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00:00Le Carrefour de l'info sur Arabelle.
00:07Je vous le disais il y a quelques instants, notre invité ce midi...
00:23...sur Arabelle.
00:24Voilà, cette fois c'est la bonne, notre invité ce midi, Hugues Lepège, journaliste, réalisateur et producteur,
00:34pour nous intéresser à son dernier livre, l'héritage perdu du parti communiste italien,
00:39une histoire du communisme démocratique, aux éditions Impression Nouvelle.
00:43Hugues Lepège, bonjour.
00:44Bonjour.
00:45Merci d'être toujours fidèle à nos appels.
00:47En tout cas, on va commencer avec un petit peu d'histoire, si vous le voulez bien,
00:50pour comprendre un petit peu l'origine de cette histoire, justement.
00:54Comment ce parti communiste est-il devenu, à la fin des années 70,
00:57disons, le plus puissant et le plus original en Europe occidentale ?
01:02Probablement parce qu'il a eu, dès le départ, une formation très particulière
01:06qui le démarquait des autres partis communistes d'Europe occidentale.
01:09Il a, dès le début, affirmé son autonomie,
01:12de distinguer une voie particulière du socialisme et du communisme,
01:17adaptée à la situation italienne.
01:19Et puis, c'est un parti qui a été, évidemment, victime du fascisme dans les années 20.
01:24Son grand leader et philosophe, Gramsci, a été emprisonné jusqu'à sa mort.
01:29Les autres dirigeants ont été emprisonnés ou ont pris le maquis.
01:33Mais ce parti qui a animé la résistance contre le fascisme et le nazisme
01:37n'avait que 7 000 membres en 1943.
01:40En 1947, il compte 2 250 000 membres.
01:44C'est absolument extraordinaire.
01:46Il passe d'un statut de parti de militant à un parti de masse.
01:49Et c'est ce parti qui a réussi à être un parti, je dirais,
01:52comme son leader Togliatti, à l'époque, le voulait,
01:55un parti ouvert, démocratique et qui travaillait sur le territoire,
01:59qui était proche de la préoccupation des gens.
02:01C'est ça qui explique son succès.
02:03Je pense aussi qu'il a joué un rôle très déterminant
02:06dans la prise en charge des problèmes quotidiens de la population italienne
02:11qui était face à un État quasi inexistant,
02:13ou en tout cas très peu armé et très peu prêt
02:16à répondre aux sollicitations des classes populaires.
02:19Alors il y a aussi ce regard sur ces rapports, disons,
02:22étroits mais en même temps complexes avec le Parti communiste français.
02:26Alors ce sont des partis qui ont collaboré,
02:29ce sont des partis qui appartenaient évidemment à la même organisation internationale,
02:32mais qui se distinguaient très fort d'une part
02:35parce que je viens de définir comme ouverture
02:37que représentait le Parti communiste italien.
02:39Le Parti communiste français était plus classique,
02:41plus marxiste, héliniste,
02:43nettement, je dirais, sinon un féodé,
02:46en tout cas très proche des directives de Moscou,
02:48alors que dès le départ,
02:50le Parti communiste italien s'est distingué de Moscou
02:53jusqu'à aller à la rupture dans les années 80.
02:55Il voulait développer sa voie autonome du socialisme
02:58telle qu'il a définie lui-même,
03:00considérant à un moment, dans les années 70,
03:02que la liberté démocratique,
03:04que le débat,
03:06que l'organisation démocratique de la société
03:08était une partie, je dirais,
03:10constitutive du socialisme.
03:12Ce n'était pas une raison de propagande.
03:14C'est que vraiment, il ne concevait pas
03:16qu'on puisse construire un socialisme
03:18ou un communisme sans une démocratie absolue
03:20sur le plan de toutes les règles
03:22du vivre ensemble et du débat démocratique
03:24dans la société.
03:25– Vous avez parlé il y a quelques instants
03:27de cette grandeur du Parti communiste au départ.
03:29Pourquoi c'était vraiment un modèle
03:31pour l'ensemble de la gauche en Europe ?
03:33– Eh bien parce que justement,
03:35il y avait cette ouverture
03:37parce que dès les origines,
03:39avec un de ses fondateurs,
03:41le philosophe Gramsci, dont j'ai parlé tout à l'heure,
03:43il avait tenté de définir
03:45une accession au socialisme
03:47qui soit différente de celle qui avait existé
03:49notamment en Union soviétique
03:51où il y avait eu un affrontement direct
03:53avec les classes aristocratiques
03:55et la bourgeoisie naissante.
03:57Tandis que lui considérait que
03:59en Europe, il y avait ce qu'on appelle
04:01une société civile,
04:03c'est-à-dire une justice, une école,
04:05de la presse,
04:07toutes sortes d'organisations de la société
04:09qui étaient très fortes,
04:11ce qui n'existait pas en Union soviétique.
04:13Et qu'il fallait pour cela mener un combat
04:15qui n'était pas seulement un combat frontal
04:17mais un combat d'arriver, au fond,
04:19à convaincre, à travailler sur les questions culturelles
04:21et d'organiser ce travail
04:23avant de pouvoir accéder au pouvoir.
04:25Ça c'était une originalité
04:27qui a traversé toute l'histoire
04:29du Parti communiste italien
04:31et qui a certainement inspiré,
04:33à partir des années 1970,
04:35la gauche européenne qui voyait,
04:37sinon, le modèle n'était peut-être pas
04:39le mot qu'on voulait employer
04:41puisqu'eux dénonçaient l'existence d'un modèle
04:43mais en tout cas une source d'inspiration très profonde.
04:45Alors il y a un nom qui revient
04:47très souvent, à qui vous réservez
04:49une très large place,
04:51Enrico Berlinguer.
04:53Peut-être rafraîchir la mémoire de certains.
04:55Alors c'est le secrétaire général du Parti communiste italien
04:57à partir des années 1972-74.
04:59Et c'est lui qui va amener,
05:01au fond, le Parti communiste italien
05:03au sommet de son succès électoral
05:05aux élections régionales de 1975
05:07et les législatives de 1976.
05:09Il approche les 35%
05:11et devient presque, mais pas tout à fait,
05:13le premier parti.
05:15Il a failli détrôner la démocratie chrétienne
05:17qui régnait sur le pays depuis l'après-guerre
05:19sans discontinuer.
05:21Et il a tenté, au fond, de constituer
05:23une alliance avec ce qu'il appelait
05:25les masses populaires
05:27catholiques, socialistes et communistes
05:29pour créer ce que Berlinguer avait appelé
05:31le compromis historique.
05:33Il s'agissait à la fois d'utiliser
05:35tout ce que la constitution italienne
05:37très démocratique permettait
05:39pour avancer dans des réformes,
05:41mais aussi d'éviter les tentatives
05:43de coups d'État, de déstabilisation
05:45qui, à l'époque, c'est de l'histoire
05:47ou même peut-être pour les jeunes générations
05:49de la préhistoire,
05:51mais l'Italie était menacée de coups d'État d'extrême droite.
05:53Il y avait à l'époque encore trois régimes
05:55fascistes en Europe, l'Espagne, le Portugal
05:57et la Grèce. Et il y avait des tentatives
05:59de déstabilisation. Berlinguer
06:01considérait qu'il fallait tenter
06:03d'organiser une réponse
06:05qui allait au-delà de simplement
06:07obtenir 50% des voix pour résister
06:09à cela. Ça n'a pas été possible parce qu'il n'a
06:11pas trouvé de partenaire, mais c'était une tentative.
06:13Après, il y aura d'autres politiques
06:15qui seront menées par le même Berlinguer.
06:17Et alors Berlinguer a mis aussi
06:19le doigt sur l'importance
06:21des rôles des femmes
06:23sans lesquelles les Etats-Unis ne peuvent pas y avoir de révolution.
06:25Oui, après avoir échoué dans sa politique
06:27du compromis historique parce qu'au fond,
06:29ni la démocratie chrétienne ni les socialistes
06:31ne voulaient en entendre parler et qu'il y avait surtout
06:33un veto américain absolu
06:35à la participation des communistes
06:37au pouvoir. A l'époque,
06:39l'Italie a encore une frontière avec l'Est,
06:41avec la Yougoslavie socialiste.
06:43Et donc, voilà,
06:45après cela, il a changé de stratégie
06:47et il a voulu construire
06:49d'une part une politique
06:51qui était basée à la fois sur
06:53renouveler la question
06:55de la représentation politique, la crise des partis,
06:57celle qu'on connaît aujourd'hui toujours dans nos pays.
06:59Il voulait aussi développer
07:01une pensée qui était pré-écologique
07:03parce qu'il n'y avait pas encore de parti vert écologiste
07:05à l'époque et qu'il considérait
07:07qu'il fallait poser la question de que produire
07:09et comment produire et aussi le conserver
07:11en même temps, développer
07:13même les possibilités d'obtention
07:15de postes de travail.
07:17Et puis, il fallait associer à tout cela
07:19les mouvements, les mouvements pacifistes,
07:21les mouvements de jeunes, mais aussi les femmes.
07:23Il considérait que les femmes jouaient, devaient jouer
07:25et jouaient un rôle déterminant
07:27dans la politique. Il disait
07:29qu'il n'y avait pas de révolution possible
07:31sans la révolution des femmes.
07:33Il y avait eu le référendum sur le divorce
07:35que les démocrates chrétiens
07:37à l'extrême droite voulaient empêcher
07:39de continuer à pouvoir
07:41exister selon la loi. Il y a eu un référendum
07:43sur l'avortement qui remettait en cause
07:45je dirais la dépénalisation
07:47de l'avortement. Et il a constaté
07:49que c'était vraiment les femmes qui avaient mené ce combat.
07:51Il considérait, et ce n'était pas
07:53ni de la propagande, ni une complaisance,
07:55c'était une conviction profonde
07:57chez lui, que les femmes jouaient
07:59un rôle primordial dans la vie politique
08:01et qu'elles devaient, elles,
08:03prendre, je dirais, la main
08:05et participer à toutes les transformations
08:07politiques de la vie sociale italienne.
08:09Alors, Hugues Lepage, vous mettez en garde aussi
08:11il n'y a pas un Berlinguer, mais deux
08:13explications peut-être ? Eh bien voilà, je viens
08:15un peu de l'esquisser, c'est-à-dire qu'il y avait le premier
08:17Berlinguer qui considérait qu'il fallait tenter de faire
08:19une alliance entre tous les partis
08:21démocratiques pour
08:23éviter, comme je le disais tout à l'heure,
08:25les tentatives de déstabilisation
08:27et avancer dans des réformes.
08:29Puis face à cet échec, il y a ce
08:31deuxième Berlinguer qui va définir
08:33ce qu'il appelle ce communisme démocratique
08:35où, effectivement, les libertés
08:37sont le fondement même du socialisme.
08:39Cela va de pair avec un
08:41éloignement progressif et même
08:43à un moment une rupture totale avec
08:45Moscou, où Berlinguer, à Moscou, à plusieurs
08:47reprises, va développer ses thèses
08:49devant des congrès communistes
08:51d'Union soviétique, évidemment complètement
08:53sidérés par les paroles qu'il prononce
08:55là-bas. Il y a donc ces deux Berlinguer.
08:57Alors, les deux ont été un échec
08:59politique, parce que
09:01le deuxième, parce que Berlinguer est mort en
09:031984, au cours d'un meeting
09:05de la campagne électorale des Européennes
09:07et qu'il n'a pas pu aller plus loin.
09:09Et puis, il y a eu l'après-Berlinguer
09:11et la très rapide
09:13disparition, autodissolution du parti.
09:15Alors, justement, comment ce parti
09:17qui a été très, très influent
09:19en Europe a pu
09:21connaître une dissolution aussi
09:23brutale, aussi soudaine ?
09:25C'est presque inexplicable. C'est une des raisons
09:27pour lesquelles j'ai tenté
09:29d'apporter cette question dans ce livre.
09:31On ne comprend pas
09:33comment un parti qui, à l'époque,
09:35a encore 1,5 million de membres
09:37est encore un corps vivant
09:39qui vit dans la société.
09:41Le parti communiste italien
09:43n'est pas seulement un parti où les gens rejoignent
09:45et militent pour une organisation
09:47politique, ça fait partie de leur vie.
09:49Je dirais, ça fait partie de leur formation culturelle.
09:51Il y a les maisons du peuple
09:53dans les villages qui organisent
09:55la vie collective. Donc, c'est un parti
09:57qui est aussi une communauté très
09:59soudée, très forte, même si la
10:01participation avait,
10:03au fil des années, et avec l'avenir
10:05et l'entrée en jeu,
10:07je dirais, de l'ultralibéralisme avait baissé,
10:09il restait une force importante,
10:11une force très importante. Mais,
10:13après la mort de Berlinguer,
10:15en l'espace de quelques mois, un nouveau secrétaire
10:17général est élu,
10:19et il va vouloir, ce qu'il appelle,
10:21moderniser le parti en abandonnant
10:23ses références fondamentales,
10:25y compris celles que Berlinguer avait mises.
10:27C'était, au fond, une volonté de s'intégrer
10:29dans le système politique,
10:31non plus en voulant le transformer, mais en voulant
10:33s'adapter aux règles d'existence.
10:35Et là, c'est le vrai tournant, évidemment,
10:37qui va bousculer complètement
10:39la vie du parti communiste italien.
10:41Il y aura deux congrès
10:43en l'espace de deux ans, et en deux ans,
10:45pour une série de raisons, notamment le fait
10:47que le secrétaire général
10:49avait le pouvoir dans le parti, et qu'on
10:51considérait qu'il ne se trompait jamais,
10:53le fait qu'il y avait une bureaucratie de plus en plus importante,
10:55va réussir, au fond,
10:57à détruire ce parti,
10:59et à le dissoudre,
11:01et à organiser une succession de petits partis,
11:03ensuite, qui n'atteindront
11:05évidemment pas le niveau de puissance
11:07du parti communiste italien.
11:09– J'ai lu aussi que vous parliez d'utopie berlinguerienne,
11:11un éclairage peut-être ?
11:13– C'est l'idée que dans la société qu'il vivait,
11:15et moi je dirais que c'est une idée
11:17qui peut encore être aujourd'hui,
11:19en tout cas, une source d'inspiration,
11:21c'est qu'il y a encore
11:23un horizon possible pour un communisme
11:25démocratique.
11:27Démocratique est le mot aussi important
11:29que communisme, sinon plus.
11:31Et c'est tel qu'il l'a défini
11:33dans sa nouvelle politique,
11:35et c'est aussi pour ça que j'ai écrit ce livre,
11:37je pense que ce deuxième berlinguer,
11:39écologiste,
11:41qui met en cause
11:43l'organisation des partis politiques
11:45dans la société,
11:47et qui développe ce rapport avec les mouvements,
11:49et notamment les femmes, est encore une source d'inspiration
11:51pour aujourd'hui, et ce sont des questions
11:53que dans toute l'Europe, la gauche notamment,
11:55n'a toujours pas réussi à régler.
11:57Elle ferait bien de se retourner vers ce que Berlinguer
11:59avait dit, et de réfléchir
12:01à ce que cet héritage peut encore être
12:03utile aujourd'hui dans la société
12:05de notre année 2024
12:07et suivante.
12:09Une question anglopêche, que serait-il advenu du
12:11parti communiste si Berlinguer avait
12:13survécu à son...
12:15Ah, les si, les si, les si, évidemment.
12:17Et c'est une question qu'on ne peut pas
12:19ne pas se poser, évidemment,
12:21que se sont posées les historiens,
12:23et un de ses principaux biographes
12:25dit d'ailleurs, on ne peut pas dire
12:27ce qui
12:29se serait passé si Berlinguer
12:31avait vécu, mais on peut dire ce qui
12:33est devenu le parti
12:35communiste et la société italienne
12:37avec la mort de Berlinguer.
12:39Et là, c'est clair que si Berlinguer
12:41avait été encore là, je ne sais pas si l'histoire
12:43en aurait été changée, mais en tout cas,
12:45il aurait organisé une résistance à l'intérieur
12:47du parti et dans la société italienne
12:49qui aurait rendu beaucoup plus difficile
12:51la dissolution du parti.
12:53Peut-être avant de quitter, Glupege, un message,
12:55un mot de la fin.
12:57Je dirais que ce qui est important
12:59aussi de noter, c'est que ce que nous
13:01connaissons aujourd'hui en Italie,
13:03il y a eu Berlusconi dans les années 90,
13:05il y a aujourd'hui Meloni depuis deux ans,
13:07donc l'extrême droite au pouvoir avec la Lega,
13:09avec tous les dégâts que cela
13:11provoque à la fois dans la société,
13:13sur la question migratoire, notamment,
13:15mais pas seulement,
13:17et la conséquence de l'effacement du parti communiste italien.
13:19Il n'y a plus eu de gauche en Italie
13:21depuis la disparition du parti,
13:23des partis succédants se sont centrés
13:25vers le centre-gauche, ont abandonné
13:27les références principales et ça a
13:29laissé la porte ouverte à la fois
13:31à Berlusconi et puis à Meloni aujourd'hui.
13:33Tout est à revoir de ce point de vue-là.
13:35Voilà, c'est la conclusion d'Hugues Glupege,
13:37journaliste, réalisateur, producteur,
13:39pour nous intéresser aujourd'hui à son dernier livre
13:41L'héritage perdu du parti communiste italien,
13:43une histoire du communisme démocratique
13:45aux éditions Impression Nouvelle.
13:47Merci Hugues d'avoir été avec nous.
13:49Merci à vous.
13:51On se retrouve dans quelques instants pour la suite de votre Carrefour de l'Info.