Milei au pouvoir : miracle ou désastre pour l’Argentine ? avec Célia Himelfarb, économiste, professeure invitée à l'Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine (IHEAL) de l'Université Sorbonne Nouvelle, et Florence Pinot de Villechenon, professeure émérite à ESCP Business School. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-12-decembre-2024-4035061
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00:00France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10.
00:05Débat ce matin sur l'Argentine, un an après l'arrivée au pouvoir de Javier Milei, qui
00:12avait pris le pouvoir autour d'un programme sans équivoque, appliqué au pays la politique
00:18de la tronçonneuse.
00:19Comprendre, tailler dans la dépense publique de manière drastique, s'attaquer à l'inflation
00:25vertigineuse qui frappe l'Argentine.
00:28Bref, une cure d'austérité sans précédent à cette échelle.
00:32Un an après, quel bilan d'étape tirait des réformes mises en place par Milei ? On
00:37va en débattre ce matin avec Célia Imelfarb.
00:41Bonjour !
00:42Bonjour !
00:43Vous êtes économiste, professeure invitée à l'Institut des hautes études de l'Amérique
00:48latine de l'Université Sorbonne Nouvelle, également avec nous en studio, Florence
00:53Pinault de Villechenon.
00:55Bonjour !
00:56Bonjour !
00:57Florence Pinault, professeure émérite et directrice du Centre d'études et de recherche
01:01Amérique latine-Europe à l'ESCP Business School, co-fondatrice présidente du Business
01:09Forum Argentine-France.
01:11Merci d'être au micro d'Inter.
01:14Avant d'entrer dans le détail, comment qualifiez-vous cette première année de Milei, surnommée
01:19par certains le « Trump de la Pampa », avec sa fameuse tronçonneuse donc se définissant
01:26comme un anarcho-libéral, ce personnage haut en couleurs, et c'est le moins qu'on puisse
01:31dire.
01:32Il a atterri comment dans l'exercice du pouvoir Célia Imelfarb ?
01:38Oui, beaucoup de personnes demandent en France comment est-il possible qu'un personnage
01:43a pu être élu président de la République Argentine.
01:46Mais il faut comprendre et interpréter que les inégalités sociales, la corruption,
01:53la mauvaise gouvernance ont conduit à Milei.
01:56Et c'est un petit peu ce que Julien O'Dampoli dit aussi dans « Les ingénieurs du chaos
02:01», la rage des peuples plus les algorithmes aussi qui ont contribué, les réseaux sociaux.
02:06Et comment voyez-vous cette première année, son installation au pouvoir ? Parce que quand
02:13les anti-systèmes arrivent dans le système et l'incarnent, ça a donné quoi ?
02:17Alors ça donne, j'ai envie de vous évoquer, comme tout un chacun, l'image de la scie
02:22qui est toujours d'actualité.
02:24Mais j'ai envie parce que les symboles parlent souvent.
02:27Et il y a un autre symbole qui est assez associé à la personnalité du président
02:31mais que lui-même utilise, c'est celle du lion.
02:33Alors on a l'image d'un lion mais qui arrive à, qui veut dompter l'inflation.
02:40Donc là on touche, je pense, le cœur de son combat initial.
02:45Je vais dompter l'inflation, je vais dompter le déficit budgétaire pour faire comprendre
02:52aux Argentins mais surtout au reste de l'humanité que l'Argentine est définitivement guérie
02:57du populisme.
02:58C'est un petit peu le message fort.
03:01Donc au bout d'un an, si on regarde les sondages, c'est toujours, quand ils sont
03:08bien faits, ça parle toujours.
03:10Il est populaire, il reste populaire.
03:14On va voir ce que les Argentins ont ramassé entre guillemets.
03:18Ça a été dur cette année mais il reste très populaire.
03:21Avec encore, pourtant, il y a des carences structurelles qui n'ont pas encore été résolues.
03:29Mais il est populaire et il y a deux exemples qui me viennent à tête, à l'esprit, qui
03:35illustrent un peu pourquoi il peut plaire à une classe argentine épuisée.
03:41Elle arrive épuisée, elle arrive fatiguée, elle arrive avec moins de tonus qu'en 2001
03:46où la valse des casseroles se faisait entendre.
03:49Alors, à cette Argentine fatiguée, il va lui dire par exemple, voilà, j'ai décidé
03:54de faire la désintermédiation de l'aide sociale qui avant passait par des groupements,
04:02des associations plutôt politisées, on va supprimer ça et je vais supprimer le business
04:10que font les marchands de la pauvreté, c'est-à-dire une caste, cette fameuse caste qui s'enrichissait au passage.
04:17Et il y a une deuxième mesure qui me vient à l'esprit, c'est par exemple l'initiative
04:22de mettre un stop à certains postes héréditaires dans la fonction publique.
04:30C'est-à-dire qu'apparemment, à la Banque Centrale ou à l'administration des impôts
04:35dont il a réduit les effectifs de façon draconienne, drastique, il y avait des postes
04:44que l'on pourrait appeler, d'ailleurs la presse utilise ce terme, héréditaires.
04:48C'est-à-dire que vous aviez un fonctionnaire, quel que soit le rang, peut-être plus fréquemment
04:54au niveau plutôt inférieur, vous quittiez votre poste retraite ou décès et normalement
05:00quelqu'un de votre famille avait le droit de vous remplacer.
05:04Voilà typiquement pour une Argentine fatiguée, comme l'évoquait ma collègue, l'as de
05:11la corruption, quand vous avez des mesures comme ça, vous avez une partie de la citoyenneté
05:17qui vous soutient.
05:18Quelle explication faites-vous de la confiance maintenue dans les sondages, un certain nombre
05:25de sondages, d'enquêtes, d'opinions, confiance maintenue à Javier Milei ?
05:29Je pense qu'il faut comprendre que lorsqu'il y a des pays qui vivent des hautes inflations,
05:38parfois voire des hyperinflations… Là on parle de 211% en 2023, à portée
05:43à 119 cette année.
05:45Exact.
05:46Et parfois passer de 25,5 par mois à 2,7 par mois.
05:51Ça veut dire que les gens, lorsqu'ils vont acheter des produits, ils sentent cette réduction
05:58et psychologiquement c'est très important, c'est une des raisons pour lesquelles il
06:01continue d'être populaire.
06:02Après on verra les aspects plus négatifs, mais pour l'instant, qu'est-ce qui justifie
06:07sa popularité ? Deuxième, c'est l'engage de réduire la
06:12dépense publique.
06:13Beaucoup d'Argentins pensent qu'il y avait un État surdimensionné et donc il a déjà
06:18licencié des centaines, voire des milliers de fonctionnaires publics et il veut privatiser
06:24des entreprises d'État.
06:26Donc ça aussi c'était très mal vécu par les Argentins, lorsque toute la période
06:30qui génère, il n'y a pas eu de création de poste d'emploi privé, mais d'emploi
06:35public, vous voyez.
06:36Ça, ça crée de la popularité aussi.
06:38La balance commerciale était négative dans les gouvernements précédents, il la rend
06:43positive par sa politique de taux de change, 15 milliards de dollars de positif des exportations.
06:49Donc il y a des éléments que les gens disent mais ça peut marcher, ça peut marcher, sans
06:55voir les contreparties.
06:56Quels sont, Florence Pinault de Villechenon, les perspectives de croissance ? Parce que
07:03c'est tout de même ça aussi la grande question de cette cure d'austérité extrêmement
07:09brutale.
07:10Alors, moi je ne suis pas économiste, à la différence de ma collègue, mais en revanche
07:17quand on regarde les perceptions de la société et puis également les analyses que font des
07:22institutions, il y a des institutions de belles qualités en Argentine, indépendantes
07:27et qui signalaient par exemple, en reprenant des données de la CAM et la Confédération
07:32Argentine de la Moyenne Entreprise, qui voyaient déjà des frémissements, des frémissements
07:38dans la réactivation de l'économie qui est encore petite, des frémissements également
07:47dans le crédit, dans le crédit pour l'achat de biens durables, immobiliers, petites réactivations
07:54de ce côté-ci.
07:55Donc il y a des petits indicateurs qui frémissent.
07:57Apparemment, quand vous suivez ça de près, à la limite il faudrait presque suivre ça
08:01deux fois par jour, mais quand vous suivez ça de près, effectivement, alors la construction
08:06elle aurait eu des débuts timides de récupération mais qui auraient un petit peu été stoppés
08:13le mois dernier.
08:14Après là-dessus, il y a du conjoncturel, puis maintenant il y a les fêtes d'année,
08:18je suppose les économistes et les statisticiens prennent ça en ligne de compte.
08:23Mais sinon, je dirais que le principal qui explique cette adhésion à la politique de
08:30Milei qui garde à peu près là aussi, si vous les regardez au cours de la journée,
08:35de la semaine, mais globalement les institutions de son âge et autres sérieuses s'accordent
08:40à dire qu'il est quand même, il navigue autour de ce 40 et quelques pour cent, qu'il
08:44s'approche de 50% d'approbation, alors pourquoi je pense qu'effectivement là on
08:49a cette espèce de bataille, pour l'instant, plutôt gagnée contre l'inflation parce
08:55que le citoyen, tu le rappelais Célia, le vit dans sa poche.
08:59Donc tout d'un coup, au début, gros impact sur la pauvreté, indéniable, tout le monde
09:05en a souffert, les retraités entre autres par exemple, et puis si tout d'un coup votre
09:09retraite a augmenté, et qu'elle a augmenté un peu plus que l'inflation, et bien vous
09:14commencez à le sentir dans la poche, et ça je pense explique beaucoup la…
09:17Alors parlons justement de la pauvreté, taux de pauvreté qui s'élevait en 2024 à 53%,
09:24près de 53%, contre près de 42% au second semestre un an plus tôt, 2023, 7 enfants
09:33sur 10 ne mangent pas à leur faim selon l'UNICEF.
09:38Est-ce que le pays peut sombrer dans une spirale de pauvreté ? Est-ce qu'il peut réduire
09:47drastiquement ces taux qui sont stratosphériques ?
09:51Oui, vous disiez bien des chiffres de la pauvreté en 2023, donc c'est pas l'émergence
09:58des milleilles qui a provoqué l'origine de la pauvreté, il faut le dire et le redire,
10:03vous avez deux gouvernements, trois mêmes périodes gouvernementaux qui précèdent.
10:07Le problème c'est qu'il a fait basculer 5,5 millions de personnes de plus dans la
10:13pauvreté, et les chiffres que vous donnez c'est des indicateurs officiels.
10:17Il y a aussi l'Observatoire de la dette sociale de l'Université catholique d'Argentine
10:23qui donne des chiffres parfois qui s'approchent des 58%, c'est-à-dire que toute la partie
10:27du travail informel on ne peut pas l'évaluer, et la pauvreté effectivement absolue, les
10:3253%, et la pauvreté aussi, l'indigence, presque 20%.
10:38Ça veut dire que dans un pays de presque 48 millions d'habitants, plus de 24 millions
10:44de personnes sont en pauvreté absolue.
10:46Et la pauvreté absolue ça veut dire qu'on n'arrive pas à la fin du mois, on paye pas
10:50les factures, on est en sous-emploi et même si on a un salaire on n'arrive pas à vivre.
10:55Alors l'UNICEF dénonce vraiment la situation des enfants, parce que c'est pas normal,
11:01parce que l'Argentine est un pays riche, mais un pays injuste, et que 7 enfants sur
11:0610 ne puissent pas arriver à se nourrir convenablement, invraisemblable, très peu dans le monde
11:12effectivement.
11:13Alors vous me posez la question si cette pauvreté peut avancer ou peut être régressive.
11:20Je ne suis pas très optimiste du mode de gouvernance concernant la pauvreté, parce
11:26que je suis convaincue que Javier Melei n'a pas beaucoup de ce qu'on appelle une sensibilité
11:30sociale en quelque sorte.
11:32Et il y a des secteurs de l'économie dont Florence Pinot de Vilchenon évoquait, quels
11:40sont les secteurs qui peuvent être productifs ? Les lithiums, c'est l'attirance mondiale
11:47pour les lithiums, vous le savez à l'heure actuelle, le cobalt, le manganèse, les cuivres
11:52et puis les gaz liquéfiés de Patagonie, ça ce sont les secteurs qui avancent énormément.
11:57Par ailleurs, il a dévasté l'industrie locale, le commerce et la construction, qui
12:01étaient les secteurs qui employaient énormément de monde.
12:04Donc là, on a une société à deux vitesses, vous voyez ? Donc je ne pense pas que, malgré
12:12qu'il y a une politique, et on parlait des attractivités des capitaux, des blanchiments
12:17des capitaux pour arriver, puissent être des créateurs d'emplois massifs.
12:22Un mot pour terminer cette conversation sur l'atmosphère démocratique du pays, le débat
12:30public, l'espace public, s'est-il durci ? Les journalistes travaillent-ils sereinement ? Comment
12:41ça se passe ? Alors je pense, là effectivement, on ne peut
12:44pas faire mission du caractère du président argentin qui se construit avec des ennemis
12:55en face.
12:56Donc de ce point de vue-là, c'est vrai que quand vous lisez les journaux, nombreux sont
13:03les journalistes qui, je pense intimement, donnent des chances à ce mandat de sortir
13:12l'Argentine douélée, mais qui vivent mal ce style présidentiel pour lequel il n'y
13:22a pas de demi-teinte.
13:23C'est-à-dire, dans la vision de Millet, vous ne pouvez pas combattre le, alors son
13:34grand antagonisme c'est le perroquirchnerisme, on pourrait l'appeler comme ça, vous ne
13:39pouvez pas le combattre dans la modération.
13:40Il n'y a pas de place pour la tiédeur.
13:42Et en même temps, un dernier sondage qui est tombé hier avant-hier, c'est que seulement
13:52un 30% de la citoyenneté argentine est à cette heure gênée de la réduction de l'appareil
13:59public.
14:00Ça veut dire que pour l'instant, le citoyen arrive à accepter tant bien que mal cette
14:04énorme réduction de l'appareil étatique.
14:07Sur l'atmosphère du débat public, juste un mot ?
14:10Oui, très rapidement.
14:12Trois choses qui me semblent très importantes à citer, c'est une lame des fonds du négationnisme
14:18concernant la dictature, l'histoire de l'Argentine, 30 000 disparus, et il y a un négationnisme
14:25qui peut conduire à une libération à domicile, effectivement.
14:29Lutte contre l'IVG et lutte contre le mariage, pour tout ce qui était désacquis en Argentine.
14:36Merci à toutes les deux, Célia Immelfarb, Florence Pinault de Ville-Chenon, merci pour
14:41cet échange sur l'Argentine, très intéressant à écouter, merci beaucoup.