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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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00:00:00 La première des visiteurs du soir, c'est dans un instant,
00:00:04 juste après le rappel des titres avec Isabelle Piboulot,
00:00:07 que je vois pour la première fois.
00:00:09 - Bonsoir Frédéric, bonsoir à tous.
00:00:11 Une aide supplémentaire de 15 millions d'euros
00:00:15 offerte par l'État au Resto du cœur.
00:00:17 En difficulté financière, le président de l'association
00:00:20 avait annoncé être contraint de réduire le nombre de bénéficiaires
00:00:24 cet hiver face à des demandes d'aide en hausse
00:00:27 en raison de l'inflation.
00:00:28 Par solidarité, certaines enseignes de distribution
00:00:31 ont également annoncé la mise en place d'opérations de collecte
00:00:34 avant la fin de l'année.
00:00:36 Mathieu Kassovitz, victime d'un accident de moto.
00:00:39 L'acteur français de 56 ans se trouvait à l'autodrome
00:00:42 de l'Inas Montlery dans l'Essonne, où il effectuait
00:00:45 un stage de perfectionnement de conduite
00:00:48 lorsqu'il a été éjecté du deux-roues.
00:00:50 Le réalisateur du film La Haine a été transporté
00:00:53 à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, blessé à une cheville et au bassin.
00:00:57 Son pronostic vital n'est pas engagé.
00:00:59 Une enquête a été ouverte.
00:01:01 Et puis dans l'actualité internationale en Espagne,
00:01:05 le pays fait face à des inondations au nord et à l'ouest.
00:01:08 Selon les médias locaux, au moins deux personnes ont été tuées hier
00:01:13 alors qu'elles descendaient le canyon du Gorgol
00:01:15 dans les Pyrénées espagnoles.
00:01:17 Ces intempéries surviennent après une série de vagues de chaleur
00:01:21 et devraient durer jusqu'à demain.
00:01:24 (Générique)
00:01:36 - Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:39 Je suis ravi de vous retrouver pour une nouvelle saison.
00:01:41 Le mot d'ordre est toujours le même.
00:01:43 L'actualité, ce sont des vagues qui se cassent sur la plage.
00:01:46 Nous, ce qui nous intéresse, c'est la mer qui est en dessous.
00:01:49 À 22h20, on s'intéressera à la pénurie de professeurs
00:01:53 qui mine la rentrée scolaire.
00:01:54 Et comme à chaque rentrée, des profs et des chefs d'établissement
00:01:58 écrivent des livres pour se plaindre du système,
00:02:01 eh bien, on en a réuni cinq pour qu'ils nous disent ce qui ne va pas.
00:02:04 Ève Vaguerland qui publie "Un prof ne devrait pas dire ça".
00:02:09 Gilles Descas, l'auteur de "Pourquoi l'école va-t-elle si mal".
00:02:12 Nicolas Glière pour "École, le crépuscule des savoirs".
00:02:16 Patrice Romain pour "Omerta dans l'éducation nationale".
00:02:21 Les chefs d'établissement sortent du silence et en duplex,
00:02:24 il y a Jean-Paul Brighelli qui publie "L'école à deux vitesses",
00:02:28 rien que des titres réjouissants.
00:02:30 À 23h, on reviendra sur le coup d'État au Gabon.
00:02:33 En plus, c'est une véritable épidémie,
00:02:35 une fois encore dans un pays où la France a des intérêts importants.
00:02:38 On verra ça avec Caroline Roussy et Elgaz et Georges Seur
00:02:42 qui a été ambassadeur de France dans plusieurs États africains.
00:02:45 À 23h30, on terminera l'émission avec Patrick Rimbour
00:02:48 qui sort "Une histoire du Paris gastronomique du Moyen-Âge à nos jours".
00:02:52 Et oui, Paris au Moyen-Âge était déjà un paradis pour les gourmands.
00:02:56 On pouvait même se faire livrer chez soi des plats tout préparés.
00:02:59 Le Covid n'a rien inventé.
00:03:01 Mais commençons tout de suite avec notre premier visiteur du soir,
00:03:04 c'est Nicolas Baverez, l'auteur de "Démocratie contre empire autoritaire".
00:03:08 En effet, les BRICS, qui étaient cinq avant l'invention de l'Ukraine,
00:03:11 la Chine, la Russie, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud,
00:03:14 sont devenus onze au sommet de Johannesburg qui vient de se tenir à la fin du mois d'août.
00:03:19 L'Iran et l'Arabie saoudite les ont rejoints, ainsi que l'Argentine, l'Égypte,
00:03:23 les Émirats Arabes Unis et l'Éthiopie.
00:03:26 Les BRICS représentent maintenant plus de 3 milliards d'habitants,
00:03:29 27% de la surface de la planète et un quart du commerce mondial.
00:03:33 Et de nombreux pays comme l'Algérie ou le Nigeria sont candidats à l'adhésion.
00:03:37 Alors faut-il s'en inquiéter ?
00:03:39 L'hebdomadaire Marianne parle dans son dernier numéro d'un nouveau Yalta.
00:03:43 Vous, Nicolas Baverez, vous avez réagi dans le Figaro.
00:03:46 Les BRICS, d'après vous, veulent fédérer le Sud global contre l'Occident.
00:03:51 Sous la bannière de la Chine, oui.
00:03:53 C'est une aventure qui est assez extraordinaire parce qu'il faut rappeler que l'acronyme de BRICS,
00:03:59 au départ c'est le stratégiste de Goldman Sachs qui a inventé ça
00:04:03 pour en fait vendre des obligations de pays émergents.
00:04:07 Et donc au départ, il a trouvé cette espèce d'acronyme
00:04:12 puisqu'on a Brésil, Russie, l'Inde, ensuite la Chine
00:04:17 et puis le S qui était un petit S est devenu l'Afrique du Sud, South Africa.
00:04:22 Et donc ce qui était au début une invention marketing est devenu une réalité politique.
00:04:30 Et cette réalité politique, c'est vrai qu'elle a changé de dimension lors du sommet de Johannesburg
00:04:36 parce que quand on regarde aujourd'hui ces 11 pays, ça fait 45% de la population mondiale
00:04:41 et 25% de la production mondiale.
00:04:43 J'ajoute que si on regarde le secteur de l'énergie, quand on a maintenant l'Arabie Saoudite,
00:04:50 les Émirats Arabes Unis, l'Iran, la Russie,
00:04:55 c'est vrai qu'en matière d'hydrocarbures, on a quand même une force de frappe assez spectaculaire.
00:05:00 Plus le Brésil également.
00:05:03 Avec l'Argentine maintenant.
00:05:05 Oui, mais alors l'Argentine d'un point de vue économique est plutôt...
00:05:11 Mais justement, je disais, Marianne a fait sa couverture sur un nouveau Yalta.
00:05:16 Vous parlez de force de frappe, mais enfin là on parle de guerre économique.
00:05:20 Oui, alors ce qu'il faut bien comprendre, c'est que ces BRICS en fait sont extrêmement éclatés
00:05:27 et ils sont divisés, notamment l'affrontement entre la Chine et l'Inde
00:05:32 pour un affrontement militaire dans l'Himalaya,
00:05:35 un affrontement stratégique pour maintenant un affrontement économique
00:05:40 puisque l'Inde va avoir 7% de croissance quand la Chine n'en a plus que 3,
00:05:44 et puis une rivalité pour le leadership de ce sud global.
00:05:49 C'est très intéressant de voir par exemple que le prochain sommet du G20
00:05:52 va avoir lieu à New Delhi en Inde et que Xi Jinping a décidé de ne pas y aller.
00:05:57 Alors qu'ils étaient ensemble et qu'ils avaient l'air très bien s'entendre.
00:06:01 Ils étaient ensemble à Johannesburg.
00:06:04 C'est vrai que la Chine aujourd'hui a des difficultés,
00:06:07 donc sans doute Xi Jinping ne veut pas apparaître en difficulté face à Joe Biden.
00:06:13 La dernière fois qu'ils s'étaient rencontrés, c'était en Indonésie pour le précédent sommet du G20.
00:06:18 Mais l'autre raison, c'est qu'il y a une rivalité, y compris entre la Chine et l'Inde,
00:06:23 pour se contrôler et devenir le leader de ce sud global qui compte de plus en plus
00:06:30 et qui pourrait être effectivement décisif pour encercler l'Occident
00:06:36 et pour passer à un monde post-occidental.
00:06:40 Parce que c'est ça et c'est vraiment cette idée qui est partagée par tous ces pays.
00:06:44 C'est que l'ordre de 1945 est un ordre qui est injuste
00:06:48 parce qu'en réalité servant les intérêts de l'Occident.
00:06:52 Et donc que dans ce monde multipolaire, il faut qu'il y ait maintenant un autre ordre mondial
00:06:57 où le rapport de force soit différent et où l'Occident n'ait plus la main.
00:07:02 On voyait Vladimir Poutine sur les images, lui était là en vidéo.
00:07:06 Il ne pouvait pas venir en Afrique du Sud.
00:07:08 Oui, à cause de son inculpation et des risques qu'il courait.
00:07:12 Il ne sera pas non plus d'ailleurs en Inde, même s'il court moins de risques en Inde,
00:07:19 mais il sera de nouveau présent en vidéo.
00:07:23 C'est quand même très difficile d'unifier le Sud, ce qu'on appelle aujourd'hui le Sud global.
00:07:28 En 1955, on se rappelle qu'il y avait eu la conférence de Bandung, des pays non alignés.
00:07:33 A l'époque, ils étaient combien ? Ils étaient 27 états, je crois.
00:07:39 Au moins, il y avait la Chine de Mao, il y avait l'Inde de Nehru à l'époque,
00:07:43 il y avait l'Egypte de Nasser, l'Indonésie de Suez-Carnot.
00:07:47 Ça faisait du monde et il n'en est rien sorti.
00:07:51 Oui, mais le rapport de force est aujourd'hui très différent.
00:07:54 Quand on regarde la Chine de Mao, c'est 3% du PIB mondial.
00:08:00 La Chine de Xi Jinping, ce n'est pas du tout la même chose, c'est 18% du PIB mondial.
00:08:05 Comme je le disais, ces pays aujourd'hui représentent 25% de la production.
00:08:10 Si on regarde aujourd'hui la production industrielle,
00:08:12 la production industrielle est majoritairement dans le Sud.
00:08:17 Le poids économique et financier de ces pays n'est pas du tout le même.
00:08:23 D'ailleurs, ce qui est intéressant de voir, c'est que les axes d'effort,
00:08:27 c'est la structure du système mondial avec le développement de ces organisations
00:08:31 qui sont propres au Sud.
00:08:33 Mais là aussi, la Chine joue plusieurs cartes à la fois.
00:08:36 Il y a l'organisation du groupe des 70 qui, en réalité,
00:08:39 représente plus de pays au sein de l'ONU.
00:08:41 Il y a l'organisation de coopération de Shanghai.
00:08:45 Et puis, il y a les BRICS.
00:08:47 Derrière, il y a la Banque Nation Nouvelle de Développement
00:08:51 qui fait concurrence à la Banque mondiale.
00:08:54 Et puis, il y a le développement du commerce Sud-Sud.
00:08:59 Et derrière, il y a une stratégie de dédollarisation.
00:09:03 On va y venir, mais avant d'arriver à la dédollarisation,
00:09:06 qui est effectivement une grande revendication des BRICS,
00:09:10 qu'est-ce qu'ils peuvent faire sans nous ou contre nous ?
00:09:14 En l'état actuel des choses, j'entends.
00:09:17 Regardez par exemple la guerre d'Ukraine.
00:09:24 Aucun de ces pays n'applique les sanctions.
00:09:26 Aucun n'a condamné la Russie.
00:09:29 Et ce que je dis, ça représente un poids économique
00:09:32 et un poids commercial et financier qui n'est pas négligeable.
00:09:37 Ça, c'est tout à fait concret.
00:09:40 On verra quelle est la position qui pourrait être prise
00:09:44 si on devait avoir une crise autour de Taïwan.
00:09:48 Mais regardez par exemple aujourd'hui concrètement
00:09:51 ce qui se passe en Afrique, puisque vous allez parler de...
00:09:54 On a une épidémie de coup d'État,
00:09:56 mais derrière l'épidémie de coup d'État,
00:09:58 il y a quand même une constante, c'est que la France
00:10:00 est en train de se faire expulser d'Afrique.
00:10:03 La France se fait expulser d'Afrique parce que c'est la Chine
00:10:07 qui est le premier partenaire économique et de très loin du continent.
00:10:10 C'est la Russie avec Wagner.
00:10:12 On va voir ce que ça va devenir après l'exécution de Evgeny Prigojin.
00:10:17 Mais la poussée et la campagne de désinformation antifrançaise
00:10:22 doit beaucoup à Wagner.
00:10:25 Donc ça, c'est tout à fait concret.
00:10:28 Et regardons sur l'ordre diplomatique également,
00:10:31 une chose qu'on pensait inimaginable qui est intervenue récemment,
00:10:34 le rapprochement entre l'Iran et l'Arabie Saoudite
00:10:37 et qui trouve une traduction concrète dans l'entrée simultanée dans les BRICS,
00:10:41 c'est la Chine qui a parrainé ce rapprochement.
00:10:45 Donc il se passe beaucoup de choses.
00:10:48 Si vous regardez les nouvelles routes de la soie,
00:10:50 il y a des échecs spectaculaires, le chaos du Sri Lanka,
00:10:54 mais il y a aussi une spectaculaire avancée des intérêts chinois dans le monde.
00:11:00 Donc en fait, si vous regardez aujourd'hui,
00:11:04 le commerce international s'ouvre beaucoup et diminue.
00:11:07 La partie la plus dynamique, c'est le commerce sud-sud.
00:11:10 - Oui, entre les BRICS.
00:11:12 Alors vous parliez des dollarisations du monde,
00:11:14 c'est vrai que c'est une grande revendication.
00:11:16 C'est vrai que c'est un problème que tous les pays du monde soient obligés
00:11:19 de commercer en dollars, y compris les Européens.
00:11:21 Dès l'instant où on achète quelque chose hors d'Europe,
00:11:23 on le paye et on vend de l'or.
00:11:25 - On vend nos Airbus en dollars.
00:11:27 Et on pourrait très bien décider effectivement de faire commerce dans sa propre monnaie.
00:11:34 C'est ce que déjà ont décidé l'Inde et les Émirats arabes unis.
00:11:39 - Oui. Alors néanmoins, ça pose des problèmes.
00:11:41 Parce que pourquoi est-ce que le dollar jouit de ce monopole ?
00:11:46 C'est qu'il y a quand même des vraies raisons.
00:11:48 C'est que derrière d'abord, il y a une monnaie
00:11:52 qui était adossée à la première économie du monde,
00:11:57 qui est une monnaie liquide avec des marchés financiers profonds,
00:12:01 transparents et sûrs derrière.
00:12:03 Et puis une balance des paiements déficitaires
00:12:05 qui fait qu'on a du dollar un peu partout dans le monde.
00:12:09 - Et puis un état de droit aussi.
00:12:11 - Aujourd'hui en Chine, le yuan est inconvertible.
00:12:14 Et par ailleurs, les marchés financiers chinois n'existent pas.
00:12:18 Ils sont en pleine déroute.
00:12:20 Les autres monnaies des BRICS sont toutes des monnaies
00:12:23 extrêmement fragiles, vulnérables et qui ont été massivement dépréciées.
00:12:28 Que ce soit celle du Brésil, de l'Inde, de l'Afrique du Sud
00:12:31 et puis sans parler de la Russie,
00:12:33 aujourd'hui il n'y a pas beaucoup de monde qui a envie de faire du commerce en route.
00:12:36 - Donc à priori, ils ne pourront pas se passer du dollar avant un certain temps.
00:12:40 - Je pense qu'il y a deux choses qui sont différentes.
00:12:44 Sur le commerce et notamment le commerce bilatéral,
00:12:47 ils vont s'en passer.
00:12:48 Et d'ailleurs, sur les contrats énergétiques qui sont passés entre eux,
00:12:52 y compris avec l'Arabie saoudite,
00:12:54 l'Iran c'est évidemment un cas différent puisqu'en Iran,
00:12:56 on ne peut pas utiliser le dollar pour des raisons évidentes.
00:12:59 Mais en revanche, l'Arabie saoudite est en train de passer
00:13:01 beaucoup d'émirats arabes unis également.
00:13:05 Là où c'est beaucoup plus compliqué,
00:13:07 c'est qu'en fait il y a deux fonctions dans la monnaie.
00:13:10 Il y a la fonction de règlement pour les transactions
00:13:13 et puis la fonction réserve de valeur pour le patrimoine et les actifs.
00:13:17 Là c'est vrai que le dollar a de beaux jours devant lui
00:13:21 parce qu'on ne voit pas laquelle de ses monnaies
00:13:24 pourrait rivaliser avec lui.
00:13:27 Et l'autre solution qui a été poussée notamment par le Brésil,
00:13:31 ce serait de faire une monnaie commune,
00:13:33 une nouvelle monnaie un peu comme l'euro.
00:13:35 Le problème c'est qu'on voit déjà avec l'euro combien c'est difficile.
00:13:38 Faire une monnaie commune entre des pays aussi différents
00:13:42 comme niveau de développement, de productivité,
00:13:44 qui par ailleurs sont eux-mêmes rivaux.
00:13:48 Je rappelle que par exemple entre l'Inde et la Chine,
00:13:50 dans l'Himalaya, il y a eu en 2020 une trentaine de morts
00:13:56 dans les affrontements et que les deux ont massivement investi
00:14:01 militairement sur cette frontière qui est un des endroits
00:14:05 les plus dangereux du monde.
00:14:07 Donc on ne voit pas tellement comment on pourrait faire
00:14:10 une monnaie commune.
00:14:11 Prenons l'autre exemple, il y avait le projet Brésil-Argentin
00:14:13 Je rappelle que l'Argentine, la monnaie argentine est tellement effondrée
00:14:17 qu'en fait c'est un pays qui fonctionne précisément avec le dollar.
00:14:20 Nicolas Baverez, dans votre article du Figaro, vous dites qu'il ne faut pas
00:14:24 abandonner le Sud à la Chine.
00:14:26 Emmanuel Macron, on voit bien qu'il a la même idée.
00:14:30 Non seulement il voulait se faire inviter à Johannesburg,
00:14:34 je crois que c'est Vladimir Poutine qui a mis son veto, dit-on.
00:14:37 Il a invité Modi, le Premier ministre indien, au 14 juillet
00:14:41 et puis il a organisé un sommet à Paris pour un nouveau pacte financier mondial.
00:14:45 Vous vous en souvenez, au Palais Brognard au mois de juin
00:14:47 avec une cinquantaine de pays invités, dont beaucoup de pays du Sud.
00:14:51 Vous pensez qu'Emmanuel Macron rêverait de faire un peu la troisième voie
00:14:56 qu'avait imaginée le général De Gaulle du temps des non-alignés justement ?
00:15:00 Il y a quand même un grand paradoxe historique, c'est que dans ces briques
00:15:04 c'est quand même la Chine qui mène le jeu.
00:15:07 Et donc en fait, aujourd'hui, le vrai ciment, c'est la détestation de l'Occident
00:15:13 à cause du passé colonial.
00:15:15 Mais ce qui est très étonnant, c'est qu'en réalité,
00:15:18 c'est légitimer l'impérialisme et le colonialisme de la Chine ou de la Russie
00:15:23 au 21e siècle, sur la critique par ailleurs fondée du colonialisme occidental au 19e siècle.
00:15:31 Donc il y a derrière cette aventure des briques quand même une contradiction
00:15:35 politique et historique qui est assez profonde, mais qui est efficace
00:15:41 comme on le voit par exemple avec la campagne antifrançaise en Afrique.
00:15:46 Et puis je crois qu'effectivement, il faut quand même que l'Occident...
00:15:51 Une des critiques des briques du Sud que je trouve assez fondée, c'est de dire,
00:15:57 et ça a été dit pour l'Ukraine, mais pas seulement, c'est que vos problèmes,
00:16:03 vous considérez que vos problèmes occidentaux sont les problèmes du monde
00:16:06 et qu'en revanche, les problèmes du monde, vous vous embroquez complètement.
00:16:10 Quand on regarde ce qui s'est passé par exemple pendant la crise Covid,
00:16:13 ce n'est pas faux, c'est-à-dire que c'est vrai que le dénouement,
00:16:16 la percée a été faite par les vaccins occidentaux grâce à la créativité,
00:16:20 la capacité technologique, mais à l'inverse, c'est vrai que c'était une pandémie mondiale.
00:16:26 Il y avait quand même un intérêt pour tout le monde à ce que la diffusion
00:16:29 de ces vaccins soit la plus rapide, mais surtout la plus universelle possible.
00:16:34 On ne peut pas dire qu'il y a vraiment eu un effet de priorité massif sur l'Occident.
00:16:40 On ne peut pas dire qu'on ait beaucoup aidé le monde émergeant à cette occasion.
00:16:48 Par ailleurs, les leçons de démocratie, c'est vrai qu'aujourd'hui,
00:16:52 quand on regarde ce qui se passe aux États-Unis, l'état de la démocratie américaine,
00:16:56 avec la campagne, la France n'est pas forcément un modèle de démocratie
00:17:00 tel qu'on la voit fonctionner aujourd'hui.
00:17:04 Il y a des démocraties. Parmi les BRICS, il y a l'Inde, il y a le Brésil.
00:17:09 L'Inde est quand même une démocratie de plus en plus…
00:17:12 Nationaliste.
00:17:14 Le patron de l'opposition a quand même été mis en prison pour des motifs
00:17:20 qui se paraissent assez discutables. Il y a un contrôle de plus en plus renforcé
00:17:25 par les médias sur l'économie, avec ce qui ressemble quand même un peu à des oligarques.
00:17:30 Mais c'est vrai que ça reste un endroit où les gens votent et où il y a un pluralisme politique.
00:17:35 Le Brésil est une démocratie violente, mais une démocratie dont on a des structures très différentes.
00:17:45 L'Afrique du Sud aussi est une démocratie, avec un parti dominant qui est aujourd'hui
00:17:51 très contesté à cause de la corruption. Mais si vous voulez, là où le jeu peut aussi se réouvrir,
00:17:57 c'est que le modèle chinois, les empires autoritaires ont eu vraiment le vent boupe.
00:18:03 C'est-à-dire qu'il y avait cette espèce de modèle de Pékin contre le consensus de Washington.
00:18:07 C'est-à-dire que c'est avec un gouvernement autoritaire qu'en réalité on fait plus de croissance,
00:18:13 plus de stabilité politique et plus de conquête extérieure.
00:18:17 La Russie montre que finalement pour les conquêtes extérieures, ce modèle impérial n'est pas forcément
00:18:22 si intelligent et si performant que ça. La Chine aujourd'hui a des difficultés économiques et financières.
00:18:29 Donc on a une fenêtre aussi d'opportunité pour expliquer que ce modèle occidental,
00:18:34 à condition qu'on se mette à traiter les problèmes, au lieu de donner des leçons,
00:18:38 de traiter les problèmes concrets, c'est-à-dire les problèmes sanitaires, les problèmes alimentaires,
00:18:42 les problèmes énergétiques, les problèmes de réchauffement climatique, les problèmes de sécurité.
00:18:49 On peut apporter, si tu voulais, mais y compris en termes de sécurité,
00:18:52 des réponses qui soient moins violentes et abjectes que Wagner.
00:19:00 Merci Nicolas Baverez. Vous nous quittez maintenant. On va s'intéresser à la rentrée scolaire.
00:19:06 Mais d'abord, on fait une pause. Merci encore.
00:19:09 Merci beaucoup. Bonne rentrée.
00:19:11 Gabriel Attal, le nouveau ministre de l'Éducation nationale, a tenu cette semaine sa conférence de rentrée.
00:19:17 Il a mis l'accent sur l'acquisition des savoirs fondamentaux, lire, écrire, compter, sur la laïcité.
00:19:23 Il a interdit le port de la baïa et il a promis qu'en dépit de la pénurie de professeurs,
00:19:28 il y aura dès demain un enseignant devant chaque élève.
00:19:31 Et comme chaque année, des livres écrits par des professeurs fleurissent dans les librairies.
00:19:36 On en a invité cinq ce soir pour comprendre ce qui ne fonctionne plus dans notre système scolaire et pourquoi.
00:19:43 Eva Guerland, vous êtes professeure de français depuis une dizaine d'années dans des collèges et lycées de la région parisienne.
00:19:49 Vous avez écrit "Un prof ne devrait pas dire ça. Chose vue et chose tue dans l'éducation nationale" qui est parue en avril.
00:19:57 Gilles Descas, vous avez passé plus de 40 ans dans l'éducation nationale, à des postes d'enseignement, de direction ou d'inspection.
00:20:05 Vous avez publié "Pourquoi l'école va-t-elle si mal ?"
00:20:08 Nicolas Glière, vous êtes professeur de lettres dans l'enseignement privé et porte-parole du collectif Les Stylos Rouges.
00:20:14 Vous êtes l'auteur avec Arnaud Fabre du livre "Ecole, le crépuscule du savoir".
00:20:19 Patrick Romain, vous avez été instituteur, puis directeur d'école, puis principal de collège.
00:20:25 Vous avez pris votre retraite en 2020 et vous sortez jeudi prochain au Merta dans l'éducation nationale.
00:20:31 Les chefs d'établissement sortent du silence.
00:20:34 Et enfin, en duplex, il y a Jean-Paul Briguelli, l'auteur de "La fabrique du crétin", l'un des premiers best-sellers du genre en 2005.
00:20:41 L'année dernière, vous avez réitéré avec "La fabrique du crétin" vers l'apocalypse scolaire.
00:20:46 Et le 24 août est parue "L'école à deux vitesses".
00:20:49 Alors ma première question, vous vous en doutez bien, c'est pourquoi on manque de professeurs ?
00:20:53 Réponse courte, s'il vous plaît, c'est juste un avant-goût pour lancer le débat, car il va y avoir le rappel des titres à 22h30.
00:21:00 Jean-Paul Briguelli, pourquoi est-ce qu'on manque de professeurs ?
00:21:04 Lorsqu'on a décidé de les former en 5 ans, cela donnait une charge absolument extraordinaire, y compris financière,
00:21:11 à des gens qui n'avaient pas forcément les moyens de s'offrir 5 ans d'études et de surcroît de perdre les deux dernières années
00:21:18 à passer un master des métiers de l'enseignement dédié à des pédagogues qui ne connaissent rien, mais rien, de ce qui marche véritablement en classe.
00:21:31 Alors voilà, ça ne donne aucune envie.
00:21:34 Les propositions qui sont faites actuellement de recréer les écoles normales sont peut-être une idée.
00:21:41 On ne peut pas simplement les arracher à toute cette administration de la pédagogie qui a mis la main sur l'école depuis 40 ans.
00:21:48 Edvard Guerlain ?
00:21:50 Je pense que le principal, c'est de ne pas tourner sur une question de moyens, comme en tendance à le faire les syndicats,
00:21:56 en se concentrant essentiellement sur les revendications salariales.
00:22:00 On a vraiment une dégradation de nos conditions de travail, un climat en classe, une hétérogénéité en classe qui est ingérable,
00:22:07 une absence de discipline, toute l'échelle des sanctions a été gommée.
00:22:11 Donc c'est ces conditions de travail qui ruinent notre quotidien et qui font que le métier n'attire plus.
00:22:16 Ce n'est pas uniquement une question de salaire.
00:22:18 Patrice Romain ?
00:22:20 Mais il n'y a pas de pénurie de professeurs, puisque le ministre nous a dit qu'il y aurait un professeur en face de chaque classe.
00:22:25 Un enseignant.
00:22:26 Un enseignant en face de chaque classe.
00:22:27 Un contractuel, souvent.
00:22:30 C'est ce que je dénonce dans mon livre, c'est-à-dire il y a de la com et puis il y a sur le terrain.
00:22:35 La différence est abyssale.
00:22:38 Gilles Descartes ?
00:22:39 Écoutez, je pense que depuis une vingtaine d'années où PISA renvoie les résultats qui sont en dégringolade,
00:22:45 j'ai envie de dire que la messe est dite, donc des appointements des enseignants.
00:22:50 Mais pas seulement.
00:22:52 Parce que face à cette situation qui est récurrente et qui est ensuite beaucoup décrite dans de nombreux ouvrages,
00:23:00 il y a une activité qui est une activité d'humiliation de la part de ceux qui en fait déterminent la mise en œuvre de la politique.
00:23:10 Les politiques qui sont mises en place, tout gouvernement confondu depuis une trentaine d'années.
00:23:15 Je veux dire les cadres supérieurs.
00:23:18 La hiérarchie.
00:23:19 La hiérarchie.
00:23:20 Donc, Patrice Romain.
00:23:21 Et donc qui se livrent à des situations d'humiliation.
00:23:23 Je vais juste donner un exemple.
00:23:25 Je veux dire aussi le directeur académique, leurs adjoints, les inspecteurs pédagogiques régionaux et tous les fonctionnaires de la rue de Grenelle.
00:23:33 Mais je vais juste donner un exemple.
00:23:35 Parce qu'au-delà des moyens, au-delà des difficultés financières justement rappelées par les collègues,
00:23:41 je voudrais signaler que quand un dispositif est mis en place, par exemple le pacte,
00:23:47 où on dit qu'un enseignant du primaire s'en va dans le collège faire des heures de soutien.
00:23:54 Ça veut dire quoi ?
00:23:56 Ça veut dire qu'il n'aurait pas fait son travail pendant cinq ans au point de devoir aller prolonger une année supplémentaire.
00:24:03 Ça voudrait dire aussi que les enseignants du collège ne sont pas capables eux-mêmes de subvenir aux difficultés de ces élèves.
00:24:14 Autrement dit, on a une double humiliation et c'est vers cet état d'esprit-là que je veux m'orienter.
00:24:19 Mais pas seulement, j'y reviendrai après, il y a d'autres choses.
00:24:22 On y reviendra après le rappel des titres. Isabelle Piboulot.
00:24:26 Énième refus d'obtempérer à Paris. Un automobiliste a mortellement fauché un piéton, un homme âgé de 30 ans.
00:24:34 Les faits se sont passés la nuit dernière aux alentours de 3h30.
00:24:38 Le conducteur tentait d'échapper à un contrôle de police à Pantin en Seine-Saint-Denis.
00:24:43 Après avoir abandonné son véhicule dans une rue du 19e arrondissement, le chauffeur a été interpellé.
00:24:49 Une enquête a été ouverte du chef d'homicide involontaire, aggravé par le délit de fuite.
00:24:54 872 migrants sont parvenus à traverser la Manche hier, selon les autorités britanniques.
00:25:00 Un record sur une seule journée depuis le début de l'année du fait d'une météo favorable.
00:25:05 Au total, en 2023, plus de 21 000 personnes sont arrivées au Royaume-Uni par le biais d'embarcations.
00:25:12 Un nombre qui suggère une légère baisse par rapport aux 45 000 arrivées comptabilisées l'an dernier.
00:25:19 Et puis le rassemblement annuel de la mission évangélique « Vie et Lumière » a démarré aujourd'hui
00:25:25 sur l'ancienne base aérienne de Grotankin en Moselle, issue de la communauté tigane
00:25:30 et venue de différents pays d'Europe, même des États-Unis.
00:25:34 Près de 40 000 pèlerins se sont réunis, 400 gendarmes et une quinzaine de pompiers sont mobilisés.
00:25:40 Ainsi que des équipes de protection de l'environnement, les pèlerins devraient rester sur place jusqu'au 10 septembre.
00:25:47 Merci Isabelle. On continue notre tour de table. Nicolas Glière, alors pour vous, pourquoi on manque de profs à ce point ?
00:25:55 Premièrement parce que quand on humilie effectivement des intellectuels, des gens qui étaient censés être des intellectuels,
00:26:02 en les sous-payant, en les payant 1300 euros quand ils commencent, 2000 euros pour mon cas, après 15 ans d'ancienneté,
00:26:09 on les humilie financièrement mais aussi en les traitant mal de bout en bout.
00:26:14 Les professeurs que je défends et je l'ai vécu sont harcelés, humiliés, infantilisés,
00:26:22 parfois par les chefs d'établissement, presque toujours par les inspecteurs.
00:26:25 Inspecteurs qui ne font pas cours, parfois depuis 30 ans et qui disent aux gens comment faire cours.
00:26:30 Nous on a une proposition très simple, c'est que seuls des gens qui font cours devraient pouvoir inspecter.
00:26:35 Pas beaucoup, un petit peu, un mi-temps, quelque chose, mais qu'on ne laisse plus l'école aux mains de gens qui ne la connaissent pas.
00:26:42 Tous les spécialistes actuels de l'école, tous les spécialistes invités la plupart du temps sur les plateaux,
00:26:47 écoutés par le président de la République ou ses conseillers, sont des gens qui ne font pas cours, qui n'ont jamais fait cours.
00:26:52 C'est un scandale. Ça, ça crée un désamour du métier parce qu'en tant que personne mal payée, mal traitée, humiliée,
00:27:00 qui n'a plus les moyens d'avoir l'autorité en classe, qui n'a plus de soutien de sa hiérarchie qui au contraire la coule, on ne peut pas continuer.
00:27:08 Nombre de collègues actuellement démissionnent dans les stylos rouges, d'ailleurs, souvent des professeurs très impliqués d'ailleurs.
00:27:15 Donc on laisse les professeurs faire leur travail. Ils savent mieux que les inspecteurs, mieux que le président de la République, mieux que la population française comment le faire.
00:27:23 On les laisse travailler, sereinement, tranquillement, qu'on arrête les réformes pour faire des cadeaux aux maisons d'édition.
00:27:28 Je pense que tout se passera très bien.
00:27:31 Alors il y a une accusation qui revient en permanence sur notre système scolaire, c'est qu'il est très inégalitaire,
00:27:39 qui forme de très bons élèves mais qui en abandonne une grande partie en cours de route.
00:27:45 C'est le thème d'ailleurs de votre nouveau livre, Jean-Paul Boïguéli, "L'école à deux vitesses".
00:27:50 Alors là encore, question, et je vous demande à tous d'observer la même rigueur que vous avez obsédé pour la première.
00:27:56 Essayons d'être courts, de résumer, de façon à ce que tout le monde puisse s'exprimer comme il l'entend.
00:28:01 Jean-Paul Boïguéli, pourquoi on en est arrivé à une école aussi inégalitaire ?
00:28:06 Parce qu'on l'a voulu. On l'a voulu.
00:28:09 Et contrairement à ce que beaucoup de gens disent, l'école marche très bien du point de vue de ceux qui l'ont voulu ainsi.
00:28:16 Ils ont voulu, c'est le protocole de Lisbonne en 99-2000, ils ont voulu qu'il y ait 10% d'élèves qui remplacent les cadres actuels
00:28:25 et qui sont en général d'ailleurs les enfants des cadres actuels.
00:28:29 On est dans la reproduction bourgeoisienne au carré, si je puis dire,
00:28:34 et 90% d'élèves auxquels on donnera le minimum nécessaire pour commander des pizzas sur Uber Eats.
00:28:43 Voilà. De ce point de vue-là, ça marche très bien.
00:28:47 Et Végalan, vous êtes d'accord ?
00:28:49 En partie. Il y a probablement une partie de nos élites qui est dans ce cynisme de se dire qu'on n'a pas besoin d'instruire tout le monde.
00:28:55 C'est certainement pas un calcul très intelligent, parce que le taux de développement et le taux d'instruction des pays est toujours lié.
00:29:02 Et quand on voit les émeutes, ce genre de choses, on se dit qu'on a besoin d'une éducation commune qui fonctionne.
00:29:07 Ensuite, je pense qu'il y a surtout un aveuglement idéologique.
00:29:11 Pour actionner dans le mauvais sens toute la machine de l'éducation nationale, c'est-à-dire l'ensemble des enseignants, les inspecteurs, etc.,
00:29:17 il faut être dans un mouvement historique, ce mouvement post-68 art de refus de l'autorité, de refus de la transmission du savoir.
00:29:25 Et vous parlez des inégalités. Ce qui est fascinant, c'est que tout a été fait au nom de l'égalitarisme.
00:29:31 Et c'est le paradoxe de tout le pédagogisme.
00:29:34 Toutes les méthodes nouvelles, soi-disant, qu'on a apportées sont censées être faites pour résoudre le problème des inégalités.
00:29:41 Et elles les creusent toujours plus.
00:29:43 Par exemple, la méthode de lecture globale, qui était censée être plus spontanée que la traditionnelle méthode syllabique,
00:29:50 elle était censée mieux convenir aux élèves de milieu défavorisé, elle les pénalise encore plus.
00:29:55 Et c'est pareil pour toutes les méthodes prétendument innovantes qui datent en réalité des années 70 maintenant.
00:30:00 Nicolas Guillere ?
00:30:02 Concrètement, les inégalités sont effectivement renforcées pour ces raisons-là. C'est de l'idéologie libérale, concrètement.
00:30:08 On fait le lien, dans le livre, entre le développement du néolibéralisme, ou libéralisme tout court d'ailleurs, et ce qui arrive à l'école.
00:30:16 Il est très intéressant de noter que tous les mots du management de l'éducation nationale sont ceux de l'entreprise américaine.
00:30:21 Le travail en équipe est un miracle, incroyable, même s'il n'y a aucun fond.
00:30:26 L'informatique, génial. L'ETIS, on nous a saoulés avec l'ETIS, vous n'imaginez pas à quel point, en réunion soporifique, bien entendu.
00:30:33 Dites-nous ce que c'est que l'ETIS.
00:30:35 Alors c'est censé être les outils informatiques pour faire cours, et c'est censé être génial.
00:30:39 On a effectivement aussi une injonction, concrètement, à ne pas apprendre, à ne plus enseigner.
00:30:46 Le prof vaut l'élève. Le savoir du prof n'est pas important.
00:30:50 On nous a même expliqué qu'il fallait tout désapprendre en formation, public comme privé. J'insiste là-dessus. Dans le privé aussi, malheureusement.
00:30:56 On vous rappelle que vous êtes dans le privé.
00:30:58 Voilà, le pédagogisme sévit aussi, c'est incroyable, mais c'est vrai.
00:31:01 Et on explique aux gens régulièrement que tout ce qu'on sait ne vaut rien, que l'enfant sait tout, que l'enfant nous apprendra, il va découvrir le COD au réveil, comme ça, un jour.
00:31:10 Et que l'apprentissage n'est pas une bonne chose, que c'est une manière de castrer des enfants et leur créativité.
00:31:17 Ce sont des mots que j'ai déjà entendus par des formateurs, des inspecteurs.
00:31:20 Donc il faut les laisser s'amuser, découvrir des choses.
00:31:24 Et donc ça ne peut pas, évidemment, faire autre chose que de reproduire les inégalités.
00:31:28 Et j'insiste vraiment là-dessus. La première responsable de l'état de l'école, c'est la gauche.
00:31:33 La gauche qui voulait plus d'égalité a détruit l'égalité à l'école.
00:31:37 Et en tant, pour ma part, comme de gauche, je lui en veux d'autant plus. Je trouve que c'est scandaleux.
00:31:43 Gilles Descartes ?
00:31:44 Je n'ai pas très envie de parler de gauche ni de droite.
00:31:47 J'ai envie de reprendre le mot de Nicolas Demorand, qui nous a invités à penser contre soi.
00:31:54 Et penser contre soi, on ne peut pas simplement considérer que les enseignants,
00:31:59 je ne suis pas du tout de prof Bachin, puisque je l'ai été également,
00:32:02 sont simplement des victimes du système.
00:32:05 Ça me paraît un petit peu court, parce que ça fait 30 ans que ça dure.
00:32:10 Et 30 ans qu'on oppose tel ou tel mode pédagogique à tel autre, et telle ou telle injonction à tel autre.
00:32:17 Il me semble que les professeurs sont autant victimes que auteurs de la situation dans laquelle on est.
00:32:24 Ça veut dire quoi ?
00:32:25 Ça veut dire que si on se penche sur la manière dont se passe un cours,
00:32:31 vous avez des formes, c'est ce que j'explique de façon très détaillée sur le chapitre qui concerne les professeurs,
00:32:37 puisque chaque catégorie dans le livre est passée au crible,
00:32:40 vous avez une forme d'encodage du savoir. Certains diront qu'il s'agit de la méthode.
00:32:45 L'encodage du savoir est tel qu'on retrouve une partie, un bon nombre d'enfants d'enseignants
00:32:53 dans les concours des grandes écoles, en même temps que ceux des cadres supérieurs.
00:32:58 Il y a donc bien un marqueur, une sorte de règle du jeu sous-jacente qui fait que c'est compliqué.
00:33:06 Il y a des enfants qui arrivent avec leur famille et qui disent
00:33:09 « j'ai appris ma leçon et pourtant j'ai 3/20 en contrôle, mais qu'est-ce qui se passe ? »
00:33:13 C'est le fameux codage. Et puis j'ai relevé aussi, et pour le moment j'en arrête là,
00:33:19 j'ai relevé aussi toute une série d'oppositions qui montrent que le système éducatif,
00:33:24 les professeurs, encore une fois je ne fais pas de prof Bachig,
00:33:26 beaucoup trop de respect pour l'avoir également été,
00:33:28 mais sont comme à cours derrière une société. Qui est-ce qu'elle est ?
00:33:33 Cours derrière quoi ? Vous avez deux situations qui s'opposent.
00:33:38 Je donne quelques exemples. Un monde individuel et un monde collectif, celui de l'école.
00:33:43 Un monde du graphisme manuel, un monde numérique en face.
00:33:47 Le monde de la durée et le monde de l'instantané.
00:33:49 Et c'est vrai que pour apprendre, il faut 10 ans, 6 ans, 16 ans.
00:33:53 En revanche, la durée d'une chanson, comme le disait Jacques Attali dans un livre ancien,
00:33:58 c'est 3 minutes et demie. Donc on est dans des paradigmes,
00:34:02 ceux de la société et ceux de l'éducation, qui ne sont pas du tout de la même nature.
00:34:07 Et ce qui me gêne, c'est qu'il n'y a pas d'interrogation profonde du corps, des corps,
00:34:12 je veux dire enseignants, alors on y reviendra sur la hiérarchie,
00:34:15 concernant leur rôle, qui sont aussi acteurs de, j'ai envie de dire paradoxalement,
00:34:22 de leur victimisation.
00:34:24 Patrice Romain ?
00:34:26 Moi, je me retrouve beaucoup dans les propos des deux professeurs.
00:34:30 C'est extrêmement compliqué d'être professeur en 2023.
00:34:35 Toute notre gouvernance, notre hiérarchie se gargarise effectivement de belles paroles,
00:34:42 de méthodes à appliquer, de pédagogisme, etc.
00:34:45 Où vont les enfants de nos inspecteurs ?
00:34:49 Où vont les enfants des cadres supérieurs de l'éducation nationale ?
00:34:53 Ils vont dans des établissements d'élite, ils vont dans des écoles privées d'élite.
00:34:56 Moi, j'ai reçu dans mon bureau, en off, des inspecteurs qui m'ont dit
00:35:01 "Moi, je prône ça, mais pour mes enfants, je fais ça."
00:35:05 Donc, il y a des différences qui sont inadmissibles.
00:35:11 Et je voudrais rebondir, je voudrais m'adresser "solennellement" aux professeurs.
00:35:17 Il faut bien comprendre une chose, c'est que le professeur,
00:35:23 donc suit sa carrière, se donne à fond.
00:35:27 Le chef d'établissement, puisque vous avez dit que parfois il y avait des soucis
00:35:31 avec les chefs d'établissement, et vous avez raison, parce que très souvent
00:35:34 il y a des problèmes entre les professeurs et les chefs d'établissement.
00:35:37 - On en voit beaucoup dans votre livre d'ailleurs, on le raconte dans votre livre.
00:35:40 - Voilà. Mais pourquoi il y a tous ces problèmes ?
00:35:42 C'est que la carrière d'un chef d'établissement n'est gérée que par une personne,
00:35:50 c'est son supérieur hiérarchique, le directeur académique, le recteur, tout ça.
00:35:54 Donc lorsqu'il y a un conflit entre un élève et un professeur,
00:35:59 le professeur veut punir l'élève à juste titre, quel que soit le...
00:36:05 Donc il va voir le principal, il va voir le chef d'établissement,
00:36:09 il lui demande une sanction. Et le chef d'établissement va dire non.
00:36:13 Et le professeur ne comprend pas, et c'est là que démarrent les problèmes.
00:36:16 Ce qu'on ne sait pas avec le professeur, c'est qu'un mois auparavant,
00:36:19 il est allé pour sa propre évaluation dans le bureau de son supérieur,
00:36:23 et son supérieur lui a dit "Bon, alors monsieur Dupont,
00:36:26 cette année je ne veux pas de conseil de discipline dans votre établissement."
00:36:29 Donc si le chef d'établissement veut poursuivre une carrière correcte,
00:36:34 il doit affronter le professeur, les parents, les élèves, pour ne pas faire de vagues.
00:36:40 Et justement, pour m'assurer de la véracité de ce que je dis,
00:36:44 j'ai interrogé tous les collègues personnels de Direction de la France,
00:36:48 et donc mon livre est composé de tous ces témoignages,
00:36:52 et on le retrouve constamment.
00:36:54 Et si effectivement la hiérarchie avait le courage de prendre ses responsabilités,
00:36:59 et laissait les acteurs de terrain qui connaissent les élèves,
00:37:04 donc agir comme il faut agir, c'est-à-dire récompenser quand il faut récompenser,
00:37:08 punir lorsqu'il faut punir, ça irait bien mieux.
00:37:11 - Jean-Paul Bruyguelli, vous êtes d'accord avec tout ce qui s'est dit là ?
00:37:14 - D'une certaine manière, je sais que je ne vais pas acheter le livre de monsieur Decas,
00:37:20 qui en a fait un résumé exhaustif,
00:37:23 mais ce qui est évident, c'est que le métier a certainement changé,
00:37:28 mais les élèves au fond n'ont pas changé.
00:37:31 On reçoit de la matière brute, on doit transformer cette matière brute en matière transformée.
00:37:36 Et on nous empêche globalement, enfin du moins on essaie de nous empêcher,
00:37:41 de le faire avec des consignes pédagogiques d'un autre monde.
00:37:45 Je rappelle que ce qui bâtit l'école actuellement, c'est ce qu'on appelle le constructivisme,
00:37:51 où l'élève construit lui-même ses propres savoirs.
00:37:54 C'est un peu, vous savez, c'est l'idée qu'ils sont tous comme Blaise Pascal,
00:37:57 capables de retrouver les douze premiers principes de Clyde à dix ans.
00:38:00 Mais ça ne marche pas comme ça, voilà.
00:38:03 En fait, il y a tout à fait des options possibles.
00:38:08 Moi, ça fait 20 ans que je me bats là-dessus, je suis comme Cassandre,
00:38:13 je dis des vérités, je constate que je ne suis jamais écouté,
00:38:17 mais avec le temps, on finit par s'en amuser.
00:38:21 Mais je vous assure que ce qui se fait actuellement,
00:38:25 est pour la plus grande satisfaction des élites autoproclamées qui nous gouvernent,
00:38:32 et qui envoient leurs enfants effectivement dans les établissements dont ils sont sortis eux-mêmes,
00:38:39 l'école aux Assiennes par exemple, d'où sort Gabriel Attal,
00:38:43 et qui n'y enverra pas ses enfants.
00:38:46 Et on espère qu'ils les remplaceront.
00:38:50 En attendant, les vrais talents qu'il y avait dans le peuple,
00:38:54 le peuple au sens très très large,
00:38:56 ces vrais talents sont absolument engloutis.
00:38:59 Les classes moyennes sont en train de disparaître,
00:39:02 c'était une menace pour les classes dirigeantes et classes moyennes.
00:39:05 On les prolétarise le plus possible.
00:39:07 Ceux qui sont nés dans le ghetto restent dans l'école du ghetto.
00:39:12 Le résultat actuel est un résultat, je vais dire, on est en 1788, vous voyez.
00:39:19 Alors l'aristocratie, ou prétendue aristocratie, se crispe,
00:39:24 et ne sait pas que dans un an, elle va sauter.
00:39:27 Alors les atteintes à la laïcité auraient augmenté de 120% en un an,
00:39:33 surtout les signes religieux et les tenues.
00:39:37 Gabriel Attal a donc interdit l'abaya dans les établissements scolaires,
00:39:42 une décision qui a donc été prise au niveau national,
00:39:45 ça n'est plus au chef d'établissement de décider si on les acceptait ou pas.
00:39:53 Ces atteintes à la laïcité et la façon dont Gabriel Attal entend les régler,
00:39:59 vous souscrivez ?
00:40:01 Bien sûr, bien sûr je souscris.
00:40:03 Mais maintenant, il va falloir voir comment ça va être appliqué.
00:40:07 Parce que ça fait des années, depuis 2004, les signes religieux ostentatoires sont interdits, je ne m'abuse.
00:40:14 À titre personnel, à chaque fois que j'ai signalé un cas à ma hiérarchie,
00:40:20 à chaque fois, on m'a dit "non non, c'est pas grave".
00:40:24 Voilà, on a mis un mouchoir, puisque le mantra justement de la gouvernance,
00:40:28 c'est "pas de vagues, puisque tout va bien".
00:40:30 Tout va bien, puisque la politique menée est la bonne.
00:40:33 Et on est un peu comme l'URSS des années 1920, vous voyez,
00:40:37 c'est-à-dire qu'on a l'objectif et puis on fait en sorte que l'objectif soit rempli.
00:40:41 C'est-à-dire que là, tout va bien, il n'y a pas de problème de laïcité,
00:40:44 donc ça ne sert à rien de signaler.
00:40:47 Alors effectivement, ça va dans le bon sens.
00:40:49 Maintenant, est-ce que les chefs d'établissement vont être réellement soutenus par leur hiérarchie
00:40:56 parce qu'on va porter plein de contre-eux, etc. ?
00:40:59 L'avenir le dira.
00:41:00 - Gilles Descartes ?
00:41:01 - Je parle d'immobilisme dans le livre depuis 1989.
00:41:06 Le problème existe avec les foulards de Creil.
00:41:09 Et rien n'est fait, puisque c'est un serpent de mer qui revient
00:41:12 au gré de l'actualité et des événements nationaux ou internationaux.
00:41:15 - La décision avait été prise de bannir les signes ostentatoires de l'école en 2005.
00:41:20 - Bien sûr, mais c'est tellement vrai que ça revient par la fenêtre.
00:41:25 Le sujet revient.
00:41:27 Alors moi, je souscris avec vous, ça va être très compliqué pour les chefs d'établissement.
00:41:31 Pourquoi ? Parce qu'on est encore dans le faux-semblant.
00:41:34 On a une communication qui dit qu'ils vont être soutenus,
00:41:37 et ils ne vont pas intégrer la classe,
00:41:39 sauf qu'ils vont, par obligation d'accueil, rester dans l'établissement.
00:41:43 Et qui va gérer ça ?
00:41:44 Il va y avoir une division dans l'établissement.
00:41:46 Ce sont les vies scolaires, les CPE, qui vont gérer l'élève accueilli,
00:41:51 qui de toute manière sera rentré, certes, pas dans la classe,
00:41:55 mais dans l'enceinte de l'établissement.
00:41:57 Donc là aussi, on est dans un faux-semblant qui désappointe les enseignants,
00:42:02 qui désappointe les autres personnels aussi.
00:42:04 Parce qu'il faut parler aussi de tous les personnels éducatifs,
00:42:07 que sont les surveillants.
00:42:09 J'en profite aussi pour parler du désappointement.
00:42:12 Ce faux-semblant-là, vous avez une communication qui est annoncée,
00:42:16 et puis une réalité qui arrive.
00:42:18 Attendez, il faut vous dire que la circulaire concernant l'application de la BAYA
00:42:23 est arrivée hier après-midi, dans les boîtes académiques
00:42:28 des chefs d'établissement et de toute la hiérarchie.
00:42:31 Alors que l'avant-veille de la rentrée.
00:42:33 Voilà, la rentrée c'est bon.
00:42:34 L'avant-veille de la rentrée.
00:42:35 Mais ça c'était une coutume qui date depuis 2017.
00:42:38 Je voudrais juste revenir à une proposition d'un collègue.
00:42:41 Oui, les chefs d'établissement, comme en Allemagne,
00:42:44 devraient faire court et d'avoir un service.
00:42:47 Et les inspecteurs.
00:42:48 Et les inspecteurs, oui.
00:42:50 Effectivement, je crois que ce serait une seule...
00:42:53 On manque de professeurs.
00:42:55 Chaque inspecteur fait quelques heures de cours, voilà.
00:42:58 Et comme les inspecteurs sont tous d'excellents professeurs,
00:43:01 ça leur permettra en plus de mettre en pratique
00:43:04 et de donner des conseils à leurs collègues.
00:43:07 Donc tout le monde s'y retrouvera.
00:43:08 Il se trouve que dans votre livre, évidemment, Patrick Romain,
00:43:11 mais aussi dans tous les livres quasiment qui sont réunis ici,
00:43:16 vous incriminez tous une bonne partie même de la hiérarchie,
00:43:21 de l'encadrement.
00:43:23 Vous les appelez les "chefaillons de l'éducation nationale".
00:43:26 Vous dites qu'ils pourrissent la vie de leurs chambres alternes,
00:43:29 notamment celle des chefs d'établissement.
00:43:31 Alors en gros, tous ceux qui sont incriminés,
00:43:34 le ministre, les inspecteurs généraux, les recteurs,
00:43:36 les directeurs académiques, les inspecteurs pédagogiques,
00:43:40 vous leur reprochez à peu près.
00:43:42 En fait, ce seraient eux qui auraient mis l'éducation nationale,
00:43:46 enfin notre système scolaire, dans cet état, Nicolas Glière.
00:43:50 Alors j'ai un exemple qui va relier la laïcité et la hiérarchie.
00:43:54 En 2011 et 2014, les inspecteurs de français et d'histoire
00:43:58 ont voulu abolir le 18e siècle à l'école.
00:44:00 Abolir le 18e siècle en 4e au collège.
00:44:03 Ils ont prétendu, vu la bronca que cela a créée parmi les professeurs,
00:44:08 malheureusement pas très grande, mais enfin quand même,
00:44:10 ils ont fini par les remettre en place en disant qu'ils avaient oublié le 18e siècle.
00:44:14 Oublié.
00:44:15 Donc voilà la lâcheté de l'institution.
00:44:17 Elle ne veut pas de vagues, elle a peur,
00:44:19 elle ne veut pas d'histoire et donc elle ne se montre pas ferme.
00:44:22 Là au moins, on jugera sur pièce,
00:44:24 mais Gabriel Attal, après une décision claire et nette,
00:44:27 il a enlevé du localisme, si vous voulez,
00:44:30 il a arrêté le localisme obsessionnel de Blanquer et Papendiaille
00:44:33 en disant on remet une règle nationale, l'autorité de l'État.
00:44:36 C'est interdit, c'est permis ?
00:44:38 Non, c'est interdit, c'est un choix, c'est fait, c'est tranché.
00:44:42 Pour ce qui est de la hiérarchie en général,
00:44:44 Oui, parce que c'est en France la laïcité.
00:44:47 Oui, évidemment, elle est en grande partie responsable
00:44:49 parce qu'il s'agit d'êtres humains à qui on donne le pouvoir de harceler autrui.
00:44:52 Je parle volontairement de ce mot.
00:44:54 Le harcèlement moral dans l'éducation nationale
00:44:57 est un outil de management volontaire.
00:44:59 On laisse des inspecteurs humilier, je le dis bien,
00:45:02 humilier des collègues jusqu'à les faire pleurer dans leur salle
00:45:05 pour de fausses raisons.
00:45:06 Il y a de mauvais professeurs, c'est évident.
00:45:09 Il y a des professeurs qui font mal le métier,
00:45:11 qui craquent, qui n'en peuvent plus, bien sûr qu'il y en a.
00:45:13 Déjà, ce n'est pas une raison pour les harceler.
00:45:15 Deuxièmement, pourquoi les inspecteurs refusent-ils qu'il y ait un observateur
00:45:19 quand ils font un rendez-vous inspection ?
00:45:21 C'est très étrange, moi je ne refuse personne dans ma salle.
00:45:24 Je fais cours devant des AESH,
00:45:25 je fais cours devant n'importe quel adulte qui veut venir, il peut.
00:45:29 Et je n'ai jamais eu de problème.
00:45:31 Les inspecteurs refusent.
00:45:32 Les commissions d'inspecteurs pour titulariser un collègue
00:45:35 qui devient professeur sont faites en huis clos.
00:45:39 Elles se passent très mal de façon générale.
00:45:41 C'est une espèce de procès stalinien sans droit à la défense.
00:45:44 Donc ça, c'est un problème.
00:45:46 Je ne dis pas que c'est le seul de l'école.
00:45:48 Mais déjà, si on traitait bien les salariés que sont les professeurs,
00:45:51 qui ne sont pas des enfants, qui ne sont pas des élèves,
00:45:54 je pense que les choses marcheraient bien.
00:45:56 Or, la hiérarchie de l'école oublie qu'elle n'a pas affaire à des élèves,
00:46:00 mais à des adultes, un salarié a des droits.
00:46:02 Eva Guerlain ?
00:46:03 Oui, il y a une tendance générale à l'humiliation et l'intimidation.
00:46:06 Mon livre est surtout basé sur des anecdotes.
00:46:08 Sur l'inspection, j'en ai une comme ça d'un collègue que je connais très bien.
00:46:12 C'est l'inspection de titularisation, celle qui va décider
00:46:14 si vous devenez effectivement prof à l'issue de votre année de stage.
00:46:17 Et après avoir observé le cours, l'inspectrice a repris en disant au professeur
00:46:23 « Pendant votre cours, j'ai entendu « c'est chiant » »
00:46:26 et elle s'est tournée vers le professeur et lui a dit
00:46:28 « Pouvez-vous m'expliquer pourquoi votre cours était chiant ? »
00:46:31 Elle a commencé comme ça.
00:46:32 C'est vraiment ce type de méthode d'humiliation.
00:46:35 Et aussi dans un système comme ça, où chacun humilie l'inférieur,
00:46:42 tout le monde se défausse sur tout le monde.
00:46:44 Et c'est le problème que vous avez soulevé tout à l'heure qui est terrible.
00:46:47 Comme la hiérarchie des chefs d'établissement met une pression énorme sur eux
00:46:51 pour qu'ils ne fassent pas de conseil des disciplines,
00:46:53 c'est-à-dire qu'ils n'excluent pas d'élèves des établissements,
00:46:56 les chefs d'établissement sont ensuite obligés de se défausser sur les professeurs.
00:47:00 Ils ne peuvent pas gérer les problèmes, donc ils nous demandent.
00:47:03 Et je suis persuadée qu'en cette pré-rentrée,
00:47:06 il y a un nombre incalculable de chefs d'établissement
00:47:08 qui, pendant leur discours de pré-rentrée, ont rappelé aux professeurs
00:47:12 qu'ils ne doivent surtout pas exclure les élèves de classe,
00:47:15 que s'ils veulent mettre des ordres de colle, ils doivent les organiser, les surveiller eux-mêmes.
00:47:19 On nous met une énorme pression là-dessus.
00:47:21 Quand on exclut un élève de cours, c'est parce qu'on ne peut plus faire cours.
00:47:24 Ce n'est pas pour s'amuser.
00:47:26 On se défausse sur le professeur, puisqu'ils ne sont pas puissants à gérer les problèmes.
00:47:31 Ça retombe sur nous.
00:47:33 C'est la hiérarchie en procès, là.
00:47:35 La hiérarchie en procès, mais c'est la hiérarchie qui fonctionne dans la verticalité.
00:47:40 C'est-à-dire qu'un ordre arrive du ministère et est décliné au rectorat,
00:47:44 puis à l'inspection académique, puis ensuite dans les établissements ou dans les écoles.
00:47:50 Mais par contre, on a un discours totalement paradoxal sur les équipes.
00:47:53 Vous avez des mots qui se terminent sur les notes que font le directeur académique,
00:48:00 par exemple, aux enseignants, en confiance.
00:48:03 Mais en confiance, comment voulez-vous que tout le monde se sente bien
00:48:07 quand on a à la fois ces discours paradoxaux et puis en même temps des formules creuses ?
00:48:13 Quand l'éducation nationale est transformée en espèce de vente de je ne sais quoi,
00:48:20 l'école, faisons-la ensemble.
00:48:22 Vous vous rendez compte le slogan ?
00:48:24 Est-ce qu'on peut dire que l'école, on va la faire tout seul ?
00:48:27 Unissons-nous pour faire l'école, dit le slogan.
00:48:31 Franchement, comment on peut travailler dans une sorte de slogan perpétuel,
00:48:40 comme si on allait vendre un produit, comme si la hiérarchie allait vendre un produit ?
00:48:44 Il faut quand même savoir que quand vous avez quelque chose qui déboule le jeudi,
00:48:48 une mise en application le vendredi, et puis on s'acharne le lundi,
00:48:51 vous avez des réunions, ils passent leur temps à s'auto-administrer.
00:48:56 C'est-à-dire que la réunion X prépare la réunion Y,
00:48:59 laquelle anticipe le rendez-vous hebdomadaire des conseils académiques, de direction.
00:49:06 On se demande de semaine en semaine comment il y a tant de nouveautés
00:49:10 pour réunir tout le monde des quatre coins de l'académie.
00:49:13 Enfin, je veux dire les directeurs académiques et d'autres, les IUN, par exemple,
00:49:18 les IUN d'orientation, etc.
00:49:20 Au dépend du contenu, parce qu'ils ne parlent jamais d'élèves.
00:49:24 Vous avez les conseils d'IUN, les inspecteurs d'éducation nationale, des circonscriptions,
00:49:29 où on ne parle jamais d'élèves avec le directeur académique.
00:49:32 Mais c'est le problème des réunions.
00:49:34 Les élèves ce sont des cours, des tableaux Excel, des taux de passage,
00:49:39 sauf que la pédagogie, on n'en parle jamais, c'est-à-dire l'allergie à la frustration des élèves,
00:49:45 des élèves qui, de plus en plus jeunes, mordent les enseignants,
00:49:49 et donc là, on se demande si, malheureusement, et là vous avez raison,
00:49:53 si ce n'est pas l'enseignant qui n'aurait pas agi comme il fallait pour empêcher que le gamin le morde.
00:49:58 Vous voyez, on ne parle pas des élèves, on ne parle pas du terrain, jamais.
00:50:01 Par contre, où on en parle, c'est quand la presse s'en mêle au moment où une classe va être fermée.
00:50:07 Alors là, tout d'un coup, on va quand même parler des quelques élèves
00:50:11 qui sont en jeu dans l'école rurale, par exemple.
00:50:14 Alors Patrick Romain, et puis après je donnerai la parole à Jean-Paul Briguelli.
00:50:17 Oui, je vous ai vu un petit peu sourire lorsque vous parliez,
00:50:20 ouais, c'est la hiérarchie qui en prend plein, etc.
00:50:23 Mais il faut être sérieux, je veux dire, la hiérarchie ne peut pas s'exempter de toute responsabilité,
00:50:31 parce que tout le monde est d'accord pour dire que ça va mal l'école.
00:50:34 Alors, les élèves, ils sont infernaux, les professeurs, ils sont incompétents,
00:50:38 les parents, ils ne s'occupent pas des enfants.
00:50:40 Et la gouvernance, elle est parfaite ?
00:50:42 Tout va bien, il n'y a pas de remise en cause, les gens sont parfaits ?
00:50:45 Ben, lisez le livre et vous verrez le type de personnes qui prétendent ensuite faire la morale aux autres,
00:50:51 dire à un enseignant comment se comporter alors que lui-même serait limite pénalement condamné au niveau de ses actes.
00:51:01 Non, non, non, il y a aussi du ménage à faire du côté de la hiérarchie et il faut en parler.
00:51:06 Je vous rejoins, il y a des professeurs avec lesquels il y a des problèmes,
00:51:10 il y a des élèves avec des problèmes, il y a des parents avec des problèmes,
00:51:12 et nous avons des supérieurs hiérarchiques qui posent souci.
00:51:18 Et quand c'est la tête qui pose souci, tout le corps est malade.
00:51:23 Jean-Paul Bruguelli, sur la hiérarchie et l'encadrement.
00:51:27 Écoutez, je ne serais pas si critique moi sur la hiérarchie et l'encadrement,
00:51:31 parce qu'un proviseur fait ce que le recteur lui demande
00:51:37 et le recteur dit ce que le ministre lui demande de dire.
00:51:40 Il y a un ordre très précis.
00:51:42 En revanche, vous parliez tout à l'heure de lâcheté, etc.
00:51:47 Vous savez, dans le collège où a exercé Samuel Paty,
00:51:51 devait prendre le nom de Samuel Paty, ce sont les enseignants qui ont refusé
00:51:55 parce qu'ils ont peur que ça crée des vagues.
00:51:58 Alors c'est de la lâcheté pure.
00:52:00 De la même façon, un enseignant d'histoire qui ne parle pas de la Shoah
00:52:04 pour ne pas choquer des élèves qui sont antisémites, c'est de la lâcheté aussi.
00:52:09 Un enseignant de SVT qui ne parle pas de Darwin
00:52:13 parce que ça risque de choquer les musulmans, c'est aussi de la lâcheté.
00:52:17 Alors il va falloir un petit peu balayer devant sa porte.
00:52:21 Cela fait 20 ans que les enseignants sont formés n'importe comment.
00:52:25 J'ai été pendant 5 ans au jury du Capet, j'ai vu la dégringolade invraisemblable,
00:52:30 la façon dont ont remonté les notes pour arriver quand même à en tirer quelques-uns.
00:52:35 Actuellement, il y a près de 35% des postes affectés
00:52:39 qui ne sont pas donnés à des candidats tellement le niveau est faible.
00:52:43 Alors il va falloir très sérieusement reformer des enseignants,
00:52:48 je dirais même recycler ceux qui ont été mis en place depuis une vingtaine d'années
00:52:53 et reprendre les choses à la base.
00:52:56 Ce qui compte c'est la transmission verticale des savoirs.
00:52:59 Quant à l'humiliation, je trouve ça vraiment extraordinaire.
00:53:02 J'ai enseigné 45 ans, en 45 ans je ne me suis jamais senti humilié.
00:53:06 J'ai été agressé une ou deux fois, j'ai gueulé plus fort, j'ai menacé plus fort
00:53:11 et ça s'est arrêté là.
00:53:13 Quand on est enseignant titulaire, quand on a le Capet sous la régulation,
00:53:16 on ne risque absolument rien, mais rien.
00:53:20 Alors un proviseur peut gueuler, un inspecteur peut menacer,
00:53:26 ils n'ont aucun pouvoir sur un enseignant titulaire.
00:53:30 Simplement on a remplacé petit à petit les enseignants titulaires
00:53:35 par des recrutements, actuellement un étudiant de licence
00:53:42 qui a un petit peu de culot se fait recruter comme enseignant, supplétif.
00:53:46 Bon, là effectivement il y a des moyens de pression terribles.
00:53:51 De la même façon il y a des moyens de pression de ce qu'on appelle les IEN
00:53:55 sur les instituteurs, certes, mais de façon globale,
00:53:59 je trouve que l'encadrement à haut niveau n'est pas absolument stupide.
00:54:07 Voilà. Ce qui est stupide en revanche, c'est la façon dont des consignes
00:54:13 ministérielles finiront par être appliquées.
00:54:16 Si demain il y a des abayas qui rentrent dans les lycées et dans les classes,
00:54:21 c'est la faute des proviseurs et c'est la faute des enseignants.
00:54:26 Je vous remercie tous les cinq d'avoir participé à ce débat.
00:54:31 Dans un instant je vous libère tous, mais attendez pour sortir,
00:54:35 parce qu'en plus il y a Isabelle Piboulot, ma tanquée sur le plateau.
00:54:38 Il va falloir être très discret. Vous partez, d'autres arrivent.
00:54:42 On va s'intéresser au coup d'État en Afrique et notamment à celui
00:54:46 qui vient d'avoir lieu au Gabon. Mais d'abord Isabelle, le rappel des titres.
00:54:51 (...)
00:55:19 -Pardon.
00:55:21 (...)
00:55:32 Isabelle, malheureusement, votre micro ne marche pas.
00:55:35 On ne vous entend pas du tout. Il y a eu un petit problème.
00:55:38 On verra ça. Vous revenez dans une demi-heure.
00:55:41 J'espère que tout sera réparé. Merci en tout cas.
00:55:44 Moi, je vous entendais, mais c'est dommage.
00:55:46 Bienvenue. Si vous nous rejoignez maintenant, les visiteurs du soir,
00:55:49 c'est tous les dimanches de 22h jusqu'à minuit.
00:55:52 On est à la fin de la semaine. Il est tard. On peut dire ce que l'on veut.
00:55:57 Et si on me tournait mon prompteur, ça m'aiderait aussi.
00:56:00 Vous voyez, c'est la première de la saison. On a changé de loco.
00:56:03 Tout est un peu compliqué. L'historien Patrick Rambour va nous rejoindre.
00:56:09 Il publie une histoire du Paris gastronomique du Moyen-Âge à nos jours.
00:56:14 Ce sera à 23h30. Il nous expliquera comment Paris est devenu le paradis des gourmands.
00:56:19 Et cela, dès le Moyen-Âge. C'était déjà la capitale du prêt-à-manger.
00:56:24 On pouvait déguster un plat chaud à tous les coins de rue ou se faire livrer chez soi.
00:56:29 Mais d'abord, on va s'intéresser au coup d'État au Gabon.
00:56:32 C'est le septième coup d'État en Afrique en trois ans.
00:56:35 On n'avait pas vu ça depuis la fin de la guerre froide.
00:56:38 J'accueille donc Caroline Roussy, directrice de recherche à l'IRIS,
00:56:42 où vous dirigez l'Observatoire Sahel pour le compte du ministère des Armées.
00:56:46 Elgaz, vous êtes journaliste. Vous êtes Sénégalais.
00:56:51 Vous êtes l'auteur des bons ressentiments, Essais sur le malaise postcolonial.
00:56:56 Et enfin, elle est avec nous, mais en duplex, Georges Serres, qui est...
00:57:03 Alors, il n'est pas encore connecté, encore une fois, pardon.
00:57:07 C'est le début de la saison. C'est le son de nouveaux locaux.
00:57:10 En tout cas, Georges Serres a été ambassadeur de France en République démocratique du Congo,
00:57:15 au Cameroun, en Côte d'Ivoire pendant 5 ans et demi, jusqu'en 2017.
00:57:20 Alors, première question.
00:57:24 Ali Bongo était au pouvoir... Enfin, du moins, il est le rejeton de Omar Bango,
00:57:32 dont la famille était au pouvoir depuis 55 ans.
00:57:35 Ali Bongo avait eu un AVC en 2018 qui l'avait rendu invisible pendant 10 mois.
00:57:40 Il venait à nouveau de truquer les élections.
00:57:43 Cette révolution de palais, donc, qui vient d'avoir lieu, est-elle si étonnante que cela ?
00:57:47 Et pourquoi Emmanuel Macron se sent-il obligé de soutenir Ali Bongo ?
00:57:52 Le président du Niger avait été élu démocratiquement, mais Ali Bongo... Caolino aussi ?
00:58:00 - Eh bien, c'est-à-dire qu'on voit bien qu'en ce moment, l'Elysée, à tout le moins Paris,
00:58:03 essaye d'avoir une forme de cohérence en Afrique.
00:58:07 On condamne les coups d'État.
00:58:09 Donc, on condamne celui qui a eu lieu au Niger et, symétriquement, celui qui a eu lieu au Gabon.
00:58:14 On voit quand même que la situation est un petit peu différente, étant entendu.
00:58:18 Vous avez bien vu, aujourd'hui, le président N'Diaye Mac,
00:58:22 le président de la transition, a reçu l'ambassadeur de France.
00:58:25 Donc, on voit bien que quand même, Paris essaye de jouer de velours
00:58:28 pour traiter un petit peu différemment les deux coups d'État,
00:58:32 même si on observe une trop grande visibilité quand même de Paris dans ces deux coups d'État.
00:58:38 J'imagine qu'on va y revenir tout au long de cet échange.
00:58:41 Mais voilà, on observe quand même Paris qui se met toujours un petit peu en ligne de mire.
00:58:48 Alors après, c'est vrai que soutenir Ali Bongo, c'est un petit peu compliqué.
00:58:53 Des élections truquées, une dynastie qui est présente depuis 55 ans.
00:58:57 On voit que ce coup d'État, qui a quand même créé un petit peu d'euphorie,
00:59:01 finalement, est-ce que le soufflé ne va pas retomber,
00:59:04 étant entendu que le général est soutenu par l'autre clan de la famille Bongo.
00:59:11 Donc, tout ceci est bien évidemment à clarifier.
00:59:13 Et à l'heure actuelle, il faut essayer d'être assez prudent quant à l'évolution de la situation.
00:59:19 - Elgaz ?
00:59:20 - Oui, pas grand-chose à rajouter à l'analyse de Caroline Rossi.
00:59:24 D'ailleurs, le soutien de Paris est un soutien générique, à bas bruit,
00:59:29 quasiment désubstantialisé, si on peut dire.
00:59:32 Parce qu'assumer un tel héritage de connivence avec un pouvoir,
00:59:36 comme vous l'avez rappelé, pendant un demi-siècle,
00:59:39 qui a confisqué les élections, a été responsable de la captation des ressources
00:59:44 et le symbole de ce qu'on a appelé la France-Afrique.
00:59:47 Sinon, l'acme même de la France-Afrique dans ses heures les plus sombres.
00:59:51 C'est une position extrêmement délicate.
00:59:53 Paris, avec une habileté manœuvrière qui n'est pas encore tout à fait fine,
00:59:58 a en quelque sorte le pouvoir d'avoir des positions de principe,
01:00:01 en s'alignant d'ailleurs sur ce qu'a fait l'Union africaine et d'autres pays.
01:00:05 Et même, il faudra appeler la Chine aussi à condamner le coup d'État,
01:00:08 parce que je pense que les condamnations ont quelque chose...
01:00:10 - La Chine est devenue le premier partenaire économique du Gabon,
01:00:13 ce qui n'est plus le cas de la France d'ailleurs.
01:00:15 - Oui, ce qui n'est plus le cas de la France,
01:00:18 mais c'était juste pour montrer le caractère, en quelque sorte,
01:00:20 finalement très automatique, presque robotique, des condamnations.
01:00:24 Paris mesure bien l'abîme qu'il peut y avoir à être très très proche de ce régime.
01:00:30 D'autant plus que, comme vous le rappeliez,
01:00:32 il y a une mue quand même dans les relations, en quelque sorte,
01:00:35 entre le Gabon et la France.
01:00:36 - Oui, le Gabon adhérait au Côte d'Ivoire.
01:00:38 - Exactement, j'allais y venir.
01:00:42 D'ailleurs, il y a quelque chose de très subtil à noter dans cette vidéo pathétique,
01:00:48 en fait, qu'on a vue du président Ali Bongo.
01:00:51 Il s'exprime en anglais.
01:00:52 Je pense que cela dit encore quelque chose.
01:00:55 Et puis, le rapprochement avec l'ensemble anglophone,
01:00:59 les partenariats avec d'autres pays que la France,
01:01:03 et puis la volonté de rupture, en tout cas dans l'affichage,
01:01:07 par rapport à ce système en quelque sorte global.
01:01:10 Oui, il y a beaucoup, en quelque sorte, de régimes
01:01:13 qui essaient de jouer en quelque sorte leur sursis
01:01:15 dans ces relations d'attraction-répulsion avec Paris.
01:01:18 Et donc, ce coup d'état-là, c'est pourquoi d'ailleurs,
01:01:20 il a reçu, je ne dirais pas l'assentiment des populations,
01:01:23 mais il a été peut-être le moins condamné,
01:01:26 tant il met fin, en quelque sorte, à des dérives inacceptables,
01:01:30 sauf qu'il n'y a pas de garantie,
01:01:32 parce que vu que c'est une révolution visiblement de palais,
01:01:36 il faut attendre et ne pas avoir de conclusions ratives.
01:01:39 - Alors, effectivement, la question que se sont posées tous les Français
01:01:41 depuis une semaine, après le Mali, après le Burkina Faso,
01:01:45 après le Niger, tout le monde s'est dit,
01:01:47 est-ce que c'est encore un coup d'État contre la France ?
01:01:49 Alors, comme vous venez de le dire,
01:01:51 le Gabon, maintenant comme principal partenaire économique, la Chine,
01:01:58 le Gabon a adhéré au Commonwealth,
01:02:01 c'est pas un coup d'État contre la France,
01:02:04 en dépit du fait que la France a des intérêts importants,
01:02:09 on va dire, au Gabon, et une base militaire au Gabon, Caroline Rousset.
01:02:12 - Oui, tout à fait, mais si vous voulez,
01:02:15 là, en effet, il faut considérer qu'il y a des Afriques,
01:02:18 on a un peu tendance à homogéniser les questions africaines depuis Paris,
01:02:23 et notamment en France, le Sahel, ça n'a rien à voir avec l'Afrique centrale,
01:02:28 ce sont deux Afriques avec des dynamiques qui sont complètement différentes,
01:02:32 on voit bien qu'au Sahel, la problématique, elle est d'abord sécuritaire,
01:02:35 là, au Gabon, c'est une question qui est d'ordre politique, de politique intérieure.
01:02:40 Alors, c'est vrai que ce sentiment anti-français,
01:02:42 maintenant, en fait, un peu florès, on ne cesse d'en parler,
01:02:45 alors que pendant longtemps, je tiens à le noter, on fermait un peu les yeux.
01:02:49 - On le minimisait. - On le minimisait complètement,
01:02:52 on disait que c'était finalement résiduel, que c'était quelques individus,
01:02:57 et puis, finalement, on a eu un... - Ou que c'était les Russes.
01:03:00 - Ou que c'était les Russes, même si, j'avoue, et là,
01:03:03 je pense qu'on va y revenir avec Elgaz, sans doute,
01:03:06 il y a un traitement un petit peu, comment dire,
01:03:09 qui n'est pas suffisamment pertinent de ce sentiment anti-français,
01:03:13 on a tendance à dépolitiser les enjeux,
01:03:16 on considère que c'est de l'ordre de l'émotion,
01:03:18 ce qui peut être le cas lors de manifestations, bien évidemment,
01:03:22 c'est toujours un peu complexe, les corps de manifestants, de manifestations, etc.
01:03:27 Mais, et aussi, on a tendance à oublier que ce sentiment anti-français
01:03:31 est aussi diffusé à partir de la France.
01:03:34 Donc, ça traduit aussi quelque chose des problèmes dans notre société française.
01:03:39 - Alors, je regrette que Georges Serres devrait être avec nous,
01:03:43 malheureusement, on a un problème de connexion, j'espère qu'on...
01:03:47 Ah, peut-être qu'on l'aurait résolu ?
01:03:50 On continue d'essayer, me dit-on dans l'oreillette. Elgaz ?
01:03:54 - Alors, j'apporterai une nuance qui me paraît importante,
01:03:58 les coups d'État en Afrique ne sont pas faits contre la France,
01:04:01 les coups d'État obéissent à des agendas locaux, à des agendas endogènes,
01:04:05 à des problèmes immédiatement internes aux pays dans lesquels ils se sont passés.
01:04:09 C'est l'agrégat de beaucoup de causes, c'est toujours multifactoriel.
01:04:12 Il y a des causes très souvent sociales, d'inégalité, de corruption,
01:04:17 justement de requêtes démocratiques pas assez ancrées,
01:04:19 parce que tous ces pouvoirs ont quand même le dénominateur comment ?
01:04:23 D'être des pouvoirs avec des démocraties complètement anémiées,
01:04:26 pour ne pas dire plus, c'est presque un euphémisme que de le dire.
01:04:29 Et donc, quand il y a cette grande demande de populations majoritairement jeunes
01:04:33 et que ces demandes restent complètement lettres mortes,
01:04:36 en quelque sorte au niveau des autorités, ça peut créer en fait les conditions d'une colère.
01:04:42 Ce qui se passe maintenant après avec ce qu'on a appelé le sentiment anti-français,
01:04:46 je pense que Carlo Norris l'a bien rappelé, il ne faut pas dépolitiser le terme,
01:04:50 il ne faut pas considérer qu'il n'y a que des marionnettes en fait sur le continent
01:04:54 qui obéiraient à un agenda de puissance étrangère revancharde.
01:04:58 Il y a quelque chose de l'ordre de la contestation légitime des interventions, des échecs,
01:05:04 et puis quelque chose de l'ordre de l'inconscient collectif.
01:05:07 C'est-à-dire quand on regarde les grands héros en quelque sorte sur le continent
01:05:11 qui ont été tués par la mécanique de la France-Afrique,
01:05:13 des pouvoirs qui ont été en quelque sorte complètement écrasés
01:05:17 pour être substitués par les desiderata de Paris en quelque sorte,
01:05:21 ça crée dans les mémoires quelque chose qui ne change pas en une, deux, trois générations.
01:05:25 Il faut prendre en compte cette considération.
01:05:27 Mais pour tenir les deux bouts, il faut pouvoir le dire,
01:05:30 mais dire aussi qu'il y a des responsabilités africaines,
01:05:33 des faillites locales qui tombent dans cette forme de logique de bouc émissaire.
01:05:37 Et là, l'ogre russe en quelque sorte dans sa bataille contre l'Occident
01:05:42 vient instrumentaliser, mais elle n'est pas en quelque sorte la génitrice, la Russie, des problèmes.
01:05:48 Elle n'est que l'exploitante ou l'exploiteuse si on peut dire,
01:05:52 des situations de chaos pour essayer de régler un agenda anti-occidental qui est le sien
01:05:57 et qui s'est démultiplié depuis la crise ukrainienne.
01:06:00 - On continue d'évoquer la France-Afrique, mais c'est un fantôme.
01:06:04 L'Afrique s'est mondialisée depuis 30 ans.
01:06:08 Les Américains, les Chinois, les Turcs, les Coréens du Sud, l'Inde, le Brésil, la Russie sont très présents.
01:06:14 Le premier partenaire commercial européen de l'Afrique, ça n'est plus la France, c'est l'Allemagne.
01:06:20 On a l'impression que tout a changé, mais est-ce que, et je regrette encore une fois que Georges Serres ne soit pas avec nous,
01:06:27 est-ce que les diplomates, est-ce que la France, est-ce que le Quai d'Orsay a compris ça, Caroline Roussy ?
01:06:36 - Écoutez, visiblement pas tout à fait, parce qu'on voit quand même le bras de fer qui est en train d'être mené au Niger.
01:06:43 Pour reprendre une citation assez contemporaine, j'ai envie de dire que c'est une funeste connerie,
01:06:49 parce que là, c'est rajouter du chaos au chaos, et en plus de ça, la France qui devrait justement tendre à s'invisibiliser,
01:06:59 ce qui était en fait une des démarches post-Barcan, réarticulation du dispositif, on est en deuxième rideau, l'eau emprunte, etc.
01:07:09 - On fait le gros dos, on essaye d'être moins visible qu'on ne l'était, parce qu'on avait l'air d'être des occupants,
01:07:15 c'est ce que nous reprochaient les Africains.
01:07:17 - Voilà, de toute façon, on sait qu'il y a des cycles, à partir du moment où on est sur un terrain étranger,
01:07:22 au bout de 3-4 ans, en général, on est considéré comme un occupant.
01:07:26 Ça a été le même cas pour les États-Unis, quand on a eu le phénomène US "Go back home".
01:07:32 Mais si vous voulez, là, c'est vrai que, bien sûr, l'Élysée a une logique, là, elle est rentrée dans un bras de fer avec la junte nigérienne,
01:07:42 on voit bien qu'il y a eu la demande de départ de l'ambassadeur de France, la demande du départ des troupes françaises,
01:07:51 et là, en fait, même si du côté nigérien, par rapport aux priorités du pays, on ne comprend pas non plus pourquoi
01:07:59 aller dans ce bras de fer avec Paris, avec tous les dangers que ça peut susciter, puisque, en réalité,
01:08:07 on sait que, malgré tout, comme le disait Elgas, il y a ce ressentiment, il y a quelque chose qui se joue contre la France, à l'heure actuelle,
01:08:16 et donc se mettre au premier plan, je pense que Paris a tout à y perdre.
01:08:22 - Elgas ?
01:08:23 - Oui, je pense qu'il faut aussi éviter de basculer dans une forme de dolorisme auto-accablant, si je puis dire, de la France.
01:08:33 Il y a un travail intellectuel très puissant qui est fait depuis très très longtemps, depuis les indépendances,
01:08:38 dans les gauches françaises, et pas uniquement dans les gauches françaises,
01:08:41 pour justement faire ce diagnostic-là sur ce qui ne va pas, pour établir cette forme de rupture.
01:08:46 Je ne pense pas, sauf à considérer que les politiques sont incultes et qu'au ministère des Affaires étrangères
01:08:53 ou dans la diplomatie, on ne fait aucun travail, qu'ils ne le sachent pas.
01:08:56 Je pense que l'articulation maintenant des politiques et des discours, c'est peut-être là où on peut gagner un peu plus en finesse et en diplomatie.
01:09:05 Mais il me semble qu'il y a une rhétorique parfois guerrière, arrogante, qui affiche une volonté de rupture, mais qui n'est pas suivie des faits.
01:09:12 Donc nous sommes toujours dans cette forme de dualisme entre le ministère des discours et le ministère des faits,
01:09:17 qui laisse un peu les diplomates un peu affaunes et sans pouvoir.
01:09:23 Mais il faut noter autre chose qui me paraît aussi essentielle, c'est qu'il y a une part incompressible,
01:09:29 en quelque sorte, dans toute colonisation d'un rejet et d'un ressentiment.
01:09:32 La France pourrait ajuster tout ce qu'elle veut en termes de discours, s'offrir même son corps en paillasson pour qu'on s'y essuie les pieds,
01:09:40 ce qu'on ne changera pas en fait, c'est que toutes ces humiliations-là ont tellement grévé en quelque sorte les consciences,
01:09:48 qu'il y aura toujours cette forme de présence, de rejet d'une certaine partie de la France en Afrique.
01:09:54 Il faudra sans doute composer avec, c'est-à-dire considérer d'autres types de relations.
01:09:58 Et d'ailleurs la France a commencé à le faire, on n'est plus dans la verticalité,
01:10:01 sauf à prendre des fantasmes et des mythes, à considérer que la France-Afrique n'a pas muté, que les relations sont restées en l'État.
01:10:07 Non, on ne peut pas dire que Fokard, ce soit actuellement ce qu'a été fait le conseil présidentiel…
01:10:13 - Robert Fokard qui était le monsieur Afrique, le ministre de Gaulle, à l'époque on pouvait parler de France-Afrique,
01:10:18 et tout ça est fini depuis très longtemps.
01:10:20 - Mais tout ça, il y a des survivances, il y a des symboles.
01:10:23 D'ailleurs, je pense que le plus important c'est de considérer que nous sommes dans un débat
01:10:26 où finalement les symboles sont plus importants que les faits.
01:10:29 Parce que comme vous l'avez rappelé dans votre présentation, oui, le précaré n'existe plus.
01:10:35 Les avantages économiques sont en train de s'affaisser en quelque sorte face à d'autres orgues qui sont beaucoup plus entreprenants.
01:10:42 Mais cela, on ne le voit pas.
01:10:44 Ce qu'on voit, c'est encore une fois, justement, la symbolique de cette présence-là,
01:10:48 et parfois des discours irrationnels, complètement incontrôlés des autorités françaises,
01:10:54 qui viennent justement sur des rancunes abrasives, jetées encore de l'huile sur le feu.
01:10:59 Mais comme toute relation, il faut qu'il y ait deux parties, en quelque sorte.
01:11:04 Et les États faillis africains doivent être aussi attraits à la barre, pour qu'ils soient comptables de ce qu'ils font.
01:11:10 Parce que si les jeunes Africains n'ont pas d'horizon, en quelque sorte, et qu'ils sont pleins de cette colère-là,
01:11:16 les responsables, c'est aussi, et d'abord premièrement parfois, leur propre dirigeant.
01:11:21 Mais pourquoi notre influence et nos échanges économiques ne cessent de se réduire avec l'Afrique subsaharienne ?
01:11:29 On n'arrête pas de répéter que l'Afrique, c'est l'avenir, c'est notre avenir.
01:11:33 Et il faut dire qu'elle sera 2,5 milliards d'habitants en 2050, selon les projections.
01:11:39 C'est un chiffre qui revient souvent. Vous parlez de la jeunesse.
01:11:42 La moitié quasiment de cette population aura moins de 25 ans en 2050.
01:11:48 Donc effectivement, l'Afrique, c'est l'avenir.
01:11:51 Mais pourquoi, répétons que c'est le nôtre, alors qu'on est en train de disparaître en Afrique, les Français ?
01:11:57 Je trouve que c'est toujours un peu délicat, presque parfois inconfortable,
01:12:02 de ne considérer le continent africain dans la perspective d'une proie où se projetteraient les appétits des influents.
01:12:11 - C'est pas ce que je voulais dire.
01:12:13 - Mais je sais. Mais je ne parlais pas spécialement de vous.
01:12:16 Je parle justement de beaucoup de puissances qui parlent d'influence,
01:12:19 qui parlent justement de volume d'échange, de présence, de structure, en quelque sorte.
01:12:24 Inconsciemment, ce sont les survivances de toutes les formes de domination.
01:12:28 Elles ne sont pas d'ailleurs que françaises, parce qu'on parle ici de la Russie,
01:12:32 mais on peut parler de beaucoup d'autres pays. On peut parler de la Turquie, on peut parler d'Israël, on peut parler de l'Inde, on parle du Pakistan.
01:12:37 - Mais juste pour qu'on soit bien clair, j'aurais pu dire ça exactement de la même façon des États-Unis.
01:12:41 J'aurais pu dire pourquoi la France est en train de disparaître des États-Unis.
01:12:44 Ce n'est pas le cas. Pas tout à fait.
01:12:46 - Oui, mais justement, ce n'était pas en termes de prédation.
01:12:50 - Oui, ça tient de logique capitaliste.
01:12:53 Et si on reste dans un schéma des lumières françaises, en quelque sorte,
01:12:58 on n'exporte pas uniquement une connaissance économique ou en tout cas des partenariats économiques.
01:13:04 On prétend exporter aussi des valeurs.
01:13:06 Et pour exporter des valeurs, il faut être à la hauteur de ces valeurs.
01:13:09 Il faut pouvoir les maintenir aussi chez soi, être exemplaire pour inspirer.
01:13:14 Et donc ça, c'est le grand dilemme français.
01:13:17 Alors que les autres ne s'embarrassent pas de tout cela,
01:13:20 les Chinois traitent de manière froide des questions économiques.
01:13:24 Ils ne s'immiscent jamais en termes d'injonction démocratique
01:13:27 pour justement changer les régimes et donner des leçons, en quelque sorte.
01:13:31 Donc les Chinois, les Russes, ainsi de suite, ont l'avantage, certes,
01:13:35 de ne pas avoir de passif colonial, mais justement, on ne surtout pas…
01:13:39 - Ils pourraient être mal placés pour donner des leçons de démocratie.
01:13:42 - Parfaitement. Mais justement, et c'est pourquoi,
01:13:45 je pense qu'il faut toujours avoir ces deux aspects-là.
01:13:50 Considérer que la France continue à avoir des affaires, certes, qui diminuent,
01:13:55 mais des affaires qui existent.
01:13:57 Et cette présence-là aura vocation sans doute peut-être
01:14:00 à investir des canaux plus horizontaux, des canaux plus civils
01:14:03 de la diplomatie culturelle, parce que c'est aussi important.
01:14:06 Et puis, la présence française ne se joue pas qu'en Afrique.
01:14:09 Elle se joue aussi dans les diasporas.
01:14:11 Les diasporas africaines en Occident, parce qu'elles sont aussi
01:14:15 l'épicentre, justement, de la formulation de ce discours
01:14:18 que l'on appelle "afrocentriste panafricain"
01:14:21 ou qu'il relève de la pensée décoloniale.
01:14:24 Donc il me semble qu'il faut regarder, justement, toujours ces deux aspects,
01:14:27 parce que nous sommes dans un jeu de balancier.
01:14:29 Toutes ces lois françaises, toutes ces politiques françaises
01:14:32 sont aussi scrutées et parfois permettent aux autres
01:14:35 d'ajuster leur discours de rejet anti-France.
01:14:38 Malheureusement, on ne sera pas rejoint par Georges Serres.
01:14:41 Je le regrette bien. J'espère qu'il sera là dans une prochaine émission,
01:14:44 parce qu'on reparlera sûrement de l'Afrique.
01:14:46 Caroline Roussy, réaction à ce que disait Elgaz ?
01:14:49 Écoutez, je pense que je partage son analyse.
01:14:53 C'est vrai qu'aussi, pour reprendre un peu le discours
01:14:56 sur la question des valeurs, on voit bien qu'aujourd'hui,
01:14:59 et c'est assez intéressant parce que dans les échanges,
01:15:02 très souvent, les gens disent "oui, nous, on veut promouvoir
01:15:06 les droits des LGBT", etc.
01:15:09 On voit bien que là, ça coince complètement
01:15:12 sur cette question des valeurs occidentales.
01:15:15 On vient quasiment en mission civilisatrice.
01:15:21 Et on a en face de nous des pays musulmans,
01:15:25 dont ce n'est pas la culture.
01:15:27 Finalement, c'est peut-être aussi la tolérance de savoir composer
01:15:30 avec des gens qui n'ont pas nécessairement
01:15:33 les mêmes principes et les mêmes valeurs.
01:15:35 Là-dessus, on voit bien que les Russes aussi,
01:15:38 puisqu'on en a parlé un petit peu avant,
01:15:40 s'engouffrent dans cette brèche et apparaissent
01:15:44 comme une force virile, etc.
01:15:48 Ce qui se voit aussi au niveau des coups d'État,
01:15:53 une forme de virilisme.
01:15:55 On reprend les choses en main et à l'heure actuelle,
01:15:58 on est un petit peu dans cette séquence.
01:16:00 C'est vrai qu'avec beaucoup d'inquiétude,
01:16:02 parce qu'on ne sait absolument pas ce qui peut se passer.
01:16:05 Au Niger, la situation est dans un entre-deux
01:16:10 vraiment pas lisible.
01:16:12 On ne sait pas exactement ce qui va être décidé.
01:16:14 On a le Gabon, si on regarde en Afrique centrale,
01:16:17 on a un certain nombre de chefs d'État.
01:16:20 C'est la vie, ils sont en fin de vie.
01:16:23 Je rappelle que Paul Biya a 90 ans.
01:16:26 Donc, de facto, il y a un certain nombre de pays
01:16:30 qui vont être amenés à changer de chef d'État
01:16:34 ou de type de régime.
01:16:36 - On l'a vu, je le disais en introduction,
01:16:39 7 coups d'État en 3 ans.
01:16:42 Qu'est-ce qui bouge à ce point-là en Afrique ?
01:16:45 On n'avait pas vu ça depuis la fin de la guerre froide.
01:16:47 - Oui, il y a une tentation séduisante de considérer
01:16:50 qu'il y a un effet domino, qu'il y a quelque chose
01:16:53 au long cours qui travaille les sociétés africaines.
01:16:56 Mais quand on regarde véritablement ce qui se passe
01:16:59 dans les pays, en quelque sorte, l'Afrique,
01:17:02 au risque de choquer beaucoup, se porte parfois bien
01:17:05 dans sa globalité, en quelque sorte.
01:17:07 C'est-à-dire qu'il y a des régimes faillis,
01:17:09 il y a des institutions qui n'ont pas été suffisamment pensées,
01:17:12 assez solides, et donc il y a aussi des tropismes,
01:17:15 des inconscients.
01:17:16 L'idée qu'un despote militaire plus ou moins éclairé
01:17:20 qui viendrait en quelque sorte apporter de la rigueur,
01:17:23 une forme de tenue de l'État, en quelque sorte,
01:17:25 n'est pas une idée qui a été repoussée avec vigueur
01:17:28 sur le continent.
01:17:29 Quand on regarde ce qui s'est passé au Ghana
01:17:31 avec Rawlings, qui a fait un coup d'État,
01:17:33 quand on regarde ce qui s'est passé avec Sankara,
01:17:35 qui est devenu un héros à l'époque.
01:17:37 - Rawlings, il faut le rappeler, a fait un coup d'État,
01:17:39 il a donné le pouvoir aux civils, il s'est aperçu
01:17:41 qu'ils étaient corrompus, il a repris le pouvoir,
01:17:43 et il a instauré le multipartisme, il s'est fait élire
01:17:47 démocratiquement, deux mandats, et à la fin,
01:17:49 il a quitté le pouvoir quand il ne pouvait plus
01:17:51 aller plus loin.
01:17:52 Et c'est un des rares cas d'un chef d'État africain
01:17:55 qui s'en va dignement quand il se lisse au mandat.
01:17:57 - Voilà, ce sont les rares précédents heureux.
01:18:00 Mais ça crée une portée d'héritiers qui ont mis à sac
01:18:03 justement l'héritage, parce qu'on ne trouve pas
01:18:06 des Rawlings, on ne trouve pas des Sankara,
01:18:08 et les militaires...
01:18:09 - Sankara lui est mort malheureusement.
01:18:11 - Voilà, malheureusement, mais les promesses étaient là,
01:18:13 en quelque sorte, chez Sankara.
01:18:15 Et donc ce qu'on observe aujourd'hui, c'est qu'il y a
01:18:18 une forme de pratique confiscatoire du pouvoir
01:18:20 de militaires avec des transitions qui s'étalent
01:18:23 sur de nombreuses années, sans que les transformations
01:18:26 ne soient substantielles, et même l'inverse,
01:18:29 parce que sur le front des luttes, je veux dire,
01:18:31 contre les groupes armés terroristes au Mali, au Burkina,
01:18:34 les reculs sont là.
01:18:35 Et puis ces contextes sont travaillés par d'autres facteurs.
01:18:38 On a tendance, par un regard parfois très romantique
01:18:42 sur la question, par exemple, du djihadisme dans le Sahel,
01:18:45 à considérer uniquement que ce sont des forces exogènes
01:18:48 qui viennent se greffer à des populations complètement
01:18:52 dans un mariage contre nature.
01:18:54 Mais l'offre parfois djihadiste reçoit l'assentiment
01:18:57 justement des populations, parce que c'est une offre
01:19:00 de rigueur, d'ordre, et ça c'est une part en quelque sorte
01:19:03 inévaluable dans nos recherches sur les englements
01:19:05 et les impensés.
01:19:06 Il me semble que dans ces aspects-là, c'est quelque chose
01:19:09 d'assez important d'apporter justement la globalité
01:19:14 du tableau pour pouvoir justement avoir des réponses
01:19:19 qui sont peut-être un peu plus ajustées.
01:19:21 Alors Caroline, pourquoi tant de coups d'État
01:19:24 ces deux, trois dernières années ?
01:19:27 Écoutez, je pense qu'on a un petit peu déjà brossé le tableau,
01:19:31 la faillite d'État sur le plan démocratique.
01:19:36 Après, bien évidemment, il faut regarder un peu dans le détail,
01:19:39 parce que ce qui se passe, ce que j'ai dit précédemment,
01:19:42 ce qui se passe au Sahel, ce n'est pas ce qui se passe au Gabon,
01:19:44 ce sont vraiment des dynamiques complètement différentes.
01:19:47 Au Mali et au Burkina Faso, on a vu une forme de lassitude
01:19:51 par rapport à finalement une progression du djihadisme,
01:19:56 ou des djihadismes plutôt, que vient d'évoquer El Ghas,
01:20:01 même si je pense que c'est un petit peu plus compliqué.
01:20:03 C'est vrai qu'il faut regarder dans le détail.
01:20:05 Il y a parfois l'assentiment des populations,
01:20:07 mais ce n'est pas le cas partout.
01:20:09 Ça peut être juste aussi des formes de résistance
01:20:12 alternative ou passive de collaborer ponctuellement
01:20:16 avec les djihadistes.
01:20:18 - Je vous interromps, mais je me rappelais que depuis un an
01:20:20 que la France a été poussée dehors, les djihadistes,
01:20:25 je parle du Mali, les djihadistes ont doublé leur territoire.
01:20:29 - Oui, bien sûr. Exactement.
01:20:31 Au Burkina Faso, on voit que 40% du territoire échappe à l'État.
01:20:37 C'est ce qu'on appelle une détériorisation de l'État
01:20:40 qui finalement ne contrôle absolument plus son territoire,
01:20:43 ni les populations, ni les circulations, etc.
01:20:46 Au Niger, c'est un petit peu différent.
01:20:49 Là, en fait, on est dans un drôle de coup d'État finalement,
01:20:52 parce que c'est quelqu'un de la garde rapprochée
01:20:55 de Mohamed Bazoum, alors même si là-dessus,
01:20:58 les versions ne sont pas tout à fait claires,
01:21:00 qui finalement décide de mener un coup d'État
01:21:03 à propos de son propre sort, puisqu'il aurait été démis
01:21:08 de ses fonctions le lendemain même
01:21:10 ou dans les jours qui auraient suivi.
01:21:13 Donc là, si vous voulez, c'est un petit peu l'inverse.
01:21:16 D'un coup, il embarque tout un pays avec lui dans ce coup d'État.
01:21:21 Donc c'est vrai qu'il faut vraiment regarder,
01:21:23 même dans le détail, parce que quand on parle d'effet domino,
01:21:26 alors ça, évidemment, au niveau macro,
01:21:28 on a l'impression de cet effet domino, de contagion.
01:21:31 Bien évidemment, on voit que cette espèce de virilisme
01:21:34 dont je parlais tout à l'heure, de brutalité,
01:21:37 de reprise en main, peut être une offre séduisante.
01:21:43 Mais les dynamiques au Mali, au Burkina Faso
01:21:46 et au Niger ne sont pas exactement les mêmes.
01:21:48 Le Niger était beaucoup moins touché par le djihadisme
01:21:52 que les autres pays.
01:21:54 Là, on l'a vu, depuis que l'Ajente est arrivée au pouvoir,
01:21:56 il y a eu un certain nombre d'attaques.
01:21:58 Voilà.
01:21:59 Je viens de voir qui banque un S à Putsch en Afrique.
01:22:02 Je vous présente mes excuses pour tout ceux qui sont plus choqués.
01:22:06 Pourquoi tant de Putsch en Afrique ?
01:22:08 Il y en a effectivement eu plusieurs, Elgaz.
01:22:11 Oui, je suis d'accord.
01:22:13 De toute manière, c'est ce que je disais au départ,
01:22:16 c'est que tout s'inscrit d'abord dans des agendas vraiment locaux.
01:22:20 Et donc, ce qui se passe en Afrique centrale
01:22:22 n'est pas tout à fait ce qui se passe au Sahel.
01:22:25 Même si on peut noter quand même quelques lames de fonds,
01:22:28 quelques lames de fonds communes.
01:22:30 Il y a des requêtes démocratiques.
01:22:32 Il y a des requêtes démocratiques, surtout portées par des jeunes.
01:22:34 Des jeunes qui se sentent justement exclus,
01:22:37 en quelque sorte, du marché politique
01:22:39 et puis de la prédation des élites.
01:22:41 Les jeunes qui sont nombreux.
01:22:43 Les jeunes qui sont nombreux.
01:22:44 C'est pas comme ici.
01:22:45 Exactement, les jeunes qui sont nombreux.
01:22:46 Et puis qui ont pu considérer pendant très longtemps
01:22:48 que les élites, les pouvoirs de mèche,
01:22:51 en quelque sorte, avec les puissances occidentales,
01:22:54 et notamment la France,
01:22:55 ont contribué justement à cette forme de captation.
01:22:58 Et donc, dans cette colère-là, il y a aussi cela.
01:23:01 Je pense qu'on ne peut pas tout à fait le balayer.
01:23:05 L'autre aspect, c'est que dans ce monde
01:23:07 qu'on appelle désormais par le terme générique
01:23:09 beaucoup plus multipolaire, en quelque sorte,
01:23:11 la demande de souveraineté, elle est forte.
01:23:13 La demande de rupture, elle est forte.
01:23:15 C'est-à-dire, ce qui était toléré il y a 10, 15, 20, 30 ans,
01:23:19 ne l'est plus.
01:23:20 Et ça se manifeste de façon beaucoup plus visible.
01:23:23 Et il y a un exemple amusant, c'est qu'en Guinée,
01:23:27 Alpha Condé a été déposé par un élément aussi
01:23:30 assez proche, en quelque sorte, comme dans le cas de Bazoum.
01:23:33 Finalement, l'ennemi n'est pas très, très loin.
01:23:35 Il peut même être à l'intérieur, justement.
01:23:37 - Ce sont pratiquement toujours des révolutions de palais.
01:23:39 - C'est ça. Pratiquement toujours.
01:23:41 Et l'exemple sans doute le plus accablant
01:23:43 et le plus emblématique, c'est ce qui s'est passé au Gabon.
01:23:46 Mais je pense que la mer, encore une fois,
01:23:49 des problèmes africains, c'est encore une fois
01:23:51 une question sociale et une question économique.
01:23:54 Tant qu'il n'y aura pas justement des progrès substantiels
01:23:58 qui donnent du travail, des horizons, des espoirs,
01:24:01 oui, ça se conclura toujours par des problèmes migratoires,
01:24:05 par des instabilités chroniques et par cette forme
01:24:08 de ressentiment que d'une certaine manière
01:24:10 un discours intellectuel a pu entretenir.
01:24:12 - Je vous remercie tous les deux.
01:24:14 On va recevoir dans un instant l'historien Patrick Rambour
01:24:18 pour son livre sur l'histoire du Paris gastronomique
01:24:22 du Moyen-Âge à nos jours.
01:24:24 Pourquoi notre pays, pourquoi Paris en particulier
01:24:27 a toujours incarné la bonne chair, l'innovation culinaire ?
01:24:31 Il va nous le raconter, mais d'abord le rappel des titres.
01:24:35 Isabelle Piboulot.
01:24:37 - Une nouvelle encourageante pour les restos du cœur.
01:24:40 L'État promet une aide supplémentaire
01:24:42 de 15 millions d'euros.
01:24:44 En difficulté financière, le président de l'association
01:24:47 avait annoncé être contraint de réduire
01:24:49 le nombre de bénéficiaires cet hiver face à des demandes
01:24:52 d'aide en hausse en raison de l'inflation.
01:24:55 Par solidarité, certaines enseignes de distribution
01:24:58 ont également annoncé la mise en place d'opérations
01:25:01 de collecte avant la fin de l'année.
01:25:03 Contrairement à cette année, la fiscalité sur le tabac
01:25:06 n'augmentera pas l'an prochain, annonce de la première ministre
01:25:09 dans un entretien à RTL.
01:25:11 Elisabeth Borne a également confirmé que les PEUF,
01:25:14 ces cigarettes électroniques jetables très prisées
01:25:17 par les jeunes, seraient prochainement interdites.
01:25:20 Le tabac reste un enjeu important de santé publique.
01:25:23 Chaque année, 75 000 morts sont liées à sa consommation.
01:25:27 Et puis ce soir, l'OL a affronté le Paris Saint-Germain.
01:25:31 Un choc qui a tourné rapidement à l'avantage du PSG.
01:25:35 Quatre buts ont été inscrits par les Parisiens en première période,
01:25:39 doublés de Kylian Mbappé, des réalisations d'Ashraf Hakimi
01:25:43 et Marco Asensio.
01:25:45 Lyon a réduit le score sur pénalty en deuxième période.
01:25:48 Avec ce succès, le PSG est deuxième au classement.
01:25:52 Lyon toujours en crise et dernier de Ligue 1.
01:25:55 - Merci Isabelle.
01:25:58 Pourquoi notre pays a-t-il toujours incarné la bonne chair,
01:26:02 l'innovation culinaire, la gastronomie ?
01:26:04 Une grande partie de la réponse est dans votre nouveau livre,
01:26:07 Patrick Rambour, "Histoire du Paris gastronomique,
01:26:11 du Moyen-Âge à nos jours".
01:26:13 En effet, comme on va le voir, dès le Moyen-Âge,
01:26:15 Paris est perçu comme un paradis pour les gourmands.
01:26:18 Mais la question que je me pose, c'est pourquoi Paris
01:26:20 et pourquoi la France ? Pourquoi pas l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne ?
01:26:24 - Alors, bonjour.
01:26:27 Si on compare avec l'Italie, par exemple, voire l'Espagne,
01:26:32 il faut savoir que l'histoire de la France a très tôt
01:26:34 eu une capitale très, très forte.
01:26:36 Et l'histoire du pays a été très, très tôt centralisée
01:26:38 autour de la capitale.
01:26:40 C'est ce qui a fait qu'une cuisine s'est développée
01:26:42 assez rapidement, notamment dès la fin du Moyen-Âge,
01:26:45 pour représenter en fait un pays qui commençait
01:26:48 précisément à s'unifier à partir de la capitale.
01:26:50 Si on regarde l'Italie, l'Italie a été constituée
01:26:52 de cités-états jusqu'au XIXe siècle.
01:26:55 - Allemagne, c'est la même chose.
01:26:57 - Voilà, on parle de la cuisine vénitienne,
01:26:59 on parle de la cuisine florentine.
01:27:01 On peut parler de la cuisine italienne,
01:27:03 mais ce n'est pas une cuisine unifiée,
01:27:04 comme on pourra le voir plus tard.
01:27:06 - On parle jamais de la cuisine allemande, mais...
01:27:08 - Non, c'est vrai. Voilà.
01:27:09 - Alors, Paris, dès le Moyen-Âge, et là,
01:27:11 je l'ai découvert en lisant votre livre,
01:27:13 dès le Moyen-Âge, c'est la capitale du prêt-à-manger.
01:27:16 C'est-à-dire qu'on peut acheter des plats chauds
01:27:18 à peu près n'importe où, dans les boutiques,
01:27:21 chez les traiteurs, il y a beaucoup de métiers alimentaires,
01:27:24 dans les marchés, auprès des marchands ambulants,
01:27:28 partout.
01:27:30 - Oui.
01:27:31 - On peut comme ça se nourrir, et toujours très bien.
01:27:34 Il y a une abondance de propositions,
01:27:36 il y a une abondance de mails, d'ingrédients,
01:27:39 et c'est un endroit unique en Europe, en tout cas.
01:27:44 - Oui, en tout cas, les voyageurs et les touristes
01:27:47 ou même les ambassadeurs étrangers,
01:27:49 quand ils nous parlent de Paris, le Paris du Moyen-Âge,
01:27:52 du 14e, 15e siècle, voire le Paris de la Renaissance,
01:27:55 du 16e siècle, ils remarquent ça, ils l'écrivent.
01:27:58 Ils nous disent que Paris est une ville
01:28:00 où il y a une abondance alimentaire,
01:28:02 où la population parisienne peut se nourrir
01:28:04 auprès de marchands de nourriture,
01:28:06 de pâtissiers, de boulangers, de traiteurs,
01:28:08 de rôtisseurs, de cuisiniers ou aillés.
01:28:10 On aimait les petits pâtés, les petits pâtés parisiens
01:28:13 qui devaient être très à la mode.
01:28:15 - C'est ça qui est le plus frappant.
01:28:17 On imagine des gens se rendant exactement comme aujourd'hui.
01:28:20 On a l'impression qu'on a été influencé par les Américains,
01:28:23 c'est-à-dire aller acheter un petit plat
01:28:25 qu'on mange dans du carton et on mange tout seul.
01:28:27 On se dit que ça, c'est les Américains,
01:28:29 mais au fond, à Paris, au Moyen-Âge,
01:28:31 on le faisait sans avoir besoin des Américains.
01:28:33 On pouvait aller dans les auberges, dans les hôtelleries,
01:28:36 qui étaient bien meilleures que ce que l'on croyait,
01:28:39 sans être pour autant toujours formidable.
01:28:41 Et ça, je trouve que c'est le plus frappant.
01:28:43 On croit tous que ça date du Covid, du confinement.
01:28:46 Tout à coup, les métiers de bouche,
01:28:48 et notamment les restaurateurs, se sont dit
01:28:50 "Tiens, on va livrer les gens chez eux."
01:28:52 Au Moyen-Âge, tout le monde se faisait livrer chez soi.
01:28:55 C'est fabuleux.
01:28:56 - Il y a une cuisine de rue qui est là depuis très longtemps.
01:28:59 En fait, cette cuisine de rue a perduré durant des siècles
01:29:02 à Paris, dans des grandes villes du pays,
01:29:04 et elle a disparu avec l'arrivée du restaurant,
01:29:06 à partir de la seconde partie du 19e siècle.
01:29:08 - On y reviendra.
01:29:09 - C'est une innovation parisienne importante.
01:29:11 - Il faut savoir une chose, c'est qu'à cette époque,
01:29:13 au Moyen-Âge, je reviens au Moyen-Âge,
01:29:15 la majorité des gens ne pouvaient pas se faire
01:29:17 à manger à la maison.
01:29:18 Ils n'avaient pas de cuisine.
01:29:19 Les seuls qui avaient une cuisine, c'étaient les plus riches.
01:29:21 Et eux, ils avaient, en plus des cuisiniers,
01:29:23 des professionnels qui leur faisaient la cuisine à la maison.
01:29:25 Mais là, c'était vraiment les princes, les hauts-bourgeois.
01:29:28 Les autres, non, ils ne pouvaient pas.
01:29:30 Donc, le développement de ces métiers de bouche.
01:29:32 - Quand on se fait livrer à manger chez soi,
01:29:34 en fait, on retourne dans le Paris du Moyen-Âge.
01:29:36 - Exactement.
01:29:37 - Alors, les grands cuisiniers, ça aussi,
01:29:39 c'est une spécialité française et à l'époque,
01:29:41 quasiment une spécialité parisienne,
01:29:43 puisque la star des cuisiniers, Taïwan,
01:29:45 qui a été le cuisinier de Philippe VI, d'abord,
01:29:49 de Charles V, puis de Charles VI,
01:29:51 on est au XIVe siècle.
01:29:53 Il est tellement réputé qu'il publie "Le viandier".
01:29:56 On va voir en image ce qu'était "Le viandier"
01:29:59 avec, sur la couverture, on voit Taïwan,
01:30:02 le cuisinier du roi.
01:30:04 - Les stars, les chefs stars, ça existait déjà.
01:30:07 - Ça existait déjà.
01:30:08 - Et c'était déjà à Paris.
01:30:09 - Et Taïwan était très, très connu à l'époque,
01:30:11 à tel point que le poète Villon va en parler
01:30:14 dans un de ses textes.
01:30:16 - Et ça, c'est son premier livre de recettes.
01:30:18 C'est le premier livre de recettes d'un grand chef.
01:30:20 - Voilà, c'est un des premiers livres de recettes
01:30:22 du Moyen-Âge, quoique, on pense qu'il y a
01:30:25 plusieurs viandiers pour la période médiévale.
01:30:27 On a plusieurs viandiers et on a la base
01:30:29 d'un viandier avant que Taïwan ne naisse.
01:30:31 Donc, je pense qu'il est parti de recettes
01:30:33 qui existaient avant et à partir de là,
01:30:35 il a créé son viandier.
01:30:36 Mais Taïwan était tellement célèbre à l'époque
01:30:38 que le simple fait de sortir un traité
01:30:40 avec des recettes écrite "Taïwan, maître que du roi
01:30:43 Charles V et Charles VI", ça partait.
01:30:46 Et on a retrouvé des manuscrits un peu partout en or.
01:30:48 - Oui, parce que c'était des copies, évidemment,
01:30:50 de manuscrits.
01:30:51 À l'époque, l'imprimerie n'existait pas encore chez nous
01:30:53 et ça circulait dans toute la France.
01:30:55 Et il a participé, évidemment,
01:30:58 de la culture gastronomique française.
01:31:02 - Oui.
01:31:03 - Alors, Paris, c'est la capitale du goût,
01:31:05 sous l'Ancien Régime, c'est la capitale
01:31:07 de l'innovation culinaire.
01:31:09 Paris regorge de spécialités régionales.
01:31:13 Tout arrive jusqu'à Paris, c'est assez formidable.
01:31:17 Et j'ai appris là aussi que quand on était parisiens,
01:31:20 on pouvait se faire livrer des spécialités régionales
01:31:23 par divligence.
01:31:24 On appelait ça la messagerie à l'époque.
01:31:26 Donc, non seulement on se faisait livrer chez soi,
01:31:28 on se faisait livrer chez soi même de la province.
01:31:31 - Il faut bien comprendre, parce que souvent,
01:31:33 on critique un peu le centralisme parisien,
01:31:36 mais il faut bien comprendre que Paris fonctionnait
01:31:38 avec tout le pays, en fait.
01:31:39 Et que le simple fait qu'il y ait une élite sur la capitale,
01:31:42 que toutes les élites sont concentrées sur Paris,
01:31:44 cette élite aimait bien manger.
01:31:46 Elle aimait qu'on lui fournisse une nourriture
01:31:48 quand même de qualité et contribuer à développer
01:31:50 les spécialités régionales.
01:31:52 C'est ça qui est intéressant.
01:31:53 Et donc, toutes ces spécialités régionales convergeaient
01:31:55 vers la capitale parce qu'il y avait un marché
01:31:57 et la capitale n'absorbait pas toute cette nourriture.
01:32:00 Et donc, ces produits qui restaient pouvaient être revendus
01:32:03 pour les autres régions, voire les pays limitrophes.
01:32:06 Donc, on voit qu'il y a quand même un circuit
01:32:08 fort intéressant entre le reste du pays et Paris.
01:32:11 Et moi, il y a des boutiques de produits provençaux
01:32:16 dès le 17e siècle, le 16e, 17e siècle à Paris.
01:32:19 Donc, on a déjà de l'huile d'olive à Paris
01:32:21 au 16e et au 17e siècle.
01:32:23 - Pendant le siècle des lumières, il y a déjà un débat
01:32:26 entre la cuisine traditionnelle et la nouvelle cuisine.
01:32:28 C'est quand même assez drôle.
01:32:30 La nouvelle cuisine qui est déjà plus simple et plus légère,
01:32:33 comme la nouvelle cuisine des années 70.
01:32:35 - Exactement. C'est tout un discours qu'il y a.
01:32:37 - On va voir d'ailleurs le livre de Vincent Lachapelle,
01:32:43 "Le cuisinier moderne".
01:32:45 Là où on est au 18e siècle.
01:32:49 - Ce qui va se passer, c'est qu'au 18e siècle,
01:32:52 il y a vraiment tout un débat, tout un discours
01:32:55 entre l'ancienne et la nouvelle cuisine.
01:32:57 C'est la querelle des anciens et des modernes.
01:32:59 - Internet et poule des nœuds.
01:33:01 - Exactement.
01:33:03 On débat sur une cuisine qui se faisait 20 ans auparavant.
01:33:06 On voit qu'il y a une accélération du goût,
01:33:08 une accélération du processus culinaire.
01:33:10 Tout cela se passe à Paris, parce que Paris est une ville
01:33:13 qui rayonne, une ville moderne, innovante.
01:33:16 Tout le monde se met à parler du cuisine.
01:33:20 Même les non-cuisiniers, les érudits, les grands intellectuels
01:33:23 de cette époque se mettent à écrire et à parler sur la cuisine.
01:33:26 A l'époque, il n'y avait pas les moyens de médiation
01:33:28 qu'on a aujourd'hui, mais ça faisait le tour de la capitale.
01:33:31 Et même au-delà, puisque ce qui se passait à Paris
01:33:34 se répercutait dans les autres capitales d'Europe.
01:33:36 - Oui, puisqu'on était la capitale de la gastronomie.
01:33:38 Je ne sais pas si le mot existait déjà.
01:33:40 - Il existait, mais on ne l'utilisait pas à l'époque.
01:33:42 - La grande invention parisienne, la grande innovation
01:33:45 du 18e siècle, c'est vers 1760, c'est l'invention du restaurant.
01:33:49 C'est absolument extraordinaire, parce qu'on le sait,
01:33:52 il y avait des auberges, des hôtelleries, des gargotes.
01:33:55 À l'époque, quand on allait dans une auberge,
01:33:57 on se mettait tous à la même table et on mangeait
01:34:00 ce qu'avait prévu l'aubergiste et il nous servait à telle heure.
01:34:04 Tout le monde mangeait la même chose.
01:34:06 Et puis voilà. L'invention du restaurant, c'est extraordinaire.
01:34:09 - Oui. Alors, c'est la suite logique, en fait,
01:34:11 de ce débat sur la cuisine nouvelle, puisque la cuisine nouvelle,
01:34:13 elle prône une cuisine légère, une cuisine de santé.
01:34:16 Or, les premiers restaurants qui vont s'ouvrir,
01:34:18 les premiers restaurateurs, puisqu'en fait,
01:34:20 ce sont des anciens traiteurs, en fait,
01:34:22 vont proposer une cuisine dite de santé.
01:34:24 Et d'ailleurs, le premier restaurant va s'appeler
01:34:26 maison de santé. Et le mot restaurant est un vieux mot français
01:34:29 qui veut dire bouillon de santé, un mot médiéval.
01:34:32 Et quand une personne était malade, on lui a mené un restaurant,
01:34:34 c'est-à-dire on lui a mené un bouillon de santé.
01:34:36 - Pour le restaurer. - Pour le restaurer.
01:34:38 Donc, ça vient du latin "restaurare".
01:34:40 Et donc, on voit bien comment les mots sont très importants
01:34:42 et comment il y a une logique avec ce débat sur la nouvelle cuisine.
01:34:45 Dans les années 1730-1740, le restaurant apparaît
01:34:48 dans les années 1760.
01:34:50 Et ça va être un véritable phénomène de mode.
01:34:52 C'est-à-dire, alors d'abord, ça s'adresse à une élite.
01:34:54 On est bien clair. - Oui.
01:34:55 - Une élite. - Et très vite, ça va aussi...
01:34:57 - Ça va se démocratiser. - Ça va se démocratiser.
01:34:58 Il y en aura à tous les prix, des élites.
01:35:00 - Oui, oui. - Mais au départ...
01:35:01 - Au départ, c'est vraiment une élite.
01:35:03 On s'adresse aux dames riches, aux messieurs d'élégance.
01:35:06 - Oui, aux femmes comme aux hommes. - Ah oui.
01:35:08 Mais avec les femmes, on leur donne une pièce spécifique.
01:35:10 C'est-à-dire qu'il n'y aura pas de mélange entre les hommes et les femmes.
01:35:13 Une vaisselle... - Ils ne font pas qu'elle se fasse en nuit.
01:35:15 - Exactement. C'est ça. Et puis non, il y a la réputation de la dame.
01:35:17 C'est-à-dire qu'une dame qui va dans une auberge ou une hôtellerie un peu trop populaire,
01:35:21 elle peut être considérée comme une dame de mœurs légères.
01:35:24 Donc là, le restaurant va leur permettre d'aller...
01:35:26 - Mais surtout, la grande révolution du restaurant, on a sa table.
01:35:29 - On a sa table. - Voilà, on n'est plus à la même table que tout le monde.
01:35:31 On a sa table. - On a sa table.
01:35:33 - On a une carte. On choisit. - Voilà.
01:35:35 On choisit des menus. On choisit des plats sur un menu ou sur une carte.
01:35:38 On peut y aller à toute heure.
01:35:40 C'est-à-dire que le restaurant est ouvert jusqu'à minuit l'été et 23h en hiver.
01:35:45 On est au 18e siècle. - Parce que dans les auberges, il n'y avait qu'un seul service.
01:35:47 - C'est ça. Et puis non, ça va être une grande innovation.
01:35:51 Ça va tellement bien marcher.
01:35:52 On aurait pu penser que ça n'aurait pu être qu'un phénomène de mode, en fait.
01:35:56 Mais ça va aller au-delà. - Ça va se répandre dans le monde entier.
01:36:00 - Oui, ça va se répandre dans le monde entier.
01:36:02 Mais je crois même que les premiers restaurateurs vont être surpris du succès de leur établissement, en fait.
01:36:07 Et alors, à partir de la fin du 18e siècle, après la Révolution française, ça va se démocratiser.
01:36:12 On va avoir des restaurants à la carte, des restaurants à prix fixe.
01:36:15 Prix fixe, c'est-à-dire on a un menu complet avec le vin tout compris.
01:36:18 C'est-à-dire que le client peut voir avant de rentrer dans l'établissement ce qu'il va dépenser.
01:36:23 Ce qui est plus compliqué quand on va dans les restaurants à la carte.
01:36:26 Donc, il y a là une diversité de restaurants qui va contribuer au succès.
01:36:31 Et à tel point que Paris, au 19e siècle, sera considérée comme la ville des restaurants, la ville de la restauration, en fait.
01:36:38 - Et c'est aussi là que va naître la critique gastronomique.
01:36:42 Et on le voit avec l'Almanach des gourmands de Grimaud de la Reinière, en 1803.
01:36:47 Donc, les restaurants arrivent en 1760.
01:36:50 Après, il va falloir choisir entre tel et tel restaurant.
01:36:53 Donc, 1803, l'Almanach des gourmands et la philosophie et logie du goût de Briaz de Savarin en 1826.
01:37:01 Et ça y est, la critique gastronomique est née à Paris.
01:37:04 - C'est ça qui est important pour comprendre comment Paris est devenue une ville gastronomique.
01:37:08 Ce n'est pas que le phénomène de la cuisine. Ce n'est pas que le phénomène des restaurants.
01:37:11 C'est aussi le discours. C'est aussi l'écriture.
01:37:14 Et les Almanachs gourmands de Grimaud de la Reinière vont contribuer à ce grand succès.
01:37:18 Premier volume, 1803. Ça va se poursuivre jusqu'en 1812.
01:37:22 Le premier volume va être réédité plusieurs fois. Ça va être un succès européen.
01:37:26 Après, il y a Briaz de Savarin qui arrive avec son volume, sa physiologie du goût en 1826.
01:37:31 Et tous ces personnages vont engranger en fait tout un discours gastronomique,
01:37:35 toute une critique gastronomique des jurys dégustateurs.
01:37:38 C'est ce que va créer aussi Grimaud de la Reinière.
01:37:40 Et donc, on va commencer à avoir une forme de notation.
01:37:42 Mais si vous lisez l'Almanach des gourmands de 1803 de Grimaud de la Reinière,
01:37:46 vous pouvez vous promener dans le Paris gourmand de cette époque.
01:37:49 C'est assez fabuleux.
01:37:50 Quand vous lisez ce volume, vous promenez dans la capitale avec des adresses de restaurants,
01:37:54 des adresses de pâtissiers, de boulangers les plus réputés, etc.
01:37:57 Des recettes aussi.
01:37:58 Et pour moi, l'historien, c'est une source aujourd'hui.
01:38:01 Mais à l'époque, c'était un guide en fait.
01:38:03 Et c'est formidable.
01:38:04 Et c'est là qu'on voit que Paris, au 19e siècle, est vraiment devenu la ville de la gastronomie.
01:38:09 Et après, plus tard, la capitale de la gastronomie.
01:38:11 - Et vous faites tout un chapitre sur l'art du dîner aussi.
01:38:14 - Oui.
01:38:15 - Et alors, ça m'a tout à fait intéressé parce que j'ai toujours été étonné
01:38:19 en lisant les grands romans du 19e siècle, que ce soit Balzac, Alexandre Dumas, mots passants.
01:38:25 Ils ne dînent jamais à la même heure.
01:38:27 Alors, ils dînent à midi, à midi et demi.
01:38:30 Après, ils dînent à deux heures.
01:38:31 Enfin, pas dans le même roman.
01:38:33 Mais selon les romans, ce sera midi et demi, deux heures, cinq heures, six heures.
01:38:38 Ça arrive à huit heures, comme à peu près aujourd'hui les Français dînent.
01:38:43 C'est jamais la même heure.
01:38:44 Et j'ai enfin découvert la réponse en vous lisant.
01:38:47 Ça n'a cessé de reculer pendant tout le siècle.
01:38:49 - C'est ça. C'est exactement ça.
01:38:50 Durant tout le 19e siècle, les heures de repas ont évolué, en fait.
01:38:54 Ce qu'on appelle, nous, le déjeuner, était le repas du matin.
01:38:56 Et donc, le déjeuner a reculé progressivement.
01:38:59 - Oui, donc, il s'appelait le dîner, celui de midi et demi.
01:39:02 - Et le dîner, c'était celui du milieu de la journée.
01:39:05 Et donc, du début du 19e siècle jusqu'à la fin du 20e siècle,
01:39:09 le déjeuner va devenir notre repas du midi.
01:39:11 Et le dîner, qui était le repas du midi, va devenir le repas du soir.
01:39:14 Et on va créer un autre repas qu'on va appeler le petit déjeuner.
01:39:16 Et donc, on a des témoignages dans le courant du siècle
01:39:20 où des personnes sont totalement perdues, en fait.
01:39:23 On ne sait plus à quelle heure on doit déjeuner, à quelle heure on doit dîner.
01:39:27 D'où l'importance des restaurants, puisqu'ils proposent une nourriture à toute heure, en fait.
01:39:31 - Oui, bien entendu.
01:39:32 - Mais on voit bien que tout ça se met en place dans le courant du 19e siècle.
01:39:35 Et nous, aujourd'hui, nous, en tant que Français,
01:39:37 on est vraiment très réglés avec nos repas, nos trois repas par jour,
01:39:40 celui du matin, celui du midi, celui du soir.
01:39:42 C'est le résultat de ce qui s'est passé dans le courant du 19e siècle.
01:39:46 - Absolument.
01:39:47 Et c'est très intéressant de voir à quel point les touristes
01:39:49 vont faire la renommée de nos restaurants.
01:39:51 Alors, on sait bien que sous le Second Empire,
01:39:54 c'est vraiment Paris, la ville attractive, la plus attractive d'Europe.
01:39:59 Tout le monde vient chez nous, notamment pour nos restaurants.
01:40:03 Et on voit bien, et vous le racontez dans le récit de Voyages de Black Dawn,
01:40:08 qui s'intitule "Paris as it was, as it is",
01:40:11 il reproduit carrément la carte de Beauvilliers,
01:40:14 grande enseigne de l'époque.
01:40:16 Et on va la voir, la carte de Beauvilliers.
01:40:18 Je ne sais pas si vous pourrez lire tous les plats,
01:40:20 mais c'est des cartes qui sont phénoménales pour cette époque.
01:40:23 Même pour aujourd'hui, d'ailleurs.
01:40:25 Il y a peu de restaurants qui offrent encore des cartes aussi variées.
01:40:29 Mais pour l'époque, c'est dingue.
01:40:31 - Alors, ce qui est assez incroyable,
01:40:33 c'est que les cartes ont vraiment marqué les touristes étrangers,
01:40:35 les personnes, tous les étrangers qui viennent sur la capitale.
01:40:37 Déjà, ils viennent pour les restaurants aussi.
01:40:39 Mais les cartes, pour eux, c'est fabuleux.
01:40:41 C'est quelque chose d'extrêmement innovant, moderne.
01:40:43 Et c'est surtout la variété des plats que l'on propose.
01:40:45 - Oui, c'est fou.
01:40:46 - Et c'est assez incroyable.
01:40:47 Et c'est vrai que ce témoin anglais nous donne la carte de Beauvilliers.
01:40:51 Heureusement qu'il nous la donne,
01:40:52 parce que ça nous permet d'avoir, nous, une trace aujourd'hui sur ce restaurant.
01:40:55 Beauvilliers était un des restaurants les plus connus de l'époque.
01:40:58 Parmi d'autres restaurants, comme les Trois Frères Provençaux,
01:41:01 comme le restaurant Véry, etc.,
01:41:03 qui étaient tous un peu au Palais Royal.
01:41:05 Le Palais Royal était vraiment le centre gastronome de la capitale à ce moment-là.
01:41:09 Mais on a même aussi, j'ai trouvé dans des mémoires d'un général russe,
01:41:14 qui explique que quand il arrive à Paris,
01:41:16 en plus il arrive à Paris en tant que conquérant,
01:41:18 puisque l'histoire de Paris est aussi faite...
01:41:20 - Donc c'est 1814.
01:41:21 - Voilà, c'est ça.
01:41:22 Le problème, une des premières choses qu'il écrit,
01:41:24 c'est qu'on va au Palais Royal pour aller chez Véry.
01:41:28 Donc la renommée des restaurants, elle était connue dans toute l'Europe, en fait.
01:41:33 - Et alors c'est là où on en arrive, au siège de Paris, par les Prussiens, en 1870.
01:41:38 Tout le monde sait que les Français sont obligés de manger du rat,
01:41:43 en tout cas c'est les images d'épidales qu'on a,
01:41:45 voir dans les restaurants de se partager l'éléphant du jardin d'acclimatation,
01:41:50 ou du jardin des plantes, plus exactement, pardonnez-moi, un anachroniste.
01:41:55 Donc c'est tout à coup cette capitale où on mange mieux que nulle part,
01:41:59 tout à coup n'a plus rien à manger.
01:42:01 - C'est pas tout à coup, elle a tenu pendant au moins 2-3 mois, en fait.
01:42:04 - Oui, tellement on en avait.
01:42:05 - Tellement il y avait de la nourriture.
01:42:07 Puis tous les chevaux y sont passés, les chats, les chiens, les rats,
01:42:10 et là, au bout d'un moment, ça ne va plus, ça ne fonctionne plus.
01:42:13 D'où, à un moment donné, ils vont capituler à cause de cela.
01:42:16 C'est clairement précisé, c'est parce que les Parisiens ont eu faim.
01:42:19 Mais à un moment donné, on a quand même quelques privilégiés
01:42:22 et quelques restaurants qui ont réussi à ouvrir.
01:42:25 Et on a un fameux menu de Noël, je crois, qui circule,
01:42:29 qu'on trouve encore aujourd'hui, où on a des plats, quand même,
01:42:31 un consommé d'éléphant et bien d'autres choses,
01:42:33 qui nous montrent que quelques privilégiés arrivaient quand même à avoir de la nourriture.
01:42:37 Mais à côté de ça, la majorité des Parisiens manquaient de nourriture.
01:42:41 Et ce siège de Paris a beaucoup marqué,
01:42:43 a beaucoup marqué, mais nous a montré quand même cette capacité,
01:42:46 la capacité de cette capitale à tenir quand même.
01:42:49 Si le siège n'avait duré que deux mois, ça n'aurait pratiquement pas posé de problème, en fait.
01:42:53 - Alors le tournant du XXe siècle, on le voit aussi,
01:42:55 c'est que tout à coup, Paris devient la capitale des gastronomies.
01:42:58 C'est-à-dire qu'il n'y a plus seulement la gastronomie française,
01:43:01 il y a à la fois la gastronomie de nos colonies,
01:43:05 il y a la gastronomie de tous les pays étrangers.
01:43:07 Il se trouve qu'il y a deux expositions universelles sous second empire,
01:43:11 qui permettent justement à la fois d'attirer les pays étrangers
01:43:16 et puis aussi de donner une vitrine de la gastronomie française,
01:43:20 qui se développe à ce moment-là, puisqu'on a découvert le couscous,
01:43:24 puisque la choucroute va nous arriver au moment où les Prussiens nous prennent l'Alsace et la Lorraine.
01:43:31 C'est là où arrivent les premières brasseries.
01:43:33 Ils ne veulent pas devenir allemands, ils veulent rester français.
01:43:37 Ils ouvrent les brasseries à Paris et on va tous découvrir la choucroute.
01:43:41 Et puis c'est là qu'on a les premiers restaurants orientaux,
01:43:44 les premiers restaurants qu'on découvre le bifteck.
01:43:48 C'est les anglais qui nous l'apprennent, etc.
01:43:50 Voilà, on devient la capitale de toutes les gastronomies.
01:43:52 On appelle ça des restaurants exotiques.
01:43:54 Exactement, c'est ce que j'allais dire.
01:43:56 L'exotisme culinaire est déjà très présent au XIXe siècle dans la capitale.
01:43:59 C'est ce qu'on oublie.
01:44:00 Les expositions universelles vont jouer un rôle extrêmement important.
01:44:03 Le fait que la France était un empire aussi
01:44:06 et que donc tous les produits de cet empire arrivaient aussi sur la France et sur la capitale.
01:44:11 C'est durant les expositions universelles aussi qu'on va ouvrir des grands palaces, des grands hôtels.
01:44:16 Et quand on lit les cartes de ces grands hôtels,
01:44:19 on nous proposait une cuisine française, mais aussi une cuisine russe, une cuisine asiatique ou bien d'autres.
01:44:25 En fait, on s'est adapté à la clientèle.
01:44:27 En fait, à cette époque, Paris est déjà une ville cosmopolite au niveau culinaire,
01:44:31 une ville internationale au niveau de la cuisine.
01:44:34 Et ça va s'accélérer, ça va s'accentuer avec le siècle suivant.
01:44:38 Aujourd'hui, quand on est en Paris, on a l'impression qu'il y a un restaurant chinois ou vietnamien.
01:44:42 Souvent, les restaurants chinois sont tenus par des vietnamiens, à peu près dans toutes les rues.
01:44:47 Vous savez quand est arrivé le premier restaurant chinois en France, par exemple à Paris ?
01:44:51 En tout cas, ce que je sais, c'est qu'il y en avait à la Belle Époque.
01:44:55 Ah oui, déjà.
01:44:56 Ah oui, parce que moi, j'ai trouvé une trace à la Belle Époque, plus que d'une trace,
01:45:00 notamment lors de l'exposition universelle, une des expositions universelles.
01:45:04 De 1900 ?
01:45:05 Un peu avant, celle de 1889, au moment de la Tour Eiffel.
01:45:08 Là, il y avait déjà des restaurants chinois.
01:45:10 Voilà, donc les restaurants africains, on sait quand...
01:45:13 Oui, bien sûr, il y avait déjà des restaurants africains, des restaurants d'Afrique du Nord aussi.
01:45:18 On sait que dans les expositions universelles de 1889 et de 1900, il y avait déjà des restaurants algériens.
01:45:23 Et il y a du couscous à la carte des restaurants parisiens à partir de 1830, dès la conquête de l'Algérie.
01:45:28 On découvre le couscous. Ah si, si.
01:45:30 C'est un peu tôt là, peut-être.
01:45:31 Ah bon ?
01:45:32 Oui, en fait, pour le couscous, on a tendance à dire que c'est après l'indépendance,
01:45:37 l'arrivée des Pieds-Noirs, etc.
01:45:39 Non, ça c'est totalement faux.
01:45:40 Non, non, c'est dès la conquête.
01:45:41 C'était vraiment connu en France, et notamment à Paris, depuis très très longtemps en fait.
01:45:46 Écoutez, je vous remercie tous les trois d'avoir terminé cette émission avec moi.
01:45:51 Je renvoie à la lecture de votre livre, Patrick Rimbaud, il est totalement passionnant.
01:45:56 L'histoire du Paris gastronomique du Moyen-Âge à nos jours.
01:46:01 Merci de nous avoir suivis.
01:46:03 Je vous donne rendez-vous dimanche prochain pour un nouveau numéro des Visiteurs du Soir.
01:46:08 Je vous souhaite une très bonne nuit, et je pense que ça doit être Isabelle Pimbaud
01:46:13 qui va faire le prochain Rappel des Titres.
01:46:15 Enfin, j'imagine, je ne suis pas sûr, mais ça doit être ça.
01:46:19 Merci encore, bonne nuit, à la semaine prochaine.
01:46:22 ...

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