Dans Tout Public du mercredi 20 novembre 2024, la journaliste Inès Léraud pour "Champs de bataille. L'histoire enfouie du remembrement", et Michel Hazanavicius pour "La Plus précieuse des marchandises".
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00:00Avec aujourd'hui, Frédéric Carbone, deux oeuvres de création absolument d'utilité
00:08publique.
00:09Ben oui, c'est évidemment le cas quand le cinéaste Michel Azanavicius filme l'indicible
00:14de la Shoah sous forme de contes et par le choix de l'animation en se focalisant sur
00:18la figure de quelques justes, il sera avec nous avant 14h, mais ça l'est aussi et de
00:22manière différente quand la journaliste Inès Lerrault poursuit son précieux travail
00:27d'enquête sur la France agricole, toujours impressionnant par la richesse de la documentation
00:32et qui est aussi écrit et dessiné à hauteur d'hommes, de paysans, en l'occurrence d'hommes
00:36et de femmes bien sûr, après les algues vertes et les ravages de l'environnement
00:41de l'agriculteur intensif dans Bretagne notamment, voilà donc la naissance d'une certaine manière
00:46de ce modèle et qui résonne particulièrement dans le contexte de colère du monde agricole,
00:51ça s'appelle « Le champ de bataille, l'histoire enfouie du remembrement » avec le dessinateur
00:56Pierre Vanhoef, bonjour Inès Lerrault, bonjour Frédéric Carbone, un peu de pédagogie
01:00d'abord, le remembrement, tout le monde a entendu parler, mettons des réalités derrière,
01:04après la guerre, après la seconde guerre mondiale, regrouper les parcelles pour mieux
01:08nourrir la France, naissance de ce modèle d'agriculture intensive ? Oui, mais en fait
01:13très peu de monde a entendu parler de ce mot « remembrement » et c'était mon cas
01:16quand je suis arrivée en Bretagne en 2015 pour enquêter, tous les habitants me parlaient
01:20de ce remembrement dont je n'avais jamais entendu parler, il s'agissait, en effet,
01:25c'était quelque chose qui a été réfléchi pendant tout le début du XXe siècle, on
01:29voulait moderniser l'agriculture pour la rendre plus productive et donc l'idée c'est
01:33d'arracher des arbres, des haies et de regrouper les parcelles, d'en faire de plus grands
01:38champs pour les cultiver avec des machines.
01:40Souveraineté alimentaire, d'une certaine manière ! L'idée c'était vraiment de
01:44pouvoir en fait produire des denrées alimentaires à prix plus bas pour pouvoir entrer en concurrence
01:50avec les produits internationaux.
01:52Et d'une certaine manière, la terrible période de la seconde guerre mondiale, le
01:57régime de Vichy, a permis peut-être d'accélérer ça ?
01:59Voilà, en fait, on voit que les guerres qui vont effacer les frontières entre les parcelles,
02:07entre les champs, vont permettre des remembrements expérimentaux dans la première moitié du
02:12XXe siècle, puis sous le régime de Vichy, c'est vraiment là que va se former la loi
02:20sur le remembrement en 1941.
02:22Alors, on peut se dire, bonne idée, évidemment, de produire plus, parce qu'on sort aussi
02:28de la guerre où il y a eu des privations, des difficultés, mais il y a des problèmes
02:33sans doute de forme et de fond.
02:34Déjà de forme, mais ça n'est pas qu'une forme, tout ça est totalement imposé par
02:38la force.
02:39En fait, c'est vrai qu'au fur et à mesure de cette enquête, j'ai compris que les populations
02:46rurales étaient plutôt d'accord ou plutôt indifférentes à ce projet de remembrement.
02:51Quand même, beaucoup d'habitants le souhaitaient, parce que ça permettait d'améliorer la circulation
02:54dans les campagnes, de créer beaucoup de routes, d'agrandir les champs, etc.
02:59Le progrès, pour le garif.
03:00Voilà, c'était le progrès, mais en fait, il a été mené dans des conditions très
03:04autoritaires vis-à-vis des populations rurales.
03:07Il a été imposé et elles se sont senties violées aussi dans leurs propriétés.
03:13Et en fait, ça a généré des conflits énormes.
03:19Souvent, les bulldozers du remembrement ont dû être accompagnés par les forces de l'ordre,
03:26les gendarmes mobiles, les paysans qui se révoltaient ont été gazés avec des gaz
03:29lacrymogènes.
03:30Internement forcés parfois même.
03:32Oui, ça a été jusqu'à l'internement forcé en psychiatrie de certains opposants.
03:36Mais il faut dire qu'en fait, il y a aussi beaucoup d'opposants qui ont été conduits
03:40en psychiatrie parce que ça les a vraiment rendus fous, parce que ce remembrement était
03:44pensé par des bureaucrates, une administration qui ne connaissait pas véritablement la terre
03:49et la campagne.
03:50Et parfois, il a été mené de façon complètement absurde.
03:53C'est l'agriculture contre les paysans ? C'est aussi simple que ça ?
03:57C'est une question conceptuelle intéressante.
04:01Mais effectivement, c'est l'agriculture qui a détruit, qui a liquidé la paysannerie.
04:06C'est vraiment ça qui s'est passé en quelques décennies.
04:08On a liquidé une civilisation rurale qui était vraiment résiliente face au climat
04:14et aux ressources naturelles qu'elle avait autour d'elle.
04:17C'est ça qui est effectivement passionnant.
04:18Une chose passionnante dans votre livre « Champ de bataille », c'est qu'il y a des batailles
04:24physiques, il y a un paysage qui est dégradé, mais il y a presque toute une société qui
04:29est comme ça, bouleversée, déstabilisée, comme par une espèce de poison qui s'instille
04:33et dont on ne sait pas jusqu'où il va aller.
04:35Oui, c'est vraiment une disparition à marge forcée.
04:39Et en fait, ce qui était assez étonnant, et ça j'ai pu le découvrir en travaillant
04:43avec des historiens, notamment Léandre Mandart, c'est en allant dans les archives départementales,
04:48dans les archives des cabinets de préfecture, c'est de découvrir à quel point ce plan
04:53était pensé.
04:54Il fallait réduire le monde paysan, il fallait que la paysannerie serve de main d'œuvre
05:00dans les usines qui étaient en train de naître, il fallait que l'agriculture soit consommatrice
05:05de produits industriels, de tracteurs, de produits chimiques, il fallait que le prix
05:09des aliments diminue pour que l'argent des consommateurs puisse se tourner vers les produits
05:16manufacturés.
05:17Encore une fois, tout ça paraît être, quand je dis de bonnes raisons, il n'y a pas de
05:21mauvaises ou de mauvaises raisons, mais quelque chose de logique, d'une certaine manière,
05:25mais dans laquelle ces gens-là ont été exclus quand il s'agissait au lycée, de savoir
05:29si, ben oui, on va agrandir, mais c'est moi, c'est ma parcelle, donc je vais me retrouver
05:34privé.
05:35C'est à ça qu'on s'est heurté, village par village.
05:37Oui, le projet d'État, c'était vraiment l'expansion de l'industrie française.
05:41Et effectivement, on n'a pas du tout pris en compte ce qu'étaient en train de vivre
05:46les populations rurales et ça a dessiné une fissure, une fracture entre les villes
05:51et les campagnes qu'on voit plus que jamais aujourd'hui surgir, qu'on a vu aussi avec
05:55le mouvement des Gilets jaunes.
05:56C'est-à-dire que tout ça, ça, ces résonances-là aujourd'hui, c'est de ce mouvement-là
06:03de démembrement, pas que ce n'est, on ne va pas aller jusque-là, mais en tout cas,
06:07il y a les origines de ce qu'on vit aujourd'hui.
06:08Oui, de ce qu'on vit aujourd'hui, dans les mouvements agricoles, dans les mouvements
06:12populaires, on voit vraiment un point d'origine dans ce qui s'est passé au moment du remembrement.
06:18On va écouter un témoignage qui sans doute illustre ça, parce que c'est un travail
06:22de longue durée, votre travail plusieurs années qui est passé aussi par ici, par
06:25la radio, par France Culture, un documentaire sur ce remembrement que vous avez fait en
06:302021, je crois, il y a deux ou trois ans, on est en Bretagne, cette dame s'appelle
06:36Jacqueline Le Goff, et voilà ce qu'elle vous dit, souvenir d'une enfant de 9 ans,
06:39je crois, à l'époque, qui voit ce qui se passe sur la parcelle de ses parents.
06:42« Je revois l'apparition des bulldozers sur la colline en face de chez moi, qui saccagent,
06:56qui détruisent tout, les arbres, les talus, ils empilent ça comme si tout ça, ça n'avait
07:03plus d'importance.
07:04C'était des choses que les hommes avant nous avaient faites patiemment, qu'on a détruits
07:10avec tellement de facilité, tellement vite, je suis restée avec ça, et c'est peut-être
07:15pour ça que c'est si douloureux, c'est parce que justement, à cette époque-là,
07:18je n'en ai jamais parlé à personne.
07:19Sur moi, ça a eu énormément d'impact, ça a mis de la rage en moi.
07:23C'est 62 ans après, et c'est l'illustration absolue du sous-titre « Histoire enfouie
07:27». Totalement enfouie, mais qui remonte dès qu'on en parle avec ces personnes.
07:30En fait, c'est vraiment le champ lexical de la guerre qui surgit d'abord quand on
07:34parle avec les habitants, quand on arrive dans les villages et qu'on frappe aux portes,
07:39quand on dit le meuremembrement, des fois, ils ouvrent à peine les volets, ils disent
07:42« mais il ne faut plus parler de ce mot ! ».
07:44Oui, on vous dit « cette dame, elle n'ouvre pas sa porte, elle n'allait pas là-haut
07:47».
07:48Il ne faut pas dire ce mot, c'est la Corse ici, quand on parle, il y a des tensions partout,
07:51il y a des conflits, il y a des villages où il y a encore deux barres, deux sociétés
07:54de chasse, celui pour les familles des pro-remembrements et celui pour les familles des opposants remembrements.
07:59Effectivement, c'est du coup aussi des traumatismes qui font que c'est difficile de mettre
08:06des mots.
08:07Ça a été très long de reconstituer cette histoire parce qu'elle avait peu été transmise
08:11comme les souvenirs de guerre.
08:12Mais en même temps, on est quoi ? Deux, trois, voire quatre générations après, et on se
08:17rend compte que ce qui a été cassé d'une certaine manière n'est pas réparé aujourd'hui
08:21encore.
08:22C'est-à-dire qu'on n'est pas passé à autre chose non plus.
08:23Oui, c'est beaucoup plus facile de détruire que de réparer et on voit qu'on a aussi rendu
08:29rectiligne des rivières en méandres pour gagner en surface agricole cultivable.
08:34Et on voit que ça reméandrait une rivière, replantait du bocage.
08:38Aujourd'hui, on dépense énormément d'argent public pour ça et parfois un peu en vain
08:44parce que c'est très compliqué en effet de reconstruire.
08:49Mais on va se dire quoi ? On ne va pas revenir aux années 50 ?
08:52En fait, c'est marrant parce qu'à la fin du livre, il y a Edgar Pisani qui était ministre
08:57de l'Agriculture au moment du remembrement et qui pendant des années a dit qu'il regrette,
09:05qu'il ne pensait pas que ça allait aller si loin, qu'il aimerait revenir en arrière.
09:08Et en effet, on voit que quand même aujourd'hui, si on veut à nouveau avoir ce bocage qui
09:16avait un intérêt climatique, qui avait un intérêt au niveau de l'érosion des sols,
09:19qui avait un intérêt au niveau de l'eau dans les sols, il faudrait quand même des
09:24politiques publiques en faveur de l'installation de nombreux paysans dans les campagnes.
09:29Là, on assiste à une diminution drastique du nombre d'agriculteurs et c'est un enjeu
09:33primordial, y compris écologique, de réinstaller de la paysannerie dans les campagnes.
09:37Donnez quelques chiffres là-dessus.
09:39Entre les années 50 et les années 70, je crois que le nombre d'agriculteurs a divisé
09:44par deux, même un peu plus, de 7 à 3 millions, à l'inverse, la production a doublé pendant
09:50cette même période.
09:51Vous le dites, et à juste titre, l'urgence climatique devrait inciter à ça, mais on
09:54le voit bien, vous le savez beaucoup mieux que moi, Inès Leraud, vous travaillez en
09:57Bretagne, que quand il s'agit de passer des parcelles, aujourd'hui, quand des agriculteurs
10:03s'en vont, il y a plutôt du regroupement qu'au contraire de la morcellisation.
10:06On reste dans cette logique-là.
10:08Oui, effectivement, les fermes, les agriculteurs ne cessent de diminuer.
10:12Entre la sortie de la guerre et aujourd'hui, leur population a diminué de plus de 90%.
10:17Il reste 400 000 fermes aujourd'hui en France, et elles étaient 7 millions à la sortie
10:23de la guerre.
10:24Et le mouvement continue toujours, ce mouvement a amorcé pendant le remembrement.
10:28Aujourd'hui, les fermes s'agrandissent, et le bocage qui reste est arrasé au moment
10:36de l'agrandissement des fermes.
10:39On se souvient, votre première enquête du même genre, les algues vertes, les soucis
10:43qu'il y avait eu après, vous touchez à quelque chose d'extrêmement conflictuel
10:45aujourd'hui.
10:46Là, ce sont des conflits du passé, vous avez déjà, vous sentez déjà, à quel point
10:50vous remuez des choses qu'on n'a peut-être pas envie de voir ou d'entendre ou de savoir ?
10:53Là, elle sort tout juste, elle vient de sortir, et en fait, j'attends, j'attends
10:58les réactions, je n'en ai pas encore.
10:59Mais avec un peu d'inquiétude, un peu d'appréhension ?
11:02Oui, éventuellement.
11:04Je ne sais pas comment cette histoire reconstituée, qu'est-ce qu'elle va faire surgir, en fait,
11:12chez les lecteurs et les lectrices, et y compris chez les personnes de la FNSEA, qui ont accompagné
11:16ce mouvement, le syndicat agricole majoritaire.
11:20En tout cas, c'était passionnant de vous entendre, de vous lire, c'était bien d'exhumer
11:24cette histoire en fûche, chante de bataille, Inès Léraud avec Pierre Vanhoef, à la revue
11:28dessinée chez Delcourt.
11:29Merci beaucoup.
11:30Merci.
11:31Merci à vous, Frédéric Carbone, restez avec nous et votre invité, à suivre le réalisateur
11:37Michel Hazanavicieux.
11:38C'est dans la deuxième partie de Tout Public, juste après le Fil Info de 13h45, Armand
11:43Perrouloga.
11:44Quelle condamnation pour Pierre Palmade.
11:47Son procès s'est ouvert ce matin à Melun, un an et demi après l'accident de la route
11:50qu'il a provoqué et qui avait fait trois blessés graves, dont une femme qui avait perdu
11:53son bébé.
11:54L'humoriste était sous l'emprise des stupéfiants.
11:56Ce matin, il a été confronté au récit des vies brisées des trois victimes.
12:01La colère des agriculteurs est loin de retomber.
12:03La coordination rurale mène des actions depuis ce matin dans le sud-ouest.
12:06Elle bloque une centrale d'achat de Leclerc en Gironde et une autre centrale d'achat
12:10à Mont-de-Marsan dans les Landes.
12:12La coordination rurale a en revanche levé le blocage du péage du Boubou sur la Neuf
12:16dans les Pyrénées-Orientales.
12:17Une première victoire de la gauche pour abroger la réforme des retraites.
12:21La commission des affaires sociales a approuvé l'abaissement de l'âge de départ de 64
12:25à 62 ans.
12:26Mais le vrai test aura lieu dans l'hémicycle, le 28 novembre.
12:30Une alerte à la neige et au verglas.
12:32En pleine, 28 départements sont concernés.
12:34Demain, des côtes d'armor jusqu'au Haut-Rhin en passant par l'île de France.
12:37On attend jusqu'à 10 centimètres d'épaisseur par endroit.
12:40Les forces russes continuent de progresser en Ukraine.
12:42Elles ont pris le contrôle d'une nouvelle localité ce matin dans la région de Donetsk.
12:46La capitale Kiev, elle, est en état d'alerte dans l'attente d'une riposte après l'usage
12:50hier des premiers missiles américains longue portée.
12:53Et puis, à la COP 29, les discussions achoppent toujours sur l'aide aux pays en développement.
12:57Qui doit payer ? Et combien pour financer la transition écologique ?
13:01Pas d'engagement pour l'instant des pays riches.
13:11Frédéric Carbone, dans la suite de tout public, place un film d'animation qui s'empare
13:15du sujet le plus douloureux, la Shoah, l'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
13:20Oui, c'est sous forme de contes avec la volonté, donc on l'imagine, de transmettre cette
13:24mémoire aux plus jeunes que Michel Azanavissius choisit de s'attaquer à l'indicible dans
13:28la plus précieuse des marchandises.
13:30On est dans la neige des plaines polonaises, dans la cendre des camps d'extermination
13:34et dans les pas d'une fillette qui va être recueillie par une famille de bûcherons.
13:37Bonjour Michel Azanavissius.
13:38Bonjour.
13:39Avant de parler de l'essentiel, un mot de votre parcours quand même.
13:42De la comédie, ou à 1617, à une forme d'hommage à Godard, de la comédie musicale, The Artist,
13:47à la parodie de Phil de Jean, maintenant l'animation, vous piochez dans tous les outils
13:52de la boîte du ciné ?
13:53Je me promène, oui.
13:54Oui, je me promène et tout va bien, je suis content.
13:58Mais vous vous promenez là parce que c'est le genre qui vous permettait de raconter cette
14:02histoire ?
14:03Alors là, je me sers de l'animation parce que c'était la forme la plus adaptée pour
14:09raconter cette histoire.
14:10Je n'avais pas d'attraction spéciale pour l'animation, mais au vu du sujet et au vu
14:19de la couleur générale, de la manière de traiter ce sujet dans sa forme littéraire,
14:24à savoir un conte, c'était à peu près clair que l'animation était la route qu'il
14:30fallait suivre.
14:31La plus naturelle.
14:32Un conte, effectivement, tiré sur veille.
14:33Oui, qui commence par « Il était une fois, pendant la seconde guerre mondiale, en Pologne,
14:37dans une forêt recouverte de neige, une pauvre bûcheronne qui prit les dieux du train de
14:42laisser une fois tomber d'un convoi une marchandise ». Ce train, c'est celui qui mène vers les
14:47camps de la mort, les déportés juifs, la marchandise, ce sera un couffin avec un bébé,
14:52un miracle pour cette femme qui a perdu un enfant en bas âge, un malheur, pour son mari
14:57persuadé que les êtres de cette race, je mets des guillemets, n'ont pas de cœur.
15:00« Qu'est-ce que c'est que ça ? Ne sais-tu pas à quelle espèce il appartient ? C'est
15:06un sans-cœur ! ». Jusqu'au jour où l'homme rustre réalise que l'enfant a bien un cœur,
15:15c'est peut-être le meilleur moyen d'expliquer aujourd'hui ce qu'est être un juste,
15:20cette possibilité de la lumière dans l'obscurité, de penser contre soi-même, de s'ouvrir
15:26à l'autre et de faire le geste qui sauve.
15:28Par les variations de couleurs, l'épaisseur du trait, la force des symboles, ce train
15:32maléfique et le talent des voix, Grégory Gadebois, Dominique Blanc, Denis Podalides
15:37et un certain Jean-Louis Trintignant, on y reviendra, on se fait happer par ce récit
15:41qui ose ouvrir les portes du camp de concentration et transgresser l'impossibilité lancemanienne
15:48de la représentation de la Shoah, l'obscénité est écartée.
15:51Avec l'auteur Jean-Claude Granbert, vous ouvrez, Michel Aznavissus, une nouvelle ère
15:56mémorielle.
15:57Oui, je crois que c'est Jean-Claude qui l'a ouverte, je crois que pour la première
16:02fois, ça fait longtemps qu'il écrit sur le sujet, ça fait plus d'une soixantaine
16:06d'années maintenant et je crois que c'est la première fois non seulement qu'il ouvre
16:10les portes du camp mais même qu'il rentre dans un convoi de déportés, ce qui pose
16:16beaucoup de questions éthiques et morales quand on se met en tête de représenter ça.
16:21C'est une chose de le faire de manière littéraire parce que les phrases laissent beaucoup de
16:28place à l'imaginaire du lecteur, c'est plus compliqué quand on met effectivement
16:32des images dessus parce que l'image réduit quand même l'imaginaire.
16:37On a essayé de faire ça avec le maximum de tact et de délicatesse, le fait que ce
16:44soit un conte et donc que l'histoire s'adresse aussi aux enfants, pas tant pour expliquer
16:48mais pour montrer, pour transmettre des émotions, peut-être héroïser cette figure des justes
16:55qui sont ceux qui ont sauvé l'honneur de l'humanité en cette période.
17:00Effectivement, on a essayé de travailler, de s'adresser aux enfants sans leur mentir
17:06et sans les traumatiser et sans surtout suivre le trajet un petit peu obligatoire et systématique
17:16dès qu'on évoque cette tragédie, c'est-à-dire qu'il y a toujours un trajet émotionnel
17:22qui fait que je ne suis pas très à l'aise avec ces films-là parce que j'ai l'impression
17:25que je n'ai pas le choix de penser autre chose que ce que je dois penser et je trouve
17:29que le conte de Jean-Claude est beaucoup plus libre et beaucoup plus ouvert dans sa
17:35manière de raconter.
17:36Vous dites héroïser les justes mais ces personnes-là justement, et c'est ça qui
17:39est bien, ce ne sont pas des héros, ça pourrait être vous ou moi, c'est aussi ça que vous
17:44voulez dire j'imagine.
17:45Ce que je veux dire c'est que vous ou moi pouvons être des héros, c'est ce qui est
17:50beau dans cette histoire-là, c'est que suivant les circonstances, les circonstances révèlent
17:54les êtres humains, vous parliez tout à l'heure de l'Ukraine, l'Ukraine ce n'était pas
17:59un pays de héros spécialement, aujourd'hui beaucoup de gens se sont révélés, des gens
18:03comme vous, comme moi, se sont révélés être des héros et c'est ce qui est beau dans
18:08un conte, c'est qu'en fait ils utilisent des archétypes humains et il ne s'agit pas
18:16de dire les juifs, il ne s'agit pas de dire les nazis, même si le fond de cette histoire
18:20c'est le génocide juif, ce sont avant tout des êtres humains et l'histoire nous raconte
18:25que oui, on est capable d'être des génocidaires, oui, on est potentiellement des victimes
18:30mais on a le choix aussi de se comporter bien, c'est ce qu'ont fait ces personnages-là.
18:35Qu'elle a été pour vous Michel Aznavissus le déclic, vous qui venez d'une famille
18:40juive d'Europe centrale, Lituanie aussi, je crois, pour s'emparer, s'attaquer à
18:45ce sujet-là, représenter ce sujet-là ? Mais comme je vous disais, avant de tomber
18:49sur ce texte de Grimberg, je n'étais pas très à l'aise ou pas très attiré pour
18:55les raisons que je viens de dire, c'est-à-dire, j'avais l'impression d'être un peu otage
19:00d'une certaine manière, le sujet me rendait un peu otage de ce que je devais ressentir.
19:05Mais l'envie était là avant, la nécessité, est-ce qu'il y a eu un déclic ? Vous parlez
19:08de la guerre en Ukraine ou tout ce qui se passe aujourd'hui, le climat actuel d'antisémitisme
19:13ici ou là ? Non, parce que j'ai commencé à travailler
19:16avec Grimberg, j'ai accepté ce projet il y a six ans, donc c'était avant l'Ukraine,
19:20je ne sais pas qu'il n'y avait pas d'antisémitisme, enfin il était à sa hauteur à peu près
19:24normale on va dire, donc ce n'est pas ça, c'est la beauté du texte de Jean-Claude
19:29Grimberg qui est un texte qui a balayé tout sur son passage, quand je l'ai lu, les doutes
19:35ou le manque d'appétit pour se représenter ou pour m'intéresser à cette histoire-là,
19:41tout ça a été balayé parce que je trouve qu'il a trouvé une manière de raconter
19:45et de s'adresser aussi au gamin qui est sous une forme qui a l'air très simple et
19:54très puissante et profonde.
19:55Oui, parce que vous le connaissez très bien, c'est un ami de vos parents, avec cette particularité
20:01c'est que dans ce texte-là, a fortiori avec le sujet, il n'y a pas d'humour alors que
20:05dans toutes les pièces de Jean-Claude Grimberg, il y a toujours ce moment où il y a un humour
20:08incroyable.
20:09Il y a de l'humour, il y a de l'humour, il y a de la légèreté, pendant qu'on écrivait
20:13il me disait toujours, il faut quand même les faire rire un peu, il faut les faire
20:17sourire parce que sinon c'est trop pesant et tout ça, et là il y a toute l'élégance
20:22de Jean-Claude Grimberg, c'est-à-dire qu'il trouve toujours la faille dans le drame si
20:26vous voulez.
20:27Oui, la vie est dramatique mais il faut se marier, il faut chanter, il faut danser, sinon
20:34on meurt.
20:35Donc je trouve que cet appétit de la vie, cette pulsion de vie, même dans les cas les
20:41plus désespérés, Grimberg ne l'oublie jamais et j'ai essayé de respecter ça dans
20:46le film.
20:47En allant de la noirceur à la lumière aussi d'une certaine manière.
20:49Alors ça c'est le geste, le mouvement du récit va effectivement, le film est entièrement
20:57tourné vers la vie, il est entièrement tourné vers l'amour, mais à l'intérieur de ça,
21:04il y a vraiment des moments de respiration qui sont légers.
21:07Il y a un gamin de 9 ans qui est venu voir le film, qui a adoré le film et il m'a dit
21:11vraiment ce que j'ai aimé, vous voyez, mais il m'a dit, à chaque fois qu'il y a quelque
21:16chose de grave, vous nous mettez quelque chose de léger et ça, ça fait du bien.
21:19Et c'était effectivement l'idée de mélanger tout ça.
21:24Ils sont bien comme critiques les enfants.
21:25Ça peut être les pires comme les meilleurs.
21:28Les miens c'est les pires, ceux des autres c'est les meilleurs.
21:31C'est pour ça qu'ils sont bien.
21:33Thierry le disait, les voix dans un film d'animation, bien évidemment, ça compte, je rappelle,
21:38Dominique Blanc, Grégory Gadebois, Denis Podalides et le narrateur Jean-Louis Trintignant.
21:42Les jours succédèrent toujours, les saisons aux saisons, la guerre à la guerre, les héros
21:50succédés aux héros, le chagrin aux chagrins et les trains aux trains.
21:57Michel Azanavicius, Jean-Louis Trintignant décédé il y a deux ans, je crois, de 1922.
22:02C'est sa dernière apparition d'une certaine manière au cinéma.
22:05Vous y teniez et lui aussi.
22:08Moi j'y tenais parce que je trouvais qu'il y avait une espèce d'évidence pour ce vieil
22:13homme qu'on a tant aimé à dire ce texte d'un autre vieil homme, Jean-Claude Grimbert.
22:17Jean-Louis Trintignant c'était un immense acteur, c'est la plus belle voix du cinéma
22:22français, c'est un homme qu'on a aimé et que ce vieil homme dise un texte d'un autre
22:27vieil homme en s'adressant aux enfants, je trouvais qu'il y avait là quelque chose de
22:31très beau.
22:32Et quand il a reçu le texte, il était aveugle mais sa femme Marianne lui a lu, lui a raconté
22:36l'histoire et il l'a aidé à apprendre par cœur le texte et c'est vrai que regarder
22:43cet homme enregistrer ce texte qu'il avait appris à l'oreille, c'était un des beaux
22:50moments de ma vie de réalisateur.
22:53Et puis c'est l'acteur du train aussi.
22:54C'est aussi l'acteur du train, exactement.
22:56Mais je vous avoue que je n'avais pas fait ce rapprochement, c'est venu après, effectivement.
23:03L'inconscient parle.
23:04C'est normal.
23:05L'inconscient en goguette.
23:06Pour le spectateur, ce n'est pas évident de passer à autre chose.
23:09Après, on n'oublie pas, pour vous, ça ne va pas être simple non plus de passer à
23:13autre chose.
23:14Non, quand même pas.
23:15Parce que vous ne passez pas six ans sur une émotion.
23:19Les émotions, c'est furtif, ça va, ça vient.
23:21Et puis des fois, il y a des choses qui étaient très touchantes.
23:24Des fois, j'ai beaucoup rigolé.
23:25Et puis quand vous dessinez toute la journée, vous n'êtes pas prostré dans un seul état.
23:30Ce n'est pas possible.
23:31Sinon, vous finissez en vous pendant.
23:33Mais même quand vous faites une comédie, vous ne passez pas votre temps à rigoler.
23:36C'est sérieux, la comédie.
23:37Et c'est sérieux pour vous, le dessin.
23:39Et c'est sérieux pour moi.
23:40Parce qu'on ne s'improvise pas.
23:41Vous êtes le dessinateur.
23:43On ne s'improvise pas dessinateur.
23:44Effectivement.
23:45C'est une passion.
23:46C'est une revanche.
23:47J'ai commencé à dix ans parce que je me suis fait bien bâcher par une prof.
23:55Vous la citez au générique, d'ailleurs.
23:58Oui, je la remercie.
23:59Je la remercie au générique.
24:01Mais du coup, cette espèce d'acharnement…
24:02Moi, j'ai 57 ans.
24:03Donc, ça fait 47 ans que je dessine, si vous voulez.
24:06Donc, oui, c'est devenu…
24:08Ça fait partie de ma vie.
24:10Oui, j'aurais beaucoup de mal à…
24:12Je n'aimerais pas perdre une main ou perdre mes yeux pour le dessin.
24:17Ça m'emmerderait.
24:18Le dessin est réussi, tiens.
24:20Non seulement, il est réussi, mais en plus, on peut voir les exquises.
24:24Si on a la chance d'être à Paris ou d'y vivre ou d'y passer, c'est rue Saint-Claude
24:28dans la Galerie Cinéma, qui s'appelle tout simplement Galerie Cinéma.
24:31Toutes les exquises, toutes les ébauches qui ont précédé le film.
24:35Et en sortant du film, La Poule Passieuse, Des Marches Sandises.
24:38Merci beaucoup, M. Lasagna-Vicius.
24:39Merci à vous.
24:40C'est le passé.
24:41Voir le studio de France Info.
24:42Et merci à vous, Frédéric Carbone.
24:43On vous retrouve demain pour tout public à écouter, réécouter sur Internet et franceinfo.fr.