L'édito de Mathieu Bock-Côté : «Comment la question des drag queens est-elle devenue politique ?»

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Dans son édito du 08/04/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur la polémique autour de la lecture de contes à des enfants par des drag queens.
Transcript
00:00 il y avait des drag queens qui s'invitent ou sont invitées dans les écoles pour faire
00:03 la lecture des comptes à des enfants, souvent de moins de 10 ans, ces enfants.
00:07 Et c'est sur cette polémique et ces prochains échos en France que vous souhaitez vous pencher
00:11 pour votre première édito, Mathieu.
00:13 Oui, alors parce qu'il y arrive quelquefois, il faut suivre avec intérêt ce qui se passe
00:17 de l'autre côté de l'Atlantique parce que pas inévitablement, mais généralement,
00:22 ça a tendance à traverser l'Atlantique et à frapper la France.
00:25 Et chaque fois, la France se croit d'abord immunisée et ensuite, elle constate qu'elle
00:28 était un peu moins qu'elle ne le souhaitait.
00:31 Alors, de quoi parlons-nous ici?
00:32 C'est la querelle des drag queens en Amérique du Nord, mais drag queens par rapport aux
00:36 enfants.
00:37 Je vous explique pour ceux qui ne seraient pas familiers avec cette formule.
00:39 Les drag queens, qu'est-ce que c'est?
00:41 C'est un homme qui se déguise en femme, mais de manière tout à fait caricaturale
00:45 et hyper sexualisée.
00:46 Donc, c'est un homme qui...
00:48 Ça appartient à la culture de la nuit, la culture du cabaret, la culture de la transgression.
00:53 C'est des spectacles pour les gens de plus de 18 ans, disons ça comme ça, et ça appartient
00:57 à cet univers et de ce point de vue, ça ne cause souci à personne.
01:00 Si un homme veut se déguiser en femme et en femme hyper sexualisée et faire un spectacle
01:04 et que des gens sont prêts à payer pour aller regarder ça, ça ne les concerne.
01:07 Amusez-vous les amis.
01:08 Mais là, on parle d'autre chose.
01:10 Depuis quelques années, je dirais trois ou quatre ans, la question des drag queens a
01:14 percé dans l'espace public et elle a changé de nature.
01:17 On est passé de la performance artistique de la scène du cabaret pour faire des drag
01:23 queens, une nouvelle figure du combat LGBTQ2TI+.
01:27 Oui, je ne vais pas oublier le « i ». Alors, pourquoi?
01:34 Parce que la drag queen, qu'est-ce que c'est?
01:36 Elle se présente à nous à la manière de la figure qui marque la rupture la plus complète
01:41 entre l'identité sexuelle et l'identité dite de genre, dont on parle souvent ici.
01:45 Donc, l'identité sexuelle, donc l'identité biologique, c'est-à-dire le fait que je
01:50 sois un homme par la nature, ça se voit globalement dans le miroir et on voit une femme, on parle
01:56 en la biologique tout simplement.
01:57 Disons ça ici, ce qui allait de soi pendant des milliers d'années et ce qui, depuis
02:01 quelques années, est plus compliqué.
02:02 Et donc, la drag queen arrive, elle dit non, il y a une dissociation possible, je peux
02:05 être tout autre et je le fais sur le mode de la performance artistique.
02:09 Je suis, donc dans le nouveau débat, dans la révolution diversitaire, donc je parle
02:13 beaucoup le régime diversitaire qui cherche à tout prix à déconstruire toutes les identités.
02:18 Mais la nouvelle identité à déconstruire, c'est l'identité sexuelle.
02:22 Puis dites-vous, le jour où on a déconstruit l'identité sexuelle, il n'y a plus rien
02:25 à déconstruire parce qu'on est rendu à la frontière où tout devient artificiel
02:29 et si tout est artificiel, tout devient manipulable politiquement, manipulable symboliquement,
02:35 manipulable culturellement.
02:37 Alors, je le dis, si la figure de drag queen s'impose dans la culture, la culture populaire
02:42 surtout, on le voit notamment dans le domaine de la chanson.
02:46 C'est assez intéressant de voir aujourd'hui comment le nombre de figures qui émergent,
02:49 qui s'imposent et qui revendiquent justement cette transgression des codes de l'identité
02:54 sexuelle comme, et je ne parle pas de trans ici nécessairement, on est vraiment dans
02:57 un genre qui revendique ce passage d'un code à l'autre et qui en font une fierté,
03:01 c'est-à-dire voilà, je suis ce personnage, mais c'est dans la culture populaire désormais.
03:04 Il y a aussi la question des transactivistes radicaux qui se posent aussi.
03:07 Donc vous avez des émissions de télévision, de mon côté de l'Atlantique, qui mettent
03:11 de plus en plus en scène des drag queens, au point même où Justin Trudeau a accepté
03:16 de participer, Justin Trudeau le premier ministre du Canada, de participer comme un jury dans
03:22 une émission consacrée aux drag queens.
03:25 Je vois votre surprise, je vois votre visage étonné, cher Elliot.
03:27 J'ai manqué ça, effectivement.
03:28 Donc, c'est comme si, on n'y est pas encore en Europe, Mme Mélanie ou M. Macron ou M.
03:37 Scholz, acceptaient de participer, parce que ça participe à leur fonction dans la mise
03:43 en scène de la diversité, à une émission de télé, un gala consacré aux drag queens,
03:48 pour dire qui est le meilleur drag queen ce soir.
03:51 Les festivals se multiplient, donc on voit c'est un phénomène qui s'étend, qui se
03:56 déploie.
03:57 Mais là, on arrive à un moment très particulier.
03:59 Depuis deux, trois ans, je vous dirais, c'est que les drag queens désormais veulent s'imposer
04:03 ou sont invitées, les deux formulations sont adéquates, dans les écoles, et dans les
04:08 écoles devant les enfants.
04:09 Et c'est là que la controverse des jours présents dont je vous parle dans cet édito
04:13 surgit.
04:14 Mais pourquoi?
04:15 Pourquoi, Mathieu, les drag queens s'invitent-elles ou sont-elles invitées dans les écoles?
04:19 Vous connaissez la thèse dans la théorie du genre dont on a souvent parlé, c'est que
04:24 l'identité sexuelle est une construction purement artificielle.
04:27 À la naissance, on ne vous reconnaît pas votre identité sexuelle, on vous l'assigne
04:31 arbitrairement à partir d'un système de représentation du monde binaire qui dévise
04:36 l'humanité en hommes et en femmes.
04:38 Or, il faudrait faire sauter cette assignation autoritaire homme-femme pour permettre à
04:42 l'individu de s'autodéterminer et choisir lui-même, elle-même, y-elle-même, son identité
04:49 de genre.
04:50 Bon, ça c'est la théorie.
04:51 Sur le plan administratif, qu'est-ce qu'on voit?
04:54 On en a déjà parlé ici, en Écosse, en Espagne, il est possible de plus en plus tôt de changer
04:59 son identité de genre à l'état civil sans même avoir connu l'opération de réassignation
05:03 de sexe, de changement de sexe.
05:05 Mais là, pour justement fragiliser l'identité des jeunes générations qui auraient tendance
05:10 à reproduire peut-être un peu trop les préjugés qui consistent à croire qu'un homme est
05:13 un homme et qu'une femme est une femme, eh bien la figure de la drag queen dans les écoles,
05:17 elle est là pour justement déstabiliser l'identité de genre des enfants, pour montrer au plus
05:23 jeune âge possible qu'il est possible justement de ne pas être homme ou de ne pas être femme
05:28 ou d'être autre chose ou d'être entre les deux.
05:31 Donc c'est la version ludique, c'est la version militante ludique de la théorie du genre
05:36 appliquée aux écoles.
05:38 Donc avec l'objectif net de déstabiliser l'identité sexuelle des jeunes dans la construction
05:43 de leur identité, parce qu'on est passé de ce point de vue à une forme de basculement
05:46 anthropologique.
05:47 On considérait autrefois que le rôle de la culture c'était de travailler les prédispositions
05:52 naturelles inscrites en chacun, donc l'homme était travaillé par le masculin, la femme
05:57 par le féminin.
05:58 On comprend l'idée.
05:59 Là on est dans cette idée que plus on est dans l'indéterminé, plus on est dans le
06:02 flou, plus on est dans l'insaisissable, plus on est dans l'hésitant, plus on est dans
06:06 le point d'interrogation, plus on est libre.
06:08 Moins on est déterminé, donc moins on est déterminé par sa culture, sa langue, son
06:12 pays, mais aussi son sexe, plus on est libre parce qu'on peut s'autodéterminer.
06:15 Donc c'est une forme d'identité purement construite.
06:18 Il y a tout ça, alors il y a un élément qui choque évidemment là-dedans, c'est à
06:22 la rigueur.
06:23 On le sait que c'est dans les programmes d'éducation sexuelle aujourd'hui cette idée de déconstruire
06:26 l'identité de genre, c'est dans les programmes en France, c'est dans les programmes en Amérique
06:31 du Nord, l'idée qu'il faut déconstruire l'identité de genre des jeunes, les associations
06:34 militantes qui font l'éducation sexuelle en font la promotion.
06:37 Mais les drag queens ajoutent une dimension à ça, c'est que c'est une figure hyper-sexualisée.
06:42 Et là on quitte le domaine de la théorie, c'est que c'est une figure hyper-sexualisée
06:45 et là on peut se demander s'il est normal que les enfants de 10 ans, de 9 ans, de 8
06:50 ans, de 7 ans, de 11 ans, en fait la liste des enfants bas âge quand même, soient placés
06:54 au nom de la lutte pour la diversité devant des figures hyper-sexualisées, quelles qu'elles
06:59 soient.
07:00 C'est-à-dire, poser cette question-là, c'est pas de l'homophobie ou de la transphobie,
07:03 c'est simplement est-ce qu'il est normal dans la formation psychique d'un jeune homme,
07:06 d'une jeune femme, d'être placé dès 10 ans devant cette version caricaturale, sur
07:12 le mode de la caricature grossière de l'homme qui devient femme.
07:15 Est-ce que c'est normal?
07:16 Ou est-ce qu'on peut pas dire que dans la formation d'un enfant ça devrait arriver
07:19 plus tard, ces questions-là?
07:20 Et c'est là que les tensions arrivent.
07:23 Vous parliez de tensions, mais elles prennent quelle forme, ces tensions?
07:26 Alors elles sont nombreuses.
07:27 Normalement, vous avez le scénario suivant.
07:29 Vous avez une drag queen qui est invitée dans une école pour faire la lecture d'un
07:32 conte, souvent un conte qui est un éloge de la diversité, mais pas seulement, un conte
07:37 aux enfants.
07:38 Et là, vous avez des parents qui sont pas d'accord.
07:41 Donc là, il y a des manifestations de parents devant l'école pour s'opposer à la présence
07:47 de drag queens devant des enfants en bas âge.
07:49 Là, il peut y avoir des tensions parce que quelquefois, il y a la volonté de faire annuler
07:53 la conférence.
07:54 Ça peut même aller quelquefois sur le mode de l'agressivité et de la violence, ce qui
07:57 est toujours condamnable.
07:58 Prenons la peine de le rappeler s'il le faut.
08:00 Donc, on a des parents qui disent « mais on n'accepte pas, laissez les enfants tranquilles,
08:05 laissez les enfants tranquilles, fichez-leur la paix.
08:07 Ils se poseront ces questions-là quand l'âge sera venu, mais est-ce qu'on peut éviter
08:11 de chercher à endoctriner les enfants d'une manière ou de l'autre?
08:13 Comme je dis, il y a des réactions pacifiques et des réactions plus violentes.
08:16 Ça vaut la peine de faire la distinction.
08:18 Le milieu médiatique, toujours aussi sage, toujours aussi fin.
08:22 Comment traite-t-il cette opposition à la présence des drag queens à l'école comme
08:27 la nouvelle marque distinctive de l'extrême droite?
08:30 Eh bien oui, désormais, pour être d'extrême droite, on le voit en Amérique du Nord, si
08:34 vous opposez à la présence des drag queens dans la lecture de « Comptes pour enfants
08:38 à 10 ans », vous êtes d'extrême droite, vous êtes le porteur de la haine, vous êtes
08:43 le porteur de la haine de la diversité au point où en Ontario, en Ontario, c'est
08:47 la province juste à l'ouest du Québec, au Canada, une députée du NPD, le parti
08:53 de gauche radicale, a proposé une loi pour interdire les propos anti-drag queens, qu'ils
08:59 appellent « propos haineux », dans un périmètre en particulier, par exemple quand il y a une
09:02 lecture de « Comptes », et là, vous n'auriez plus le droit de faire des critiques de l'idéologie
09:08 trans radicale, vous n'auriez plus le droit de reprendre probablement les propos, si je
09:11 peux me permettre, de JK Rowling sur l'identité de sexe, l'identité de genre, et si vous
09:17 décidez de parler nécessairement, vous serez jugé au criminel et vous pourriez avoir une
09:21 amende jusqu'à 25 000 $ d'amende pour avoir critiqué la pré-représentation de
09:27 ce spectacle de drag queens d'hommes qui sont « éloignés d'hyper-sexualité pour
09:32 prendre des enfants ». Donc, c'est une logique, le point culminant de cette révolution diversitaire
09:36 dans la question de la représentation de l'identité de genre, désormais, c'est
09:40 l'idée qu'il faut pénaliser les discours qui n'embrassent pas, qui ne célèbrent
09:44 pas, qui n'applaudissent pas cette révolution. Je me suis dit qu'il n'était pas inutile
09:47 de parler à nos téléspectateurs, de dire que ce débat, qui est très très vif en
09:52 Amérique du Nord, s'en vient en France.
09:54 [Musique]
09:56 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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