• l’année dernière
Parlons Vrai chez Bourdin avec Pierre Bentata, professeur d’économie, auteur de “Tous notés  !” (Editions de L’Observatoire).

Retrouvez Parlons Vrai chez Bourdin du lundi au vendredi de 10h30 à 12h30 sur #SudRadio.
---
Abonnez-vous pour plus de contenus : http://ow.ly/7FZy50G1rry

———————————————————————

▶️ Suivez le direct : https://www.dailymotion.com/video/x75yzts
Retrouvez nos podcasts et articles : https://www.sudradio.fr/

———————————————————————

Nous suivre sur les réseaux sociaux

▪️ Facebook : https://www.facebook.com/SudRadioOfficiel
▪️ Instagram : https://www.instagram.com/sudradioofficiel/
▪️ Twitter : https://twitter.com/SudRadio
▪️ TikTok : https://www.tiktok.com/@sudradio?lang=fr
———————————————————————

☀️ Et pour plus de vidéos Parlons vrai chez Bourdin : https://www.youtube.com/playlist?list=PLaXVMKmPLMDQkzX4JBcyhPDl9yzBynYbV

##MIDI_ACTU-2023-03-22##

Category

🗞
News
Transcription
00:00 - Sud Radio Parlons Vrai chez Bourdin, 10h30, midi 30, Jean-Jacques Bourdin.
00:06 - Notre invité Pierre Bentata qui est professeur d'économie,
00:09 auteur de "Tous notés" aux éditions de l'Observatoire. Bonjour.
00:12 - Bonjour.
00:13 - Merci d'être avec nous. Alors j'ouvre votre livre, l'avant-propos, la page 12, et je lis, et je lis.
00:20 Tout, je commence plus haut, la possibilité de tout évaluer a fait entrer la société dans l'ère de la notation.
00:29 Tout pouvant faire l'objet d'une note supposée objective,
00:33 une habitude s'est développée qui est devenue une norme, celle de juger.
00:38 Étoiles et likes sont devenus les métriques à la lumière desquelles chacun hiérarchise les choses et les personnes.
00:45 Sans qu'on s'en aperçoive, l'introduction et la diffusion de ces outils techniques
00:50 ont changé la culture au sens large, le rapport aux choses, aux autres et à soi.
00:55 Tous notés, voilà, vous avez résumé. Tous notés.
00:59 C'est vrai qu'aujourd'hui, c'est une, je dirais, une manie. Non ?
01:03 - Oui, oui, c'est ça, c'est devenu une habitude et à bien des égards, c'est une addiction.
01:07 - C'est une addiction ? C'est-à-dire qu'on note, on note un restaurant, on note un hôtel, on note, je sais pas, un médecin,
01:14 on note un prof, on note, on note, on note, on note.
01:17 - On note une cathédrale ou des montagnes.
01:19 - Une cathédrale ? On note ? Non, c'est vrai ?
01:21 - Oui, on note des montagnes, vous les avez, elles sont, toutes les montagnes de France sont notées sur Google, si vous voulez aller voir.
01:26 - Ah bon, d'accord. C'est-à-dire qu'on va sur le net, on va sur Google ou ailleurs, et on regarde les notes.
01:32 - Oui, oui, si vous cherchez celle qui est à côté de chez moi, la Sainte-Victoire, elle a 4,7 étoiles, donc c'est une bonne montagne.
01:37 - Ah bah oui, mais c'est beau la Sainte-Victoire, il faut dire. Donc la Sainte-Victoire est bien notée.
01:41 Donc nous, les objets sont notés, les lieux sont notés, et nous sommes, nous les humains, notés aussi.
01:49 - C'est ça. - Et on se note même, en fait, on se note nous-mêmes surtout.
01:53 - Oui. - Et c'est là où ça devient un peu pervers.
01:56 - C'est-à-dire ? - C'est que la multiplication de nos applications d'auto-surveillance ou de suivi,
02:00 celles qui vous aident à vous dire ce qu'il faut que vous mangiez, combien d'heures vous devez dormir,
02:03 est-ce que vous avez bien couru aujourd'hui, elles sont en réalité que des indicateurs de performance,
02:07 où là aussi, c'est la machine qui va vous dire quelle est votre note et donc à quel point vous allez bien aujourd'hui.
02:13 - Oui, on s'auto-évalue, quoi. - En permanence ?
02:15 - En permanence. Effectivement, est-ce qu'on a bien couru, est-ce qu'on a fait suffisamment de pas dans la journée ?
02:21 Est-ce que... Non mais c'est... Mais non, mais c'est quoi ? C'est une...
02:25 Oui, vous dites... Vous dites... Non, non, vous dites c'est... C'est addictif.
02:30 Oui, c'est addictif. Tiens, on va prendre Arnaud, tout de suite. Vous allez voir ce qu'il va dire.
02:35 Arnaud est à Torcy, en Seine-et-Marne. Bonjour Arnaud.
02:38 - Bonjour. - Bonjour, vous êtes conseiller en gestion du patrimoine.
02:41 - Oui, absolument. - Ça va très bien, Arnaud. Je suis content que vous êtes auditeur de Sud Radio, Arnaud.
02:45 - Oui, fidèle, absolument. - Bon, et bien ça me fait plaisir.
02:49 Ça me fait plaisir d'être avec vous. Vous trouvez ça bien, vous, qu'on puisse donner des notes ?
02:53 - Par expérience, pour avoir fait intervenir, comme chacun, plusieurs professionnels,
02:59 que ce soit à son domicile, pour différents travaux, que ce soit pour des prestations, quelles qu'elles soient.
03:06 Le problème, c'est qu'on a un certain manque de professionnalisme, je trouve, qui a tendance à se généraliser.
03:12 Et du coup, le fait d'être noté, oui, bien sûr, ça a un côté pervers,
03:17 parce qu'on se fait déceler très très vite lorsqu'on manque de professionnalisme.
03:22 Mais justement, autant par contre, quand on est sûr de soi, qu'on s'implique dans sa tâche au quotidien,
03:28 qu'on essaye de faire un bon boulot, un bon travail,
03:31 à ce moment-là, on n'a absolument pas de crainte à avoir quant à une notation du grand public, si je puis dire.
03:37 Au moins, ça permet aux particuliers, ça permet aux professionnels qui font intervenir d'autres professionnels
03:44 pour des prestations quelles qu'elles soient, de savoir un petit peu ce que les autres personnes ont vécu
03:49 comme expérience avec ces professionnels, et du coup, s'assurer d'une certaine fiabilité derrière.
03:54 - Merci Arnaud pour ce témoignage. La note a du bon ?
03:57 - Oui, oui, Arnaud a pas tort du tout, et c'est ce qui explique pourquoi ça s'est démocratisé.
04:02 C'est qu'au départ, c'est très utile, pour les deux raisons qu'il a évoquées.
04:05 La première, c'est que quand vous êtes en ligne, il y a tellement de choix possibles, tellement d'opportunités,
04:10 qu'il n'y a aucun autre moyen d'avoir de l'information que de s'en remettre à l'expérience des autres,
04:14 et aux avis des autres utilisateurs. Et ces petites notes, elles vont synthétiser ça.
04:18 Donc c'est pour ça que ça a été utilisé au début, c'est pour ça qu'on continue à l'utiliser,
04:22 et il a raison, ça discipline aussi les comportements, c'est vrai.
04:25 Tant qu'on n'avait pas ces phénomènes de notes, c'était très dur d'appeler un service après-vente d'une entreprise
04:30 pour se plaindre, parce qu'ils s'en fichent. Là, le fait que la note soit virale, et qu'elle crée un effet boule de neige,
04:35 fait que tout de suite vous êtes rappelé, et qu'on arrange certains problèmes.
04:38 - Ça peut avoir un côté pervers, par exemple le nombre de followers.
04:42 - En fait, ça a de nombreux effets pervers. - Voilà, de nombreux effets pervers.
04:46 L'importance des sondages, aussi. - Oui, oui, ça a un effet positif,
04:51 et c'est pour ça que je trouvais intéressant de travailler sur ce sujet,
04:53 c'est que si ça n'avait que des effets pervers, on pourrait dire "interdisons ça".
04:56 Le problème, c'est que c'est utile, c'est presque indispensable sur le web.
04:59 Mais il y a des contreparties, et vous avez raison, une contrepartie d'abord,
05:02 c'est qu'il y a un sentiment de défiance qui s'installe, vous avez toujours peur d'avoir une mauvaise note,
05:06 et donc vous allez continuer à bien vous comporter avec d'autres gens, peut-être mieux qu'avant,
05:10 mais pas pour les mêmes raisons. Ce ne sont plus parce que ce sont vos égaux,
05:13 ou parce que vous considérez que ces gens ont une humanité particulière,
05:17 mais parce que vous craignez qu'ils vous mettent une mauvaise note.
05:19 Et la deuxième chose, vous avez raison, c'est le fait que le chiffre finisse par remplacer
05:23 tout ce qui se vit normalement sur le mode littéraire.
05:25 Et notamment le fait que la crédibilité, elle remplace la vérité,
05:29 et que la crédibilité, elle se mesure à l'aune de vos followers.
05:31 Ça, c'est un problème.
05:32 - Oui. Nous jugeons, nous jugeons à travers ces notes,
05:36 mais nous craignons aussi d'être jugés.
05:38 - Ah bah oui, c'est sûr, c'est une arme à double tranchant.
05:40 - Et oui, c'est ça le problème.
05:42 - Et sur les réseaux sociaux, cette arme à double tranchant,
05:44 elle est en fait quasiment inévitable.
05:48 Parce que pour vivre sur les réseaux sociaux et pour avoir un impact,
05:50 il faut bien que vous agissiez.
05:52 Mais pour agir, il faut que vous jugiez.
05:53 Et si vous jugez, vous prêtez le flanc au jugement des autres.
05:55 - Non mais Pierre Bentata, autre effet pervers,
05:58 la volonté de détruire une réputation.
06:00 - C'est possible.
06:01 - On peut avoir aussi la volonté de détruire une réputation.
06:04 En mettant une mauvaise note.
06:06 Alors qu'on n'a aucune raison de mettre une mauvaise note.
06:09 - Et parfois, on a même des effets encore plus absurdes.
06:12 On s'aperçoit que les gens qui notent le plus mal, par exemple,
06:14 les grandes entreprises, quand elles sortent un nouveau produit,
06:17 ce sont souvent des gens qui se considèrent eux-mêmes
06:19 comme ambassadeurs de la marque.
06:21 Ils l'aiment beaucoup, mais pour avoir l'air crédible,
06:23 ils vont être beaucoup plus sévères que la plupart des gens.
06:25 Et donc on a tous ces phénomènes imbriqués
06:27 qui font qu'il faut prendre les notes avec recul.
06:31 Parce qu'elles ont beaucoup d'effets pervers
06:33 et on a du mal à comprendre ce qu'elles veulent dire.
06:35 - Alors, je me pose la question que vous posez d'ailleurs dans votre livre.
06:38 Pourquoi avons-nous ce besoin de juger ?
06:42 Pourquoi est-ce que nous avons ce besoin ?
06:45 - D'abord, il y a beaucoup d'expériences en neurologie
06:48 qui nous montrent que ça a un effet qui est vraiment addictif.
06:50 C'est-à-dire que quand vous notez,
06:52 quand vous avez ce petit cœur ou cette étoile qui vous tend les bras,
06:56 vous sécrétez de l'endorphine et de la dopamine.
06:58 On a fait des expériences, on voit que c'est la même chose
07:00 que quand on montre à quelqu'un qui est drogué
07:02 la rue par laquelle il passe pour aller voir son dealer.
07:04 Donc, il y a vraiment quelque chose de l'ordre de l'addiction.
07:07 Donc, on aime d'abord juger parce que ça nous excite, ça nous fait du bien.
07:11 Et puis, la deuxième chose, c'est que c'est quasiment nécessaire
07:14 si vous voulez exister dans un monde où votre crédibilité,
07:17 votre notoriété, votre importance,
07:19 elle dépend en fait de ces petits indicateurs qui sont très viraux
07:22 et qui sont les seules choses qu'on observe.
07:24 Donc, nécessairement, vous le voyez par exemple sur Twitter,
07:27 il faut que vous soyez toujours dans la critique.
07:29 Le jugement permanent est quelque chose qui en fait vous satisfait
07:32 et vous permet d'exister. Sinon, vous n'êtes rien sur ce monde.
07:35 - C'est-à-dire qu'on prend plus de plaisir à noter mal qu'à noter bien.
07:39 - Ah oui, et on prend surtout plus de plaisir à noter
07:41 plutôt qu'à se taire et à prendre.
07:43 - Oui, ça c'est quand même...
07:45 - On a besoin. N'est-on plus capable d'accepter le monde tel qu'il est
07:49 ou faut-il sans arrêt juger ?
07:51 - C'est tout le problème.
07:53 C'est ce que j'observe, c'est que finalement,
07:57 comment faire pour ne pas évaluer ?
07:59 Il faut arriver à se demander un peu de temps en temps
08:01 "Mais pourquoi là, j'évalue de cette façon ?
08:03 Et pourquoi en fait, il n'y a que les commentaires négatifs
08:05 ou les notes négatives qui reviennent ?"
08:07 Et ça, c'est vrai que c'est une pulsion qui vient de très loin.
08:10 En réalité, c'est un refus des choses telles qu'elles sont.
08:12 - Pardon, c'est une tromperie sur Internet.
08:14 Il y a des quantités de notes qui sont mises
08:18 par celui qui est jugé, justement.
08:21 Ou par... Vous voyez ?
08:23 - Oui, il y a ces deux choses.
08:24 - C'est une tromperie.
08:26 - C'est en partie trompeur.
08:28 On nous a appris à noter une expérience utilisateur.
08:31 Et donc, vous notez une expérience générale.
08:33 Mais comme on n'a pas la même compréhension
08:35 de ce qu'est cette expérience générale,
08:37 les notes qui se combinent ne veulent pas dire grand-chose.
08:39 Quand vous notez un médecin, typiquement,
08:40 puisque c'est le cas de plus en plus,
08:42 qu'est-ce que vous notez ?
08:43 Vous ne pouvez pas noter sa compétence,
08:44 puisque par définition, si vous ne la viez,
08:46 vous ne seriez pas le chef de médecin.
08:48 Donc, vous notez autre chose.
08:49 Certaines notes, la propreté, les échafaudages autour,
08:52 est-ce qu'il a été ponctuel ?
08:54 Et puis surtout, est-ce qu'il vous donne des médicaments ?
08:56 En ce sens, c'est assez trompeur.
08:58 - Et dangereux !
09:00 - Ce qui est dangereux, c'est qu'on a des expériences
09:02 qui nous montrent qu'on a beau ne pas y croire,
09:04 lorsque la note est là, on y fait attention.
09:07 - Oui, on y fait attention.
09:08 - Et puis, il y a un autre phénomène,
09:10 c'est qu'on participe.
09:12 Alors là, cette volonté de participer,
09:14 d'exister, en quelque sorte,
09:16 c'est presque... Noter, c'est exister.
09:19 - Oui, noter, oui, c'est une partie de votre engagement
09:22 et de ce que vous allez être,
09:24 au regard des autres, sur les plateformes,
09:26 et notamment sur les réseaux sociaux.
09:28 - Alors, vous parlez aussi des conséquences des notes.
09:31 Parce que ça change le comportement.
09:33 - Oui, ça change.
09:34 Ça change plusieurs choses.
09:35 D'abord, dans vos relations, dans vos interactions,
09:38 il y a davantage d'hypocrisie qui se met en place,
09:40 et davantage de crainte, puisque tout le monde est un courtisan et un juge.
09:43 - Évidemment.
09:44 - Et dans votre rapport à vous-même,
09:46 toutes ces applications qu'on appelle de performance,
09:48 ou d'autosurveillance, ou de suivi,
09:50 elles vous font aussi penser que pour atteindre le bonheur,
09:52 il suffirait d'optimiser certaines caractéristiques techniques de votre être.
09:56 Bien dormir, bien manger, bien courir.
09:59 Si bien que, finalement, ça crée une sorte d'aliénation aussi.
10:02 Vous comprenez qui vous êtes
10:04 par l'intermédiaire de l'algorithme qui, sur votre smartphone,
10:07 vous a expliqué comment améliorer vos performances.
10:09 Donc, votre "moi", d'une certaine manière,
10:11 il est dans les données qui sont agrégées
10:13 avec les autres utilisateurs des mêmes applications.
10:15 - Alors, pour boucler la boucle, vous parliez des montagnes.
10:18 Noter une montagne, c'est évaluer le réel, dites-vous.
10:21 Expliquez-nous.
10:22 - Parce que quand vous évaluez quelque chose,
10:24 nous, quand on le fait à l'université,
10:26 il faut bien qu'on ait un critère.
10:28 Et donc, quand vous notez une copie,
10:29 vous avez en tête la copie parfaite.
10:31 Et déjà, c'est très difficile d'évaluer qu'est-ce que c'est que la perfection,
10:34 pourquoi votre étudiant ferait bien ou pas bien.
10:36 Donc, globalement, on va comparer nos étudiants.
10:38 Mais quand vous notez une montagne,
10:40 ça veut dire que vous notez, d'une certaine manière,
10:42 l'auteur de la montagne,
10:43 par rapport à l'image que vous feriez d'une montagne parfaite.
10:45 Donc, en fait, vous critiquez simplement la réalité telle qu'elle est.
10:48 Cette montagne n'aurait pas dû être telle qu'elle est,
10:50 elle ne me plaît pas.
10:51 - Oui, l'évaluation ne dit rien de la montagne.
10:54 - Non, elle en dit beaucoup sur nous.
10:55 Elle en dit sur notre adéquation avec le monde tel qu'il est.
10:57 - Voilà.
10:58 C'est tout le problème, c'est le fond de votre livre d'ailleurs.
11:01 Cette réflexion autour de la note et autour de l'évaluation.
11:06 - Oui, c'est ça.
11:07 Moi, j'en viens à me dire que la note, peu importe le contexte,
11:10 en dit beaucoup plus sur nous-mêmes
11:11 et que parfois, on ferait mieux de ne pas en dire trop sur nous-mêmes.
11:14 - Merci Pierre Bentata.
11:16 C'est très intéressant, je vous le dis.
11:17 Tous notés aux éditions de l'Observatoire.
11:20 Merci.
11:21 C'est l'heure d'André Bercoff.

Recommandations