Mulhouse : un mort sur fond de règlement de compte

  • il y a 2 mois
Avec Bilel Debbiche, secrétaire départemental Unité SGP Police Haut-Rhin et Etienne Blanc, sénateur Droite Républicaine, Rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic

---

Retrouvez nos podcasts et articles : https://www.sudradio.fr/
Nous suivre sur les réseaux sociaux
▪️ Facebook : https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel
▪️ Instagram : https://www.instagram.com/sudradioofficiel/
▪️ Twitter : https://twitter.com/SudRadio
▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr
☀️ Et pour plus de vidéo du Grand Matin Sud Radio : https://youtube.com/playlist?list=PLaXVMKmPLMDRJgbMndsvDtzg5_BXFM7X_

##C_EST_DANS_LACTU_1-2024-08-07##

Category

🗞
News
Transcription
00:00Sud Radio, les débats de l'été, 10h-13h, Maxime Liédo.
00:06Bonjour Bilal Delbiche.
00:08Bonjour Monsieur Liédo, comment allez-vous ?
00:10Très bien, merci d'être avec nous. Vous êtes secrétaire départementale Unité SGP Police Aurun.
00:16Et si je voulais absolument commencer l'émission avec vous, c'est parce qu'hier,
00:20à Mulhouse, a été abattu sur les marches du palais de justice de la ville alsacienne, un homme.
00:25On parle d'un mort, on parle également d'un blessé, on parle de 6 ou 7 coups de feu à l'arme automatique,
00:31en plein milieu de l'après-midi. Est-ce que vous me confirmez les faits ?
00:35Est-ce que c'est ça qui s'est passé réellement hier à Mulhouse, donc petite ville d'Alsace ?
00:41Effectivement, hier, aux alentours de 15h50, c'est une coïncidence géographique
00:50que les faits ont été commis à proximité du tribunal judiciaire.
00:57Ça n'a rien à voir avec le tribunal judiciaire, je tenais à le souligner déjà.
01:01Bien sûr, mais c'est le symbole qu'on a voulu utiliser ce matin.
01:06Exactement. Donc hier, aux alentours de 15h50, un scooter est pris en chasse par des individus.
01:15À bord de ce véhicule, trois individus. Ils percutent de plein fouet le scooter à proximité du tribunal judiciaire rue Chouman à Mulhouse.
01:27Et un homme, le conducteur, sort de ce véhicule et tire sur les deux victimes qui étaient sur le scooter.
01:40Un a reçu plusieurs balles au niveau du dos puisqu'il y a eu trois à cinq tirs apparemment ont été tirés.
01:53Et l'autre individu a été touché à l'épaule et au pied gauche.
01:58Il est actuellement à l'hôpital, c'est ça, en urgence absolue ?
02:01Effectivement. Et malheureusement, l'autre individu a succombé à ses blessures.
02:08On parle d'un règlement de comptes pour vol pour l'instant dans cette affaire, mais ces faits interviennent après l'interview de l'ancienne procureure de Mulhouse, Edwige Roux-Morizot.
02:18Elle évoque dans ses quelques lignes, dans votre belle ville alsacienne, un trafic de stupéfiants qui crée une délinquance forte avec des règlements de comptes violents sur le terrain.
02:27Est-ce que c'est des scènes auxquelles vous êtes confrontés, vous, de plus en plus régulièrement ?
02:31J'ai envie de vous dire, Mulhouse, ce n'est pas une ville anodine dans le Grand Est. Je vais encore le redire à vos antennes, je n'arrête pas de le répéter, ce n'est pas une ville anodine.
02:42C'est une ville où il y a beaucoup de passages, proximité des frontières, où il y a du trafic de stupéfiants, un fort trafic de stupéfiants.
02:49Et comme vous le constatez sur le territoire national, le trafic de stupéfiants gangrène la société.
02:54Et aujourd'hui, que ce soit à Dijon, à Mulhouse, dans les petites villes de province, ça se marseillise aussi, j'ai envie de vous dire, on fait état des mêmes procédés que les grandes villes,
03:13parce que, comme je vous dis, ce trafic de stupéfiants gangrène la société.
03:17Mais alors, comment ça se passe dans votre quotidien, vous, en Alsace, dans le cadre de cette lutte contre le trafic de drogue ?
03:23Qu'est-ce que vous constatez depuis ces dernières années, d'un point de vue policier ?
03:27Beaucoup plus de passages ? Différentes drogues ? Est-ce que c'est le cannabis ? Est-ce que c'est l'héroïne ? Est-ce que c'est la cocaïne ?
03:33Quelles sont les évolutions concrètes sur le terrain ?
03:38Il y a un peu de tout, j'ai envie de vous dire.
03:41Les collègues font de leur mieux avec les effectifs qu'on leur donne, mais tant qu'on n'a pas d'effectifs et de moyens humains supplémentaires pour faire face à tout ça,
03:54on est largement... j'ai envie de vous dire, on ne pourra pas tout faire si on n'a pas de moyens supplémentaires.
04:04On a parlé il y a quelques temps, c'était la une de tous nos médias, des fameux placenets, des placenets XXL, des opérations supervisées par le ministère de l'Intérieur.
04:15Est-ce qu'il y a eu un avant après ?
04:18J'ai envie de vous dire, il y a eu du mieux avec les placenets, mais ça n'a pas ralenti le quotidien, parce qu'ils s'organisent, c'est des gens qui sont vachement organisés, j'ai envie de vous dire.
04:31Et ils se réorganisent par la suite, j'ai envie de vous dire...
04:36Dès qu'on donne un coup de balai, ils trouvent déjà un moyen d'aller sous un autre tableau.
04:40Exactement, et comme on dit, vous déplacez le four, comme on dit dans notre jargon, le four est déplacé de rue en rue, et puis ils continuent leur trafic, j'ai envie de vous dire.
04:55On va accueillir dans quelques instants Étienne Blanc, qui est un sénateur de droite républicaine, c'est lui qui avait été le rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale justement sur le narcotrafic.
05:04Avant qu'on le rejoigne au standard, j'aimerais que vous nous donniez votre expérience, votre pensée réelle, parce que vous le savez, on se parle vrai sur Sud Radio.
05:14Depuis le terrain, est-ce que vous, vous avez la sensation d'être dans un policier qui travaille dans un narco-état ?
05:21Non, j'ai pas ce sentiment, mais moi je me limite à mon travail du quotidien, je suis policier de la République, et puis j'essaie de faire au mieux chaque jour dans mon quotidien pour l'évolution de notre société, pour la sécurité de nos concitoyens.
05:43Et puis j'ai envie de vous dire, je ne parle pas politique, moi je suis syndicaliste, représentant du personnel, donc je dénonce les failles dans mon quotidien, mais je ne pourrai pas vous en dire plus à ce niveau-là.
06:04Bon, merci beaucoup, merci beaucoup Bilal Delbi, secrétaire départemental, unité SGP, poli-sorin, d'avoir été avec nous pour nous éclairer un peu sur la situation de Mulhouse, et vous faites objectivement la transition parfaite, à croire que c'était prévu, avec notre second invité, Etienne Blanc, bonjour.
06:19Bonjour.
06:20Merci beaucoup d'être avec nous sur Sud Radio, je le rappelle, vous êtes sénateur droite républicaine, rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic,
06:28et pour ceux qui ont un peu de temps justement pendant ces vacances d'été, je conseille vivement cette lecture, parce que votre rapport est tout simplement hallucinant.
06:36La première question que j'ai envie de vous poser, c'est, vous aviez, en tant que rapporteur, vous, de cette commission, quels sont les éléments qui vous avaient le plus inquiété pendant ces mois de travail, et quelles sont les conclusions sur lesquelles on devait réellement être vigilant ?
06:52Difficile de résumer 600 pages en quelques secondes. Ce qui nous a frappé, c'est deux choses. D'abord, c'est l'importance du trafic et du narcotrafic sur le territoire français, que ce soit sur le territoire métropolitain ou sur les territoires ultramarins.
07:10Les quantités sont hallucinantes. Elles sont stockées. Ce qui démontre, d'ailleurs, quand il y a une saisie, l'ampleur du phénomène, c'est qu'il n'y a pas de baisse des prix. On va saisir 10 tonnes de cocaïne, les prix ne bougent pas. Pire encore, les délais de livraison ne changent pas.
07:30Donc ce qui nous a frappé, c'est d'abord ça, l'importance de ce trafic avec un chiffre d'affaires qu'on évalue grosso modo à 6 milliards d'euros par an. Et la deuxième chose qui nous a frappé, c'est maintenant la délocalisation de ce trafic de stupéfiants qui étaient jadis cantonnés aux métropoles, aux grandes villes pour l'essentiel, et qui désormais irriguent l'ensemble du territoire national, y compris de petites villes, de petites bourgs,
07:56mais qui sont dans le centre de la France, en Auvergne, en Alpes, en Saône-et-Loire. Ça nous a vraiment frappé de voir que désormais c'est l'ensemble du territoire national qui est infesté.
08:08Et vous parliez même dans votre rapport de Narco Startup Nation en réalité. Cette faculté à s'adapter, tout le monde pouvait le faire, n'importe où, cette facilité de transporter la CAM, de s'en procurer si rapidement.
08:21Bien sûr, ce qu'il faut comprendre, c'est que le narcotrafic, c'est une entreprise. Vous avez le propriétaire de l'entreprise, qui souvent réside à l'étranger, en totale impunité, bénéficiant d'une sorte d'immunité, et de l'étranger, ou pire encore, de sa cellule, quand il est emprisonné en France, il dirige son entreprise.
08:41Et une entreprise, c'est quoi ? C'est un rapport entre un produit, qui est produit par un producteur et un consommateur, et il y a toute une chaîne. Le produit, il faut le produire, il faut le transformer, il faut le stocker, il faut l'acheminer, ensuite il faut le distribuer au plus proche du consommateur.
08:59Et ces entreprises, comme dans un monde capitaliste, libéral, classique, elles s'adaptent à la situation. Elles s'adaptent aux besoins des consommateurs, mais elles s'adaptent aussi quand la puissance publique agit contre elles.
09:15Eh bien, elles se délocalisent, mon palais c'est ça, je viens de très bien l'expliquer, on fait des opérations place nette, elles sont utiles, on ne peut pas dire le contraire, elles sont à l'entreprise, bien sûr, l'entreprise elle s'adapte, elle va délocaliser, elle va trouver de nouveaux moyens d'acheminement, donc c'est utile, mais c'est nettement insuffisant.
09:35Et vous aviez alerté, dès la publication de ce rapport, sur le risque d'un narco-État, qu'est-ce que ça veut dire concrètement, la possibilité de devenir un narco-État, ça veut dire des quantités de drogues astronomiques sur le territoire, bon c'est déjà le cas, la corruption d'agents publics, une justice parallèle ?
09:51Non, un narco-État c'est un État dans lequel le narcotrafic influence la puissance publique, voire même se substitue à elle, et ce qui inquiète en France, c'est un certain nombre de signes qui laissent entendre qu'on s'achemine, on ne peut pas dire aujourd'hui qu'on est un narco-État, mais il y a un certain nombre de signes qui sont inquiétants,
10:13le premier signe c'est la corruption, corruption des agents publics, corruption des agents publics de la pénitentiaire, corruption des agents publics dans les collectivités territoriales, corruption parfois dans la gendarmerie ou dans la police, quand on facilite l'accès à un fichier pour un narco-trafiquant qui cherche à savoir quels sont les éléments.
10:35Mais est-ce que vous comprenez bien que ce que vous décrivez, peut-être avec vous le regard froid et pertinent du sénateur, mais pour nos auditeurs ici à Sud Radio, on se dit mais avec tout ce que vous nous décrivez, les quantités de drogues astronomiques, 6 milliards de chiffres d'affaires, une adaptabilité qui est visiblement inarrêtable, qu'est-ce qui nous empêche aujourd'hui réellement de franchir le cap de cette qualification de narco-État ?
10:59C'est bien le terme de notre rapport, nous disons à l'État attention, au gouvernement attention, on est sur un point de bascule, on est sur une ligne de crête, et si on ne se donne pas les moyens, et là encore mon prédécesseur responsable de police l'a dit parfaitement bien, si on ne se donne pas les moyens de lutter contre ce narco-trafique, et bien on risque de connaître une situation irréversible, c'est ça le fond du problème.
11:21Donc c'est quoi ces moyens ? C'est bien sûr des moyens matériels, c'est bien sûr des moyens techniques, mais c'est aussi des moyens juridiques. Il faut aujourd'hui que nous nous donnions les moyens que les Italiens sont donnés pour lutter contre la mafia.
11:33C'est le système des repentis, c'est une meilleure protection des indicateurs, des informateurs, il faut que des policiers mais aussi des personnes civiles puissent rentrer dans les réseaux de narco-trafiquants pour pouvoir repérer les processus et ensuite les dénoncer, ensuite permettre à la justice d'intervenir.
11:53Il faut changer de braquet, il y a un risque, ce risque il ne faut pas le nier, il n'y a pas que dans ce domaine malheureusement, on a le sentiment que le gouvernement voit arriver cette vague, mais aujourd'hui hélas on a la certitude, et au Sénat dans notre rapport nous l'avons dit très clairement, on a la certitude que la France, le gouvernement ne se donne pas aujourd'hui les moyens de lutter.
12:17Alors ça n'est pas trop tard, mais il ne faut pas trop attendre, parce que les signes s'aggravent de jour en jour. Cette affaire de Mulhouse elle fait la suite de toute une série d'affaires, pas seulement à Marseille, à Nice, à Sainte-Sainte-Denis, à Bobigny, dans plein de petites villes, à Dijon, à Grenoble.
12:33Vous parliez du gouvernement et de leurs ministres qui doivent absolument prendre conscience de la situation. Vous avez connu une vive altercation avec l'actuel ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, que vous avez accusé d'instrumentaliser ou de subordonner plutôt les témoins. Est-ce que cela veut dire qu'au plus haut sommet de l'État, il y a un refus de voir cette réalité ?
12:54Vous savez que moi quand j'ai apostrophé le ministre, qu'est-ce qu'il s'est passé ? On est en commission d'enquête, on m'interroge des magistrats à Marseille, et alors que la commission d'enquête est toujours en cours, ces magistrats ont été entendus, ils nous ont dit des choses extrêmement puissantes, le ministre décide de les convoquer.
13:14Éric, ce que vous avez dit, ce n'est pas bien. Vraiment, j'ai fait ce qu'il faut en regardant Marseille, et j'ai donné des moyens très importants. Pourquoi est-ce que vous avez dit ça ? Dans une démocratie, quand vous avez un parlementaire, une commission d'enquête qui est en cours, évidemment l'exécutif ne peut pas intervenir.
13:30Donc c'est ce que je lui ai dit, mais qu'est-ce que vous vouliez faire sur ces témoins ? Leur demander de changer d'avis, de se dédire, de se renier ? Non, ce qu'a fait à l'époque le ministre Dupond-Moretti, on ne peut pas dire que ça n'est pas bien, c'est pire que ça, c'est vraiment une faute.
13:46Et autre chose, c'est quoi ? Autre chose, c'est une loi qui donne des moyens supplémentaires à nos forces de police et à notre justice pour lutter contre le narcotrafic. On va très très loin dans les préconisations que nous faisons. Notamment, on propose des dispositifs spécifiques pour l'emprisonnement des narcotrafiquants.
14:10Nous nous sommes rendus à la maison d'arrêt des Baumettes à Marseille. Le nombre de téléphones dans les cellules est absolument abyssal.
14:18C'est ce que vous vouliez dire au prochain directement d'ailleurs.
14:20On a le sentiment que c'est quasiment libre. On ne peut pas rester dans cette situation. Il faut donc des centres de détention dédiés où il y a une rupture totale. L'évasion de la mouche, c'est exactement ça. De sa cellule, il a instrumentalisé son évasion.
14:40On ne peut pas continuer à accepter ça. Il faut une réaction très très forte et très puissante. Je crois que le ministre Dupond-Moratti l'a dit. Il souhaite un texte. On va discuter de tout ça. En tout cas, nous, avec un certain nombre de collègues sénateurs, nous serons extrêmement vigilants pour que sans délai, la France se donne de moyens puissants.
15:00On le sera tous et ici aussi à l'antenne de Sud Radio. Merci beaucoup Etienne Blanc, sénateur droite républicaine, rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic. Pour ceux qui ont un peu de temps durant leurs vacances, je leur conseille cette saine lecture. Merci beaucoup. On se retrouve dans quelques instants sur Sud Radio.

Recommandations