• il y a 7 mois
C'est en lisant "La trilogie des fourmis" publiée en 1991 par notre invité que le chercheur Pablo Servigne a su ce qu'il voulait faire de sa vie, de la myrmécologie, et un livre qui a fait découvrir à des millions de gens qu’ils pouvaient se passionner pour des fourmis sur des centaines de pages.

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Amusant
Transcription
00:00 Sous nos pieds, il y a un autre monde.
00:03 Pourquoi faut-il que je sois né ouvrier ?
00:05 Je te rappelle quand même que nous, les fourmis, on fait la loi.
00:08 On est les seigneurs de la terre.
00:10 Un monde qui ressemble beaucoup au nôtre.
00:12 Toute ma vie, j'ai vécu et travaillé dans la comte-ville.
00:15 Vous savez, quand vous êtes l'enfant du milieu, dans une famille de 5 millions,
00:18 on ne s'intéresse pratiquement pas à vous.
00:20 C'est vrai, c'est incroyable.
00:22 Moi, je n'étais pas fait pour être ouvrier.
00:24 Ça, je vous le dis tout de suite, je me sens physiquement inadéquat.
00:28 Par une fois dans ma vie, je n'ai été capable de soulever plus de 10 fois mon propre poids.
00:32 Et tout bien considéré, passer son temps à manipuler des saletés,
00:36 c'est franchement...
00:37 C'est pas ce que j'appelle avoir des perspectives d'avenir.
00:39 Ça, ça veut dire quoi ?
00:40 Que je suis censé ne penser qu'au bien-être de la colonie ?
00:43 Et qui pense à mon bien-être à moi ?
00:45 Qui pense à moi ?
00:46 Le système tout entier me donne l'impression d'être insignifiant.
00:51 - Bonjour Bernard Werber. - Bonjour.
00:53 Vous êtes un auteur un tout petit peu connu,
00:55 c'est un euphémisme, qui a fait découvrir à carrément des millions de gens
00:58 qu'ils pouvaient se passionner pour des fourmis pendant plusieurs centaines de pages
01:02 avec la trilogie des fourmis.
01:04 Bernard Werber, vous avez commencé à écrire le premier livre de cette trilogie,
01:07 vous aviez 16 ans et vous avez mis près de 12 ans à l'écrire.
01:11 Est-ce que vous vous rappelez de ce qui vous a mis sur la petite piste des fourmis ?
01:14 Je crois que tout se commence chez votre grand-père.
01:16 Voilà.
01:17 J'étais un enfant désœuvré qui ne jouait pas au football.
01:21 Donc l'unique de la classe qui s'intéresse à autre chose que le match.
01:25 Et je n'aimais pas aller aux colonies de vacances,
01:27 donc j'ai dit à mes grands-parents, je leur ai proposé
01:29 si vous me permettez de rester dans le jardin,
01:32 je ne fais pas de colonies, je ne fais pas de football et je reste tranquille.
01:36 Et dans le jardin, le truc le plus marrant qu'il y a, c'est une fourmilière.
01:38 Parce que vous pouvez rester des heures à observer une fourmilière,
01:40 et ça se passe tout le temps.
01:41 En fait, j'avais l'impression de regarder une ville.
01:43 Donc je me disais, tiens, si quelqu'un regardait,
01:46 bon, j'étais à Toulouse à l'époque,
01:47 Toulouse, il verrait la même chose que ce que je vois,
01:49 c'est des tas de gens qui s'agitent sur des routes.
01:51 - Et c'est ainsi que tout a commencé ?
01:52 - J'ai commencé à les mettre en pot et puis à raconter des histoires.
01:55 - Et à lire beaucoup sur les fourmis quand même,
01:57 pour ne pas dire des choses trop loin de la vérité,
01:59 ou ce n'était pas si important que ça ?
02:01 - Alors, j'avais regardé les fourmis de Métarlink,
02:03 et je me suis aperçu qu'ils racontaient des conneries.
02:05 Et je me suis dit, parce que c'était ancien,
02:06 donc ils essayaient de faire passer l'idée
02:08 que les fourmis avaient une charité chrétienne.
02:10 C'est un peu plus compliqué que ça.
02:12 On a toujours voulu leur prêter des...
02:14 On a toujours voulu faire de l'anthropomorphisme,
02:16 c'est-à-dire en vouloir qu'il y ait un roi, une reine, des ouvriers,
02:19 tout ce qu'on a entendu au début de votre émission.
02:21 Alors qu'en fait, non, c'est plutôt une sorte de...
02:24 de société hippie communautaire anarchique.
02:27 - Pablo Servigne, est-ce que vous vous rappelez des sensations
02:29 que vous a provoquées la lecture de ce livre ?
02:31 Puisqu'en quelque sorte, il a fait basculer votre vie
02:33 et vous a orienté, j'ai peur de prononcer ce mot,
02:35 vers la myrmécologie, mot assez peu connu
02:38 pour qualifier l'étude des fourmis.
02:39 - Alors là, je dois dire que mon suricate, déjà, est dans le bleu.
02:43 Je suis sidéré.
02:44 J'ai l'impression de vivre un rêve, de rencontrer Verne.
02:47 - C'est fan 2 ici, on a un peu les Céline Ferrer de France Inter.
02:50 - Je vais défiger mon suricate, revenir dans le vert.
02:53 Non merci, c'est vraiment super.
02:55 - On est ravis.
02:56 - Alors, il faut que je retrouve mes mots.
02:58 - La place, les sensations, ressentir la lecture.
03:00 - Les fourmis, c'est le deuxième livre que j'ai lu dans ma vie
03:02 après "Cimetière" de Stephen King.
03:04 - Et alors, il est là également !
03:06 - Il est là !
03:07 En fait, mes parents s'arrachaient les cheveux parce que je ne lisais pas.
03:09 Donc grâce aux fourmis, j'ai commencé à lire.
03:12 Et je crois que c'était à 14-15 ans, j'ai dit à mes parents
03:16 "Je veux devenir myrmécologue".
03:18 Ils m'ont regardé avec des grands yeux.
03:20 Et à 30 ans, j'ai eu ma thèse sur les fourmis.
03:23 Je suis devenu myrmécologue, officiellement.
03:26 Je crois qu'il y a un grand merci.
03:28 Je te dois un grand merci, Bernard.
03:30 - Déjà, on aura fait apprendre le mot myrmécologue
03:32 parce que c'est vrai qu'on ne pense pas à fourmis.
03:34 - On va le redire une fois, myrmécologue.
03:36 Comme ça, ça rentre bien.
03:37 Bravo, félicitations.
03:38 Moi, j'ai une question pour vous, Bernard Lavard.
03:40 Vous n'en avez pas marre des fourmis ?
03:42 Votre livre est sorti en 1991.
03:44 Depuis, vous êtes LA référence.
03:46 Mais votre passion, à force, elle ne s'est pas un peu émoussée ?
03:48 Ça ne s'est pas un peu effrité ?
03:50 - Je sais dire merci à qui m'a aidé.
03:52 Les fourmis m'ont aidé.
03:54 Donc je ne les renierai jamais.
03:56 Je trouve cette espèce réellement porteuse de sagesse.
04:00 Tout simplement parce qu'elles étaient là avant nous.
04:04 Elles étaient là sur Terre il y a 120 millions d'années.
04:06 Nous sommes là depuis 3 millions.
04:07 Donc respect pour l'espèce aînée.
04:09 Et en plus, une espèce qui est capable de faire des cités
04:11 que nous ne sommes pas capables de construire à notre échelle.
04:14 Non, je suis admiratif de l'espèce en général.
04:17 Je ne sais pas s'il existe un mot pour dire admiratif d'un animal.
04:20 - Vous devriez l'inventer.
04:22 - En tout cas, je le revois beaucoup.
04:25 Merci si elles m'entendent actuellement à l'attractivo.
04:28 - On avait une philosophe qui nous parlait il n'y a pas très longtemps d'admiration.
04:30 Elle parlait typiquement de ce genre de choses
04:32 qui nous permet de nous décentrer et de vivre d'autres choses.
04:35 Bernard Werber, dans une chronique sur France Culture cette année,
04:37 vous parlez d'un phénomène fascinant.
04:39 Une sorte de fable de la fourmi et du lion
04:41 qui, pour finir, porterait préjudice aux buffles.
04:44 Ça demande des explications. Est-ce que vous pouvez nous raconter ?
04:46 - Oui, c'est une espèce de fourmi invasive
04:48 qui a chassé l'espèce installée dans le pays
04:53 et qui protégeait les acacias.
04:57 Du coup, les acacias n'ont pas été protégés.
05:00 Du coup, ça a changé l'équilibre pour nourrir les zèbres
05:05 et les herbes servant d'aliments aux lions.
05:07 En fait, c'est tout l'écosystème qui a été modifié
05:09 et du coup, les lions sont mis à disparaître.
05:12 Ce qui me plaît dans cette fable, c'est qu'en fait,
05:14 les fourmis influent beaucoup plus tout l'écosystème
05:17 que nous le croyons.
05:19 Et si les fourmis disparaissaient, nous disparaîtrions nous aussi.
05:23 Un peu comme ce qu'on dit sur les abeilles.
05:25 Nous avons vraiment besoin d'elles.
05:27 - Justement, vous concluez en citant l'un des deux auteurs de cette étude,
05:30 Todd Palmer, qui dit "souvent nous constatons que ce sont les plus petits
05:33 qui ont la plus grande influence sur le monde".
05:35 On est d'accord avec ça, Pablo Servigne ?
05:37 - Oui, comme le suricate, le petit suricate qui dirige le monde !
05:41 Non, mais les fourmis, c'est petit, mais c'est immense.
05:44 C'est une biomasse immense.
05:45 Je crois que c'est en Amérique du Sud, autant que tous les vertébrés réunis.
05:49 Donc c'est comme les vers de terre.
05:51 Darwin étudie les vers de terre.
05:52 C'est la plus grande biomasse sur Terre.
05:54 Voilà, on ne serait rien.
05:56 Moi, ce qui m'a attiré, ce qui m'a fasciné avec les fourmis,
06:00 c'est la socialité.
06:01 C'est ça que j'aurais pu travailler sur les termites, les guêpes, les orques.
06:06 - En tout cas, pas sur les humains, mais sur une forme de socialité animale.
06:09 - J'avais peur d'aller vers les humains frontalement,
06:11 et je voulais étudier la socialité.
06:13 Je trouve ça fascinant que des animaux fassent société.
06:16 Et après, j'ai eu moins peur.
06:19 - En parlant de plus petit que soi, il y a quelques années,
06:22 Bernard Werber, je vous avais interviewé au moment de la COP21
06:24 pour connaître vos solutions pour l'avenir.
06:26 Et vous m'aviez proposé un rétrécissement général.
06:29 Vous m'avez dit que le mieux serait qu'on rétrécisse tous.
06:31 Vous êtes toujours d'accord avec vous-même ?
06:33 - C'est ce que la nature fait.
06:35 Regardez, les dinosaures ont disparu.
06:36 Ce n'est quand même pas un hasard.
06:37 Vous savez, jadis, les libellules avaient des envergures de 2 m de largeur.
06:40 Toutes les espèces ont réduit, tout simplement parce que la nature,
06:43 quand elle trouve qu'on fait trop de dégâts, elle nous rend plus petits.
06:46 Actuellement, on devient plus grand, nous les humains, parce qu'on mange mieux.
06:49 Mais je pense que plus il y aura de catastrophes,
06:51 et là, ça a l'air bien garni,
06:53 mon voisin qui est collapsologue en pourra vous en parler,
06:56 on sera forcés de devenir plus petits.
06:59 Les plus petits survivront plus facilement que les grands.
07:02 Déjà parce qu'ils ont besoin de moins de nourriture,
07:04 parce qu'ils sont plus rapides, ils peuvent se cacher plus facilement.
07:07 - Et voilà, vous êtes toujours d'accord avec vous-même, c'est parfait.
07:09 Pablo Sophie, vous dites que vous n'avez pas relu "Les fourmis" depuis l'adolescence.
07:13 Vous aviez trop peur d'être déçu.
07:14 Ça arrive avec les livres qu'on a adorés.
07:16 Ça peut être dur d'y retourner.
07:18 Peut-être que vous avez été encore plus influencé par ce livre que ce que vous croyez,
07:22 puisqu'on peut y lire.
07:23 Et je rappelle que le livre date de 1991.
07:26 Je vous parle de choses graves, je vous parle d'avenir de l'humanité.
07:29 Ça ne pourra plus durer, ce mode de vie n'a pas de sens.
07:31 Nous gaspillons tout, nous détruisons tout.
07:33 Les forêts sont laminées pour faire des mouchoirs jetables.
07:35 Renoncez à cette forme de vie superficielle.
07:37 Vous devez y renoncer aujourd'hui, avant qu'on ne vous y force à y renoncer demain.
07:42 Vous vous en souveniez de ça, Pablo Servigne ?
07:44 - Pas du tout. Je sais qu'il y a trois taux,
07:45 mais à la fin, la révolution m'avait pas mal aussi inspiré.
07:48 Moi, j'étais très inspiré par l'encyclopédie du savoir relatif absolu.
07:52 Et j'ai toujours un peu ce réflexe de faire ça.
07:55 J'ai beaucoup de cahiers de notes et j'ai ma petite encyclopédie.
07:59 C'est vraiment très touchant.
08:02 - C'est mes restes de journée scientifique.
08:03 Je me suis dit, tiens, je vais essayer d'apprendre des gens.
08:05 Imaginons que l'histoire ne les intéresse pas.
08:07 Parce qu'il y a quand même ces typothèses-là.
08:09 À ce moment-là, je vais leur apprendre des tas de petits trucs rigolos.
08:12 Et ça a donné l'encyclopédie.
08:14 - Et ça a donné Pablo Servigne, entre autres.
08:16 - Je suis très honoré d'avoir inspiré Pablo,
08:19 parce que, quand même, son travail est extraordinaire.
08:21 Je pense que nous avons le même état d'esprit,
08:25 à savoir un souci sur le futur des prochaines générations.
08:28 - En tout cas, merci énormément, Bernard Werber, d'être venu rencontrer Pablo Servigne.
08:33 Vous êtes actuellement en tournée pour Voyage Intérieur.
08:35 C'est un spectacle de méditation accompagné à la Harpe par Vanessa Frankeur.
08:39 Vous serez le 22 mai à Calouir, le 23 mai à Clermont-Ferrand,
08:42 le 24 à Le Péret et le 23 octobre à l'Olympia.
08:45 Je crois que ça va jusqu'en décembre, si vous voulez aller voir les dates.
08:48 - L'Olympia, c'est vraiment un challenge.
08:50 Est-ce que je vais arriver à remplir ces quatre méditations guidées avec une Harpie ?
08:54 C'est un vrai spectacle, ce n'est pas une conférence.
08:56 C'est un truc complètement nouveau.
08:58 Je vous remercie, vous êtes la première qui parlait de ce spectacle.
09:00 La première phrase, je ne sais pas ce que vous attendez, mais vous allez voir, c'est autre chose.
09:04 C'est un peu le principe du spectacle.
09:06 - La suricate de Bernard qui est dans le bleu.
09:08 - Un suricate bleu, deux suricates bleues, puisque vous aussi, Pablo, vous êtes dans le bleu.
09:14 Merci beaucoup, Bernard Werber, d'être venu nous voir.
09:16 - Merci de m'avoir invité.

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