• il y a 4 mois
Crise laitière

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Transcription
00:00Bonjour, bienvenue sur le plateau de la Space Web TV. J'accueille Gérard You, bonjour.
00:14Bonjour.
00:15Vous êtes responsable de l'économie des filières à l'Institut de l'élevage et spécialiste de la filière laitière.
00:21Je voudrais justement parler de conjoncture laitière. Les éleveurs sont inquiets de l'évolution des marchés de ces derniers mois.
00:31Est-ce qu'on peut avoir votre analyse sur l'état de la situation des marchés ? On a eu un « retournement » des marchés. Quelle est votre analyse ?
00:41Les éleveurs peuvent être inquiets à court terme, mais il est bon de rappeler que sur le moyen terme, la filière laitière française a des opportunités à l'export,
00:54avec une demande forte dans les pays émergents. Mais il est exact que sur le court terme, on voit une dégradation du marché des ingrédients laitiers.
01:04Depuis quelques mois, les cours du beurre et de la poudre maigre vendus sur le marché spot ont fortement baissé. L'explication est simple.
01:19Depuis 9 mois, la production laitière européenne est repartie. Elle a rebondi grâce à 3 ingrédients réunis. Un prix du lait qui est globalement très bon et très incitatif.
01:36Des fourrages abondants et de qualité depuis la nouvelle campagne. Et des aliments concentrés qui sont moins chers du fait de la baisse des cours des grains.
01:52Cela a relancé la production fortement, bien plus que ce que les experts tablaient il y a 9 mois à 1 an. D'autant plus que les cheptels laitiers sont également très étoffés dans les exploitations laitières en Europe du Nord, mais aussi en France.
02:11Pour résumer, on est face maintenant à un déséquilibre conjoncturel entre une demande qui est toujours sur une tendance haussière. Il y a les chinois qui vont consommer plus de lait mais sur un rythme régulier. Mais en face, la production a trop augmenté ?
02:32Effectivement, elle a répondu favorablement aux signaux des marchés. Mais elle a répondu très, voire peut-être un peu trop favorablement aux signaux des marchés. Tant et si bien que la collecte européenne a bondi de 5% au 1er semestre.
02:46Et que l'Union européenne est seule à réaliser les 2 tiers du supplément de production dans les grands bassins producteurs et exportateurs. Et dans le même temps, même si les échanges internationaux sont dynamiques, ils progressent.
03:01Mais ils progressent moins vite que les fabrications. Tant et si bien que de nombreux transformateurs laitiers européens se retrouvent depuis quelques semaines, même depuis 2 ou 3 mois, avec des stocks plus importants et des stocks croissants.
03:18Et on va dire cerise sur le gâteau si on peut parler ainsi. Eh bien l'embargo russe a accéléré le mouvement baissier puisque c'est quand même un débouché important en fromage-ingrédients, en particulier en partance de l'Allemagne, de la Pologne mais aussi de la Finlande.
03:40Vous parlez de l'embargo russe. Les éleveurs craignent justement qu'au niveau français, que les transformateurs et les distributeurs se servent de cet argument-là pour, en termes de politique de prix, jouer sur le marché et faire baisser les prix. Est-ce que c'est juste selon vous d'avoir ces craintes-là ?
03:59Je ne jugerai pas du comportement des transformateurs. Ce qu'on peut constater déjà, c'est qu'en Allemagne, où le prix du lait est très directement connecté au prix des ingrédients laitiers bord-poudre, eh bien il y a des baisses de prix qui s'opèrent et qui vont continuer à s'opérer jusqu'à la fin de l'année.
04:19Dès à présent, des transformateurs laitiers qui faisaient des fromages-ingrédients ont, on va dire, substitué ces fabrications par du beurre-poudre. Certains transformateurs allemands sont aujourd'hui redevenus très agressifs sur le marché français puisque le prix du lait payé en Allemagne aujourd'hui est inférieur au prix du lait payé en France.
04:41Et donc l'Allemagne retrouve de la compétitivité sur le marché français et on va probablement assister à une probable nouvelle guerre des prix. Et la grande distribution sait très rapidement s'emparer de ces opportunités pour faire pression, je ne sais pas d'ici la fin de l'année, mais probablement très clairement lors des prochaines négociations tarifaires en début 2015, pour faire pression sur les tarifs des produits laitiers.
05:09Donc indirectement sur la valorisation du prix du lait. Donc quelque part on est dans une logique un peu d'effet domino.
05:16Sans être alarmiste, on ne va pas être alarmiste ici, mais est-ce que les éleveurs ne sont pas en train de revivre les prémices de la crise de 2009 ?
05:27Aujourd'hui, on ne peut pas conclure ça. C'est clair que le marché est rentré dans une zone de forte turbulence. On est dans une situation aujourd'hui d'excédent qu'on peut dire plutôt conjoncturelle parce que l'offre est très dynamique.
05:45Mais dans les prochains mois, on peut avoir un ralentissement de la croissance quand même dans l'Union Européenne à l'approche de la fin de la campagne, puisque beaucoup d'éleveurs laitiers, notamment en Europe du Nord, vont être en situation de dépassement.
05:59Les pays d'Europe du Nord vont dépasser leur quota national. Donc des producteurs vont devoir payer des pénalités. Donc ça peut un petit peu les ralentir un peu quelque temps.
06:09Et d'autre part, la grande interrogation, c'est le retour de la Nouvelle-Zélande. En Nouvelle-Zélande, la production laitière repart. Elle est très saisonnière. Donc là, elle remonte.
06:20Donc quel va être son rythme de croissance ? Si son rythme de croissance est plus rapide que les années passées, on a du souci à se faire. Si, à l'inverse, des incidents climatiques type effet du courant El Nino impactent la pluvométrie et provoquent une sécheresse, dans ces cas-là, la production sera moins dynamique.
06:47Donc aujourd'hui, il y a beaucoup de variables. Il y a des incertitudes. Mais en face, hormis l'incident russe, la demande globale reste dynamique, en particulier dans les marchés émergents.
06:58Et elle peut d'ailleurs d'autant plus augmenter qu'aujourd'hui, les prix du beurre, de la poudre, notamment de la poudre maigre, a bien baissé. Et donc ces prix bas peuvent aussi offrir de nouvelles opportunités dans des pays qui ont moins de pouvoir d'achat,
07:14qui avaient quitté le marché il y a maintenant 18 mois, faute de disponibilité et en raison d'un prix élevé. Donc ça peut aussi en quelque sorte réouvrir, réélargir les débouchés.
07:28Donc il n'y a absolument pas péril en la demeure. Mais il y a effectivement être vigilant. Et nous saurons d'ici un ou deux mois si ce cap un peu délicat du pic de production en Nouvelle-Zélande se passe bien ou se passe difficilement.
07:48Vous me disiez en préparant cette émission, c'est une sorte de crash test, entre guillemets, avant la fin des quotas.
07:56C'est effectivement pas forcément le meilleur scénario de sortie des quotas laitiers. Et si effectivement la conjoncture continue à se dégrader, eh bien on risque finalement de rentrer dans l'après-quota,
08:10dans une conjoncture qui pourrait être dégradée avec des prix bas, auquel cas ça peut annoncer effectivement une période difficile. Mais le pire n'est pas certain, peut-être probable, mais pas certain.
08:26Il y a encore aujourd'hui, on va dire quelques mois, le jeu reste ouvert. Mais il est évident que nous vivons dès à maintenant les effets d'un marché, on va dire, européen et mondial libéralisé,
08:45qui provoque dès lors qu'il y a un petit surplus d'offres, de fortes variations de prix. Et donc ça, nous l'avons vécu en 2009. Nous le revivons, je l'espère, d'une manière moins dramatique cette fois-ci.
09:00Mais c'est effectivement, on va dire, la perspective à la fois de marchés prometteurs, mais de marchés instables. Et donc pas du tout sécurisant pour des producteurs laitiers et même pour des transformateurs.
09:13Pour les éleveurs, le défi pour l'après 2015, ça va dépendre de la stratégie des industriels européens ?
09:21Le défi, c'est déjà au niveau de chaque producteur de savoir quel est son projet à 5 à 10 ans. De produire par rapport à ce projet, à ses capacités, avec des coûts de production, on va dire, les plus optimisés possibles.
09:37Et bien entendu, en rapport avec les attentes, les besoins de sa laiterie. Et donc plus la laiterie sera sécurisante sur les volumes, plus les producteurs laitiers seront en situation de pouvoir se projeter, investir.
09:52Et probablement, je leur souhaite, pouvoir épargner lorsque la conjoncture est excellente, de façon à résister quand la conjoncture sera moins bonne, voire défavorable.
10:05Et ça, c'est probablement un des défis demain, c'est-à-dire pour les éleveurs, non seulement optimiser leurs coûts de production, mais également se prémunir individuellement, autant se faire que se peut, de la volatilité, on va dire, malheureusement impondérable des marchés des produits laitiers.
10:25Jean-Lariou, merci beaucoup.
10:26Je vous en prie.

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