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Disparition de Bernard Pivot, Pierre Assouline, écrivain et membre de l'Académie Goncourt, raconte l'homme de lettres et l'ami .
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 07 mai 2024

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Transcription
00:00 *RTL Matin, 7h-9h*
00:03 Il est 8h21, bonjour Pierre Rassouline.
00:05 Bonjour Yves Cadeville.
00:06 Merci de nous rejoindre dans la matinale d'RTL que vous connaissez si bien.
00:09 C'est le membre de l'Académie Goncourt mais aussi l'ami de Bernard Pivot que j'accueille ce matin.
00:12 Nos confrères de Parisien ont choisi une très belle photo et un titre qui résume tout.
00:16 "L'homme qui nous a fait aimer les livres", vous êtes d'accord ?
00:19 Oui, totalement, oui, c'est tout à fait ça.
00:21 C'est mieux que "Le Roi lire" et autres lieux communs,
00:26 parce qu'il a fait aimer les livres aux Français.
00:28 Bon, c'est une nation littéraire la France, donc le terrain était bien préparé.
00:33 Mais tout de même, il a rendu ça beaucoup plus populaire dans le bon sens du terme.
00:37 Qui était Bernard Pivot pour vous ? Une référence, un confrère, un ami ?
00:41 Au départ, c'est un modèle.
00:43 D'abord c'était mon patron pendant 10 ans au magazine "Lire".
00:46 Donc c'était mon patron, ceux que vous voyez, etc.
00:49 Et ensuite c'était l'homme d'apostrophes qui m'invitait très souvent à chacun de mes livres,
00:55 notamment pour les biographies.
00:57 Et puis après, il a quitté "Lire" et j'étais son successeur.
01:01 Il m'a désigné comme son successeur pour diriger le journal.
01:04 Et puis ensuite, c'est lui, avec d'autres, qui m'a fait rentrer à l'Académie Goncourt.
01:09 Et là, la première fois que je suis arrivé au restaurant "Androan",
01:12 il est venu vers moi, il m'a accueilli et il m'a dit "Maintenant, on se tutoie".
01:17 Puisque dans la presse, on vous voit, c'est son patron.
01:20 Bien sûr.
01:21 Et là c'était fini, on est passé à autre chose, et là c'était vraiment un ami jusqu'à la fin.
01:25 En 2015, vous avez réalisé un documentaire, "Les Vendredis d'Apostrophes".
01:29 Vous avez pioché dans les 723 émissions, les séquences les plus mémorables.
01:33 Quelle est celle qui vous a, vous, le plus marqué, et pourquoi, Pierre Assouline ?
01:37 C'est difficile, parce que j'ai un mal fou à choisir.
01:41 Franchement, je ne voulais pas demander son avis, parce que je l'ai fait avec lui,
01:45 mais il n'a rien choisi.
01:47 Il a découvert la sélection quand on a enregistré cette émission,
01:51 qui d'ailleurs va être rediffusée ce soir sur France 2.
01:54 Et j'ai du mal à vous répondre, parce que
01:58 il y en a beaucoup qui... Bon, avec Raymond De Vos, par exemple.
02:02 Ça c'était vraiment pivot, parce qu'il adorait la langue française.
02:06 C'est la passion. On parle toujours de la littérature, mais il n'y a pas que la littérature.
02:10 Il y a la langue française, et puis il y a les livres.
02:13 "Lire" était le magazine de tous les livres, et il y tenait.
02:17 Il disait toujours, il n'y a pas que la littérature, il n'y a pas que le roman.
02:21 Il avait une petite frustration quand je lui ai projeté ce documentaire.
02:25 - Oui, pourquoi ? - Il m'a dit "Il n'y a pas assez d'historiens".
02:28 Or Apostrophe a beaucoup fait pour la nouvelle histoire,
02:31 Georges Duby, et il a eu mal à la durée.
02:33 Je lui ai dit "T'as raison, mais il faut développer avec les historiens".
02:37 Or là, ce sont des pastilles de 2 ou 3 minutes auxquelles je le faisais réagir.
02:42 - 15 ans d'Apostrophe, 10 ans de Bouillon de Culture, 4 ans de Double Jeu,
02:45 bref 30 ans de télévision pour imposer le livre et le goût de la lecture.
02:49 Que vous inspirent ces chiffres en dehors de son incroyable influence ?
02:52 - Ce n'est pas les chiffres le plus important.
02:56 Le plus important c'est la trace, que ça laisse une trace mnésique dans l'esprit des gens.
03:01 Vous savez, je l'ai vu pratiquement jusqu'à la fin,
03:04 on allait au restaurant déjeuner presque tous les mois,
03:07 et on se baladait dans Paris, mais on a aussi beaucoup voyagé ensemble,
03:11 pour le journalisme notamment.
03:15 Et les gens le reconnaissaient tout de suite, sa popularité était intacte.
03:20 Alors qu'il ne faisait plus de télévision depuis plus de 20 ans.
03:23 Et les gens venaient vers lui et disaient "J'aime beaucoup ce que vous faites,
03:27 vos émissions c'est formidable".
03:29 Et après ils me disaient "Mais ça fait quand même longtemps que je n'y suis plus".
03:33 Et ça continuait. Donc cette trace, chez beaucoup de Français, s'est restée.
03:37 Évidemment c'est générationnel, chez les jeunes les plus jeunes,
03:41 ça paraît difficile, malgré Youtube.
03:44 Mais tout de même, cette trace est très très importante.
03:47 - En tant qu'invité, ça se passait comment ? Je n'ai jamais vraiment cru.
03:51 Alors, à son côté je dirais uniquement chaleureux,
03:55 à ses connaissances, j'en suis sûr, à sa curiosité aussi,
03:58 mais voilà, qu'est-ce que c'était d'être sur le plateau de Pivot,
04:01 pour venir vendre son livre ?
04:02 - Il ne faut pas oublier un mot, le travail de sa part.
04:05 Travail énorme. C'est-à-dire qu'il préparait ses émissions
04:08 pour être capable de rebondir avec l'invité sur son livre,
04:12 quand il avait un problème ou une polémique, etc.
04:15 ou quand l'invité oubliait un petit peu ce qu'il avait écrit.
04:18 Et qu'il le reprenait. - Ce qui arrive.
04:20 - Bien sûr ! N'est-ce pas, vous en savez quelque chose.
04:23 Et qu'il le reprenait en disant "non non, mais page 28, vous n'avez pas écrit ça,
04:26 vous avez écrit autre chose".
04:27 Eh bien, pour être capable de ça, il fallait avoir passé la semaine
04:31 à se consacrer à cinq livres, plus plein d'autres choses.
04:35 Mais à cinq livres, et les avoir vraiment épluchés.
04:38 Et ça, c'est un travail énorme. On ne le dit pas assez.
04:41 - L'intelligence, la curiosité, sans doute aussi une capacité à être très sérieux,
04:44 sans se prendre au sérieux. En tout cas, il nous accompagnait,
04:47 il nous a donné le goût des livres. L'humour aussi, c'était quand même
04:50 très présent dans ses émissions, on avait le droit de rire en littérature.
04:53 - Bien sûr ! Vous savez, on dit toujours, c'est une émission littéraire.
04:57 C'est vrai, mais c'est avant tout une émission de débat d'idées.
05:01 C'est-à-dire qu'il faisait en sorte que les gens se parlent.
05:05 Ce qui n'a pas du tout été le cas par la suite avec, par exemple,
05:08 les grandes librairies ou d'autres émissions.
05:11 - On ne présente pas que des livres, on crée un thème autour d'une émission.
05:14 On parle de quelque chose, c'est ça ? - Oui. Quand il invite Solzhenitsyn,
05:17 il invite en face Jean Daniel, Jean Dormeçon, ça devient un débat d'idées.
05:21 Il y a beaucoup d'événements politiques qui sont passés par apostrophes.
05:25 Soit qu'on ne mesure pas encore l'importance d'apostrophes,
05:28 et aussi de bouillons de culture, dans l'histoire du débat d'idées en France,
05:32 à la fin du XXe siècle. Si on veut retracer les débats intellectuels,
05:36 il faut passer par là. Malgré le mépris affiché,
05:39 après apostrophes et après bouillon de culture,
05:43 par certains milieux intellectuels ou journalistiques,
05:46 en disant "oui, c'est une émission de variété",
05:49 variété intellectuelle, mais une émission de variété.
05:52 Ce qui est un grand mépris, alors que des choses...
05:54 - Ils n'étaient pas mécontents non plus de venir vendre leurs livres ?
05:56 - C'est pour ça qu'ils ont attendu que l'émission n'existe plus, pour dire ça.
05:59 - Son mot préféré, nous disait notre spécialiste et ami Bernard Lehu,
06:02 c'était le mot "gourmandise". Qu'est-ce que ça vous inspire comme commentaire ?
06:05 - C'est le mot qui le résume le mieux, pour moi,
06:09 parce que c'est la gourmandise, évidemment, par rapport au vin,
06:12 par rapport au mets, mais par rapport aussi à la culture.
06:15 Mais, pour moi, il y a un autre mot.
06:17 Et il y tenait beaucoup, parce qu'on était d'accord là-dessus,
06:20 il disait toujours "il n'y a pas de journaliste s'il n'y a pas de curiosité".
06:24 Et la curiosité, c'est ce qui le définit de son plus jeune âge,
06:28 dès qu'il débarque au Figaro, en arrivant de Lyon,
06:32 jusqu'à presque la toute fin, la curiosité, pour les gens,
06:36 pour les personnes, les individus, pour les livres,
06:39 pour les films, pour le théâtre, pour la musique, pour l'opéra,
06:43 il n'arrêtait pas.
06:44 - Son talent était de mettre en valeur et d'en trouver, d'ailleurs, du talent chez les auteurs.
06:48 Est-ce que c'était une manière de se cacher, peut-être aussi,
06:51 presque de se protéger ? Je me suis posé la question, parfois.
06:54 - Il n'avait pas à se protéger, vous savez, il était sur le plateau,
06:58 et il était chez Drouant, à l'Académie Concours, tel qu'il était.
07:02 - Comme dans la vie ? - Dans la vie, tout simplement. Naturel.
07:05 Donc, se cacher, non. D'ailleurs, il ne songeait pas à se cacher,
07:08 il sortait tous les jours, jusqu'à la fin, et quand il était abordé,
07:12 il répondait toujours avec beaucoup de gentillesse aux gens.
07:15 - Quel hommage peut-on imaginer ? Où qu'auraient-ils aimé qu'on dise de lui, aujourd'hui ?
07:22 - Je crois savoir ce qu'il n'aurait pas aimé qu'on fasse,
07:24 c'est le genre hommage national, etc.
07:27 Il ne faut pas oublier une chose, Pivot, c'est un indépendant, absolu.
07:33 Grâce à ça, l'Académie Concours a pu se protéger,
07:36 d'ailleurs, son indépendance, et l'être également, par rapport aux pressions, etc.
07:40 C'est quelqu'un qui m'a toujours dit, il ne faut jamais accepter les décorations.
07:45 Il n'avait pas la Légion d'honneur, l'ordre du mérite, et tout ça.
07:48 Il disait, un journaliste n'a pas à accepter les décorations d'un gouvernement.
07:53 Il faut rester indépendant. Et ça, c'est important.
07:56 On l'a proposé dix fois à l'Académie française, il a toujours refusé.
07:59 Au moins, à l'Académie Concours, on fait des choses, etc.
08:01 Mais les honneurs, les grandeurs d'établissement, il leur est tout eu.
08:05 Et il disait très sincèrement, le plus incroyable,
08:08 c'est que si je me promène sur les Champs-Elysées avec Claude Lévi-Strauss,
08:13 tout le monde vient me demander des autographes, mais à lui, on ne lui demande rien.
08:16 C'est lui, le grand homme.
08:17 - Merci beaucoup, Pierre Rasouline.
08:19 Merci d'avoir pris la parole sur RTL pour évoquer votre ami Bernard Pivot,
08:22 Avec à la fois affection et tendresse.
08:25 Très bonne journée à vous.

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