Répartition de la valeur
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00:07Bonjour et bienvenue à tous sur l'espace TV.
00:09On va parler ensemble de répartition de la valeur ajoutée
00:12dans les filières d'élevage, de construction des prix,
00:15d'états généraux de l'alimentation.
00:18Pour cela, j'ai invité Olivier Mével. Bonjour.
00:21Bonjour et merci de m'accueillir sur votre plateau.
00:23Vous êtes spécialiste des filières agricoles, agroalimentaires,
00:27consultant en marketing et enseignant-chercheur,
00:31maître de conférences à l'université Bretagne-Loire.
00:34Vous connaissez bien la construction des prix,
00:37les filières alimentaires.
00:40J'ai une question très simple.
00:41Le projet de loi issu des états généraux de l'alimentation
00:44est en discussion. Il devrait être voté très rapidement,
00:47d'ici début octobre.
00:49Est-ce que cette loi va changer quelque chose ?
00:53Normalement, elle aurait dû changer quelque chose.
00:55Je crains pourtant qu'aujourd'hui, elle ne change rien.
00:58Pourquoi ? Parce qu'au départ,
01:00des états généraux de l'alimentation,
01:02on avait 2 possibilités.
01:04La 1re, c'était de s'attaquer, finalement, à l'économique
01:08et de se dire qu'aujourd'hui, si le compte n'y est pas,
01:10si le prix n'est pas,
01:11c'est que certains captent la valeur ajoutée
01:14au détriment des autres.
01:15Et il fallait résoudre le problème de l'économique
01:17pour donner toute sa chance aux législatifs.
01:20Or, ce qui a été fait, c'est l'inverse.
01:22C'est-à-dire que dans les discussions
01:23qu'il y a eues aux états généraux,
01:25et dans le projet de loi aujourd'hui,
01:27on verra quand il sera voté,
01:29on a finalement une situation
01:32où rien n'est fait contre les structures de marché
01:35qui, aujourd'hui, prévalent la valeur ajoutée.
01:38La promesse, pourtant,
01:39c'est d'inverser la construction du prix,
01:42et donc en partant des coûts de production.
01:44Oui, c'est une des grandes mesures,
01:46l'inversion de la construction du prix.
01:48On peut se poser aussi la question de savoir
01:50pourquoi, finalement, en France,
01:52on n'est pas capable de produire un prix juste
01:54par le simple confrontation de l'offre et la demande.
01:57Et normalement, l'Etat devrait organiser,
02:01organiser et protéger l'offre
02:03quand la demande est trop importante.
02:05Et je pense qu'il fallait d'abord organiser l'offre.
02:08Il fallait s'attaquer à une demande trop importante,
02:11de type quasi-monopolistique, dans certains cas,
02:14pour pouvoir avoir un prix juste.
02:15Or, on a pris cette logique de revenir
02:18dans une logique plus administrée,
02:20dans laquelle on va construire un prix
02:22à partir d'indicateurs de marché ou de coûts de production.
02:26Ca me rappelle, finalement,
02:28les structures de plans que l'on a pu avoir dans certains pays,
02:32notamment soviétiques, auparavant,
02:35et sur lesquels j'ai travaillé en économie.
02:37Ca ne manque pas de m'étonner.
02:39Vous avez évoqué des situations oligopolistiques,
02:44avec des quasi-monopoles.
02:46C'est finalement la structuration des filières agricoles,
02:48avec des dizaines de milliers d'agriculteurs,
02:52quelques centaines, dizaines de grands industriels,
02:57et seulement 4 GMS.
02:59C'est à ça qu'il fallait s'attaquer ?
03:01Tout à fait. Je me rappelle ces discussions
03:03que j'ai eues avec Xavier Belin,
03:04où je lui disais 370 000 agriculteurs,
03:082 500 coopératives,
03:10dont 13 seulement sont des coopératives
03:13au sens de grandes entreprises.
03:15De l'autre côté, une trentaine de firmes multinationales
03:18et 4 supercentrales d'achat.
03:21Les comptes sont vite faits.
03:22C'est la structure de marché la plus favorable qui soit.
03:24On peut réaliser une marge à l'achat
03:26quand on est quelques acheteurs face à des milliers de vendeurs.
03:30Et on peut faire une marge à la vente comme l'on souhaite
03:33parce qu'on est face à 67 millions de consommateurs.
03:36Donc tant que ce marché, cette structure est en place,
03:39elle va prévaloir sur le partage de la valeur ajoutée.
03:42Aujourd'hui, on a 4 centrales d'achat
03:44qui réalisent l'essentiel du chiffre d'affaires en alimentaire.
03:50Il y a eu cette marche en avant vers 4 centrales d'achat.
03:53On ne peut plus le changer, ça ?
03:55Si, on peut parfaitement le changer.
03:57Parce qu'on est arrivé là. Pourquoi ?
03:59On est arrivé là parce que, normalement,
04:01quand vous avez des centaines d'acteurs...
04:03Et je vous rappelle qu'en 1968, dans ce pays,
04:06il y avait 120 enseignes de distribution.
04:08Ca veut dire qu'en 50 ans,
04:10on est passé de 120 à 4 supercentrales d'achat.
04:14Donc le marché s'est concentré.
04:16La réponse de l'Etat, ça doit être déconcentrer ce marché.
04:19Et déconcentrer ce marché en abrogeant la loi du 5 juillet 96,
04:23dite loi Raffarin,
04:25de façon à rendre la contestabilité de ce marché
04:28à d'autres opérateurs.
04:29L'agriculture a échoué devant les GMS.
04:31Les industriels ont échoué devant les GMS.
04:33C'est au tour de l'Etat, aujourd'hui,
04:35de constater sa faillite devant ces supercentrales d'achat.
04:38Donc, seuls d'autres distributeurs étrangers
04:42venant contester les parts de marché
04:44permettront d'arrêter ce fameux
04:46Vous avez besoin de me vendre.
04:48Je n'ai pas besoin de vous acheter.
04:49En l'occurrence, l'instauration d'un rapport de force.
04:53On peut voir le problème, les difficultés, d'une autre manière.
04:57Aujourd'hui, le consommateur veut acheter du lait français,
05:01veut acheter de la viande française.
05:03Comment se fait-il qu'avec cette demande spécifique,
05:08cette demande spécifique devrait être bénéfique pour le producteur,
05:11devrait permettre de relever les prix ?
05:13Pourquoi ça ne se passe pas comme ça ?
05:16En cette période de rentrée universitaire,
05:18vous posez la même question que mes étudiants.
05:20En l'occurrence, M. Meyvel,
05:21pourquoi alors que le 1er critère d'achat du consommateur,
05:25aujourd'hui, est l'origine France du produit,
05:28les prix payés à l'agriculture
05:30ne montent pas éventuellement le prix du lait
05:32ou le prix de la viande bovine ?
05:34Réponse, c'est que les marchés sont mal organisés
05:37et qu'il y a donc production d'un faux prix.
05:39C'est à l'Etat, derrière, de se poser la question
05:42de savoir pourquoi certains vivent bien sur le dos des autres.
05:45Et donc, derrière,
05:47quand le 1er critère de choix est l'origine,
05:50dans ces cas-là aujourd'hui, ça veut dire que le lait,
05:53mais ça veut dire aussi que la viande n'est plus substituable.
05:55Qui pourrait vendre aujourd'hui un pack de lait
05:57avec des inscriptions de lait en langage batave ou allemand,
06:01aujourd'hui, chez Carrefour et Leclerc ? Personne.
06:03C'est bien le sens que l'origine France
06:05est devenue le critère essentiel.
06:07Pour autant, maintenant, il faut dissiper cet oligopole,
06:11et dans la filière laitière, les Danone, Benz, Aventia,
06:15et autres lactalis,
06:17constituent effectivement une forme d'oligopole
06:20doublée par les 4 supercentrales d'achat,
06:22ce qui rend la situation très compliquée, effectivement.
06:25Mais tant que cette situation perdure,
06:26il n'y a pas d'espoir de prix,
06:28puisque derrière, ils vont effectivement barrer la route
06:31à toute logique.
06:32Et réforme des EGA ou pas, ça ne changera rien.
06:35Cette structure de marché économique
06:37sera plus forte que toute tentative législative.
06:40Et on l'a vu,
06:41on en est à la 14e réforme fondamentale du canal
06:44depuis 1986, et la libération des prix.
06:47Aucune n'a fonctionné quand il s'agit des filières alimentaires.
06:51En filière laitière, est-ce qu'il n'y a pas
06:55un nivellement par le bas des prix de la part des industriels,
06:58des 5, 6 grands acteurs de la transformation laitière ?
07:04Dans la filière laitière, la situation est compliquée.
07:07On a un consommateur qui est en transition protéique
07:09et en transition éthique.
07:11La filière laitière aujourd'hui, et le linéaire laitier,
07:15a perdu 15 % sur ses prix en 15 ans.
07:17Donc la situation est compliquée.
07:19Donc d'un côté, on a un problème de l'offre finale.
07:21C'est-à-dire que, est-ce qu'aujourd'hui,
07:24les produits sont en ligne avec les attentes des consommateurs ?
07:27En l'occurrence, non.
07:29Donc il faut travailler d'un côté.
07:31Maintenant, derrière, on a des éleveurs
07:34qui n'ont pas le prix de leur travail,
07:36sauf en bio ou en lait bio,
07:38parce que là, on a un marché, je dirais, et un gâteau qui croient.
07:41Et donc c'est plus facile de se partager un gâteau
07:43qui croit qu'un gâteau qui se rétrécit.
07:45Mais il n'empêche que dans la filière aujourd'hui,
07:47on a éperdument besoin
07:49de pouvoir s'attaquer, finalement,
07:53à des marchés plus solvables.
07:55C'est-à-dire que la demande s'est diversifiée,
07:57s'est individualisée.
07:58Donc les petites marques qui se lancent,
08:00comme C'est qui le patron, comme Faire France,
08:03comme Lait de Normandie, comme Promesses d'éleveurs,
08:06tous ces marques-là, aujourd'hui, fonctionnent.
08:09Pourquoi ? Parce qu'elles répondent à une demande spécifique
08:12du consommateur en transition éthique.
08:14J'achète ce lait parce que je suis certain
08:16que l'éleveur est bien rémunéré.
08:18Où sont Lactel ? Où sont Candia ?
08:21Où sont les MDD dans cette transition éthique du consommateur ?
08:25Ils ne l'accompagnent pas.
08:26Et c'est donc un déficit de valeur, au final, pour tout le monde.
08:30On peut citer Sodial, qui est aussi au coeur de l'actualité.
08:34C'est la plus grande coopérative laitière
08:37qui collecte une grande majorité du lait, aujourd'hui.
08:42Ça aurait pu être son rôle, vous avez cité Candia.
08:47Oui.
08:48D'aucuns partagent la même idée que moi
08:51qu'aujourd'hui, dans la filière laitière,
08:53Sodial, c'est un caillou, finalement, dans la filière.
08:56Pourquoi ? Parlez de collecteur.
08:59Sodial, c'est le collecteur en dernier ressort de la filière.
09:02On lui demande de collecter dans des endroits où personne ne veut aller.
09:05En déprise.
09:07En déprise.
09:08Ses coûts fixes et logistiques sont importants.
09:11De l'autre, Sodial participe à la construction du prix du lait.
09:16C'est-à-dire qu'il est autour de la table.
09:19Et il est évident que quand vous avez un acteur
09:22qui n'a pas les mêmes conditions de marché que les autres
09:25et que vous le faites participer,
09:27tout le monde va penser à lui.
09:29Cet acteur n'a pas non plus le plus beau portefeuille de marque.
09:32On ne peut pas penser que Sodial a un portefeuille de marque
09:35qui est supérieur à Bell, à Danone, à Lactalis
09:38et à Cervancia.
09:40Ca ne tient pas.
09:41Donc, les 4 qui ont des portefeuilles de marque rutilants
09:45et qui sont capables de maximiser le chiffre d'affaires laitiers
09:48en produits transformés, derrière, à 2 000, 2 500,
09:523 000 euros au 1000 litres de lait, aujourd'hui en bio,
09:56ceux-là sont capables de payer 30 à 40 euros de plus.
09:59Mais pourquoi le ferait-il ?
10:00Puisque le prix est fait en fonction de Sodial.
10:02Donc, il y a la question de Sodial à résoudre absolument
10:05pour pouvoir libérer aujourd'hui les OP
10:08et d'ailleurs les discussions qu'elles peuvent avoir
10:10avec leur laiterie.
10:11Qu'est-ce qu'il faut faire, alors ?
10:13Aujourd'hui, il faut peut-être s'intéresser
10:17à construire un prix du lait hors Sodial
10:20en amenant une discussion sur Sodial
10:22pour qu'aujourd'hui, on puisse, derrière, se dire on gèle.
10:26On gèle, on aide Sodial.
10:27On aide Sodial en le libérant d'un certain nombre
10:31de fonctions qu'il a et d'externalités positives
10:34qu'il rend, effectivement.
10:35Et peut-être que l'entreprise aussi, plus libérée,
10:38serait dans une situation de pouvoir avoir un prix de marché
10:41qui serait à nouveau en ligne avec les autres.
10:43C'est-à-dire qu'on ne peut pas non plus ne pas aider Sodial
10:47pour avoir un prix de marché qui soit juste.
10:50On parlait tout à l'heure du lait français
10:52qui est plébiscité par les consommateurs.
10:54Il y a la question de l'étiquetage.
10:56Et on sent bien les réticences qu'il y a
10:58dans les filières à l'étiquetage de l'origine.
11:02Est-ce que ce dossier-là peut aussi faciliter les choses
11:06pour améliorer le prix au producteur ?
11:09Dans la loi EGA, le bon côté, c'est l'étiquetage.
11:12Seulement, on parle de 2023 pour une obligation d'étiquetage
11:15sur l'origine des matières premières,
11:16y compris en produits transformés.
11:18Ca doit pas être 2023, c'est 2018.
11:20Il y a urgence.
11:21Parce qu'aujourd'hui, c'est le consommateur qui tranche.
11:25Les GMS fixent les prix, mais le consommateur tranche.
11:27Le consommateur tranche de plus en plus
11:29en fonction de produits socialement responsables.
11:31Donc il faut lui donner l'information
11:33pour qu'il puisse trancher en faveur de l'origine France.
11:36Si on la lui cache, comme c'est le cas aujourd'hui,
11:39dans certains cas, effectivement, il est perdu
11:42et il fait les mauvais choix.
11:44Dernière question. Les négociations commerciales
11:47se dérouleront encore l'année prochaine, début 2019.
11:51Elles seront aussi dures que les années précédentes ?
11:55Elles vont démarrer le 1er octobre de l'année, je dirais, en cours.
11:59Elles se termineront le 1er mars de l'année N1.
12:02Et je crains fort que ces négociations commerciales
12:04soient terribles. Pourquoi ?
12:06Le prix reste l'élément central
12:09et l'axe de négociation de mon nombre d'acheteurs.
12:11Et là-dessus, Jacques Ressel et l'AFCD
12:14peuvent dire ce qu'ils veulent.
12:15Michel-Édouard Leclerc aussi.
12:17Dans le fond, on a l'impression qu'entre les staffs d'achat
12:20et de l'autre côté, la direction des enseignes alimentaires,
12:24il y a une césure. Pas du tout.
12:26Si les acheteurs se comportent ainsi,
12:28c'est qu'ils ont des ordres de leurs actionnaires.
12:30Et donc je m'attends à une vague de négociations
12:32qui soit extrêmement dure, extrêmement difficile.
12:34Pourquoi ? Les GMS, aujourd'hui, sont touchés
12:38sur toute la structure non alimentaire de leur offre.
12:40En gros, auparavant, en 2000, par exemple,
12:4360 % du chiffre d'affaires était réalisé par l'alimentaire.
12:46Aujourd'hui, on en est à quasiment 90 %.
12:49Donc ils ont un besoin éperdu de l'alimentaire
12:52pour faire leur chiffre d'affaires.
12:53C'est un enjeu de plus en plus important.
12:54Bien sûr. Mais de l'autre côté,
12:55les marges qu'ils faisaient sur les arts de la table
12:58en non alimentaire disparaissent au profit des acteurs du e-commerce.
13:01Donc, évidemment, la tentation d'avoir des négociations
13:04commerciales extrêmement dures, extrêmement violentes est là.
13:07Et on peut penser que les négociations commerciales
13:092018-2019 vont, encore,
13:13inoculer de la violence commerciale jusqu'au filiaire,
13:16jusqu'à l'amont des filières alimentaires,
13:18c'est-à-dire l'agriculture.
13:19Et selon vous, la prochaine loi, visiblement,
13:22ne changera pas grand-chose à ces négociations ?
13:25Non, parce que les structures de marché sont toujours en place.
13:28Il fallait commencer par s'attaquer à ces structures de marché
13:31avant de prétendre pouvoir amener un prix juste
13:33à ceux qui le méritent.
13:34Olivier Mével, merci beaucoup pour cette analyse.
13:38Et je vous invite à retrouver d'autres informations,
13:40toute l'actualité des états généraux de l'alimentation,
13:42du projet de loi sur webagri.fr et ternet.fr.
13:46Merci beaucoup. Au revoir.