Julia Cagé x Philippe Manière : un journal est-il une entreprise comme une autre ?

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Thème du jour du débat du 7/10 : « Un journal est-il une entreprise comme une autre ? » Julia Cagé, économiste, spécialiste de l’économie des médias. Philippe Manière, président et co-fondateur de la société de conseil Vae Solis Communications. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mercredi-30-aout-2023-5503230

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00:00 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10.
00:05 On va revenir sur le grand sujet média de l'été, la grève au journal du dimanche.
00:10 Grève historique de 99% de la rédaction pendant plus d'un mois pour protester contre la nomination
00:17 à la tête du journal de Geoffroy Lejeune, ancien directeur de l'hebdomadaire Valeurs
00:22 Actuelles, nomination voulue par les actionnaires Arnaud Lagardère et Vincent Bolloré.
00:26 Cette affaire pose la question suivante, un journal est-il une entreprise comme une autre
00:32 où l'actionnaire est maître, chez lui peut nommer, licencier, qui il souhaite, quand
00:36 il le souhaite, et déterminer la ligne éditoriale de la publication.
00:41 Pour en débattre, Julia Cagé, professeure d'économie à Sciences Po, spécialiste de
00:47 l'économie des médias, et Philippe Manière qui fut 20 ans journaliste et désormais président
00:52 de la société de conseil Vaes Solis Communications.
00:55 Et bonjour à tous les deux, merci d'être là pour ce débat du 7/10.
00:58 D'abord, quel est votre regard à l'un et à l'autre sur la séquence qui a occupé
01:04 les conversations tout cet été, qui a agité tout cet été ? Qu'est-ce qu'elle dit aussi
01:07 du paysage médiatique de la France en 2023 ? Qu'est-ce que vous en retenez ? D'abord
01:12 vous Julia Cagé.
01:13 D'abord je veux saluer le courage des journalistes du JDD qui se sont mis en grève pendant 40
01:18 jours, c'est une grève historique par sa longueur.
01:20 Pourquoi ? Pour se battre pour leur indépendance et pour se battre plus largement pour l'indépendance
01:25 des médias en France.
01:26 Ce que ça nous dit aujourd'hui c'est que le paysage médiatique français est quand
01:29 même de plus en plus dévasté, avec des médias qui se retrouvent sous le contrôle d'actionnaires
01:34 et en particulier d'un actionnaire, Vincent Bolloré, qui a détruit au fur et à mesure
01:38 depuis 2015 les rédactions dont il a fait l'acquisition.
01:41 On peut parler d'ITL qui est devenu CNews, on peut parler d'Europa, on peut parler de
01:45 ce qui s'est passé à Paris Match, de ce qui se passe aujourd'hui au JDD.
01:48 Et ce qui est profondément triste en fait, c'est que malgré la mobilisation, qui a
01:51 été une mobilisation des journalistes, qui a été aussi une mobilisation populaire,
01:55 beaucoup plus que ce qu'on avait pu voir avant, qui a été une mobilisation d'une
01:59 partie au moins des députés, le pouvoir en place n'a rien fait.
02:02 Et du coup, le pouvoir en place laisse faire comme si finalement l'indépendance des
02:06 médias et la qualité de l'information produite ne faisaient pas partie de ses préoccupations
02:10 vaillées.
02:11 On va venir à la question effectivement des outils politiques.
02:14 Vous Philippe Manière, vous nous avez dit en préparant ce débat, il ne faut pas s'inquiéter
02:18 de cette séquence, non, la République n'est pas en péril.
02:20 Expliquez-nous.
02:21 Je n'ai pas dit ça, ou en tout cas je n'ai pas dit seulement ça.
02:23 Ce qui est vrai, c'est qu'il me semble que c'est une affaire très triste pour
02:26 ceux qui l'ont vécu.
02:27 Moi j'ai des amis au JDD, à l'ancienne formule, et j'ai suivi ça.
02:31 Et évidemment c'est un crève-cœur, parce que quand on aime une rédaction, quand on
02:34 aime une ligne éditoriale, et il est vrai qu'il y avait quelque chose de particulier,
02:37 de sui generis dans le JDD à l'ancienne formule, on souffre beaucoup de l'annonce
02:42 de sa disparition.
02:43 Et c'est complètement légitime.
02:44 Et moi je reconnais, comme Julia, qu'il y a eu beaucoup de courage dans le combat de
02:48 ceux qui ont essayé de défendre le maintien du statu quo.
02:51 Là où je disais qu'il n'y avait pas forcément péril dans la demeure, c'est que moi je
02:54 maintiens que ce qui est important c'est que l'information soit diverse et variée.
02:58 Et le fait qu'une ligne éditoriale change, c'est très contrariant pour un certain nombre
03:02 de lecteurs, pour ceux qui font le journal, au point que certains veulent partir, et c'est
03:05 bien compréhensible.
03:06 Ça n'est pas forcément contrariant du point de vue de la démocratie, dès lors,
03:10 et c'est une condition importante, on y reviendra sans doute, dès lors qu'il reste
03:13 de la variété, dès lors que toutes les voix sont entendues, dès lors qu'on n'a
03:16 pas, et là-dessus on peut se poser la question de savoir si on n'est pas relativement
03:19 près de cette situation, mais mon point de vue c'est qu'on n'y est pas aujourd'hui,
03:22 dès lors qu'on n'a pas l'intégralité des médias importants entre les mains d'une
03:26 poignée de gens.
03:27 On n'en est pas là, à mon avis, mais c'est ça l'enjeu, mais c'est un enjeu qui est
03:30 à terme et dont je ne crois pas que l'affaire du JDD le rende beaucoup plus aigu ou seulement
03:34 marginalement, parce qu'il y a beaucoup de journaux, il y a beaucoup de médias.
03:37 Les gens aujourd'hui, malheureusement, j'allais dire du point de vue de l'ancien journaliste
03:39 que je suis, ne s'informe plus principalement avec les journaux, et donc le changement de
03:44 propriété d'un journal, aussi contrariant que ce fut encore une fois pour les lecteurs
03:48 et pour ceux qui le font, ça n'est pas, me semble-t-il, en France aujourd'hui,
03:52 et qui est donc, un problème démocratique majeur.
03:54 Vous êtes d'accord avec ça, Julia Cagé ? Le changement de ligne éditoriale, c'est
04:00 contrariant, dit de toute manière, mais ce n'est pas un drame pour la démocratie.
04:04 En fait, le problème c'est la manière dont ça se fait.
04:06 Ce qui s'est passé au JDD, c'est que vous avez eu la nomination d'un directeur de la
04:11 rédaction, contre l'avis de 99% des journalistes.
04:14 On ne parle pas d'un changement de ligne éditoriale.
04:17 Il y a eu récemment des changements de ligne éditoriale dans plusieurs médias.
04:20 On parle du fait que vous avez un actionnaire qui, du jour au lendemain, du fait de sa seule
04:25 volonté, donc du fait de son argent, est prêt à s'asseoir sur l'indépendance et
04:28 le travail de toute une rédaction.
04:30 Sauf que ce n'est pas l'actionnaire qui produit de l'information de qualité, c'est
04:33 la rédaction.
04:34 Donc il faut interroger aujourd'hui cette possibilité donnée aux actionnaires, finalement,
04:38 de ne plus respecter l'indépendance de leurs médias.
04:40 C'est ce qui s'est passé à ITD, Europe 1.
04:42 Et je pense que ce qui est aussi intéressant dans tous ces cas, ITD, Europe 1, le JDD,
04:47 c'est la perte de talent.
04:48 Si vous prenez ITD, ces news aujourd'hui, vous avez beaucoup moins de journalistes,
04:53 donc de journalisme, sur ces news que sur ITD.
04:56 Si vous prenez Europe 1, la taille de la rédaction a été divisée par quasiment deux depuis
05:00 l'arrivée de Vincent Bolloré.
05:02 Si on prend ce qui va se passer au JDD, on peut faire le pari aujourd'hui, vous aurez
05:06 au moins la moitié, voire les deux tiers de la rédaction, qui ne seront pas remplacés.
05:10 On a aujourd'hui en France beaucoup moins de journalistes, de personnes qui produisent
05:13 de l'information, qu'il y a encore 5 ou 10 ans.
05:16 Ce qui veut dire qu'on est moins informés collectivement.
05:18 Ça je pense que ça devrait nous inquiéter pour la démocratie.
05:20 Je suis relativement d'accord.
05:22 Moi aussi, si vous voulez, j'ai la nostalgie du journal de l'Honnêtôme.
05:24 Moi j'ai commencé ma carrière, pardon, ça ne dit pas grand-chose, au moins de 20
05:27 ans, au quotidien de Paris, qui était l'incarnation de la diversité, j'allais dire du bazar.
05:31 Pardonnez-moi, j'allais dire du bordel éditorial.
05:33 Les journaux de Philippe Tesson, c'était ça.
05:35 C'est-à-dire qu'il y avait des gens qui étaient très à droite, il y avait aussi
05:37 des gens qui étaient très à gauche.
05:38 On se rappelle peut-être que Dominique Jammet avait appelé à voter Mitterrand.
05:41 Donc moi j'ai aimé ces journaux où il y avait de l'effervescence, de la contradiction,
05:45 et où dans le fond, la ligne n'était pas très palpable.
05:47 Mais comme le montre malheureusement l'échec de tous les journaux de Philippe Tesson, pour
05:50 lequel j'ai gardé l'adulation la plus complète, ça ne se vend pas très bien.
05:53 Et j'allais dire, à l'époque ça se vendait encore un peu, le journal de l'Honnêtôme.
05:56 Aujourd'hui, c'est affreux, je le déploie en moi-même.
05:59 C'est très difficile à vendre le journal de l'Honnêtôme.
06:01 Et quand vous regardez l'évolution des médias, regardez le New York Times, regardez
06:04 les journaux qui étaient connus pour la variété des points de vue qui étaient exprimés,
06:07 vous avez de plus en plus une spécialisation sur une ligne éditoriale.
06:11 Souvent, on peut même dire, si on caricature un peu, que ça devient des bulletins par
06:14 ratio.
06:15 C'est-à-dire que toute une communauté qui pense pareil est heureuse de lire ce qui
06:18 est produit par le média.
06:19 C'est triste de mon point de vue.
06:20 - Il y a des exceptions, il y a deux moments.
06:21 - Bien sûr, il y a des exceptions.
06:22 Je voudrais juste finir là-dessus.
06:23 Donc c'est triste, je le déplore personnellement.
06:25 Et moi, j'ai la nostalgie de l'époque précédente.
06:27 Mais nous vivons dans l'époque où nous vivons.
06:28 Et donc aujourd'hui, du point de vue économique, puisque la question qu'on se pose c'est
06:31 « est-ce que c'est une entreprise comme les autres ? ».
06:32 Ma réponse, comme la vôtre Julia, c'est non, mais c'est une entreprise.
06:35 Et aujourd'hui, la plupart des médias qui marchent, malheureusement, vendent une ligne
06:39 éditoriale très solide, avec très peu de journalisme, comme vous le connaissez auparavant.
06:42 Une vision éditoriale, qui est parfois riche intellectuellement, et avec de la qualité
06:46 de plume, mais ce ne sont plus du tout les mêmes journaux.
06:48 - Malheureusement, vous avez double mentor pour le New York Times.
06:51 D'une part, si on parle du New York Times, vous avez des pages opinions.
06:54 - Ça je les connais.
06:55 - Les pages opinions du New York Times, justement, beaucoup plus que celles qu'on a dans le
06:59 JDD.
07:00 Vous prenez les trois derniers numéros du JDD, beaucoup plus que ce qu'on a dans beaucoup
07:03 de médias français.
07:04 Mais l'exemple du New York Times est extrêmement intéressant pour une autre raison.
07:07 Au New York Times, depuis qu'il y a eu un changement actionnarial en cours des années
07:11 70, on a deux classes d'actions.
07:13 Ça veut dire quoi concrètement ? C'est-à-dire que vous avez les salariés et la famille
07:17 qui sont actionnaires.
07:19 Chacune de leurs actions leur donne 10 droits de vote.
07:21 Et ensuite, vous avez des actionnaires extérieurs, parmi lesquels des milliardaires.
07:24 On connaît Carlos Slim, c'est l'exemple de l'actionnaire du New York Times, qui pour
07:28 chaque action n'a qu'un droit de vote.
07:30 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que malgré le fait que le New York Times ait dû aller
07:33 chercher de l'argent, comme beaucoup de médias en France, auprès de millionnaires, on a
07:36 donné davantage de pouvoir et on a conservé le pouvoir aux salariés, et en particulier
07:41 aux journalistes.
07:42 Ça marche très bien comme média.
07:43 Économiquement, c'est un média qui regagne de l'argent, c'est un média qui regagne
07:46 des lecteurs, c'est un média qui repose de moins en moins sur la publicité et c'est
07:49 un média qui a une gouvernance démocratique.
07:51 Donc on est pas un public mais un modèle de milliardaire français.
07:54 Vous venez d'annuler la preuve la plus éclatante que la question n'était malheureusement
07:57 pas seulement celle du capital.
07:58 Car comme vous le dites très justement, le New York Times, même celle de la gouvernance,
08:02 le New York Times est organisé d'une telle manière qu'on devrait avoir un journal qui
08:06 a les moyens d'être pluraliste et qui donc est pluraliste.
08:08 Moi, le New York Times, je l'ai lu avec dévotion pendant 25 ou 30 ans, j'ai cessé de le lire,
08:12 je l'ai lu professionnellement mais plus du tout avec le plaisir que j'avais avant, depuis
08:16 4 ou 5 ans, parce que la ligne éditoriale, alors même que c'est pas le capital qui l'imposait,
08:20 a beaucoup changé.
08:21 Et elle est devenue comment vous la caractérisez ?
08:23 Beaucoup plus monocorde, beaucoup plus univoque, c'est-à-dire qu'on a quasiment une ligne,
08:28 j'allais dire, je veux pas caricaturer, mais très walkisée.
08:30 Et donc vous avez beaucoup moins de variété.
08:32 C'est un effet des années Trump, ça, selon vous ?
08:34 Je pense que c'est un effet, malheureusement, et c'est le cadrage général de la conversation
08:37 qu'on a aujourd'hui, c'est que la polarisation qui est arrivée aux Etats-Unis et elle arrive
08:41 en France, beaucoup de gens, malheureusement, et encore une fois je le déplore, veulent
08:44 lire quelque chose qui leur plaît et ne veulent pas forcément avoir de la variété
08:48 de point de vue.
08:49 C'est donc pas une question de capital.
08:50 Mais vous savez, les journalistes de JDD étaient tout à fait heureux de produire
08:53 des contenus qui plaisaient aux lecteurs.
08:54 Vous avez aucun journaliste qui est content d'écrire des choses qui ne plaisent pas
08:58 à leur lecteur.
08:59 Est-ce que vous définissez comme walk, c'est peut-être simplement l'évolution d'une
09:02 partie de la société aux Etats-Unis qui a moins de 20 ans, ou qui a 20 ans, ou qui
09:06 ne lisait pas le New York Times il y a encore 40 ans, et qui est content finalement de
09:11 voir des évolutions en accord avec ces principes.
09:13 Mais c'est tout à fait différent de produire des contenus qui suivent l'évolution de
09:16 la société.
09:17 Par exemple, on ne pourrait plus parler des femmes aujourd'hui, y compris dans le New
09:20 York Times, comme on le faisait il y a 40 ans, que d'avoir un actionnaire qui impose
09:24 une idée éditoriale complètement différente de celle qui est choisie par 99% des journalistes
09:30 qui travaillent dans l'entreprise.
09:31 On ne parle pas du tout du même problème.
09:33 Encore une fois, pour avoir été journaliste et pour avoir d'innombrables amis journalistes,
09:36 j'ai le plus grand respect pour la vision qu'ont les journalistes, et pour le confort
09:40 ou l'inconfort en tout cas qu'ils ont quand il se passe ce qui vient de se passer.
09:42 Cependant, je ne crois pas que les journalistes aient une légitimité à définir la ligne
09:49 éditoriale.
09:50 Je pense qu'il est important qu'il y ait beaucoup de lignes éditoriales incarnées
09:54 dans beaucoup de médias, mais je ne crois pas que dans chaque média, il soit naturel,
09:59 légitime que les journalistes décident de la ligne éditoriale qui sera portée par
10:02 le journal dont ils sont journalistes.
10:03 Mais Vincent Bolloré est légitime à définir la ligne éditoriale d'un nombre croissant
10:06 de médias en France.
10:07 Je ne dis pas que c'est à Vincent Bolloré de le faire, je dis que c'est normal que
10:11 quand vous avez un projet éditorial pour mes éditeurs, vous composiez votre équipe
10:15 éditoriale autour de ce projet.
10:17 Alors là où moi j'ai un petit problème quasi juridique, c'est que très curieusement,
10:20 quand on change le capital d'un journal, d'un média, vous avez en France ce qui
10:26 s'appelle la clause de cession, tout le monde s'en va avec un chèque, c'est-à-dire
10:28 un avrant pour ceux qui restent parce qu'il y a moins d'argent.
10:30 Mais ça existe et après tout pourquoi pas ? Mais il n'y a plus l'exercice aussi
10:35 facile que ça aurait pu être imaginé au début de la clause de conscience.
10:38 Moi ce qui me semble vraiment, alors absolument de droit naturel et qu'il faut rétablir
10:42 parce qu'aujourd'hui ça s'est perdu, c'est le droit pour un journaliste qui n'est
10:44 pas confortable avec une nouvelle ligne éditoriale de partir dans les conditions d'un licenciement.
10:48 En fait il se trouve que la clause de conscience existe encore et que Vincent Bolloré a refusé
10:54 de l'ouvrir à mon repas en prétendant qu'il n'y avait pas eu de changement de
10:57 clause de conscience.
10:58 Et la clause de conscience, déjà ça laisse à penser que c'est à l'éditeur d'en
11:01 décider.
11:02 C'est faux.
11:03 Mais en fait ce que vous oubliez là-dedans c'est que même si la clause de session
11:05 ou la clause de conscience existait de manière parfaite et elles ont été introduites en
11:08 France en 1935-1936, c'est qu'elles ne peuvent plus être utilisées aujourd'hui
11:12 par les journalistes parce que vous avez de moins en moins de journalistes.
11:15 Je suis complètement d'accord avec vous.
11:16 Il y a encore 10 ans, 15 ans, il y a 30 ans R100 a racheté un média, les journalistes
11:20 n'étaient pas d'accord, ils allaient ailleurs.
11:21 Et maintenant ils vont pointer au chômage.
11:22 Et ça c'est encore une fois une perte de talent.
11:25 Oui, et c'est à mon avis le vrai sujet.
11:26 Le sujet qu'il faut qu'il reste de la diversité pour le lecteur et pour que les
11:30 journalistes qui ne sont pas content de l'année éditoriale du journal où il est travaillé
11:33 et qui change de ligne puissent aller ailleurs.
11:34 Et c'est vrai que moi j'ai connu l'époque où il y avait 25-30 éditeurs à Paris.
11:38 Aujourd'hui il en reste 7-8.
11:40 Et donc si vous vous fâchez avec un ou deux, vous n'êtes pas très bien au niveau de
11:43 votre carrière.
11:44 Il y aura peut-être un nouveau titre du dimanche puisque un autre milliardaire.
11:48 Parce qu'ainsi va la presse aujourd'hui.
11:50 Vous n'êtes pas d'accord avec ça.
11:53 Vous trouvez ça bien.
11:56 Vous, vous trouvez ça regrettable qu'aujourd'hui la presse soit la propriété des milliardaires.
12:01 Mais de fait on en est là.
12:02 Et du coup ça…
12:03 Ce qui n'est pas génial.
12:04 En fait si je trouve ça regrettable que ça soit la propriété des milliardaires,
12:09 mais c'est l'état des lieux actuels, on pourrait faire mieux.
12:12 Ce que je trouve regrettable surtout, c'est qu'aujourd'hui dans l'état actuel des
12:15 choses, on pourrait changer le droit afin de protéger les journalistes contre les ingérences
12:20 de leur propriété.
12:21 Alors donner un droit comme c'est le cas, en l'occurrence au journal Le Monde, de
12:25 récuser le patron.
12:27 Ou aux échos d'ailleurs.
12:28 Vous n'êtes pas d'accord avec ça ?
12:29 Non, je suis complètement d'accord.
12:30 Si les éditeurs trouvent que c'est une concession à faire à la fois parce que les journalistes
12:35 seront plus heureux de travailler dans une rédaction qui fonctionne comme ça, ou parce
12:39 que ça garantit du point de vue du lecteur donc peut-être indirectement de leur business
12:42 une forme d'indépendance, très bien.
12:44 En tout cas, rendre ça obligatoire par la loi, ça je suis contre.
12:47 Mais que des éditeurs s'organisent comme ça, je trouve ça très bien.
12:50 Mais c'est pas aux éditeurs de faire cette concession.
12:52 On a toujours eu en France une régulation spécifique du secteur des médias.
12:56 On a eu cette obligation qui a suivi la loi, on appelle souvent ça la loi de 1986, on
13:00 ne comprend pas très bien pourquoi, parce que c'était la droite au pouvoir.
13:02 En fait c'est la loi de 1984 qui a été mise en place par les socialistes et qui
13:06 a été considérablement affaiblie deux ans plus tard par la droite de retour au pouvoir.
13:10 Et on a une régulation spécifique du secteur, pour en revenir à la question que vous nous
13:13 posez aujourd'hui, parce qu'on considère que les médias ne sont pas des entreprises
13:17 comme les autres.
13:18 Pourquoi ?
13:19 Parce qu'ils produisent un bien public qui s'appelle l'information.
13:21 Julia Cagé, il y a une autre question que pose l'affaire du JDD.
13:24 C'est que le nouveau titre du dimanche, ce sera un autre milliardaire, je le disais,
13:28 Rodolphe Saadé qui devrait être l'actionnaire.
13:31 Est-ce qu'il y a des bons et des mauvais actionnaires ? C'est ça la question.
13:36 Je veux dire, ils sont tous milliardaires, donc je vais les citer, Xavier Niel, François
13:39 Pinault, Rodolphe Saadé, Bernard Arnault, Daniel Kretinsky et Vincent Bolloré.
13:43 Est-ce qu'à vos yeux, il y a des bons et des mauvais actionnaires de journaux ?
13:46 Aujourd'hui, vous avez des actionnaires de journaux qui agissent mal.
13:49 Vincent Bolloré a mal agi.
13:51 Ce qui s'est passé aux Échos il y a quelques mois aussi avec une grève, d'une partie
13:54 de la rédaction montre que Bernard Arnault a mal agi.
13:56 Et vous avez des actionnaires qui n'interviennent pas trop.
13:59 Ensuite, il n'y a pas de bons et de mauvais actionnaires, parce que malheureusement, un
14:02 bon actionnaire peut devenir rapidement mauvais.
14:04 Déjà parce qu'il peut décéder, on peut avoir son fils qui prend sa suite.
14:08 Je ne suis pas sûre que Arnault Lagardère respecte complètement l'héritage de son
14:12 père.
14:13 Et ensuite parce que finalement, ce que fait un actionnaire et ce qu'il décide de faire
14:16 peut être un peu fragile.
14:17 Ce qui m'inquiète beaucoup aussi avec Vincent Bolloré, c'est finalement qu'il montre que
14:21 tout est possible.
14:22 Il pousse toujours la barque un peu plus loin, il va toujours un peu plus loin dans les atteintes
14:26 à la liberté d'informer et personne ne réagit.
14:29 Et je pense que notamment ce qui s'est passé aux Échos avec la révocation du jour au
14:32 lendemain contre l'avis de la rédaction du directeur de la rédaction est une des conséquences
14:37 de ce que fait Vincent Bolloré.
14:38 Parce que finalement, les autres milliardaires se disent « pourquoi nous on est si respectueux
14:42 de l'indépendance ? » Vous faites la distinction entre les bons
14:44 et les mauvais milliardaires, Philippe Agner.
14:46 Moi je ne vais pas donner des bons et des mauvais points, mais ce qui est vrai c'est que certains
14:49 se comportent mieux que d'autres, certains respectent plus l'indépendance de la rédaction
14:52 que d'autres, ça c'est vrai, c'est documenté.
14:53 Quand on connaît les journalistes et la rédaction, on le sait.
14:55 Je crois que derrière tout ça, il faut quand même se poser la question de savoir pourquoi
14:58 c'est des milliardaires qui ont acheté les journaux.
14:59 Alors eux sont, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, généralement motivés
15:03 par la fierté, le bonheur d'être reçu à l'Élysée.
15:05 C'est ce que me disait l'un d'entre eux il y a quelques années.
15:08 Personne ne m'avait jamais reçu quand j'étais juste milliardaire, maintenant que j'ai acheté
15:11 tel journal, je suis invité régulièrement.
15:13 Donc il y a ça, il y a le désir d'influence, la vanité, le désir d'influence, ce ne sont
15:16 pas des motivations très nobles, mais elles existent et c'est ce qui explique qu'eux
15:19 le fassent.
15:20 Mais ce qu'il faut se demander c'est pourquoi c'est eux qui arrivent à les acheter ? C'est
15:23 parce qu'il n'y a personne d'autre qui veut acheter un journal.
15:25 Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, c'est presque impossible de gagner de l'argent avec un journal.
15:28 On a connu l'époque, alors non, il y a des exceptions, il y a des groupes de médias
15:32 très prospères, l'ensemble, M.C.Certel, pardon de parler d'un concurrent sur le plateau,
15:36 il y a des gens qui…
15:37 - Le Chaiti, le M.Sensor, le 1, Sensor Béan, le Guardian est possédé par une fondation
15:41 et pas par un milliardaire.
15:42 - Oui d'accord, on est en France.
15:43 - Le Guardian n'est pas un petit journal.
15:44 - Non, non, je ne parle pas du Guardian, on était en France.
15:45 - Ouest France, possédé par une association principale, titre français en anglais.
15:49 Ce n'est pas un petit journal, Ouest France.
15:50 - C'est une interrompe, je n'ai pas dit que c'était un petit journal.
15:52 Je dis que parmi les journaux qu'on a connus, vous et moi, au cours des 15 ou 20 dernières
15:56 années, beaucoup ont connu ou connaissent des difficultés économiques.
15:59 C'est bien la preuve qu'aujourd'hui, c'est difficile de réunir les conditions
16:02 de la rentabilité.
16:03 Et donc, c'est subsidièrement que ces milliardaires prennent le contrôle de ces journaux avec
16:06 des intentions plus ou moins angéliques ou diaboliques, c'est un autre sujet.
16:10 Mais malheureusement, pour répondre à la question qui nous a été posée, une entreprise
16:14 de presse est aussi une entreprise commes elles ont.
16:15 Donc il faut trouver quelqu'un qui accepte de prendre le risque actionnarial.
16:19 Et souvent, malheureusement, ça se traduit par l'envie de faire une éditoriale très
16:22 claire, très univoque, parce que c'est ce qui se vendra.
16:25 Parfois, derrière, ils ont un agenda politique personnel.
16:27 Mais aujourd'hui, malheureusement, on est dans un univers où la richesse d'un débat
16:32 n'est pas forcément prometteuse d'un grand succès commercial du point de vue des médias.
16:37 - Dernière question, Julia Cagé, d'un mot, qu'aurait dû faire le gouvernement, selon
16:40 vous, sur l'affaire du JDD ?
16:43 - Sur l'affaire du JDD, c'était extrêmement simple.
16:46 Il suffisait à la ministre de la Culture de prendre un décret qui modifiait les conditions
16:50 d'attribution des aides à la presse et les conditionnait à l'attribution aux journalistes
16:54 d'un droit de veto sur le choix du directeur ou de la directrice de la rédaction.
16:56 Ça lui aurait pris, je ne vais pas dire 5 minutes, ça serait un peu injuste, ça lui
16:59 aurait pris 5 jours.
17:00 C'est vrai que ça aurait changé le rapport de force.
17:02 - Un petit problème juridique, quand même.
17:03 - Ah non, elle a fait le même décret en décembre 2021, c'est-à-dire il y a moins
17:06 d'un an, où elle a rajouté dans les conditions d'attribution des aides à la presse le fait
17:09 d'avoir un ou deux journalistes.
17:10 Le fait de rajouter ce droit de veto pour le choix du directeur de la rédaction était
17:16 parfaitement légal, juridique.
17:17 - Avoir un ou deux journalistes, ça ressortait au pur bon sens, le droit de veto.
17:20 - C'est du pur bon sens.
17:21 - Ah non, les journalistes, c'est des problèmes constitutionnels.
17:22 - Merci à tous les deux.
17:23 - Pour le coup, pas du tout.
17:24 - Merci à tous les deux, Julia Cagé et Philippe Manière.

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