• l’année dernière
Parlons Vrai chez Bourdin avec Jean Claude Felix-Tchicaya, chercheur à l’IPSE (Institut de Prospective et Sécurité en Europe) au pôle Afrique.

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##MIDI_ACTU-2023-06-07##

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Transcription
00:00 - Jean-Jacques Bourdin. - Revenons sur la situation au Sénégal avec Jean-Claude Félix Tchikaya.
00:04 - Bonjour. - Bonjour.
00:05 - Mais vous êtes chercheur à l'Institut de prospective et sécurité en Europe au Pôle Afrique.
00:09 - C'est ça.
00:10 - Jean-Claude Félix Tchikaya, vous connaissez bien le Sénégal.
00:13 - Très bien. - Alors, le Sénégal est sous tension, on le sait, il y a eu plusieurs morts
00:17 lors de récentes manifestations, d'autres manifestations sont annoncées.
00:21 Le président Makisal, pour l'instant, ne dit rien. Pourquoi, selon vous ?
00:28 - Ce qu'on pourrait dire, là, ça a l'air unanime, en tout cas c'est la quasi-unanimité sur Dakar
00:33 et dans toutes les villes du Sénégal que le président Makisal sidère le Sénégal.
00:39 Il y a plusieurs morts, des édifices, des manifestations, des appels multiples,
00:46 on t'appelle des myriades d'appels, que ce soit de la classe politique,
00:50 même au sein de son parti, pour qu'il puisse prendre la parole.
00:54 Il y a une rumeur qui brise depuis plusieurs mois, voire plusieurs années,
00:58 avec son article assez ambigu, ou presque pas ambigu, si je puis dire,
01:04 sur un troisième mandat, dont il n'a pas le droit de se présenter.
01:08 - C'est ce qu'il reprochait, ce qui est extraordinaire, c'est ce qu'il reprochait au président Ouad.
01:12 - C'est exactement ça. - Et c'est ce qu'il risque de faire.
01:16 Il a battu Ouad, un peu par là-dessus, mais ça a été un argument.
01:21 - C'est un élément qui a été rassembleur.
01:25 En 2011-2012, il était dans la rue de Dakar, M. Makisal,
01:29 ancien président de l'Assemblée nationale et ancien Premier ministre,
01:33 il était dans la rue, il demandait à tous les Sénégalais de descendre dans la rue
01:37 et ne pas céder à une monarchisation de l'État du Sénégal digue, républicaine et démocratique,
01:45 c'est vrai de l'Afrique de l'Ouest et même de tout le continent.
01:47 Il demandait à M. Ouad de ne pas se présenter pour un troisième mandat.
01:53 Il était dans la rue, mais il y a...
01:55 D'ailleurs, le peuple sénégalais, si je pouvais faire de l'humour, demande la vare.
01:59 Et il voit toutes les images de 2011 et de 2012, où il était, casquette même sur la tête,
02:05 chevillé, il traversait tous les artères.
02:08 - Et aujourd'hui, il reste dans l'ambiguïté.
02:11 - Alors, il reste dans l'ambiguïté, mais sauf qu'il est premier garant de la loi suprême au Sénégal.
02:16 Et s'il y a vraiment une parole qui pourrait désamorcer toute cette tension paro-cistique,
02:23 c'est de prendre la parole et dire "je ne comprends pas ces rumeurs".
02:26 Il aurait dû le faire depuis très longtemps, sauf que toutes ces interventions médiatiques,
02:30 malheureusement, accrédites, qu'il va solliciter, briguer un troisième mandat, il n'a pas le droit de le faire.
02:35 - La Constitution le lui interdit.
02:37 - Deux fois de suite.
02:39 - Et le peuple sénégalais, le monde intellectuel, économique, le peuple sénégalais est quasiment...
02:47 - Imaginons Emmanuel Macron disant "je m'assois sur la Constitution et je suis candidat à un troisième mandat".
02:52 - Ça durerait 48 secondes, il serait repris de voler dans son couloir.
02:58 - Or, le Sénégal, je le rappelle, est le pays d'Afrique, c'est un peu l'image démocratique de l'Afrique.
03:05 C'est le pays qu'on met toujours en exergue.
03:08 - Oui, c'est le pays qu'on met en exergue, c'est une digue, on ne veut pas que cette digue saute.
03:14 En Afrique de l'Ouest, il y a déjà beaucoup de problématiques avec des gouvernements qui ont, malheureusement pour certains régimes,
03:21 brigué un troisième mandat, trituré la Constitution et autres coups d'État.
03:27 Donc si la digue démocratique du Sénégal historique cède, c'est comme un phare.
03:35 Même s'il y a déjà eu, même au temps de Senghor, ce type de problématiques en 1963, 1968, dans les années 70, et même il y a deux ans.
03:44 Et puis, Abdoulaye Ouad qui a voulu se présenter, il a appelé le peuple sénégalais à descendre dans la rue pour lui,
03:54 mais personne n'est descendu, il n'était pas un vin dans la rue.
03:56 Et ceux qui étaient dans la rue, c'était en face avec M. Maguissal pour dire de vous présenter.
04:02 - 16 millions d'habitants le Sénégal, je voudrais le rappeler.
04:06 Alors est-ce qu'on peut dire, est-ce que le pouvoir de Maguissal emploie des milices,
04:14 des milices qui descendent dans la rue pour réprimer très violemment les manifestants ?
04:20 - Alors il y a des images, malheureusement, qui viendraient accréditer cette thèse d'énervie,
04:24 qui serait aux côtés des services d'ordre, et puis les autorités disent que non,
04:30 c'est plutôt l'opposition qui... - Les sympathisants d'Ousmane Sonko.
04:36 - Les sympathisants d'Ousmane Sonko et autres. Sauf que ça dépasse l'affaire Ousmane Sonko.
04:40 C'est bien Maguissal qui sidère et qui cristallise et qui polarise le Sénégal aujourd'hui.
04:47 Il suffirait pour désamorcer la tension au Sénégal qu'ils disent "Maintenant je vais respecter la loi suprême,
04:53 j'en suis le premier garant, je ne vais pas fouler et bafouer le droit, je n'ai pas vrillé un troisième mandat".
05:01 - Que dit l'armée et la police aujourd'hui ?
05:04 - Pour l'instant l'armée a été appelée, ce qui d'ailleurs estomaque et contribue à rendre la situation parocystique,
05:13 et dans les rues de Dakar, mais au regard des violences, malheureusement, on pouvait s'y attendre.
05:20 La police était quelque peu débordée, il y a même des policiers qui parfois sont tentés aussi de demander à monsieur Maguissal
05:27 "Mais regardez dans quel état vous nous demandez d'être en face de notre propre peuple"
05:31 et pareil pour les militaires. Donc il y a des pressions de toutes parts à l'intérieur du Sénégal
05:36 qui demandent à monsieur Maguissal, ses ex-premiers ministres, des partisans,
05:41 et puis que ce soit la myriade déjà de candidats pour les prochaines présidentielles,
05:48 que ce soit des femmes ou des hommes, parce que le Sénégal est rempli de compétences politiques qui peuvent prendre le...
05:55 Et puis c'est même pas la question, la question c'est même pas son bilan,
05:59 parce qu'au Sénégal certains vont vous dire qu'il a fait des bonnes choses, d'autres moins,
06:03 d'autres qui vont être peut-être plus caricaturaux vont dire qu'il n'a rien fait,
06:07 mais en tout cas la situation sociale est tendue, économique aussi,
06:10 mais c'est surtout la situation juridico-politique et surtout politique,
06:15 il pourrait... - Bien sûr.
06:18 - Alors Jean-Claude, Félix, Tchékaya, on ne sait pas ce que va faire Maguissal,
06:23 on sait simplement qu'il y a des présidents africains, une délégation de présidents africains
06:28 qui se rendra à Kiev et Moscou la semaine prochaine.
06:31 Est-ce que Maguissal sera dans cette délégation ? Personne ne le sait ?
06:36 - En tout cas... - Vous le savez, à l'Europe ?
06:38 - Oui, on peut dire que son nom est inscrit, il devrait faire partie...
06:43 - Parce qu'il veut jouer l'Afrique à juste raison, pourquoi pas,
06:47 il veut jouer un rôle de médiation entre l'Ukraine et la Russie.
06:50 - Mais les premières réunions de concertation, que ce soit avec Vladimir Zelensky...
06:57 - Volodymyr Zelensky.
06:59 - Voilà, exactement.
07:01 Et Vladimir Poutine, les premières concertations,
07:06 M. Maguissal était président par intérim de l'Union africaine,
07:12 donc là il va revenir en tant que président du Sénégal,
07:15 parce que c'est un pays phare du continent,
07:18 donc il fait partie de ces 7 présidents.
07:22 À l'intérieur, malheureusement, il n'y a pas que des démocrates,
07:24 il y a aussi des 3e mandats,
07:26 mais l'Afrique veut jouer son rôle, ne serait-ce que pour le 1,2 milliards d'Africains,
07:33 et puis il y a des répercussions, un impact, que ce soit sociologique, politique...
07:38 - Alors je voulais vous parler un peu doucement de son co,
07:41 qui lui, on ne sait pas s'il pourrait être candidat ou pas,
07:45 on n'a pas la réponse là.
07:47 - La réponse est un petit peu incongrue, voire absconce, corruption...
07:53 Bon, il a pris 2 ans ferme, donc la sanction, pour l'instant, il n'a pas été arrêté,
07:58 il est comme en résidence, surveillé, ce qui là encore contrevient au droit sénégalais,
08:05 au droit international, à la liberté d'expression et autres.
08:09 Il est dans une résidence surveillée, donc d'ailleurs les manifestants appellent
08:14 à ce qu'il puisse circuler librement, candidater,
08:19 et que les Sénégalais, dans le secret de l'isoloir, puissent voter pour lui ou pour une autre personne.
08:25 - Est-ce que c'est un populiste ?
08:26 - Alors il a eu malheureusement quelques sorties...
08:29 - Par exemple sur l'homosexualité, j'ai vu une sortie, c'est vérifié ça ?
08:33 Il dit "si jamais j'arrive au pouvoir, l'une des premières lois que je prendrai,
08:38 restreindre, condamner l'homosexualité".
08:41 - Alors malheureusement, il s'avérait que ce soit vrai, mais il faut bien dire que
08:45 le continent africain, malheureusement, pour plusieurs régimes,
08:50 criminalise l'homosexualité. L'Ouganda, il n'y a pas deux semaines,
08:56 donc criminalise l'homosexualité avec une peine de mort.
08:59 Donc malheureusement, le continent, et c'est une problématique extrêmement importante,
09:06 est antidémocrate. Alors lui qui fait justement, qui vote le champ
09:10 entre l'incarnation de la démocratie, on ne peut pas être indémocrate
09:16 et contrevenir. Sauf qu'il y a malheureusement beaucoup de personnes
09:21 en Afrique qui ont un regard, qui certains, bien sûr, vont soutenir
09:27 la liberté des uns et des autres sur l'orientation sexuelle,
09:30 et d'autres, elles ne vont pas manifester comme en Ouganda,
09:33 il y a eu très peu de manifestants, alors c'est sûr que c'est un régime
09:37 autocratique et totalitaire, donc notre vision est biaisée,
09:42 mais c'est deux choses à voir. Dans les sociétés civiles,
09:46 c'est une question qui pose question, et il y a des régimes qui malheureusement,
09:51 avec des paroles populistes, peuvent avoir ce type de paroles.
09:55 - Autre populisme, chasser les étrangers.
09:58 J'entends ça chez tous les populistes, il faut chasser les étrangers.
10:01 Est-ce qu'Ousmane Sonko a la volonté de chasser les étrangers,
10:05 notamment parmi les étrangers, les français ?
10:07 Parce que les rapports sont très étroits.
10:09 - Non, dans son programme. D'ailleurs, dans son programme,
10:13 ce dont on discutait juste il y a quelques secondes sur l'homosexualité,
10:17 ne figure pas, ça a été une parole. - Ça a été ajoutée.
10:20 - Mais sur le plan de mettre les étrangers dehors, ça ne figure pas
10:24 dans son programme non plus. Il a un programme, d'ailleurs,
10:28 un projet programmatique politique que beaucoup de Sénégalais,
10:32 pas seulement les jeunes, de toute façon les jeunes, c'est 80% du Sénégal,
10:37 l'âge médian de 19 ans, et 85% des Sénégalais ont moins de 35 ans.
10:44 Donc toutes ces questions, lui va avoir 49 ans en mi-juillet,
10:50 donc toutes ces questions, il est en phase, lui, avec une génération assez jeune,
10:55 mais l'ensemble du continent africain, d'Alger au Cap,
10:59 est jeune majoritairement à 70%. Mais la classe politique africaine
11:04 est la plus vieille du monde. Je ne voue pas les personnes âgées,
11:07 au Gébonie, je n'accorde pas toutes les vertus à la jeunesse,
11:10 mais on peut dire que... - Il y a un paradoxe, un contraste.
11:14 - Son programme ne ressemble pas à certains de ces sorties,
11:20 de ces saïs qui... - Je comprends.
11:22 - Mais ce n'est pas là le problème... - Oui, mais je comprends,
11:27 parce que toute l'Europe s'inquiète, vous travaillez pour une agence européenne,
11:31 toute l'Europe s'inquiète, la France s'inquiète aussi,
11:34 j'ai vu l'inquiétude française, les consulats du Sénégal en France sont fermés,
11:39 il y en a Paris et Bordeaux. - Alors, ce qu'il faut savoir,
11:44 c'est que malheureusement, Bruce, sur les réseaux sociaux,
11:47 comme quoi la France serait impliquée et soutiendrait le silence assourdissant,
11:54 voire coupable, voire responsable du président de la République,
12:00 alors il n'y a pas un sentiment anti-français en Afrique,
12:04 il y a un sentiment anti-politique française à l'égard de la France.
12:09 C'est-à-dire que le français lambda peut circuler, je peux circuler,
12:12 vous pouvez circuler dans tous les pays d'Afrique sans avoir un problème,
12:16 que ce soit de reconduite à la frontière ou dans les rapports sociaux,
12:20 mais en tout cas, sur le plan politique, il y a une hostilité pour revoir,
12:25 et pas seulement dans l'Afrique francophone, mais aussi anglophone et lusophone,
12:28 pour revoir les rapports entre la France politique et le Sénégal,
12:34 et le Sénégal par exemple.
12:36 Et ça, c'est dans le programme de tous les candidats,
12:39 quelle que soit leur bidon, et même M. Macky Sall est déjà intervenu là-dessus,
12:43 et il a d'ailleurs écrit qu'il voulait revoir les rapports,
12:46 parce qu'il trouve qu'il y a une fin de cycle, c'est vrai,
12:49 il y a eu la France-Afrique et autres, et il faut revoir, mais c'est pas...
12:52 - La France qui commence à être, pas chassée, mais très bouc-émissaire
13:00 dans de nombreux pays d'Afrique.
13:02 - Alors bouc-émissaire... - La France ou l'Europe ?
13:05 - Pas l'Europe, il faudrait pas... - Vous travaillez pour l'Union européenne.
13:09 - Il faudrait pas faire croire qu'un milliard, 200 millions d'Africains,
13:14 se soient mués à un racisme.
13:16 Il y a du racisme en Afrique, comme partout, le racisme,
13:18 il n'y a pas d'âge de personne. - Il y a du racisme envers les Blancs,
13:21 il y a du racisme de tous les côtés.
13:23 - Mais là, je vous parle, c'est vraiment une problématique politique.
13:28 Sauf que ce que je crains, une crainte intellectuelle en tant que chercheur,
13:34 c'est que s'il n'y a pas de résolution sur le plan des changements de rapports
13:39 entre la France politique et beaucoup de pays africains,
13:42 et notamment des régimes, qui sont aussi discutés à l'intra,
13:46 il faut se dépêcher de changer de prisme et de paradigme,
13:49 pas seulement sur le plan sémantique, mais aussi en action,
13:52 pour que justement, ça ne donne pas le "là" à ceux qui vont prendre la France
13:56 ou d'autres pays, notamment, qu'on parle de l'Occident,
13:59 alors qu'on parle de l'Occident, c'est très vague,
14:01 souvent, on peut demander la liste de l'Occident,
14:04 mais en tout cas, il y a une volonté de changer les rapports à l'intra et à l'extra,
14:08 et même au sein de la classe politique.
14:10 Il y a aussi des tensions au sein du Parlement sénégalais,
14:15 il y a eu des incidents, mais aussi dans beaucoup de parlements.
14:17 Donc, c'est pas racistique, pas seulement au Sénégal, de ce point de vue.
14:22 - Oui, c'est plus compliqué que...
14:23 - C'est plus complexe qu'un renvoi, c'est vraiment circonscrit à la politique,
14:27 mais on sait très bien que quand c'est circonscrit à la politique,
14:30 il peut avoir, malheureusement, parfois des élans xénophobes ou de rejet,
14:35 mais pour l'instant, tous les Français peuvent, notamment.
14:38 Et puis, il faut savoir que la France reste quand même
14:41 au deuxième rang des investissements derrière la Chine en Afrique.
14:44 - En Afrique, oui. Il faut ne jamais l'oublier.
14:46 Merci beaucoup, Jean-Claude Félix Tchikaya.
14:50 Merci d'avoir été avec nous ce matin, 12h27, André Bercov.

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