Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir
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00:00 Une émission exceptionnellement plus courte ce soir, elle ne va durer qu'une heure et
00:06 elle commence juste après le rappel des titres.
00:09 Isabelle Piboulot.
00:10 L'émotion a mon brison dans la Loire, une marche blanche a été organisée à la mémoire
00:18 de Thibaut, le petit garçon de 10 ans a mis fin à ses jours par pendaison au domicile
00:23 familial le 29 avril.
00:25 Thibaut était élève en CM2 à l'école primaire de Saint-Bonnet-le-Château.
00:30 Le parquet de Saint-Etienne a ouvert une enquête privilégiant la piste du harcèlement scolaire.
00:34 Quatre hommes placés en garde à vue après l'interruption hier soir du match Bordeaux-Rhodès.
00:39 En pleine célébration sur la pelouse, un supporter des Girondins a violemment bousculé
00:45 Lucas Buades, buteur pour Rhodès.
00:47 L'individu, âgé d'une quarantaine d'années, a reconnu les faits et a présenté ses excuses.
00:53 La commission de discipline de la Ligue de football professionnelle se réunira lundi
00:58 pour étudier les suites à donner.
01:00 Sculptures, dessins, boules de cristal, 300 objets du célèbre couturier Paco Rabanne
01:06 ont été adjugés à plus de 440 000 euros à Brest.
01:10 Le clou de cette vente aux enchères, une robe en cote de maille à motif fleuri créée
01:15 par l'artiste espagnol en 1966, adjugée à 29 000 euros.
01:20 Ces objets souvenirs provenaient de la dernière demeure de Paco Rabanne, située sur la côte
01:24 bretonne.
01:25 Le créateur y est mort à l'âge de 88 ans, le 3 février dernier.
01:29 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
01:47 On est samedi, il est 23h, l'heure où l'on peut se poser les questions qui fâchent.
01:52 Par exemple, faut-il sauver l'ours blanc ? C'est le titre provoquant du livre de Thomas
01:57 Pétier qui défend jusqu'au bout la logique de l'animalisme.
02:01 Si l'on veut mettre fin à la souffrance animale, on ne pourra pas se contenter d'interdire
02:05 aux êtres humains de tuer des animaux pour les manger.
02:08 Il faudra aussi empêcher les animaux de se tuer entre eux.
02:11 On en débattra à 23h30 avec le journaliste Paul Sujit qui a publié en 2021 "L'extinction
02:17 de l'homme, le projet fou des antispécistes".
02:20 Mais avant l'antispécisme, il y a le wokisme.
02:23 Dans son nouveau livre, la sociologue Nathalie Hennig pose la question "Le wokisme serait-il
02:29 totalitaire ?" Pour en débattre, Maboula Soumaoro est avec nous en duplex.
02:34 C'est l'auteur du livre "Le triangle et l'hexagone, réflexion sur une identité noire".
02:39 Elle enseigne la civilisation afro-américaine à l'université de Tours.
02:43 Elle est actuellement professeure invitée à la Columbia University de New York et à
02:47 Bennington College où elle se trouve actuellement dans le Vermont.
02:50 Nathalie Hennig, vous reprochez au wokisme d'assigner les individus à des communautés
02:55 d'appartenance définies par les discriminations subies.
02:59 Non seulement cette identité les enferme dans un statut de victime, mais elle doit
03:03 impérativement se définir contre l'oppresseur.
03:06 Les blancs quand on est noir, les hommes quand on est une femme, les hétérosexuels quand
03:10 on est homosexuel, les féministes blanches quand on est une féministe noire, etc.
03:16 C'est cet identitarisme qui constitue pour vous un premier pas vers une forme de totalitarisme ?
03:22 En tout cas c'est déjà un premier pas vers une forme de communautarisme voire de séparatisme
03:29 au niveau politique, ce qui est un petit problème quand même.
03:31 Mais ce qui est troublant c'est de voir que ce sont des causes qui au départ sont des
03:35 causes parfaitement légitimes, des causes de lutte contre les injustices, contre les
03:39 discriminations, qui sont des causes parfaitement progressistes et que nous sommes d'ailleurs
03:43 très nombreux à avoir endossé.
03:44 Ça fait très longtemps qu'on est féministe, qu'on est antiraciste, etc.
03:48 Mais depuis quelques années et sous l'influence du courant américain, elles sont devenues
03:55 des causes totalement systématisées et totalement enfermantes, si on peut dire, puisque les
04:02 individus sont systématiquement considérés comme appartenant à ces communautés, considérés
04:08 comme victimisés, discriminés, que ce soit en raison du sexe, en raison de l'orientation
04:14 sexuelle, en raison de la couleur de peau, en raison du handicap, etc.
04:19 Et il y a une forme de systématisation de cette assignation des individus à des communautés
04:26 obligées, si on peut dire, qui est très contradictoire avec la conception française
04:31 républicaine de la citoyenneté qui ne reconnaît pas de droit à des communautés, mais simplement
04:36 à des individus en tant qu'ils sont des citoyens, membres de la collectivité nationale.
04:40 Donc il y a à la fois un problème politique général sur la conception qu'on a de ce
04:46 qui nous donne des droits, et puis il y a aussi un problème de monopolisation, de focalisation
04:52 des discours sur ces questions-là qui deviennent envahissantes, notamment à l'université,
04:57 où on est vraiment dans une situation où les études de genre, les études de race,
05:04 etc. sont devenues extrêmement présentes, au détriment d'autres types de travaux
05:09 qui, à mon avis, sont d'un point de vue scientifique beaucoup plus porteurs.
05:14 Maboula Soumaoro, comment réagissez-vous ?
05:19 Je ne sais pas trop.
05:21 Le titre lui-même, on va utiliser le terme "wokisme" puisqu'il apparaît apparemment
05:27 dans le titre de l'ouvrage dont nous discutons, mais je ne sais pas ce qu'est le wokisme.
05:33 Et là, pour répondre en tant que chercheuse, j'aimerais bien qu'on puisse définir l'objet
05:39 d'étude avant de pouvoir le disséquer, le critiquer.
05:42 Donc voilà, le terme "wokisme" n'est pas du tout un terme que j'utilise dans ma recherche,
05:47 qui pourtant porte, depuis plusieurs décennies maintenant, sur toutes les thématiques qui
05:51 ont été mentionnées par Madame.
05:53 Et au niveau de l'invasion de ce qui serait le wokisme au sein de l'université française,
06:01 j'aimerais également qu'on puisse en discuter plus largement, puisque, enseignant
06:05 moi-même au sein de l'université, j'aimerais bien savoir dans quels établissements, je
06:10 sais pas, les TD, les cours magistraux, les masters et les doctorats, qui sont "fléchés"
06:15 comme on dit dans le jargon universitaire, c'est-à-dire qui portent spécifiquement
06:20 sur les disciplines qui ont été mentionnées.
06:22 J'aimerais bien savoir où cela a lieu, puisque je ne suis pas au courant.
06:27 Je vous suggère d'aller voir sur le site que nous avons créé, le site de l'Observatoire
06:31 des idéologies identitaires, où nous recensons chaque semaine tous les appels à communication,
06:37 les thèses, les enseignements, les séminaires, etc., qui sont à thème wok, c'est-à-dire
06:44 les thèmes qu'on appelle les "studies" aux États-Unis, donc les "gender studies",
06:49 les "racial studies", etc.
06:51 Et on en a des dizaines et des dizaines et des dizaines.
06:55 Donc il suffit de se renseigner et on voit que...
06:57 Je pense, Madame, je ne sais pas si vous enseignez, je sais que vous êtes directrice de recherche
07:02 au CNRS, et je ne sais pas si vous enseignez au sein de l'université.
07:05 Je me renseigne, je me renseigne.
07:07 D'accord, mais moi j'y enseigne, et ce qui serait peut-être plus honnête vis-à-vis
07:11 des téléspectateurs et des téléspectatrices, c'est d'expliciter comment fonctionne l'université.
07:16 Donc quand vous parlez de colloques et de communication, quand vous parlez de séminaires,
07:21 vous parlez de la recherche au sein de l'université.
07:24 Sauf qu'au sein de l'université française, la plupart des étudiants et des étudiantes
07:28 ne sont pas des chercheurs.
07:29 On parle vraiment de la vaste majorité des étudiants et des étudiantes qui vont entamer
07:34 une licence, peut-être aller jusqu'au master.
07:36 Donc quand vous parlez des communications qui sont consacrées aux études de genre,
07:42 aux études autour des sexualités, aux études autour de la race et encore, ces activités
07:50 de recherche n'ont pas encore pénétré, on va dire, ce qui constitue le cœur des
07:58 enseignements qui sont dispensés aux étudiants et aux étudiantes de l'université.
08:02 C'est-à-dire qu'il n'y a pas de master sur la question raciale dans les universités
08:07 françaises.
08:08 Il y a très peu de master, je pense que mon collègue, un de mes collègues m'avait
08:12 fait part du fait qu'il n'y a que deux master consacrés à la question du genre
08:17 dans l'université française.
08:18 Donc voilà, c'est pour ça que je pense qu'il faudrait vraiment redéfinir les
08:22 termes du débat, redéfinir l'objet d'études, parce que le wokisme, on peut y revenir,
08:28 ça n'existe pas scientifiquement.
08:29 Et ensuite parler de l'université comme elle fonctionne exactement.
08:35 Il n'y a pas, et je le déplore, je suis la première à le déplorer, il n'y a
08:40 pas de département ou plusieurs départements ou un nombre important de départements qui
08:45 sont consacrés aux thématiques qui viennent d'être énumérées.
08:49 Je vous donne juste un exemple.
08:51 L'an dernier, à l'Institut de sciences politiques, le seul enseignement de théorie
08:57 de l'évolution, donc la théorie darwinienne à fondement biologique, a été supprimé,
09:02 alors qu'il y avait au même moment 80 enseignements d'études de genre.
09:06 Voilà, c'était juste un exemple parmi d'autres.
09:08 Oui, mais dans les diplômes, moi je vous parle des diplômes, des intitulés, des départements
09:13 et des personnes qui sont titularisées sur la base des recherches que vous évoquiez.
09:17 Ça n'existe pas, c'est ça le fait.
09:19 Alors ça c'est en effet ce que disent tous les partisans de ce type d'études,
09:23 c'est que ça n'existe pas.
09:24 Alors je suis d'accord avec vous que le terme "wokisme" est un terme qui a été
09:28 utilisé par la droite américaine pour stigmatiser ce qu'on appelle le mouvement qui a été
09:33 assumé par ceux qui le portent aux États-Unis comme le mouvement "wok".
09:37 Donc on est passé du mot "wok" qui est revendiqué par ceux qui estiment qu'il
09:42 faut tout réinterpréter en termes de race, de sexe, etc.
09:46 Et le terme "wokisme" a été utilisé pour stigmatiser.
09:50 Et quand il est passé en France, c'est vrai que le mot "wokisme" est un mot utilisé
09:53 plutôt par les adversaires du wokisme.
09:55 Est-ce que ça veut dire pour autant que le wokisme n'existerait pas ?
09:59 C'est la stratégie du déni qu'utilisent systématiquement ceux qui sont ciblés par
10:04 leurs adversaires pour dire "mais non, tout ça n'existe pas".
10:08 On n'a pas forcément...
10:09 Pouvons-nous parler, alors là peut-être que je vais m'exprimer en tant que spécialiste
10:13 des États-Unis, le wokisme même aux États-Unis.
10:16 Alors il y a deux façons de présenter le débat.
10:19 Soit vous parlez du débat public, ce qui se passe dans les prises de parole publiques,
10:23 dans les politiques publiques qui sont menées, soit vous parlez du débat universitaire.
10:27 Et pour l'instant, je ne sais pas de quel débat vous parlez.
10:29 Je parle de deux.
10:31 Aux États-Unis, je finirai mon raisonnement, aux États-Unis non plus, le wokisme, il n'y
10:36 a pas de "wok studies" aux États-Unis.
10:39 Et donc ce que vous semblez identifier comme l'émergence du wokisme, qui serait quelque
10:44 chose de très récent, est en vérité, je ne sais pas moi, juste la continuité de
10:49 mouvements qui ont été menés par différents groupes aux États-Unis bien avant les années
10:54 2010, puisque généralement en France on s'intéresse aux années 2010, il y a "Black
10:58 Lives Matter" ou des choses comme ça, ce qui est absolument faux.
11:02 Enfin je veux dire les "women studies", que ce soit les "indigenous studies", enfin
11:07 je ne sais pas, moi les "Black Studies", "Africana Studies", elles ont une longue
11:11 histoire, une longue histoire qui s'inscrit dans l'histoire encore plus longue de la
11:16 nation états-unienne.
11:17 Absolument, vous avez parfaitement raison.
11:19 Simplement en France, on est encore dans une division des disciplines au sens où on enseigne
11:26 l'histoire, l'anthropologie, la philosophie, etc.
11:29 Et la question de l'introduction d'un découpage par "studies", c'est-à-dire
11:34 par "objets d'études liés à des communautés discriminées" est très récente et est
11:41 une importation typiquement américaine.
11:44 Mais il n'y a pas que l'université, il y a aussi le monde culturel, il y a aussi
11:50 le monde culturel qui est totalement touché par ce phénomène, il y a le monde des grandes
11:55 entreprises qui font systématiquement des formations de sensibilisation à l'inclusivité,
12:03 etc.
12:04 Portées par des groupes militants qui en général font de très bons bénéfices avec
12:10 ces formations obligatoires.
12:12 Il y a toutes sortes de lieux, notamment aussi la politique et les médias, qui sont maintenant
12:19 touchés par ce phénomène-là.
12:21 Et c'est un phénomène que j'estime dangereux.
12:24 J'ai parlé d'une forme de totalitarisme d'atmosphère, ce n'est évidemment pas
12:29 un régime totalitaire, mais c'est une atmosphère, c'est une mentalité totalitaire.
12:33 D'abord parce qu'il enferme les personnes dans des communautés obligées, par exemple
12:39 il m'obligerait à me définir et à me présenter comme femme en toutes circonstances, ce que
12:44 je récuse, parce qu'il y a des contextes où ça n'est pas pertinent.
12:47 C'est un totalitarisme d'atmosphère aussi parce qu'il met systématiquement l'idéologie
12:54 avant la science.
12:55 La recherche aurait comme objectif de faire triompher des positions politiques, et c'est
13:02 ce que j'appelle la militantisation de la recherche, et qui est une vraie catastrophe
13:07 pour l'université.
13:08 Et c'est aussi un totalitarisme d'atmosphère parce qu'il pratique systématiquement ce
13:13 qu'on appelle la "cancel culture", ça aussi ça vient des États-Unis, c'est-à-dire
13:16 l'idée qu'il serait légitime de censurer des gens qui ne pensent pas comme nous, et
13:21 que l'on peut tout simplement faire annuler des conférences, interdire des manifestations,
13:28 simplement parce qu'on estime que la personne en question ne tient pas le bon discours.
13:32 Et donc il y a une culture de la censure qui ressemble terriblement à ce qui s'est passé
13:38 dans les régimes totalitaires, il y a un amour pour l'idéologie et un désintérêt pour
13:43 la scientificité et la rationalité qui ressemblent encore aux régimes totalitaires, et s'y
13:49 ajoute cette forme tout à fait nouvelle et assez spécifique, que l'on n'avait pas
13:55 connue dans les régimes totalitaires, à savoir cet identitarisme qui prétend enfermer les
14:00 gens dans des catégories auxquelles ils ne peuvent rien, on est dans un certain sexe,
14:05 on est avec une couleur de peau, on n'y peut rien, et c'est cet enfermement dans
14:09 ces catégories qui divise le monde systématiquement en victimes et en coupables, en discriminés
14:16 et en discriminants, en dominés et en dominants, c'est cette vision du monde binaire, culpabilisante
14:22 et victimisante que je trouve extrêmement dangereuse.
14:25 Maboulassou Mahoro ?
14:27 Je ne sais pas sur quoi rebondir, parce que je pense qu'on ne va pas réussir à obtenir
14:34 une définition précise de cet objet d'étude dont nous sommes censés débattre.
14:39 Il suffit de lire mon livre ?
14:40 Non, mais je n'aurai pas le temps.
14:44 Il y a trop de choses qui sont pointues, qui font partie de la recherche actuelle, qui
14:50 sont menées par des chercheurs et des chercheuses de qualité sur toutes les thématiques individuelles
14:55 que vous avez menées.
14:56 Ce sont les livres sur lesquels je vais porter mon attention de scientifique en priorité.
15:03 Pour passer au niveau de cette définition qui est très floue, et là je parle de chercheuse
15:09 à chercheuse, je me dis que ce qui me dérange c'est peut-être une vision assez idéaliste,
15:20 tout à fait louable même peut-être, mais assez naïve de cette scientificité qui serait
15:29 complètement à travers l'histoire de l'humanité, complètement dénuée d'idéologie, et que
15:35 seuls les groupes, les personnes, les chercheurs, les chercheuses qui critiquent et qui apportent
15:41 une critique qui peut être constructive, sont les personnes qui deviennent visibles.
15:46 C'est-à-dire que le militantisme ne viendrait que des personnes qui seraient mécontentes.
15:51 Alors que le militantisme tel qu'il s'est déployé dans l'histoire des sciences et
15:57 de la rationalité, c'est de ça dont on parle en vérité.
16:01 Se dire que oui, la science est complètement froide et complètement à distance de la
16:07 société, c'est oublier, je ne sais pas moi, l'anthropologie du XIXe siècle et
16:11 la catégorisation sociale.
16:12 Ce n'est pas du tout ce que je dis.
16:13 Je dis qu'il y a une visée de scientificité.
16:17 Ce n'est pas vous qui dites ça.
16:18 C'est moi qui parle là.
16:20 Ce n'est pas vous qui dites ça.
16:21 Oui, mais vous me faites dire des choses dont je n'ai pas dit.
16:23 Non, je ne vous fais rien dire, je suis juste en train de parler.
16:25 Donc, ce sentiment ou cette vision de la science qui serait départie d'idéologie, qui serait
16:32 complètement dépassionné et rationnel, ça c'est vraiment une contradiction avec
16:39 l'histoire des savoirs, la hiérarchisation des savoirs qui va de pair, mais là ça sera
16:44 vraiment très bref, avec la hiérarchisation des communautés, des corps, des sexes et
16:48 des genres.
16:49 C'est de ça dont on parle en vérité.
16:51 Que l'on utilise le label très flou "woke" en se disant que c'est le nouveau mot, c'est
16:57 très intéressant comme manœuvre parce que le terme même "woke", c'est un mot
17:02 qui n'est pas traduit.
17:03 Nous sommes dans le pays qui associe l'identité nationale avec l'identité linguistique,
17:08 c'est-à-dire la langue française, et il est intéressant de voir qu'il y a certains
17:11 mots qui échappent à la traduction "woke" et à traverser l'Atlantique.
17:16 Et partie des États-Unis est arrivée en France et on parle de quelque chose, et je
17:20 parle cette fois en tant que traductrice, qui n'a tout simplement aucun sens, mais
17:25 aucun sens scientifique, c'est-à-dire que vous-même en tant que sociologue, quand vous
17:29 entendez parler des choses liées, je ne sais pas, à la race, au genre, aux questions
17:34 de classe, quelle est votre formation et votre connaissance des thématiques qui sont
17:44 mises en avant aujourd'hui et qui peut-être sont débattues davantage qu'auparavant
17:48 puisque les personnes qui en débattent ont peut-être un peu plus de poids, un peu plus
17:54 de… je ne sais pas, on est plus en capacité aujourd'hui d'écouter ces personnes-là
18:00 et de lire ces travaux-là.
18:02 Justement, j'aimerais bien qu'on parle un peu plus de classe, voyez-vous, plutôt
18:06 que de parler systématiquement de race et de sexe.
18:09 Mais pourquoi ce serait l'un ou l'autre ?
18:10 J'aimerais bien continuer et par ailleurs, sur la question de la scientificité, ne me
18:14 faites pas dire que je crois de façon naïve dans une scientificité absolue.
18:19 La scientificité, c'est une visée, c'est une visée d'objectivité et de rationalité.
18:24 Or, cette visée, on la voit très très peu dans les courants actuels qui, par exemple,
18:28 dénie la dimension biologique de la différence des sexes.
18:31 Le wokeisme aboutit à ce déni absolument délirant de la dimension biologique avec
18:37 l'idée que tout serait socialement construit.
18:39 On a toutes sortes d'exemples que je donne, notamment dans mon livre, de ces délires
18:45 auxquels aboutisse une vision totalement idéologisée du monde.
18:49 Et là, je pense vraiment que la question de la rationalité mérite d'être défendue
18:54 plutôt que d'être systématiquement niée au motif que les sciences n'auraient pas
19:00 toujours été des exemples parfaits d'objectivité.
19:02 C'est extrêmement violent ce que vous venez de dire concernant les constructions de genre,
19:07 puisque vous parlez des études qui sont liées au genre.
19:10 Et les études et tout le travail de recherche qui a été mené sur la place qu'occupent
19:17 les constructions sociales dans les catégories, on va dire, les catégorisations de genre.
19:22 Ce que je trouve violent, c'est que vous parlez, c'est un discours qui va à l'encontre
19:28 des expériences humaines.
19:29 La seule question qui nous intéresse, si on prend en compte de manière vraiment tout
19:34 simplement gentille et empathique, pas scientifique, les personnes qui sont trans par exemple.
19:41 Les personnes trans, c'est-à-dire que les personnes nées d'un sexe biologique, je
19:47 vous l'accorde, et qui ne se sentent pas en accord avec cette identité biologique.
19:52 Que faites-vous de ces personnes au-delà du discours sur "telle catégorie n'existe
20:00 pas, les constructions n'existent pas".
20:01 Vous savez, j'espère, que vous savez qu'il existe des personnes qui se définissent comme
20:07 trans, qui se ressentent comme trans et qui se vivent comme trans.
20:13 Qu'est-ce qu'on fait de ça ?
20:14 Il n'y a aucun problème, tant que ce sont des majeurs qui choisissent de faire une transition
20:19 de genre, c'est leur problème et ça ne pose pas de problème.
20:22 Ça pourrait ne pas être un problème.
20:24 Le problème aujourd'hui, il se pose pour les mineurs, il se pose pour les enfants.
20:28 Disserter sur cela, alors que des personnes, c'est pour ça que j'essayais vraiment
20:31 de faire la différence avec le discours et l'expérience.
20:35 Et si ces personnes-là, ou d'autres personnes d'ailleurs, qui ne peuvent pas être trans,
20:39 s'intéressent aux fonctions sociales et aux fonctions politiques des constructions
20:44 de genre, en quoi cela devrait-il être un problème de faire de la recherche ou d'essayer
20:52 d'explorer les variantes de l'expérience humaine ? C'est ce que font les chercheurs.
20:58 Si je peux m'en mêler, Maboula Soumaoro, en ce qui concerne la question trans, dont
21:03 on commence à beaucoup parler en France également, ce qui a perturbé les Français, en tout
21:09 cas, c'est que tant qu'on voulait être une trans femme et qu'on se faisait opérer,
21:14 qu'on devenait une femme, il n'y avait pas de problème.
21:16 Tout le monde reconnaissait, c'était écrit sur l'état civil, vous êtes madame alors
21:19 que vous étiez monsieur jusqu'à présent.
21:21 Et ça ne posait aucun problème.
21:22 Là où ça commence à poser des problèmes, c'est parce que la juridiction européenne
21:26 est comme ça aujourd'hui, c'est que vous pouvez demander à être une femme sur votre
21:30 état civil sans changer de sexe.
21:32 Et qu'à partir de ce moment-là, vous vous revendiquez en tant que femme, vous voulez
21:35 qu'on vous considère comme une femme, et d'ailleurs l'état civil vous reconnaît
21:39 comme une femme, mais vous pouvez aussi avoir un enfant et vouloir en être la mère par
21:45 exemple, alors que vous en êtes biologiquement le père, mais vous voulez en être la mère.
21:49 Et ça, ça a beaucoup compliqué les choses.
21:51 Et là, tout à coup, y compris pour les femmes qui se sont dites "mais à ce moment-là,
21:55 ce sont des hommes qui veulent nous faire croire qu'ils sont des femmes alors qu'ils
21:59 n'en sont pas".
22:00 Je ne sais pas si j'ai bien résumé le problème, mais vous comprenez que ça le change
22:04 un peu, c'est plus seulement une question d'empathie et de gentillesse.
22:08 C'est qu'à un moment, il y a quelqu'un qui dit "je suis une femme, considérez-moi
22:11 comme une femme, laissez-moi entrer dans les toilettes des femmes".
22:14 Ça a l'air d'être ridicule comme ça, de le réduire à cette… mais alors que
22:20 les femmes disent "non, attendez, être une femme, c'est dur, vous n'allez pas
22:26 me faire croire qu'il suffit comme ça de décider qu'on est une femme pour être
22:29 une femme".
22:30 C'est comme si je vous disais, Maboula Soumaoro, "je suis une lesbienne noire",
22:34 et vous me diriez "j'ai des doutes".
22:35 Le problème c'est que ça rend très difficile…
22:38 C'est une question pour moi ou c'était une question pour Madame ?
22:41 Pardon, je n'ai pas entendu.
22:42 C'est une question pour moi ou c'était une question pour Madame ?
22:45 Non, non, non, oui, parfaitement, c'est une question pour vous, c'est pour reposer
22:49 la question trans par exemple, mais pas seulement celle-là.
22:53 Il y en a plein d'autres effectivement derrière.
22:55 Il est intéressant de faire, et si on se… vraiment, là on se téléporte une nouvelle
22:59 fois au niveau de la recherche et donc de la pensée, c'est quels sont les enjeux
23:03 autour de ces identités-là ? Pourquoi toutes les configurations que vous venez d'exposer,
23:10 Frédéric, pourquoi posent-elles problème ? On pourrait aussi se dire, si par exemple
23:15 une personne trans se rend dans les toilettes de tel ou tel genre, quel est ce tsunami que
23:22 cela déclenche ? Quel est l'enjeu ? Pourquoi est-il si important pour un certain groupe
23:27 de s'agripper à une identité qui serait fixe et qui se voit comme menacée par une
23:33 autre ? C'est ça que fait la pensée, c'est ça que font les chercheurs et les chercheuses.
23:37 J'aimerais bien vous répondre sur ce point.
23:39 Moi je parle à Frédéric.
23:41 Non mais je respecte tout à fait le vécu des trans, mais je n'accepte pas que l'on
23:48 m'impose de modifier ma perception.
23:50 Si je perçois quelqu'un comme un homme, je n'accepte pas qu'on m'oblige à
23:53 lui dire "Madame", c'est tout.
23:55 Et ça c'est le problème du totalitarisme sous-jacent à ces mouvements-là, c'est
24:01 qu'ils prétendent imposer aux autres une perception qui est totalement problématique
24:07 par rapport à la réalité de ce que nous voyons, et ça pour moi c'est totalement
24:11 inacceptable.
24:12 De même que je n'accepte pas qu'on m'impose l'écriture inclusive, qui est encore
24:16 une fois une réduction des personnes à un sexe ou un genre systématique, une systématisation
24:25 de la différence des sexes, dans quel que soit le contexte, je n'ai aucune envie
24:29 que des gens m'imposent de casser ce qui fait notre monde commun, à savoir notre
24:33 langue commune.
24:34 Voilà, ça fait partie des choses qui pour moi politiquement sont très problématiques.
24:38 Je comprends tout à fait ce que vous êtes en train de dire et je pense que cela soulève
24:42 la question du confort, et je comprends tout à fait que vous ne soyez rétive au fait
24:47 que votre confort soit perturbé.
24:48 Ce que je dis c'est que les personnes qui ne bénéficient pas du même confort peuvent
24:54 vous retourner la même rhétorique, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas envie, ces personnes-là,
24:59 n'ont pas envie que vous leur imposiez votre perception du monde.
25:03 Mais ce n'est pas ma perception du monde, c'est un monde commun, c'est un langage
25:07 commun, ce sont des traditions, ce sont des structurations de la société, ce n'est
25:12 pas ma perception du monde.
25:13 Exactement, et nous sommes d'accord, sauf que les personnes qui sont contre ou qui ne
25:20 bénéficient pas de la même façon des bienfaits de cette structure commune, la questionnent,
25:25 c'est tout.
25:26 Et la langue, elle ne bénéficie pas à tout le monde ? La langue ne bénéficie pas à
25:30 tout le monde ? La référence à des structures communes ne bénéficie pas à tout le monde
25:35 ?
25:36 Mais la langue elle-même, elle évolue, on fait comme si la langue, elle était fixe,
25:38 mais on a quand même une académie française, on a quand même les grandes étapes de la
25:41 structuration de la langue française qui a été fabriquée, qui a été fabriquée
25:46 de toutes pièces, et à partir ou au détriment de plusieurs patois, je ne sais pas, dialectes,
25:54 dialectes, qui existaient dans la France.
25:55 C'est une fabrication, tout comme la France en tant que projet politique.
25:58 Il n'y a que dans les régimes totalitaires qu'on a essayé de modifier autoritairement
26:00 la langue, ça s'est passé sous la terreur en France, ça s'est passé sous le nazisme
26:05 en Allemagne, ça s'est passé sous le salinisme, la modification autoritaire de la langue fait
26:12 partie de la mentalité totalitaire, et on le voit aujourd'hui avec la France.
26:16 Alors que faites-vous de la Troisième République et de cette mise en commun, cette fabrication
26:21 de la citoyenneté française à travers l'éducation nationale et notamment par le biais linguistique?
26:27 Le biais linguistique c'était simplement le fait de donner à tous les enfants la possibilité
26:32 d'accéder au français.
26:35 Mais le français n'était pas la seule langue, le français n'est toujours pas la seule langue
26:40 de France.
26:41 Donc est-ce que cela était totalitaire?
26:44 Ce n'était pas totalitaire, c'était leur donner quelque chose de plus.
26:48 C'était l'accès à une autre langue que leur langue maternelle.
26:51 Au fond, si je peux résumer, ce qui vous différencie toutes les deux c'est que Nathalie
26:57 Hennig voit dans le wokisme un totalitarisme qui vient, et les woks, c'est ce que vous
27:05 lui répondez, Maboulassou Mahoro, je ne vous classe pas parmi les woks, mais vous avez
27:10 l'air de les défendre, eux auraient tendance à dire que le totalitarisme c'est ce qu'il
27:14 y avait avant, du temps où c'était en gros l'histoire, les sciences étaient le monopole
27:20 des mâles blancs hétérosexuels et que ce que vous appelez le savoir commun, en fait,
27:28 ce serait quelque chose qu'on aurait imposé, nous les hommes blancs, aux femmes, aux noirs,
27:37 aux homosexuels.
27:38 Ce n'est pas seulement une question d'hommes blancs ou de femmes, c'est des questions de
27:41 structure Frédéric, pour être vraiment un peu plus sérieuse et pour aller un peu plus
27:46 au fond du sujet.
27:47 La critique des structures et des forces sociales qui ont existé à travers l'histoire,
27:54 elle a toujours existé.
27:55 On parle de la France aujourd'hui, de la République aujourd'hui, on est en 2023,
28:00 on est à la cinquième République française, donc il y en a eu quelques-unes auparavant,
28:04 la France a plus longtemps été une monarchie qu'une république, et à chaque moment
28:09 de cette construction française, évidemment qu'il y a eu des forces divergentes.
28:13 Et si en 2023, nous sommes la meilleure version de la République, c'est bien parce que
28:20 certains droits ont été acquis et que certaines critiques ont été entendues et ont petit
28:25 à petit pénétré la psyché nationale.
28:28 Et que cela continue, c'est bienvenu puisque je rappelle que quand même, nous sommes l'une
28:32 des rares nations du monde à avoir coupé la tête d'un roi et d'une reine pour faire
28:37 place à cette République que nous chérissons tant apparemment aujourd'hui.
28:41 Et une République qui est basée sur une conception universaliste du monde commun,
28:47 et non pas sur cette conception qui ferait de tous nos acquis le monopole de mâles blancs
28:54 dominants, le monopole de représentants communs, qui est vraiment une conception multiculturaliste,
29:03 qui est totalement anti-universaliste, et la forme de la République française, c'est
29:08 justement son universalisme, et c'est cet universalisme qui est systématiquement piétiné
29:12 par le monde.
29:13 En 1958, c'est là le premier article de la Ve République, c'est ce seul article
29:19 qui mentionne l'universalisme.
29:20 Donc je vous laisse et on pourra finir sur ce point.
29:23 Avant 1958, il s'est passé beaucoup de choses dans l'histoire française, et des
29:27 républiques qui ne se sont pas avérées universalistes, je veux dire, pour un sou.
29:32 Et en 1958, on est juste en train de sortir de la question, on s'apprête à sortir
29:38 des indépendances, on a la guerre d'Algérie qui va bientôt exploser en 1962, et donc
29:44 cette vision de l'universalisme, elle est systématiquement, historiquement contredite
29:50 par l'histoire qui s'est déroulée en dehors de nos frontières hexagonales, c'est-à-dire
29:55 ce qu'on appelle en France les territoires ultramarins.
29:58 Et c'est là que tout se joue.
29:59 Il n'y avait rien d'universaliste là-bas, et depuis 1958, on essaye en France de se
30:05 dire que oui, l'article 1 apprenait quelque chose, je veux dire, des choses que même
30:10 la révolution de 1789 n'avait pas réalisées, puisque en 1789, les femmes n'avaient pas
30:16 le droit de vote.
30:17 Donc cet universalisme, il était déjà un peu caduque.
30:20 L'universalisme, dernier mot, l'universalisme n'est pas un fait, c'est une visée, c'est
30:25 une valeur.
30:26 Donc on ne peut pas contredire l'universalisme par le fait qu'il n'aurait pas été né.
30:30 Non, justement, on y tend.
30:32 Je vous interromps.
30:33 On y tend en le critiquant, je finirais, on y tend vers l'universalisme.
30:37 Je vous interromps, je suis obligé de vous interrompre Mme Boula Soumaro, je vous remercie
30:43 beaucoup d'avoir participé à ce débat d'aussi loin.
30:45 Je suis obligé de donner la parole, et c'est un plaisir bien entendu, à Isabelle Piboulot
30:50 pour le rappel des titres.
30:51 Les trois hommes soupçonnés d'avoir agressé Jean-Baptiste Tronieux seront jugés lundi
30:58 à Amiens.
30:59 Le petit-neveu de Brigitte Macron avait été pris à partie en marge d'une manifestation
31:04 non déclarée contre la réforme des retraites.
31:07 Les prévenus devaient initialement être jugés en comparution immédiate le 17 mai,
31:12 deux jours après les faits.
31:13 Mais leurs avocats avaient demandé plus de temps pour préparer leur défense.
31:17 L'Est canadien emproie aux flammes depuis près d'une semaine.
31:21 L'arrivée de la pluie est un soulagement pour les pompiers de la province de la Nouvelle-Écosse.
31:26 85% du feu de forêt a pu être maîtrisé.
31:29 La situation au Québec reste tout de même critique.
31:32 Plus de 130 incendies sont actifs, dont près de 80 jugés hors de contrôle.
31:37 Et puis le PSG, déjà sacré champion de France le week-end dernier, a accueilli Clermont
31:43 au Parc des Princes.
31:44 Score final 2-3 pour les Clermontois.
31:46 Une dernière journée de Ligue 1, mais aussi un dernier match pour Lionel Messi et Sergio
31:52 Ramos avec le maillot parisien.
31:54 L'aventure se termine également pour Christophe Galtier, l'entraîneur du Paris Saint-Germain.
31:58 Kylian Mbappé, lui, meilleur buteur pour la cinquième fois de suite, égale ce soir
32:03 le record de Jean-Pierre Papin.
32:05 Thomas Lepeltier, vous êtes philosophe des sciences, spécialiste d'éthique animale,
32:15 membre du parti animaliste et antispéciste revendiqué.
32:20 Vous publiez "Faut-il sauver l'ours blanc ? Essai sur la transformation de la nature",
32:25 un livre dans lequel vous posez la question de la réduction, voire de l'élimination
32:29 de la prédation chez les animaux sauvages.
32:31 Paul Sujit, vous êtes journaliste au Figaro, l'auteur de "L'extinction de l'homme,
32:36 le projet fou des antispécistes".
32:38 Thomas Lepeltier, le titre de votre livre "Faut-il sauver l'ours blanc ?" fait référence
32:43 à une vidéo du National Geographic qu'on va voir tout de suite et qui a fait le tour
32:47 du monde en 2017.
32:49 On y voit un ours polaire, décharné, à bout de souffle, victime du réchauffement climatique.
32:56 Vous soulevez plusieurs problèmes, notamment un qui effleure rarement tous ceux qui sont
33:01 émus par la souffrance de cet animal.
33:03 C'est pourquoi faudrait-il sauver un prédateur comme l'ours blanc plutôt que les proies
33:08 qu'il ne manquera pas de tuer s'il survit ?
33:10 C'est une question qu'on oublie toujours de poser, c'est la question de la prédation,
33:16 le problème moral que pourrait poser la prédation.
33:20 Il y a aussi une autre question que soulève cette vidéo, c'est que tout le monde a été
33:24 ému par cet ours blanc parce qu'il était censé être victime du réchauffement climatique.
33:29 Mais indépendamment de la question du réchauffement climatique, tous les ours blancs vont avoir
33:34 des fins de vie similaires.
33:35 Donc pourquoi ne pas s'indigner du sort des ours blancs en général et ne s'indigner
33:43 que du sort de celui-là ?
33:44 Ça pose toute une question sur la condition de vie des animaux sauvages.
33:50 Et quand on creuse un peu le sujet, on se rend compte que les animaux sauvages souffrent
33:56 énormément, en tout cas beaucoup plus qu'on ne l'imagine.
33:59 Et quand on a finalement un souci d'éthique élémentaire, c'est-à-dire qu'on ne veut
34:05 pas à la fois faire de mal à autrui et aux êtres qui sont capables de souffrir, mais
34:08 que donc on veut aussi aider ceux qui sont en souffrance, on peut se demander s'il ne
34:13 faudrait pas venir en aide aux animaux sauvages d'une manière générale.
34:17 Et j'insiste là-dessus parce que c'est quand même le point très important de votre livre
34:22 et qui me paraît la logique même de l'animalisme, c'est-à-dire effectivement à partir du
34:27 moment où on veut faire cesser la souffrance animale, il faut aussi faire cesser la souffrance
34:36 des proies de l'ours blanc.
34:38 Et au fond, si cette espèce disparaissait, vous dites, les proies s'en trouveraient
34:43 plutôt mieux.
34:44 Alors plutôt que de cesser, je dirais, il faut essayer de réduire la souffrance qu'on
34:48 inflige aux animaux, est-ce que cesser c'est compliqué, est-ce qu'on peut éliminer toute
34:52 souffrance que l'on inflige, je ne sais pas, sur un plan pratique, ça poserait peut-être
34:55 des problèmes.
34:56 Mais il faut réfléchir à nos possibilités de réduire la souffrance que l'on inflige
35:00 aux autres animaux et surtout éviter d'infliger des souffrances inutiles pour des raisons
35:07 qui ne sont pas fondamentales.
35:08 Et donc je dirais, ça pose la question première de l'animalisme qui a été une critique
35:13 de la consommation de la viande, puisque la consommation de la viande consiste à faire
35:17 souffrir des animaux pour les manger alors que nous n'avons pas besoin de les manger.
35:22 Et alors, quand on poussait la réflexion, quand on se disait, on ne va pas faire souffrir
35:26 des animaux pour des raisons non nécessaires, pour des raisons même presque futiles, puisque
35:30 c'est que juste un plaisir gustatif, on peut se dire, finalement, ces êtres, ces animaux
35:35 qui ont droit à notre considération morale, et tout le monde sera d'accord pour reconnaître
35:39 qu'un chien a le droit à une considération morale, un chat a le droit à une considération
35:42 morale, c'est-à-dire qu'on n'a pas le droit de faire ce qu'on veut avec, il faut respecter
35:45 ses intérêts dans une certaine mesure. Et de la même manière, tout le monde reconnaîtra
35:49 qu'un animal sauvage, il a aussi des intérêts et qu'on ne devrait pas le maltraiter pour
35:54 notre plaisir. Donc quand on a fait cette première étape dans la réflexion de l'animalisme,
35:59 on peut se poser la question finalement de l'aide à ces animaux, de la même manière
36:03 que si on ne veut pas faire de mal à un humain, on veut aussi aider les humains qui sont en
36:07 souffrance, la logique animaliste dit, on ne veut pas faire de mal à un animal, donc
36:12 dans la même mesure, on devrait aussi vouloir aider les animaux qui sont en souffrance.
36:16 Alors on est tous d'accord pour aider nos chats, nos chiens, on est aussi d'accord pour
36:20 que les animaux domestiques d'une manière générale ne souffrent pas trop juste avant
36:24 l'abattoir, bien que ce n'est pas bien sûr appliqué dans les élevages et encore
36:28 moins au moment de l'abattoir. Et d'une manière générale aussi, on a tous une tendance
36:33 à vouloir aider les animaux sauvages, quand il y a des oiseaux qui ont soif ou qui ont
36:37 faim, quand il y a une baleine qui est coincée, quand il y a une biche qui s'est blessée,
36:41 tout le monde va dire oui, il faut les aider, je pense que c'est un sentiment naturel.
36:45 La pensée animaliste va justement systématiser ce sentiment, je dirais, qui me paraît tout
36:51 à fait louable et justifié, va systématiser ce sentiment en disant qu'il n'y a pas de
36:56 raison non plus de réfléchir à des façons d'intervenir dans la nature pour venir en
37:01 aide aux animaux sauvages.
37:03 Y compris jusqu'à pourquoi pas, puisqu'on est prêt à intervenir dans la nature pour
37:09 sauver cet ours blanc, on pourrait aussi intervenir pour sauver les phoques qu'ils risquent de
37:14 manger et donc il faudrait, dites-vous, abolir la prédation.
37:18 Ce qui est la logique même.
37:19 Si on nous interdit un jour de tuer les animaux pour les manger, on interdira aux animaux
37:26 de se tuer entre eux.
37:27 Tout à fait.
37:28 Pour l'ours blanc, il y a tout de suite une question technique, parce que si effectivement
37:32 on empêche à l'ours blanc de manger les phoques, les phoques vont manger plus de poissons.
37:37 Donc quelque part, on ne sortira pas forcément gagnant de cette situation.
37:40 Mais au moins vous vous posez la question.
37:42 Donc il y a une réflexion à faire, il ne faut pas faire n'importe quoi.
37:45 Il ne faut pas bien sûr supprimer la prédation comme ça à coups de carabine sans réfléchir.
37:49 Mais évidemment, la réflexion qu'on peut se poser c'est est-ce qu'il ne faudrait pas
37:53 mieux vivre dans un monde où finalement il y a moins de souffrance et donc où il y a
37:58 moins de prédation.
37:59 Parce que quand on y réfléchit, bon la prédation, on est tous dans un monde qui a été bricolé
38:03 par l'histoire de l'évolution et qui ne s'est jamais soucié à travers l'histoire de l'évolution,
38:08 qui ne s'est jamais soucié du bien-être des individus et des animaux qui étaient
38:12 capables de souffrir.
38:13 Et donc la question c'est, puisque nous avons les moyens d'intervenir dans le monde, est-ce
38:18 qu'il ne faudrait pas intervenir dans le monde pour diminuer le taux de souffrance dans ce
38:22 monde ? On est d'accord pour le faire pour les humains, je pense qu'on est tous d'accord.
38:25 Alors on peut se tromper sur les méthodes, mais on est d'accord pour que quelque part
38:29 l'humain fasse en sorte que les humains souffrent moins, qu'ils vivent dans des meilleures conditions.
38:34 Et il n'y a pas de raison de ne pas vouloir appliquer ça au monde animal.
38:39 Pourquoi ne pas intervenir dans le monde en général, sur cette Terre, pour que l'ensemble
38:44 des êtres qui sont capables de souffrir, c'est-à-dire l'ensemble en gros pour simplifier
38:47 des animaux, que l'ensemble des animaux souffre moins ?
38:50 Paul Sujit.
38:51 Déjà je vous félicite d'avoir su garder votre sérieux, parce qu'il faut quand même
38:56 préciser aux téléspectateurs que là, ce dont on est en train de parler de façon très
38:59 théorique, ça consiste quand même à imaginer que demain, après-demain, ou dans un siècle
39:03 ou dans mille ans, que sais-je, il faudra que l'humain se positionne comme étant le
39:06 gendarme de la galaxie, c'est-à-dire qu'il devra aller siffler comme sur une vaste cour
39:11 de récréation chaque fois que deux animaux sauvages seront en train de se faire du mal.
39:15 L'exemple de l'ours blanc et du phoque ou du morse, que sais-je, est encore à peu près
39:20 imaginable.
39:21 Quand il s'agira d'aller faire respecter la fin de la prédation au fond des océans,
39:26 quand le gros poisson voudra manger le plus petit et le plus petit le minuscule, ça sera
39:29 encore une autre paire de manches.
39:30 Mais enfin bon, c'est un sujet sérieux puisque Thomas Le Pelletier décide de le prendre
39:34 sérieusement.
39:35 C'est un sujet d'éthique au fond.
39:36 C'est un sujet qui ressemble à un jeu intellectuel.
39:40 Voilà, mais là, si vous permettez que je m'intervienne, la révolution animaliste
39:45 a suscité beaucoup de jeux intellectuels et un certain nombre ont marché depuis 20
39:50 ou 30 ans.
39:51 Alors ça je crois pas.
39:52 Beaucoup d'innovations, beaucoup de pensées qui ont donné plus ou moins de résultats.
39:57 Oui, mais c'est pas la partie théorique de la révolution animaliste, si vous voulez,
40:01 pour l'instant, qui a apporté ses fruits.
40:02 C'est ce qu'il y a de plus concret.
40:03 D'ailleurs, à ce jour, en tout cas, ce ne sont pas les livres de Thomas Le Pelletier
40:07 qui changent les choses en matière de bien-être animal.
40:09 Ce sont les vidéos de L214 qui vous montrent non pas un principe abstrait discuté comme
40:13 ça le samedi soir sur un plateau de télévision, mais qui montrent des images très concrètes,
40:18 cruelles, barbares, tout ce qu'on veut.
40:19 Et là, ça suscite une réaction.
40:20 Pour l'instant, je crois pas que cette dimension de jeu intellectuel que peut porter l'antispécisme,
40:25 qui est fondamentalement quasiment une branche de la philosophie morale et qui, à ce titre,
40:29 peut sembler presque un exercice de casuistique, pour l'instant, je crois pas que ça soit
40:34 ça qui soit décisif.
40:35 En tous les cas, puisque Thomas nous propose ce jeu, moi, je m'y prête de bonne grâce.
40:39 Et surtout, je le fais avec un plaisir de fin gourmet parce que, contrairement à beaucoup
40:43 de militants qui sont des gens raisonnables, Thomas est certains militants, mais c'est
40:47 quelqu'un de rationnel.
40:48 C'est-à-dire qu'il ne cherche pas, si vous voulez, quand il avance une idée, à
40:52 essayer de voir si elle va lui permettre d'attirer le plus d'opinions favorables possible,
40:56 mais il essaye d'aller au bout de sa logique.
40:58 Et de fait, moi, je me réjouis que quelqu'un comme lui ait le courage de mener jusqu'au
41:02 bout les principes théoriques de l'antispécisme, c'est-à-dire de cette idée qui consiste
41:07 à dire que les intérêts des humains et ceux des animaux, pour peu qu'ils puissent
41:10 y avoir une relation d'équivalence entre eux, doivent être pris en compte à égalité.
41:14 Il n'y a pas de raison de préférer l'humain à l'animal.
41:16 Donc l'antispécisme conduit à se poser ce genre de questions, conduit à se demander
41:21 si une fois que l'on aura mis fin à l'industrie de la viande, à la chasse, à toutes les
41:26 formes de consommation animale causées par l'homme, est-ce qu'il ne faudrait pas empêcher
41:30 les animaux de se faire souffrir entre eux ? Et là, cette question devient, à mon avis,
41:35 proprement délirante.
41:36 D'abord, dans sa mise en œuvre.
41:37 Mais Thomas nous épargne, jusqu'ici, la plupart des détails.
41:39 Non, non, non, il propose un certain nombre de choses, de les stériliser ou de les manipuler
41:43 génétiquement pour qu'ils mangent de l'herbe.
41:45 Il y a quelques solutions qui se sont esquissées, mais je crois malgré tout qu'il n'y a pas
41:48 de réflexion.
41:49 Et c'est, je crois, la plus forte critique qu'on puisse faire à votre livre, sans parler
41:52 du fait que votre livre n'engage que des gens qui seraient déjà antispécistes.
41:55 Moi, je ne le suis pas.
41:56 Et peut-être que le débat amènera à confronter un peu les raisons pour lesquelles des gens
41:59 ne s'entendent pas là-dessus.
42:00 Mais bon, votre livre propose aux antispécistes de pousser la réflexion encore plus loin.
42:05 Mais même de ce point de vue-là, il y a une question qui me gêne, qui est celle que,
42:08 malgré tout, la question des moyens n'est pas abordée de façon sérieuse.
42:11 Et à ce moment-là, c'est là que la confrontation entre la théorie et le pragmatisme, finalement,
42:18 devient elle-même théorique.
42:19 Vous faites comme si, au fond, nous aurions un jour, nous pourrions imaginer avoir un
42:25 jour les moyens de mener cette politique que vous proposez de réduction maximale de la
42:30 souffrance dans le monde sauvage, comme si ça n'enlevait pas, quelque part, des moyens
42:34 que nous attribuons déjà aujourd'hui à la préservation du bien-être des humains.
42:37 Bon, politiquement, tout le monde sait qu'une équation, ne serait-ce que budgétaire, ne
42:42 fonctionne jamais comme ça.
42:43 Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui, par exemple, on a un tel problème dans notre système de
42:46 santé ? C'est parce qu'on essaye de soigner tout le monde, et pas simplement les plus
42:50 privilégiés, les plus ceci, les plus cela.
42:52 Et vous voyez bien qu'à un moment, la question du nombre devient déterminante.
42:55 Et donc, par exemple, au jour où on devra considérer que la santé des animaux devient
43:00 aussi préoccupante, par exemple, pour la sécurité sociale que celle de tous les humains, vous
43:04 aurez une question de moyens qui va devenir cruciale.
43:06 Pourquoi est-ce que je dis ça ? C'est parce que cela permet de dire d'emblée que si
43:11 l'on mène, si l'on conduit les idées de Thomas Le Pelletier jusqu'au bout, alors
43:14 il est faux de croire que ça ne va rien nous enlever à nous.
43:17 Ça veut dire qu'un jour, il faudra partager, partager le gâteau, le gâteau de cette préoccupation
43:23 éthique qui devient un jour une politique.
43:25 Et alors, c'est là que moi, effectivement, je commence à sauter de ma chaise en me disant
43:28 mais à quel moment est-ce que l'on peut imaginer qu'il soit au moins aussi important
43:32 demain, et bien de se préoccuper du bien-être des animaux sauvages qui vivent loin des océans
43:36 dont je n'ai jamais entendu parler, dont je n'entendrai jamais parler, plutôt que
43:39 de m'occuper de la santé de ma grand-mère ou même de mon chien de compagnie.
43:42 Parce que oui, je crois qu'il est légitime de préférer que son chien de compagnie soit
43:45 en bonne santé plutôt que le poisson au fond des océans qui, encore une fois, n'a pas
43:50 d'interaction avec moi et pour qui je n'ai pas de lien affectif.
43:52 Alors bien entendu, pour que ce soit bien clair, dans votre livre, vous partez du principe
43:56 du jour où on interdira aux humains de tuer des animaux, de les faire souffrir ou de les
44:02 exploiter, le jour où le monde sera vegan.
44:04 Et seulement à ce moment-là, il faudra se préoccuper de la souffrance que les animaux
44:10 s'infligent entre eux.
44:11 Évidemment, il ne s'agit pas de le faire aujourd'hui.
44:13 Ce serait quand même dingue d'empêcher un lion de faire ce que tout humain fait à
44:16 un lapin.
44:17 Tout à fait.
44:18 Alors, il y a eu beaucoup de choses dans ce qu'a dit Paul, donc je ne peux pas tout reprendre.
44:22 Mais juste, moi, je vais essayer de passer en revue les différents points sur le jeu
44:26 intellectuel.
44:27 Effectivement, il y a une part de jeu intellectuel, puisque comme je le dis dans le livre, on ne
44:30 peut pas, bien sûr, intervenir comme on le voudrait.
44:33 Il n'y a pas de baguette magique pour supprimer la souffrance et encore moins, ou pas, pour
44:37 supprimer, bien sûr, les prédateurs au fond des océans.
44:40 Mais les jeux intellectuels ont quand même une efficacité, puisque vous parliez de L214,
44:45 mais il n'y aurait pas eu L214 s'il n'y avait pas eu un Peter Singer en 1975 qui avait écrit
44:50 la libération animale.
44:51 Donc, quelque part, les jeux intellectuels, quand ils sont mûris après par un certain
44:55 nombre de personnes, ils amènent à un certain nombre de réactions, de mobilisations.
45:01 Et comme vous l'avez reconnu vous-même, les vidéos de L214 ont eu un effet sur la société
45:06 et on ne peut pas les imaginer sans le jeu intellectuel de Peter Singer quand il a défini
45:10 l'antispécisme.
45:11 Après, il y a souvent le problème de les propos de Paul, c'est qu'il se met toujours
45:17 dans une solution finale, dans la solution parfaite.
45:21 Alors, il va ridiculiser le propos en disant "Ah bah Thomas, comment on va pouvoir empêcher
45:27 les poissons au fond des océans de se manger entre eux ? Donc c'est une idée ridicule,
45:32 donc pas la peine d'y réfléchir."
45:33 C'est le problème du biais de la solution parfaite.
45:36 Il est évident qu'on ne peut pas, et je ne vois pas comment demain, ou même dans des
45:41 milliers d'années, on va pouvoir empêcher les poissons au fond des océans de se manger
45:45 entre eux.
45:46 Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas, à notre échelle, un certain nombre d'actions
45:49 qu'on peut mener et sur lesquelles on peut réfléchir.
45:52 Il y a dans le monde actuellement beaucoup de souffrances, les animaux sauvages souffrent
45:58 beaucoup, et d'ailleurs, déjà beaucoup de personnes s'intéressent à la souffrance
46:03 des animaux sauvages.
46:04 Paul parlait de "ça va nous coûter de l'argent", mais on dépense déjà beaucoup d'argent
46:09 pour venir en aide aux animaux sauvages.
46:11 Quand je prenais l'exemple d'une baleine qui est coincée dans une rivière, l'État
46:16 va mobiliser des grosses sommes d'argent pour venir essayer de sauver cette baleine
46:19 coincée dans une rivière.
46:20 Quand il y a des animaux qui peuvent être coincés ailleurs, les États vont intervenir.
46:25 Donc il y a déjà beaucoup d'interventions dans la nature.
46:29 Il y a dans les parcs animaliers en Afrique, ce sont des parcs qui sont gérés en grande
46:33 partie par des humains, on dépense des millions pour l'entretien de ces parcs, et il y a
46:38 déjà donc de l'argent.
46:39 C'est-à-dire que cet argent, il n'est pas question de le prendre à des humains
46:43 qui ne voudraient pas le donner.
46:44 Il y a déjà actuellement des humains qui donnent déjà de l'argent pour aider les
46:48 animaux sauvages.
46:49 Ce que je veux développer à travers ces idées-là, c'est de dire oui, c'est très
46:54 bien de vouloir dépenser de l'argent comme ils le font déjà les humains pour aider
46:59 les animaux sauvages, mais souvent ce qu'on constate dans ces mobilisations en faveur
47:03 des animaux sauvages, ce n'est pas pour le bien-être des animaux sauvages, c'est
47:07 beaucoup plus pour l'idée d'une préservation des écosystèmes, de la biodiversité, ou
47:14 de la préservation des espèces.
47:16 Et ce que j'essaye de montrer dans le livre, au-delà des solutions pratiques qu'on
47:20 n'a pas à un corps, c'est qu'il y a besoin peut-être d'une autre réflexion
47:25 sur notre rapport à l'environnement, que plutôt que de vouloir préserver les espèces
47:29 en tant que telles, ou vouloir préserver les écosystèmes en tant que tels, il vaudrait
47:32 mieux plutôt réfléchir à voir comment on peut agir dans le monde, et on intervient
47:36 déjà beaucoup dans le monde, pour supprimer la souffrance.
47:39 Et je finirais sur un dernier point, j'ai toujours du mal avec Paul Sugic, pourquoi
47:44 et comment il refuse de vivre dans un monde où il y a moins de souffrance.
47:50 Pourquoi déjà, on a échangé sur la question du véganisme, et Paul veut à tout prix continuer
47:58 à ce qu'on égorge des animaux pour pouvoir les manger, je n'arrive toujours pas à
48:01 comprendre pourquoi il maintient ce désir que des animaux soient égorgés pour qu'on
48:06 les mange, alors qu'on n'a pas besoin d'égorger des animaux pour les manger,
48:09 il faut à tout prix, parce que pour Paul, ça serait une remise en cause de l'humain,
48:14 et j'ai toujours du mal à comprendre de sa part, quelle est la dimension rationnelle
48:18 de ce refus, cette persistance à vouloir égorger les animaux pour les manger.
48:25 Et sur les animaux sauvages, c'est pareil, il va vouloir essayer de me ridiculiser en
48:30 disant que mes idées étaient un petit peu délirantes, mais je ne vois pas tellement
48:33 ce qu'il y a de délirant à dire que nous devrions faire des efforts, je dis bien des
48:38 efforts, sans baguette magique, puisqu'on n'a pas de baguette magique, mais faire des
48:41 efforts pour que notre gestion de l'environnement aboutisse à ce qu'il y ait moins de souffrance.
48:47 Ça me paraît, j'irais, une approche éthique fondamentale qu'on devrait tous avoir, et
48:53 cette idée simple de réduction de la souffrance dans le monde, contre laquelle Paul s'insurge,
49:00 et je reste un petit peu bouche bée.
49:02 On va le laisser répondre.
49:04 D'abord, parenthèse à part, c'est l'idée de dire qu'on n'a pas besoin de tuer des
49:08 animaux pour manger, c'est une idée confortable.
49:11 Non, il a dit qu'on n'a pas besoin de les égorger.
49:13 Oui, les égorger, ça veut dire les manger, ce que dit Thomas.
49:16 Oui, on les égorge pour les manger.
49:17 Oui, pour les tuer autrement, que vous y trouverez à redire aussi.
49:20 Donc, si vous voulez, c'est une idée qui est confortable, que l'on peut émettre quand
49:23 on vit dans un pays où la faim a été éliminée depuis des dizaines d'années, heureusement,
49:27 c'est pas vrai partout dans le monde.
49:28 Parenthèse à part.
49:29 Erreur de la solution parfaite.
49:30 Puisqu'on peut le faire en France, pourquoi ne le faisons pas en France ?
49:33 Vous voyez, c'est toujours, on dévie, Paul dévie, il va parler de populations qui ont
49:37 besoin de manger des animaux.
49:39 Mais en France, pourquoi Paul, au Figaro, ne milite pas pour qu'on abolisse les abattoirs ?
49:43 Je vais vous répondre.
49:44 Je n'arrive pas à comprendre pourquoi au Figaro, maintien ce désir que l'on égorge
49:49 des animaux en France.
49:50 Je vais vous répondre.
49:51 D'abord, vous avez une curieuse façon d'inverser le problème puisque vous partez d'une situation
49:55 donnée dans laquelle l'homme continue ce qu'il a toujours été, c'est-à-dire d'avoir
49:59 un régime omnivore, c'est-à-dire qu'il mange pas seulement, mais il mange notamment de
50:02 la viande.
50:03 Et vous voudriez inverser complètement la logique en disant finalement que c'est à
50:06 nous autres omnivores de rendre compte des raisons pour lesquelles on continue de faire
50:10 comme on a toujours fait, en oubliant un petit peu vite que c'est vous qui arrivez avec vos
50:13 gros sabots pour bouleverser une situation qui finalement existe depuis l'échelle de
50:17 l'histoire de l'espèce et que c'est plutôt à vous d'apporter la charge de la preuve
50:20 à nous expliquer pourquoi est-ce qu'on devrait se l'empêcher.
50:22 Ça, c'est une première précision.
50:23 C'est un peu le débat qu'on avait sur le wokisme tout à l'heure.
50:27 Oui, mais je vous en prie.
50:29 Toutes les traditions sont pas immuables.
50:30 On parle un peu plus que d'une tradition.
50:32 Une tradition, ça serait lié à une civilisation humaine donnée.
50:35 De fait, il y a dans toutes les civilisations, dans toutes les sociétés humaines et avant
50:37 même l'histoire de la civilisation, les hommes ont mangé des animaux pour vivre.
50:41 Enfin, c'est pas le débat.
50:42 Ailleurs, voilà, je reviens sur le point central de votre livre.
50:46 Vous dites qu'aujourd'hui, on est déjà en position d'intervenir pour le bien-être
50:52 des animaux.
50:53 Et vous dites très justement, et c'est toute la thèse que vous discutez dans votre livre,
50:56 que finalement, à chaque fois qu'on le fait, on le fait d'une façon un peu égoïste.
50:59 C'est-à-dire que quand on veut le bien-être d'un animal, on veut le bien-être des humains
51:03 à travers l'animal.
51:04 Et vous dites ça notamment très bien en montrant que la biodiversité, au fond, n'a
51:08 de valeur intrinsèque qu'à travers le regard humain.
51:10 Et qu'on pourrait la réduire en fait.
51:13 Oui, mais ça, c'est une conséquence.
51:14 Mais déjà, sur le principe, c'est très juste.
51:16 C'est-à-dire que vous, à la fin, vous niez le fait que la biodiversité a une valeur
51:20 intrinsèque.
51:21 Moi, je continue de penser que si, et je le pense précisément parce que je crois que
51:23 c'est le regard humain qui façonne le monde, qui lui donne un sens et qui lui donne une
51:26 verticalité.
51:27 Et de mon point de vue, et quand je dis de mon point de vue, c'est du point de vue de
51:30 l'humanité, non pas en tant que simplement espèce animale, biologique, mais en tant
51:34 que communauté d'esprit.
51:35 De mon point de vue, la beauté du monde dépend de sa richesse et de sa diversité.
51:39 Et notamment, la diversité animale y contribue.
51:41 Raison pour laquelle on dépense, et c'est vrai, des sommes d'argent et des efforts considérables
51:45 pour entretenir cette biodiversité, pour la protéger, la protéger contre nous-mêmes
51:49 au premier chef et pour faire en sorte que nos petits-enfants et les petits-enfants de
51:53 nos petits-enfants voient le monde aussi beau que nous le voyons aujourd'hui, si ce n'est
51:57 plus si c'est possible.
51:58 Donc tout ça, c'est très vrai.
51:59 Y compris quand les antilopes se font manger par les lions.
52:01 Voilà, mais enfin, pour l'instant, ce n'est pas les lions qui exterminent les antilopes.
52:04 Aujourd'hui, le plus grand prédateur, c'est plutôt nous.
52:07 Et donc, de fait, cette politique en faveur de la biodiversité, elle n'a de valeur que
52:11 si l'on considère que la biodiversité est un bien pour l'homme.
52:14 Je prends deux autres exemples, à mon avis, qui aujourd'hui font qu'on peut avoir une
52:17 forme d'interventionnisme au sein de la nature qui finalement rend service au bien-être
52:21 animal, mais pour des raisons qui ne visent pas simplement améliorer le bien-être animal.
52:24 La première chose, c'est quand la mauvaise santé des animaux nous menace.
52:28 On est en train de commencer tout juste cette réflexion.
52:30 Il paraît qu'un pangolin qui aurait mangé une chauve-souris avariée a confiné la moitié
52:34 de la planète pendant quelques années.
52:35 Par ailleurs, là, on a la question de la grippe aviaire avec la vaccination des volailles
52:39 qui va se poser dès l'automne.
52:41 On est en train de mettre sur la table un plan qui, je crois, représente 300, 400 millions
52:45 d'euros de vaccination des volatiles pour faire en sorte que les maladies qui peuvent
52:50 contracter ne se propagent pas à l'humain.
52:52 Donc, pour dire qu'on peut effectivement, quand on se sent menacé, avoir intérêt finalement
52:56 parce que dans le monde biologique, les interactions qui se passent d'une espèce à l'autre sont
53:02 évidentes et donc un virus se transmet d'une espèce à l'autre.
53:05 La troisième chose, c'est évidemment quand il s'agit de préserver une forme de rentabilité
53:09 économique, c'est-à-dire un intérêt immédiat lié à la consommation des animaux qui fait
53:12 qu'on va pouvoir avoir intérêt à renforcer leur bien-être ou en tous les cas à prendre
53:17 des politiques qui vont favoriser leurs intérêts.
53:19 Toutes ces raisons-là, aujourd'hui, vous les balayez d'un revers de main en disant
53:23 au fond tout cela est injuste, ce n'est pas notre propre bien que nous devrions rechercher
53:27 en intervenant en faveur des animaux, mais c'est le bien des animaux eux-mêmes ou en
53:31 tous les cas c'est leur intérêt.
53:32 Moi, je crois d'une part que c'est profondément utopiste, c'est-à-dire que jamais demain
53:36 vous ne mobiliserez une communauté politique donnée pour qu'elle agisse en faveur des
53:40 animaux uniquement par estime pour l'animal en tant qu'individu et par ailleurs je crois
53:46 que c'est même profondément malsain philosophiquement de penser que nous devons moralement et politiquement
53:55 nous décentrer à tel point de nous-mêmes que finalement notre propre intérêt ne vaudrait
54:00 plus que comme le pendant ou l'équivalent des intérêts d'autres individus non-humains.
54:04 Mais là, l'erreur de Paul Sugy c'est toujours de partir dans des positions qui ne correspondent
54:12 pas du tout à la réalité.
54:13 Il n'imagine pas que les humains vont demain se mettre à se soucier des animaux.
54:18 C'est faux, les humains se soucient déjà énormément des animaux à travers les animaux
54:22 par exemple de compagnie.
54:24 Oui mais parce qu'on a un lien affectif avec eux, c'est-à-dire que c'est aussi notre
54:28 propre bonheur que l'on recherche à travers les efforts que l'on fait pour nos animaux
54:31 de compagnie.
54:32 Et donc ça veut bien montrer que l'humain peut se préoccuper d'autrui.
54:35 On se préoccupe des éléphants parce qu'on aime les éléphants.
54:39 On aime les éléphants donc il y a cette idée que l'humain n'arriverait pas à se
54:43 préoccuper des autres animaux, je ne vois pas d'où elle sort puisqu'elle est contredite
54:49 par les faits.
54:50 Les humains se préoccupent des autres animaux et je trouve ça une très bonne chose.
54:54 Et je trouve que dans l'évolution de l'humanité, je trouve que c'est une très bonne chose
54:58 qu'on se préoccupe des individus qui peuvent souffrir et les animaux peuvent souffrir.
55:03 Il n'est pas question de remettre en cause le statut ou la situation des êtres humains.
55:08 Il n'est pas question d'aller favoriser les animaux au dépents des êtres humains.
55:13 Il est question toujours d'élargir le souci que l'on peut avoir pour autrui.
55:17 Donc actuellement quand des humains vont aider des animaux sauvages en Afrique, ils ne le
55:24 font pas au détriment des êtres humains, ils le font parce que finalement ça leur
55:28 plaît de vivre dans un monde où il y a encore des éléphants ou il y a d'autres animaux.
55:34 Et donc il y a déjà cet investissement.
55:36 Donc il ne faut pas imaginer que c'est une idée complètement nouvelle.
55:39 La question que je soulève, c'est qu'il faut prendre au sérieux ce souci que l'on
55:45 a et il faut le pousser.
55:47 Si finalement on considère qu'il n'est pas bien qu'un éléphant souffre parce qu'il
55:52 a des parasites ou qu'il est dans la nature et que ce serait mieux qu'il vive sans ces
55:57 parasites ou qu'il est malade, il attrape une maladie et qu'on a les moyens de le sauver
56:01 ou en tout cas de le soigner, si on considère ça tout à fait normal, il faut je pense
56:07 l'assumer et se dire "réfléchissons d'une manière plus générale dans les façons
56:12 dont on intervient dans la nature pour que petit à petit le taux de souffrance diminue".
56:17 Je ne vois pas qu'est-ce qu'il y a finalement de si révolutionnaire.
56:21 C'est pousser juste d'un cran supplémentaire l'attitude générale qu'ont les individus
56:26 comme de la même manière pour revenir sur les animaux que l'on mange, de la même manière
56:30 qu'on ne veut pas faire souffrir un animal sans raison impérieuse, qu'on ne veut pas
56:36 faire souffrir un animal pour s'amuser, je pense qu'il est tout à fait logique de vouloir
56:40 venir aider des animaux qui souffrent.
56:42 Et je ne vois pas qu'est-ce qu'il y a de si scandaleux dans cette idée.
56:47 Il y a toujours une espèce de peur qu'on remette en cause, et ça c'est je ne sais
56:51 pas quelle idée à Paul, cette idée de remettre en cause de l'humanité.
56:55 Ce sera le dernier mot parce qu'il est juste l'heure.
56:58 Je vous remercie tous les trois d'avoir participé à cette émission, je vous remercie de nous
57:02 avoir suivis.
57:03 Rendez-vous au prochain numéro, c'est-à-dire demain à 22h cette fois, et on laisse la
57:09 place à Isabelle Piboulot pour le rappel des titres.
57:12 Au revoir.
57:14 Merci.
57:15 Merci à tous !