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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 27 Septembre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 * Extrait de « Les Matins de France Culture » de Guillaume Erner *
00:06 Bonjour Michel Desmurgey !
00:07 Bonjour !
00:08 Vous êtes docteur en neurosciences, directeur de recherche à l'Inserm.
00:11 Vous venez de publier « Faites les lire » en finir avec « Le Crétin Digital » aux éditions du Seuil.
00:16 Chacun de vos livres est une sorte de pavé dans la mare.
00:19 Donc vous étiez attaqué à la pratique des écrans.
00:21 Et c'est une sorte de suite logique puisque lorsqu'on regarde trop son écran, on lit trop peu.
00:27 Ce dernier livre représente un constat assez inquiétant sur nos enfants.
00:33 Ils lisent trop peu et surtout ils lisent trop mal.
00:37 Les écrans n'existent pas qu'en France.
00:39 Mais d'après ce que vous dites, Michel Desmurgey, la situation est particulièrement préoccupante en France.
00:45 Expliquez-nous pourquoi.
00:47 Je crois d'abord qu'on sous-estime l'importance que peut avoir la lecture dans la structuration de l'intelligence, de la pensée de l'enfant.
00:55 Et du coup, quand moins les enfants vont lire, effectivement, c'est un problème.
00:59 C'est un déficit individuel pour eux, mais aussi collectif pour nous.
01:02 Et toutes les études internationales, notamment les études PISA qui sont menées sur des enfants en fin de collège,
01:09 ces études montrent qu'on a tout en haut du classement les pays asiatiques, Singapour, la Chine, Hong Kong.
01:18 Ensuite, on a bien en dessous, une vingtaine de points en dessous, on a les pays, les meilleurs pays de l'OCDE.
01:25 L'Estonie, Québec, par exemple.
01:28 Et puis, on a le ventre mou qui est encore bien en dessous, encore une trentaine de points bien en dessous, qui est la moyenne de l'OCDE,
01:35 dont la France. C'est-à-dire qu'il y a autant de différences entre la France et la crème de l'OCDE, si j'ose dire, qu'il y a l'Estonie,
01:41 qu'il y en a entre l'Estonie et les pays asiatiques.
01:45 Et dans un contexte de compétition internationale où l'intelligence est quand même devenue un élément important.
01:53 Il y a des études qui montrent que l'éducation, ce qu'ils appellent la littératie, est un élément prédictif important du PIB, du niveau de vie.
02:01 Et donc, ça a tellement inquiété les officiels américains, ce décrochage, qu'ils ont parlé d'effet spoutnik de l'éducation.
02:08 Ça va être dans les années 60. - Il faut nous rappeler pourquoi effet spoutnik.
02:10 - Oui, dans les années 60, les Américains pensaient avoir une supériorité technologique écrasante et les Russes ont balancé le spoutnik.
02:17 Et les Américains ont eu vraiment, je crois qu'on les estime, très peur et donc parce qu'ils ont considéré qu'ils perdaient pied dans cette compétition.
02:23 Et là, ils en sont là au niveau du PIB. - Ils se sont remis en cause, donc, suite à cette échec.
02:27 Mais alors, Michel Desmurgés, pourquoi la France est-elle dans cette situation, selon vous ?
02:32 Si on vous suit, donc, on est particulièrement mauvais. Nos enfants savent peu lire, mal lire. Pourquoi ?
02:40 - Alors, ce n'est pas que la France. C'est vraiment les pays de l'OCDE.
02:43 - Les chiffres sont particulièrement inquiétants si on vous suit pour la France.
02:48 - Les chiffres sont particulièrement inquiétants pour la France, mais pour l'ensemble des pays de l'OCDE vis-à-vis de la Chine.
02:54 Mais la France, à l'intérieur de l'OCDE, ne fait pas très bien. Je crois que nos enfants lisent beaucoup moins.
03:00 La famille s'engage beaucoup moins sur... Voilà, par défaut d'informations, souvent, s'engage beaucoup moins sur l'apprentissage de lecture.
03:07 On lit moins d'histoires aux enfants. Les enfants lisent moins.
03:10 Et puis, voilà, il y a un accent qui est mis sur le divertissement. C'est-à-dire que l'envahissement qui est lié aux écrans récréatifs,
03:18 c'est-à-dire qu'il faut considérer que c'est un matraquage, c'est des heures par jour.
03:21 - Parce que, quand même, Michel Desmiurgets, entre nous, il y a peu de parents qui pensent qu'abandonner son enfant à un écran
03:27 est quelque chose de préférable à lui faire lire Zola ou Voltaire.
03:32 - Non, mais peu de parents, je crois, dont moi, je me suis tapé cette littérature.
03:36 Je pensais que j'en aurais pour trois mois. Ça m'a pris quasiment cinq ans, un peu moins.
03:39 - Moi, je n'ai pas fait ça, mais je suis parent et je le sais qu'il faudrait...
03:44 - Oui, on sous-estime l'impact que ça peut avoir. On sous-estime l'impact précoce de la lecture conjointe et partagée.
03:53 Mais ce temps qui est offert aux écrans, il faut bien le prendre quelque part.
03:56 Et les trois grandes victimes, le tiers c'est gagnant, c'est le sommeil.
03:59 Les interactions intrafamiliales qui développent le langage.
04:02 Et le langage, c'est un prérequis essentiel au développement de la lecture.
04:06 Et puis la lecture elle-même, non seulement les enfants lisent moins, parce qu'on dit les enfants aiment lire, certes,
04:11 mais ils préfèrent aller jouer aux jeux vidéo et regarder les écrans.
04:14 Donc le temps, il est pris. Mais il y a aussi ce qui est fondamental,
04:16 le temps que les parents passent à lire des histoires aux enfants,
04:19 qui est un prérequis fondamental pour le développement de la lecture personnelle, lui aussi est négligé.
04:23 - Alors, vous ne dites pas que ça, Michel Desmurgais, dans votre livre "Faites les lire en finir avec le crétin"
04:28 digital publié aux éditions du Seuil.
04:30 Vous dites aussi que les enfants lisent certains livres qui, à vos yeux,
04:36 et cela mériterait d'être discuté, ne sont pas aussi édifiants,
04:43 ne sont pas aussi utiles à la formation de leur esprit que de la littérature classique.
04:48 - Tout à fait. Alors, ce n'est pas moi qui le dis.
04:49 Il y a plein d'études, pour le coup, qui ont regardé l'impact de différents contenus.
04:53 Alors, il y a des études qui nous montrent, effectivement, les enfants lisent toujours.
04:56 Mais effectivement, si on met les livres de cuisine et les livres de coloriage,
04:59 on trouve toujours un certain nombre d'enfants pour lire.
05:01 Le problème, c'est que ce n'est pas de savoir, ce n'est pas d'établir une hiérarchie culturelle entre les conflits.
05:07 - Vous la faites un peu, quand même.
05:08 Vous dites qu'ils lisent des mangas et on sent qu'il y a une forme de mépris.
05:13 - Non, non, non. Il y a vraiment, alors vraiment, je dois être clair là-dessus, il n'y a aucun mépris.
05:16 Ma fille a lu des mangas et des bandes dessinées.
05:18 La seule chose, c'est qu'en terme, ça peut être un divertissement.
05:21 Ça peut être sympa de lire des mangas et des BD, encore une fois.
05:24 La question, ce n'est pas du mépris.
05:25 La question, c'est qu'il n'y a pas autant de richesse langagière, de richesse culturelle,
05:30 entre guillemets, au sens le moins détesté du terme, dans une bulle de mangas,
05:33 qu'il peut y en avoir dans un paragraphe de livre.
05:35 Et quand on prend la littérature, quand on prend la littérature scientifique,
05:38 on s'aperçoit de façon très claire que les livres, et notamment les livres de fiction,
05:42 ont un effet extrêmement positif sur le développement du langage,
05:46 le développement des capacités de lecture et la réussite scolaire.
05:49 Quand on prend maintenant les journaux, il y a aussi un effet qui est moins important, mais qui est positif.
05:54 Maintenant, si on prend les mangas, les BD, ce qu'ils peuvent faire sur Internet,
05:59 réseaux sociaux, blogs, etc., les effets, ils oscillent entre nuls et négatifs.
06:03 Alors, ce n'est pas du mépris.
06:04 Que les enfants lisent des mangas, il n'y a pas de problème.
06:07 Le problème, c'est que si leur diète de lecture n'est constituée que de mangas et de BD,
06:12 alors ils ne pourront pas moissonner les bienfaits profonds et unanimes de la lecture.
06:17 C'est tout ce que je dis. Je ne méprise pas les mangas.
06:19 Alors, il y a les jeunes, puis il y a les moins jeunes,
06:21 parce que vous vous rappelez l'affaire du mot « chancelon ».
06:23 Je vais vous laisser d'ailleurs la présenter.
06:26 Oui, en fait, le dernier concours des professeurs des écoles, c'était un poème de Victor Hugo.
06:32 Et dedans, il y avait la phrase « les enfants chancelant ».
06:35 Et les rapports des jurys sont unanimes pour dire que le mot a eu les participants,
06:40 en tout cas les postulants, ont eu beaucoup de mal à reconnaître ce mot.
06:44 Mais ça tient au fait, justement, dans la lecture, dans les livres,
06:48 il y a beaucoup plus de richesse langagière que dans n'importe quel autre corpus.
06:51 C'est-à-dire que là, je vous vois, je vois les traits de votre visage,
06:53 si mon pote me dit je fais une photo, je n'ai pas besoin de mots.
06:56 Les livres, il n'y a rien, il faut construire tout le contexte.
06:58 Donc, le mot « chancelon », c'est le mot qui était inconnu
07:02 alors qu'on a affaire à des personnes qui se destinent.
07:07 À l'oral, il est présent une fois tous les 1 ou 2 millions de mots,
07:11 vous le trouvez une fois tous les 100 000 mots à l'écrit, donc beaucoup plus.
07:13 Et il y a plein de mots comme ça, mais il n'y a pas que les mots.
07:15 C'est-à-dire des mots comme « chancelant », « saillant », « jubilé », « cocasse »,
07:18 c'est des mots qu'on trouve quasiment qu'à l'écrit.
07:20 Les formes grammaticales, les phrases complexes, les relatifs, la voix passive,
07:24 « la souris a été mangée par le chat », vous ne les trouvez qu'à l'écrit.
07:26 Le passé simple, cette finesse des temps, on ne les trouve qu'à l'écrit.
07:30 - Mais alors là où je veux en venir quand même avec cette affaire du mot « chancelon »
07:33 qui concerne donc non pas des enfants, mais de futurs formateurs de ces enfants, des enseignants,
07:38 est-ce que ça ne veut pas dire tout simplement Michel Desmurgecq finalement,
07:40 ce ne sont pas tant nos enfants qui sont en cause que les adultes,
07:44 bref que la société, alors la société française, puisqu'on parle en France,
07:48 est-ce que ça n'est pas plutôt ça le souci ?
07:51 - Non, alors les nouveaux enseignants sont nos enfants d'il n'y a pas longtemps si j'ose dire.
07:55 Voilà, je pense qu'il ne faut pas taper sur l'école, elle fait ce qu'elle peut.
07:59 - Non, je ne voulais pas taper sur l'école, je voulais taper sur la société.
08:02 C'est-à-dire que finalement on est tous dans le même bain et qu'aujourd'hui on s'éloigne de l'écrit.
08:06 - On s'éloigne de l'écrit, c'est clair.
08:08 On a des enseignants qui arrivent maintenant qui n'ont pas été lecteurs.
08:12 On s'exerce un conseil pour transmettre effectivement la lecture, le bout de la lecture, la littérature.
08:15 C'est plus facile d'en être un lecteur.
08:17 Il y a une étude qui m'a frappé, quand on demande à des enseignants,
08:20 quand on leur demande à des enseignants en poste et des enseignants qui viennent de rentrer,
08:24 donc des enseignants stagiaires, on leur demande est-ce que vraiment vous n'aimez pas lire ?
08:29 Il y en avait 1 à 2 %, il y a une quarantaine d'années,
08:33 qui vous disaient "j'aime pas lire" et maintenant c'est quasiment un tiers.
08:36 C'est effectivement toute la chaîne depuis la famille jusqu'à l'école
08:41 qui fait qu'il faudrait remettre un accent beaucoup plus important sur la lecture.
08:45 Mais l'école c'est difficile, je voudrais insister sur la famille,
08:48 parce que l'école c'est difficile, parce qu'ils ont des emplois du temps à rallonge,
08:52 ils ont un grand nombre d'enfants et pour développer le langage,
08:55 pour développer la lecture, notamment la lecture partagée chez les petits-enfants,
08:58 il faut que ça se fasse en petits groupes, en binôme c'est encore mieux.
09:02 Et quand vous avez 28 à 30 enfants dans une classe, c'est hyper compliqué.
09:05 Et le temps qui est possiblement donné dans les familles,
09:08 il est très difficile à rattraper à l'école.
09:10 Quelle est la part de responsabilité des méthodes d'apprentissage de la lecture, Michel Desmurgers ?
09:15 Qu'est-ce qui finalement pourrait être fait à cet égard qui n'est pas fait ?
09:19 Je crois que le problème a été quand même assez sérieusement résorbé.
09:24 On se rend compte quand on prend, je ne suis pas dans les classes,
09:26 mais quand on prend toutes les études scientifiques,
09:29 il y a une supériorité unanime des méthodes syllabiques
09:32 sur les méthodes dites globales ou semi-globales,
09:34 qui est liée à la façon dont l'architecture cervelle,
09:37 à la façon dont le cerveau va traiter l'écrit.
09:39 C'est-à-dire que le cerveau, on s'est trompé, on a l'impression qu'il prenait le mot entier,
09:42 parce qu'au début, on passe par la voix des sons, on lit "papa", on fait "pe-a, pe-a, papa".
09:46 Et donc voilà, mais après, le mot il rentre dans une espèce de moulinette de reconnaissance,
09:52 il est cassé dans ses unités, dans ses lettres,
09:54 et puis après il est reconstruit, il est envoyé directement aux aires du sens.
09:57 Et on a cru à un moment que le mot, il était lu comme ça globalement,
10:00 mais ce n'est pas du tout le cas.
10:01 Et voilà, et depuis qu'on a compris ça, effectivement,
10:04 les méthodes syllabiques sont de très loin supérieures aux autres.
10:07 - Et oui, parce que ce qui est très inquiétant, là aussi, dans votre livre "Faites les lire",
10:11 que vous publiez aux éditions du Seuil,
10:13 c'est qu'on se rend compte, si l'on vous suit, Michel Desmurgey,
10:16 que l'apprentissage n'est pas quelque chose d'aisé pour le cerveau,
10:20 et qu'il faut lire, et lire beaucoup, pour réussir à bien lire.
10:24 - Oui, oui, c'est-à-dire que le cerveau, il n'est pas fait pour lire.
10:27 Les aires du langage...
10:28 - Mais ça, c'est quand même très étonnant, parce que moi, je pensais qu'il y avait
10:31 une sorte d'infinité avec le langage, la lecture, ce n'est pas le cas ?
10:36 - Alors, il y a une affinité avec le langage, c'est-à-dire que si vous parlez à un bébé,
10:38 même à un grand prématuré, les aires qui vont s'activer,
10:40 c'est quasiment les mêmes aires langagières que chez l'adulte.
10:42 Maintenant, la bretelle d'accès au langage, elle est par l'oreille.
10:46 Il faut faire une bretelle par l'oeil, et c'est compliqué,
10:48 parce que par l'oreille, ça rend séquentiellement les mots,
10:50 par l'oeil, il faut tout casser.
10:51 Et puis, ce qu'a fait le système, c'est que...
10:54 C'est 5000 ans, le langage, donc c'est quelques centaines d'années
10:57 de gens qui lisent régulièrement, donc l'évolution n'a pas eu le temps
10:59 de mettre ça en place.
11:00 Donc, on va pirater un système de reconnaissance des objets,
11:03 ou de reconnaissance de la face, pour faire un système de reconnaissance
11:06 des mots et des lettres, mais ça nécessite effectivement
11:10 un gros volume d'informations pour que ce système puisse se construire.
11:13 Un gamin qui va lire une fois par semaine, ou qui va lire que ce qu'on lui donne à l'école,
11:16 c'est comme le gamin qui va au violon une fois par semaine,
11:18 le mercredi après-midi à son cours, il ne devient pas violoniste,
11:20 c'est pas sérieux.
11:21 On en reparle dans une vingtaine de minutes.
11:23 On confrontera vos vues, Michel Demurget, celles que vous exposez dans "Faites les lire",
11:27 en finir avec le crétin digital aux éditions du Seuil,
11:30 avec un professeur de psychologie, du développement et de neurosciences cognitives,
11:34 Grégoire Borst, et la présidente du Centre National du Livre, Régine Hachandot.
11:38 Et maintenant, je propose d'entendre un écrivain.
11:47 En 2022, la lecture était déclarée grande cause nationale,
11:50 après plusieurs études pointant une baisse du niveau à l'école,
11:53 l'attrait moins prononcé de la jeunesse pour ce qui est à la fois un passe-temps
11:57 et un monde de découvertes et de connaissances,
11:59 peut-être même une civilisation, je crois qu'on appelait ça la civilisation de Gutenberg.
12:03 Celle-ci est-elle en train de s'effacer ?
12:06 C'est ce que vous pensez, Michel Demurget, dans un livre pessimiste,
12:09 "Faites les lire", en finir avec le crétin digital, aux éditions du Seuil.
12:14 Vous évoquez des élèves, des enfants qui lisent peu,
12:18 qui dès lors lisent de plus en plus mal,
12:21 et qui dès lors sont moins intelligents que leurs aînés.
12:25 Et comme nous sommes leurs aînés, ça ne nous fait pas du tout plaisir.
12:28 Pour discuter de cette thèse, encore une fois pessimiste,
12:32 j'ai convié Régine Hachandot, bonjour, vous êtes présidente du Centre National du Livre,
12:37 et Grégoire Borst, professeur de psychologie, du développement et de neurosciences cognitives.
12:43 L'une des thèses dans votre ouvrage, Michel Demurget,
12:47 c'est que nos enfants seraient, à force de moins lire,
12:52 d'être moins confrontés à cet apprentissage exigeant,
12:55 et à tous les bienfaits que cet apprentissage conduit,
13:01 des enfants moins intelligents que leurs aînés.
13:03 Est-ce que vous êtes d'accord avec cette assertion ?
13:06 Vous ai-je bien résumé ?
13:08 Presque.
13:10 Je vous ai mal lu.
13:11 Non, mais je veux dire, d'abord, ce n'est pas pessimiste,
13:13 parce qu'il y a quand même plein d'études qui montrent que quand on informe les parents,
13:16 quand on leur dit, quand on leur explique pourquoi, comment il faut lire, comment on fait des lecteurs,
13:20 les impacts sur le développement de l'enfance à la suite scolaire,
13:22 sa trajectoire de vie sont quand même majeurs.
13:24 Donc je pense que là, il y a une source d'optimisme, avec des études qui montrent,
13:27 effectivement, prenez des enfants dans la première année de la vie,
13:30 et puis on s'est dit aux parents, c'est important de leur dire des histoires,
13:32 c'est important de leur parler, c'est important de les conduire à la lecture.
13:35 Et vous avez, quand vous revenez six mois plus tard,
13:37 c'est une augmentation de 40 à 50 % du vocabulaire, donc ce n'est pas super pessimiste.
13:41 Après, sur le constat de l'intelligence, j'ai envie de dire que le manque de lecture
13:46 ne nous enlève pas de l'intelligence, mais elle nous empêche d'en construire en plus,
13:49 parce qu'on sait que la lecture, notamment l'intelligence humaine,
13:51 elle est en grande partie basée sur le langage.
13:53 Je veux dire, une spécificité de notre intelligence, c'est ce qu'on appelle l'intelligence verbale,
13:57 qui est liée aux connaissances, au raisonnement, aux capacités à raisonner sur le langage.
14:00 À partir du moment où vous touchez la lecture, vous allez toucher la structuration,
14:04 intimement, vraiment, la structuration du langage et de cette partie-là de l'intelligence.
14:08 Et donc, fondamentalement, les résultats ne sont pas drôles.
14:11 Votre regard sur cette thèse, Grégoire Borst ?
14:15 Je pense que c'est un point de désaccord, puisqu'on s'est vu juste avant.
14:19 Mais je ne pense pas que l'intelligence, de façon globale,
14:21 se soit effondrée dans les sociétés humaines.
14:23 Ce n'est pas ce que montrent les données.
14:25 Vous savez, cette idée de l'effet Flynn, qui serait...
14:28 Non, je ne sais pas. Il faut que vous m'expliquiez.
14:30 L'effet Flynn, c'est l'idée que quand vous faites des tests de quotient intellectuel,
14:33 qui est une façon de mesurer l'intelligence,
14:35 chaque génération, jusqu'à il y a une vingtaine d'années,
14:39 ce QI progressait d'une génération à une autre.
14:42 Et donc, c'était l'idée que les sociétés humaines devenaient de plus en plus intelligentes.
14:46 Et il semble que dans certaines sociétés, effectivement,
14:49 il y a une stagnation de cet effet Flynn, ou du quotient intellectuel,
14:52 voire même une régression. En fait, ce n'est pas tout à fait vrai.
14:54 C'est-à-dire qu'en fait, quand vous contrôlez pour un certain nombre d'items dans ces tests
14:58 qui sont très marqués d'un point de vue culturel et d'un point de vue historique,
15:01 effectivement, notre intelligence d'aujourd'hui n'est pas la même qu'il y a 20 ans ou il y a 50 ans.
15:05 Il faut rappeler que l'intelligence, c'est en soi quelque chose qu'on a du mal à définir.
15:08 Il faut savoir la définition que vous donnez de l'intelligence.
15:10 Si vous donnez la définition qui m'apparaît être une des définitions les plus intéressantes
15:16 de l'intelligence, qui est celle proposée par Jean Piaget,
15:18 qui est de dire que l'intelligence, c'est la capacité d'un grand psychologue suisse du développement,
15:25 qui est de dire que c'est le stade ultime de l'intelligence,
15:27 c'est l'adaptation de la biologie à l'environnement.
15:33 Oui, notre intelligence est en train de changer.
15:35 Mais ce que je dis simplement, c'est qu'effectivement, du point de vue du langage
15:39 et de l'intelligence verbale, on peut avoir des effets du manque de lecture
15:44 et d'un certain nombre d'autres facteurs sur l'intelligence qu'on appelle fluide,
15:48 la capacité de raisonnement, indépendamment de nos capacités verbales.
15:51 De ce point de vue-là, il n'y a pas de diminution.
15:53 C'est juste de réintroduire de la complexité par rapport à ça.
15:57 Michel Desmurgais ?
15:59 Oui, oui, oui, je suis...
16:00 Par rapport à cette complexité, est-ce qu'il y a une évolution des individus ?
16:05 Alors, évolution qu'on peut regretter, mais qui, en tout cas, n'atténue pas
16:11 les capacités cognitives grandes de nos enfants.
16:14 Non, mais il y a différents aspects dans l'intelligence, personne ne le discute.
16:17 Après, quand on prend, évidemment, l'intelligence, le développement de l'intelligence
16:20 dans son ensemble, il dépend du système éducatif, du système de santé,
16:23 de tout un tas de facteurs.
16:24 Maintenant, quand on prend des pays, il y a des pays qui sont obsessionnels de la mesure,
16:27 notamment les pays du Nord, le Danemark, la Suède, etc.
16:30 Quand on prend ces pays qui ont un système social, éducatif, de santé, qui est stable,
16:34 on s'aperçoit quand même que la diminution, elle est très nette.
16:36 Et elle est très nette, effectivement, notamment dans le champ de l'intelligence verbale.
16:41 Il y a des données en France, il y a des données en Allemagne,
16:43 il y a des données en Angleterre.
16:45 Donc, effectivement, sur cette part de l'intelligence verbale,
16:48 dans les pays pour lesquels les modes de vie sont à peu près stables
16:53 depuis quelques décennies, on a non seulement une stagnation,
16:57 mais une diminution de l'intelligence, liée à l'intelligence verbale, qui est nette.
17:01 Grégoire Bors, au final, est-ce que les discours qui consistent à dire
17:05 "les écrans développent d'autres formes d'intelligence",
17:08 "certes, les enfants ne sont pas comme leurs aînés, mais enfin,
17:12 ils savent faire des choses que nous ne savions pas faire",
17:14 est-ce que ce sont discours auxquels vous adhérez ?
17:16 Est-ce que vous les considérez au contraire comme lignifiants,
17:18 parce qu'ils nous rassurent à bon compte ?
17:20 Je pense que c'est dans les deux sens.
17:22 C'est-à-dire qu'il ne faut pas entraîner une sorte de panique morale
17:26 en pensant qu'effectivement, les écrans ont des effets massifs
17:29 sur le développement cognitif et langagier de l'enfant.
17:32 Certes, il y a des effets, ils peuvent être négatifs.
17:34 Quand ils sont négatifs, ils ne sont pas aussi massifs
17:36 qu'on peut l'entendre parfois dans le discours médiatique.
17:39 Je ne le dis pas du tout.
17:40 Il peut y avoir des retards langagiers de l'enfant
17:43 du fait de l'exposition aux écrans.
17:45 Mais je précise...
17:46 Ce n'est pas quelque chose de très...
17:48 Oui, attendez, la question c'est la taille de l'effet.
17:50 Est-ce que c'est massif ?
17:51 Ou est-ce que quand on prend d'autres facteurs,
17:53 par exemple si vous prenez le milieu social d'origine de l'enfant,
17:55 et c'est très bien dit dans le livre de Michel Desmerges,
17:58 c'est-à-dire qu'on sait que le facteur social
18:00 joue d'un ordre de 1 à 2,5 sur le nombre de mots de vocabulaire de l'enfant à 36 mois.
18:06 Les écrans, ce n'est pas du tout la même taille d'effet.
18:09 Alors c'est cumulatif, évidemment.
18:11 Il faut effectivement être vigilant là-dessus.
18:14 Donc je suis entièrement d'accord.
18:16 Et de la même manière, quand on a des effets positifs parfois de certaines pratiques,
18:19 par exemple les jeux vidéo et certains jeux vidéo,
18:21 il ne faut pas non plus laisser penser que c'est massivement positif.
18:25 Donc je dis simplement qu'il faut avoir une certaine forme de discours mesuré par rapport à ça,
18:30 et d'introduire une forme de complexité par rapport à ça,
18:32 et de comprendre qu'il y a des interactions entre plein de facteurs différents,
18:35 dont des facteurs familiaux et dont des pratiques parentales liées à l'utilisation de ces outils.
18:39 Et sur les écrans, il y a aussi la question de l'utilisation des parents,
18:42 et des écrans par les parents.
18:46 Parce que ça c'est absolument fondamental dans l'interaction parent-enfant.
18:48 Et donc il faut arrêter de mettre la faute systématiquement sur les enfants.
18:51 Parce que quand même, le discours, les enfants l'entendent.
18:53 Et ce discours-là, il est extrêmement stigmatisant pour les enfants.
18:56 Régine Hachondeau, je vous ai invitée parce que vous êtes présidente du Centre National du Livre.
19:01 Donc vous observez les pratiques de ces enfants.
19:04 Est-ce que nos enfants lisent moins que nous ne lisions auparavant au même âge ?
19:10 Qu'observez-vous sur ce qu'on appelle la littérature jeunesse, le rapport au livre ?
19:15 Oui, oui, oui. Objectivement, les enfants lisent moins.
19:19 Les adolescents passent 6h45 en moyenne sur les écrans par jour.
19:24 Donc il faut aller chercher le temps de lire.
19:27 Et puis, je ne suis pas du tout scientifique,
19:30 et notamment sur le fonctionnement ni cognitif ni du cerveau,
19:33 donc je ne me lancerai pas sur ce champ-là.
19:35 En revanche, dans le cadre du plan que nous avons lancé au Centre National du Livre
19:39 pour le développement de la lecture, du goût de la lecture et de la notion de lecture-plaisir,
19:43 dont vous parlez beaucoup dans votre ouvrage "À raison",
19:46 nous voyons bien dans les classes dans lesquelles nous organisons,
19:50 avec des auteurs, des ateliers d'écriture, des résidences d'écriture,
19:55 on voit bien d'abord le niveau très disparate et un peu affolant des élèves
20:01 et certainement la difficulté des enseignants là-dessus de pouvoir traiter une classe dans son ensemble.
20:05 On voit heureusement l'effet positif du dédoublement des petites classes,
20:09 là et ça, ça a été assez immédiat.
20:11 Mais on voit bien que la maîtrise du vocabulaire
20:15 ne permet pas, dans certaines circonstances,
20:19 de mener à bout un atelier d'écriture, je pense, aussi riche qu'il pourrait l'être.
20:25 C'est objectif.
20:26 Et puis quand on parle avec les pédiatres,
20:28 et notamment avec le docteur Silvio Zicca, que vous connaissez certainement,
20:33 qui a créé un collectif sur exposition "écran",
20:36 COSE dans son acronyme,
20:39 elle nous dit qu'elle a effectivement énormément d'enfants,
20:43 même des enfants à 6 mois, qui passent 6 heures.
20:46 Alors c'est un tout petit pourcentage,
20:50 mais elle est très inquiète.
20:51 Les pédiatres sont très inquiets de ce qu'ils constatent dans le comportement des enfants,
20:56 l'agitation, le sommeil, l'incapacité de regarder dans les yeux.
21:00 Lorsqu'on passe trop de temps, le langage bien évidemment qui s'appauvrit terriblement,
21:05 les interactions familiales qui ne se font pas,
21:07 elle a développé les quatre pas.
21:08 Pas le matin au réveil, pas dans la chambre, pour les écrans,
21:11 pas le soir avant de s'endormir et pas à table.
21:14 Mais est-ce que là aussi, lorsque ces enfants grandissent,
21:17 est-ce que vous observez qu'ils lisent moins ?
21:20 Qu'ils lisent plus mal, parce que ce que dit Michel Desmurgais,
21:23 c'est non seulement qu'on lit moins, mais que quand on lit moins,
21:26 on a de plus en plus de difficultés.
21:28 Alors les livres dont le Centre National du Livre cherche à promouvoir l'usage,
21:35 est-ce qu'ils sont moins fréquents chez ces jeunes ?
21:38 Est-ce qu'ils ne lisent pas la même littérature ?
21:40 Parce que là aussi, il ne faut pas faire d'angélisme.
21:42 Si on lit des classiques, ce n'est pas la même chose que de lire des livres
21:47 qui sont peut-être plus simples, moins riches.
21:49 Au-delà des classiques, parce que je ne vous poserai pas classique et contemporain,
21:53 je vais parler de la fiction, de la littérature générale.
21:56 Oui, auprès des jeunes, elle est en baisse.
21:58 Objectivement, les chiffres dans les études que vous reprenez
22:01 à un moment dans le livre, vous dites qu'on est trop optimiste,
22:05 on dit juste la vérité d'Ipsos.
22:07 C'est-à-dire que la première question, 86% des jeunes qui sont interviewés
22:13 disent qu'ils aiment lire, mais c'est déclaratif.
22:17 Je pense qu'ils sont conscients du fait qu'il faut répondre qu'ils aiment lire.
22:21 Après, quand on creuse, comme vous avez pu le remarquer,
22:24 on se rend bien compte que la littérature générale,
22:27 donc la fiction, l'imaginaire, sous la forme du livre classique, baisse.
22:32 On se rend compte que 47% d'entre eux déclarent faire autre chose
22:37 pendant qu'ils lisent, ce qui forcément a un impact
22:40 sur la concentration et la mémoire.
22:42 Quand c'est faire autre chose, c'est les réseaux sociaux,
22:44 les vidéos sur Youtube et les communautés sur TikTok.
22:49 Oui, objectivement, je souscris au livre de Michel Desmurgé à 100%.
22:58 Peut-être une chose qui est complexe, c'est la culpabilité qu'on exerce sur les parents.
23:05 Je pense notamment à des mères seules, avec plusieurs enfants,
23:11 une journée de travail harassante et le courage de prendre ce temps de lecture le soir absolument indispensable.
23:18 Mais je vais vous dire quelles seraient les solutions, pour moi.
23:21 Michel Desmurgé, ce que l'on constate dans votre livre,
23:24 et en quelque sorte c'est normal puisque vous êtes docteur en neurosciences,
23:28 vous n'êtes pas sociologue, mais il y a effectivement une différence sociale,
23:32 tous les spécialistes le disent, entre les différentes pratiques de lecture.
23:37 Il y a certaines familles qui surinvestissent ce champ-là et qui réussissent à faire lire leurs marmots,
23:43 et d'autres, qui pour différentes raisons, les font moins lire.
23:48 C'est quelque chose que vous ne prenez pas en compte,
23:51 avec la difficulté de certains parents pour les faire lire.
23:54 Parce qu'on peut être parfaitement convaincu par votre discours
23:57 et avoir des difficultés pratiques à le mettre en œuvre.
24:00 C'est mentionné dans le livre, ces difficultés, notamment des familles parentales, monoparentales, sont discutées.
24:06 Encore une fois, on n'est pas des parents parfaits.
24:08 - Mais pas seulement de ces familles-là.
24:10 - Non, pas seulement monoparentales.
24:11 - De faire lire un jeune, j'ai des exemples empiriques à vous montrer,
24:15 ce n'est pas quelque chose de facile.
24:17 - Oui, mais ce que je trouve intéressant dans ce qui vient d'être dit,
24:20 c'est que les enfants adorent qu'on leur lise des histoires.
24:22 Donc la question, ce n'est pas de leur donner le plaisir de lire,
24:24 c'est de faire en sorte qu'ils ne s'étiolent pas avec le temps.
24:26 Et là, effectivement, le rôle de la famille, le rôle de l'accompagnement, il est important.
24:31 - Mais là, lire, vous le dites, lire des histoires, ça va jusqu'à 9-10 ans.
24:34 Après 10 ans, l'enfant…
24:36 - Oui, mais c'est ça qui va construire le reste.
24:37 C'est avec ça qu'on va construire et donner à l'enfant les prérequis qui vont lui permettre de continuer.
24:42 Un enfant, vous ne lui avez pas lu d'histoire,
24:44 quand il arrive à 9 ans et que vous le lâchez,
24:46 ou quand il arrive au collège ou au lycée, vous lui mettez Bellamy,
24:48 demandez à un tétraplégique de monter l'Everest et ça sera pareil.
24:51 - Je vous assure que pour avoir lu des histoires à des enfants jusqu'à 9-10 ans
24:55 et les confronter à Bellamy ou au caractère de la brouillère lorsqu'ils en ont 15 ou 16,
25:00 il y a une sorte de saut qui se fait ou qui ne se fait pas, Michel Demurget.
25:05 - Personne n'a dit qu'il y avait une solution au miracle.
25:08 Il y a trois solutions.
25:10 La première, il faut diminuer le temps d'écran.
25:12 Sans dire aux enfants, tu lis et après tu pourras aller sur ta console,
25:15 parce que sinon c'est très négatif, donc il faut diminuer le temps d'écran.
25:17 Il faut faire que l'enfant intègre la lecture très précocement dans ses habitudes familiales.
25:21 Juste une anecdote, ma fille sort de l'école un jour, elle devait avoir 5-6 ans,
25:25 et il y a un petit gamin qui se pointe vers elle et qui lui dit "moi, je suis un gamer".
25:28 Et ma fille, elle est un peu interloquée, elle le regarde et elle lui dit "moi, je suis une lecteur".
25:31 Et donc il faut que l'enfant, il intègre ça, je veux dire, dans ce qu'il est.
25:35 L'un des prédicteurs fondamentaux, l'un des prédicteurs les plus puissants de la réussite scolaire d'un gosse,
25:40 c'est le nombre de bouquins qu'il y a dans la maison.
25:42 Pas tellement parce qu'ils sont sur l'étagère, mais parce que ça veut dire que les parents lisent,
25:45 donc les enfants envoient les parents lire, les parents lisent aux enfants.
25:47 Et évidemment, le livre, c'est une acculturation, c'est un héritage, c'est un leg qu'on donne à l'enfant.
25:52 Donc effectivement, il faut que les... Il y a un travail à faire qui est très difficile à faire pour l'école.
25:57 Grégoire Borst.
25:58 Non, mais le nombre de livres, par exemple, dans un foyer, c'est un proxy du milieu social d'origine.
26:03 Et le milieu social d'origine, ça joue sur le développement cérébral des quatre mois après la naissance.
26:07 C'est ce que Bourdieu appelait le capital culturel.
26:09 On peut le réinterpréter sur la base du problème du milieu social d'origine.
26:13 Je rappelle que quand même, dans un certain nombre de sociétés, l'écrit n'est pas développé
26:17 et que pour autant, l'intelligence se développe dans ces sociétés-là.
26:19 Il y a des cultures de l'oral, donc il faut faire un peu attention à ce qu'on dit de façon collective de ce point de vue-là.
26:24 On sait qu'effectivement, le nombre de livres à la maison joue sur la réussite scolaire,
26:28 mais il y a plein d'autres facteurs qui jouent sur la réussite scolaire.
26:30 Mais la lecture, ça joue sur un certain nombre de mécanismes transverses qui sont fondamentaux pour réussir à l'école.
26:36 Par exemple, sur ma capacité de concentration, ça va développer ma capacité de mémoire à court terme.
26:41 Ça va développer ma capacité de régulation face à l'écrit et ainsi de suite.
26:46 Donc en fait, ce lien direct, il est problématique parce que ce n'est pas en soi la lecture qu'il faut réussir à développer.
26:51 C'est l'ensemble de ces fonctions transverses.
26:53 Et arrêtons un peu de juger en permanence du pied qui est le nôtre de parents bien établis en disant que c'est ce qu'il faudrait faire.
27:02 Écoutez, la société a changé. Elle est en train de se transformer. L'intelligence est en train de changer.
27:06 Et je pense qu'il faut aussi écouter les enfants dans ce contexte-là.
27:09 Vous dites que c'est déclaratif, mais c'est exactement déclaratif pour ce qui concerne le temps d'écran.
27:13 Donc je veux dire, pourquoi on fait deux points de mesure ?
27:16 Ici, quand ils disent « j'aime lire », on dit « attention, c'est déclaratif ».
27:19 En fait, ils n'aiment pas vraiment lire. Il y a un caractère, je dirais, de désirabilité sociale à ça.
27:23 Mais dans le cas contraire, on dit « attention, là, par contre, il ne faut pas les écouter parce que c'est du déclaratif ».
27:27 Je trouve que le deux points de mesure me gêne un peu.
27:30 Michel Desmurgèles.
27:31 Ce n'est pas seulement un proxy du milieu social parce que les études bien faites prennent en compte le milieu social
27:36 et montrent que quel que soit le milieu social, quel que soit, y compris dans les familles défavorisées,
27:41 il y a un impact important du nombre de livres.
27:43 Il y a des études expérimentales qui, dans les familles les plus défavorisées,
27:48 dans des ghettos en Afrique du Sud, ont mis en place des programmes de développement du livre
27:52 qui ont eu des impacts à long terme, y compris sur des parents qui avaient des difficultés à lire,
27:56 qui, entre guillemets, lisaient des images, qui ont eu des impacts extrêmement positifs à long terme.
28:00 Le fait de donner des livres à des enfants de milieux défavorisés a un impact important sur le développement de l'enfant.
28:06 Et quant à savoir si c'est la lecture ou si c'est le proxy, évidemment que la lecture,
28:10 ce n'est pas le nombre de livres qui est rentré ni la lecture,
28:12 évidemment que la lecture, elle agit parce qu'elle agit sur le langage,
28:15 parce qu'elle agit sur la concentration, sur l'imaginaire, sur la créativité,
28:18 sur les capacités de rédaction, y compris les capacités orales.
28:21 Elle agit sur l'empathie, donc elle agit sur tout un tas de facteurs.
28:24 Et évidemment qu'elle agit via ces facteurs.
28:26 Mais ce n'est pas parce qu'elle agit via ces facteurs qu'elle n'est pas intéressante pour le développement.
28:30 Et les enfants défavorisés aussi ont le droit d'avoir accès à cet outil quand même unique d'émancipation.
28:37 Régine Hachondeau.
28:38 D'accord. Et puis on n'a pas non plus que des grands lecteurs dans les milieux favorisés.
28:41 Il y a énormément de milieux favorisés où les enfants ne sont pas forcément avec leurs parents le soir
28:45 parce que les parents bossent beaucoup ou que sais-je, et qu'ils ne lisent pas.
28:49 Donc il y a l'inégalité sociale qui est majeure,
28:51 mais au fond l'inégalité d'accès au langage, elle n'est pas que sociale, elle est majoritairement sociale.
28:57 Ensuite, au fond, vous parlez beaucoup de la réussite.
29:01 La réussite, la réussite, la réussite scolaire.
29:03 Moi je n'ai même pas envie, même si je pense que c'est important pour un être de s'en sortir à l'école,
29:09 je n'ai même pas envie de parler de ça.
29:10 Le fait de savoir lire, d'aimer lire, c'est savoir s'exprimer, savoir exprimer sa pensée,
29:16 c'est savoir se défendre.
29:18 Et se défendre en parlant et pas en cognant.
29:20 Et je pense que donc, avant tout, c'est une question de bonheur.
29:24 Ce n'est pas une question uniquement de réussite scolaire.
29:27 - Frédéric, ce qui marche le mieux pour faire ça, c'est ce qu'on appelle des programmes qui développent les compétences psychosociales.
29:31 Et on le fait, on peut le faire en tout cas, il y a un certain nombre d'études qui le montrent très bien.
29:35 Ça se fait en dehors de la lecture.
29:36 Donc la lecture, bien sûr, parce que c'est développer le plaisir de lire,
29:40 c'est développer les capacités langagières de l'enfant.
29:42 Mais avoir ce prisme de penser que c'est par cela qu'on règle tous les grands problèmes,
29:46 parce que ça va jouer sur l'empathie ou autre.
29:48 Si vous voulez développer l'empathie des élèves, il y a d'autres moyens qui marchent beaucoup plus rapidement que la lecture.
29:53 Je ne dis pas que ce n'est pas important que les jeunes générations lisent.
29:57 Je dis simplement que c'est un peu le miroir aux alouettes.
30:00 L'idée que hop, on va leur donner un livre et qu'on va régler toutes les problématiques.
30:03 - Personne ne dit ça.
30:04 - Absolument pas.
30:05 Je dis simplement que si vous voulez développer, par exemple, des problématiques de diminuer les conduites agressives dans les écoles,
30:11 il faut faire des programmes qui visent à développer les compétences socio-émotionnelles dans l'école.
30:15 Il faut que ce soit dans le programme.
30:16 Et donc, effectivement, il faut faire un peu de place à ça.
30:18 Sauf que dans notre culture, on dit non, il faut la grande littérature
30:22 parce que ça va régler tous les problèmes.
30:24 - Non, c'est caricatural.
30:25 Personne n'a dit que ça allait régler tous les problèmes.
30:27 Ce qu'on a dit, c'est que parmi toutes les activités que montre la littérature scientifique
30:31 qui sont positives pour le développement de l'enfant, la musique, le dessin, le sport,
30:34 aucune n'a des effets aussi profonds, aussi unanimes, aussi variés et aussi importants
30:39 sur la trajectoire de vie d'un enfant et sur sa réussite scolaire que la lecture.
30:43 On ne dit pas que c'est un truc magique qui va tout développer.
30:45 On dit que parmi les choix qui sont proposés à l'enfant,
30:48 la lecture est un choix de loisir qui a un rapport qualité-prix
30:52 sans aucun équivalent dans ce qu'on peut proposer à l'enfant
30:56 en termes de loisir, de plaisir, etc.
30:58 - Ce qui veut dire, Michel Desmurgais, pour qu'on vous comprenne bien,
31:00 que par exemple, la fréquentation des classiques en cinéma,
31:04 le fait qu'il y ait d'autres pratiques, je ne sais pas, de la musique par exemple,
31:09 parce que les enfants écoutent beaucoup de musique,
31:11 ils lisent probablement moins de poésie, mais ils écoutent beaucoup de musique.
31:15 Tout cela ne peut pas contrebalancer...
31:18 - Ça ne développe pas la même chose.
31:20 Il ne s'agit pas de dire qu'il faut balancer le cinéma.
31:22 Le cinéma, c'est un art. Il n'y a aucun problème là-dessus.
31:26 Cela étant dit, le cinéma ne va pas développer la même chose.
31:29 On le voit très bien dans les livres qui ont été passés en film.
31:32 Par exemple, "Au temps d'un porte-levant",
31:35 le film a été mis au patrimoine de cette version du cinéma américain.
31:40 C'est un excellent film.
31:41 Mais le vocabulaire, c'est CE2, alors que dans le livre, c'est terminal.
31:44 Les formes grammaticales, la richesse des personnages...
31:46 Donc le cinéma, c'est autre chose, mais ce n'est pas quelque chose
31:50 pour développer le langage, les capacités de lecture,
31:52 qui sont encore une fois fondamentales à la construction du gamin en tant que citoyen et de son cerveau.
31:56 - Régina Tchoundou.
31:57 - Évidemment, on ne pense pas que la lecture est le seul remède
32:00 à tous les maux de l'enfant et de son développement.
32:03 En revanche, il est évident qu'elle est la base de tout.
32:05 C'est la mère de tous les arts, de toutes les formes de sensibilité.
32:09 Et ça n'empêche pas d'avoir des ateliers spécifiques pour développer l'émotion chez l'enfant.
32:17 On est tous d'accord avec ça.
32:18 Je pense en revanche que si on n'a pas des positions, à un moment, un peu radicales...
32:23 Il y a des campagnes contre l'alcool et le tabac.
32:25 Il y a la campagne "5 fruits et légumes" pour lutter contre l'obésité.
32:29 Je ne dis pas que tout se fait avec beaucoup de succès.
32:31 On a quand même diminué le tabac en France depuis 20 ans.
32:33 Et bien, je pense que maintenant, il faut décider qu'on a un problème de santé psychique et mentale
32:38 à venir, qui fait qu'il doit y avoir des immenses communications sur les bienfaits de la lecture.
32:43 Un mot Grégoire Bors de conclusion ?
32:45 Mais je pense encore une fois qu'il faut promouvoir la lecture parce qu'elle a un certain nombre de vertus.
32:51 Mais penser que ça va régler les problématiques de santé mentale en France, c'est aberrant.
32:55 On ne peut pas dire ça aujourd'hui.
32:56 Ce n'est pas ça qui va régler les problématiques de santé mentale en France.
32:59 Il faut effectivement sensibiliser, avoir une éducation à la santé chez les enfants et chez les adolescents.
33:03 Ce qu'on n'a pas encore fait.
33:04 Le dernier mot Michel Demurger, qu'est-ce qu'il faudrait faire selon vous ?
33:07 Puisque on est quand même souvent convaincu qu'il faut faire lire les enfants.
33:11 On n'y arrive pas toujours.
33:12 Donc, j'ai des témoignages à votre disposition si vous le souhaitez.
33:16 Qu'est-ce qu'il faut faire ?
33:17 Il faut informer les parents.
33:18 Il faut mobiliser la société civile.
33:20 Il faut mobiliser l'école.
33:21 Essayer d'accorder un peu plus de temps dans les programmes à la lecture scolaire ou extrascolaire.
33:26 Mais je pense que le principal point, c'est effectivement de sensibiliser les parents
33:30 qui, encore une fois, ne sont pas conscients de la profondeur et de l'ampleur des impacts que ça a sur la vie de l'enfant.
33:36 C'est le meilleur moyen de changer pour le mieux la trajectoire de vie d'un gosse.
33:40 Dans les loisirs qu'il peut avoir.
33:41 Faites-les lire votre ouvrage.
33:43 En finir avec le Crétin Digital paru aux éditions du Seuil.
33:47 Merci Grégoire Borst.
33:48 Je rappelle que vous êtes professeur de psychologie, du développement et de neuroscience cognitive.
33:52 Merci Régina Tchondo, présidente du Centre National du Livre.

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