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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 9 Novembre 2023)
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00:00 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:05 Le prix Goncourt est tombé avant-hier et maintenant que vous savez ce que vous allez
00:11 offrir à Noël, on va s'intéresser à ce secteur de l'édition, comprendre comment
00:17 les prix pèsent sur ce secteur en compagnie d'un éditeur, Laurent Beccaria, bonjour.
00:24 Vous êtes directeur des arènes et de l'Iconoclast.
00:26 C'est donc la maison d'édition qui a publié Jean-Baptiste Andréa, qui a donc obtenu
00:34 le prix Goncourt avec Veillée Surel.
00:36 À côté de vous, Raphaël Léris, bonjour Raphaël.
00:39 Vous êtes journaliste au Monde des Livres et vous allez avoir une lourde tâche Raphaël
00:44 puisque je vais vous demander de nous parler de ce prix Goncourt et puis peut-être aussi
00:49 des trois autres livres qui étaient en lice pour l'obtention de ce prix.
00:53 Je pars sous le contrôle de Laurent Beccaria, c'est terrible comme un terreau.
00:58 Veillée Surel est le quatrième roman de Jean-Baptiste Andréa qui est arrivé en littérature
01:03 en 2017 avec la création de l'Iconoclast Littérature.
01:08 C'est un grand roman d'imagination qui s'étire sur près de 80 ans et qui retrace
01:16 un amour fou d'un homme pour une femme, un amour platonique, un amour qui se nourrit
01:21 d'art, qui tourne beaucoup le livre autour de la figure d'une piéta.
01:26 C'est un grand roman d'imagination, un grand roman classique qui ne prétend pas
01:33 à l'avant-garde de l'écriture.
01:35 C'est un beau roman Goncourt qui a été célébré.
01:40 Les trois autres concurrents, il y avait Triste Tigre de Neige-Sinault publié chez
01:46 POL.
01:47 Triste Tigre c'est un peu la révélation de la rentrée, c'est le troisième texte
01:50 de Neige-Sinault.
01:51 C'est un livre autour de l'inceste que lui a infligé son beau-père quand elle
01:55 était enfant, puis adolescente.
01:57 C'est un texte d'une puissance et d'une intelligence assez rare.
02:01 Un très très beau livre qui a eu le Fémina lundi.
02:06 Et alors lorsqu'on a le Fémina, généralement on n'a pas le Goncourt ?
02:09 Alors je ne suis pas complètement Goncourologue, néanmoins je sais qu'il y a un précédent
02:14 peut-être, il y a un précédent de livres qui avaient déjà eu un prix antérieurement
02:19 comme le Fémina avant d'avoir le Goncourt.
02:21 Mais enfin généralement l'un exclut l'autre.
02:24 Généralement on évite, c'est une mauvaise manière à faire au libraire en fait.
02:27 Je crois que c'est le testament, c'est en Maïkine qui avait eu le prix de la Canine
02:32 française juste avant.
02:33 Et qui avait obtenu malgré tout le prix Goncourt.
02:36 Donc ça c'était le deuxième livre.
02:39 Ce troisième livre il y avait un ouvrage d'Éric Rénard.
02:41 Voilà, Sarah Suzanne est l'écrivain qui était un texte enchâssé, un texte gigogne
02:47 autour d'une femme qui se confie à un écrivain, lequel écrivain reçoit ses confidences et
02:52 en retour lui dit ce qu'il en ferait d'un personnage.
02:54 Suzanne s'il plaquait sur elle la vie de Sarah mais aussi s'il s'autorisait l'imaginaire
03:00 autour.
03:01 Donc c'est un texte très joueur, en même temps assez tragique puisque la vie de cette
03:07 femme est assez chargée en émotions douloureuses.
03:11 Voilà donc ça c'était Sarah Suzanne l'écrivain chez Gallimard.
03:14 Et puis enfin le quatrième concurrent.
03:15 Humus de Gaspar Koenig à l'Observatoire qui est une fable écologiste et je l'avoue
03:22 je ne l'ai pas lu donc je vais m'arrêter là.
03:24 Laurent Beccaria, c'est à la fois j'imagine une joie d'avoir ce prix Goncourt pour
03:30 Jean-Baptiste Andréa Veillé-Surel.
03:32 C'est aussi une forme de tristesse j'imagine puisque l'Iconoclast c'est la maison d'édition
03:37 qu'avait fondée votre femme Sophie de Sivry qui est décédée.
03:41 Je ne sais pas j'aimerais voir votre…
03:45 Sentiment je ne sais pas trop comment vous poser cette question.
03:47 C'est à dire qu'il y avait une incroyable joie collective de toute une maison parce
03:52 que c'est 70 personnes qui œuvrent quotidiennement pour les maisons d'édition et donc elles
04:00 étaient toutes rassemblées.
04:02 Il y en a même qui sont arrivées dans le train de l'après-midi etc. pour se retrouver.
04:05 Il y a tous les auteurs et les autrices de la maison qui se sentaient aussi pris dans
04:10 cette histoire donc c'était de joie collective et puis c'était une tristesse personnelle,
04:15 une cruauté.
04:16 C'était très cruel de vivre cette belle nouvelle alors que Sophie n'est plus là
04:21 et puis avec le fil de la journée la joie a irradié tout et nous a tous irradié parce
04:27 que c'est une espèce de joie pure.
04:29 Et alors donc c'est Sophie de Sivry votre épouse qui avait travaillé sur ce livre.
04:34 Vous n'avez pas eu à travailler ?
04:35 Non en fait Sophie et moi on était deux maisons.
04:39 On était ensemble associées pour l'ensemble du groupe mais chacun avait son espace.
04:43 Mais moi j'ai été associée à sa première lecture parce qu'on était en voyage au
04:47 Japon et elle avait pris le manuscrit et je me rappelle elle faisait des bons sur sa
04:53 chaise et elle m'en lisait des extraits.
04:55 Elle me disait regarde comme c'est formidable et tout.
04:56 Il faut absolument que j'appelle mais en fait avec le décalage horaire il était 3h
04:59 du matin en France ou 4h je ne sais plus.
05:01 Donc je l'ai empêchée d'appeler et elle était fébrile jusqu'à 8h parce qu'elle
05:06 dit quelqu'un d'autre va le prendre.
05:07 Et en fait il avait déjà essuyé 10 refus de maison d'édition, je crois une dizaine.
05:11 Pourquoi ?
05:12 Parce que vous savez un texte c'est une rencontre entre une personne et un texte,
05:18 enfin un livre c'est une rencontre entre une personne et un texte et c'est un moment
05:22 magique.
05:23 C'est quelque chose de… ça se prend ou ça ne se prend pas.
05:27 D'ailleurs vous en tant que lecteur vous avez cette expérience.
05:29 Il y a des livres formidables dont tout le monde vous parle, des classiques, vous n'arrivez
05:32 pas à passer 20 pages.
05:34 Et puis d'autres, c'est vos livres fétiches mais voilà.
05:37 Un éditeur c'est pareil.
05:38 Et alors elle a beaucoup retravaillé avec Jean-Baptiste Ancourt ?
05:40 Non elle a beaucoup parlé avec lui parce que ce n'est pas un auteur qui travaille,
05:43 enfin qui travaille avec son éditeur.
05:45 Il travaille énormément les textes et justement ils arrivent très construits donc ils ont
05:49 des discussions.
05:50 Mais c'était un peu son auteur, c'était l'auteur du premier premier roman de l'iconoclaste,
05:58 en tout cas de romancier pur.
06:00 Et après il a grandi avec la maison et la maison a grandi avec elle.
06:04 Parce que Sophie était déjà une femme d'expérience, elle avait plus de 50 ans quand
06:10 elle s'est lancée en littérature.
06:11 Et ce qui était merveilleux chez elle c'est que c'était une jeune éditrice de 60 ans
06:16 parce qu'elle avait cette espèce d'énergie et de fougue de quelqu'un qui débute mais
06:20 en même temps avec de l'expérience.
06:21 Laurent Beccaria, est-ce qu'on peut se dire en tenant donc un roman, on a le prix Goncourt
06:27 de l'an prochain ?
06:28 Non.
06:29 Alors c'est très étonnant, c'est les autres qui vous le disent.
06:32 C'est-à-dire qu'on savait qu'on avait un texte qui était formidable, je me rappelle
06:37 les réunions de représentants, Sophie était malade donc je l'avais assuré.
06:41 Et il y a une représentante qui a dit "ça c'est un Goncourt" et tout le monde riait.
06:45 Parce que une maison comme nous, Goncourt c'est complètement, c'est le Graal.
06:48 Et puis après on a dit "mais peut-être un prix" et on a appris durant l'été qu'il
06:54 allait avoir le prix du roman Fnac.
06:56 Puis on a eu des retours…
06:58 Qui est important parce que c'est la prise des lecteurs et des libraires.
07:01 Vous avez en fait dans les prix, vous avez les cinq grands prix d'automne et puis vous
07:04 avez cinq prix assez importants de libraires et de lecteurs.
07:08 Dont le prix du livre Inter, le prix Fnac, le prix RTL lire.
07:12 Et oui, et justement Raphaël Léris, l'une des caractéristiques de ce livre c'est qu'il
07:18 avait déjà été largement vendu avant d'obtenir le prix Goncourt, ce qui est un signe que
07:24 le grand public l'appréciait.
07:26 Ce qui est un signe que le grand public l'appréciait et c'est aussi un signe je pense qui a un
07:32 petit peu intéressé les Goncourt, les jurés.
07:35 Ça n'est pas aller contre…
07:37 Laurent Beccaria fait des mouvements…
07:38 Ça n'est pas démentir la force du texte.
07:40 Dans l'histoire du prix, en fait, il est assez rare qu'un livre qui est déjà un
07:46 succès soit couronné.
07:48 Il y a toujours un mouvement.
07:51 Vous regardez, on a des espèces de chiffres qui sont des sorties de caisse GFK et sur
07:56 les 15 dernières années, il n'y avait qu'un livre qui était déjà à plus de 40 000
08:01 exemplaires déjà vendus qui a eu le prix Goncourt, c'était le livre de Jean-Paul
08:05 Dubois.
08:06 Les autres étaient entre 6000 et 15 000.
08:08 C'est vraiment un effet.
08:11 C'est assez rare.
08:12 Au contraire, même si ça va contre, et pour avoir parlé aux membres du jury après, ça
08:16 a été un des éléments qui étaient contre le livre.
08:18 C'est-à-dire qu'il n'a pas besoin de nous.
08:20 Laurent Beccaria, et on murmure aussi, je me tourne vers Raphaël Léris, que les deux
08:25 derniers Goncourt n'ont peut-être pas obtenu les ventes escomptées.
08:30 Et c'est important qu'un prix se vende parce que c'est aussi une manière, d'une
08:34 part, de faire fonctionner le secteur et d'autre part, que les libraires aient confiance dans
08:38 le prix.
08:39 Oui, bien sûr.
08:40 Les Goncourt ont une marque à défendre.
08:42 Par ailleurs, quand vous dites qu'il ne s'était vendu qu'entre 6000 et 15 000 exemplaires,
08:46 nous sommes désormais dans un secteur où 15 000 exemplaires, c'est du sérieux.
08:49 On parle d'un best-seller.
08:50 Je suis d'accord, mais vous prenez « Triste Tigre » et enfin, je ne veux pas revenir
08:55 là-dessus, c'est intéressant, mais « L'anomalie », qui est le record des dernières
09:00 années, il était à 15 000 exemplaires au moment où il a reçu le prix.
09:04 Il s'est passé à un million.
09:05 Et vous savez, même si c'est un secteur difficile, l'édition littéraire, vous
09:09 avez plus de livres.
09:10 Le livre de Storch à Londons est déjà à 70 000 exemplaires.
09:13 Il n'était pas dans la plus neige.
09:14 Je sais, mais il l'aurait pu.
09:15 « Neige Sino » était à peu près au même niveau.
09:17 Je crois que c'est l'histoire de… ça se joue, mais ce n'est pas capital.
09:23 Raphaël Léris, malgré tout, ça signe donc un ouvrage qui est un ouvrage apprécié
09:29 par le public, qui n'est pas un ouvrage difficile et qui, par conséquent, on peut
09:35 imaginer qu'il aura une grande carrière.
09:38 Qu'il aura une grande carrière, une large audience.
09:41 Je pense que les concours sont très heureux de récompenser une maison d'édition indépendante
09:47 qui a remarqué aussi leur indépendance face aux grandes maisons d'édition.
09:51 Il a été souligné de manière un peu perfide qu'il y avait huit titres du groupe Madrigal
09:57 dans la première sélection, donc qui comptaient 15 textes.
09:59 Alors là, il faut faire de l'explication de textes.
10:02 Madrigal, qu'est-ce que c'est ?
10:03 C'est le groupe Gallimard, pour aller vite.
10:05 Donc il y a Flammarion, P.O.L., Les Éditions de Minuit qui le comptent.
10:10 Il ne s'agit pas du tout de dire que c'est une manière de…
10:15 Dites-moi ce qu'il ne faut pas dire, je vais essayer de le dire moi.
10:18 Non, non, pas du tout.
10:19 Mais je pense que ça leur fait plaisir aussi à la fois de récompenser un texte qu'ils
10:23 aiment et en même temps de marquer qu'ils peuvent faire autre chose que ce dont on les
10:27 refuse.
10:28 Alors attendez, parce que moi je vais dire ce qui se murmure dans le milieu.
10:29 D'un côté l'iconoclaste est une petite, je mets ça entre guillemets, mais son édition,
10:34 je le mets entre eux.
10:35 Petite parce que c'est une vingtaine de livres par an.
10:36 Donc ce n'est pas…
10:37 Mais bon, il y a quand même des cavalcades de livres.
10:39 Un certain nombre de salariés.
10:40 De l'autre, évidemment, les commentaires perfides de vos concurrents, Laurent Beccaria,
10:45 disent que derrière vous il y a Editis.
10:47 Et il faut nous expliquer pourquoi il dit ça.
10:49 Oui, parce qu'ils sont un accélère minoritaire et qu'ils nous distribuent.
10:53 Mais Editis, alors là, est complètement en dehors de toute cette histoire de prix.
10:58 Puisque pour l'influence que l'on prête aux maisons d'édition, et ce sont les jurés
11:04 de prix littéraires, ce sont des romanciers et des romancières.
11:07 Et les romanciers et les romancières, ce ne sont pas des journalistes.
11:10 Ce ne sont pas des libraires, ni des lecteurs.
11:13 Et donc, ce sont des positions acquises.
11:16 Vous êtes élu à un jury, puis vous restez des années.
11:20 Et donc, on a l'impression que les maisons d'édition, c'est comme une Kazakh.
11:23 Kazakh bleu, Kazakh vert, etc.
11:25 Vous appartenez.
11:26 Ce qui n'est pas tout à fait le cas, mais qui contribue à votre influence.
11:30 Et là-dedans, il n'y a aucun membre du jury de concours qui est lié à Editis.
11:36 Ils sont liés soit à Chet, soit à Grincé.
11:39 Vous nous le promettez ou pas ? Vous ne voulez pas le promettre ?
11:43 Je vous le promets à fond.
11:44 On va en reparler dans une vingtaine de minutes.
11:45 Je vais vous cuisiner à nouveau tout à l'heure.
11:48 Même sous la torture, vous n'aurez rien, parce que c'est la vérité.
11:50 Je vais vous faire boire du café.
11:52 En revanche, ça sera à peu près la même chose.
11:54 On se retrouve dans une vingtaine de minutes.
11:56 Laurent Beccaria, directeur des Arènes et de l'Iconoclast.
11:59 Vous avez donc obtenu le prix concours cette année avec Jean-Baptiste André Aveillé-Surel
12:04 chez l'Iconoclast.
12:05 Raphaël Léris, journaliste au Monde.
12:08 6h39, les matins de France Culture.
12:14 Guillaume Erner.
12:15 La littérature, c'est aussi un secteur, un secteur économique, le secteur des maisons
12:21 d'édition.
12:22 Et on dit souvent que la différence entre une maison d'édition et le mur des lamentations,
12:27 c'est que dans une maison d'édition, il y a quatre murs.
12:29 Laurent Beccaria, vous êtes éditeur, directeur des Arènes et de l'Iconoclast.
12:34 Raphaël Léris, journaliste au Monde des Livres.
12:36 C'est vrai que les éditeurs se plaignent souvent, Raphaël Léris.
12:40 Ils se plaignent souvent.
12:41 Alors, il s'était un petit peu moins plein en 2020-2021, puisque la littérature a été
12:47 en partie une gagnante du Covid.
12:49 Puisque comme on ne pouvait plus faire grand-chose d'autre, sortir de chez soi, on a redécouvert
12:53 le bonheur de la lecture.
12:55 2022 a été un retour à une situation antérieure, un tout petit peu améliorée si je me fie
13:04 aux chiffres.
13:05 Et au moins, une des raisons de la plainte, c'est aussi que ce que ne montrent pas les
13:10 chiffres qui disent la stabilité des ventes, c'est que ce qui se vend beaucoup, se vend
13:18 beaucoup et le reste ne se vend pas du tout.
13:20 Voilà, c'est-à-dire que ce qui se vend beaucoup n'est pas de la littérature, généralement.
13:24 On a des best-sellers qui sont de vrais best-sellers.
13:27 Et derrière, il est de plus en plus difficile d'avoir des tirages conséquents.
13:33 Des tirages conséquents ou même des tirages raisonnables entre 5 et 10 000 ventes.
13:38 Donnez-nous des ordres de grandeur, Raphaël Léris.
13:41 Entre 5 et 10 000 ventes, c'est un livre qui se vend bien, c'est un livre qui rapporte
13:45 de l'argent en partie à son auteur, à sa maison d'édition.
13:49 Qui rapporte de l'argent mais qui bien souvent est insuffisant pour que celui-ci en vive.
13:55 Qui est insuffisant pour que celui-ci en vive.
13:57 Après, je ne sais pas à quel point il est nécessaire absolument que tout le monde se
14:01 consacre à son œuvre.
14:03 Tout le monde, c'est un peu compliqué.
14:06 Mais en tout cas, les personnes qui ont choisi de faire de la littérature, ce serait bien
14:10 qu'ils puissent au moins en vivre en partie.
14:12 Oui, ça serait bien.
14:14 En tout cas, entre 5 et 10 000, on peut commencer à envisager un système d'existence qui
14:19 tourne autour de la littérature avec des temps pas pleins à côté, avec des démissions,
14:26 etc.
14:27 Mais disons que ces 5 à 10 000 ventes qui étaient vraiment le cœur battant de la littérature
14:30 ont largement disparu.
14:32 En tout cas, entre 5 et 10 000, maintenant, c'est un livre qui se vend extrêmement bien.
14:35 Oui, parce que Laurent Beccaria, j'ai regardé le CV de Jean-Baptiste Andréa et je me suis
14:40 rendu compte que ce garçon qui a obtenu le prix Goncourt pour Veiller sur elle, livre
14:46 édité par l'iconoclaste maison d'édition que vous dirigez, eh bien, Jean-Baptiste Andréa
14:52 n'est pas seulement écrivain.
14:54 Par exemple, il est réalisateur, il est scénariste.
14:56 Il a été réalisateur et scénariste pendant 20 ans et il raconte qu'à 47 ans, il a
15:02 décidé de quitter cet univers et de se consacrer à sa passion, à son rêve d'enfant qui
15:09 était d'être écrivain.
15:11 Pendant quelques mois, il avait un peu d'argent de côté, il a écrit son premier livre et
15:17 depuis il ne vit que de ses revenus de droit d'auteur.
15:21 C'est un peu atypique.
15:22 Qui, j'imagine, seront conséquents du fait…
15:25 Je pense qu'il a quelques années devant lui de tranquillité.
15:27 Du fait du Goncourt.
15:28 Mais c'est quand même une drôle d'économie parce que la personne la plus importante,
15:31 vous n'allez peut-être pas apprécier ce que je vais dire, Laurent Beccaria, mais la
15:35 personne la plus importante, autrement dit l'auteur, est bien souvent quelqu'un qui
15:40 a peu de revenus, voire pas du tout de revenus dans les ventes de son livre parce que bien
15:46 souvent, un livre, on a parlé de tirage de 5 à 10 000, de vente de 5 à 10 000, mais
15:51 bien souvent, un livre, ça peut se vendre à 500, 700 exemplaires.
15:54 Alors, il y a trois éléments dans ce qu'on appelle la vie d'un livre ou la chaîne du
16:01 livre.
16:02 Il y a l'autrice ou l'auteur, l'éditeur et le libraire, pour prendre clairement.
16:07 Un auteur ou une autrice met des mois, des années pour écrire, pour faire une…
16:17 Comme vous savez, des dessinateurs de bande dessinée, c'est au minimum un an.
16:20 Et la littérature, personne n'écrit sur un coin.
16:23 Des gens arrivent à sortir un livre en 15 jours, mais la plupart du temps, il faut beaucoup
16:27 de temps.
16:28 Et dans une vie d'auteur, peut-être qu'on va publier 10, 15 livres dans une vie.
16:33 Et imaginez de pouvoir vivre uniquement de ces droits d'auteur à son taux horaire.
16:38 C'est vraiment qu'une poignée de gens qui pourraient y arriver, même si on donnait
16:43 100% des droits sur la vente d'un livre à l'auteur, il faudrait qu'ils se vendent
16:49 quand même à beaucoup d'exemplaires pour ne serait-ce que faire un SMIC ou un peu plus
16:52 qu'un SMIC par an.
16:54 Donc, on voit bien que l'économie de la création est une économie difficile, extrêmement
16:59 difficile.
17:00 Pour ça, il faut des bourses.
17:01 Il faut des éditeurs qui croient en eux suffisamment longtemps et qui parfois, pendant des années,
17:11 sont à perte sur leurs livres.
17:12 Après, vous avez l'éditeur.
17:13 L'éditeur, c'est quelques dizaines, quelques centaines de livres par an.
17:16 On peut donner des chiffres.
17:17 Un auteur, il gagne combien sur un livre en pourcentage ?
17:20 Il gagne entre 10 et 15%.
17:23 Les auteurs les plus, c'est 20%.
17:26 Alors là, il faut vraiment être un gros auteur.
17:28 On disait que Jean-Denis Meusson, c'était ses chiffres de droits d'auteur.
17:33 Mais c'était Jean-Denis Meusson.
17:34 Donc, ça veut dire 1,50€, 3€.
17:36 En général, c'est ça.
17:37 C'est une échelle qui fait 10, 12, 14.
17:40 10% jusqu'à 10 000, 12% jusqu'à 20 000, 14% au-delà.
17:43 Et pour les auteurs un peu plus confirmés, c'est entre 14 et 16.
17:46 Voilà à peu près les droits d'auteur.
17:48 Et puis ensuite, la maison d'édition.
17:50 Il faut un livre, il faut le fabriquer, il faut le corriger, il faut le fabriquer, il
17:54 faut le promouvoir.
17:55 Il faut des gens qui aillent voir les libraires pour leur en parler.
17:59 Tout ça, ce sont des gens qui ont des salaires, des loyers, etc.
18:01 Donc ça, ça représente à peu près 20% sur le prix de vente du livre.
18:06 Ensuite, il y a l'imprimeur.
18:08 Il y a des machines, de l'encre, du papier.
18:10 Et ça, ça coûte de l'argent.
18:12 Et donc, ça fait à peu près 17%.
18:14 Vous voyez, c'est à peu près le camembert.
18:15 Et on arrive à 50% pour cette partie-là.
18:18 Et puis après, vous avez le distributeur, c'est-à-dire les gens qui ont d'énormes
18:22 entrepôts et qui fait que vous pouvez commander un livre et 15 jours, deux jours après,
18:27 15 jours après, pour les livres très anciens, vous voyez arriver comme par magie le livre
18:32 chez vous.
18:33 C'est des myriades de camions, de gens qui manipulent, etc.
18:36 Et donc ça, c'est une dizaine de pourcents.
18:38 Et puis, vous avez le libraire.
18:39 Les très gros libraires ont des marges de 42, 43%.
18:42 Les tout petits libraires de 32, 35%, ça dépend de la taille.
18:45 Et donc, on pourrait dire que c'est eux qui ont la part la plus grosse dans ce gâteau
18:51 théorique.
18:52 Mais eux, ils ont des loyers, ils ont des gens qu'il faut toute la journée, il faut
18:57 manipuler.
18:58 C'est des camions et des camions qui arrivent tous les jours avec des caisses de livres.
19:02 Il faut avoir été libraire un jour pour savoir que c'est un métier incroyablement
19:06 physique, un métier hyper compliqué.
19:08 Les gens vous demandent des références énormes, etc.
19:11 Donc, en fait, toute cette économie-là fait que chacun voit les choses de son point
19:15 de vue.
19:16 Les marges de la librairie sont parmi les plus faibles de tout le commerce.
19:20 Les marges de l'éditeur sont des marges plutôt stables.
19:23 Et c'est pour ça que les financiers s'y intéressent.
19:25 C'est parce que c'est stable.
19:26 Ce n'est pas génial en termes de la rentabilité des start-up, de la technologie et tout, mais
19:31 c'est stable.
19:32 En revanche, les marges de l'auteur et de l'autrice sont tellement variables.
19:35 Ça peut être de zéro, de moins, je ne sais combien.
19:37 Si elle a passé des années à écrire son livre, à plusieurs centaines de milliers
19:42 d'euros si c'est un auteur ou une autrice à succès.
19:44 Et alors, Raphaël Léris, journaliste comme vous, qui est une journaliste importante au
19:49 monde des livres, elle reçoit énormément de livres.
19:53 Vous êtes enseveli sous les bouquins en permanence.
19:56 Et donc, c'est une sorte de jeu de la roulette où chaque éditeur, chaque auteur, essaye
20:03 de tenter sa chance.
20:04 Et au fond, on se rend compte que parmi cette masse de livres, il y en a en réalité très
20:09 peu qui va passer le stade de l'anonymat pour accéder au rang, non pas forcément
20:19 de best-seller, mais de livre qui va être un peu remarqué.
20:22 Alors, nous ne sommes heureusement pas tout seuls avec notre tonneau de « Donate quotidien
20:26 », les quelques 20 livres à peu près qui m'arrivent chaque jour au journal.
20:31 Puisqu'on discute avec les éditeurs, on discute avec les attachés de presse.
20:34 Le moins possible avec les auteurs.
20:35 D'ailleurs, si je peux donner un conseil aux auteurs, c'est de ne pas parler aux
20:37 journalistes en amont.
20:39 Et on a une relation de confiance.
20:43 Ce n'est pas du tout dans leur intérêt de nous parler de textes qui ont tout à fait
20:50 leur place sur le marché éditorial, mais qui n'appellent pas un discours critique,
20:54 qui ne sont pas du ressort du monde des livres.
20:56 Donc, on fait ce qu'on peut avec le plus de loyauté possible à l'égard des textes
21:01 de nos lecteurs, puisque nous, c'est d'abord aux lecteurs du journal que nous avons des
21:05 comptes à rendre, en ayant beaucoup de culpabilité.
21:08 C'est le principal ressort.
21:10 Mais si, l'éditeur reçoit des centaines de manuscrits par jour.
21:13 C'est-à-dire, Raphaël reçoit 20 livres par jour.
21:17 Mais nous, je crois que l'Iconoclast hier, c'était une journée particulière, je crois
21:20 qu'il y a eu 350 manuscrits qui sont arrivés.
21:23 Et alors, qu'est-ce que vous allez en faire ?
21:24 Quand les gens ont entendu que le prix Gaucourt avait été refusé par 10 maisons d'édition
21:29 au départ, ils se sont dit "mais c'est la maison sur laquelle il faut aller".
21:33 Donc, les éditeurs ont une armada de lecteurs qui ouvrent le manuscrit, qui regardent.
21:40 Et ça, ça a été complètement dopé par le traitement de texte.
21:45 Je sais que Jean Paulan, qui était directeur littéraire de Gallimard dans les années
21:50 50, avait proposé à Gaston Gallimard un jour de dire "il faudrait qu'on publie
21:54 un livre des refusés de chez Gallimard, en mettant tous les livres qu'on a refusés
21:58 dans l'année dans un espèce de gros volume".
22:00 Mais aujourd'hui, ce ne serait pas un volume, il faudrait remplir un stade avec tous les
22:06 manuscrits qui arrivent.
22:07 Donc, en fait, c'est pour ça que vu de celui ou celle qui a pendant des mois peaufiné
22:15 son texte, qui l'a envoyé à 22 maisons d'édition et qui se retrouve sans rien,
22:20 il a l'impression que c'est absolument catastrophique.
22:22 Et il y a peut-être des très bons textes qui passent entre les mailles du filet.
22:25 Et dans ce système, il y a aussi des mauvais livres qui sont édités pour de mauvaises
22:30 raisons.
22:31 Mais j'ai lu Laurent Becquerien, un article dans "Si économiste", alors ça valait
22:35 pour l'édition anglo-saxonne, mais j'imagine que ça doit valoir à peu près pour l'édition
22:39 française, qui disait grosso modo "un livre, ça coûte environ 20 000 euros à produire,
22:45 fabriquer, etc.".
22:46 Donc, c'est une somme conséquente, mais pas si importante que ça pour une entreprise.
22:51 On le fabrique et finalement on voit si ça marche ou pas.
22:55 Si ça marche, comme on peut le souhaiter pour le prix Goncourt, Jean-Baptiste Andréa
23:00 avec Veillée Surel, vous allez gagner beaucoup, beaucoup d'argent, beaucoup plus que 20 000
23:04 euros.
23:05 Si ça marche pas, vous perdez 20 000 euros.
23:06 Alors le calcul, c'est un calcul, je suis désolé, mais de "Si économiste", c'est
23:10 complètement faux.
23:11 Parce que vous avez 20 000 euros, c'est pour fabriquer le livre, oui, c'est 20 000 euros
23:14 pour payer l'imprimeur, le papier, etc.
23:16 Mais en fait, pour ce livre-là, il y a tous les gens dont je vous parlais.
23:20 Les représentants, les attachés de presse qui vont parler aux journalistes, les gens
23:25 qui vont parler sur le numérique, etc.
23:27 Et ces gens, il faut qu'ils vivent, ils ont un salaire, etc.
23:30 Et puis les auteurs, certains n'ont pas d'avance, mais certains qui ont travaillé
23:36 beaucoup, qui ont déjà un public, demandent une avance importante.
23:39 Donc, c'est beaucoup plus que 20 000 euros.
23:40 C'est un métier de risque et c'est ça aussi qui est absolument passionnant dans
23:46 ce métier, c'est qu'on passe son temps à faire des paris.
23:48 Les Arènes sur une année, c'est entre un tiers et 50% de premiers auteurs ou de
23:55 premiers livres traduits en français.
23:56 Un commentaire, Raphaël Léris, sur ce que vient de dire Laurent Beccaria.
24:00 Je ne sais pas à quel point tout le monde est aussi, toutes les maisons sont aussi attentives
24:05 à chacun des textes.
24:07 Ils en investissent autant que vous.
24:09 Oui, parce qu'on a souvent l'impression, du fait de cette économie qui est une économie
24:12 de plus en plus précaire pour l'édition, que beaucoup de textes, Raphaël Léris,
24:17 ne sont pas édités.
24:18 C'est-à-dire qu'on a l'impression que, malheureusement, beaucoup d'éditeurs
24:22 se sont transformés un peu en photocopieurs.
24:24 Je ne dirais pas ça, mais l'effet de la réduction des coûts, on la voit sur la
24:32 correction des textes.
24:33 Ce n'est pas tellement une question d'être édité qu'une question d'être correctement
24:37 relu et corrigé.
24:38 Et ça, je trouve que c'est une insulte faite aux lecteurs.
24:42 Pas seulement des questions de correction lexicale ou orthographique.
24:45 Il y a effectivement des coquilles, mais aussi le fait, bien souvent, on prend un livre et
24:48 on se dit "mais ce livre n'a pas dû être travaillé, on n'a pas dit à l'auteur
24:53 que tel passage était obscur, que telle entrée en matière était ni faite ni à faire".
25:00 Quand on dit ça à un éditeur, ça arrive, généralement ils nous répondent "je peux
25:04 arriver jusqu'à un certain stade à retravailler avec les auteurs, et il y a un moment donné
25:07 où je sais que ça va poser un problème dans notre relation".
25:11 Laurent Beccaria ?
25:12 Il y a tellement de barrières.
25:15 Moi, je sais que le premier livre que j'ai publié en tant qu'éditeur, je crois que
25:18 j'ai mis, c'était un livre de Laurence Lacour sur l'affaire Villemin, qui était
25:23 une journaliste qui a travaillé sur cette affaire.
25:26 Elle a mis cinq ans à l'écrire, et pendant les deux ou trois dernières années, une
25:33 journée par semaine, je partais la rejoindre et passais la journée à travailler avec elle.
25:38 Vous faites ça avec les 350 manuscrits que vous avez reçus hier ?
25:40 Oui, parce que moi, j'attache au rêve à une fois que vous l'avez fait.
25:43 D'ailleurs, moi, je pense qu'un éditeur peut vraiment publier sept à dix livres par
25:46 an en le faisant vraiment, en faisant vraiment son travail.
25:49 C'est sûr qu'il y a des maisons d'édition qui n'ont pas ce ratio, mais quand on travaille
25:55 bien, c'est payant.
25:56 Et nous, on l'a prouvé, on est parti seul, avec rien, 8000 euros en poche, et maintenant
26:00 on est 70.
26:01 Donc, parce que ce travail patient, de faire peu et bien, ça marche aussi.
26:06 Raphaël Lérisse ?
26:07 Alors, on l'a dit, l'intérêt de l'édition sur le plan économique, c'est que les rentabilités
26:11 sont faibles, mais bien souvent certaines.
26:13 Il y a une forme de régularité, surtout que là, on a parlé de l'édition littéraire,
26:17 mais il y a aussi d'autres formes d'édition.
26:18 Il y a les scolaires, il y a la vie pratique, il y a les livres de cuisine.
26:22 Bref, tout ceci constitue finalement des sommes importantes et j'ai cru comprendre qu'il
26:27 y avait des mouvements capitalistiques dans l'édition.
26:30 Qu'est-ce qui se passe en ce moment dans l'édition, Raphaël Lérisse ?
26:33 Alors, bien malin celui qui peut décrire ça clairement.
26:36 Je vais néanmoins m'essayer.
26:37 Les deux groupes, les deux premiers groupes de l'édition qui sont Hachette et Editis
26:47 sont en train de changer d'actionnaire.
26:49 Vivendi qui détenait Editis est en train de racheter Hachette.
26:53 Et donc a dû revendre Editis.
26:56 Editis qui a été racheté par le groupe détenu par Daniel Kretinsky, qui lui-même
27:01 est actionnaire à hauteur de 25% de la FNAC.
27:05 Donc ce sont des maisons pour Hachette parmi les plus centrales de la vie littéraire
27:14 française.
27:15 Par exemple ?
27:16 Stock, Grasset, Lattès.
27:18 Et donc hier, on a appris coup de théâtre que le nouveau patron d'Hachette Livre serait
27:24 ce génie de la stratégie éditoriale qu'on connaît bien qui est Arnaud Lagardère.
27:29 C'est-à-dire ? Expliquez-nous parce que nous on ne connaît peu Arnaud Lagardère.
27:33 Arnaud Lagardère qui a hérité il y a 20 ans d'un empire massif et qui a revendu
27:37 une petite peau de chagrin de quelques journaux et des maisons d'édition qui était donc
27:42 quand même le trésor de guerre de son père Jean-Luc Lagardère.
27:44 Le troisième éditeur mondial.
27:46 Voilà, troisième éditeur mondial.
27:47 Et donc Arnaud Lagardère qui s'est retrouvé à vendre ce qui lui restait à Vincent Bolloré
27:57 qui a eu des pratiques contestables, en tout cas qui a fait des nominations dans les médias
28:04 qui ont pu faire se lever quelques sourcils et se lever quelques piquets de grève.
28:08 Et bien hier soir, on ne sache pas qu'il est parsigné par l'interieur, il a été
28:13 nommé à la tête d'Hachette Livre qui a un poste énorme.
28:16 Et cette nomination, elle serait, elle est, je ne sais pas quel verbe employer mais il
28:23 y a un nom qui revient souvent, celui de l'actionnaire, celui de Bolloré dans Hachette Livre et ça
28:29 aussi, ça crée un certain émoi, Raphaël Léris.
28:32 Vincent Bolloré qui était l'actionnaire principal d'Editis.
28:35 Editis qui a perdu la moitié de sa valeur en quatre ans, entre le moment où il était
28:39 racheté par Givendi et le moment où il était revendu.
28:41 Mais donc Vincent Bolloré qui a démontré qu'il avait des visées politiques et idéologiques
28:46 sur beaucoup de choses.
28:47 Alors on ne sait pas si ça va s'appliquer à l'édition parce que chez Editis, ça
28:52 s'est vu seulement au cours des deux dernières années autour de la maison Plon.
28:56 Pour le reste, il y a eu un maintien des maisons traditionnellement de Gauss.
29:01 On dit qu'il y a eu des pressions.
29:02 Des pressions, oui, oui, on dit qu'il y a eu des pressions, oui, oui.
29:05 Mais il y a aussi des censures internes.
29:06 Ces pressions, elles ont été documentées.
29:08 Apparemment, Nicolas Sarkozy joue un rôle important chez Hachette et il y aurait eu
29:14 un certain nombre de coups de fil, directs ou indirects, pour dire que tel livre ne plaisait
29:19 pas à Nicolas Sarkozy.
29:20 Cela a été documenté par exemple par Le Monde.
29:23 Voilà, que Sophie de Closet, qui était la patronne de Fayard, maison qui allait très
29:25 très bien, devait partir.
29:29 Elle dirige Flammarion et elle a été remplacée par Isabelle Savorta qui publie désormais
29:34 Nicolas Sarkozy.
29:35 Nicolas Sarkozy.
29:36 Laurent Beccaria.
29:37 Vous, vous êtes distribué par Editis.
29:39 Oui, deux choses.
29:40 Un, les bouleversements en cours sont évidemment énormes.
29:44 Prenez n'importe quel métier, quand vous avez le numéro 1 et le numéro 2 qui sont
29:49 rachetés et en plus, le numéro 2, un fiancier qui arrive et qui achète le numéro 2 et
29:53 qui après rachète le numéro 1 et revend le numéro 2, tout ça c'est quand même
30:00 des bouleversements dans l'écosystème qui est énorme.
30:02 Après, il y a évidemment aussi la question très particulière de Vincent Bolloré parce
30:08 qu'on a vu ce qu'il a fait dans les médias et il y a eu cette histoire sur plomb avec
30:15 la nomination de l'ancienne éditrice de Zemmour, etc.
30:19 Voilà tout ça.
30:20 Nicolas Sarkozy.
30:21 Donc, est-ce qu'il y a une direction bicéphale qui n'a pas du tout bien fonctionné ?
30:23 Laurent Beccaria.
30:24 Je vais vous dire mon expérience.
30:25 J'étais jeune éditeur dans le groupe, chez Plomb qui à l'époque avait d'autres
30:32 sectionnaires et après j'ai été chez Fayard, chez Stock pardon, qui était dirigé
30:36 par Claude Durand, qui dirigeait Fayard et Stock.
30:38 Dans ces deux maisons, j'ai dû quitter ces deux maisons parce qu'il y a eu intervention
30:44 contre les livres que je publiais.
30:45 Je publiais un livre de Denis Robert qui s'appelait "Pendant les affaires, les affaires continuent"
30:49 sur les affaires politico-financières et le patron de l'époque de Plomb a reçu un
30:53 appel du ministre de l'Industrie qui le connaissait.
30:57 C'était Gérard Longuet qui a appelé Olivier Orban et lui a dit "ce livre était un tissu
31:04 d'horreur, etc.
31:05 Je ferai un procès".
31:07 Et donc, le livre qui partait à la fabrication et qui avait été vu par des avocats a été
31:12 arrêté par Olivier Orban.
31:13 J'ai quitté la maison d'édition avec ce livre pour aller chez Stock.
31:16 Le premier contrat que j'ai signé chez Stock, c'était une enquête sur la mort
31:22 de Michel Barouin, l'ancien patron de Genève.
31:25 L'enquête en gigogne est arrivée sur les relations entre l'Iran et la France sur
31:31 le plan nucléaire.
31:32 Et là, on a vu arriver la guerre des retours et le livre a été arrêté par Claude Durand
31:37 pour des raisons extra-éditoriales.
31:39 J'ai quitté ça pour aller créer ma maison d'édition.
31:40 Donc, c'est une vieille histoire les pressions sur les maisons d'édition.
31:43 Quand j'étais chez Hachette, tout ce qui concernait la mairie de Paris, il fallait
31:48 faire attention, remonter ça à Jean-Luc Lagardère.
31:50 Donc, en fait, il n'y a pas eu une époque idéale où il n'y a jamais eu de pression.
31:53 En revanche, il est évident que Vincent Bolloré et Nicolas Sarkozy, quand on voit son activisme
32:00 chez Hachette, c'est terrible.
32:02 On parle du remplacement potentiel depuis des mois d'Olivier Norrin qui est l'un
32:07 des plus grands éditeurs français.
32:08 Il dirige Grasset pour des raisons qui vont être de la vindicte personnelle, pas du tout
32:12 de sa qualité professionnelle.
32:14 Et alors, l'autre singularité, Raphaël Léris, dans ce paysage-là, c'est que ces
32:19 deux groupes ou ces deux individus, Vincent Bolloré d'un côté, Daniel Krétinsky
32:24 de l'autre, sont à la fois dans le secteur de l'édition, on l'a expliqué, dans
32:28 le secteur de la distribution aussi, puisque Hachette, ce sont les magasins relais qu'on
32:34 trouve dans les gares, dans les aéroports, et Daniel Krétinsky est également dans
32:38 la FNAC, ce qui pourrait supposer un certain nombre de mouvements, de concentrations avec
32:44 une personne présente à différents niveaux de la chaîne du livre.
32:48 Alors là-dessus, je crois qu'il a été édicté que tant qu'il restait en dessous
32:52 de 30% d'actionnariat de la FNAC, d'Arti, il pouvait rester à la tête d'Editis.
33:01 Alors je me tourne vers mon camarade qui a plus de points de vue là-dessus que moi.
33:08 Sur le plan factuel, cela signifie là aussi qu'il peut y avoir des stratégies qui
33:13 sont des stratégies de distribution, Laurent Beccaria, puisque vous êtes tributaire évidemment
33:17 de ces grands réseaux qui constituent une part importante de vos ventes.
33:21 Oui, mais il est sûr que si la FNAC se mettait à distribuer en priorité les livres d'Editis,
33:28 ce serait impossible.
33:29 Je prends Relais par exemple, qui est vraiment un actionnaire qui est détenu depuis l'origine.
33:33 C'est Louis Hachette qui avait fait un accord avec la SNCF, les agences de chemin de fer.
33:38 C'est très, très vieux.
33:39 Relais, tout le monde a été à Gare, chez un Relais.
33:44 Eh bien, moi, j'ai toujours eu accès à Relais et je n'étais pas chez Hachette.
33:49 Et à un moment donné, Hachette a été actionnaire de notre groupe et on a été notre distributeur.
33:53 On n'était pas privilégié par rapport aux autres.
33:55 Dernier élément pour continuer à brosser le tableau, du côté de Vincent Bolloré
34:03 comme de Daniel Kretinsky, il y a des différents titres de presse et là, certains éditeurs
34:10 se plaignent de ne pas avoir, vous faites nom de la tête, mais je vais aller jusqu'au
34:13 bout de ma question, se plaignent de ne pas avoir leurs livres évoqués dans les titres,
34:19 par exemple de Vincent Bolloré.
34:21 Alors, cette histoire, c'est le rêve de tout capitaine d'industrie d'avoir un
34:26 journal, une radio, une télé, des maisons d'édition et que ça soit circulaire.
34:29 Time Warner a essayé aux États-Unis, à la grande époque d'Hachette, quand Europe
34:34 était numéro un des radios, etc., ils ont essayé de faire des choses et ça n'a jamais
34:38 marché.
34:39 Alors, je peux vous dire que si demain, il y a des livres qui vont être publiés par
34:44 Hachette, qui peuvent avoir le journal du dimanche chez Europe 1 et C News, mais ce
34:49 n'est pas ça qui va les faire vendre, je peux vous dire, et ça va leur fermer les
34:52 autres portes.
34:53 Non, non, mais ça n'a jamais marché.
34:54 L'oubli n'est pas aussi une bonne manière de vendre, Raphaël Léris, peut-être un
34:58 mot là-dessus ?
34:59 Ce n'est pas tant qu'on ne parlera pas des livres des autres maisons, qu'on privilégiera
35:03 les livres des groupes.
35:04 Mais ça, c'est Hachette, c'est une vieille histoire.
35:07 Je me souviens très bien de la manière dont, depuis très longtemps, Paris Match publie
35:12 les journaux de chez Grasset, promeut les journaux de chez Grasset, c'est une vieille
35:15 affaire.
35:16 Merci à tous les deux, Raphaël Léris, journaliste au Monde des Livres, Laurent Bergaria, directeur
35:22 des Arènes et de l'Iconoclast.
35:24 On se retrouve dans quelques secondes pour le Point sur l'actualité.

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