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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 15 Septembre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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00:00 France Culture, l'esprit d'ouverture.
00:06 Ce samedi dans "Sens politique" je recevrai Mathilde Panot, astrite de Villene, présidente du groupe "La France Insoumise" au Palais Bourbon.
00:13 La députée du Val-de-Marne reviendra sur son parcours de militante de gauche, sur les difficultés de la NUPES, notamment en vue des européennes,
00:20 et sur sa vision de la politique et de la conquête du pouvoir.
00:23 "Sens politique" ce samedi à 12h45 sur France Culture, franceculture.fr et la pliradio France.
00:30 7h44 sur France Culture.
00:35 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:42 Je ne sais pas très bien si nous sommes en présence d'un écrivain ou d'un phénomène, peut-être les deux. Bonjour David Granne.
00:47 Vous publiez "Les Naufragés du Wager", il faut que je dise "Wager" parce que sinon je vais me faire disputer par Michel Zlotowski aux éditions du sous-sol.
00:57 "Wager" n'a pas été traduit en français, c'est cela Michel ?
01:01 Non, pas du tout. "Wager", c'est une gageure, un pari.
01:06 Mais c'est aussi une île, l'île du Wager. Le roman que vous publiez, David Granne, se situe au mi-temps du 18ème siècle.
01:18 Il s'agit de raconter une histoire tout à fait inouïe.
01:23 Pris en chasse par un gallion espagnol, le Wager, autrement dit un navire britannique,
01:30 s'échoue sur une île au large des côtes patagoniennes et les naufragés sont confrontés à la famine, au froid et aux maladies.
01:38 Ils iront jusqu'à la tentation du cannibalisme. Quatre ans plus tard, deux groupes parviennent à atteindre l'Angleterre
01:44 se rejetant mutuellement la responsabilité de leur mésaventure.
01:48 Les journaux de l'époque s'emparent de l'histoire pour comprendre ce qui s'est passé et la navirauté étouffe l'affaire pour éviter le scandale.
01:57 Le naufrage du Wager tombe dans l'oubli. Si j'ai dit que vous étiez à la fois un écrivain et un phénomène, David Granne,
02:03 c'est tout simplement parce que si l'on consulte ce que j'ai fait cette nuit, la liste des best-sellers du New York Times,
02:11 votre roman Killers of the Flower Moon est numéro un de cette liste en non-fiction depuis les 93 semaines
02:20 et The Wager est septième depuis la 21e semaine. Autrement dit, on comprend à quel point vous êtes populaire aux États-Unis.
02:32 Vous savez raconter des histoires. Comment choisissez-vous une histoire et comment en êtes-vous venu à vous intéresser à cette histoire du naufrage du Wager ?
02:41 Sherlock Holmes a dit que si vous pouviez regarder dans les différentes maisons, vous pourriez voir tellement d'histoires différentes qui sembleraient plus étranges que la vérité.
02:57 Et donc je lis, j'écoute, un peu comme un détective privé professionnel pour essayer de découvrir ces histoires.
03:06 Vous cherchez une histoire qui vous agrippera, mais aussi qui éclaira quelque chose de plus grand, de plus vaste sur la société elle-même.
03:18 Pour The Wager, je suis tombé sur une recension écrite par John Byron, un aspirant marquant, qui n'avait que 16 ans, 17 ans,
03:32 et puis après, il est devenu le grand-père de Lord Byron, le grand poète, dont la poésie a été influencée par ses écrits.
03:43 Quand j'ai commencé à lire cela, je ne savais pas ce que c'était.
03:47 Mais je m'arrêtais dans ces merveilleuses descriptions de naufrage, de cannibalisme, ce qu'il appelait, lui, la dernière extrémité.
03:58 Et je me suis rendu compte que cette histoire me mènerait à vraiment un dressé le plus extraordinaire de survie, de pagaille absolue,
04:08 et aussi sur la nature de ce qu'est la vérité et de la condition humaine.
04:13 Alors j'ai dit que vos livres étaient extrêmement populaires aux États-Unis et qu'ils étaient placés dans la catégorie non-fiction,
04:20 autrement dit, des documents et non pas des romans, alors qu'en France, on aurait tendance à dire qu'il s'agit d'un roman.
04:29 Le Distingo, David Grahn, c'est tout simplement que vous vous fondez sur une documentation qui est une documentation gigantesque.
04:37 Par exemple, pour écrire ce livre, vous avez une bibliographie de 275 ouvrages.
04:44 Tout ce qui est dans ce livre est vrai, David Grahn ?
04:48 Tout est vrai.
04:51 J'essaie d'utiliser les techniques de la fiction, c'est-à-dire que ces histoires qui mettent l'accent sur des personnages, des êtres humains,
05:01 sur des scènes, même des passages de dialogue, mais tout est vraiment lié à un document, à une correspondance, un journal, un mémoire.
05:14 Et même si l'histoire s'est produite au 18e siècle, on peut aller dans les archives et trouver ces documents qui ont véritablement survécu aux naufrages, aux inondations.
05:28 Quand vous les ouvrez, vous respirez la poussière et vous pouvez reconstruire méticuleusement ce qui s'est passé.
05:37 Alors ça, c'est quelque chose d'essentiel. On va revenir là-dessus parce que ça veut dire que vous appartenez à une nouvelle catégorie d'écrivains.
05:46 D'abord parce que vous venez du journalisme et parce que vous appartenez à ces écrivains qui font ce qu'on appelle de la littérature de non-fiction.
05:57 L'une des conséquences immédiates de cette appartenance, c'est le portrait que vous faites de la marine au 18e siècle,
06:06 qui est un portrait largement désenchanté puisque vous racontez à quel point ce monde qu'on pourrait présenter de manière romantique était en réalité un monde atroce.
06:15 C'était des civilisations flottantes, ces bateaux. Et vous aviez des gens de tous les genres de vies.
06:27 Il y avait des aristocrates, il y avait des noirs libres, des anciens esclaves libérés.
06:37 Mais il manquait de personnel et ils envoyaient des bandes qui vous regardaient dans le fond des yeux pour découvrir si vous aviez l'âme d'un marin ou pas.
06:51 Ils vous agrippaient par le corps physiquement et vous faisaient monter à bord de force.
06:56 Et dans cette expédition en particulier, tout allait à travers. Et bien ce serait une horreur après l'autre.
07:06 Et quand ils ont réussi à arriver au Cap Horn, ils ont rencontré des vagues monstrueuses qui rendaient les mâts tout petits, avec des vents qui arrivaient à 200 000 à l'heure.
07:23 Vous racontez que le Wager, ce navire au 18e siècle, était d'une grande perfection technique, mais que c'était aussi une sorte de bouge infâme.
07:34 C'était des merveilles d'ingéniosité à l'époque, ces bateaux.
07:44 C'était des trois mâts, ils pouvaient avoir 12 à 18 voiles, c'était des instruments très meurtriers.
07:55 Et aussi des maisons où des centaines de marins vivaient les uns avec les autres.
08:00 Ils étaient aussi très vulnérables et susceptibles de pouvoir être perdus par les éléments de la nature, parce qu'ils étaient fabriqués en bois.
08:09 Un seul bateau, c'était 4000 arbres. Il fallait 4000 arbres pour construire un seul navire.
08:16 Beaucoup de ces hommes qui embarquaient de force, comme vous l'avez rappelé, David Grahn, savaient qu'ils allaient mourir.
08:22 Mais il y avait peut-être pire que la mort, puisqu'il y avait un chirurgien, je parle sous le regard du neurologue Lionel Nacash,
08:30 mais on faisait des opérations, je ne sais pas si on pouvait appeler ça ainsi, des opérations dans ces bateaux.
08:36 Beaucoup d'amputations, racontez-vous.
08:39 La médecine était très primitive et la première approche à une blessure grave, c'était l'amputation.
08:50 Principalement durant les batailles, ils les amputaient sur le champ, il n'y avait pas d'anesthésie.
08:57 Il y avait une mortalité énorme, mais la plus grande menace de toutes, c'était la maladie.
09:05 Et ils ne comprenaient pas, les microbes ne comprenaient pas ce que c'était, les germes ne savaient pas ce que c'était à l'époque.
09:10 Alors il y avait des menaces à l'intérieur du bateau et puis il y avait des menaces à l'extérieur, autrement dit la mer démontée.
09:16 Et vous racontez à quel point l'île du Wager, ce lieu et cette partie de la mer est une partie particulièrement dangereuse,
09:27 alors même que les techniques de navigation n'étaient pas précises et ne permettaient pas au bateau de s'orienter correctement, David Grahn ?
09:35 Non seulement quand ils dépassaient le Cap Horn, mais quand ils devaient se battre contre ces tempêtes,
09:44 et les bateaux, vous savez, se cognaient les uns les autres comme des malheureux petits robots,
09:50 ils ont commencé aussi à souffrir du scorbute, les dents tombaient, les cheveux tombaient, les maladies affectaient aussi leur sens,
09:58 disait un des marins, ça rentre dans nos esprits et on est devenus complètement dingues, a écrit un des marins.
10:05 Et en même temps, ils ne savaient pas exactement où ils étaient sur une carte, parce qu'ils ne connaissaient pas leur longitude,
10:12 ils n'avaient pas des montres ou des horloges suffisamment justes pour savoir où ils étaient,
10:18 donc c'était vraiment quasiment au doigt mouillé, ils devinaient grosso modo où ils étaient,
10:26 et c'est pour ça que ça s'appelait comme ça, grosso modo, au doigt mouillé, on naviguait au doigt mouillé.
10:32 Alors votre écriture, on l'a compris, est très réaliste, naturaliste, pourrait-on dire même, David Grahn, vous êtes beaucoup documenté,
10:40 vous êtes allé sur l'île du Wager, cette île du Wager, vous aussi vous avez souffert, alors pas d'amputation,
10:46 mais vous avez quand même beaucoup souffert pour vous y rendre, parce qu'aujourd'hui encore, c'est une île qui est particulièrement inhospitalière
10:54 et qui est particulièrement difficile d'accès.
10:58 Je n'avais pas l'intention à l'origine d'y aller, j'ai commencé à faire cette recherche pendant deux ans,
11:07 dans un endroit qui était beaucoup plus, comment dire, propre à mes recherches, c'était des bureaux d'archives,
11:17 mais je voulais vraiment comprendre ce qui leur était arrivé à ces gens-là, j'ai compris que je ne pourrais pas le faire si je n'y allais pas.
11:23 Donc je suis allé dans un petit bateau, une coque de noix, sur un voyage de 350 000 marins vers ce petit lieu qui s'appelait le Golfe des douleurs,
11:33 et la mer était tellement démontée, j'ai dû être assis sur le pont du navire, je ne pouvais même pas être debout parce que j'en pouvais me casser une jambe,
11:43 mais finalement on a pu arriver à cette île, et ça reste un endroit de désolation totale, froid, venteux, avec absolument aucune nourriture qu'on peut trouver sur place,
11:57 et j'ai pu finalement comprendre pourquoi les officiers britanniques ont décrit cette île comme un lieu où les larmes des hommes meurent à l'intérieur d'eux-mêmes.
12:08 Vous allez nous raconter dans une vingtaine de minutes, David Grand, comment on fait pour fournir un ouvrage, un récit,
12:16 qui va être transformé en film par des cinéastes aussi prestigieux que Martin Scorsese, James Gray, David Grand, vous allez nous raconter vos secrets.
12:25 Je vais essayer de vous les faire dire en attendant les naufragés du Wager, et publiés aux éditions du sous-sol.
12:32 Et oui, nous sommes avec l'écrivain américain David Grand, l'écrivain préféré des cinéastes, puisque plusieurs de vos livres ont été portés à l'écran par James Gray,
12:49 bientôt on verra l'adaptation de Martin Scorsese. Les Naufragés du Wager est un livre qui est déjà en tête des ventes aux États-Unis.
12:58 Il s'agit, pour le dire en quelques mots, du récit d'un naufrage d'un gallion britannique dans le contexte de la guerre entre l'Espagne et le Royaume-Uni.
13:09 Cela se déroule au 18ème siècle, et ces naufragés échouent sur une île qu'ils vont baptiser l'île du Wager,
13:17 et dans cette île, ils vont se débarrasser de leur gang d'humanité. C'est l'histoire à la fois terrifiante et extrêmement prenante que vous nous racontez dans cet ouvrage.
13:27 Alors là, il n'y a pas véritablement de conditions sociales, mais avant d'entrer dans le quotidien de ces marins britanniques, j'aimerais quand même votre réaction à ces vagues de grèves.
13:37 Aux États-Unis, on a évoqué dans le journal la grève dans l'industrie automobile, mais plus proche de vous, il y a eu la grève des scénaristes et des acteurs.
13:46 Est-ce que les scénaristes sont réellement à plaindre aux États-Unis ? Vous qui travaillez de manière très proche de l'industrie du cinéma, David Grann.
13:55 Je ne suis pas scénariste moi-même, mais la grève est tellement importante pour les auteurs pour qu'ils puissent véritablement gagner leur vie.
14:09 C'est les mêmes luttes des écrivains et des journalistes, par exemple. Et la menace des nouvelles technologies qu'on n'anticipe pas suffisamment, comme l'intelligence artificielle.
14:25 C'est tellement important d'anticiper là-dessus, parce que si on ne le fait pas, alors c'est trop tard. Et puis, il n'y a rien à faire pour remédier ces espaces de créativité.
14:38 Et quelle est la place des auteurs à ce moment-là ?
14:41 Mais chez les scénaristes américains, il y avait l'idée que ceux-ci étaient bafoués, qu'ils n'étaient pas véritablement reconnus.
14:48 Avez-vous la sensation, David Grann, que les storytellers, les raconteurs d'histoire, vous en êtes un remarquable, évidemment, l'un des plus éminents aux Etats-Unis,
14:58 avez-vous l'impression que ceux-ci sont bafoués aux Etats-Unis ?
15:03 Bien trop souvent, leur valeur est sous-estimée. Le fait que tout le monde pense qu'un ordinateur puisse écrire un scénario valable,
15:17 qu'il puisse être beaucoup plus près de l'âme d'un être humain, ça révèle cette dévaluation du rôle du scénariste.
15:30 Alors l'âme humaine, puisque c'est d'elle dont il est question dans votre ouvrage "Les Naufragés du Wager",
15:35 qu'arrive-t-il à un groupe d'êtres humains lorsque ceux-ci se retrouvent sur une île déserte, dans une situation où ils doivent lutter pour leur survie,
15:44 puisque bien évidemment, ces marins du 18e siècle, ils ne trouvent pas facilement de quoi manger sur cette île qui est, comme vous nous l'avez décrite, absolument désolée,
15:53 avec des arbres courbés par le vent. David Grahn, racontez-nous ce qui arrive à ce groupe de marins, je devrais dire ces deux groupes,
16:02 parce qu'en réalité, face à cette épreuve, ils se séparent en deux.
16:08 146 survivants des naufragés de ce naufrage arrivent sur cette île. Ils espèrent que ça pourrait être le salut,
16:21 mais en fait, l'île est tellement inhospitalière, ils commencent à mourir de faim.
16:27 Et ça devient comme un laboratoire de test de la condition humaine sous des circonstances extrêmes.
16:35 Et petit à petit, ça révèle la nature cachée de chaque individu, le bien, le mal, le choquant.
16:43 Et ces gens se désintègrent en factions. Une faction, comme les sécessionnistes, qui pillent et tuent à travers l'île.
16:54 Et deux factions principales, une faction qui reste loyale au gouverneur, ou plutôt au capitaine, qui veut diriger selon les règles qui existaient auparavant sur le navire.
17:05 Et une faction plus importante, qui va vers un autre dirigeant, qui croit qu'il faut définir de nouvelles règles pour vivre dans l'état de nature.
17:15 Est-ce que ça veut dire que finalement, vous avez essayé là, de voir, lorsque l'humanité se retrouve dans une situation terrible,
17:24 comment elle se débarrasse de ses oripeaux, comment finalement des êtres humains peuvent cesser d'être humains, David Graham ?
17:32 Ah oui.
17:36 Il y a quelque chose dans ces moments de claustrophobie, claustrophobes en fait, où il y a des décisions à prendre entre la vie et la mort,
17:50 des décisions existentielles, qui vous permettent de voir un peu ce qu'est la nature humaine.
17:58 Est-ce que d'après vous, puisque on l'a dit dans une première partie, vous êtes énormément documenté,
18:04 est-ce que le fait que ces hommes soient des marins au 18e siècle, est-ce que cela change quelque chose ?
18:11 Est-ce qu'aujourd'hui, pareilles aventures, pareilles terribles mésaventures produiraient les mêmes résultats ?
18:25 Vous pouvez changer les vêtements, les costumes, les dialogues, les accents, le temps, l'époque,
18:37 mais il y a des choses humaines qui ne changent pas.
18:40 Et c'est pour cela que certaines histoires peuvent avoir une puissance éternelle.
18:46 Et pour moi, quand je faisais la recherche sur cette histoire, je me suis posé la question, qui aurais-je été sur cette île ?
18:55 Et alors la réponse ?
18:57 Eh bien, si vous pensez connaître la réponse facilement, vous vous trompez. Vous vous trompez vous-même.
19:05 Il y a un moment particulièrement prenant dans "Les Naufragés du Wager", l'ouvrage que vous publiez, David Grano, aux éditions du "Sous-sol",
19:13 et ce moment particulièrement prenant, c'est le face-à-face entre ces marins, marins britanniques, et un peuple premier.
19:21 C'est aussi quelque chose qui traverse votre œuvre.
19:25 Vous vous intéressez particulièrement au peuple premier, à leur devenir, à la manière dont ils ont été décimés.
19:32 Pourquoi avoir décidé de vous intéresser à eux ?
19:36 Alors vous allez me dire que c'est la réalité, puisque tout ce qu'il y a dans vos livres est vrai,
19:40 mais vous y avez pris, semble-t-il, un intérêt particulier.
19:45 Parce que ça révèle quelque chose sur les systèmes de l'impérialisme, du racisme,
19:53 que ce soit dans "Killers of the Flower Moon", dans la note américaine en français, ou dans les autres, "La Cité perdue de Z",
20:03 ce sont des naufragés sur une aile, et ce sont des patagoniens, des peuples premiers,
20:09 eux se sont adaptés à cette région, ils savent comment survivre, comment trouver de la nourriture,
20:14 comment se chauffer, en ayant toujours un petit feu dans le canot,
20:18 ils offrent une planche de salut aux naufragés, mais au lieu de cela, les naufragés les traitent mal,
20:25 et ce sont des "savages", dont ils parlent dans leurs journaux comme étant des "sauvages",
20:31 et finalement, ces indigènes quittent ces lieux, les abandonnent,
20:37 mais véritablement, ça met à bas la volonté énoncée des britanniques en disant que leur civilisation était supérieure aux autres.
20:48 Et qui sont donc les sauvages sur cette île ?
20:51 C'est le sujet, David Grahn, et comme vous venez de le dire, c'est le sujet de votre roman précédent,
20:56 "Killers of the Flower Moon", c'est un livre qui, je l'ai dit, est toujours en tête des ventes de littérature,
21:04 de non-fiction aux Etats-Unis, ça fait quasiment deux ans qu'il est en tête des ventes aux Etats-Unis,
21:10 et cela va donner un film réalisé par Martin Scorsese, sur un scénario que celui-ci co-signe avec Eric Roth,
21:19 et après votre ouvrage, on écoute un extrait de la bande-annonce.
21:24 [Musique]
21:28 Les ossages se sont retrouvés avec les pires terres au monde, et ils ont été plus malins que tout le monde.
21:37 C'était des champs pétrolifères, l'or noir.
21:41 L'argent du pétrole coule à flot dans le coin.
21:44 J'adore l'argent, monsieur.
21:46 [Cris de la foule]
21:56 Cette manne coule dans la bonne direction.
21:58 [Cris de la foule]
22:01 L'erreur est venue.
22:03 [Cris de la foule]
22:05 Tout ça ne sera plus qu'une simple tragédie.
22:07 [Cris de la foule]
22:10 Quand l'argent s'est mis à pleuvoir, on aurait dû savoir qu'il avait un prix aussi.
22:16 [Cris de la foule]
22:19 On dirait des buzards qui survolent notre peuple.
22:22 [Cris de la foule]
22:25 Et je me dis que je devrais tuer ces hommes blancs qui ont tué ma famille.
22:29 [Cris de la foule]
22:33 Ah, je suis envoyé par Washington, je viens voir pour ces meurtres.
22:37 Vous venez voir quoi ?
22:38 Vous allez voir qui les commet.
22:40 [Musique]
22:45 Un extrait de la bande-annonce du film de Martin Scorsese que l'on découvrira dans quelques mois sur les écrans.
22:53 Killers of the Flower Moon, c'est un ouvrage où vous vous intéressez à la malédiction du pétrole.
22:58 Il y a toujours des malédictions dans vos ouvrages.
23:00 Il y a la malédiction de la mer dans les naufragés du Wager.
23:05 La malédiction du pétrole puisqu'il s'agit de montrer une tribu indienne,
23:10 longtemps après les guerres indiennes, puisque votre livre se déroule en 1921.
23:15 Mais cette tribu indienne, ses descendants ont une malédiction puisqu'ils se retrouvent sur un territoire de l'Oklahoma où il y a du pétrole.
23:23 Et finalement, tout leur malheur découle de cela.
23:26 Là aussi, c'est une histoire absolument vraie puisque tout ce que vous écrivez est vrai.
23:30 Qu'est-ce qui vous retient dans ce type d'histoire, David Grahn ?
23:34 C'est une histoire sur les ossages qui sont devenus les plus riches par habitants en raison du pétrole sur lequel ils étaient assis.
23:52 Et en fait, ils ont été assassinés les uns après les autres parce qu'ils étaient riches, parce qu'ils avaient de l'argent.
23:58 Et c'était vraiment les victimes de la pire injustice raciale aux États-Unis.
24:06 Et ça fait partie de notre histoire qui, pendant trop longtemps, a été effacée.
24:14 Nous ne l'avons pas apprise, elle n'a pas été racontée.
24:18 On l'a coupée de nos consciences. Et je pense qu'il est toujours important d'essayer de jeter une lueur sur ces pages qui sont moins vues.
24:28 Alors, je l'ai dit, vous n'avez pas participé au scénario avec Martin Scorsese lorsque celui-ci a porté ça à l'écran.
24:35 Vous ne voulez pas devenir scénariste ?
24:39 Non, je suis tellement concentré sur mon propre travail, sur cette non-fiction littéraire.
24:49 Chacun de ces projets me prend environ cinq ans à compléter.
24:54 Donc, avec les films, c'est que ça passe entre les mains de gens qui savent ce qu'ils font.
24:59 Et de ce point de vue-là, j'ai eu beaucoup de veine d'avoir des gens comme Martin Scorsese et James Gray qui ont adapté mes œuvres.
25:09 Ça veut dire que vous travaillez avec eux ou pas du tout ? Ils se contentent de prendre votre ouvrage ?
25:14 Si, on travaille un peu avec eux en tant que ressources.
25:19 Parce que ce sont des histoires vraies.
25:22 Ils posent toujours des questions sur l'histoire, le décor, qui étaient les gens, est-ce qu'il y a des documents ?
25:30 Parfois, les acteurs viendront vous voir pour les rôles qu'ils jouent et vont vous poser des questions.
25:35 Est-ce qu'ils avaient une blessure ? Est-ce qu'ils étaient boiteux ? Est-ce que vous avez des dialogues qu'on pourrait utiliser ?
25:44 Donc, vous êtes là comme ressource pour ces gens-là au cinéma.
25:47 Et lorsque vous écrivez un ouvrage, "Les Naufragés" du Wager, est-ce que vous dites "je l'écris pour que celui-ci soit cinématographique"
25:56 parce que c'est un vrai "page-turner" comme on dit en français, on tourne les pages les unes après les autres ?
26:02 Est-ce que vous dites d'ores et déjà qu'il va falloir que ce livre devienne un film ?
26:09 Je n'y pense jamais.
26:14 Quand j'ai trouvé le journal de John Byron au 18e siècle, écrit dans ce vieil anglais, avec les "s" comme des "f",
26:23 personne n'aurait pensé que ça ferait un grand film et que Scorsese voudrait le tourner.
26:29 Non, non. Moi, je mets l'accent au départ sur simplement de rendre justice à l'histoire.
26:37 Mais j'essaie de l'écrire de telle façon qu'elle soit cinématographique, c'est-à-dire que les mots soient visuels.
26:47 Et donc quand vous lirez ce livre, vous sentirez, vous verrez, vous entendrez le monde à travers les yeux des gens qui ont vécu ces événements.
26:59 Mais il y a quand même une technique à la David Grann, puisque votre succès est du niveau d'un Stephen King, par exemple.
27:06 Donc, vous ne pouvez pas agir innocemment. Vous avez, comme lui, un certain nombre de manières de faire de bonnes histoires.
27:16 Je crois que la clé, c'est de trouver la bonne histoire. Parce que l'histoire est riche si véritablement elle vous accroche,
27:33 si véritablement elle vous convainc. Et après, elle pourra être adaptée dans n'importe quel média. C'est ça, le secret.
27:41 Alors, votre technique d'écriture, on l'a dit, c'est de ne se fonder que sur des choses absolument exactes.
27:46 Mais j'ai cru comprendre aussi que vous écriviez de trop et qu'ensuite vous copiez, votre femme vous lit et vous observez ses réactions lorsqu'elle vous lit, David Grann.
27:57 Je fais tellement de recherche. Je fais des années de recherche.
28:03 Par exemple, je peux écrire 20 000 mots sur la construction du navire du Wager. Je le donne à ma femme qui le lit, je regarde son visage et finalement, elle dit « Oh, Dieu, non ».
28:18 Et c'est la partie où mes digressions sont trop longues et je dois vraiment les distiller pour deux ou trois paragraphes, avec les faits les plus étonnants.
28:31 Moi, j'ai véritablement un cabinet avec tout ce que j'ai coupé de mes livres.
28:37 Mais vous savez, dans ce livre, il faut savoir ce que vous allez mettre dans le livre, mais aussi ce que vous allez laisser en dehors.
28:45 Mais alors, ça c'est une technique d'écriture tout à fait étonnante. Mais alors, je vais vous embêter, David Grann.
28:50 Pourquoi se contenter des faits et du vrai ?
28:54 Alors, Stephen King, je crois, ne s'intéresse pas à la vérité.
28:58 Votre imagination, votre plume pourraient très bien se satisfaire de changer les personnages.
29:05 Là, par exemple, il y a un capitaine de vaisseau, vous l'avez décrit de manière extrêmement fidèle.
29:10 Vous êtes allé jusqu'à décrire la météo comme elle était le jour même.
29:14 Chaque forme de littérature a sa propre force. Vous savez, moi, je lis beaucoup Stephen King.
29:30 Mais je crois qu'il y a aussi un pouvoir en sachant ce qui est vrai, ou essayer d'arriver à la vérité.
29:37 Et puis aussi la vérité émotionnelle, thématique, en même temps.
29:44 Et au moins pour moi, je n'ai pas la meilleure des imaginations.
29:48 Moi, je vois plutôt comme, vous savez, quelqu'un qui excave, quelqu'un qui creuse.
29:54 Moi, je creuse en profondeur. J'ai un bulldozer, vous savez.
29:58 J'essaye d'enlever la peau supérieure de la personne.
30:02 J'ai un bulldozer, vous savez. J'essaye d'enlever la peau superficielle, les couches superficielles,
30:08 et de trouver la réalité des choses au fin fond.
30:11 Alors, l'histoire des naufragés du Wager, évidemment, elle est très prenante.
30:14 On ne va pas la divulguer, mais ce que l'on peut quand même dire, David Grahn,
30:17 c'est qu'à l'époque, vous qui êtes journaliste, elle avait été largement commentée par la presse naissante de l'époque.
30:24 Parce que, précisément, les gens étaient extrêmement étonnés de la manière dont un gentleman britannique
30:32 pouvait se comporter de manière parfaitement non-gentleman lorsqu'il était sur une île déserte.
30:39 C'était un scandale à l'époque. C'était aussi le début d'une presse moderne,
30:47 genre tabloïd, qui tombait sur une histoire et qui la racontait à tort et à travers.
30:54 Et ça provoquait aussi cette guerre furieuse au sujet de la vérité,
31:00 puisque chacun de ces naufragés a tenté de raconter sa propre histoire pour éviter la pendaison.
31:05 Et ça ne fait pas de grosses différences avec aujourd'hui, où il y a de la désinformation,
31:12 de la fausse information et même des faux journaux aussi, des fausses mémoires.
31:19 C'est une très mauvaise histoire pour l'Angleterre.
31:22 Oui, c'est une histoire scandaleuse, parce que ça torpillait l'image de l'Empire.
31:30 Et vous savez, comme des gens qui racontent des histoires, qui tentent de paraître comme des héros,
31:38 et bien, par contre coup, ça crée une autre histoire.
31:43 Et l'Empire britannique regarde les histoires de ces naufragés et dit « mais est-ce qu'on est comme eux ? »
31:50 Et chacun a un intérêt à raconter sa propre histoire, à créer son propre mythe.
31:56 Même si ces histoires sont vraies, ce que j'explore aussi, c'est une façon dont on évite et dont on cache la vérité.
32:05 Mais aussi, une manière aussi de creuser le particulier, puisque c'est particulièrement particulier les histoires que vous racontez, David Grahn,
32:14 dès lors qu'elles sont entièrement vraies et que vous avez un soin scrupuleux à décrire les détails, à les préciser.
32:22 C'est quelque chose de très obsessionnel dans votre écriture.
32:25 Et vous touchez à l'universel, puisque ces questions, les questions de vie, de mort,
32:31 de la manière dont on se comporte quand on a sa vie menacée, ce sont des histoires universelles.
32:37 Oui, vous voulez les raconter, être très spécifique, véritablement vous concentrer sur les gens qui les ont vécu.
32:49 Et je crois que quand vous racontez une histoire, quand vous remontez dans le temps,
32:54 il ne faut pas simplement avoir cette arrogance de la vision d'en haut, il faut raconter l'histoire à la hauteur des gens qui l'ont vécu.
33:05 Et je pense aussi que ces histoires sur la vérité, la vie, la mort, la façon dont on façonne les histoires,
33:17 sur l'empire, le racisme, ont un pouvoir, une puissance qui vraiment résonne encore aujourd'hui.
33:26 À vos débuts, vous étiez journaliste. Est-ce que vous vous considérez encore comme journaliste, David Grahn ?
33:32 Je ne sais pas exactement comment me définir. J'ai commencé comme journaliste, mais je racontais toujours des histoires qui étaient des nouvelles.
33:43 Vous savez, mais à un certain moment, je racontais une histoire et peu importe à quelle époque ça s'est produit.
33:53 Je ne me sentais plus dans la camisole de force du temps. Donc je racontais des choses au passé, au présent.
33:59 Ce qui m'intéressait, c'était l'histoire, le récit, mais j'aime bien penser à ce que je fais comme la littérature du factuel.
34:06 Mais est-ce qu'on pourrait, par exemple, lire l'une de vos prochaines histoires qui serait une histoire du présent ?
34:12 Est-ce que vous pourriez vous saisir d'un fait extrêmement contemporain, comme vos débuts dans le New Yorker, David Grahn ?
34:19 Oui. Même avec le Wager, je cherchais une façon d'écrire quelque chose sur l'époque Trump, la guerre autour de la vérité,
34:33 sur la désintégration des institutions américaines. Et en quelque sorte, j'ai découvert que la meilleure façon de le faire,
34:41 c'était de raconter une histoire du 18e siècle, comme une parabole pour notre époque.
34:46 Merci David Grahn de nous avoir accompagnés. Les Naufragés du Wager, c'est l'ouvrage que vous publiez aux éditions du Sous-Sol.
34:54 Il est traduit de l'anglais par Johann Friedrich L. Gage et vous étiez traduit ici évidemment par Maître Zlotowski.

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