commun ce n'est pas seulement
08:59 un petit truc amusant dans le langage, mais c'est un effet de langage
09:04 qui, comment dirais-je, a une valeur politique, idéologique,
09:08 là c'est une autre paire de manches.
09:11 – Ce qui n'est pas le cas, alors c'est le cas, on évoquait
09:13 M. Aumé, le pharmacien de Mme Bovary, on pourrait parler
09:15 de Bouvin-Répicuchet, encore que dans Bouvin-Répicuchet
09:18 il y a une dimension grotesque.
09:19 – Oui.
09:20 – Mais chez Flaubert, moi je reviens au dictionnaire des idées reçues
09:23 ou des idées chics, peu importe, la portée politique est assez dérisoire,
09:30 il ne fait que relever des tigres de langage, pour ainsi dire.
09:33 – Oui, moi aussi je relevais des tigres de langage.
09:34 – Pas seulement, vous cherchez derrière le tigre de langage,
09:38 le message politique.
09:42 – Flaubert cherchait ça aussi, mais à l'époque disons que c'était moins…
09:49 c'était compliqué pour Flaubert si vous voulez,
09:50 parce qu'il était quand même l'ami de la princesse Mathilde,
09:53 donc il était plus ou moins dans la cour, la commune lui faisait horreur.
10:00 – Mais disons…
10:01 – Baudelaire, pardon, je coupe François, excusez-moi,
10:04 si vous lisez par exemple les journaux, les carnets intimes de Baudelaire,
10:07 vous voyez que c'est tout à fait inacceptable aujourd'hui,
10:09 on publierait ça aujourd'hui.
10:11 – On parle des fusées, le bon cœur Moussani, les textes phénoménaux de Baudelaire.
10:16 – C'est prodigieux mais…
10:17 – Ce sont des textes qui vous foutent droit sur place.
10:20 – Foutent droit sur place et je pense qu'aujourd'hui ça irait au tribunal.
10:24 – Oui, de toute façon même il ne pourrait nous faire paraître
10:26 que de manière posthume et encore.
10:27 – Oui, exactement.
10:29 – Mais si j'insiste autant là-dessus, c'est qu'il me semble qu'à notre époque,
10:33 les sujets sont incommensurablement plus riches,
10:35 le wokisme, le racialisme, l'indigénisme, le néo-progressisme,
10:41 le néo-néo-néo-post-féminisme, la théorie du genre.
10:45 – Oui, bien sûr, mais tout ça s'est rassemblé quand même sous un label
10:49 qui est le wokisme et ce que vous évoquez c'est des petites sections,
10:54 je suis d'accord avec vous, le problème aujourd'hui c'est que c'est planétaire
10:57 et avec des moyens que n'avaient pas probablement
11:01 les journalistes de l'époque de Flaubert.
11:03 Donc effectivement vous avez à peu près la moitié des universités occidentales,
11:06 sinon les deux tiers qui sont converties au wokisme,
11:09 la presse n'en parlant pas c'est pareil,
11:12 là effectivement on a affaire à une vague de fonds qui est considérable.
11:16 Mais je me méfie d'abord de l'effet de mode qu'il y a là-dedans
11:22 et deuxièmement, ce qui m'inquiète le plus que la mode
11:27 c'est que tout ceci est lié à la sexualité.
11:31 C'est-à-dire que le fer de lance du wokisme c'est l'homosexualité,
11:36 disons bien les choses comme elles sont,
11:38 or l'homosexualité est à l'heure actuelle,
11:41 comme dirait Giscard d'Estaing, lieu commun,
11:46 le lobby le plus puissant parce que international.
11:50 Il ne s'agit pas pour moi de juger ou de ne pas juger, le problème n'est pas là.
11:54 Je vois qu'il y a un lobbying homosexuel un peu partout
11:59 qui fait qu'il est difficile de s'attaquer à ce problème
12:03 parce que vous risquez de blesser des individus et non plus une idéologie.
12:07 Et pourtant il y a une idéologie aussi homosexuelle qui fait partie du wokisme.
12:11 Vous voyez, c'est extrêmement difficile, complexe et ambigu.
12:14 D'accord, il y a également l'indigénisme.
12:17 Alors l'indigénisme c'est pareil,
12:18 nous sommes dans la culpabilisation de l'Occident à 100%.
12:22 Je disais il y a deux jours que l'historien noir prétendait que
12:26 l'esclavage des Noirs par les Arabes était moins important,
12:31 moins donc plus excusable que l'esclavage des Noirs par les Blancs.
12:36 C'est peut-être Obiras ça.
12:38 Du reste, pour rester sur ce sujet-là, vous avez un lieu commun,
12:41 est-ce que vous pouvez nous en dire un petit mot ?
12:43 Cléopâtre était noir ou Cléopâtre est noir.
12:46 Qui a des prolongements actuels ?
12:47 Parce que si vous me permettez, le moteur de recherche,
12:50 enfin non, le générateur d'images,
12:52 donc d'intelligence artificielle de Google, Gemini,
12:55 nous a montré qu'en effet, non seulement Cléopâtre est noir,
12:58 mais Hitler était noir aussi.
13:00 Le pape Pidius, Pidis, Pions, Pidouze, le pape François est noir.
13:05 Les soldats allemands de la Deuxième Guerre mondiale sont noirs.
13:07 Moi je suis noir.
13:09 Cléopâtre est noir, c'était vraiment la parfaite image.
13:12 Disney, je crois que c'est Disney ou Netflix,
13:15 a déclaré qu'on ne pouvait pas exclure cette reine de la négritude,
13:21 donc faisons-en une Noire.
13:23 Simplement, ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que les Égyptiens,
13:26 quand même elles étaient égyptiennes, ne supportent pas ça,
13:29 parce que pour eux, les Égyptiens ne sont pas des Noirs,
13:32 ce sont des Arabes.
13:34 Donc des...
13:35 C'est une offense.
13:36 Ah mais véritablement.
13:37 Et ils se sont avisés, je crois qu'il y a eu une exposition,
13:39 je ne sais plus où, en Hollande,
13:41 qui s'était avisée de faire Nefertiti, elle aussi,
13:43 dont on voit bien quand même au musée de Berlin que ce n'est pas une Noire,
13:46 c'est une femme sublimement blanche,
13:48 donc ils l'ont négrifiée, si je puis employer ce néologisme,
13:52 et les Égyptiens ont coupé les vivres de cette association
13:56 qui avait organisé l'exposition.
13:58 Donc vous voyez, là on n'est pas entre Blancs et Noirs,
14:01 là on est entre Égyptiens et Disney, le wokisme, etc.
14:06 - Entre deux minorités, pour nous, vues sous le prisme du wokisme.
14:12 - Donc si vous voulez, les Égyptiens ont parfaitement raison,
14:13 ils disent "nous sommes Égyptiens, donc nous sommes maîtres de notre destin,
14:17 donc les clopates n'étaient pas Noirs."
14:19 Point final.
14:20 Donc ça veut dire quoi ?
14:21 Ça veut dire qu'on est en train de tripatouiller la réalité
14:24 de la même façon qu'on tripatouille les gènes,
14:27 et que les lieux communs ont en partie lié avec cette métamorphose,
14:32 cette réalité de remplacement qu'on essaie de mettre en place,
14:36 qu'on met en place d'ailleurs, à grand frais, mais ça marche.
14:40 - Il y a du reste, il y en a 300, lieux communs.
14:43 Il pourrait y en avoir 3000, mais 300 c'est déjà beaucoup,
14:46 c'est assez exhaustif, c'est un échantillonnage assez exhaustif.
14:51 Il y a un lieu commun que vous traitez, c'est la question du prénom.
14:54 Le prénom a été modifié, et quand j'ai lu l'entrée,
14:59 le prénom a été modifié, donc c'est une entrée d'un nouveau lieu commun
15:01 que vous épinglez, c'est l'univers qui a été remplacé.
15:07 C'est l'homme qui a été remplacé par la femme,
15:09 c'est le blanc qui a été remplacé par le noir, tout a été remplacé.
15:12 On est vraiment dans l'univers du faux.
15:14 - Absolument. À partir du moment où vous faites disparaître le mâle blanc,
15:17 hétérosexuel et si possible catholique ou juif,
15:21 là, nous disent ces gens-là, nous respirons beaucoup mieux,
15:26 nous sommes dans une réalité transformée et nous respirons beaucoup mieux
15:29 puisqu'il n'y en a plus le méchant, le méchant qui...
15:31 Vous voyez, et ça marche. Le problème, c'est que ça marche.
15:36 - Est-ce que vous diriez du lieu commun que c'est presque l'inconscient collectif
15:41 d'une société qui nous traverse ?
15:44 - Oui, il y a quelque chose de ça, effectivement.
15:47 - Donc si on veut savoir de quoi caler la racine presque,
15:50 je ne veux pas dire religieuse, mais ça a quasiment une dimension religieuse.
15:55 Je parlais d'anti-idéal, ce sera du reste une de mes questions,
15:58 puisque Léon Blois, je le rappelle, mais comme vous,
16:01 fait une exégèse des lieux communs.
16:02 Vous, vous faites non seulement une exégèse,
16:03 donc il y a une dimension religieuse, de l'herméneutique religieuse,
16:08 mais ensuite, après le lieu commun, il y a l'exorcisation.
16:11 - L'exorcisme, oui.
16:15 Bon, le catholique que je suis a besoin de voir là où Satan agit.
16:20 Donc il agit partout en ce moment, parce que tout ça, pour moi,
16:23 il y a deux lectures. Il y a cette lecture anthropologique du lieu commun
16:27 avec l'idéologie et tout ça, mais il y a aussi derrière un satanisme qui s'exerce.
16:32 Et effectivement, l'exégèse et l'exorcisme, ils sont de pair pour moi.
16:36 L'exégèse, c'est dans le langage, l'exorcisme aussi, mais je vous dis,
16:40 par exemple, nous ne sommes pas loin ici, dans la station de RER.
16:45 - Sixième arrondissement. - Sixième arrondissement,
16:46 la station de RER, Luxembourg.
16:48 Vous descendez dans cette station, vous avez une gigantesque photo
16:52 sur le mur qui doit être 50 mètres sur 30 mètres de surface.
16:57 Regardez bien la pixelisation de cette photo gigantesque.
17:01 Qu'est ce que vous apercevez ? Une sorte de mouche, de mouche gigantesque.
17:06 Et j'étais avec une amie l'autre soir, je lui ai dit, regarde,
17:07 le seigneur des mouches est là.
17:09 Et effectivement, c'est un côté terrifiant, un côté satanique.
17:12 En me dire que je délire, je ne délire pas du tout,
17:14 parce que les signes m'occupent depuis toujours.
17:17 Les signes photographiques, les signes écrits, tous les signes m'intéressent.
17:21 Vous voyez, on est dans un monde, me semble-t-il,
17:27 où le langage est en train d'être épuré.
17:32 Et la meilleure manière d'épurer le langage, c'est d'enlever les mots qui ne plaisent pas.
17:36 Par exemple, le mot "race" est épouvantable, donc on l'enlève,
17:39 même si les autres races revendiquent leur...
17:42 Vous voyez, les lieux communs triomphent parce que c'est du prêt-à-penser aussi très facile.
17:51 Et la religiosité, et non pas la religion, se cache derrière tout ça.
17:57 Et quand on parle de religiosité et d'idéologie,
17:59 je vous dis, Satan n'est pas très, très loin lui non plus.
18:04 Léon Blanc ne me contredirait pas non plus, vous voyez.
18:07 - Ni non plus Orwell, si vous permettez, avec la question de la neuve langue.
18:13 - Orwell, bien sûr, mais je pense que Orwell disait, et ça, vous faites bien de le rappeler,
18:19 Orwell disait, à partir du moment où la langue se déconstruit,
18:23 non pas est déconstruite, mais se déconstruit, se délite,
18:27 tous les totalitarismes pointent leur nez.
18:30 Et effectivement, c'est très facile.
18:33 Regardez, l'éducation nationale n'enseigne plus le français,
18:37 n'enseigne plus rien d'ailleurs, mais notamment le français.
18:41 Donc, ces élèves qui arrivent au bac sans savoir l'orthographe ni rien du tout,
18:48 sont parlés par les médias.
18:50 Et quelle est la meilleure façon de parler, de faire parler ou d'être parlé ?
18:55 C'est d'utiliser les lieux communs.
18:57 C'est-à-dire ces réflexes psittacistes, c'est-à-dire de perroquets,
19:00 par lesquels on répète ce qu'on entend.
19:03 Qui sont les vrais maîtres de la langue aujourd'hui ?
19:05 Ce sont les journalistes, les publicitaires notamment.
19:09 Vous voyez, donc, je refuse moi que le monde dans lequel je vis
19:14 soit aux mains des publicitaires.
19:16 Pour moi, c'est une offense majeure.
19:19 - Mais comment on est le lieu commun ?
19:20 Vous voulez dire par là qu'il est né au cœur du journalisme ?
19:26 - Le prénom a été modifié, c'est au cœur du journalisme.
19:31 On va en trouver plein.
19:32 On vous dit tout sûr.
19:34 J'ouvre au hasard.
19:35 On vous dit tout sûr.
19:36 Formule journalistique, on vous dit tout sûr.
19:38 Les coulisses d'œufs.
19:40 Parce qu'il y a la réalité, mais comme ça ne marche pas très bien,
19:43 la réalité, disons, imprimée ou filmée, on donne les coulisses d'œufs.
19:49 On vous dit tout sûr.
19:50 Donc les coulisses d'œufs.
19:51 Comme si la vérité avait besoin de cette probation par les coulisses
19:57 pour être plus réelle, vous voyez ?
20:00 - Un autre journalistique, je cite, qui est dans le livre,
20:02 "La formation sans concession".
20:04 - Voilà.
20:05 Dès que vous avez ça, vous êtes sûr que c'est soumis au consensus.
20:09 - Sur la question grammaticale, "développer un cancer",
20:12 est-ce que vous pouvez nous dire en quoi c'est un lieu commun ?
20:15 - C'est une faute déjà de syntaxe, puisque on ne développe pas un cancer.
20:21 Un cancer se développe, vous voyez ?
20:24 Donc attribuer quelque chose d'actif à un malade,
20:27 tiens, j'ai développé mon cancer, je suis très content,
20:29 je suis actif en ce moment, vous voyez ?
20:31 Donc c'est ridicule et c'est offensant pour le malade.
20:33 Mais ça fait partie d'un monde où, un monde inclusif,
20:37 donc qui dit monde inclusif dit totalitaire, bien sûr,
20:41 où le malade est extrêmement actif.
20:43 C'est comme quand on dit le malade, il s'est battu contre la maladie.
20:47 Vous savez très bien que le malade ne se bat pas contre la maladie.
20:49 - Il l'a subi.
20:50 - Il l'a subi et c'est la médecine qui éventuellement peut...
20:54 - Autre terme, dans le dictionnaire, pardonnez-moi, dans le lieu commun.
20:59 - On aurait pu faire un dictionnaire d'ailleurs.
21:00 - Mais qui à sa manière est un dictionnaire,
21:02 avec une charge idéologique considérable, c'est en transition.
21:07 Tout est en transition aujourd'hui.
21:09 Là encore, il y a un détournement initial du terme transition.
21:14 - Le mot transition était beau quand il relevait de la rhétorique,
21:17 vous voyez, ou de la musique.
21:20 Là, en transition, me fait penser plutôt à transit intestinal.
21:23 Donc de toute façon, notre société est une société de transit,
21:27 de migrants, de nomades, de tout ce que vous voulez,
21:30 tout ce qui est à la mode, tout ce qui fait partie de l'idéologie immédiate
21:34 et des lieux communs d'ailleurs,
21:36 puisque le migrant lui-même est un lieu commun aujourd'hui.
21:39 Donc la transition, c'est quand même quelque chose d'assez effrayant
21:42 quand on l'applique à transformation, au transformisme sexuel,
21:48 parce que là, il y a des choses irréversibles, vous voyez.
21:50 Au fond, le migrant peut traverser la Méditerranée et continuer,
21:54 mais celui qui se transforme sexuellement ne peut pas revenir en arrière.
21:58 - On rentre dans l'irréparable.
22:00 - Voilà, on est dans l'irréparable.
22:01 Or, cette question de l'irréparable, cette question du définitif,
22:04 ça, ça déplait fortement aussi à ces sociétés
22:07 qui sont des sociétés de l'infini, de l'infini, de l'illimité.
22:11 Vous voyez, tout ça, ça fait partie du vocabulaire de publicité,
22:14 l'illimité, monotrophie illimitée, tout ça.
22:16 Vous voyez, on peut très vite faire une sorte de topologie,
22:20 de topographie de ce système à travers les lieux communs,
22:23 vous voyez, on les trouve partout.
22:25 Il suffit de les assembler, c'est une espèce de cube rubrique,
22:28 et vous avez, tac.
22:30 - C'est un puzzle que vous assemblez au fond, dans ces 300 lieux communs.
22:34 Autre terme, et dans le lieu commun, il y a énormément d'antiphrases,
22:39 on l'a un peu vu, énormément d'euphémisations aussi,
22:41 puisqu'il faut arraser, il faut éduquerer le réel,
22:46 c'est les tensions, qui est un de, au pluriel, bien sûr,
22:51 les tensions dans les banlieues, les tensions dans la rue.
22:55 - En fait, tension, veut dire émeute, tout simplement,
22:57 mais émeute, ça ne fait pas chic,
22:59 parce que la presse internationale peut regarder ce qui se passe,
23:02 et en plus, ça fait mauvais gens pour les gouvernements qui sont inclusifs,
23:06 donc on parle de tensions.
23:09 Enfin, on parle de tensions quand il s'agit de gauchistes ou d'immigrés,
23:13 parce que quand il s'agit de gens prétendus d'extrême droite,
23:16 alors là, c'est des assauts, des attaques, tout ce que vous voulez, donc...
23:21 - La grande figure dans les univers orwelliens,
23:23 la grande figure de style, dans 84, mais dans d'autres livres de George Orwell,
23:28 c'est quand même l'antiphrase.
23:29 C'est le bien, c'est le mal, le beau, c'est le lait.
23:33 Ça traverse aussi le livre, l'antiphrase.
23:37 - Oui, là, c'est beaucoup plus difficile à cerner,
23:41 parce qu'aujourd'hui, vous voyez bien ce qui se passe.
23:46 Décriter que quelqu'un est beau,
23:49 c'est dangereux parce qu'au fond, on voudrait que tout le monde soit beau,
23:54 même les laits.
23:56 Mais on ne peut pas dire à quelqu'un qu'il est lait,
23:58 ni quelqu'un qu'il est gros, parce que tout de suite, on tombe dans ce...
24:01 ce qu'on appelle la grossophobie, vous voyez, ce genre de mot grotesque.
24:06 Donc, j'en retiens, ça aurait pu être un nom commun.
24:10 L'antiphrase, oui, c'est très difficile à cerner.
24:14 Je vais donner des exemples plus précis encore.
24:18 - Alors, comment vous avez fait pour réunir ces lieux communs ?
24:21 Et est-ce que, comme chez Flaubert, à un moment donné,
24:22 il n'y a pas une sorte de dégoût qui s'empare de vous ?
24:26 Parce que vous l'avez dit au début, c'est l'oge à cochons de Léon Blois.
24:30 Il l'appelait, là où il vivait, cochon sur marne.
24:36 Flaubert est pris par des coliques.
24:39 Quand Mme Bovary meurt, Flaubert vomit.
24:42 - Oui. - Vomit du dégoût.
24:43 - Oui, bien sûr.
24:46 Et si vous voulez, la bêtise, ou le lieu commun, fascine, en un premier temps.
24:51 C'est fascinant.
24:53 Vous regardez, par exemple, la tête d'un journaliste.
24:56 Je ne regarde plus la télévision depuis 20 ans, mais vous regardez, je ne sais pas,
24:59 Le Clésiot parler, vous voyez cet imbécile.
25:02 C'est fascinant, le commun, parce que vous savez ce qu'il va dire.
25:05 Que les Blancs sont méchants, que les Indiens sont très gentils, etc.
25:08 Bon, mais deuxièmement, lorsque vous commencez à travailler dessus,
25:13 c'est déjà plus difficile, parce que c'est un travail, disons, d'écriture.
25:17 Et ensuite, vous arrivez au stade de la nausée,
25:20 parce que vous commencez à chercher autre chose que ce qui vous vient immédiatement à l'esprit.
25:26 Donc, vous commencez à regarder un peu la presse,
25:28 vous commencez à écouter un peu la radio.
25:30 Ça devient difficile.
25:32 Et là, vous avez très vite une nausée, parce que ça n'en finit plus.
25:35 Le problème des lieux communs, c'est que c'est infini,
25:37 infini, et que c'est comme la saleté, quoi.
25:41 Je veux dire, c'est infini, ça n'en finit plus.
25:43 - Une question qui est embarrassante, me semble-t-il, dans votre relation à Léon Bloy.
25:48 Si je m'appuie sur Léon Bloy, parce que Léon Bloy écrit "Le Désespéré",
25:52 dont le personnage, c'est le grand roman de Bloy, "Le Désespéré",
25:55 dont le personnage central est "Qu'un marche noir",
25:57 "Qu'un marche noir", pas "Belle", mais "Qu'un marche noir", grand texte.
26:02 Quelle est la part de misanthropie chez Léon Bloy, chez Richard Millet ?
26:10 Parce qu'il est toujours difficile d'assumer cette position du misanthrope Alceste, en l'occurrence.
26:16 Rousseau est horrifié du miroir que lui avait tendu Molière à un siècle de distance.
26:22 C'est une position qui est très difficile à assumer, la position du misanthrope,
26:27 qui juge de manière définitive les impasses du monde dans lequel il vit.
26:34 - Les impasses du monde, oui, mais pas celles forcément des individus.
26:38 Disons que moi, j'ai toujours cette position, je déteste l'humanité, mais j'aime les individus.
26:44 Je pense que c'est les individus qui sauvent l'humanité,
26:47 si tant est qu'elles doivent être sauvées, mais bon, ça c'est un autre problème.
26:51 Baudelaire parlait aussi de la tyrannie de la face humaine, de laquelle il voulait échapper.
26:55 Donc, souvenez-vous de Cioran, la première chose que je fais quand je descends dans la rue,
27:00 ce qui me vient à l'esprit, c'est "extermination".
27:02 Bon, tous ceux-ci sont des hyperboles, n'est-ce pas ?
27:08 C'est une position qui n'est pas si difficile que ça, je vous dis, à assumer,
27:14 puisque personne ne va prétendre que les bandes foules sont quelque chose de...
27:19 - Non, loin de là, mais c'est plus facile, en tout cas pour moi, François Bousquet, d'être filinte.
27:24 Donc, si je prends la pièce de Molière, le misanthrope,
27:26 je suis plus aisément, commodément filinte parce que la sociabilité m'intéresse,
27:32 parce que j'aime aller voir les gens, plutôt que de fuir.
27:36 Je trouve que c'est une position qui est très dure à assumer, cette position-là, celle d'Alseste.
27:39 Celle d'Alseste, pardon.
27:41 - Oui, mais Alseste a un côté Nietzschéen, disons, un côté Kierkegaardien,
27:47 vous voyez, un côté comme ça...
27:49 Il assume sa douleur, il assume sa souffrance, sa solitude.
27:53 En même temps, la position d'Alseste est extrêmement intéressante
27:57 parce qu'il a son affaire avec... Comment il s'appelle ? Sélimène, n'est-ce pas ?
28:01 Donc, il y a le côté des femmes.
28:02 Alors, les femmes sont le gros problème des misanthropes.
28:05 - Chez vous aussi.
28:07 - Mais les femmes sont le gros problème des misanthropes.
28:09 Comment peut-on détester l'humanité en incluant les femmes ?
28:13 Donc, il faudrait dire, je déteste l'humanité, excepté les femmes.
28:17 Sauf que les femmes, aujourd'hui, détestent, elles, la moitié de l'humanité,
28:21 qui est l'homme blanc, etc., etc.
28:24 Vous voyez ?
28:24 Je joue beaucoup sur les mots, en répondant,
28:26 mais j'essaie de me défiler parce que c'est très difficile de dire,
28:28 oui, je suis misanthrope, mais regardez, je suis là avec des gens très sympathiques
28:33 et ça ne pose aucun problème.
28:34 Évidemment que ça ne pose aucun problème.
28:37 La misanthropie n'est pas quelque chose, disons,
28:39 ce n'est pas d'abord une idéologie, ce n'est pas non plus...
28:42 - Je pense d'abord que c'est un tempérament, je crois, avant d'être une réflexion.
28:46 - C'est un tempérament, oui, mais bon, le misanthrope, au fond,
28:49 est l'homme le plus doux du monde, comme disait Rousseau.
28:52 Vous voyez ?
28:54 Ça veut dire qu'il n'aime pas, au fond, les nuisances que lui apportent les autres.
28:59 Mais à partir du moment où l'autre ne me gêne pas,
29:01 je n'ai aucune raison de le haïr.
29:03 Il se trouve que l'humanité, le petit bourgeois planétaire,
29:06 de plus en plus vulgaire, est un culte et tout ça.
29:09 Donc, les raisons de le haïr, en tant que l'humanité,
29:12 se résument, si vous voulez, presque exclusivement dans le petit bourgeois planétaire.
29:17 Effectivement, là, comment ne pas être misanthrope ?
29:20 - Mais c'est quoi, ce petit bourgeois planétaire ?
29:22 J'arrive pas à me le matérialiser.
29:25 - Pourtant, je vais ouvrir la porte.
29:27 - Je vous le permettrai.
29:28 - Regardez, il passe.
29:29 Là, il fait du jogging, en ce moment, dans le Luxembourg.
29:31 Vous voyez ?
29:32 Tout à l'heure, je voyais passer avec des Nike et une petite bedaine.
29:39 Là, je vois avec Madame...
29:40 - Peut-être que c'était moi.
29:42 - Non, non, pas du tout.
29:45 Parce qu'il y a aussi une expression de satisfaction bête sur son visage
29:49 qui rejoint Aumé, vous voyez ?
29:52 Le petit bourgeois planétaire, au fond, est quelqu'un d'aigri, mais de progressiste.
29:56 Vous voyez ?
29:57 C'est quelqu'un de moral, mais de vœu.
29:59 C'est quelqu'un qui croit au progrès, mais qui, au fond, est un réactionnaire absolu.
30:05 Vous voyez ?
30:06 Donc, c'est quelqu'un qui boit chaque matin son smoothies avec des liots communs.
30:12 Vous voyez ?
30:13 Donc, c'est ça, le petit bourgeois planétaire.
30:15 Gene Fossey, l'Américain moyen qui a conquis le monde.
30:19 - Et peut-être nous-mêmes, hein ?
30:21 - Mais j'essaie d'échapper.
30:22 En fait, je ne suis pas en train de donner des leçons.
30:25 Je veux dire, moi-même, j'essaie constamment d'échapper aux liots communs,
30:27 parce que les liots communs nous traversent constamment.
30:30 - Ils nous aspirent, nous traversent.
30:32 - Certains peuvent nous séduire.
30:34 Vous voyez ?
30:35 - Et quelle est la différence entre le liot commun, le poncif et le proverbe ?
30:40 - Le proverbe, c'est quelque chose, disons...
30:42 Le liot commun a une durée de vie bien moindre que le proverbe.
30:46 Le proverbe fait partie plutôt de la sagesse des nations, disons.
30:51 Voire de la Bible.
30:53 Le dicton serait, disons, la version très populaire du proverbe.
30:59 Le poncif a plutôt quelque chose de littéraire, disons.
31:03 Baudelaire disait "Le poncif, c'est le génie."
31:05 Créer un poncif, c'est le génie.
31:07 Effectivement, Guillaume Musso a créé du poncif,
31:11 donc c'est un génie puisqu'il vend beaucoup.
31:13 Vous voyez ? Donc c'est ça que voulait dire Baudelaire.
31:15 - D'accord.
31:17 Il y a un personnage avec lequel je trouve que vous êtes très injuste,
31:19 c'est Michel Audiard.
31:21 Vous lui envoyez une petite...
31:25 Vous écornez Audiard.
31:27 Or, Audiard ne relève-t-il pas, justement, de ce vieux fond de sagesse populaire ?
31:32 Est-ce qu'un Audiard ne montre pas la vitalité d'un peuple
31:36 qui est encore capable de concevoir sa propre vision du monde ?
31:40 - Je ne crois pas que je me moque d'Audiard.
31:43 Je me moque d'une expression dispersée façon puzzle
31:48 qui est dans "Les tontons-flingueurs"
31:50 et la façon dont on reprend cette expression qui est devenue un lieu commun.
31:54 Ça n'a rien à voir au fond avec Audiard.
31:56 Mais il y a aujourd'hui une telle inculture
32:00 qui fait qu'Audiard est devenu l'équivalent de Chanfort, si vous voulez,
32:03 ou de... Vous voyez ? La Rochefoucauld.
32:05 C'est ça qui me gêne, c'est pas Audiard en soi.
32:07 Audiard, c'est un bon dialoguiste avec des choses amusantes, très amusantes.
32:11 - Mais il montre la vitalité d'un peuple,
32:12 qui est capable de forger des proverbes, de le...
32:16 - Je ne critique pas ça. Je critique l'usage qu'aujourd'hui...
32:19 Audiard est quand même mort il y a 40 ou 50 ans, donc...
32:22 Vous voyez, aujourd'hui, on fait de ça.
32:24 Vous voyez ce que je veux dire ?
32:26 C'est tout. C'est cette expression qui est reprise sans cesse par les journalistes.
32:30 "On a vu machin, il était dispersé façon puzzle."
32:32 Ça va, c'est un lieu commun.
32:34 - "Les tontons-flingueurs", mais c'est rentré dans la mémoire collective,
32:37 comme les proverbes.
32:38 - Oui, bien sûr.
32:40 Quand c'est dans la mémoire collective, ça, ça ne me gêne pas.
32:42 Quand c'est dans le discours journalistique, ça me gêne.
32:46 - On a tendance, l'émission arrive à sa fin,
32:49 on a tendance à confondre le salubre et le salutaire.
32:52 Le salubre, c'est ce qui est ça, utile à la santé.
32:56 Et je trouve que c'est un livre qui est salubre,
32:58 parce qu'il est utile pour notre santé mentale.
33:01 Et le salutaire, qui n'est pas le salubre.
33:03 Le salutaire, c'est l'économie du salut.
33:05 Est-ce qu'on va faire un autre salut ou pas ?
33:06 Salut religieux, salut poétique, que sais-je ?
33:10 Et c'est un livre qui est aussi salutaire.
33:12 Est-ce que vous êtes d'accord avec cette idée
33:15 que c'est à la fois salubre, donc moyen,
33:18 parce que Léon Bois nettoie les écuries d'Augiasse,
33:21 mais également salutaire, parce que Léon Bois fait une exégèse,
33:24 également un exorcisme, de cette bêtise
33:27 qui l'envahit et qui nous envahit ?
33:31 - En tout cas, ce n'est pas à moi de le dire,
33:33 parce que je serais bien prétentieux,
33:34 mais si vous lisez les "Lieux communs" de Blois,
33:38 vous apercevez que 100 ans après, ils sont d'actualité.
33:43 J'ai quelques petites choses, mais ça nous parle toujours énormément.
33:46 D'ailleurs, c'est son livre le plus réédité, le plus souvent réédité.
33:52 Donc, c'est un livre salutaire, nécessaire, enfin pas le mien, celui de Blois.
33:56 - Salutaire et salubre. - Et salubre aussi.
33:59 - Puisqu'en effet, il a donné naissance à l'œuvre de Jacques Ellul,
34:01 enfin un bouquin de Jacques Ellul qui s'appelle
34:03 "La nouvelle exégèse des lieux communs",
34:04 et puis également "Votre nouveau lieu commun".
34:07 Un lieu commun pour finir, cher Richard Millet,
34:09 que vous pointez, que vous épinglez, c'est "Merci de votre écoute".
34:15 Qu'est-ce que vous avez à dire sur ce lieu commun ?
34:17 Merci de votre écoute.
34:18 - Je n'aurais rien à dire si ce n'était pas quelque chose
34:21 qui était envahissant dans les messages de la RTP.
34:30 Mais si vous écoutez bien le langage,
34:31 parce qu'au fond, aujourd'hui, avec les lieux communs,
34:33 avec l'inculture, on n'écoute plus le langage,
34:36 on n'est plus conscient de rien.
34:38 L'écoute a remplacé ce qu'on entendait il y a 10 ans
34:41 dans la même formulation qui était "Merci de votre attention".
34:45 Alors l'attention et l'écoute ne sont pas tout à fait la même chose.
34:47 Il y a une profondeur dans l'attention qu'il n'y a pas dans l'écoute.
34:49 Il y a une passivité dans l'écoute,
34:51 vous voyez, qui en dit bien long sur notre société.
34:54 Tout est dit dans ce fond.
34:56 - Alors donc, merci de votre attention, cher Richard.
35:01 Sous-titrage Société Radio-Canada