• il y a 8 mois
Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l'Education nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et Agnès Evren, sénatrice LR de Paris, membre de la Commission de l’éducation au Sénat, sont les invitées du débat du 7/10 sur le thème "L'école en crise ?".

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00 L'école est-elle en danger des alertes à la bombe, des menaces d'attentats, des menaces de mort comme celles qui ont visé ce proviseur à Paris,
00:09 obligé de démissionner après une altercation avec une élève à qui il avait demandé d'enlever son voile ?
00:14 Et la semaine dernière, ces deux agressions à la sortie du collège à Montpellier, à Viry-Châtillon dans l'Essonne où un adolescent de 15 ans est mort.
00:22 Comment préserver ce qui fait le socle de la République ?
00:25 Najat Vallaud-Belkacem et Agnès Evren sont là pour en débattre. Bonjour à toutes les deux.
00:30 Bonjour.
00:30 Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l'Éducation nationale, directrice de l'ONG OAN et présidente de France Terre d'Asile.
00:36 Votre livre "Le ghetto scolaire pour en finir avec le séparatisme" vient de sortir aux éditions du Seuil.
00:43 Agnès Evren, vous êtes sénatrice LR de Paris, membre de la commission Éducation au Sénat.
00:47 Vous avez été également vice-présidente de la région Île-de-France en charge justement de l'éducation.
00:53 Sur le constat d'abord, est-ce que vous dites toutes les deux que l'école aujourd'hui fait face à une menace existentielle ?
01:00 Najat Vallaud-Belkacem.
01:01 Moi je dirais que ce que vous venez de rappeler, les violences en particulier, nous renseignent moins sur l'état de l'école que sur l'état de notre société.
01:11 Les maux de notre société auxquels il faut absolument apporter des réponses aujourd'hui parce que sinon il ne faut pas s'étonner qu'il soit présent,
01:20 y compris dans ce sanctuaire que devrait être l'école.
01:24 Agnès Evren, le problème c'est avant tout la société.
01:27 C'est la société parce que l'école est le reflet de la société.
01:30 Et il est vrai qu'aujourd'hui il est temps, je pense, de regarder les choses en face et de ne pas minimiser la situation.
01:36 Aujourd'hui il y a une violence endémique à l'école et qui ne touche pas seulement le secondaire, qui touche aussi le primaire.
01:44 Il y a deux sénateurs qui ont fait un rapport d'information et les chiffres sont très éclairants.
01:48 Il y a notamment ce chiffre de deux tiers des établissements scolaires de l'enseignement du second degré qui déclarent un incident grave.
01:56 Et il y a 11 200 enseignants qui subissent des bousculades intentionnelles ou alors des coups et blessures.
02:05 Ça démontre bien qu'il y a une violence et comme le disait Mme Belkacem, c'est vrai que l'école n'est pas étanche.
02:13 Aujourd'hui notre société est gangrénée par la violence avec des jeunes qui sont de plus en plus violents et qui passent de façon de plus en plus violente à l'acte.
02:21 Et donc forcément, cette violence s'invite à l'école.
02:25 Justement sur la multiplication des incidents, la ministre de l'éducation Nicole Belloubet disait dimanche sur France Inter que c'était aussi la conséquence de la fin du pas de vague.
02:35 Et donc le gouvernement avait demandé de faire remonter très vite tous ces incidents et que c'était aussi pour cela qu'on entendait beaucoup parler.
02:44 Est-ce que ça suffit à expliquer le phénomène, Najat Vallaud-Belkacem ?
02:48 Alors d'abord au sujet du pas de vague, je pense que c'est vraiment très important sur cette matière tellement complexe qu'est l'éducation, d'éviter les simplismes et les caricatures.
02:59 Et par exemple, cette idée qu'avant il y avait une omerta, qu'on cachait tout, qu'on ne faisait rien remonter des établissements.
03:07 Non, non, je veux dire j'ai été ministre de l'éducation.
03:10 On n'a jamais passé une consigne au proviseur, au professeur.
03:13 J'ai été ministre de l'éducation, si vous voulez, par exemple au moment des attentats contre Charlie Hebdo, des minutes de silence qui dans certains établissements ont été sifflées, etc.
03:21 Vous vous souvenez déjà à l'époque de ce qu'on disait de la nécessité justement de faire remonter tous les incidents.
03:27 Je pense que les consignes venant du sommet de l'état aux établissements, elles sont relativement claires en réalité.
03:32 La question c'est est-ce que les professeurs dans les établissements se sentent suffisamment accompagnés ?
03:37 Et on a vu notamment à l'occasion de la tragédie de Samuel Paty que des enseignants ne pouvaient pas se sentir suffisamment accompagnés, ce qui nécessite de renforcer cet accompagnement.
03:46 Mais au-delà de ça, je pense qu'aujourd'hui cette violence qui mine en effet non seulement les établissements, les abords des établissements, encore une fois, elle doit être interrogée sous l'angle même de la santé mentale.
04:00 C'est-à-dire qu'on voit bien que depuis quelques années, il y a une espèce d'hystérisation des pulsions, notamment chez les plus jeunes et de plus en plus jeunes, qui doit nous interpeller et appeler des réponses en politique publique de santé mentale.
04:13 - Agnès Evrenne ? - Oui, moi je ne suis pas du tout d'accord avec l'idée de dire qu'avant les choses remontaient également.
04:20 Non, les Français ne supportent plus justement ce discours de dire "aujourd'hui les signalements remontent immédiatement".
04:26 Je suis désolée mais en fait ce n'est pas tant les signalements, c'est tout simplement qu'il y a une forme d'exacerbation liée notamment aux réseaux sociaux.
04:33 Elle est faite des multiplicateurs des réseaux sociaux parce que la viralité et la puissance des réseaux sociaux fait que ça a aujourd'hui des conséquences dramatiques.
04:40 - Là-dessus on est d'accord. - Ça c'est une première chose.
04:43 Mais je regrette quand on s'est rendu compte que malheureusement c'est le proviseur du lycée Maurice Ravel qui a dû démissionner.
04:49 Tout ça parce qu'il avait tout simplement fait respecter la loi de la République.
04:52 Ce n'est pas la loi de l'établissement, c'est la loi de la République.
04:54 Et qu'in fine, on a dit c'est pour convenance personnelle.
04:57 Moi je continue de penser qu'il y a encore aujourd'hui une forme de pâte-vague.
05:01 Et Madame Belloubet ferait mieux justement d'essayer d'être plus honnête avec la réalité plutôt que de dire "ça se passe aux abords des établissements".
05:09 Ça veut dire qu'une fois qu'on a dépassé le portail de l'établissement, l'école n'est plus responsable.
05:13 Vous savez, les bagarres, elles éclatent peut-être à l'extérieur de l'établissement, mais les contentieux, ils commencent dans la cour de récréation, ils commencent à l'intérieur.
05:21 Donc je pense qu'il y a une co-responsabilité. École, justice, police.
05:25 Et de ce point de vue-là, il faut qu'enfin on dise la réalité et qu'on regarde les choses telles qu'elles sont.
05:30 Puisque vous parlez du gouvernement, il a annoncé des mesures, notamment la création d'une équipe mobile de sécurité nationale.
05:36 Une vingtaine d'agents qui pourraient être dépêchés en cas de crise dans les 48 heures.
05:40 Également parler de la possibilité de mobiliser des surveillants pour accentuer la surveillance des établissements des écoles primaires, notamment des abords des écoles.
05:51 Est-ce que ça va dans le bon sens ? Est-ce que ça peut être suffisant ?
05:54 Déjà un bon premier pas, Najat Volbel-Kassam.
05:56 Oui, juste pour une précision, les équipes mobiles de sécurité existaient déjà.
06:00 Ce n'est pas une création nouvelle, mais qu'elles soient renforcées par le gouvernement, c'est une bonne chose.
06:04 On a besoin d'intervention rapide.
06:06 Là, c'est juste en situation de crise profonde.
06:08 Absolument, pour aider en situation de crise des chefs d'établissement.
06:12 Ça, c'est une bonne chose.
06:14 De manière générale, je pense qu'il n'y a pas de secret.
06:17 On a besoin d'adultes.
06:19 On parle souvent du fait qu'il n'y a pas suffisamment d'enseignants dans nos établissements scolaires.
06:24 Crise du recrutement, etc.
06:26 Il n'y a pas non plus suffisamment de personnel non-enseignant.
06:29 Or, c'est ça qui fait la sécurisation d'un établissement scolaire, c'est la complémentarité entre ces deux types de personnel.
06:36 Un enseignant ne va pas pouvoir être tout à la fois enseignant, assistante sociale, psychologue scolaire, etc.
06:43 Il a besoin de pouvoir se reposer sur des assistants sociaux, des psychologues scolaires, des CPE, des AED.
06:49 Toutes sortes de personnel qu'il manque cruellement dans nos établissements.
06:53 Pour vous en donner un seul exemple, on a un médecin scolaire pour 15 000 élèves aujourd'hui dans notre pays.
06:58 C'est un énorme problème qu'il faut absolument prendre en charge.
07:04 Et c'est là-dessus que le gouvernement, à mon avis, devrait se concentrer s'il veut sécuriser ces établissements.
07:09 C'est la question des moyens, en fait.
07:11 Oui, c'est la question des moyens.
07:13 Ces équipes mobiles de sécurité, honnêtement, ce n'est absolument pas à la hauteur.
07:16 C'est une mesure ponctuelle.
07:17 C'est-à-dire que ces crises de violence qu'on a connues depuis ces dernières semaines, il y en a au cas par cas un peu partout.
07:23 Et donc il ne faut pas attendre que la crise arrive à son paroxysme, mais il faut envisager des mesures par anticipation.
07:29 Il faut par exemple plus de vidéoprotection, je pense, à l'extérieur des établissements scolaires.
07:34 Et on se rend compte que trois ans après l'assassinat de Samuel Paty, après l'assassinat de Dominique Bernard,
07:40 malheureusement, il y a encore des établissements qui ne disposent pas de dispositifs d'alerte ou d'alarme.
07:47 Et ça, ça n'est absolument pas normal.
07:49 Je pense qu'il faut travailler davantage avec les polices municipales.
07:51 Mais vous savez, l'éducation nationale, l'école, ce n'est pas qu'une question de moyens.
07:54 Aujourd'hui, vu le budget qui est consacré à l'éducation nationale, c'est le premier poste de dépense.
07:59 Et pour quel résultat quand on voit aujourd'hui la situation de l'école avec ses atteintes à la laïcité, une dégringolade des apprentissages ?
08:06 Alors justement, la laïcité, c'est un peu ce qu'on n'a pas encore abordé, mais qui est central dans ce débat.
08:12 Est-ce que vous estimez, comme le Premier ministre, qu'elle est aujourd'hui plus menacée que jamais à l'école en France ?
08:17 Mais bien évidemment. Et là aussi, le phénomène nouveau, c'est que ces atteintes à la laïcité, elles concernent également le primaire.
08:23 Et elles concernent quasiment toutes les disciplines.
08:26 C'est-à-dire qu'avant, c'était le français, la littérature, l'histoire, la géographie.
08:30 Et maintenant, c'est également dans le sport, par exemple.
08:33 Et on a des profs qui, là encore, se sentent démunis, qui s'autocensurent.
08:37 On a un prof sur deux qui s'autocensure parce qu'ils ont peur de ne pas être soutenus par leur hiérarchie.
08:43 Là, vous revenez à la théorie du pas de vague que démontrent.
08:46 Ils évitent de faire des signalements de peur d'être mal évalués ensuite.
08:51 Et donc, de peur de ne pas être soutenus, ils préfèrent ne rien dire.
08:54 Est-ce qu'on en fait assez sur la laïcité, Najat Vallaud-Belkacem ?
08:57 Moi, je pense que le sujet autour de la laïcité, et je vais faire référence aussi à l'épisode du proviseur de Maurice Ravel dans le 20e arrondissement.
09:04 Il faut regarder avec attention.
09:06 Je rappelle donc qu'il a démissionné après une altercation avec une élève à qui il a demandé d'enlever son voile.
09:10 Et qui a fait l'objet d'une fatwa numérique, il faut le rappeler.
09:12 Absolument, c'est-à-dire que l'élève a raconté un peu partout et surtout sur les réseaux sociaux qu'elle avait été bousculée.
09:19 Ce qui était un mensonge qui est monté très très haut en tension.
09:24 Et en fait, à travers cet épisode, on voit bien ce qui se passe aujourd'hui.
09:28 La création d'une polémique, le mensonge généralisé qui devient comme normal, banal.
09:34 La violence qui monte de plus en plus sur les réseaux sociaux et qui hystérise tout le monde.
09:40 Avec des menaces de mort, parce que la vérité c'est que le proviseur a démissionné parce qu'il était menacé de mort.
09:45 Donc en fait, c'est contre ça qu'il faut se battre.
09:48 Il faut se demander collectivement, nous la communauté des adultes, en quelque sorte,
09:53 comment on fait rebaisser cette tension, cette pression permanente qui est rendue possible par les réseaux sociaux.
10:00 Moi je pense que, on dit souvent, vous savez les réseaux sociaux, vous l'avez dit tout à l'heure, sont un multiplicateur de violences.
10:06 Oui, ils sont un multiplicateur de violences. Ils sont aussi un créateur d'une forme de violence nouvelle.
10:11 Ils ne sont pas seulement un multiplicateur, dans le sens où l'anonymat, l'effet de masse,
10:17 le fait que finalement on puisse énoncer des menaces, etc. sans qu'il y ait de conséquences, une forme d'impunité,
10:24 habitue un certain nombre de nos jeunes, de plus en plus jeunes, à être dans cette violence virtuelle qui devient de la violence réelle à la fin.
10:31 Donc je pense que nous devons réguler l'usage du numérique par nos jeunes.
10:36 Et moi j'attends du gouvernement, je lui demande une chose simple, qu'il mette en place une convention citoyenne
10:41 sur la question de notre rapport au numérique et aux écrans.
10:44 Et qu'entre citoyens, nous décidions ensemble de notre avenir sur ce sujet qui me semble absolument instrumental.
10:50 Vous avez dit qu'on était en effet des adultes responsables politiques.
10:54 Quand on voit qu'il y a des élus de la France Insoumise qui ont participé à cette fatwa numérique,
11:01 ou qui en tout cas ont remis en question la parole du proviseur menacé de mort,
11:06 et qu'ils l'ont mise sur le même plan que la parole d'un élève qui ne respectait pas la loi.
11:11 Ils jettent de l'huile sur le feu en quelque sorte.
11:14 Et donc moi je me dis que si au moins on avait un diagnostic partagé sur les atteintes à la laïcité,
11:19 sur les questions de violence scolaire, déjà on pourrait...
11:23 - Je suis d'accord qu'il y a des élus totalement irresponsables qui mettent de l'huile sur le feu.
11:29 Et qui tournent le dos à l'universalisme républicain.
11:33 - On finira par un accord, je pense qu'il nous faut vraiment un code de conduite
11:36 pour soutenir notre école et nos enseignants sérieusement.
11:39 Et en effet être à la hauteur plutôt que d'attiser les flammes à chaque fois.
11:43 - Merci à toutes les deux. Najat Vallaud-Belkacem, je précise, je ne l'ai pas dit tout à l'heure,
11:47 que votre livre "Le ghetto scolaire" aux éditions du Seuil a été co-écrit avec François Dubé.
11:52 Agnès Evrène, merci à vous également.
11:55 Restez avec nous sur France Inter, on est ensemble jusqu'à 10h,
11:58 à suivre l'invité de Mathilde Serrel, la philosophe Joël Zasque.

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