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Code de l'environnement
Articles L. 413-10 et L. 413-11
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2025/20241121QPC.htm

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Transcription
00:00Bien, Mesdames, Messieurs, avant d'ouvrir cette audience, quelques mots d'explication.
00:05D'ordinaire, le Conseil constitutionnel siège au Palais-Royal, à Paris.
00:10Mais nous avons pris la décision, il y a déjà quelques années, de tenir certaines audiences en région.
00:19Et c'est dans ce cadre que nous sommes aujourd'hui ici,
00:23accueillis avec beaucoup de gentillesse par les magistrats de Versailles, du ressort de la Cour d'appel,
00:31pour tenir une audience, comme nous le faisons d'ordinaire à Paris.
00:37Nous allons donc examiner deux questions prioritaires de constitutionnalité qui vont succéder.
00:47Je vais expliquer quels sont leurs sujets.
00:49Et une fois que nous aurons terminé cette séance, nous reviendrons au Palais-Royal.
00:58Dans les jours qui viennent, nous prendrons notre décision sur ces deux questions prioritaires de constitutionnalité.
01:06Et moi-même, je reviendrai vendredi de la semaine prochaine, à 50 ans Nivelline,
01:15pour annoncer la décision, les deux décisions que nous avons prises,
01:20et expliquer pourquoi nous avons pris ces décisions et non pas d'autres.
01:25Et l'idée de tout cela, c'est de faire mieux connaître à un large public ce qu'est le Conseil constitutionnel et l'importance de la Constitution.
01:35L'audience est ouverte.
01:37Nous allons commencer cette audience avec une question prioritaire de constitutionnalité, sous le numéro 2024-1121.
01:46Cette question porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit,
01:53des articles L413.10 et L413.11 du Code de l'Environnement.
02:00Madame la greffière va nous retracer les étapes de la procédure d'instruction pour cette question.
02:06Instruction qui précède cette audience de plaidoiries.
02:10Madame la greffière.
02:11Je vous remercie Monsieur le Président.
02:13Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 novembre 2024,
02:17par une décision du Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité,
02:21posée par l'association One Voice,
02:23portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit,
02:26des articles L413.10 et L413.11 du Code de l'Environnement.
02:32Cette question relative à la détention par certains établissements d'animaux non domestiques,
02:36à des fins de divertissement,
02:38a été enregistrée au Secrétariat général du Conseil constitutionnel,
02:41sous le numéro 2024-1121 QPC.
02:45L'ASCP Lyon-Camp-Thierry a produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante,
02:49les 10 et 23 décembre 2024.
02:52Le Premier ministre a produit des observations le 10 décembre 2024.
02:55Seront entendues aujourd'hui l'avocat de la partie requérante et le représentant du Premier ministre.
03:00Merci, Madame. Nous allons procéder ainsi.
03:02Je vais donc donner la parole d'abord à Maître Thomas Lyon-Camp,
03:07qui est avocat au Conseil, qui représente l'association One Voice, partie requérante.
03:11Maître Lyon-Camp aura, comme tous ses collègues, 10 minutes pour s'exprimer. Maître.
03:21Je ne perds donc pas une minute, Monsieur le Président.
03:24Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
03:29un traitement violent et en même temps cruel des animaux
03:33est intimement opposé aux devoirs de l'homme envers lui-même.
03:37Ces mots datent de 1797. Ce sont ceux d'Emmanuel Kant dans sa Doctrine de la vertu.
03:44Ils sont là pour nous dire que le rapport que l'homme entretient avec l'animal
03:48renvoie au fond au rapport que l'homme entretient avec lui-même.
03:52C'est cette même idée que l'on retrouve sous la plume d'autres grands penseurs et hommes politiques.
03:58Je pense à Victor Hugo, Jules Ferry.
04:01Une idée forte sur laquelle je reviendrai dans un instant au moment de vous inviter
04:05à consacrer un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République
04:09et visant à interdire l'exercice de mauvais traitements en public envers les animaux.
04:15C'est cette même idée que porte l'association One Voice,
04:18que j'ai l'honneur de représenter devant vous aujourd'hui,
04:21l'association One Voice au crédit de laquelle on peut porter un combat sans relâche
04:27pour la promotion des droits des animaux, un combat pour les droits et un combat par le droit.
04:33C'est par le droit qu'elle a pu notamment obtenir la fin des chasses traditionnelles
04:37et c'est encore par le droit qu'elle aspire à élever au rang constitutionnel
04:41la protection de l'animal aujourd'hui devant vous.
04:44Et c'est dans cet esprit que, par mon intermédiaire, elle se tourne aujourd'hui vers vous.
04:49La QPC qui vous est posée aujourd'hui, cela vous a été rappelé,
04:54les articles L413.10 et L413.11 du Code de l'environnement.
04:58Plus précisément, elle reproche aux législateurs d'avoir refusé d'étendre au cirque fixe
05:03l'interdiction faite au cirque itinérant d'exploiter, de détenir et d'exposer au public des animaux sauvages.
05:12Au travers de cette QPC, je pense que vous mesurez, nous mesurons tous,
05:17l'occasion importante qui vous est offerte de vous prononcer sur le statut constitutionnel de l'animal,
05:22d'une façon qui, à ma connaissance, ne s'est jamais présentée en tant que telle devant vous.
05:27Je mesure à quel point cette QPC vous invite à faire preuve de modernité et d'innovation.
05:32Elle vous offre l'occasion d'un alignement par le haut sur vos onomologues européens.
05:37Le droit comparé est en effet extrêmement riche d'enseignements à cet égard.
05:41Je l'ai rappelé dans mes écritures, à la différence de la France,
05:45certains pays frontaliers tels que la Suisse, la Belgique ou encore le Luxembourg
05:49ont expressément inscrit la protection de l'animal dans leur constitution.
05:54One Voice vous invite donc aujourd'hui à enrichir notre bloc de constitutionnalité,
05:59comme vous avez d'ailleurs toujours su le faire,
06:02pour vous adapter à l'évolution des préoccupations sociales et sociétales.
06:06Vous le savez, la Cour européenne vient elle-même, en 2024,
06:10de reconnaître que le bien-être animal constitue une préoccupation majeure et grandissante des sociétés démocratiques
06:17qui peut désormais, au titre de la morale publique, venir justifier des restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention.
06:25En 2024 encore, la Cour de cassation a également constaté qu'il existait un débat d'intérêt général
06:31sur la question du bien-être animal et la Cour de justice de Luxembourg, elle-même n'est pas en reste,
06:36ayant déjà eu l'occasion de souligner l'intérêt que la communauté porte à la santé et à la protection des animaux.
06:43Dans ce dialogue des juges, votre conseil est invité à prendre toute la place qui est la sienne et qui lui revient,
06:49en élevant la protection de l'animal au plus haut rang qui soit.
06:53Avant de vous inviter à enrichir votre bloc de constitutionnalité en y faisant entrer la protection de l'animal,
06:59j'aurai un mot bref sur la violation du principe d'égalité que j'ai soulevé dans mon instruction écrite,
07:06car c'est sans doute par lui, par ce principe d'égalité, qu'on peut d'emblée cerner le plus directement et le plus simplement
07:14la plupart des enjeux qui se nouent autour du bien-être et de la dignité des animaux sauvages dans les cirques
07:19qui est questionné aujourd'hui devant vous.
07:22Il existe indiscutablement à mes yeux une rupture d'égalité dans la situation des animaux sauvages
07:28selon qu'ils sont détenus à vie dans des cirques fixes ou dans des cirques itinérants,
07:33car le législateur, et c'est tout l'objet de la question qui vous est posée,
07:36s'est arrêté en chemin en ne protégeant que des animaux sauvages détenus dans les cirques itinérants.
07:41Et contrairement à ce que soutient le repentant du gouvernement, et ce qui va le soutenir dans un instant devant vous,
07:46au regard de la souffrance animale ou de certaines d'entre elles,
07:50il n'existe pas de différence de situation entre les cirques fixes et les cirques itinérants.
07:54Je veux dire par là que si l'itinérance génère une souffrance supplémentaire,
08:01la souffrance animale ne s'est jamais réduite à l'itinérance.
08:06Pourquoi ? Cette souffrance d'où vient-elle ?
08:10Elle vient d'abord du principe même du maintien des animaux sauvages hors de leur milieu naturel.
08:16Elle vient du fait de les détenir à vie dans des conditions pour le moins inadéquates.
08:21Elle vient de la soumission de l'animal à des séances de dressage qui sont contre ce que postule la nature.
08:29Elle vient encore, et je pourrais décliner comme ça longtemps, mais plus que les dix minutes qui me sont imparties,
08:37elle vient encore de l'exposition quotidienne au public sous une lumière artificielle.
08:41Ces souffrances documentées depuis de nombreuses années, communes à tous les cirques,
08:45elles sont, ces souffrances, structurellement incompatibles avec l'exploitation récréative dans tous les cirques,
08:52dans tous ceux qui continuent à exploiter les animaux,
08:55ce qui, fort heureusement, comme je l'ai indiqué dans l'instruction écrite, est loin d'être le cas,
09:00car nombreux sont les cirques qui, prenant aujourd'hui en compte la souffrance animale,
09:05ont renoncé à les détenir et à les exposer au public.
09:09Au regard donc de l'objet de la loi qui tente à lutter contre la maltraitance animale,
09:13il n'existe, à mes yeux, aucune différence de situation entre les animaux sauvages,
09:18selon qu'ils sont détenus dans les cirques fixes ou itinérants.
09:22Mais je vous l'ai dit, mon propos aujourd'hui est en un sens plus ambitieux, il va plus loin,
09:26que vous inviter à mettre en œuvre, de façon très classique, le principe constitutionnel d'égalité.
09:32Vous le savez mieux que quiconque, la Constitution constitue un instrument vivant
09:38que vous ne manquez pas d'interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles
09:42et des conceptions qui prévalent dans les États démocratiques.
09:46Le bien-être animal en fait désormais partie, raison pour laquelle l'association One Voice vous invite,
09:52sur deux aspects, sur lesquels je vais revenir dans un instant,
09:55à les élever au rang constitutionnel.
09:59L'un de ces aspects vous invite à vous tourner vers le passé, l'autre vous invite à vous projeter vers l'avenir.
10:06Jetez un regard rétrospectif vers le passé d'abord,
10:11pour consacrer un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République,
10:16le douzième principe, le principe interdisant d'exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux.
10:24L'ensemble des conditions requises sont réunies pour consacrer ce principe.
10:30Le principe proposé trouve un ancrage textuel dans une loi intervenue sous un régime républicain antérieur à 1946.
10:38Il trouve une expression dans la loi Grammont relative aux mauvais traitements exercés envers les animaux domestiques,
10:44adoptée le 2 juillet 1850 sous la Deuxième République.
10:49Il n'a jamais été dérogé à ce principe par une loi républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946.
10:57Le texte énonce une règle suffisamment importante, avec un degré suffisant de généralité,
11:04et ce texte intéresse des domaines essentiels pour la vie de la nation, comme les libertés fondamentales.
11:12La portée de la loi Grammont, en effet, ne saurait être réduite à la pénalisation des violences publiques sur un animal domestique.
11:20Le commentaire autorisé de votre décision du 31 juillet 2015 sur l'incrimination de la création de nouveaux galodromes
11:29présente lui-même la loi Grammont dans une acception bien plus générale, comme visant les mauvais traitements envers les animaux,
11:38c'est-à-dire les mauvais traitements envers tous les animaux.
11:41C'est d'ailleurs bien là l'esprit du législateur de 1850, la loi Grammont tendant à protéger les animaux en tant que tels,
11:49mais également, à travers eux, les citoyens français, dans un but d'amélioration morale.
11:55J'en reviens à cette idée de départ. Le rapport de l'homme à l'animal dit quelque chose de son rapport à l'homme.
12:04Grammont lui-même, présentant sa loi à l'Assemblée, ne disait pas autre chose.
12:09Je me permets de citer un extrait de son rapport de présentation.
12:13« Prévenir les mauvais traitements, c'est travailler à l'amélioration morale des hommes, à l'amélioration physique des animaux.
12:21La douceur, la pitié à leur égard tiennent plus qu'on ne pense à l'humanité, car l'homme dur et cruel envers les animaux
12:29le sera pour tous les êtres confiés à son autorité ou à sa protection. »
12:35La généralité du principe de la loi Grammont, qui va au-delà donc de la lettre de la loi,
12:40se retrouve aussi dans sa réception au cours de la Troisième République.
12:45Je sais que vous y serez sensibles. La loi Grammont faisait partie d'un programme éducatif républicain
12:50intendant à pacifier les relations sociales. C'est d'ailleurs dans cet esprit, d'ériger en principe moral
12:56l'interdiction des mauvais traitements envers les animaux, que Jules Ferry, alors président du Conseil et ministre de l'Instruction publique,
13:03a imposé une campagne d'affichage de la loi Grammont dans les écoles.
13:08Victor Hugo, lui-même alors député et soutien de la loi Grammont, faisait également ce lien direct
13:16entre le traitement de l'animal par les êtres humains et les relations des êtres humains entre eux.
13:24Victor Hugo nous dit la chose suivante « Toute la liberté qu'on prend à des oiseaux,
13:30le destin juste et dur, la reprend à des hommes. Nous avons des tyrans parce que nous en sommes.
13:36Je t'admire, oppresseur, criant, oppression. »
13:40Quel plus beau mot que ceux de Victor Hugo pour illustrer que le principe que je vous invite à consacrer,
13:46pleinement ancré dans la philosophie des Lumières, porte une règle importante,
13:51intéressant des domaines essentiels pour la vie de la nation, comme les libertés fondamentales.
13:57Parachevant l'évolution amorcée par la loi Grammont, le législateur de 2015, vous le savez, est venu modifier le code civil
14:04et consacrer l'animal comme un être vivant doué de sensibilité et non plus comme une simple chose.
14:09C'est dire qu'au jour où vous vous prononcez, les règles qui protègent les animaux doivent être lues
14:15non pas seulement comme visant à assurer l'état de conservation des espèces,
14:19mais également à protéger les animaux en tant qu'individus sensibles.
14:24Doit donc être proscrite toute forme de maltraitance de nature apportée atteinte au bien-être animal,
14:29c'est-à-dire tout comportement ayant pour effet, sans motif légitime, d'infliger une nuisance à un animal.
14:36Les conditions de détention et d'exploitation des animaux sauvages dans les cirques, qu'ils soient fixes ou itinérants,
14:43constituent de tels mauvais traitements proscrits.
14:47S'ajoute à cela le caractère public des mauvais traitements infligés aux animaux au cours de représentations dans les cirques.
14:55Et je tiens à dire un mot particulier pour le jeune public qui se voit imposer des spectacles de domination directe de l'homme sur l'animal,
15:05compromettant, ce faisant, l'éducation et la formation à l'environnement de notre jeunesse.
15:12J'ai versé au débat des multiples rapports qui identifient les effets néfastes de ces spectacles,
15:18notamment sur le développement de l'empathie chez l'enfant.
15:21C'est en ce sens que l'exposition au public d'animaux sauvages par les cirques heurte le principe constitutionnel
15:28issu de l'article 8 de la charte de l'environnement prescrivant l'éducation et la formation à l'environnement.
15:35Cette QPC est l'occasion pour vous de donner un corps constitutionnel concret à ce principe constitutionnel
15:43auquel les spectacles de cirque portent atteinte en entraînant, dans une certaine mesure,
15:49la normalisation de la présence et d'exploitation d'animaux sauvages en dehors de leur espace naturel.
15:56Avec l'éducation, avec les jeunes enfants, je vous invite enfin à vous tourner vers l'avenir,
16:01ce seront mes ultimes observations, pour vous inviter de façon prospective à consacrer un nouveau principe à valeur constitutionnelle,
16:09le principe constitutionnel de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité.
16:15Les philosophes des Lumières l'ont dit, je vous l'ai rappelé à de multiples reprises aujourd'hui,
16:20derrière la protection de l'animal transparaît en réalité toujours la protection de l'homme.
16:25Élever au rang de principe à valeur constitutionnelle la dignité animale, c'est donc, en un sens,
16:31mettre en œuvre le principe déjà consacré de dignité humaine.
16:35J'invite donc votre conseil à conférer au principe constitutionnel de dignité humaine une portée nouvelle,
16:41en intégrant le respect de la dignité de tous les êtres vivants sensibles, qu'ils soient humains ou non-humains.
16:47Dans ce cadre nouveau, les souffrances endurées par les animaux sauvages détenus sont-elles,
16:52qu'elles portent atteinte à la valeur propre de l'animal être vivant sensible,
16:56sans que l'intérêt purement récréatif et commercial poursuivi par les sites ne puisse le justifier.
17:04Si vous hésitiez à franchir ce pas, le principe constitutionnel de dignité de l'animal pourrait être connu d'un autre point de vue,
17:11en restant attaché et centré sur l'humain.
17:15Vous pourriez ainsi déduire la violation du principe de dignité de l'atteinte portée devant les yeux de l'homme
17:21au bien-être animal.
17:23Le principe constitutionnel de dignité doit donc, à tout le moins,
17:26être interprété comme imposant de censurer un dispositif législatif
17:31autorisant l'exploitation commerciale et récréative d'animaux sauvages
17:35compte tenu de l'atteinte portée à la dignité de la personne humaine exposée à un tel spectacle.
17:41Je vous invite en tout cas à saisir cette QPC pour faire progresser la protection de l'animal en droit constitutionnel français.
17:48Les conditions sont réunies et, je crois, le temps est venu.
17:53Je vous remercie de votre attention.
17:55Merci, Maître.
17:57Alors, évidemment, comme toujours, nous respectons le principe de contradictoire.
18:02Il faut donc qu'il y ait un point de vue qui défende la disposition législative.
18:07C'est le rôle de M. Canguilhem, qui est chargé de mission au secrétaire général du gouvernement
18:13et qui s'exprime pour le Premier ministre.
18:15M. Canguilhem.
18:18Merci, M. le Président.
18:19Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
18:22la loi du 30 novembre 2021 a pour objet de lutter contre la maltraitance animale
18:26à travers quatre dimensions qui constituent autant de chapitres de la loi.
18:31L'amélioration des conditions de détention des animaux de compagnie et des équidés,
18:36le renforcement des sanctions en cas de maltraitance à l'encontre des animaux domestiques,
18:39chapitre 3, l'encadrement renforcé de la détention d'espèces sauvages à des fins commerciales
18:43et enfin, quatrième et dernier chapitre de la loi, la fin de l'élevage des visons
18:47destinées à la production de fourrure.
18:49Vous l'aurez compris, la présente question prioritaire de consignalité
18:52porte sur la thématique du troisième chapitre de cette loi
18:56et donc sur la question de l'exploitation commerciale d'animaux sauvages dans les cirques.
19:01Par cette loi, le législateur a entendu, d'une part, interdire la captivité des animaux sauvages
19:06dans les cirques itinérants, à l'article L413-10 du code de l'environnement
19:11et d'autre part, à l'article suivant L413-11 du même code,
19:16a prévu que les cirques fixes qui pourront continuer à détenir des espèces sauvages
19:21seront désormais soumises aux mêmes contraintes que les parcs zoologiques
19:26à caractère fixe et permanent.
19:28Ce sont ces deux dispositions qui vous sont aujourd'hui soumises.
19:31Cette question prioritaire de constitutionnalité, elle vous a été renvoyée
19:35sur le fondement d'une double nouveauté,
19:37nouveauté du grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Charte de l'environnement
19:42et également la nouveauté du grief tiré de la méconnaissance d'un principe fondamental
19:47reconnu par les lois de la République que vous n'avez pas encore reconnu à ce jour.
19:51Il est en effet soutenu qu'en limitant l'interdiction aux seuls cirques itinérants,
19:56le législateur aurait méconnu un principe fondamental reconnu par les lois de la République
20:01d'interdiction d'exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux,
20:05principe qui trouverait son origine dans la loi relative aux mauvais traitements exercés
20:10envers les animaux domestiques du 2 juillet 1850, dite loi Gramont,
20:15dont l'article 1er puni, nous citons, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement
20:20des mauvais traitements envers les animaux domestiques.
20:24Et cette loi, vous l'avez déjà compris, ne peut servir de fondement à la reconnaissance
20:28de ce principe fondamental reconnu par les lois de la République,
20:31et ce pour trois séries de raisons.
20:34La première raison et principale qui fait obstacle à la découverte de ce principe
20:40est que la loi Gramont ne porte que sur les mauvais traitements envers les animaux domestiques
20:44et non envers l'ensemble des animaux.
20:48Il n'était pas du tout dans l'intention du législateur final, si je puis dire,
20:53de prévoir une interdiction envers l'ensemble des animaux, comme cela vient de vous être dit.
20:57En effet, ce n'est que dans le projet adopté par la Commission que le texte réprimait
21:02les actes de mauvais traitement envers l'ensemble des animaux.
21:05Et c'est par un amendement présenté par M. Desfontaines, député alors de la Vendée,
21:11qu'a été restreint le champ de l'interdiction aux actes posés sur les seuls animaux domestiques.
21:16Tel est donc bien à ce stade que doit être identifiée la volonté du législateur.
21:22Il va de soi qu'un principe fondamental reconnu par les lois de la République
21:25ne peut trouver sa source que dans une loi telle qu'elle a été votée
21:28et non dans une de ses versions antérieures qui n'a jamais été votée.
21:34La deuxième raison tient également à la substance matérielle du principe
21:38dont la reconnaissance vous est demandée.
21:42En effet, à travers ce grief, l'association requérante entend obtenir la reconnaissance d'un principe
21:48qui interdirait les mauvais traitements aux animaux parmi lesquels figurait la présence de ceux-ci
21:54dans les cirques, y compris fixes.
21:57Mais un tel principe, qui n'a jamais été consacré par une loi républicaine antérieure à 1946,
22:03ne peut avoir de ce fait connu d'application continue.
22:07En effet, depuis l'adoption de la loi Grammont, le législateur n'a jamais interdit la présence d'animaux sauvages
22:14dans les cirques fixes et ne les a interdits dans les cirques itinérants
22:18que très postérieurement à la Constitution de 1946 dans cette loi du 30 novembre 2021
22:23qui nous occupe aujourd'hui.
22:25L'état antérieur de la législation démontre bien qu'aucun principe constitutionnel
22:30interdisant les animaux dans les cirques fixes ne peut être déduit de cet état antérieur de la législation.
22:37La troisième raison est que, malgré son importance, qui n'est pas contestée, absolument va contester,
22:45le fait d'interdire les mauvais traitements contre les animaux domestiques
22:48ne se rattache à aucune des matières qui, selon votre jurisprudence,
22:52peuvent donner lieu à la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
22:57Il ne s'agit ni d'une question intéressante, les droits et libertés fondamentaux,
23:01ni la souveraineté nationale, ni même encore l'organisation des pouvoirs publics.
23:06Le principe dont la reconnaissance vous est demandée ne remplit donc pas l'ensemble des conditions
23:10que votre jurisprudence met à la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
23:15Le grief tiré de sa méconnaissance devra donc être écarté.
23:20Le second grief, dont le caractère nouveau a été retenu par l'arrêt de renvoi,
23:24est tiré de la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Charte de l'Environnement.
23:29Cet article prévoit – nous citons – que l'éducation et la formation à l'environnement
23:33doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente charte.
23:39Dans sa rédaction, dans son fonctionnement, cet article s'approche de l'article 6 du même texte qui dispose – nous citons de nouveau –
23:48que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable.
23:52Or, vous avez jugé que ce texte ne détermine qu'un objectif à destination des pouvoirs publics et qu'il n'est ainsi pas invocable.
23:58Dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, voyez le point 22 de votre décision 283 QPC.
24:04Et donc, dans les mêmes conditions, vous pourrez juger qu'égard notamment à la généralité de sa formulation,
24:11l'article 8 de la Charte de l'Environnement ne peut être qualifié de droit et liberté garantis par la Constitution
24:17invocables à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité.
24:23Les autres griefs dont ni le caractère nouveau ni le caractère sérieux n'avaient été retenus par l'arrêt de renvoi ne sont fondés.
24:31En effet, contrairement à ce qui est soutenu, le fait d'autoriser la présence d'animaux sauvages dans les cirques fixes
24:37ne porte pas atteinte aux exigences du principe d'égalité.
24:41L'objet de la loi, ainsi que cela résulte très clairement de l'exposé des motifs de la proposition de loi
24:48– et d'ailleurs, je pense que cela n'est contesté par personne –, l'objet de cette loi est de lutter contre la maltraitance des animaux
24:54tout en améliorant les conditions de leur détention.
24:57Or, par définition, les établissements fixes et les établissements itinérants se trouvent dans des situations manifestement différentes
25:06quant aux conditions de détention qu'ils sont susceptibles d'offrir aux animaux.
25:13Et il n'est pas davantage contesté que les déplacements répétés engendrent des effets délétères chez les spécimens concernés.
25:21Le législateur, en interdisant la présence d'animaux sauvages dans les cirques itinérants,
25:25a ainsi entendu lutter contre une source de souffrance animale, poursuivant ainsi l'objectif de la loi.
25:33Dans ces conditions, le législateur n'a pu porter atteinte au principe d'égalité.
25:41Enfin, vous pourrez également écarter le grief tiré de l'atteinte au principe de dignité, de tout-être doué de sensibilité,
25:48principe dont la reconnaissance, l'incorps, vous est demandé par l'association requérante.
25:54En effet, le principe de dignité de la personne humaine, comme l'indique sa lettre même, ainsi que son ancrage textuel
26:00dans le préambule de la Constitution de 1946, ne concerne que la personne humaine.
26:05L'exigence constitutionnelle absolue de respect de la dignité est attachée à la personne humaine
26:11et non à la sensibilité de l'être, humain ou non, comme le soutient à tort l'association requérante.
26:17Il est évidemment exact que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité.
26:22Cela est aujourd'hui reconnu par le législateur.
26:25Mais ils demeurent juridiquement toujours soumis au régime des biens en application des dispositions de l'article 515.14 du Code civil.
26:33Le grief tiré de l'atteinte à la dignité pourra donc être écarté comme étant inopérant.
26:39Aucune exigence constitutionnelle n'ayant été méconnue.
26:41Je vous invite à déclarer les dispositions contestées du Code de l'Environnement conformes à la Constitution.
26:47Merci, M. Ganguilhem.
26:48Alors, nous avons entendu des points de vue opposés.
26:52Nous avions nous-mêmes déjà étudié le dossier à travers ce qu'on appelle les écritures.
26:57Maintenant, je vais demander à mes collègues du Conseil si l'un ou l'une d'entre eux, d'entre elles, a une question à poser.
27:05Madame la conseillère Corine Lucas.
27:09Oui, alors, je m'adresse à maître Lyoncan.
27:14Les règles relatives à la détention des animaux sauvages non domestiques sont identiques dans les cirques à celles qui s'imposent dans les zoos.
27:25Or, le requérant conteste finalement les dispositions concernées au regard du principe de la diversité biologique,
27:34dont le respect impliquerait donc, selon lui, de préserver les animaux sauvages dans leur habitat naturel.
27:40J'aurais donc savoir si, le fait de reconnaître le fondement de ce grief, quelles conséquences pourrait avoir la reconnaissance de ce grief pour les zoos ?
27:49Pour les zoos ? Maître ?
27:53Merci, Mme la conseillère, d'avoir posé cette question.
27:58En réalité, l'argumentation de requérant comporte plusieurs étapes.
28:03étapes. Il est vrai que l'extraction d'animaux sauvages de leur milieu naturel
28:08va contre l'objectif de biodiversité, mais la situation des zoos est
28:13cependant différente de celle des cirques, puisque, et c'est là tout le sens
28:18de l'argumentation qui est soulevée devant vous, le cirque, qu'il soit itinérant ou
28:21fixe, comporte des conditions de détention dans des cages exiguës.
28:26Alors certes, le cirque itinérant comporte le transport en plus, mais le
28:30cirque fixe comporte des circonstances, des conditions de détention telles
28:35qu'elles génèrent une souffrance animale qui n'est pas identique des zoos où,
28:40dans une certaine mesure, on essaie de reconstituer ce reste dans des espaces
28:46plus larges pour que l'animal soit plus dans un milieu qui soit plus
28:53assimilable à son milieu naturel.
28:57Merci. Monsieur Corguillem, sur ce point.
29:01Oui, un point très rapide. Alors, déjà, sur le plan des principes, évidemment,
29:05la biodiversité participe du droit de vivre dans un environnement équilibré
29:10tel que protégé par l'article 1er de la charte au sens de votre jurisprudence.
29:14Nous ne le contestons pas. Par contre, pour ce qui touche à l'espèce,
29:18donc à la question des animaux qui sont aujourd'hui présents dans les cirques
29:24itinérants et qui pourraient, si ces établissements viennent à se
29:27sédentariser, donc demeurer dans des cirques fixes, car c'est de cela qu'il
29:33s'agit, il n'y a quasiment pas, voire aucun animal qui a été prélevé dans son
29:40habitat naturel. Ce sont des animaux qui sont pour la quasi-totalité,
29:47voire l'intégralité, nés en captivité. Oui, alors, même si nous devons juger
29:52in abstracto, une question qui enchaîne sur ce que dit Monsieur Corguillem.
29:57Je comprends que, en ce qui concerne les cirques itinérants, il n'y a pas
30:03d'animaux sauvages parce qu'on n'a pas le droit d'en avoir. Mais en ce qui
30:06concerne les cirques sédentaires, est-ce qu'il y en a ou pas ? Sachant que j'ai
30:12cru comprendre qu'à Paris, il n'y en avait pas parce que ça a été interdit
30:17par tel ou tel arrêté. Donc, est-ce que vous pouvez nous donner une information
30:21sur ce point ? Est-ce que, oui ou non, il y a des animaux sauvages dans les
30:25cirques sédentaires ? Maître ?
30:32À ma connaissance, il existe encore des cirques fixes dans lesquelles des
30:36animaux sauvages sont détenus et exposés au public. Il y a des
30:41initiatives personnelles, en dehors de la réglementation. Certaines
30:44réglementations le proscrivent, mais locales. Mais il y a des cirques, je
30:50pense au cirque Bouillon, par exemple, qui lui-même témoigne d'une prise de
30:54conscience du mal-être animal infligé aux animaux exposés. Et donc, il y a
31:00encore un nombre de cirques fixes qui exploitent des animaux sauvages. Et je
31:07veux, si vous me le permettez, compléter la réponse à la question
31:10précédente, puisque j'ai été incomplet. L'une des différences fondamentales
31:15entre le zoo et le cirque, c'est précisément cette activité tournée
31:20vers le spectacle, donc le dressage et l'exposition au public sous forme
31:25ludique de spectacle, ce qu'on ne trouve pas dans les zoos où l'animal,
31:29quoi qu'on en pense, vit sa vie sous les yeux du spectateur.
31:34Merci. Madame le 15, ensuite je prends la parole. Alors, M. Canguilhem.
31:40Alors, un point, parce que mes connaissances divergent de celles de
31:42Maître Lyoncan. Il n'y a pas, à notre connaissance, de cirque fixe à l'heure
31:48actuelle. Déjà, les cirques fixes sont assez rares et il n'y en a pas qui
31:51détiennent d'animaux sauvages. L'enjeu, comme je venais de l'indiquer, est, par
31:56la loi, de permettre, s'il le souhaite, la sédentarisation de cirques itinérants,
32:02à condition, dans ce cas-là, qu'ils respectent les conditions d'étention
32:07applicables aux zoos. C'est vraiment cela l'enjeu, plutôt que de viser des
32:10cirques fixes existants qui auraient des animaux sauvages, qui, encore une fois,
32:14à notre connaissance, est une hypothèse qui, à l'heure où nous nous parlons,
32:16n'existe pas. Alors, sur ce point, avant de donner la parole à Mme le 15,
32:20ce serait bien qu'on ait une note en délibéré, peut-être de part et d'autre,
32:23pour savoir si, oui ou non, il y a des cirques sédentaires qui ont des animaux
32:28sauvages. Madame la conseillère.
32:31Oui, je voulais demander aussi à Maître Lianquan, si le Conseil constitutionnel
32:37vous suivait pour reconnaître un principe fondamental reconnu par la loi de la
32:41République proscrivant les mauvais traitements aux animaux, quelles
32:46conséquences, vous imaginez, au-delà de la question qui nous est soumise,
32:50on pourrait avoir à en tirer ?
32:55Maître Lianquan ?
32:59Écoutez, pour l'instant, je voudrais en tirer la conséquence que la détention
33:05d'animaux sauvages dans les cirques fixes est contraire à la Constitution.
33:09Au-delà, bien sûr, la reconnaissance d'un statut à l'animal devrait entraîner
33:13des conséquences qui vous appartiendraient à déterminer.
33:18Le réhaussement des droits de l'animal serait, bien sûr, il faudrait mettre
33:24ce réhaussement en regard d'autres droits et libertés garantis par la
33:27Constitution. Ça commanderait à faire un arbitrage sans doute différent.
33:31D'aucuns pourraient considérer que ça pourrait vous inviter à reconsidérer
33:36votre position sur certains spectacles justifiés par des traditions locales
33:43ininterrompues. En tout cas, comparaison n'est pas raison.
33:48Et certains le pensent, d'autres considèrent qu'un pas supplémentaire
33:55serait à faire. Je crois qu'il n'y a pas de conséquence à tirer
33:58nécessairement au-delà de cette affaire, dans un premier temps,
34:01et qui vous appartiendra ensuite, bien sûr, de faire vivre le principe
34:06que vous ne manquerez pas de consacrer, je l'espère en tout cas.
34:09M. Canguilhem, là-dessus, vous voulez dire quelque chose ?
34:13Alors, très rapidement, sans doute pour ne pas effrayer M. Lyoncan,
34:17diminue les conséquences de ce que serait la reconnaissance de ce principe
34:20fondamental reconnu par le peuple de la République sur la question des eaux,
34:23bien évidemment, et un mot également sur les conséquences qu'aurait
34:26l'extension du principe de dignité qu'il vous a proposé d'opérer.
34:30Nécessairement, cela aurait des conséquences sur le traitement juridique
34:36des animaux, de revoir peut-être pour législateurs leur assimilation
34:41à des choses, ou alors, s'ils demeurent juridiquement des choses,
34:45cela aurait des conséquences peut-être assez vertigineuses sur le rapport
34:49de la dignité, au rapport de l'être humain aux choses.
34:54Mais là, nous basculons dans une conversation qui n'est pas strictement juridique.
34:58Merci. Autre question ? Il n'y en a point ?
35:02Très bien. Donc, nous allons regarder tout cela et en délibérer.
35:09Nous sommes aujourd'hui le 4 février. Je viendrai annoncer notre décision
35:15sur ce point dans 10 jours, le 14 février.

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