• il y a 4 mois
Comment l'Europe raconte les bouleversements de notre vie politique. Avec Sophie Pedder, chef du bureau à Paris de l'hebdomadaire britannique The Economist, Marta Konopka, correspondante en France du quotidien polonais "Gazeta Wyborcza" et Gilles Gressani, directeur de la revue "Le Grand Continent". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-04-juillet-2024-6016505

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00:00Débat ce matin sur la séquence politique totalement inédite que traverse la France sous les yeux parfois médusés des médias étrangers.
00:09La dissolution, un pari fou pour la presse européenne. La France en terrain inconnu, selon The Economist.
00:17La percée du RN, Veni, Vidi, Vici. Vici, pardon, je suis venu, j'ai vu Vici, à la une du quotidien communiste italien Il Manifesto.
00:29Alors, comment les Européens perçoivent-ils la crise politique qui secoue notre pays ?
00:34Quel regard portent sur la situation française ceux qui ont fait l'expérience de pouvoir populiste ou illibéraux ?
00:43On va en parler ce matin avec Sophie Péder, la chef du bureau à Paris de l'hebdomadaire britannique The Economist.
00:49Bonjour, avec Marta Kielczewska-Konopka, correspondante en France du quotidien polonais Gazeta Wiborcza.
00:59Bonjour, et pour finir ce tour de table, Gilles Gressani, directeur de l'excellente revue Le Grand Continent, disponible en ligne et en librairie.
01:10Enseignant à Sciences Po, vous avez dirigé le portrait d'un monde cassé, l'Europe dans l'année des grandes élections.
01:17C'était chez Gallimard Livre dont on avait parlé, à ce micro. Bonjour à vous.
01:21Bonjour.
01:22Et merci à tous les trois d'être au micro d'Inter. La France a été prise de cour et de vitesse suite à la décision d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée Nationale.
01:33Une campagne éclaire, un premier tour qui voit le Rassemblement National arriver en force à la première place.
01:40Beaucoup de Français ont été sidérés, mais j'ai l'impression que vous l'avez été aussi.
01:46Est-ce que je me trompe, Sophie Péder ?
01:48Non, je pense que vous avez raison. Nous, les Britanniques, les Européens, plus généralement, on a eu la même réaction,
01:54c'est-à-dire une espèce de stupéfaction inattendue, et puis dès que les sondages ont apparu pour la première fois, la même réaction que les Français.
02:05Mais je pense que d'un point de vue d'un Britannique, c'est quand même incroyable cette espèce de désynchronisation entre nos deux pays.
02:13Regardez ce qu'il se passe au Royaume-Uni actuellement, aujourd'hui. C'est les élections générales, ça vote.
02:18Au Royaume-Uni, l'alternance tranquille, c'est la une des échos.
02:24Oui, mais je pense qu'on connaît le résultat avant le vote, c'est-à-dire que les sondages donnent une avancée incroyablement importante aux travaillistes
02:34et ça va être la fin, je pense, de 14 années de conservateurs.
02:39Donc nous, on met fin, depuis le Brexit en 2016, à une période d'instabilité, de nationalisme, partis populistes, gestion chaotique du pays,
02:51et on arrive, je pense, on va rentrer dans une période beaucoup plus stable.
02:56Alors que qu'est-ce qu'il se passe en France ? C'est exactement peut-être l'inverse, c'est l'inconnu, au moins c'est l'inconnu.
03:02Certains disent d'ailleurs que c'est le moment Brexit de la France.
03:05Cette image vous semble contestable ou elle dit quelque chose ?
03:10Ça dit quelque chose, pas sur le fond, mais sur l'idée, de façon totalement inattendue, d'avoir une élection comme ça,
03:21avec l'espoir, j'imagine, ça doit être le raisonnement du Président, l'espoir de gagner en France,
03:27comme David Cameron à l'époque quand il a organisé ce référendum, il pensait gagner le Brexit.
03:34C'était pas pour perdre, pareil, dans le même sens, inattendu, un pari incroyablement fou des deux côtés.
03:42Donc dans ce sens-là, oui, il y a un vrai parallèle.
03:45Marta Kielczewska-Konopka, comment vous avez vécu ces trois dernières semaines ?
03:52Écoutez, les Polonais les voient avec vraiment un grand désarroi et une grande inquiétude.
03:58L'évolution de la situation en Pologne est scrutée de très près.
04:02De la situation en France ?
04:04Oui, la situation en France.
04:06Parce que nous, on vient de réussir à la combattre et ça a ressurgi ailleurs.
04:13Et puis il y a ce désarroi parce que l'Ouest était censé être plus sage, plus démocratique.
04:19Et le populisme, c'était quand même le domaine de l'Europe de l'Est.
04:23Donc là, c'est un grand désarroi et l'inquiétude.
04:26Surtout par rapport à Marine Le Pen.
04:30Elle est vue vraiment comme un agent de Poutine.
04:33Personne en Pologne a des doutes là-dessus.
04:36Elle a pris son argent.
04:38Elle a déclaré que l'Ukraine était la zone d'influence des Kremlins.
04:43Elle voulait se retirer de commandement de l'OTAN.
04:46Et cette réticence à fournir les armes qui étaient répétées à plusieurs reprises.
04:51Toutes ces décisions, ça va dans le sens des Kremlins.
04:55On craint que les soutiens de la France à l'Ukraine diminuent.
04:59Et ça, c'est vraiment le prisme principal.
05:01La grosse inquiétude au niveau politique et au niveau de l'aide militaire.
05:05C'est une élection qui est regardée de très très près chez vous.
05:08Oui, et puis au niveau de l'Union Européenne, l'affaiblissement.
05:12Et en Italie, Gilles Gressani, avec un regard italien,
05:19comment avez-vous vécu cette séquence, comme on dit maintenant ?
05:23Je pense qu'il y a un mot, un verbe qui s'est imposé dans le débat français
05:27qui dit assez bien l'intensité dans laquelle la relation franco-italienne est présente dans cette élection.
05:32C'est le verbe méloniser.
05:34C'est le substantif mélonisation.
05:36C'est le néologisme qui a été comme ça fondé et qui en réalité s'accompagne d'une stratégie assez précise.
05:40Est-ce que Marine Le Pen, arrivant au pouvoir, se méloniserait ?
05:44C'est comme ça qu'il est employé.
05:46Et la conséquence logique de ce faux mot, de ce mot qui ne fonctionne pas, et on pourra en parler...
05:51Allez-y, parlez-en, pourquoi il ne fonctionne pas ?
05:54En fait, fondamentalement, j'ai l'impression qu'en France, on a sous-estimé
05:58et on est en train de sous-estimer ce que serait l'arrivée au pouvoir du RN
06:02alors qu'on a sur-estimé ce que c'était en réalité l'arrivée de Meloni au palais Kitschi
06:07donc à la présence du conseil en Italie.
06:09Il faut quand même rappeler que Giorgia Meloni est une figure
06:13de la vie politique italienne extrêmement institutionnelle.
06:16Elle était la plus jeune ministre sans portefeuille du gouvernement Berlusconi
06:20elle a été vice-présidente de la Chambre des députés
06:23et c'est une figure totalement institutionnelle.
06:25Son parti et le groupe auquel elle appartient, il a fait partie tout au long de l'expérience Meloni
06:30de l'ère Berlusconi, du gouvernement de l'Italie.
06:33Donc en réalité, ce qui s'est passé d'important, c'est que
06:37l'ère Berlusconi était caractérisée par une grande coalition
06:40dans laquelle il y avait le centre-droite et la droite du centre-droite qui étaient plus faibles
06:44aujourd'hui, le rapport de force est inversé.
06:46Mais il n'y a pas de changement substantiel et radical
06:50aussi parce que le cadre institutionnel italien est très différent
06:53le parlement est extrêmement puissant, ce qui fait que l'exécutif, le gouvernement
06:56n'a pas autant de poids que ça
06:58et surtout, il y a un rôle du Président de la République
07:01qui est un arbitre qui peut parfois aussi jouer, qui peut tirer des lignes rouges.
07:04Donc en réalité, l'arrivée en septembre 2022 de Meloni
07:09à Kigy a été interprétée en France comme la nouvelle marche
07:13sur Rome, les fascistes prennent le contrôle d'Italie, ce qui était faux
07:16et donc ça a donné l'impression qu'en réalité, le fait que finalement l'Italie s'en sorte
07:19pas trop mal, qu'il y ait de la stabilité, etc.
07:22au fond pourrait être répété dans le cas français, ce qui est une vue de l'esprit totale.
07:25Et qu'est-ce qu'on sous-estime dans le Rassemblement National ?
07:28Vous avez dit, on sur-estime Meloni mais on sous-estime le RN.
07:33Qu'est-ce qu'on sous-estime ?
07:34On sous-estime la rupture radicale qui est portée par
07:37d'abord un parti qui reste un parti familial
07:40dans lequel il n'y a personne qui a une expérience de gouvernement suffisante.
07:44La France est une puissance dotée.
07:47On parle quand même d'une cohabitation nucléaire possible
07:50avec des figures qui, ça a été rappelé, ont des relations très étroites
07:54avec la Russie poutinienne.
07:56On remarque aussi qu'hier, le ministère des Affaires étrangères russe
07:59a signalé son intérêt à voir le RN
08:02et notamment la Marine Le Pen au pouvoir pour marquer une rupture
08:05vis-à-vis des dictates, je cite, de Bruxelles et Washington.
08:08Il y a aussi une rupture, je pense, et c'est fondamental,
08:11avec l'identité de la France.
08:13Parce qu'en réalité, le droit de sol, la manière française
08:16de concevoir la citoyenneté, au-delà d'un cadre ethno-racial, nationaliste,
08:21c'est quelque chose qui a fait la force de ce pays
08:24et dans le temps très long, celle depuis le XVIe siècle.
08:27Et enfin, un point qui à mon avis est encore plus structurel,
08:30c'est que la République fondée par le général de Gaulle
08:33excluait la continuité pétainiste.
08:37Les institutions, on l'a vu avec le mouvement,
08:40le sursaut du parti républicain,
08:43peuvent être même très à droite, mais il faut qu'il y ait,
08:46il marque une rupture vis-à-vis d'une part d'ombre
08:49qui est celle du XXe siècle français.
08:51Et là-dessus, encore une fois, il n'y a pas eu une rupture nette.
08:54On le voit avec une campagne où émergent des figures
08:57particulièrement ambiguës du passé.
08:59Sophie Péder, ce serait une rupture radicale,
09:02aussi profonde que celle que vient de décrire Gilles Gressani,
09:06si le RN devait obtenir une majorité absolue ?
09:10Oui, je pense que je n'ai pas une analyse
09:13qui diffère de celle qui a été présentée là.
09:16Je pense que pour les Britanniques, c'est encore plus compliqué
09:19sur le plan, je dirais, de la relation éventuelle,
09:23future entre le Royaume-Uni et l'Europe.
09:26Parce que là, on aura en toute probabilité un gouvernement
09:29travailliste qui n'a pas dit pendant la campagne,
09:33mais qui aura envie d'avoir une relation plus apaisée
09:37avec l'Europe, au moment où, éventuellement,
09:40vous aurez en France un gouvernement nationaliste
09:44qui n'est pas du tout européen.
09:47Et là, je pense que ça va créer une tension compliquée
09:50pour le prochain gouvernement britannique.
09:53C'est un moment incroyablement important pour nous tous
09:56à cause de la guerre en Ukraine.
09:58La coopération entre la France et le Royaume-Uni
10:01au niveau militaire, sur les questions de sécurité,
10:04est extrêmement proche.
10:06Et je sais que ça reste la domaine du Président,
10:10mais ça sera compliqué.
10:12Donc, je pense que tout cet espoir au Royaume-Uni
10:15de la part du Parti travailliste de travailler mieux avec l'Europe,
10:19travailler mieux avec la France au niveau politique,
10:22ça va, éventuellement, être beaucoup plus compliqué.
10:26Marta Kielczewska-Konopka,
10:29en Pologne, le Parti droit et justice
10:32est resté au pouvoir pendant 8 ans,
10:35de 2015 à 2023.
10:37Aujourd'hui, le pays est gouverné par une alliance
10:40de trois mouvements démocratiques,
10:42mais le retour à l'état de droit est compliqué.
10:45Les médias ont été durablement affaiblis.
10:48Des membres de ce Parti droit et justice
10:52sont toujours à la tête de grandes institutions d'État.
10:56La page d'un régime autoritaire
11:00se tourne de manière compliquée.
11:04Ce n'est pas si facile que ça ?
11:06Non, justement, pas du tout.
11:09Et c'est ça ce qui est dangereux
11:12dans la prise de pouvoir par l'extrême droite.
11:16Il y a les libertés qui sont amputées petit à petit.
11:20Ce n'est pas un grand changement.
11:23Ce n'est pas un grand changement,
11:26c'est la tactique du salami.
11:28C'est tranche par tranche pour amputer les libertés.
11:31Ce n'est pas un grand chamboulement.
11:34Ce qui est insidieux, c'est que ça divise
11:37durablement la société,
11:40en dehors des questions institutionnelles.
11:43Il y a toujours des proches du pouvoir,
11:46qui sont aux institutions.
11:49On ne revient pas à la démocratie libérale comme ça.
11:52Libérale au sens propre du terme.
11:55Le problème, c'est que ça a été fait
11:58avec les voix qui ont été votées pour préserver ce pouvoir.
12:01Maintenant, il faut jouer selon les jeux
12:04qui ont été établis.
12:07Pour démanteler tout ça, il faut du temps.
12:10Il y a toujours les présidents à l'airbot.
12:13C'est un pontin qui a signé toutes les lois
12:16et tout ce qui a été demandé.
12:19Il est toujours là jusqu'en mai 2025.
12:22Il y a toujours des gens
12:25qui se sont assurés
12:28qu'ils vont rester plus longtemps.
12:31La Banque centrale, toutes les institutions importantes.
12:34Et la coalition qui a gagné.
12:37C'est le tiers qui est nécessaire
12:40pour voter les changements structurels.
12:43La France vous semble-t-elle être le pays malade de l'Europe ?
12:46Quand on observe
12:49le cas italien et le cas français,
12:52on a l'impression
12:55qu'on est à front inversé.
12:58L'Italie nous avait habitué à être le laboratoire politique
13:01de l'Europe, peut-être du monde.
13:04Depuis 10 ans, l'Italie a connu des gouvernements
13:07aussi différents que ceux menés par l'eurocrate en chef Mario Draghi
13:10ou un super populiste comme
13:13Matteo Selvini.
13:16Par un populiste de centre, Matteo Renzi, avec un fort dégagisme
13:19et une ambition de réforme.
13:22Et de l'autre côté, le 5 étoiles avec une dynamique très populaire.
13:25A l'été, on a vécu 10 ans
13:28d'expériences politiques très intenses.
13:31Ce qui est intéressant, c'est que Mélanie s'inscrit un peu
13:34à porte-à-faux vis-à-vis de ça.
13:37Plutôt que l'intensité politique
13:40et une promesse de changement en 6 mois d'un système,
13:43l'inverse. Stabilité,
13:46apaisement, rémunération
13:49de certains points d'identité blessée
13:52dans un monde de cassés qui fait de plus en plus peur.
13:55C'est ça aussi qui est structurellement, en partie pernicieux
13:58de la démarche, mais différent du côté du RN.
14:01Parce qu'au fond, ce qu'on observe avec le RN, c'est qu'ils sont en train
14:04d'essayer de présenter leur programme de rupture
14:07comme un programme de continuité. Justement, en mettant en avant
14:10leur analogie avec Mélanie.
14:13Quand on prend par exemple le cas de l'euro et leur changement
14:16total de position vis-à-vis de ça, on peut se demander
14:19quelle est leur vraie position. C'est un vrai questionnement démocratique.
14:22D'un mot, France, pays le plus malade d'Europe ?
14:25Écoutez, si on peut considérer le Royaume-Uni
14:28comme un pays européen, jusqu'à là, je pense que le Royaume-Uni
14:31a été quand même le pays le plus malade.
14:34Y compris sur le plan économique, gestion
14:37des finances publiques, instabilité politique. Mais là,
14:40c'est peut-être le cas,
14:43c'est le tour de la France de prendre le relais.
14:46Et selon vous, Martha, la France, pays le plus malade
14:49d'Europe ? Maintenant, c'est le plus important
14:52qui se passe en Europe.

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