Code de procédure pénale
Article 145-4-1 alinéa 1, in fine
Article 145-4-1 alinéa 1, in fine
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00:00Nous allons passer à la seconde question prioritaire de constitutionnalité qui n'a absolument rien à voir avec la première,
00:07ce qui montre bien le champ très vaste de l'AQPC.
00:12En effet, il s'agit de l'AQPC numéro 2024-11-22.
00:18Elle porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit,
00:22du premier alinéa, l'article 145-4-1 du Code de procédure pénale.
00:28Madame la greffière, dites-nous où nous en sommes du point de vue de la procédure d'instruction.
00:32Je vous remercie, M. le Président.
00:34Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2024 par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation
00:39d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Sébastien Roger,
00:44portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit,
00:47de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 145-4-1 du Code de procédure pénale.
00:53Cette question relative au recours contre une mesure d'isolement judiciaire
00:57a été enregistrée au Secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le numéro 2024-1122-QPC.
01:04Le Premier ministre a produit des observations le 24 décembre 2024.
01:08La SCP Spinozi a demandé à intervenir dans l'intérêt de l'Observatoire international des prisons, section française,
01:14et a produit à cette fin des observations le 24 décembre 2024.
01:18Seront entendues aujourd'hui l'avocate de la partie requérante,
01:21l'avocat de la partie intervenante et le représentant du Premier ministre.
01:25Merci Madame. Nous allons entendre d'abord pour 10 minutes Maître Sophie Ansari,
01:30qui est avocate au barreau de Seine-Saint-Denis, qui représente Monsieur Roger, partie requérante. Maître.
01:47Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
01:52Quel plaisir de pouvoir soutenir cette QPC dans l'enceinte de la Cour d'appel de Versailles,
01:57où précisément le recours juridictionnel est exercé.
02:02C'est exactement de cette question dont nous allons parler.
02:06J'ai néanmoins une pensée effectivement pour Monsieur Sébastien Roger,
02:09qui demeure toujours à l'isolement judiciaire à l'heure où je vous parle.
02:13Vous êtes saisi de la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 145-4-1,
02:21alinéa 1, in fine du Code de procédure pénale.
02:25Plus particulièrement, vous êtes saisi de la question de la conformité de ce texte
02:31aux articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
02:37et à l'article 66 de la Constitution, qui consacre tous les trois le droit à la liberté et à la sûreté,
02:44et à l'article 16 de la Déclaration de 1789, dont vous jugez qu'en découle le droit à un recours juridictionnel effectif.
02:53L'article 145-4-1 du Code de procédure pénale a été créé par la loi du 24 novembre 2009.
03:01Il a été modifié, mais seulement dans son alinéa 2, qui n'est pas contesté ici, par l'ordonnance du 30 mars 2022.
03:09Cet article 145-4-1, à son alinéa 1, dispose
03:15« Le juge d'instruction ou le juge des libertés de la détention peut prescrire par ordonnance motivée
03:22que la personne placée en détention soit soumise à l'isolement,
03:25au fin d'être séparée des autres personnes détenues,
03:28si cette mesure est indispensable aux nécessités de l'information,
03:31pour une durée qui ne peut excéder celle du mandat de dépôt,
03:35et qui peut être renouvelée à chaque prolongation de la détention.
03:38La décision du juge d'instruction peut faire l'objet d'un recours
03:42devant le président de la Chambre de l'instruction ».
03:45C'est l'alinéa 1er in fine dont il est contesté,
03:48la conformité aux principes constitutionnels que je vous ai déjà cités.
03:52Mais il doit être rappelé également l'alinéa 3 de cet article 145-4-1,
03:58qui prévoit qu'un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application du présent article,
04:03mais qui l'éclaire insuffisamment.
04:06C'est alors qu'intervient l'article R57-5-7 du Code de procédure pénale,
04:12qui prévoit que « l'ordonnance de placement à l'isolement judiciaire,
04:17de renouvellement de cette mesure ou de refus d'y mettre fin
04:20est notifiée à la personne par tous moyens.
04:22Cette ordonnance peut être déférée par la personne détenue
04:25au président de la Chambre de l'instruction
04:28selon les modalités prévues aux articles 148-6 et 148-7 du Code de procédure pénale ».
04:34Renvoi est donc fait à ces deux derniers articles, dont je vous épargne la lecture,
04:39mais qui prévoient en substance les modalités des demandes de main levée de contre judiciaire
04:45et des demandes de mise en liberté.
04:47La question est de savoir si les dispositions de l'article 145-4-1 alinéa 1er,
04:53en ce qu'elles ne prévoient pas les modalités de traitement par le président de la Chambre de l'instruction,
04:58du recours formé contre l'ordonnance de placement à l'isolement judiciaire
05:02et en particulier le délai légal dans lequel ce recours doit être jugé
05:07et n'indique pas à minima que ce délai doit être bref,
05:10porte-t-elle atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif,
05:14à la liberté individuelle et à la sûreté ?
05:17Je soutiens que non, ces dispositions ne sont pas conformes au bloc de constitutionnalité
05:22et je le démontre par le cas d'espèce de M. Roger.
05:26Au cas d'espèce, voici ce qu'il s'est passé.
05:28Une ordonnance du juge d'instruction du 7 mai 2024 a placé mon client à l'isolement judiciaire.
05:34Le 13 mai 2024, un recours devant le président de la Chambre de l'instruction était formé.
05:40Ce recours n'a été transmis au président de la Chambre de l'instruction que le 25 juin 2024.
05:46Et c'est par ordonnance du 25 juillet 2024 que le président de la Chambre de l'instruction
05:51a confirmé l'ordonnance du 7 mai 2024 ayant placé mon client à l'isolement.
05:56C'est donc 72 jours qui se sont écoulés entre le recours formé contre l'ordonnance contestée
06:02et l'ordonnance du président de la Chambre de l'instruction, alors que mon client était à l'isolement.
06:08Aucun délai raisonnable n'a été respecté ici et pas plus qu'un bref délai pour statuer.
06:13Il sera rappelé qu'en matière de détention provisoire, le Code de procédure pénale prévoit le bref délai
06:19dans lequel les recours contre les décisions relatives au placement en détention provisoire,
06:24au maintien en détention provisoire et sur les demandes de mise en liberté sont examinés.
06:29Pendant l'instruction, les délais sont de 10 ou 15 jours.
06:33En aucun cas le texte n'est muet sur les délais du recours et en aucun cas 72 jours peuvent correspondre à un bref délai.
06:41Il sera également fait une analogie au délai de l'isolement administratif,
06:46puisque la durée de l'isolement administratif ne peut excéder 3 mois et cette mesure peut être renouvelée plusieurs fois,
06:53mais à chaque fois pour une durée de 3 mois.
06:55Pourquoi je vous parle de l'isolement administratif ?
06:57C'est qu'en réalité, l'isolement judiciaire a exactement les mêmes conséquences pour la personne isolée.
07:03On a donc en matière d'isolement administratif un examen de la mesure automatique tous les 3 mois.
07:10Dans le cas de l'isolement judiciaire, si l'on n'exerce pas de recours,
07:14celui-ci est réexaminé lors du débat sur la prolongation de la détention provisoire.
07:19Je rappelle qu'en matière criminelle, la durée du mandat de dépôt est d'un an.
07:23Donc, si l'isolement judiciaire est prononcé en même temps qu'un placement en détention provisoire,
07:29en matière criminelle, la prolongation de l'isolement est examinée un an après le placement,
07:34en même temps que l'examen de la prolongation de la détention provisoire.
07:37Et donc, si la loi ne prévoit pas de délai dans lequel le recours est examiné contre une décision de placement à l'isolement,
07:45le Président de la Chambre de l'Instruction aurait la possibilité de ne pas statuer avant le réexamen un an après.
07:52Le Premier ministre argue du fait que le Président de la Chambre de l'Instruction doit se prononcer dans un délai raisonnable
07:58au terme de l'article D43-6 du Code de procédure pénale.
08:03Mais quelle est la sanction de l'absence de traitement par le Président de la Chambre de l'Instruction dans un bref délai ?
08:09Il n'y en a aucune.
08:11Cette absence de sanction contre le non-respect du délai raisonnable peut convenir à certains recours,
08:16mais certainement pas en matière de détention provisoire.
08:19Surtout que l'on sait qu'en matière de détention, si la Chambre de l'Instruction ne statue pas dans les délais requis par le Code de procédure pénale,
08:27la personne est remise en liberté d'office.
08:30Le Premier ministre argue également du fait que l'isolement n'est qu'une modalité d'exécution de la détention.
08:36Oui, mais l'isolement est la détention dans la détention, et cela reste de la privation de liberté.
08:43Vous jugez que sur le fondement de l'article 16 de la déclaration de 1789, le droit à un recours effectif a une valeur constitutionnelle.
08:52Et vous rappelez à plusieurs principes que, en matière de privation de liberté,
08:56le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais.
09:05Cette consécration du droit à un recours juridictionnel effectif est également faite par la Convention européenne des droits de l'homme en son article 5, aliné à 4.
09:14Ce droit à un recours juridictionnel effectif doit d'autant plus être assuré lorsqu'il est en cause d'une atteinte au droit à la liberté individuelle et à la sûreté telle que l'isolement.
09:24Cependant, l'article 145-4-1 du Code de procédure pénale, et pas plus qu'un des textes réglementaires que je vous ai rappelés,
09:32censé éclairer le premier article, ne précise les modalités de traitement par le président de la Chambre de l'instruction du recours formé contre l'ordonnance du placement à l'isolement judiciaire.
09:43En particulier, ces textes ne n'imposent pas au président de la Chambre de l'instruction de statuer dans un quelconque délai, ni a fortiori à bref délai ou dans les plus brefs délais.
09:52Vous ne pourrez également que constater la malfaçon de ces textes qui prévoient que seules les décisions prises par le juge d'instruction peuvent faire l'objet d'un recours.
10:01Je cite, la décision du juge d'instruction peut faire l'objet d'un recours devant le président de la Chambre de l'instruction.
10:06Or, le JLD peut à cet égard aussi placer à l'isolement et dans ce cas-là, il n'y a aucun recours possible.
10:12Ensuite, ce recours doit être effectué dans les conditions d'une demande de mise en liberté qui n'a aucun rapport avec un recours contre une seule mesure.
10:21Les renvois successifs à des textes sans rapport avec la contestation d'une mesure de placement de renouvellement de l'isolement ou de refus d'y mettre fin,
10:29dans leur absence de clarté, ne garantissent pas le droit au recours juridictionnel effectif.
10:35Enfin, je rappelle également que la collégialité est une garantie du procès équitable et que le droit au recours juridictionnel effectif n'est pas garanti quand un seul magistrat,
10:45en l'occurrence le président de la Chambre de l'instruction, s'attue seul et en particulier lorsqu'il ne respecte pas de délai raisonnable ou de bref délai.
10:55Dès lors, en ne prévoyant pas les modalités de traitement par le président de la Chambre de l'instruction, du recours formé contre l'ordonnance de placement à l'isolement judiciaire
11:03et en particulier le délai légal dans lequel ce recours doit être tranché, et en indiquant pas a minima que ce délai doit être bref,
11:10le législateur n'a pas garanti l'exercice du droit à un recours juridictionnel effectif à bref délai en matière de détention provisoire.
11:18Et par ces motifs, il est donc demandé au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution les dispositions de l'article 145-4-1,
11:28alignées à premier infiné du Code des procédures pénales.
11:31Enfin, sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité, si vous décidez d'abroger ce dernier texte,
11:38les personnes détenues placées à l'isolement ne pourront plus exercer de recours devant le président de la Chambre de l'instruction.
11:45Il convient dès lors d'abroger ce texte, mais de prévoir un régime transitoire qui permettrait de garantir le droit à un recours juridictionnel effectif.
11:54Je vous remercie de votre attention.
11:56Merci Maître.
11:57Maintenant, nous allons écouter Maître Patrice Spinozzi, qui est avocat au Conseil,
12:02qui représente l'Observatoire international des prisons, section française, partie intervenante. Maître.
12:10Monsieur le Président, Madame, Messieurs les conseillers,
12:15c'est étonnant parce qu'en introduction à cette question prioritaire de constitutionnalité,
12:20Monsieur le Président, vous disiez qu'elle est totalement différente de celle qui vient d'être traitée au début de cette audience.
12:25En réalité, un peu, mais il y a quand même des similitudes, puisque dans les deux cas, nous traitons de détention et d'inhumanité.
12:35Alors là, oui, il y a quand même une différence importante, c'est que d'un côté, on parle d'animaux, et aujourd'hui, on parle d'êtres humains.
12:41Et jusqu'à présent, les droits fondamentaux ont été essentiellement garantis par les êtres humains.
12:46Et donc, j'espère qu'en tout cas, vous serez sensibles à ce qui est susceptible de pouvoir être dit à l'occasion de cette QPC qui concerne l'isolement.
12:54L'inhumanité, effectivement, il est question lorsque l'on parle d'isolement en détention.
12:59Je suis ici représentant de l'Observatoire international des prisons, qui vient au soutien de cette QPC pour vous faire part de son expérience en matière d'isolement et de détention.
13:13Expérience qui a conduit l'Observatoire international des prisons à dénoncer les conditions de l'isolement pénitentiaire devant toutes les juridictions,
13:23qu'il s'agisse évidemment du Conseil d'État, qu'il s'agisse de la Cour européenne des droits de l'homme,
13:27qu'aujourd'hui, devant le Conseil constitutionnel, l'isolement est une mesure de la détention qui crée une terrible solitude,
13:39dont les effets ont été largement documentés par l'ensemble des travaux qui ont été réalisés par la détention.
13:47L'isolement est qualifié de « torture blanche » par la Commission nationale des droits de l'homme.
13:56Elle est dénoncée par le comité de prévention de la torture. Et le contrôleur des lieux de privation de liberté s'en inquiète très régulièrement.
14:07Pourquoi ? L'isolement, la Cour européenne des droits de l'homme vous le décrit comme la prison dans la prison.
14:15Lorsque vous emprisonnez quelqu'un, vous le mettez à l'écart de la compagnie des hommes.
14:19Lorsque vous décidez d'isoler une personne en prison, vous l'isolez définitivement de tous rapports sociaux.
14:28Vous le privez de toute possibilité d'avoir un contact avec ses semblables.
14:33Vous lui imposez de rester seul, et cela pendant un temps qui est un temps indéterminé.
14:41L'isolement présente cette particularité de pouvoir être à la fois prononcé par le juge judiciaire, par le juge administratif.
14:50Il ne s'agit jamais d'une sanction, mais il s'agit toujours d'une mesure qui a été prise dans l'intérêt soit de la personne elle-même, soit des conditions de la détention.
15:02L'isolement peut intervenir parce que l'administration pénitentiaire est inquiète de la situation du détenu et qu'elle pense qu'il sera plus en sécurité
15:12s'il n'est pas emprisonné avec d'autres personnes et s'il est isolé.
15:17Mais l'isolement, c'est aussi une mesure qui est utilisée par l'administration pénitentiaire pour garantir que certains détenus,
15:26particulièrement signalés et particulièrement dangereux, ne connaîtront pas un régime de détention ordinaire
15:34et pourront dans ces conditions être extraordinairement limités dans leurs moyens d'action.
15:43Et c'est aussi un moyen d'essayer d'éviter, lorsqu'il y a des personnes qui présentent des risques d'évasion, qu'ils puissent avoir des contacts avec l'extérieur.
15:53Il y a des stars de l'isolement qui sont souvent des stars du banditisme.
16:00Qu'il s'agisse de personnes comme Rédouane Fayde, comme Pascal Payet, comme Philippe Elchenaoui.
16:06Philippe Elchenaoui, qui est un requérant d'habitude devant la Cour européenne des droits de l'homme,
16:12qui a obtenu régulièrement la condamnation de la France devant cette juridiction, précisément sur les conditions d'incarcération
16:20qui étaient les siennes, comme Pascal Payet.
16:23Ce sont à eux que nous devons la disparition de régimes de détention particuliers, que l'on appelait les rotations de sécurité,
16:30qui aboutissaient à ce que des détenus particulièrement signalés soient déplacés tous les trois mois
16:35pour éviter qu'ils puissent rester trop longtemps au même endroit,
16:38ou encore que soit définitivement interdit le régime des fouilles intégrales qui existait il y a encore une dizaine d'années
16:45dans nos prisons qui imposaient aux détenus de se mettre à nu plusieurs fois par jour.
16:54Et donc ces différents prisonniers d'habitude ont connu effectivement un régime d'isolement jusqu'à 38 ans.
17:0238 ans à l'isolement pour Philippe Elchenaoui.
17:06Ces mots pour vous dire à quel point l'isolement est un acte qui est un acte grave
17:12et qu'il n'est pas simplement une modalité de la détention comme cela va vous être plaidé dans un instant
17:20par le représentant du secrétariat général du gouvernement.
17:24Cette notion qui est ici purement juridique vole globalement en éclat
17:29lorsque l'on est face aux conséquences réelles et concrètes d'une mesure d'isolement
17:35qui justifie une atteinte extraordinairement grave au droit à l'individu
17:41et c'est d'ailleurs bien la raison pour laquelle l'isolement est appréhendé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
17:47et qu'elle garantit que celui-ci ne se transforme pas en un traitement inhumain et dégradant.
17:54D'où la nécessité absolue de ce que lorsqu'un recours existe, ce recours puisse être examiné à bref temps.
18:03Cela est absolument nécessaire car c'est le seul moyen dont vous disposez
18:09de vous assurer que l'intervention d'un juge qui est le garant naturel des libertés fondamentales
18:16et donc qui est le garant naturel de ce que cet isolement qui est susceptible de constituer un traitement inhumain et dégradant
18:22n'est pas disproportionné ou injustifié, il faut que ce juge puisse intervenir au plus vite.
18:30C'est en tout cas ce à quoi le Conseil d'Etat a très largement abouti
18:36puisqu'il a plus que le juge judiciaire réfléchi à cette question d'isolement.
18:42Le Conseil d'Etat étant le juge de l'administration, c'est lui qui par nature a été le premier à s'interroger sur les conditions d'isolement.
18:50Très tôt, il a distingué la mesure d'isolement des autres mesures de la détention ordinaire
18:56puisque dès 2003 et sa décision Remli, il va poser en principe qu'il faut qu'il y ait une voie de recours
19:04qui soit prévue contre une décision d'isolement qui n'est pas une simple mesure de l'administration pénitentiaire
19:11mais bien une mesure qui est susceptible d'être justiciable et qui doit faire l'objet du contrôle par un juge.
19:18Il le dit dès 2003, le Conseil d'Etat, en rappelant que la mise à l'isolement par sa nature même
19:24prive la personne qui en fait l'objet de l'accès aux activités sportives, culturelles, d'enseignement, de formation et de travail
19:34qui sont proposées collectivement aux détenus.
19:37Et dans ces conditions, juge le Conseil d'Etat, eu égard à l'importance de ces effets,
19:42cette décision doit être susceptible de faire l'objet d'un recours.
19:47Cette décision de 2003 préfigure ce qui sera par la suite la décision Boussoir et Planchenot de 2007
19:55qui fera le départage des mesures dans l'intérieur et des mesures qui sont susceptibles d'être justiciables
20:02devant un juge administratif en matière de détention et qui posera en principe qu'il faut apprécier la nature
20:09et l'importance des effets de ces mesures de l'administration pénitentiaire sur la situation des détenus.
20:15L'isolement fait partie des premières mesures qui ont été jugées extraordinairement graves et attentatoires
20:22et qui justifient la présence d'un juge.
20:25Je vous dirais que cette présence d'un juge, le Conseil d'Etat l'a jugé nécessaire et il l'a jugé nécessaire à bref délai.
20:33Et cela, il l'a fait dernièrement puisqu'en 2019, le 7 juin 2019, il a pour la première fois,
20:42s'agissant des mesures d'isolement et du contrôle que le juge doit pouvoir exercer sur une mesure d'isolement,
20:50posé en principe qu'il y avait une présomption d'urgence.
20:54Vous savez que devant le juge administratif, vous avez la possibilité, face à une mesure dont vous êtes le sujet,
21:00de pouvoir saisir le tribunal et vous pouvez le faire dans le cadre d'un référé suspension
21:06pour demander au plus vite que cette mesure puisse être suspendue si elle est affectée d'une erreur de droit.
21:13Et pour pouvoir juger la référé suspension, encore faut-il que vous démontriez qu'il y ait urgence à statuer.
21:20Or, le Conseil d'Etat, s'agissant des mesures d'isolement, a pris cette décision assez exceptionnelle
21:25qui tente à dire qu'à partir du moment où vous êtes à l'isolement, il y a une présomption d'urgence.
21:29C'est-à-dire qu'il n'appartient pas aux détenus de démontrer qu'il est nécessaire que le juge statue à bref délai.
21:36Il est acquis que, parce qu'il est à l'isolement, il y a une nécessité que le juge intervienne au plus vite.
21:43Et donc, on voit bien que le Conseil d'Etat vous dit qu'il y a un besoin, non seulement de la présence d'un juge,
21:52mais une présence à très bref délai, au point que celle-ci a pu permettre la création de cette présomption d'urgence.
22:03Donc, on le voit, vous avez ici une invitation de la quasi-totalité des Cours suprêmes,
22:10qu'il s'agisse de la Cour européenne des droits de l'homme, qu'il s'agisse du Conseil d'Etat, qu'il s'agisse de la Cour de cassation elle-même,
22:18qui, lorsqu'elle vous transmet la présence de QPC, vous invite nécessairement à y faire droit,
22:25puisqu'elle vous dit qu'il y a un sujet qui justifie la transmission de cette QPC,
22:30c'est qu'il y a une différence de traitement qui peut exister, même en matière judiciaire,
22:35selon que l'isolement est traité en même temps que la détention provisoire, dans le cadre d'une seule et même décision,
22:43ou selon qu'elle est traitée dans le cadre de contentieux distincts, et qu'il y a eu une demande de levée d'isolement
22:50qui n'est pas corrélée avec une ordonnance de détention provisoire.
22:55Donc, on voit bien qu'il y a ici une attente importante, et qu'en réalité, il est d'une bonne administration de la justice,
23:04et au-delà de l'administration de la justice, d'un droit garanti en termes d'atteinte à l'humanité de nos prisons françaises,
23:15qu'il puisse y avoir un juge qui, à très bref délai, puisse intervenir à chaque fois qu'une personne est mise à l'isolement
23:23et subit ce traitement d'une extrême gravité pour son droit et pour ses libertés.
23:31Merci, Maître. Nous allons maintenant écouter, pour le Premier ministre, M. Canguilhem.
23:37Merci, M. le Président. Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
23:41l'isolement judiciaire est une mesure décidée par l'autorité judiciaire lorsque les besoins de l'information judiciaire
23:46imposent la séparation d'une personne placée en détention provisoire d'avec les autres détenus.
23:52Ainsi, depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le 1er alinéal, l'article 145.4.1 du Code de procédure pénale,
23:59prévoit que le juge d'instruction ou le juge des libertés de la détention peut, par ordonnance motivée,
24:04prescrire l'isolement d'une personne en détention provisoire.
24:08Il résume de ces dispositions, précisées effectivement par les articles R57-5-1 à 7 du Code de procédure pénale,
24:16que la mise à l'isolement judiciaire peut être décidée par le juge d'instruction à tout moment de l'information
24:21ou par le juge des libertés de la détention lorsqu'il statue sur le placement en détention provisoire
24:27ou sur la prolongation de cette décision.
24:30Le juge des libertés de la détention peut alors statuer par une seule et même ordonnance ou par deux ordonnances distinctes.
24:36Il est reproché à la dernière phrase du 1er alinéa de cet article 145.4.1 du Code de procédure pénale
24:43de ne pas imposer au président de la Chambre de l'instruction de devoir statuer dans un délai déterminé
24:49lorsqu'il est saisi d'un recours contre l'ordonnance de placement à l'isolement.
24:54Il est soutenu – cela vient d'être largement rappelé – que s'agissant d'une mesure privative de liberté,
24:59les délais prévus en matière de détention provisoire devraient trouver à s'appliquer.
25:05Il n'en est toutefois rien. Et les dispositions contestées ne portent atteinte ni à la liberté individuelle garantie
25:10par l'article 66 de la Constitution ni au droit à un recours juridictionnel effectif.
25:16En effet, la mesure d'isolement judiciaire n'est pas en elle-même une mesure privative de liberté.
25:22C'est qu'une modalité d'exécution de la détention provisoire.
25:27Le seul objet dans notre cas de la mesure d'isolement est de séparer le détenu des autres détenus
25:35lorsque cela s'avère indispensable aux nécessités de l'information judiciaire.
25:40La détention provisoire, pour sa part, peut être ordonnée pour la poursuite d'objectifs
25:46qui peuvent dépendre aussi bien de la personnalité de l'intéressé que de la procédure.
25:51En termes des 7 items prévus par l'article 144 du Code de procédure pénale.
25:56L'isolement judiciaire ne constitue donc pas la mesure de sûreté principale.
26:01Et si la fin de la détention provisoire, par hypothèse, marque de facto la fin de l'isolement judiciaire,
26:06la seule fin de l'isolement judiciaire est sans effet sur le principe même de la détention et sur sa durée.
26:13La mesure d'isolement judiciaire n'a aucune incidence sur la durée de la détention
26:18ordonnée à l'endroit du détenu placé à l'isolement.
26:21D'ailleurs, la Cour de cassation n'assimile pas l'ordonnance du président de la Chambre de l'instruction statuant en matière de l'isolement
26:28à une décision rendue en matière de détention provisoire.
26:33Vous voyez l'arrêt de la Chambre criminelle du 7 juin 2021.
26:37Dès lors que la mesure d'isolement judiciaire constitue seulement une modalité d'exécution de la détention provisoire,
26:43son régime n'a donc pas à suivre celui applicable à la détention provisoire elle-même, y compris en matière de délai.
26:51Or, vous jugez que lorsque n'est pas en cause une mesure privative de liberté,
26:56l'absence de délai déterminé par le législateur pour statuer ne saurait constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif
27:05dès lors que le juge est tenu de statuer dans un délai raisonnable.
27:09Vous voyez par exemple le point 8 de votre décision 596 QPC.
27:14En l'espèce, la contestation de l'ordonnance de placement à l'isolement judiciaire,
27:19de renouvellement de cette mesure ou de refus d'y mettre fin,
27:22peut être contestée devant le président de la Chambre de l'instruction,
27:26qui doit se prononcer dans un délai raisonnable au terme des dispositions déjà citées de l'article D43-6 du code de procédure pénale.
27:35Et ce délai est, compte tenu de la nature de la mesure de placement à l'isolement judiciaire,
27:40conforme aux exigences de votre jurisprudence.
27:44Ainsi, dans tous les cas, les personnes soumises à une mesure d'isolement judiciaire n'ont été privées d'aucune garantie
27:50et peuvent contester la mesure dont elles font l'objet par un recours qui devra être examiné par le juge dans un délai raisonnable.
27:59Aucune exigence constitutionnelle n'a été méconnue.
28:01Je vous invite à déclarer les dispositions de la dernière phrase du 1er réalénéa de l'article 145-4-1 du code de procédure pénale, conforme à la Constitution.
28:08Merci, M. Canguilhem. Alors, là aussi, y a-t-il des questions ?
28:12Madame la conseillère Malbec.
28:16Oui, une question peut-être à M. Canguilhem.
28:19Est-ce que nous avons une idée, sur une période donnée, par rapport au nombre de décisions de placement en détention,
28:25du nombre de décisions qui placent à l'isolement, j'entends bien l'isolement judiciaire et non pas administratif ?
28:32Y a pas de confusion entre les deux ?
28:34M. Canguilhem.
28:36Alors, je ne dispose pas, là, mais je vous propose d'une note en délibéré pour répondre à votre question.
28:41Merci. Autre question ? M. le conseiller Seners.
28:45Merci, M. le Président. Ma question s'adresse à M. Ansari et à M. Spinozzi.
28:51On est, vous l'avez parfaitement souligné dans vos plaidoiries, sur une question très circonscrite.
28:56Ce n'est pas l'isolement en général, c'est la question de savoir quel délai s'applique
29:03lorsque la personne placée à l'isolement dans cette configuration par l'autorité judiciaire conteste cette mise à l'isolement
29:12et dans quel délai elle est susceptible ou elle peut espérer obtenir la décision sur son recours.
29:19Et, comme vous le soulignez très justement, les seules règles applicables, vous l'avez dit, M. Ansari,
29:24c'est l'article 43.6 du Code de procédure pénale, garantit un délai raisonnable,
29:29ce qui est moins bien que le délai le plus bref qui s'applique dans d'autres configurations,
29:35en particulier lorsqu'est contestée, non pas simplement la mise à l'isolement, mais le placement en détention.
29:42Ma question est la suivante, et ça fait écho, M. Spinozzi, vous l'avez relevé,
29:46à une question, en tout cas une remarque de la décision de la Cour de cassation qui nous a saisi,
29:52c'est que le même détenu incarcéré et mis à l'isolement peut choisir librement de contester son placement en détention,
30:04ce qu'il peut faire à tout instant de la détention, et son placement à l'isolement lorsqu'il est dans cette configuration,
30:11ou seulement le placement à l'isolement. Et ne faut-il pas tirer des conséquences ?
30:19Autrement dit, le détenu qui peut à tout instant bénéficier de la garantie d'une réponse rapide à son recours s'il conteste son placement en détention,
30:30faut-il vraiment se focaliser sur la seule circonstance que s'il se borne à contester la mise à l'isolement,
30:38s'il ne bénéficie plus que du délai raisonnable ?
30:41Merci, maître Spinozzi.
30:53Oui, il faut tout à fait en tirer une conséquence.
30:56C'est-à-dire que ce que l'on est en train de dire, c'est que pour pouvoir bénéficier d'un droit,
31:03il faudrait artificiellement exercer un recours qui n'est pas nécessaire.
31:08C'est-à-dire qu'en fait, vous êtes en train de dire, bon, c'est pas grave,
31:12parce qu'évidemment, il y a une incohérence complète de notre législation,
31:16puisque dans un cas, il y a la possibilité d'avoir un bref délai, et dans l'autre, on a uniquement un délai raisonnable,
31:21mais c'est pas grave, parce qu'il suffit que vous fassiez un recours que vous n'avez pas forcément besoin d'exercer,
31:25puisque vous n'avez pas forcément besoin de faire un recours contre votre décision de détention,
31:29mais, à partir de ce moment-là, vous pourrez bénéficier, par capilarité,
31:34des mesures qui sont les mesures favorables de la détention pour l'isolement.
31:40Donc, je pense que votre question, elle démontre bien une des critiques qui est formulée par la QPC,
31:45à savoir la différence de traitement, injustifiée.
31:47Il n'y a aucune raison, en réalité, de distinguer entre une demande qui est une demande de levée de l'isolement
31:54et une demande qui est une demande de levée de l'isolement assortie d'une remise en cause de la détention pour l'isolement.
32:00Et je ne vois pas comment on devrait aboutir à ce que notre législation, pour qu'elle soit conforme aux droits et aux libertés,
32:09passe par une forme d'artifice qui aboutirait au conseil des avocats, qui serait de dire
32:14« Non mais de toutes les façons, ça ne sert à rien de remettre en cause votre détention pour l'isolement,
32:20mais vous allez nécessairement le faire, comme ça, on est au moins sûr qu'ils statueront rapidement sur l'isolement. »
32:24Non, il faut qu'on régularise l'ensemble de la procédure.
32:27Comme on l'a évoqué, vous évoquez une différence de traitement ici entre celui qui dépose une demande de mise en liberté
32:33et assortie d'une demande de levée de l'isolement.
32:35On a évoqué la question de l'isolement administratif qui produit les mêmes effets pour la personne.
32:42Dans le cadre d'un isolement administratif, vous avez la possibilité d'avoir un juge à bref délai qui le contrôle.
32:46Dans le cadre d'un isolement judiciaire, lorsque vous accompagnez votre recours d'un recours contre la détention provisoire,
32:55vous avez de la même manière la possibilité d'avoir un juge à bref délai.
32:58Il n'y a aucune raison pour que, lorsqu'on exerce un recours s'agissant uniquement de l'isolement judiciaire,
33:03on n'ait pas cette même garantie, ou sinon on se retrouve effectivement dans une situation
33:07qui est une situation où il y a une atteinte ou une rupture de l'égalité pour une même personne
33:13qui se trouve dans des situations qui sont identiques.
33:16En tout cas, c'est ainsi que nous le voyons de notre côté.
33:19Merci. Monsieur Colguéam, vous voulez dire un mot sur ce point ?
33:23Juste un mot très bref pour aller dans le plongement de ce que vient de dire Maître Spinozzi.
33:27Cette différence de traitement est quand même très fortement à relativiser
33:30parce qu'elle peut être supprimée par l'action même de l'intéressé.
33:34Dans ce cas-là, il est difficile de voir une reconnaissance du principe d'égalité
33:37dès lors que l'intéressé peut, par son action, c'est-à-dire en remettant en cause sa détention provisoire,
33:42mettre fin à cette différence.
33:44Merci. Autre question ? Il n'y en a point.
33:49Très bien. Donc nous allons là aussi examiner de très près dans un délibéré cette question
33:58et je reviendrai le 14 février, c'est-à-dire dans 10 jours, pour faire connaître nos décisions sur ces deux points.
34:08L'audience est levée. Bon après-midi à toutes et à tous.