Avec Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences à Sorbonne Université, président du Collège de Philosophie, et auteur de "Voulons-nous encore vivre ensemble?" (Éditions Odile Jacob)
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NewsTranscription
00:00-"Sud Radio".
00:01-"Je te chope encore une fois avec ça à la maison, tu sais quoi ?
00:03Tu vires ! Tu vas vivre chez ton père, OK ?"
00:05-"La Vérité en Face".
00:06-"Je sens que je vais craquer."
00:07-"Et moi, je sens que je vais devenir fou !"
00:09-"Patrick Roger".
00:10-"On m'aime gentiment, affectueusement, avec amour,
00:13mais tu m'emmerdes."
00:15-"Apprendre à vivre ensemble,
00:18ceux qui ont tout, ceux qui tremblent..."
00:22-"Eh bien oui, et est-ce que nous voulons vivre encore ensemble ?"
00:27-"C'est le titre de votre livre, Pierre-Henri Tavoyau,
00:32président du Collège de philosophie,
00:35vous enseignez à la Sorbonne.
00:37Pourquoi déjà vous avez rédigé ce livre ?
00:41Vous n'en avez pas votre premier coup d'essai, si je puis dire,
00:43mais sur cette idée de vivre ensemble ?
00:46Parce que vous avez l'impression que c'est fini,
00:48on ne vit plus ensemble aujourd'hui dans nos sociétés ?
00:50-"L'expérience du Covid a été intéressante,
00:52parce qu'il y a eu une suspension du social.
00:54Et à ce moment-là, suspension,
00:56c'est aussi le moment propice à la réflexion.
00:58On s'est dit, au fond, les autres,
01:00on en a besoin pour vivre,
01:02mais en même temps, pas partout, on a inversé les priorités.
01:05Et donc ce moment de Covid a été, je trouve,
01:07un moment extrêmement intéressant pour poser très clairement
01:10pourquoi voulons-nous encore vivre ensemble.
01:12Moi, ce que je remarque, c'est qu'il y a deux dangers
01:14qui menacent cette vie commune.
01:16Je préfère le mot vie commune, d'ailleurs, au vivre ensemble.
01:20C'est à la fois la tentation du repli,
01:22on en a pour plein de choses dans notre vie quotidienne,
01:23on n'a finalement pas besoin des autres,
01:25on peut maintenant commander ses repas,
01:27faire le plein d'émotions avec Netflix.
01:29C'est vrai.
01:29Voilà. Et puis d'un autre côté,
01:31quand on revient vers les autres, c'est souvent par le conflit,
01:34par la conflictualité, pour le clash,
01:36la lutte des clashs, pour reprendre une expression et la détourner.
01:40C'est l'idée qu'en fait, les scénarios de guerre civile
01:43nous attirent.
01:44Lutte des classes, alors la vraie,
01:46lutte des sexes, lutte des générations,
01:48guerre des races qui revient, conflit de civilisation.
01:51Au fond, on est aspiré par cette lecture du social,
01:55comme un gigantesque conflit.
01:57Oui, mais la lutte des clashs, qui a un très bon titre,
02:01vous auriez pu le reprendre aussi,
02:03ça a toujours plus ou moins existé.
02:06C'est-à-dire les débats,
02:07on ne va pas revenir sur la Grèce antique,
02:11où il y avait la philosophie justement,
02:13et puis on débattait, l'Afrique sous un arbre et pas l'arbre,
02:17en France, pour caricaturer un petit peu,
02:19mais le café du commerce, bien sûr,
02:22où on débat des sujets, on n'est pas d'accord.
02:24Le café du commerce, simplement,
02:25c'était le café du commerce entre amis,
02:27et ça n'avait pas vocation à être diffusé
02:29sur tous les réseaux sociaux,
02:30donc ça a eu l'ampleur, ça change de registre.
02:34Et puis aussi, il y a un discours dominant,
02:37qu'on appelle le wokisme, le wokisme bien connu,
02:40qui consiste à dire que toute discrimination,
02:43que tout est oppression,
02:44que la seule manière pour les humains
02:47de se rapporter les uns aux autres,
02:49c'est soit être opprimant, soit être opprimé,
02:51soit oppresseur ou opprimé.
02:53C'est ça, ce qui caractérise.
02:54On dit souvent, le wokisme, c'est bien gentil.
02:57Oui, si c'est la lutte contre les discriminations,
02:58au cas où je me sens woke.
03:00Mais si on dit, tout est discrimination,
03:02alors là, on passe…
03:02– C'est là où ça change, où il y a un détournement.
03:05Vous dites, le wokisme, ça devrait être
03:08servir, en fait, tout le monde, bien sûr.
03:11Alors que là, c'est…
03:12– Non, c'est de dire, par exemple,
03:13quelqu'un vous tient à la porte, vous êtes une femme,
03:15hop, c'est du patriarcat.
03:17Vous considérez que la couleur de peau
03:19n'a pas d'importance dans un métier,
03:21alors là, c'est hallucinant, vous devenez raciste.
03:23Pourquoi ? Parce que vous êtes, comme disent les Américains,
03:24color blind, c'est-à-dire, vous êtes aveugle
03:27à la discrimination raciale, et donc,
03:29votre indifférence à la couleur de peau
03:31devient un acte raciste.
03:33Vous mangez une entrecôte, vous êtes pire qu'un nazi,
03:36parce que vous détruisez la planète.
03:38Les petits actes de la vie quotidienne
03:41deviennent des motifs de conflictualisation.
03:43Et donc, on va entrer avec l'envie d'être avec les gens,
03:47et hop, on se fait attaquer systématiquement.
03:49– Le wokisme aggrave, justement, ces différences.
03:52Alors que normalement, le wokisme, c'est fait pour montrer et souligner…
03:56…des différences qui existent, et des gens qui ne sont pas bien traités par la société.
04:09– Voilà, et ça, c'est tout à fait légitime,
04:11mais quand ça devient une clé de lecture conflictuelle de notre société,
04:14là, ça devient un problème.
04:15Moi, je l'appelle l'idéologie de la discorde.
04:17Tout est motif de discorde.
04:18Et effectivement, ça tend considérablement les rapports,
04:21les relations, les dîners de famille, où ça va clasher sérieusement.
04:25On va avoir sur le véganisme, sur le végétarisme, sur les sexes,
04:29tout de suite des trucs, en fin de parcours,
04:31les assiettes vont voler et les gens vont partir fâchés.
04:34Voilà, cette tendance, il faut essayer de la comprendre.
04:38Et je pense qu'il y a un motif profond,
04:39c'est que nous vivons dans un monde extrêmement complexe.
04:41On n'a plus de clé de lecture.
04:42Les grands récits du passé religieux ou idéologique,
04:46qui nous expliquaient, qui nous rassuraient, en quelque sorte, l'huile des classes.
04:50Là, on se dit, pour comprendre le monde, il faut que je voie la guerre.
04:53Voilà, il y a les bons, en général, c'est moi.
04:55Il y a les mauvais et les méchants qui sont les autres.
04:57Et donc, on est, en quelque sorte, aspiré pour comprendre le monde
05:01par ces scénarios de confussion.
05:02– Alors, question très provoquante,
05:04mais est-ce que c'est parce qu'on n'est pas allé très loin,
05:07trop loin, entre guillemets,
05:09dans la démocratie et la liberté d'expression ?
05:12– Il y a sans doute…
05:13– Une question philosophique.
05:14– Oui, oui, bien sûr, il y a sans doute de ça.
05:16C'est-à-dire qu'on s'estime tous le devoir d'être des intellectuels.
05:20Voilà, on est aujourd'hui.
05:22C'est plutôt une bonne nouvelle, sur le fond.
05:24D'ailleurs, c'est aussi une bonne nouvelle pour la France.
05:26La France est un peuple d'intellectuels,
05:28c'est pour ça qu'ils sont aussi pessimistes.
05:30Moi, je suis très frappé par le fait qu'il y a plein de provinces,
05:33partout dans France, des universités populaires.
05:36Les gens vont passer leur week-end à écouter des conférences.
05:38C'est unique au monde, les Allemands vont aux concerts,
05:42les Anglais vont aux matchs de foot ou au pub.
05:45Les Français vont parfois écouter dans le salon du livre.
05:48Ça, c'est très, très fort.
05:49– En Asie, on allait un peu pour la méditation,
05:51donc on va s'écouter un petit peu.
05:52– Oui, c'est un peu religieux, c'est ça.
05:54Mais là, vraiment, cette messe, en quelque sorte, intellectuelle,
05:56c'est très frappant.
05:57Donc là, c'est plutôt un signe intéressant.
05:59Mais en effet, vous avez raison.
06:00Évidemment, si on est tous aux contraintes d'être des intellectuels,
06:03il faut qu'on ait des visions du monde forgées.
06:06– Oui, Pierre-Henri Tavoyau,
06:08est-ce que ça menace ce que l'on a construit
06:10depuis une cinquantaine d'années sur notre démocratie en tant que telle ?
06:14– Ça menace, je pense, à la surface.
06:16Je pense que si on creuse les choses,
06:18c'est ça l'hypothèse optimiste du livre,
06:21c'est de dire que si on creuse,
06:22en fait, on retrouve les grands piliers de la vie commune.
06:25– Ah oui, alors vous avez sept piliers de la convivialité.
06:28Vous allez nous les décrire.
06:29– Les sept piliers de la convivialité,
06:30donc c'est effectivement, je pense,
06:32le premier, c'est quand même la table, manger.
06:34Et les Français sont les champions du monde du temps passé à table.
06:37Ça, c'est une très bonne nouvelle.
06:39Donc on continue de manger ensemble, même s'il y a des séparatismes.
06:42Le séparatisme alimentaire au nom de la santé, le halal à certains égards.
06:46Je discutais avec le président de la Mivilut qui disait que les phénomènes...
06:49La Mivilut, c'est les sectaires qui luttent contre les sectes.
06:52Et qui disait que chaque secte commence par la bouffe.
06:57C'est comme ça qu'on prend les gens et on les isole de leur entourage.
07:01Il y a toujours un discours sur le manger,
07:03c'est la manière de capter le quotidien et donc de capter les âmes.
07:08Très intéressant, mais face à ça, les Français sont assez bien armés.
07:11Sur la vie de couple, sur le sexe, vous en avez aussi parlé,
07:14tout semble se tendre.
07:16Et quand on regarde un tout petit peu au fond,
07:19on trouve le pilier de la société.
07:21Moi, je considère que le pilier de la société,
07:24c'est cette chose toute simple qui consiste à dire
07:26que ce que nous voulons vraiment au fond de nous,
07:29c'est grandir et faire grandir nos enfants, notre entreprise,
07:32notre radio, notre association.
07:35C'est tout bête, ce que je dis là.
07:37Mais si on arrive au-delà du conflit, au-delà du repli,
07:40à faire surgir ce qui caractère profondément
07:44la civilisation démocratique,
07:45c'est-à-dire la civilisation où les humains grandissent,
07:48les humains sont considérés comme grands,
07:50si on arrive à se faire surgir cette idée,
07:52je trouve qu'on trouve les ressources,
07:53même pour être en désaccord.
07:55Il ne s'agit pas de ne pas être en désaccord.
07:57On a le droit de s'engueuler, on a le droit, mais il faut juste...
08:00– Alors ça, c'est intéressant.
08:01Est-ce qu'on a le droit de ne pas être d'accord ?
08:04Est-ce qu'on doit se réconcilier aussi avec tout le monde ?
08:07Pierre-Henri Tavoyau, c'est ce que nous allons voir dans un instant.
08:09Et puis j'attends vos appels, vos réflexions.
08:12Qu'en pensez-vous ? Est-ce que nous voulons vivre encore ensemble ?
08:16Est-ce que vous, par exemple,
08:18puisqu'on l'a dit avec Pierre-Henri Tavoyau à l'instant,
08:21l'un des premiers lieux, c'est la table.
08:23Est-ce qu'à table, il y a des moments où vous dites
08:26« Non, pas question, on ne va pas aborder les sujets qui fâchent ».
08:30Appelez-nous, témoignez 0 826 300 300 La Vérité en face
08:33jusqu'à 10 heures sur Sud Radio.
08:35Sud Radio, La Vérité en face, Patrick Rocher.
08:40La Vérité en face jusqu'à 10 heures,
08:42et ce thème qui nous concerne tous,
08:45tous, à tous les niveaux, bien sûr.
08:47Est-ce que nous voulons encore vivre ensemble ?
08:49C'est le titre, l'excellent titre de Pierre-Henri Tavoyau
08:54pour un excellent livre également.
08:55Je le dis parce que j'ai lu,
08:57je l'ai terminé tard hier soir, un petit peu,
08:59pas suffisamment dormi à cause de vous, Pierre-Henri Tavoyau,
09:03pour votre livre, vous êtes philosophe.
09:05Alors, est-ce que le problème ne vient pas,
09:08on l'a évoqué en fait tout à l'heure,
09:10donc on a du mal à avoir des débats,
09:13très vite on est dans l'invective, la violence, etc.
09:16Est-ce que l'un des mots de notre société,
09:18ce n'est pas aussi que l'on ne s'écoute plus ?
09:21Oui, on ne s'écoute plus, et puis moi ce qui m'intéresse,
09:24il y avait une pratique à la Sorbonne au Moyen-Âge
09:26que j'aimais bien, qu'on appelait la disputation, la dispute.
09:29À l'époque, la dispute, ce n'était pas du tout la dispute
09:31aux jours d'aujourd'hui, on ne s'invectivait pas,
09:32c'était le fait qu'on prenait un sujet,
09:35et on tirait au sort qui devait plaider pour,
09:37et qui devait plaider contre.
09:38Alors ça, c'est passionnant à faire d'ailleurs, en famille,
09:40il y a un jeu comme ça d'ailleurs,
09:42un jeu de société qui est génial,
09:43chocolatine ou pain au chocolat, voilà.
09:46Et vous faites ce débat, c'est très très marrant
09:48parce qu'on est obligé de penser contre soi-même,
09:51et en pensant contre soi-même,
09:52on arrive parfois à se convaincre de soi-même,
09:55et puis à voir que les arguments des autres
09:56ne sont pas aussi idiots que ça.
09:58Donc je trouve que c'est un jeu qui désamorce le conflit,
10:00ça ne veut pas dire qu'on change d'avis,
10:02on peut rester dans sa conviction,
10:04mais on comprend que les autres ne sont pas des idiots ou des salauds.
10:07– Penser contre soi-même, ça évidemment c'est extrêmement difficile,
10:11de moins en moins dans notre société,
10:13de plus en plus compliqué en tout cas.
10:14Je le disais tout à l'heure,
10:15est-ce qu'il faut se réconcilier avec tout le monde ?
10:17– Non et pas du tout, alors en plus, il faut être clair,
10:20nous avons la chance de vivre en démocratie,
10:23il faut bien voir que nous avons des adversaires et des ennemis,
10:26dont le but principal est effectivement de nous détruire.
10:29Je pense que par exemple les fondamentalistes,
10:31et notamment le fondamentaliste islamiste,
10:33quand moi je travaille comme référent laïcité
10:36à la région Île-de-France aussi, je visite les lycées,
10:41ben voilà, je n'ai pas du tout envie de vivre avec ceux
10:44qui affirment clairement, explicitement,
10:47et qui écrivent des livres à ce propos,
10:48qu'il s'agit de détruire l'école républicaine,
10:52qu'il s'agit de déconstruire la laïcité.
10:54– Et là vous êtes dans la nuance,
10:56c'est-à-dire c'est fondamentalisme islamiste
10:59et ce n'est pas musulman, l'ensemble des musulmans qui…
11:02– Evidemment pas.
11:04– Le problème c'est qu'évidemment ils ont tendance
11:06à vouloir répandre cette parole.
11:08– Le contraire de la laïcité ce n'est pas la religion,
11:10le contraire de la laïcité c'est le fondamentalisme,
11:12c'est-à-dire la prétention d'une loi, d'une foi, d'une idéologie
11:17à régir la totalité de nos existences,
11:20du matin au soir, du berceau à la tombe,
11:21et contre ça la laïcité est en quelque sorte,
11:24certes républicaine mais aussi libérale, dit non,
11:26voilà, non, vous n'avez pas à régir,
11:29vous pouvez penser ce que vous voulez dans votre vie privée
11:31mais pour ce qui est de la vie publique et de la vie civile,
11:34c'est-à-dire de la coexistence, taisez-vous.
11:37– Absolument, alors ce qui est difficile c'était
11:40ce qu'on a évoqué tout à l'heure,
11:42autour d'une table ou entre amis,
11:45comment débattre, discuter, s'écouter,
11:48bien sûr, ça fait réagir au 0826 300 300 vos propos Pierre-Henri Tavoyau,
11:53c'est Hubert du côté de Nice qui est avec nous au 0826 300 300,
11:58bonjour Hubert.
11:59– Bonjour, effectivement votre sujet m'intéresse
12:04parce qu'il me touche personnellement, dans ma famille,
12:08j'ai vu une différence qui s'est installée depuis,
12:12on va dire entre 5 et 10 ans, donc progressivement
12:16on a de moins en moins la possibilité de discuter en famille
12:19autour d'une table, on est obligé de se restreindre,
12:23voire de s'interdire d'aborder certains sujets,
12:27et d'ailleurs d'un commun accord bien souvent,
12:30sur des avis opposés.
12:32– Et alors ce qui change peut-être un peu Hubert,
12:34c'est qu'avant on disait par exemple,
12:37bon on ne va pas aborder cette question,
12:40qui est une question familiale sensible,
12:41peut-être j'ai dit n'importe quoi, mais partage, transmission etc.
12:45parce que bon évidemment, là c'est sur des sujets de société
12:49ou politiques en fait Hubert, non ?
12:51– Oui tout à fait, pour mon cas en tout cas,
12:54les sujets familiaux, intimes, peuvent s'aborder la plupart du temps,
12:59donc même transmission, héritage, mort, désir, visite,
13:04mais les sujets politiques de moins en moins,
13:07voire pas du tout, enfin pour nous il y a une sorte d'interdit commun
13:12pour pouvoir garder justement, si ce n'est l'amitié
13:17ou l'amour qu'on peut avoir l'un pour l'autre,
13:19parce que ça peut tourner effectivement à des oppositions,
13:23voire des drames ou des rejets.
13:24– Oui, non mais c'est intéressant votre réflexion,
13:27Pierre-Henri Tavoyau, c'est exactement ce que vous abordez
13:30dans votre livre, entre société individuelle, l'individu,
13:33puis le collectif et les débats quoi.
13:36– Non c'est l'objet de beaucoup de souffrance,
13:38je trouve cette impossibilité de discuter,
13:40parce que voilà, avec ceux qu'on aime,
13:41on les aime en dépit de nos désaccords,
13:43c'est ça qui est important,
13:44alors la petite suggestion je ferai,
13:46– Oui, parce qu'il y a les 7 piliers de la convivialité.
13:49– Oui, mais ce n'est pas facile, je suis bien conscient,
13:51mais de dire effectivement, pratiquer la disputation médiévale,
13:54c'est-à-dire qu'on faisait à la Sorbonne,
13:56c'est d'ailleurs ce petit jeu qui consiste à dire,
13:58tiens voilà, pour désamorcer les choses,
14:00on va plaider à l'inverse de son point de vue.
14:02Et c'est très intéressant, vous allez demander
14:04si vous avez un éléfis dans sa famille,
14:07et bien de plaider pour le Rassemblement National,
14:09et puis celui qui est à le Rassemblement National,
14:11de devenir éléfi, c'est un jeu, ça peut désamorcer les choses.
14:14– Oui, mais ça peut aussi dégénérer.
14:15– Non, non, non, parce que chacun est contre soi,
14:18donc ça peut, voilà, après il faut,
14:21mais il faut arriver en fait à donner du statut à ce désaccord,
14:26et c'est en effet très difficile,
14:27parce qu'en plus, ce qui rend les choses
14:29beaucoup plus compliquées que par le passé,
14:31c'est que le rapport aux vérités historiques, aux faits,
14:34est devenu aussi beaucoup plus incertain,
14:36ce qu'on appelle les vérités alternatives.
14:38Et en plus, c'est que nous sommes dans des bulles d'informations
14:43qui sont devenues hétérogènes.
14:45Jérôme Fourquet parle de l'archipélisation en France,
14:48mais ça vaut aussi pour l'espace public,
14:49chacun regarde son média, chacun regarde ses informations,
14:54et se scandalise de ce qu'il indigne.
14:58Et puis l'autre lui dit, tu te scandalises de ça,
15:00mais tu ne te scandalises pas de ça.
15:01Et donc en fait, on se retrouve dans des bulles,
15:04avec des biais de confirmation, comme on dit,
15:07et ça, ça rend le débat extrêmement difficile.
15:09Donc il faut retrouver effectivement le commun,
15:12prendre un peu de sang froid,
15:14essayer de se mettre d'accord sur les données de base.
15:15– Oui, et peut-être qu'aujourd'hui, on devient trop affirmatif,
15:19je ne sais pas ce qu'en pensent Hubert ou d'autres auditeurs
15:22au 0826-300-300, mais on va disqualifier en accusant
15:28peut-être, ce qui est assez facile, c'est le fascisme,
15:31de toute manière, tu es un facho, toi, voilà,
15:33si on aborde certaines questions, ou d'autres, tu es un complotiste,
15:38et donc il n'y a plus de discussion possible.
15:40– Oui, avec l'idée aussi que le désaccord,
15:41c'est presque un préjudice, c'est presque une offense,
15:44c'est-à-dire qu'on se sent, vous voyez ce qu'on dit,
15:47on n'est pas d'accord, on appelle la police, on appelle son avocat,
15:50comme si on n'arrivait plus à gérer ce désaccord, à l'accepter,
15:54peut-être commencer par dire aussi, on est en désaccord,
15:57c'est très clair, mais ne discutons pas sur les choses les plus extrêmes,
16:02mais essayons malgré tout de trouver des éléments
16:03sur lesquels on peut apporter des nuances.
16:05– Pour essayer de construire quoi.
16:06– Pour essayer de construire, je pense que c'est ça le point,
16:08et effectivement, la clé absolue, c'est de se dire,
16:11voilà, les autres ne sont pas des idiots et ne sont pas des salauds.
16:14Une fois qu'on a pris la conviction qu'on a en face de nous,
16:17des adultes en plein exercice, ce mot adulte, on l'oublie trop souvent.
16:20– C'est vrai, alors c'est ce que vous définissez d'ailleurs dans votre livre,
16:23nous sommes des adultes, dans nos sociétés,
16:27c'est-à-dire qu'on a évolué par rapport à il y a quelques années,
16:30à quelques décennies où il n'y avait pas la parole,
16:32il n'y avait pas la liberté d'expression.
16:34– Et puis dans toutes les civilisations connues,
16:35il y a quelques adultes de plein exercice,
16:37tous les autres sont des mineurs,
16:38la démocratie c'est le seul régime qui dit tout le monde est adulte,
16:41on a du mal à être adulte ensemble, c'est ça la difficulté.
16:43– Et vous le dites Pierre-Henri Tavoyeux dans votre livre,
16:46regardons autour de nous, regardons autour de nous,
16:49bien sûr il y a des choses qu'on ne peut pas critiquer,
16:54alors que nous, nous pouvons le faire.
16:56– Nous pouvons le faire et puis là aussi,
16:58un beau sujet de conversation dans les repas de famille,
17:00c'est de dire à quel moment, est-ce que vous vous sentez adulte,
17:02voilà, autour de la table,
17:03et à quel moment vous vous sentiez adulte,
17:05ça c'est très intéressant de savoir quel est le moment
17:08qui marque l'entrée dans l'âge adulte,
17:10et ça, souvent les gens disent la naissance du premier enfant,
17:13l'entrée dans le job, et ce moment-là,
17:16c'est aussi le moment où on s'aperçoit que quand on grandit,
17:19c'est le moment où on commence à faire grandir les autres.
17:22Il y a deux manières de grandir,
17:23soit on grandit en humiliant les autres, en les rapetissant,
17:25soit on grandit en faisant grandir les autres,
17:28et si on se met d'accord juste ça, juste là-dessus,
17:31la discussion redevient possible,
17:32parce qu'on se dit, une discussion ce n'est pas avoir raison,
17:35une discussion c'est partager des opinions.
17:38– Hubert, qu'en pensez-vous de ces suggestions de Pierre-Henri Tavoyau ?
17:42– Excellentes, je les pratique parfois,
17:46ce qui est difficile, c'est que les personnes,
17:49surtout les plus jeunes, n'ont pas ou peu appris
17:53à avoir l'esprit critique par eux-mêmes, à penser par eux-mêmes,
17:57et bien souvent ils viennent avec la pensée de médias,
18:00la pensée de journaux, toutes faites,
18:02et ils vous la portent comme étant une preuve,
18:05et c'est ça la difficulté, c'est-à-dire la difficulté à critiquer,
18:07même c'est laisser propre aux opinions,
18:09et ça on l'apprend de moins en moins, c'est ce que je ressens moi.
18:12– Oui c'est vrai, et les réseaux sociaux peut-être aussi,
18:14est-ce qu'ils creusent ce fossé ou pas ?
18:17– Exact, tout à fait, c'est-à-dire qu'on va chercher
18:20dans les réseaux sociaux une pensée,
18:22et on ne se la fabrique pas soi-même,
18:24on ne critique pas son regard, on le prend pour argent comptant,
18:27donc je pense que c'est ça qui est le plus faible,
18:31même dans ma famille, il y a un côté comme ça,
18:33c'est-à-dire pour briller, on va vous sortir,
18:36je ne sais pas, une analyse du Point ou de n'importe quel journaux,
18:38je dis celui-là comme un autre,
18:40et on va vous sortir une analyse qui peut être critiquable,
18:44mais sur le coup, dans une discussion familiale,
18:46c'est impossible de la reprendre, et la personne est persuadée que…
18:50mais elle n'a pas elle-même analysé ce qu'on lui a dit,
18:53il y a très peu de critiques sur ses propres opinions.
18:57Alors du coup, on s'en tient effectivement au premier enfant qui est né,
19:01à tout ce qui nous unit, à tout ce qu'on aime ensemble,
19:05et on évite effectivement les sujets de société
19:07dans lesquels il y a un investissement extérieur très fort,
19:11c'est-à-dire on pousse les gens à se traiter, à s'insulter,
19:15à se… effectivement, fasciste ou autre, un nom, un truc comme ça.
19:18– Bien sûr, Pierre-Henri de Tavoyaux, c'est ça.
19:20– On n'entend pas les sujets familiaux pas trop encore,
19:22mais il y a rien de nouveau.
19:23– Oui, c'est cette dimension d'arriver à ménager au sein de ses propres convictions
19:28un élément de doute, ça c'est capital,
19:30et comme on a le sentiment qu'on doit avoir une vision du monde
19:34pour survivre en ce monde complexe, du coup, on expulse le doute.
19:38Or le doute, c'est ce qui nous permet d'entrer en contact avec les autres.
19:41Pour entrer en contact avec les autres, il ne faut pas faire un pas en avant,
19:44si je puis dire, il faut plutôt faire un pas en arrière,
19:47c'est-à-dire lui laisser de la place, sinon il n'y a aucune raison de discuter.
19:50– Un dernier mot avec vous sur une question d'actualité, Pierre-Henri Tavoyaux.
19:54Vous avez vu, il y a eu toute une polémique ce week-end
19:58autour de la proposition de LFI de retirer le délit sur l'apologie du terrorisme.
20:06– Non, je pense qu'il faut bien avoir en tête la stratégie politique de LFI
20:12qui est une stratégie politique de conflictualisation,
20:14mais je ne dirais pas que c'est exactement du même ordre,
20:17parce qu'on est là et vraiment dans la politique, c'est théorisé.
20:20LFI utilise une doctrine qui est la doctrine de la philosophe Chantal Mouffe,
20:25qui consiste à dire qu'en démocratie il ne faut pas de compromis.
20:27Pourquoi ? Parce qu'il faut que le peuple se sente agir,
20:30quand on n'a pas la majorité dans les voix, il faut la voir sur les ondes,
20:34en quelque sorte, et pour ça, le coup d'éclat permanent est la bonne technique,
20:37on occupe le terrain, et donc c'est une stratégie qui d'ailleurs a du sens,
20:41puisqu'on est aujourd'hui dans un monde démocratique,
20:44où on a le sentiment de dépossession ou d'impuissance publique,
20:48au moins par les mots on peut agir.
20:49– Oui, bon ben voilà, tiens, nous continuerons d'en parler peut-être dans un instant
20:53avec Valérie Expert, Gilles Gansman, qui reçoit Philippe Gueduc,
20:56le dessinateur qui aborde beaucoup aussi toutes ces questions,
20:59et puis ce midi André Bercoff qui recevra un autre philosophe,
21:03Pierre-Joseph Salazar, pour son dernier livre,
21:07« Contre la rhétorique, comment les mots des démagogues
21:09prennent le pouvoir aux éditions du Serre »,
21:11et je vous rappelle ce livre aussi de Pierre-Henri Tavoyau,
21:14qui était mon invité ce matin, qui a dialogué avec vous,
21:17« Voulons-nous encore vivre ensemble aux éditions ? »
21:20Odile Jacob, dans un instant donc Valérie Expert.