Anne Fulda reçoit Eve-Marie Zizza-Lalu pour son livre «Bocuse malgré moi» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'heure des livres, Eve-Marie Zizalalou.
00:05Vous êtes directrice de la rédaction du magazine Régal,
00:08vous êtes journaliste.
00:09Vous avez déjà écrit des livres,
00:11notamment une biographie officielle de Paul Bocuse
00:15qui s'appelait Le Feu sacré.
00:16Et là, vous venez de publier Bocuse malgré moi,
00:19chez Stock.
00:20Un livre qui est écrit avec les tripes,
00:23à hauteur de petite fille,
00:24parfois émouvant, sensible,
00:26qui éclaire cette fois, de manière un peu moins lumineuse,
00:30la vie du grand chef.
00:33Alors, vous écrivez notamment
00:35« Combien de fois les gens m'ont prise pour sa fille cachée,
00:38sinon pour sa belle-fille, je ne suis ni l'une ni l'autre.
00:41Je veux qu'on le sache, je veux le dire,
00:43je suis la fille de la femme avec qui il n'a jamais vécu,
00:46la fille de la femme qui l'a fait souffrir,
00:48comme les autres, plus que les autres. »
00:49Alors, un drôle de statut,
00:51et pour vous, et pour votre mère.
00:54Oui, c'est effectivement une histoire très particulière,
00:57puisque il faut savoir que Paul Bocuse était polygame,
01:00un polygame affiché, avec trois femmes.
01:02Une femme, Raymonde Bocuse,
01:04qui l'avait épousée et qui tenait le restaurant.
01:07Une seconde femme qui lui a donné un fils.
01:10Et une troisième femme, ma mère,
01:12qui, elle, a développé l'image de Bocuse
01:15partout dans le monde
01:16et qui l'a accompagnée dans tous ses voyages.
01:18Et donc, moi, il est arrivé dans ma vie,
01:20j'avais 7 ans, mes parents venaient de se séparer.
01:22Le divorce était sur le point d'être prononcé.
01:25Et d'un seul coup, il y a cet homme qui rentre dans ma vie
01:28et qui bouscule tout,
01:29parce qu'on était un petit peu une sorte de couple,
01:31en fait, un duo mère-fille.
01:33Et d'un seul coup, il rentre dans notre vie.
01:35Et moi, tout de suite, je sens que ça va être un homme
01:37qui va la faire souffrir,
01:38et j'ai envie de prendre sa défense.
01:40Et donc, ce livre, il est justement là
01:43pour renouer avec l'enfant que j'étais.
01:45En fait, on se fait des promesses
01:47quand on est enfant.
01:49On a une impression d'absolu,
01:51les choses sont...
01:53Et puis, d'un coup, on grandit.
01:55Et là, c'est la période des compromis.
01:57Et j'avais besoin de renouer avec cet enfant
02:00et besoin de lui parler
02:03et de lui donner la parole, surtout.
02:05Alors, parce qu'il vous inspire des sentiments mitigés,
02:09donc il y a eu de la détestation claire.
02:11Parce que quand il arrive, quand vous avez 7 ans,
02:14il arrive, c'est un ouragan, quoi.
02:16Il s'immisce dans votre vie.
02:18Il n'habite pas vraiment chez vous,
02:20mais là, quand vous rentrez de l'école,
02:22à l'heure du goûter,
02:24l'omniprésent, il fait redécorer la cuisine
02:26à son effigie, avec un papier peint,
02:28avec sa tête partout.
02:30Il est quand même très présent.
02:31Oui, c'est un statut un peu particulier
02:33parce qu'il est à la fois très présent et absent.
02:36Puisqu'on est donc un peu la 3e roue du carrosse,
02:39on est la 3e famille.
02:40Donc, il arrive effectivement à l'heure du thé,
02:42il y a tout un rituel.
02:43Moi, j'occupe habituellement une place dans la cuisine
02:46qui est une place d'où on embrasse un petit peu
02:49toute la vue sur les gens qui passent, qui rentrent, etc.
02:52Et quand il vient, ma mère lui donne ma place.
02:55Déjà, symboliquement, c'est quelque chose
02:57de très violent pour moi.
02:59Et puis, il y a plein d'autres histoires
03:01que je raconte comme celle-là.
03:03À l'époque, en fait, évidemment, en tant qu'enfant,
03:05je n'ai pas beaucoup de façons de réagir et de lutter.
03:08Et donc, tout est dans le silence
03:10et une sorte de révolte intérieure.
03:12Un jour, effectivement, il vient me chercher à l'école.
03:17Et je boude et je marche et je l'ignore.
03:20Et pour moi, c'est un immense fait d'arme.
03:22J'ai la sensation d'avoir expérimenté
03:25l'étendue de ma liberté intérieure vis-à-vis de cet homme.
03:28Et cette lutte se poursuit.
03:30Et effectivement, ce dont vous parlez,
03:32cette séquence du papier peint,
03:34en fait, on est partis en vacances.
03:36C'était un homme qui avait un culte de la personnalité
03:39assez fort, évidemment.
03:41Et donc, il avait mis au point...
03:44Enfin, il a fait faire un papier peint à son effigie
03:47qui représentait des timbres.
03:49Et un jour, on rentre de vacances
03:51et on découvre qu'il a redécoré la cuisine
03:53avec ce papier peint.
03:54Et là, on se dit, finalement, il est toujours là.
03:57Il est toujours là.
03:58Il y avait une solidarité, évidemment,
04:00entre nous deux.
04:01Enfin, quelque chose...
04:02On luttait aussi.
04:03Elle aussi luttait un peu contre lui,
04:05au bout d'un moment,
04:06même si elle a été amoureuse et que ça a été une passion.
04:08Et il vous enlève votre mère aussi.
04:10Il la prend parce qu'elle travaille avec lui.
04:12C'est ça qui est compliqué aussi.
04:13Il y a une forme de dépendance financière
04:16pour cette femme qui se voulait libre et indépendante.
04:19Et quand ils partent pour des...
04:21Des voyages d'affaires.
04:23Des prêtes à faire professionnelles,
04:24vous restez parfois dix jours chez...
04:27Voilà, je suis placée chez des voisins.
04:28Chez des voisins, oui.
04:29Exactement.
04:30Alors, à l'arrivée...
04:31Enfin, finalement, vous avez quand même écrit
04:33une biographie officielle de lui.
04:36En 2001.
04:37Parce qu'il vous avait désignée
04:38comme étant celle la plus à même de le faire.
04:40Je ne sais pas jusqu'à quel point
04:42il n'y avait pas une forme de perversité pour lui.
04:44Oui, en fait, c'est quand même très...
04:45J'ai essayé de me convaincre.
04:46Vous l'avez fait.
04:47Je l'ai fait.
04:48Vous étiez adulte.
04:49J'étais adulte.
04:50Ce livre, c'est pour contrebalancer.
04:51Voilà, c'est une sorte de pendant de la biographie.
04:54Et puis, de toute façon,
04:55parler de l'autre et se mettre dans sa tête,
04:59dans sa psychologie,
05:00parce que c'est ce que je fais aussi.
05:02Le livre, il y a trois voix.
05:03Il y a la voix de la petite fille,
05:04la voix de Paul Bocuse,
05:06on est dans sa tête,
05:07et la tête de ma mère.
05:08Et donc, c'est une manière de comprendre l'autre.
05:11Donc, d'aller à sa rencontre,
05:12mais aussi de le posséder.
05:14Juste dernière question.
05:15Vous vous regrettez de l'avoir connu ?
05:17Non, pas du tout.
05:18Non, évidemment pas.
05:20Je ne serais pas ce que je suis aujourd'hui.
05:22Non plus.
05:23C'est pour ça que c'est mitigé.
05:25On se construit contre les gens,
05:27autant qu'avec eux.
05:29Alors, ça s'appelle Bocuse, malgré moi.
05:31Vraiment, je vous conseille.
05:32C'est un très joli livre.
05:33C'est paru chez Stock.
05:34Merci beaucoup, Ève-Marie Zizal.
05:36Merci à vous.
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