Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir
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00:00:00 Les visiteurs du soir seront six ce soir.
00:00:05 Quatre d'entre eux sont déjà arrivés.
00:00:07 Mais d'abord, le rappel des titres.
00:00:09 Félicité, Kindoky.
00:00:11 -Ouverte pour enlèvement ou séquestration de plus de 7 jours, la piste de la maison
00:00:24 Missou-Scellé s'est manifestement refermée car aucun élément probant n'a été trouvé.
00:00:29 L'enquête causée par deux juges d'instruction se poursuit.
00:00:32 L'automne a débuté, mais l'été persiste.
00:00:35 Après une chaleur déjà historique en septembre, des températures inédites pour le mois d'octobre
00:00:40 ont été atteintes aujourd'hui.
00:00:42 Un pic est attendu demain et pourrait établir de nouveaux records.
00:00:46 On attend jusqu'à 36 degrés dans les Bernes.
00:00:48 Le mercure grimpe à des niveaux jamais enregistrés pour le dixième mois de l'année, symbole
00:00:53 d'un changement climatique qui multiplie les phénomènes extrêmes et tardifs.
00:00:56 La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Collon, a annoncé dans un court
00:01:01 message posté sur X qu'elle se rendra mardi en Arménie, où elle réaffirmera le soutien
00:01:06 de la France à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de ce pays.
00:01:10 La chef de la diplomatie française se rendra auprès des réfugiés arméniens ayant fui
00:01:14 le Haut-Karabakh.
00:01:15 Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:21 Comme tous les dimanches, on va tâcher de prendre du recul, de la hauteur sur l'actualité.
00:01:26 Par exemple, Emmanuel Macron a ouvert la voie jeudi dernier à une autonomie de la
00:01:29 Corse.
00:01:30 Mais qu'est-ce que c'est l'autonomie ? Ce n'est pas l'indépendance que redoutent
00:01:33 certains, mais c'est un peu plus que ce qu'a laissé entendre le président de la
00:01:37 République dans son discours, comme nous l'expliquera à 23h30 la professeure de droit
00:01:41 public, Vanda Mastor.
00:01:42 À 23h, la philosophe Barbara Stigler, qui vient de publier un manifeste, "Démocratie",
00:01:48 avec un point d'exclamation, nous expliquera pourquoi d'après elle, nous ne sommes pas
00:01:53 en démocratie.
00:01:54 La France n'est pas une dictature, mais ça n'est pas une véritable démocratie,
00:01:59 c'est bien ça.
00:02:00 Arnaud Tessier, qui est un spécialiste de la Ve République, sera là pour vous répondre,
00:02:05 Barbara Stigler.
00:02:06 À 22h20, on reviendra sur la décision du Conseil d'État de classer le Rassemblement
00:02:10 National à l'extrême droite, alors que Marine Le Pen répète depuis 10 ans que son
00:02:14 parti n'est pas d'extrême droite.
00:02:16 Le politologue Jean-Yves Camus, l'auteur des "Droites extrêmes en Europe", et le
00:02:21 journaliste Eliott Mamann, qui a publié dans le Figaro cette semaine une tribune intitulée
00:02:26 "Pourquoi le Conseil d'État n'a pas à renvoyer le RN à l'extrême droite", sont
00:02:33 là pour en discuter, ainsi que l'historien Jean-François Cyrinelli, à qui l'on doit
00:02:37 une histoire des droites en France en trois tomes.
00:02:39 Mais commençons d'abord par votre tout nouveau livre, Jean-François Cyrinelli, il s'intitule
00:02:44 "Le temps qui passe, la France qui change", c'est une promenade dans ce qu'on appelle
00:02:47 le monde d'avant.
00:02:48 Le monde d'avant, les téléphones portables, internet et les réseaux sociaux, qu'avaient-ils
00:02:53 de différent ? Il y avait un tronc commun, vous nous dites.
00:02:57 Les français regardaient les mêmes chaînes de télévision, on écoutait les mêmes stations
00:03:01 de radio, on était au courant des mêmes choses et quand on était célèbre en France,
00:03:05 on l'était pour toutes les générations et toutes les catégories.
00:03:08 On pouvait aimer ou détester Johnny Hallyday à ses débuts, mais tout le monde le connaissait.
00:03:12 Aujourd'hui, il n'y a même plus de tube de l'été et pour cause, on n'écoute
00:03:16 plus les mêmes chansons.
00:03:17 Oui, vous venez de le dire, effectivement, c'est déjà l'avènement de la culture
00:03:21 de masse, mais une culture de masse qui massifie.
00:03:24 Alors, par-delà cette apparence tautologie, disons, on en parlera peut-être qu'actuellement,
00:03:29 la culture de masse fragmente.
00:03:30 Donc c'est une époque, c'est vrai, où vous avez une sorte de consensus culturel
00:03:36 à bas bruit, puis à haut bruit, puis à culture juvénile et c'est ça qui est passionnant.
00:03:41 En fait, il existe une culture commune, des références communes, tout le monde, petits
00:03:46 et grands, savait qui était Coluche, par exemple, ou Raymond Poulidor, ou Georges Brassens,
00:03:52 ou Sylvia Christel, l'actrice d'Emmanuel, par exemple.
00:03:55 Tout le monde la connaissait.
00:03:56 Aujourd'hui, ça n'est plus du tout le cas.
00:03:57 Alors, ça ne serait pas le cas.
00:03:59 On ne peut pas comparer terme à terme, puisque les générations ont passé, mais effectivement,
00:04:03 il y a ce tronc commun, pour reprendre votre expression, et il y a une sorte de chambre
00:04:08 d'écho.
00:04:09 Alors, l'intérêt, c'est de voir, c'est le mystère de la chambre d'écho, en quelque
00:04:12 sorte.
00:04:13 Pourquoi ce tronc commun ? Alors, il y a des raisons techniques.
00:04:16 Évidemment, par exemple, "Salut les copains", l'émission des jeunes sur Europe 1, est
00:04:21 entendu, on a fait des calculs, en 63-64, par la moitié d'une classe d'âge.
00:04:27 C'est-à-dire que je vous parle d'un temps où les 20 ans, ou un peu moins à l'époque,
00:04:33 à moitié d'entre eux, que ce soit le fils de paysan de Corse, ou le jeune bourgeois
00:04:37 lycéen parisien, écoutent le même 5 à 7, les mêmes musiques, et donc on a, vous
00:04:43 le voyez, un phénomène.
00:04:44 L'autre exemple, c'est bien évidemment une, puis au maximum, deux chaînes de télévision
00:04:49 tout au long des années 60.
00:04:51 Alors, vous l'avez dit, il y avait une culture jeune, elle était née avec l'invention
00:04:55 du transistor, et puis le tourne-disque qui s'est répandu, et tout ça, ça permettait
00:05:00 d'écouter de la musique dans sa chambre.
00:05:02 Ah, absolument.
00:05:03 Après, avec la porte fermée, les parents n'étaient pas là.
00:05:05 Néanmoins, les parents savaient ce que vous écoutiez à l'époque.
00:05:09 Ah, absolument.
00:05:10 Alors, il y a une révolution, vous venez de le dire, topographique, c'est-à-dire
00:05:13 qu'il y a les progrès de l'habitat, on est au cœur des Trente Glorieuses, donc
00:05:17 petit à petit, les jeunes ont leur chambre, ce qui n'était pas le cas avant.
00:05:21 Mais, de surcroît, jusque-là, le lourd boîtier de la TSF trônait, en quelque sorte, dans
00:05:27 le salon ou dans la salle à manger, et il y a désormais le transistor.
00:05:31 Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, en quatre ans, entre 59 et 62, le nombre
00:05:37 de postes à transistor vendus est multiplié par 10.
00:05:40 Et vu le prix, ce sont les jeunes qui achètent.
00:05:43 Et donc, il y a l'autonomie de la chambre et l'autonomie du son.
00:05:47 Mais en même temps, vous le disiez, j'allais dire en confiance, il n'y a pas de rupture
00:05:51 avec les parents.
00:05:52 Disons qu'il y a une autre culture.
00:05:54 Mais ce qui est intéressant, c'est que cette autre culture, progressivement, prend
00:05:58 le pas sur la culture des adultes.
00:06:00 C'est inédit dans l'histoire de l'humanité à l'époque.
00:06:03 La culture juvénile l'emporte en termes de rapports de force, en termes d'images
00:06:09 et de sons, progressivement sur la culture.
00:06:10 - Mais c'est aussi logique, puisque les jeunes à l'époque sont très nombreux, ce qui
00:06:14 n'est plus le cas aujourd'hui.
00:06:15 Aujourd'hui, on pourrait dire, qui peut se vanter de savoir qui sont les stars de ses
00:06:18 enfants ? Aujourd'hui, c'est presque impossible de le savoir.
00:06:21 Mais en revanche, les enfants sont beaucoup moins nombreux qu'avant.
00:06:23 Et donc, d'une certaine manière, la culture jeune compte moins.
00:06:26 - Alors oui, on pourrait aussi inverser ou nuancer, mais je suis d'accord avec vous.
00:06:32 À l'époque, vous avez véritablement une montée des jeunes, d'ailleurs, qui est
00:06:36 décelée par les anthropologues, les sociologues.
00:06:38 On a même un livre en 1959 qui parle de la montée des jeunes.
00:06:42 Et de fait, ils sont présents, c'est-à-dire qu'ils occupent le devant de la scène.
00:06:46 Leurs parents sont jeunes, ils ont 35 à 40 ans.
00:06:49 Mais dans le vocabulaire de l'époque, ce sont les croulants.
00:06:51 Mais vous voyez que l'expression est plutôt sympathique.
00:06:54 Il n'y a pas véritablement de lutte de génération, en tout cas au début.
00:06:58 Après, viendra la deuxième partie des années 60, une politisation.
00:07:02 Les copains deviennent les camarades.
00:07:04 Et c'est un autre, déjà, c'est une autre période.
00:07:08 - Mais on imagine bien la force de la contestation à l'époque de la jeunesse par le poids que
00:07:14 représentait la jeunesse.
00:07:15 Mais en même temps, vous vous rappelez bien dans votre livre qu'en mai 68, par exemple,
00:07:20 seulement 17%, je crois, 17 ou 18% des jeunes d'une classe d'âge arrivaient au bac et
00:07:26 faisaient des études supérieures, c'est-à-dire une petite minorité.
00:07:29 - Moins de 20%, c'est-à-dire que moins d'un cinquième des jeunes gens de l'époque,
00:07:32 vous venez de le dire, arrivent au bac.
00:07:34 Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, les septuagénaires, les 4/5ème ne sont pas bacheliers
00:07:39 ou bachelières.
00:07:40 Donc, c'est vrai que l'image de l'étudiant engagé est une image vraie, en partie, puisqu'il
00:07:47 y a des étudiants engagés, il y a mai 68.
00:07:50 Mais à côté, il y a les 4/5ème qui font partie de cette jeunesse, qui sont un peu
00:07:56 la chambre d'écho de cette idéologie.
00:07:58 Mais ce qui les concerne au premier chef, ce sont les évolutions socio-culturelles,
00:08:03 qui au bout du compte sont beaucoup plus importantes, je dirais statistiquement, que les luttes
00:08:08 idéologiques de l'époque.
00:08:09 - Mais le fossé d'éducation qui existait à l'époque, dont on n'a plus idée aujourd'hui,
00:08:15 seulement 17 ou 18% d'une classe d'âge qui fait des études supérieures, c'est très
00:08:20 très peu.
00:08:21 Forcément, ça impliquait, j'imagine, on voit bien dans les rapports qu'il pouvait
00:08:25 y avoir à l'époque, et très différent de ce qu'on peut voir aujourd'hui, par rapport
00:08:29 à ceux qui nous gouvernaient.
00:08:30 Il y avait une autorité qui était respectée.
00:08:33 Est-ce que ça n'était pas dû aussi à ça ? Le fait que quand on n'avait pas fait
00:08:38 d'études supérieures, on écoutait le ministre plus religieusement qu'on l'écoute
00:08:43 aujourd'hui.
00:08:44 Le ministre ou le journaliste, d'ailleurs.
00:08:45 - C'est ce que j'allais vous dire.
00:08:46 Le ministre, le journaliste ou l'intellectuel.
00:08:48 C'est le moment où la parole qui découle de la civilisation de l'écrit, par exemple,
00:08:53 est respectée depuis le maître d'école jusqu'au grand intellectuel.
00:08:57 C'est l'âge des années Sartre.
00:08:58 Sartre, peu l'ont lu, mais Sartre, si vous voulez, est une sorte d'éminence, en quelque
00:09:04 sorte.
00:09:05 Non pas de la République, puisqu'il prend ses distances, y compris vis-à-vis du prix
00:09:08 Nobel en 1964, mais il y a effectivement, vous avez raison, ce respect d'une autorité
00:09:14 et aussi d'une autorité intellectuelle.
00:09:16 C'est ça qui est intéressant.
00:09:17 - On en parlera quand on parlera de votre manifeste de démocratie, justement, parce
00:09:22 que ça, c'est ce fossé d'éducation a joué un rôle et l'absence, ou en tout cas le rétrécissement
00:09:27 du fossé d'éducation, en joue un autre aujourd'hui.
00:09:30 Les événements, vous le montrez bien.
00:09:33 Alors, s'il y a autre chose, on avait peur de la Troisième Guerre mondiale, forcément
00:09:38 nucléaire.
00:09:39 On avait peur, en fait, de la déflagration nucléaire.
00:09:42 Et il faut bien se rappeler que les États-Unis et l'URSS avaient les moyens de nous pulvériser
00:09:51 tous.
00:09:52 Et l'avenir était moins anxiogène qu'aujourd'hui.
00:09:54 - Effectivement.
00:09:55 Je m'interroge d'ailleurs, puisque de par mon âge, j'ai été un baby-boomer de cette
00:10:01 époque.
00:10:02 Je m'interroge sur cette parenthèse enchantée, parce que parenthèse enchantée, il y a eu.
00:10:07 Alors, il faut bien voir qu'à partir de 1962, il y a quand même une détente.
00:10:11 - Oui, la fin de la guerre d'Algérie.
00:10:13 - De la guerre froide.
00:10:14 Non, mais par exemple, le film Oppenheimer vous montre les années 50, qui sont des années
00:10:19 extrêmement dures.
00:10:20 Il y a le maccartisme aux États-Unis.
00:10:21 Les années 60, c'est une toute autre musique.
00:10:24 Et donc, probablement, on est toujours à l'unisson de l'ère du temps.
00:10:28 Et l'ère du temps est à la détente.
00:10:31 N'oubliez pas que la dernière grande crise, mais qui a été une crise très grave, le
00:10:35 monde a été au bord de la guerre thermonucléaire, c'est 1962, la crise de Cuba.
00:10:40 Après, on a le sentiment, d'une certaine façon, que le monde pousse un soupir de soulagement,
00:10:47 sauf qu'il y a les guerres périphériques.
00:10:48 Il y a la guerre du Vietnam, il y a un peu plus tard le Biafra.
00:10:51 Il y a toute une série de guerres.
00:10:53 Le monde n'est pas totalement...
00:10:54 - Il y a beaucoup plus de guerres qu'aujourd'hui.
00:10:55 - Oui, et surtout, ces jeunes gens dont nous chantons, dont je viens de chanter La douceur
00:11:00 de vivre, ne sont que les jeunes de la sphère occidentale.
00:11:03 Être jeune, par exemple, jeune garde rouge en Chine, c'est le moment où certains de
00:11:08 ces gardes rouges sont instrumentalisés, deviennent de véritables assassins, puis
00:11:13 sont relagués pour plusieurs dizaines de millions d'entre eux en province, au fin fond
00:11:18 des provinces.
00:11:19 - Ce qui arrivera à Xi Jinping, d'ailleurs.
00:11:20 - Tout à media passé, toute sa jeunesse a cultivé les chambres.
00:11:23 - Tout à fait, puisque le père lui-même avait été rejeté par le système.
00:11:27 C'est aussi le moment où Yan Palak, en janvier 1969, va s'immoler par le feu.
00:11:32 Donc, vous voyez, là aussi, il faut de nuances.
00:11:34 - Mais justement, le fait que ce soit si anxiogène aujourd'hui, et que ça l'était
00:11:38 beaucoup moins à l'époque, en dépit des risques, est-ce que ça n'est pas lié au
00:11:42 fait qu'on était moins informé, au fond, à l'époque, et qu'on est surinformé aujourd'hui?
00:11:46 - Ah, je pense, vous venez de donner la réponse.
00:11:48 On a, si vous voulez, à partir de cette époque, on va baigner dans les bonheurs du temps,
00:11:54 vous parliez tout à l'heure du sport, du Tour de France, mais aussi dans les malheurs
00:11:58 du temps.
00:11:59 C'est-à-dire qu'il y a une communauté du regard.
00:12:01 Or, le regard vous donne la détresse du monde.
00:12:04 Et donc, le monde devient un grand parvis, et sur ce grand parvis, tout est à avoir.
00:12:11 La guerre du Vietnam devient, les Américains l'appellent, la guerre du "living room",
00:12:16 parce qu'elle vient, elle pénètre par les images, par la force des images, par la cruauté
00:12:21 des images, jusque dans le "living room", et c'est vrai qu'en France aussi, il y a
00:12:26 cette forme.
00:12:27 Et donc, vous voyez, il y a ce paradoxe, il y a cette douceur de vivre, et il y a en même
00:12:30 temps ce contact avec un monde qui apparaît de plus en plus violent, ou en tout cas, dont
00:12:35 les images arrivent de plus en plus souvent.
00:12:37 Et en même temps, les événements, à quelques exceptions près, n'étaient pas planétaires,
00:12:42 hormis l'assassinat de Kennedy, qui a eu un retentissement évidemment mondial, l'homme
00:12:47 qui a marché sur la Lune, bien entendu, ça c'est planétaire, quoique les Chinois
00:12:50 n'étaient pas au courant.
00:12:51 Donc, on a caché, pour le moment, le plan.
00:12:53 Ou il y a Woodstock, qui avec un petit décalage, va aussi se répandre un peu partout.
00:12:58 Mais sinon, on n'était pas comme aujourd'hui, tous logés à la même enseigne.
00:13:05 Aujourd'hui, les titres des films américains ne sont plus traduits, parce que la promotion
00:13:10 commence aux Etats-Unis et arrive en Europe au même moment, et les films sortent quasiment
00:13:15 à la même date.
00:13:16 On n'est pas saturé encore à l'époque d'images et du son, on est dans des jeux
00:13:20 d'échelle qui ne sont pas encore les mêmes, on est dans des cercles d'appartenance culturelle
00:13:25 qui ne sont pas encore les mêmes.
00:13:26 On a changé d'époque.
00:13:27 On restait national.
00:13:28 Très largement, même si la culture ne connaît pas de frontières, les ondes des différents
00:13:34 supports culturels ne connaissent pas de frontières.
00:13:37 Mais on reste très largement national.
00:13:39 Mais pas totalement.
00:13:40 Par exemple, "Le rideau de fer", on le voit dans les premiers films de Milos Forman,
00:13:45 les jeunes à l'Est écoutent la musique occidentale.
00:13:48 Et probablement, d'ailleurs, ça entraîne en quelque sorte des ondes qui, à terme,
00:13:54 mèneront à des fissures, puis à la chute du mur, mais enfin, tout ça, et sur plusieurs
00:13:58 décennies.
00:13:59 Dans le monde d'avant, la libération sexuelle est progressive et elle touche quasiment tous
00:14:04 les domaines, jusqu'à la pédophilie, à un moment, qui est prône.
00:14:08 Et tous les tabous sont censés sauter les uns après les autres.
00:14:11 On va voir des films de plus en plus osés, comme on disait à l'époque, jusqu'à
00:14:17 "Emmanuel, le dernier tango à Paris", dans les années 70, "La grande bouffe".
00:14:20 Tous ces films-là sont vus, alors pas familialement, parce que c'est à terme de moins de 18 ans,
00:14:25 mais enfin, toute la société va voir ces films-là.
00:14:28 Aujourd'hui, on voit bien que c'est quelque chose, c'est inversé, on pourrait dire.
00:14:33 - À quel moment ?
00:14:34 - Deux remarques.
00:14:35 D'abord, vous avez raison de dire que ce sont les années 70, parce que le cœur des
00:14:39 "30 Glorieuses" sont les années 60, sur le plan social et économique.
00:14:43 Mais le logiciel culturel, si vous voulez, des normes et des valeurs qui régissent la
00:14:49 société reste celui du vieux fonds ruralo-chrétien.
00:14:53 Dans ma bouche, c'est pas péjoratif, c'est un constat anthropologique, si vous voulez.
00:14:57 Et ce vieux fonds, il va plutôt se tordre dans les années 70.
00:15:01 C'est le moment où se passe tout ce que vous évoquez avec un certain nombre de débats
00:15:06 de société, vous l'avez dit, sur le cinéma, sur la pédophilie.
00:15:11 On voit réapparaître de nos jours des textes qui sont, à l'époque, effectivement, qui
00:15:16 ne font pas…
00:15:17 - Aujourd'hui, qui nous paraissent choquants, alors qu'à l'époque, c'était tout à fait…
00:15:20 - Alors vous me demandez quand ça change.
00:15:22 C'est à partir des années 90, quand on essaye de repérer, que commencent les débats
00:15:27 sur ce qu'on va appeler la permissivité.
00:15:30 C'est-à-dire qu'il va y avoir une interrogation, très largement politique, mais aussi reprise
00:15:34 en charge par un certain nombre de générations plus jeunes, en disant « mais dans le fond,
00:15:39 ces adultes nous ont légué un monde pas si simple que ça ».
00:15:43 Bien sûr, on a abattu les murs de l'autorité, mais derrière les murs de l'autorité,
00:15:49 il y avait de l'ordre, et dans cette société maintenant de plus en plus violente.
00:15:53 Donc on cherche non pas des bouches mises, certes, les choses sont singulièrement plus
00:15:57 complexes, mais des responsables.
00:15:59 Et naturellement, cette évolution socioculturelle des années 70, beaucoup plus que l'agitation
00:16:05 idéologique des années 60, est mise en avant, si vous voulez.
00:16:09 Et c'est intéressant parce que ça va se poursuivre dans les années 2000, par exemple
00:16:13 au moment de la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy met explicitement en cause mai 68.
00:16:20 C'est-à-dire que mai 68, à son tour, passe sur le banc des accusés, non pas, je le répète,
00:16:25 à cause des idéologies de l'époque, mais parce qu'il est censé enclencher les débuts
00:16:31 de la permissivité, en quelque sorte.
00:16:33 – Vous qui avez connu le monde d'avant, Jean-Yves Camus, vous vous reconnaissez dans
00:16:38 ce que nous dit Jean-François Sirigneli ?
00:16:40 – Je confirme les constats pour avoir connu la période, mais je dois dire que je suis
00:16:45 sans doute un animal assez rare, puisque je suis passé totalement à côté de mai 68,
00:16:51 des années qui ont suivi, par le milieu auquel je m'appartenais, par ces inclinations politiques,
00:17:01 par sans doute la pratique religieuse.
00:17:04 J'avoue que j'ai traversé tout ça en sentant bien qu'il y avait…
00:17:08 – Enfin le monde d'avant ne se réduit pas à mai 68.
00:17:12 – Non mais si vous voulez, je finis en 1958, donc les années 60, je ne les ai connues
00:17:15 qu'à la marge.
00:17:17 Pour moi véritablement le cœur du sujet ce sont les années 70 et effectivement,
00:17:23 par exemple les mutations dans le modèle éducatif que j'ai connu en rentrant au lycée
00:17:28 qui était le résultat évidemment des événements de 1968.
00:17:33 Je n'ai jamais… comment dire… je suis passé au travers, totalement.
00:17:41 – Eliott Mamann, vous, vous n'avez pas connu le monde d'avant,
00:17:44 ça vous paraît aussi étrange que ce que nous racontait Jean-François Cyrinelli ?
00:17:49 – Étrange.
00:17:50 – En très peu de temps parce qu'après on s'arrête.
00:17:51 – Non, ce qui est intéressant simplement c'est que vous vous rappelez
00:17:53 que les médias avaient un effet de masse à l'époque
00:17:55 et c'est vrai qu'aujourd'hui plus l'industrie médiatique gagne en puissance,
00:17:58 plus en même temps elle s'adresse à un marché de plus en plus de niches
00:18:01 parce que Jérôme Bourquet parle d'ailleurs de "netflixisation des opinions"
00:18:05 et tant dans l'industrie médiatique culturelle
00:18:06 que dans l'industrie de la production de l'information,
00:18:09 on a des communautés qui ne regardent plus du tout les mêmes programmes.
00:18:12 Il y avait quelque chose de fédérateur dans les médias qui est absolument gentil.
00:18:16 – Barbara Sigler en une phrase parce qu'après c'est…
00:18:18 – Écoutez, moi je n'ai connu que les années 70,
00:18:21 j'aurais adoré connaître les années 60,
00:18:23 je suis nostalgique de ces années que je n'ai pas connues.
00:18:26 Et quand je suis arrivée c'était les années de plomb,
00:18:30 j'espère qu'il se passe autre chose aujourd'hui.
00:18:31 – Carrément les années de plomb.
00:18:34 On fait une pause, on se retrouve juste après
00:18:38 et on aborde la question du Conseil d'État,
00:18:41 et du Rassemblement National,
00:18:44 est-ce que c'est un parti d'extrême droite ou pas ?
00:18:46 En août dernier, pour décider comment attribuer
00:18:53 les nuances politiques aux candidats aux élections,
00:18:55 le ministère de l'Intérieur avait publié une circulaire
00:18:58 où il classait le Rassemblement National à l'extrême droite.
00:19:01 Le parti de Marine Le Pen avait alors saisi le Conseil d'État
00:19:04 pour contester cette décision.
00:19:06 Marine Le Pen répète en effet depuis 10 ans
00:19:08 que son parti n'est pas d'extrême droite,
00:19:10 que l'on dit ça pour la dénigrer.
00:19:12 Mais jeudi dernier, le Conseil d'État a rendu son verdict,
00:19:15 il a donné raison au ministère de l'Intérieur.
00:19:17 Tout candidat du Rassemblement National
00:19:19 peut donc être classé à l'extrême droite
00:19:21 sur les cartes des résultats électoraux.
00:19:24 Ce qui fait que Libération, Mediapart ou le Huffington Post
00:19:26 ont pu écrire que pour le Conseil d'État aussi,
00:19:29 le Rassemblement National est bien d'extrême droite.
00:19:32 Alors d'extrême droite ou pas d'extrême droite,
00:19:34 le parti de Marine Le Pen, pour en débattre,
00:19:36 nous avons ici présent Jean-François Cyrinelli,
00:19:38 à qui l'on doit une histoire des droites en France,
00:19:41 en trois volumes.
00:19:42 La philosophe Barbara Stiegler, qui publie "Démocratie",
00:19:45 manifeste le manifeste et qui a soutenu
00:19:48 la candidature de Jean-Luc Mélenchon
00:19:50 à la dernière présidentielle.
00:19:51 Je précise d'ailleurs que le parti de Jean-Luc Mélenchon
00:19:54 n'est pas classé, lui, à l'extrême gauche
00:19:56 par le ministère de l'Intérieur.
00:19:57 Jean-Yves Camus, vous êtes politologue,
00:19:59 spécialisé dans l'extrême droite.
00:20:01 On vous doit notamment le Front National Histoire et Analyse,
00:20:04 c'était en 1997, et les droites extrêmes en Europe,
00:20:08 coécrit avec Nicolas Lebourg et publié au Seuil en 2015.
00:20:12 Et le journaliste Eliot Mamann,
00:20:13 qui a publié dans le Figaro cette semaine une tribune intitulée
00:20:16 "Pourquoi le Conseil d'État n'a pas à renvoyer
00:20:19 l'ERN à l'extrême droite".
00:20:21 Eh bien, ouvrez le débat, Eliot Mamann,
00:20:22 vous avez quelques minutes, avant le rappel des titres.
00:20:25 Pourquoi ?
00:20:26 D'abord, pour une raison technique,
00:20:27 parce que le Conseil d'État n'a pas renvoyé
00:20:29 l'ERN à l'extrême droite.
00:20:30 Il a simplement...
00:20:32 Donc, vous disiez que la décision concernait
00:20:34 le nuançage politique du Rassemblement national.
00:20:38 Le Conseil d'État distingue, et plus largement,
00:20:40 l'arrêté sur lequel ce genre de décision distingue
00:20:44 l'étiquette politique et la nuance politique.
00:20:46 Le Conseil d'État précise que le ministère de l'Intérieur,
00:20:49 dont la circulaire qui pose des problèmes à Marine Le Pen,
00:20:52 n'a jamais prétendu définir l'appartenance idéologique,
00:20:55 donc l'étiquette politique, du Rassemblement national.
00:20:58 Il a simplement confirmé que dans les hémicycles
00:21:00 où l'ERN était invité à envoyer des élus,
00:21:02 les élus en question s'asseyaient à l'extrême droite des hémicycles.
00:21:05 Le problème, en effet, c'est qu'une partie de la gauche,
00:21:08 une partie de la presse de gauche, dont vous avez rappelé certains titres,
00:21:11 ont considéré que finalement, on avait une espèce de caution morale,
00:21:14 que le Conseil d'État avait établi que oui,
00:21:16 le RN était d'extrême droite, or la question n'était pas idéologique.
00:21:20 Alors ensuite, il y a en effet une deuxième question.
00:21:23 Le RN, d'un point de vue idéologique et historique,
00:21:25 est-il d'extrême droite ? Et ça, je pense que c'est le débat.
00:21:27 Mais le ministère de l'Intérieur ne classe pas l'FI à l'extrême gauche.
00:21:34 Pourtant, dans les hémicycles, l'FI est bien placée
00:21:37 à l'extrême gauche.
00:21:38 Moins à gauche, par exemple, à l'Assemblée nationale
00:21:41 que le groupe GDR, dans lequel siège notamment Fabien Roussel.
00:21:43 Et en effet, ce sont les préfets des départements
00:21:48 qui sont invités à réaliser une enquête tous à leur échelle
00:21:51 dans le cadre des élections sénatoriales,
00:21:52 pour ensuite faire remonter les résultats de leur enquête
00:21:54 au ministère de l'Intérieur pour déterminer...
00:21:57 Ils ont le choix entre six blocs politiques
00:21:59 pour déterminer duquel de ces blocs politiques
00:22:02 les différents partis en lice appartiennent.
00:22:06 Et en l'occurrence, l'enquête se base notamment
00:22:10 sur la position dans les hémicycles, sur les agissements
00:22:13 et les alliances passées notamment à l'international
00:22:15 au Parlement européen par les différents partis.
00:22:17 Et il semble qu'une majorité de préfets a considéré
00:22:20 que la France insoumise n'était pas d'extrême gauche.
00:22:22 Et c'est pourquoi la décision, la circulaire du ministère
00:22:26 de l'Intérieur ne renvoyait pas la France insoumise
00:22:28 à l'extrême gauche.
00:22:30 Jean-François Sirinelli, la décision du Conseil d'État,
00:22:33 ça vous semble logique ?
00:22:35 - Oui, puisque le Conseil d'État est une instance
00:22:38 qui juge sur le plan juridique.
00:22:41 Il était saisi par un référé.
00:22:44 Il rend une ordonnance.
00:22:45 Le mieux est de regarder les attendus de l'ordonnance.
00:22:48 Or, dans les attendus de l'ordonnance,
00:22:50 le Conseil d'État s'en tient simplement
00:22:52 à un certain nombre d'arguments d'ordre juridique.
00:22:54 C'est vrai que, d'une certaine façon,
00:22:56 cette bonne guerre, le Rassemblement national,
00:22:59 tente ce type de plainte.
00:23:01 Parce que si jamais le Conseil d'État, au contraire,
00:23:03 disait que vous n'êtes pas d'extrême droite,
00:23:05 ce serait une caution extraordinaire pour lui.
00:23:08 Mais il faut s'en tenir là.
00:23:11 En aucun cas, le Conseil d'État prend une position politique.
00:23:17 Donc, moi, là, ça ne me choque absolument pas.
00:23:19 Je trouve qu'il y a des instances différentes.
00:23:21 Après, si le pouvoir judiciaire se superposait
00:23:25 au pouvoir politique, là, ça me poserait un problème.
00:23:27 Mais là, on a, justement, me semble-t-il,
00:23:29 je ne sais pas ce que pensent les autres participants,
00:23:34 un bel exemple où les deux registres sont dissociés,
00:23:37 le registre administratif et juridique
00:23:41 et le registre politique.
00:23:43 Donc, pour moi, après, on discutera, si vous voulez.
00:23:45 - Mais on le fera.
00:23:46 - Bien sûr.
00:23:48 - Mais au fond, ce que vous disiez dans votre article,
00:23:50 on n'a plus que 30 secondes, mais il n'y a de mal à le dire,
00:23:52 c'est que le Rassemblement national n'aurait jamais dû
00:23:55 faire un référendum auprès du Conseil d'État.
00:23:57 - Non, absolument, parce qu'ils ont de fait renforcer
00:24:00 la confusion extrêmement prégnante aujourd'hui
00:24:02 dans le débat entre ce qui relève du politique
00:24:04 et ce qui relève du judiciaire.
00:24:06 On assiste, de manière générale, à une judiciarisation
00:24:08 de la vie politique qui me semble tout à fait délétère.
00:24:11 Et en l'occurrence, le Conseil d'État n'a en effet pas
00:24:14 la légitimité de juger idéologiquement
00:24:17 les différents partis présents en France.
00:24:20 Or, le Rassemblement national, de par son référé,
00:24:23 a forcé le Conseil d'État à se positionner
00:24:25 sur cette question-là.
00:24:26 - On laisse féliciter Kindoky, nous faire le rappel des titres.
00:24:32 Et on entre dans le débat.
00:24:34 - A Rouen, l'incendie qui a ravagé deux immeubles désaffectés
00:24:40 hier dans le quartier Saint-Julien est en cours d'analyse.
00:24:43 Les bâtisses des années 70 se sont effondrées la nuit dernière
00:24:46 sous la chaleur des flammes.
00:24:47 Elles contenaient de l'amiante.
00:24:49 Un périmètre de sécurité a été défini pour y contrôler
00:24:52 le niveau de concentration de ces fibres.
00:24:54 Les résultats seront connus entre mardi soir et mercredi.
00:24:58 En attendant, l'école située près du Sinistre
00:25:00 restera fermée jusqu'à mardi.
00:25:03 Dans l'affaire du braquage de la joaillerie piagée à Paris
00:25:05 le 1er août dernier, d'un butin estimé à entre 10 et 15 millions d'euros,
00:25:10 six personnes soupçonnées d'être impliquées ont été mises en examen.
00:25:14 Parmi les interpellées figure Aïssa Benjaber, 66 ans,
00:25:17 connue pour sa participation à de nombreux braquages similaires
00:25:20 et déjà condamnée à 12 ans de prison
00:25:23 pour le braquage du joaillier parisien Chopard.
00:25:25 C'était en 2016.
00:25:27 En Turquie, un attendate suicide a frappé Ankara.
00:25:30 Il s'agit d'une attente de plus de trois heures
00:25:32 de l'ouverture de la session parlementaire
00:25:34 validant l'entrée de la Suède dans l'OTAN.
00:25:37 L'attentat a été revendiqué par le parti des travailleurs
00:25:39 du Kurdistan, considéré comme une organisation terroriste.
00:25:42 Cette organisation est au coeur de la controverse
00:25:45 entre la Turquie et la Suède.
00:25:47 A propos de l'entrée de cette dernière dans l'OTAN,
00:25:49 le président turc met en garde l'Union européenne
00:25:52 et les terroristes après cet attentat.
00:25:54 - Le parti de Marine Le Pen n'a donc pas obtenu
00:25:57 auprès du Conseil d'État le fait de ne pas être classé
00:26:00 d'extrême droite.
00:26:02 En revanche, Nicolas Dupont-Aignan avait obtenu, lui,
00:26:05 que son parti, le Boulafrance, ne soit pas classé
00:26:08 à l'extrême droite.
00:26:09 Vous trouvez ça logique ?
00:26:11 Vous qui êtes un spécialiste de ces questions, Jean-Yves Camus ?
00:26:14 - Écoutez, moi, je ne me prononce pas sur les décisions
00:26:17 du Conseil d'État parce qu'encore une fois,
00:26:19 et ça a été dit, le Conseil d'État est le juge en droit.
00:26:22 Ce sont les politistes et les historiens qui sont là
00:26:25 pour établir ce qui est un exercice extraordinairement difficile,
00:26:28 une tentative de classification des familles politiques,
00:26:32 c'est-à-dire essayer de voir quelle formation
00:26:35 dans différents pays, alors on va s'en tenir ici à l'Europe,
00:26:38 par exemple, peut être assimilable à la famille sociale-démocrate,
00:26:41 qui est la famille conservatrice, qui est la famille libérale,
00:26:45 à la famille de l'extrême droite, de l'extrême gauche,
00:26:48 communiste, etc.
00:26:50 Ça, c'est un exercice qui est fait depuis le début des années 80,
00:26:56 c'est-à-dire depuis qu'un certain nombre de formations,
00:26:59 qu'on a appelées tantôt d'extrême droite, tantôt nationales populistes,
00:27:03 ont commencé à prendre électoralement une certaine importance.
00:27:06 Alors que, je le rappelle, on parlait tout à l'heure des années 60,
00:27:09 mais jusqu'aux années 80, nos bons maîtres à l'Institut d'études politiques
00:27:13 nous apprenaient que la famille extrême droite
00:27:16 avait en quelque sorte un acte de décès signé lui-même en 1945
00:27:21 et que jamais, sauf sous la forme groupusculaire, elle ne reparaîtrait.
00:27:26 Certains sont revenus par la suite sur ce jugement un petit peu péremptoire,
00:27:30 mais je crois qu'on n'a pas bien pris justement la mesure
00:27:33 de ce qu'est le choc qui a été subi par les opinions publiques
00:27:39 lorsqu'elles se sont aperçues.
00:27:41 On leur avait expliqué pendant plusieurs décennies
00:27:44 que l'extrême droite, le fascisme, le nazisme, etc. étaient morts,
00:27:48 que la victoire des démocraties et des alliés était complète,
00:27:51 et puis que non, finalement, il y avait quand même quelque chose
00:27:55 qui était en train de revenir sur scène.
00:27:57 Sur les questions de classification, il faut d'abord préciser deux choses.
00:28:01 À partir de quoi est-ce qu'on classifie ?
00:28:03 Qu'est-ce qu'on regarde ?
00:28:05 On a une option qui est de regarder les programmes des partis politiques
00:28:08 et ensuite de comparer et de voir ce qu'ils ont de commun,
00:28:11 ce qu'ils ont de divergent.
00:28:13 On a une autre option qui consiste à interroger leurs électeurs
00:28:18 et à voir sur quoi ils se déterminent,
00:28:21 et à regarder ensuite si les électeurs de tel parti sont en proximité
00:28:25 avec les électeurs de tel autre parce qu'ils ont tel souci en commun.
00:28:29 Aujourd'hui, pour en venir au Rassemblement national,
00:28:32 l'étude réalisée par le Civipaf après les élections législatives de 2022
00:28:38 montre que le sujet qui préoccupe le plus les électeurs du RN
00:28:44 c'est le pouvoir d'achat.
00:28:46 Le pouvoir d'achat arrive très loin devant les questions de sécurité
00:28:51 et devant les questions d'immigration.
00:28:53 Le différentiel est énorme, c'est 38% pour le pouvoir d'achat,
00:28:57 c'est 11% je crois pour les questions liées à la délinquance,
00:29:01 et 10% pour les questions d'immigration.
00:29:03 Il y a d'ailleurs une divergence absolue avec l'électorat de Reconquête
00:29:08 qui lui ne considère le pouvoir d'achat comme n'étant pas un problème,
00:29:14 il n'y a que 7% des sondés qui en font l'item clé,
00:29:18 et par contre tout ce qui concerne la délinquance et l'immigration
00:29:22 est très largement au-dessus du panier,
00:29:27 dans une proportion plus forte que chez les électeurs du RN.
00:29:30 Alors est-ce que dans ces conditions-là, c'est encore un parti d'extrême droite ?
00:29:36 Je préfère pour ma part utiliser un terme qui est assez courant aux États-Unis,
00:29:41 qu'utilisent aussi les Allemands avec une définition juridique
00:29:43 qui est beaucoup plus forte, beaucoup plus solide que la nôtre,
00:29:47 qui est celui de droite radicale.
00:29:49 Droite radicale parce qu'il y a quand même quelque chose qui me semble évident,
00:29:54 c'est que l'extrême droite a été très largement déterminée
00:29:57 en tant qu'étiquette par rapport au fascisme.
00:30:02 C'est pour ça que c'est considéré comme infamant de la part de Marine Le Pen et d'autres.
00:30:08 De toute évidence, ça n'est pas cela.
00:30:13 Il faut quand même raison garder.
00:30:15 Donc je garde aujourd'hui plutôt le qualificatif de droite radicale
00:30:19 en précisant bien que dans ma pensée, la radicalité,
00:30:22 qu'elle soit de droite ou qu'elle soit de gauche, n'est pas un gros mot.
00:30:26 C'est-à-dire que toute société, pour être sainement constituée,
00:30:30 pour être vivante, doit tolérer une part de radicalité,
00:30:35 y compris une part de rejet, par exemple, de l'ordre constitutionnel.
00:30:41 La seule question étant de savoir comment on veut arriver à le changer, cet ordre constitutionnel.
00:30:46 Les Allemands font là encore une distinction qui est très intéressante.
00:30:49 Entre ceux qui veulent changer l'ordre constitutionnel
00:30:52 à partir de l'intérieur du système démocratique
00:30:55 et ceux qui veulent l'abattre.
00:30:57 Qui veulent l'abattre par la violence ou par tout autre moyen de prise de contrôle de l'État.
00:31:01 Je pense qu'il faut effectivement prendre en compte cette classification
00:31:06 et accepter qu'il y ait dans la vie politique française une part de radicalité
00:31:09 et non pas un espèce de centromou auquel on serait obligé d'adhérer,
00:31:14 sauf à être subitement quelqu'un de déraisonnable et dangereux.
00:31:17 – Vous qui avez écrit trois tomes sur les droites en France,
00:31:22 le Rassemblement national pour vous c'est l'extrême droite,
00:31:25 c'est la droite nationale comme le dit Marine Le Pen,
00:31:28 c'est la droite radicale comme le suggère Jean-Yves Camus.
00:31:32 – L'expression de nos collègues anglo-saxons que reprenait Jean-Yves Camus
00:31:36 me paraît parfaitement convenir.
00:31:38 La droite radicale me convient si j'ose dire.
00:31:41 Parce que notre souci à nous, politistes, historiens, c'est quoi ?
00:31:45 C'est pas tellement de nommer, c'est d'identifier.
00:31:49 C'est de voir plus la nature, si vous voulez, que l'appellation.
00:31:53 Or, on le disait en commençant, on parlait du monde d'avant.
00:31:56 Dans le monde d'avant, cette extrême droite, elle était résiduelle.
00:32:00 Maintenant, nous sommes en face d'une force politique
00:32:04 non seulement considérable, mais pour le moment encore en ascension.
00:32:08 Donc la question qui se pose pour nous, c'est moins de la nommer
00:32:12 que de voir ce qu'il en est.
00:32:14 Et là commence la difficulté.
00:32:16 Par exemple, il y a tout un débat actuel sur est-ce que le Front National,
00:32:20 ou le Rassemblement National, pardon, fait partie de l'arc républicain.
00:32:25 Alors, il faut rappeler, Jean-Yves Camus le disait entre les lignes
00:32:30 il y a un instant, que par le passé, un certain nombre de groupes
00:32:35 d'extrême droite voulaient abattre la République,
00:32:39 ou en tout cas n'en reconnaissaient pas les rois.
00:32:42 Je regardais même le Poujadisme, ce mouvement des années 50,
00:32:46 qui n'était pas révolutionnaire, mais était anti-parlementaire,
00:32:50 c'est-à-dire remettait en cause les rouages de nos institutions.
00:32:54 Là, force est de constater qu'on ne peut pas attaquer
00:32:58 le Rassemblement National sur ce registre-là.
00:33:01 - Et pourtant, longtemps, et peut-être encore aujourd'hui,
00:33:04 la droite se qualifiait elle-même de droite républicaine
00:33:07 pour faire la différence avec ce qu'elle considérait
00:33:10 comme une droite non républicaine, qui était le Front National.
00:33:14 - Tout à fait, parce que les sensibilités politiques
00:33:18 se déterminent par rapport aux enjeux, au sens propre du terme,
00:33:22 c'est-à-dire ce qui est en jeu à un moment donné.
00:33:25 Et ces enjeux constituent des logiciels.
00:33:28 Et longtemps, Jean-Yves Camus le disait,
00:33:31 on a jugé cette force montante avec le logiciel d'avant.
00:33:35 Moi-même, vous avez la gentillesse de faire allusion
00:33:38 à l'histoire des droites, elle date de 1990.
00:33:41 On avait tenu, l'éditeur et moi-même, à faire un gros chapitre
00:33:44 sur ce qui s'appelait à l'époque le Front National.
00:33:47 Mais un certain nombre de collègues avaient dit
00:33:50 pourquoi c'est leur donner beaucoup trop d'importance.
00:33:53 Nous sommes en 1990 et pourtant, déjà,
00:33:56 Le Pen a fait 15% aux élections de 1988.
00:33:59 Donc vous voyez que très souvent, le logiciel,
00:34:02 y compris le logiciel des universitaires,
00:34:05 prend du temps pour se remettre à jour.
00:34:08 Là, nous sommes en face de cette force.
00:34:11 Il faut vraiment se donner les moyens intellectuels de l'analyser.
00:34:14 - Barbara Stiegler, à votre avis,
00:34:17 il est logique que la France insoumise
00:34:20 ne soit pas classée d'extrême gauche
00:34:23 et il est logique que le Rassemblement national
00:34:26 soit classé d'extrême droite ?
00:34:29 - Double question.
00:34:32 - Je vous en prie, je vous en prie.
00:34:35 - Je vous en prie.
00:34:38 - Pour ce qui est de la question du Rassemblement national,
00:34:41 est-il d'extrême droite ?
00:34:44 Moi, j'ai les idées extrêmement claires sur cette question.
00:34:47 Je pense qu'il faut absolument, pour y répondre,
00:34:50 éviter de se laisser parasiter par deux choses
00:34:53 qui sont, un, les électeurs qui votent pour ce parti,
00:34:56 accidentellement ou régulièrement.
00:34:59 Il faut distinguer les électeurs et le parti lui-même,
00:35:02 son programme, son idéologie.
00:35:05 Et d'autre part, il faut aussi distinguer,
00:35:08 réfléchir à ce programme, à ce cœur idéologique
00:35:11 sans se laisser parasiter par ce qui se passe
00:35:14 dans tout le reste de la droite.
00:35:17 Donc ça suppose quand même de faire très attention
00:35:20 parce qu'on a une droite qui a changé
00:35:23 à côté de l'extrême droite et on a des nouveaux électeurs
00:35:26 de ce qu'on appelait avant le Front national
00:35:29 qui n'ont plus rien à voir.
00:35:32 Maintenant, la meilleure manière de juger ce parti,
00:35:35 c'est de regarder ce qu'il affiche comme programme
00:35:38 et ce qu'il fait à l'Assemblée nationale.
00:35:41 Si on regarde ce qu'il affiche comme programme,
00:35:44 c'est l'essentiel de la matrice des partis d'extrême droite
00:35:47 historiques qui viennent de l'Histoire.
00:35:50 Je suis très contente qu'on ait rappelé ici
00:35:53 que nos problèmes viennent prioritairement, essentiellement
00:35:56 des étrangers. Soit des étrangers installés ici
00:35:59 depuis longtemps, les immigrants, les enfants d'immigrés,
00:36:02 soit des migrants, des étrangers qui affluraient
00:36:05 dans notre pays.
00:36:08 - Il ne dit pas que tous les problèmes viennent de là.
00:36:11 - C'est quand même très globalement le cœur du programme.
00:36:14 C'est-à-dire qu'en réglant le problème de l'immigration
00:36:17 qui devient le problème des migrants aujourd'hui,
00:36:20 etc., notre société sera purifiée d'une sorte
00:36:23 d'ennemi de l'intérieur. Parce que c'est quand même le thème
00:36:26 de l'ennemi de l'intérieur, c'est-à-dire de quelque chose
00:36:29 qui a à l'intérieur pourri notre pays. Donc cette rhétorique-là,
00:36:32 à laquelle évidemment je ne souscris pas, c'est la rhétorique
00:36:35 tout à fait classique de l'extrême droite. Ce que Marine Le Pen
00:36:38 a apporté de nouveau avec aussi Philippot à l'époque
00:36:41 où il était avec elle, c'est une dimension sociale.
00:36:44 C'est quasiment une critique du capitalisme. Ce qui n'est pas
00:36:47 original dans l'histoire de l'extrême droite,
00:36:50 comme chacun sait. Alors cette dimension sociale,
00:36:53 on pourrait se dire qu'il y a un vrai programme social,
00:36:56 c'est un parti ouvrier, etc. Et quand on regarde
00:36:59 comment vote le groupe Rassemblement national,
00:37:02 c'est systématiquement contre les mesures sociales
00:37:05 qui sont proposées. Et c'est toujours avec la droite classique
00:37:08 pour des mesures qui sont plutôt en faveur des plus privilégiés.
00:37:11 Donc une fois qu'on a dit ça, il n'y a pas grand-chose
00:37:14 de nouveau sous le soleil. Ce qui s'est modifié,
00:37:17 c'est que la droite classique s'est mise à courir
00:37:20 derrière le Front national qui est devenu
00:37:23 un Rassemblement national. S'est mise à reprendre,
00:37:26 la droite classique, et je lui en veux énormément,
00:37:29 la rhétorique de la famille Le Pen, père puis fille.
00:37:32 Et effectivement, c'est la droite classique
00:37:35 qui a banalisé l'extrême droite. Ce n'est pas Marine Le Pen
00:37:38 qui a réussi cette opération extraordinaire toute seule.
00:37:41 C'est ça le problème. C'est la droite classique.
00:37:44 Et même, j'irai même plus loin, ce qu'on appelle dans certains milieux
00:37:47 l'extrême centre, c'est-à-dire la Macronie qui s'est posée
00:37:50 comme centre et qui en fait est à droite,
00:37:53 contribue à absolument banaliser l'extrême droite
00:37:56 en reprenant toute sa rhétorique. Rappelez-vous,
00:37:59 tout le monde se souvient, quand le même ministre
00:38:02 qui classe le Rassemblement national à l'extrême droite,
00:38:05 si j'ai bien compris... - Vous parlez de Gérald Darmanin.
00:38:08 - Oui, mais Gérald Darmanin, il n'est pour rien.
00:38:11 Quand il parle de LFI, il dit l'extrême gauche,
00:38:14 alors que le ministère, lui, ne le classe pas à l'extrême gauche.
00:38:17 - En fait, c'est les préfectures. C'est une routine.
00:38:20 Mais lui, ça lui va très bien, sauf que je ne pense pas
00:38:23 qu'il se soit effrayé qu'on ait classé Marine Le Pen
00:38:26 à l'extrême droite en tant que ministre de l'Intérieur,
00:38:29 sauf que le même ministre a quand même considéré
00:38:32 qu'elle était trop molle, avec une rhétorique...
00:38:35 - Et LFI, c'est d'extrême gauche pour vous ou pas ?
00:38:38 - Non, pas du tout. Moi, personnellement, je soutiens
00:38:41 la France insoumise. Je me considère absolument pas
00:38:44 comme quelqu'un d'extrême gauche. Je respecte
00:38:47 certaines composantes de l'extrême gauche, je peux tout à fait
00:38:50 fonctionner avec eux, discuter avec eux, mais ce n'est absolument pas
00:38:53 ma culture politique, et ce n'est pas plus celle de la France insoumise.
00:38:56 L'extrême gauche, si vous voulez, un parti d'extrême gauche,
00:38:59 c'est le NPA, par exemple. - Pourquoi ? Quelle différence ?
00:39:02 - Ça ne vient pas du tout de la même histoire. La France insoumise
00:39:05 vient du Parti Socialiste. Vous allez me rappeler les choses.
00:39:08 Elle vient du Parti Socialiste français, de manière...
00:39:11 - Jean-Luc Mélenchon était ministre. - Jean-Luc Mélenchon était un ministre
00:39:14 socialiste, et si vous voulez savoir sa matrice idéologique,
00:39:17 c'est Jean Jaurès. Donc, une critique du capitalisme,
00:39:20 bien sûr, mais qui est vraiment dans le...
00:39:23 Des avenues Jean Jaurès et des rues Jean Jaurès,
00:39:26 il y en a partout en France. C'est vraiment le socialisme républicain,
00:39:29 ce qu'il y a de plus classique. Sauf qu'aujourd'hui, vu
00:39:32 que tout le monde part vers l'extrême droite,
00:39:35 eh bien, je fais souvent le schéma à mes amis qui ne connaissent pas bien l'histoire politique,
00:39:38 comme tout le monde... Alors du coup, ceux qui étaient
00:39:41 à gauche socialiste, critiques anticapitalistes, etc.,
00:39:44 et qui voulaient qu'il y ait une révolution démocratique, etc.,
00:39:47 la grande révolution française, se retrouvent à l'extrême gauche.
00:39:50 Mais enfin, c'est ahurissant. C'est-à-dire que...
00:39:53 Je veux dire, Jean-Luc Mélenchon ne prône pas
00:39:56 l'expropriation des moyens de production. Ce n'est pas un communiste.
00:39:59 Il a une critique marxiste du capitalisme,
00:40:02 comme tous les socialistes sérieux, mais il n'est pas communiste.
00:40:05 Pas plus qu'il n'est d'extrême gauche ou gauchiste.
00:40:08 - Au fond, la limite, ce serait...
00:40:11 On serait d'extrême quand on serait révolutionnaire.
00:40:14 - C'est plus compliqué que ça. - En tout cas,
00:40:17 à gauche, ce seraient... - Mais je ne veux pas monomiser.
00:40:20 - Ce seraient les révolutionnaires qui seraient d'extrême gauche.
00:40:23 Mais à droite, vous l'avez dit, la droite révolutionnaire,
00:40:26 ce n'est pas le Rassemblement national. - Je ne suis pas d'accord avec vous.
00:40:29 - Alors, Eliott Paman ? - Je pense que plus largement, il faut
00:40:32 distinguer ce qui est extrêmement dérangeant de ce qui est d'extrême gauche ou d'extrême droite.
00:40:35 Je suis d'accord avec vous sur un point. Jean-Luc Mélenchon n'est pas d'extrême gauche.
00:40:38 Il ne remet pas en question la notion de propriété, de ce fait.
00:40:41 Et par ailleurs, il a un rapport à la religion, notamment musulmane,
00:40:44 qui l'empêche d'être catégorisé à l'extrême gauche au sens historique et idéologique.
00:40:47 De ce fait, il n'est pas d'extrême gauche. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous
00:40:50 sur la question du Rassemblement national. Je disais tout à l'heure que, à mon avis,
00:40:53 le RN avait eu tort de poser la question au Conseil d'État parce que cela
00:40:56 transposait la question sur un terrain judiciaire.
00:40:59 Néanmoins, je pense qu'il faut faire attention à ce qu'Alain Finkielkraut
00:41:03 qualifie l'orgie analogique. Je crois que le discours du Rassemblement national
00:41:07 a parfaitement changé, que le parti avait accompli son argumento
00:41:11 et que sur un certain nombre de problématiques, il ne correspond absolument plus
00:41:15 à un logiciel d'extrême droite. C'est vrai qu'il remet en cause fortement
00:41:19 l'immigration et qu'il a un discours offensif sur le sujet. Néanmoins,
00:41:23 il n'a pas une approche ethno-différentialiste de l'immigration.
00:41:27 D'ailleurs, il y a eu des membres du parti au cours de l'histoire du Front
00:41:31 puis du Rassemblement national qui ont appartenu à l'extrême droite au sens
00:41:34 historique et idéologique et qui ont été soigneusement remerciés.
00:41:38 Je pense notamment à tous ceux qui ont rejoint Jean-Yves Le Gallou lorsqu'il a formé
00:41:41 le Club de l'Horloge, qui étaient assurément des gens d'extrême droite
00:41:45 ethno-différentialistes et qui confondaient, c'est un marqueur classique
00:41:49 de l'extrême droite, qui confondait l'adversaire politique avec l'ennemi biologique.
00:41:53 Ces gens-là ne sont plus au Rassemblement national et Marine Le Pen, même les méprises,
00:41:56 parce qu'elles de son logiciel, diffèrent en tout de celui de l'extrême droite
00:42:00 au sens classique. Alors maintenant, on peut dire que d'un point de vue purement horizontal,
00:42:04 en effet, le RN fait partie des partis qui sont le plus à droite sur l'échiquier
00:42:08 politique national français. Je considère que d'un point de vue historique,
00:42:11 il y a eu une rupture totale.
00:42:14 Jean-Yves Le Gallou ?
00:42:15 Non.
00:42:16 Ah, vraiment pas !
00:42:17 Non, je t'ai eu !
00:42:18 Nous ne sommes pas tout à fait de la même génération.
00:42:22 Sur la question de la mutation du RN, on peut, je pense, trouver un moyen de terme
00:42:29 entre le fait de dire "rien n'a changé" et le fait de dire "il y a un agiramento,
00:42:34 ça n'est plus la même formation". Il y a un agiramento pour une raison très simple.
00:42:39 Marine Le Pen souhaite accéder au pouvoir, les cadres qui composent le parti aussi,
00:42:45 et ils se sont aperçus de manière assez intelligente, mais il était quand même
00:42:49 assez évident que c'était comme ça, que les outrances de Jean-Marie Le Pen,
00:42:53 entre la fondation du parti en 1972 et la présidentielle de 2002,
00:43:00 avaient tout simplement interdit à ce parti de devenir un partenaire de coalition
00:43:06 pour ce qui s'appelle la droite de gouvernement, la droite parlementaire.
00:43:10 Celle qui s'appelait la droite républicaine, justement,
00:43:13 en laissant entendre que les autres ne l'étaient pas.
00:43:15 Il y a beaucoup de prévenance contre ce terme, parce que vous savez,
00:43:17 dans l'histoire de France, la République est une notion éminemment plastique.
00:43:20 Vous avez la République du maréchal de Mac Mahon, vous avez la République de Jean Jaurès,
00:43:25 vous avez la République d'André Tardieu, vous avez même la République qui fait voter
00:43:28 avec l'impouvoir au maréchal Pétain.
00:43:30 Bon, tout ça, c'est quand même des nuances de République.
00:43:33 Pour en revenir au sujet, Marine Le Pen s'est donc aperçue qu'il y avait nécessité
00:43:38 de bouger du curseur idéologique et qu'en plus, non seulement il fallait sortir
00:43:43 de cette cornerisation du parti, malgré le nombre de voix qu'il recueillait
00:43:48 à l'élection reine, à l'élection présidentielle, mais encore que les électeurs changeaient.
00:43:53 C'est-à-dire qu'on ne pouvait pas parler de la même manière en 2011 et en 2023
00:43:59 aux électeurs, par exemple aux jeunes électeurs de la classe des 18-24 ans
00:44:03 qui aujourd'hui votent de manière assez consistante pour le Rassemblement national
00:44:09 et à des gens de la génération de Jean-Marie Le Pen qui avaient connu
00:44:12 la Seconde Guerre mondiale et la guerre d'Algérie.
00:44:14 Vous ne pouvez pas leur donner le même message, même sur des sujets sociétaux
00:44:19 extrêmement importants comme le mariage pour tous.
00:44:22 Il y avait au sein du Front national de l'époque des gens qui étaient absolument,
00:44:28 principiellement opposés. Mais il y en avait d'autres qui, eux, constataient
00:44:33 tout simplement que si le parti descendait dans la rue, comme l'a fait Marion Maréchal
00:44:38 par exemple, et s'affichait aux côtés des manifestants, il allait se couper
00:44:44 d'une bonne partie de ses électeurs potentiels pour qui ce n'était pas un sujet.
00:44:49 – Mais au fond, vous ne dites que le Rassemblement national a évolué avec le temps,
00:44:54 avec l'époque, exactement comme tous les partis politiques ont évolué.
00:44:57 Parce que le parti socialiste ne nous dit plus du tout ce qu'il nous disait
00:45:00 il y a 30 ou 40 ans.
00:45:02 – Évidemment, et ça a été souligné, la droite, on va dire parlementaire,
00:45:06 ne dit plus non plus la même chose que dans les années...
00:45:08 – Et les partis communistes n'en parlent pas.
00:45:10 – À moins d'être évidemment une secte politique d'un bord ou d'un autre,
00:45:15 notre discours ne peut pas être invariant.
00:45:17 Je sais bien qu'il y a eu une petite revue bordillisse,
00:45:19 les années 70-80, qui s'appelait "Invariance", en règle générale,
00:45:23 on essaye quand même de s'adapter, si vous voulez, aux attentes des électeurs.
00:45:27 Et le Rassemblement national, de ce point de vue-là, a d'assez bons capteurs,
00:45:32 je trouve, des évolutions de l'opinion, et évite de se corneriser de nouveau.
00:45:38 Et ça c'est quelque chose d'absolument fondamental, l'envie d'arriver au pouvoir,
00:45:42 envie dans laquelle il existe une part de revanche sur l'histoire,
00:45:47 sur toutes les faillites de la droite nationale dans la période d'après 1945.
00:45:52 Elle est là, elle est là, et on est aujourd'hui dans cette situation,
00:45:56 où honnêtement il y a 5 ans, vous m'auriez posé la question
00:45:58 "est-il possible que Marine Le Pen soit élue présidente de la République ?"
00:46:01 Je vous aurais certainement répondu non.
00:46:03 Aujourd'hui, je ne dis pas comme certains que c'est à peu près inévitable,
00:46:06 je dis que l'hypothèse est envisageable qu'elle soit élue.
00:46:11 Et ça c'est une révolution quand même assez importante.
00:46:15 Maintenant il ne faut pas non plus se fixer sur les étiquettes,
00:46:17 il faut regarder aussi ce que les gens proposent,
00:46:20 ce que les partis proposent dans leur programme,
00:46:22 et effectivement la manière dont ils votent.
00:46:25 Après, une fois qu'on a dit tout ça, il reste quand même une grande inconnue,
00:46:29 dont Mme Méleny est, j'allais dire, la preuve vivante,
00:46:34 c'est le gap qui existe entre ce que vous déclarez vouloir faire,
00:46:38 en toute bonne foi, et puis la confrontation avec le réel
00:46:41 qui vous amène, Mme Méleny l'a dit il y a quelques jours,
00:46:44 à ne pas pouvoir faire tout ce que vous avez dit aux électeurs que vous feriez.
00:46:48 Jean-François Tchernély ?
00:46:51 Il y a un mot qui est apparu dans la bouche de Jean-Yves Camus,
00:46:54 qui est essentiel, c'est le mot "génération".
00:46:56 Ne jamais oublier aussi qu'une sensibilité politique,
00:46:59 et a fortiori un rassemblement politique,
00:47:01 est un empilement de générations.
00:47:03 Et donc que les attentes, mais aussi tout simplement la culture politique
00:47:07 de ces gens qui pourtant votent la même chose, n'est pas la même.
00:47:11 Du coup, pour revenir sur la question de la France insoumise,
00:47:15 c'est la même chose, il y a une diversité, il y a une nébuleuse.
00:47:19 Je souscris à l'analyse selon laquelle effectivement,
00:47:21 beaucoup viennent du PS, et comme il n'y a pas d'aspiration à la révolution,
00:47:26 le placement à l'extrême gauche est peut-être en partie induit.
00:47:30 Reste qu'en même temps, le rapport par exemple à un certain nombre
00:47:34 de valeurs républicaines comme la laïcité, ou en tout cas,
00:47:37 je soumets ça au débat, qui ne semble plus être au cœur
00:47:40 d'un certain nombre des membres de la France insoumise,
00:47:44 fait que je m'interroge effectivement sur ce rapport,
00:47:47 non pas à un problème de topologie en quelque sorte, dans l'hémicycle,
00:47:52 mais sur le rapport au bagage républicain, en tout cas sur la laïcité.
00:47:57 C'est une question que je me pose en tout cas.
00:47:59 - Eliott Mamann ?
00:48:00 - Oui, vous disiez tout à l'heure, Jean-Yves Camus,
00:48:01 qu'il ne fallait pas se focaliser sur les questions d'étiquette,
00:48:03 et néanmoins, je constate tout de même que certaines étiquettes
00:48:05 ont plus de poids que d'autres.
00:48:06 Et typiquement, l'étiquette d'extrême droite a un poids moral et historique
00:48:10 qui n'est absolument pas le même que l'intégralité des autres étiquettes
00:48:13 que l'on peut entendre dans le débat public.
00:48:15 Et en l'occurrence, je crois que dans la volonté de perpétuellement
00:48:17 renvoyer le Rassemblement national à l'extrême droite,
00:48:19 il y a tout de même une forme de biais dans le débat médiatique
00:48:22 que l'on instaure de fait.
00:48:24 Et par ailleurs, je crois tout de même que le Rassemblement national
00:48:27 n'a pas opéré sa muque par pure stratégie électorale,
00:48:30 il n'a pas simplement suivi son électorat.
00:48:32 - Il n'est pas réveillé ?
00:48:33 - Non, mais vous avez insisté sur le fait qu'il avait constaté
00:48:36 que son électorat avait changé, et que notamment sur la question
00:48:38 du mariage pour tous, une partie de son électorat n'aurait pas compris
00:48:43 qu'il descend dans la rue.
00:48:44 En effet, mais par ailleurs, simplement, les personnes qui constituent
00:48:47 le Rassemblement national, et notamment le Bureau national du RN,
00:48:50 ne sont absolument pas partisans de la manif pour tous.
00:48:54 Et je remarque que l'on ne parvient pas à accepter
00:48:58 qu'il y ait eu un changement idéologique au sein du Rassemblement national.
00:49:01 Mais la recomposition du RN, et vous parliez tout à l'heure,
00:49:05 Barbara Stiegler, de l'importance des décisions qui sont prises
00:49:08 à l'Assemblée nationale, au cours de ces niches parlementaires,
00:49:10 le RN a mis en avant deux sujets, l'endométriose
00:49:13 et la constitutionnalisation de l'IVG.
00:49:15 Alors on peut éventuellement y voir une volonté stratégique, etc.
00:49:17 En même temps, on est en démocratie représentative,
00:49:19 mais dès que vous contestez, certes, mais en démocratie représentative,
00:49:22 de fait, on ne sait pas exactement ce que pensent les personnes
00:49:25 qui prétendent à une élection, ils sont là pour se faire élire.
00:49:28 Donc je crois qu'il est inutile de disserter sur l'honnêteté des propositions
00:49:32 et simplement de remarquer qu'à l'heure actuelle,
00:49:34 tant au vu de la reconfiguration totale de l'organigramme du RN
00:49:39 que du propos qui est tenu par ce parti-là,
00:49:41 le RN n'appartient plus à l'extrême droite.
00:49:44 Alors réponse de l'un comme de l'autre, Barbara Stiegler d'abord, et Jean-Yves Camus.
00:49:48 Alors je vous réponds très rapidement.
00:49:50 Sur les questions de genre, de sexe, etc.,
00:49:52 Marine Le Pen a développé une certaine idiosyncrasie, je vous l'accorde.
00:49:55 Mais ce n'est pas le cœur de sa problématique et de la problématique de son parti.
00:50:00 Et si j'ai parlé de ce que votait le groupe parlementaire
00:50:03 Assemblement national, c'est pour parler de la politique sociale du RN,
00:50:07 qui est une politique sociale purement fictive puisqu'elle est affichée comme telle,
00:50:11 mais en réalité, elle ne se constate jamais dans les votes.
00:50:14 Au contraire, on vote systématiquement de ce côté-là.
00:50:17 Et si vous voulez, pour la question de la révolution et de la laïcité,
00:50:20 je répondrai après, peut-être.
00:50:22 – Jean-Yves Camus.
00:50:23 – Je vous répondrai simplement, vous êtes beaucoup plus durs
00:50:25 vis-à-vis de ce que je viens de dire que la plupart des cadres
00:50:27 du RN que je peux rencontrer, et qui me disent régulièrement
00:50:30 "Vous êtes quand même un des rares à pas systématiquement
00:50:32 nous amener à la case extrême droite".
00:50:34 – Oui, je vous l'apprends.
00:50:35 – Non mais ce qu'il a eu l'air de vous reprocher,
00:50:37 c'est que vous aviez l'air de dire que c'était de l'opportunisme,
00:50:39 alors que lui a l'air de penser que c'est sincère.
00:50:41 – Moi, je ne sonde pas les reins et les cœurs,
00:50:43 je dis simplement que dans toutes les formations politiques,
00:50:45 il y a de toute manière, ne soyons pas angélistes,
00:50:48 il y a une part d'opportunisme et de captation des attentes de l'électorat.
00:50:52 Ensuite, que Marine Le Pen ne pense pas comme Jean-Marie Le Pen,
00:50:55 je vous l'accorde très volontiers, il y a tout simplement,
00:50:58 là aussi, un fossé générationnel.
00:51:01 La seconde guerre mondiale n'intéresse pas Marine Le Pen,
00:51:04 la guerre d'Algérie non plus, la raison est simple,
00:51:07 c'est sa date de naissance, tout simplement.
00:51:10 Donc on ne peut pas la réduire à son hérédité,
00:51:12 on ne peut même pas la réduire au fait qu'elle ait vu défiler
00:51:15 chez elle, sans doute, dans les dîners du soir,
00:51:18 des personnalités qui avaient connu ces périodes-là.
00:51:21 Ce n'est pas son univers mental, son univers mental est celui
00:51:25 de quelqu'un qui est né en 1968 et qui a fréquenté,
00:51:29 c'est important, l'école publique et qui par ailleurs a,
00:51:33 je veux dire, une curiosité intellectuelle,
00:51:36 là où son père était attaché à un certain nombre de pans du passé
00:51:42 qui ont véritablement forgé sa personnalité.
00:51:44 Il ne venait pas non plus du même milieu,
00:51:46 il n'était pas marqué par les mêmes expériences personnelles.
00:51:49 Donc non, ça n'est pas uniquement de l'opportunisme,
00:51:51 bien évidemment, mais ensuite, il faut quand même
00:51:56 bien rappeler qu'il y a un marqueur et que ce marqueur principal,
00:52:01 il s'intitule préférence nationale, priorité nationale.
00:52:05 - Jean-François Sienneli, absolument, tout à l'heure,
00:52:09 mais pardonnez-moi, juste pour la préférence nationale,
00:52:12 c'est inscrit dans la Constitution, la préférence nationale,
00:52:15 ça s'appelle la citoyenneté.
00:52:17 Être un citoyen français, on a des avantages que n'ont pas les étrangers.
00:52:22 - Si vous voulez postuler pour un emploi,
00:52:25 que vous soyez un citoyen français ou que vous soyez un citoyen étranger
00:52:29 en situation légale, c'est sur la base de votre compétence
00:52:33 que vous avez l'emploi.
00:52:34 - Sauf dans la fonction publique.
00:52:36 - Sauf dans la fonction publique, avec un certain nombre d'ailleurs
00:52:39 de la modélation, notamment dans le monde universitaire.
00:52:42 - L'université.
00:52:43 - Mais il y a quand même ce marqueur et il existe.
00:52:46 On ne peut pas dire que la citoyenneté, c'est la différence
00:52:48 entre le français et l'étranger.
00:52:50 Il y a des droits qui sont spécifiquement attachés,
00:52:52 effectivement, au fait d'être français,
00:52:55 notamment pour la question du vote, mais je veux dire,
00:52:59 la priorité nationale, c'est de dire, si vous voulez postuler
00:53:04 pour un logement social, par exemple, vous allez,
00:53:08 en raison de votre nationalité et abstraction faite
00:53:12 de votre niveau de revenu...
00:53:14 - Passer après.
00:53:15 - Passer après.
00:53:16 - D'accord.
00:53:17 - Juste simplement, en deux secondes, le fameux IRA de Joe Biden
00:53:19 relève précisément de la préférence nationale et pourtant,
00:53:21 on ne fait pas de débat intitulé "Joe Biden est-il d'extrême droite ?"
00:53:24 et c'est bien pour cela, je ne reprocherai absolument rien
00:53:26 au fond de votre propos, je ne me serais jamais permis cela,
00:53:29 je n'ai rien à dire, mais je rebondissais sur votre formule
00:53:31 "Ne nous attardons pas sur les étiquettes".
00:53:33 Oui, en l'occurrence, il y a des étiquettes qui sont extrêmement
00:53:35 significatives et qui ont beaucoup de poids.
00:53:37 - Je vais vous donner une phrase, parce qu'il nous reste 30 secondes.
00:53:39 - Tout à l'heure, on disait que les historiens et les politistes,
00:53:42 au début, ont dit qu'il s'agit de national populisme.
00:53:45 Il me semble que c'était une définition assez exacte,
00:53:48 sauf que cette définition, après encore plus d'acuité en 2023,
00:53:53 parce que la question des frontières, parce que la question,
00:53:56 somme toute, de l'immigration et plus largement,
00:53:58 le sort de l'État-nation dans un monde globalisé
00:54:01 est devenu essentiel et ça, c'est un booster,
00:54:04 incontestablement, pour ce courant national populiste.
00:54:08 - Je vous remercie, Jean-Yves Camus,
00:54:10 Eliott Mamann, vous êtes libre.
00:54:13 Nous, on va s'intéresser maintenant aux manifestes
00:54:17 sur la démocratie de Barbara Stiegler,
00:54:20 mais d'abord, le rappel des titres.
00:54:22 Félicité, Kindo Ki.
00:54:24 - À la une, l'enquête sur la disparition de Lina dans le barrin.
00:54:31 Une information judiciaire a été ouverte pour enlèvement
00:54:34 ou séquestration de plus de 7 jours.
00:54:36 La piste de la maison Missou-Scellé s'est manifestement refermée
00:54:39 car aucun élément probant n'a été trouvé.
00:54:42 Son occupant, un homme d'une quarantaine d'années,
00:54:44 a été auditionné sans que rien ne permette en l'état
00:54:47 de le rattacher à la disparition de l'adolescente de 15 ans.
00:54:50 L'enquête, qu'aux saisies de deux jus d'instruction, se poursuit.
00:54:53 En Espagne, l'incendie d'une extrême violence
00:54:56 qui s'est déclaré ce matin dans une discothèque de Murci,
00:54:58 dans le sud-est du pays, fait au moins 13 morts.
00:55:01 12 heures après le drame, les décombres sont loin d'être dégagées.
00:55:04 Le pilon provisoire pourrait encore s'alourdir.
00:55:07 En raison du risque d'effondrement, les fouilles sont très délicates à mener.
00:55:11 La plupart des corps sont en cours d'identification.
00:55:13 Les circonstances du drame restent floues pour le moment.
00:55:16 Côté sport, 4 joueurs du PSG s'excusent sur les réseaux sociaux
00:55:20 après des chants injurieux.
00:55:22 Dimanche dernier, Ousmane Dembele, Randall Kolomwani,
00:55:25 Ashraf Hakimi et Levine Kourzawa ont été filmés
00:55:28 en train d'entonner un chant insultant envers les Marseillais
00:55:32 lors de la célébration de groupe après leur victoire en championnat contre l'OM.
00:55:36 Convoqués par la commission de discipline de la Ligue de football professionnelle française,
00:55:40 ils disent regretter sincèrement leurs paroles.
00:55:43 Bienvenue, si vous nous rejoignez maintenant,
00:55:47 les visiteurs du soir, c'est tous les dimanches,
00:55:49 de 22h jusqu'à minuit.
00:55:51 À 23h30, on va remettre les pendules à l'heure.
00:55:53 En effet, depuis qu'Emmanuel Macron a parlé d'autonomie de la Corse,
00:55:57 on s'aperçoit que beaucoup de Français ne savent pas ce qu'est l'autonomie.
00:56:02 Ils confondent ça avec l'indépendance.
00:56:04 Wanda Mastor, professeure de droit public,
00:56:07 nous expliquera tout à l'heure qu'en Europe,
00:56:09 toutes les îles sont autonomes, sauf la Corse et la Crète,
00:56:13 et elles sont loin d'être indépendantes.
00:56:15 Mais d'abord, intéressons-nous aux manifestes
00:56:17 que vient de publier Barbara Stiegler.
00:56:19 Avec Christophe Hébart, il s'intitule "Démocratie",
00:56:22 avec un point d'exclamation.
00:56:23 D'après ce que vous dites, nous vivons bien dans un État de droit.
00:56:26 La France n'est pas une dictature, mais ce n'est pas une démocratie.
00:56:29 Alors, face à vous, il y a deux historiens.
00:56:32 Jean-François Cyrinelli, qui vient de publier "Le Temps qui passe",
00:56:34 "La France qui change", on en a parlé au début de cette émission,
00:56:37 mais qui est aussi l'auteur de "Vie et survie de la Ve République",
00:56:41 et Arnaud Tessier, qui vient de nous rejoindre.
00:56:43 C'est un spécialiste de la Ve République et du gaullisme.
00:56:46 C'est l'auteur de "Demain, la Ve République", avec Hervé Guémard.
00:56:50 Alors, Barbara Stiegler, expliquez-nous pourquoi, en quelques mots,
00:56:55 nous ne vivons pas dans une démocratie.
00:56:58 - Parce que je pense qu'il faut prendre au sérieux le terme de "demos"
00:57:01 et le terme de "kratos".
00:57:03 Et il faut prendre au sérieux l'histoire de l'expérience démocratique
00:57:07 et des idées qui l'ont accompagnée ou qui lui ont répondu.
00:57:12 Donc, c'est à partir de cette matrice historique
00:57:15 et à partir de cette attention au concept.
00:57:18 Les deux auteurs de ce manifeste sont l'un historien et l'autre philosophe.
00:57:23 Donc, on a uni nos forces sur la question de la généalogie historique
00:57:27 et la question de la définition conceptuelle,
00:57:30 qu'on arrive à ce constat qu'en fait, on avait déjà,
00:57:33 mais là, on a vraiment affûté nos analyses
00:57:36 avec une bibliographie extrêmement fournie.
00:57:39 Le livre, d'ailleurs, étant un fruit d'un autre livre,
00:57:44 il n'aurait jamais eu lieu s'il n'y avait pas eu le livre précédent,
00:57:47 il y a un an et quelques, "Athènes, l'autre démocratie",
00:57:52 chez Passé Composé, qui est un livre majeur
00:57:56 qui fait véritablement le point sur tout ce que l'historiographie,
00:58:01 la recherche en histoire grecque nous apprend de la démocratie athénienne
00:58:05 et qui propose une interprétation.
00:58:07 - Alors, donc là, pour vous, parce qu'aujourd'hui,
00:58:11 on a tendance à dire, non, mais la démocratie athénienne,
00:58:13 ça n'était pas vraiment la démocratie.
00:58:15 Vous vous dites au contraire, c'était la démocratie
00:58:17 et la démocratie représentative n'est pas la démocratie.
00:58:20 - Oui, alors la démocratie athénienne, ça a duré deux siècles.
00:58:23 Il y avait la constitution de ce qu'ils ont appelé eux-mêmes un démos,
00:58:28 c'est-à-dire, qu'est-ce que ça signifie un démos ?
00:58:30 Ça signifie un collectif délibérant.
00:58:33 Ça ne veut donc pas dire un individu plus un autre, plus encore un autre
00:58:38 et à la fin, une masse qu'on consulterait isolément.
00:58:41 C'est pas une masse d'opinions individuelles.
00:58:44 C'est un collectif délibérant et c'est extrêmement sérieux
00:58:47 puisque pendant deux siècles, le démos s'est réuni à peu près
00:58:52 tous les dix jours sur la colline de la Pnyx,
00:58:54 qui était le lieu, ce qu'on appelle l'ecclesia, l'assemblée,
00:58:57 qui était le lieu où se prenaient toutes les décisions
00:59:00 les plus importantes de cette cité-État athénienne.
00:59:04 Et donc, ce démos, on pourrait dire, il n'existe pas.
00:59:09 En un sens, c'est effectivement une idée qui est très difficile à saisir,
00:59:13 puisque les à peu près 60 000 citoyens qui appartiennent
00:59:18 à ce collectif délibérant ne peuvent pas physiquement se retrouver
00:59:22 sur la colline de la Pnyx.
00:59:23 Elle est trop étroite pour contenir 60 000 personnes.
00:59:27 Mais ils arrivent quand même, ils trouvent le tour de force,
00:59:30 et ça va durer deux siècles, ils trouvent un système qui est de faire en sorte
00:59:38 qu'entre 6 et 10 000 citoyens de ces 60 000 viennent régulièrement,
00:59:46 donc tout au long de leur vie, par rotation, c'est-à-dire que tous
00:59:50 sont appelés à venir.
00:59:52 Et cet extrait du démos prend les décisions pour le démos.
00:59:57 - Et gouverne le... et gouverne.
00:59:59 - Voilà, il n'y a pas de gouvernant athènes, il n'y a pas de chef,
01:00:01 il n'y a pas de président de la République, il n'y a pas de roi,
01:00:04 il n'y a rien de tout ça, ça n'existe pas.
01:00:06 Le seul souverain, celui qui a le kratos, c'est le démos.
01:00:10 Ça nous paraît complètement ahurissant, mais c'est que ça nous plaise ou non,
01:00:13 ainsi que ça s'est produit.
01:00:15 Par exemple, Périclès n'est pas le chef des Athéniens,
01:00:17 c'est quelqu'un qui a une compétence extrême, qui est très talentueux,
01:00:20 on le consulte, mais ce n'est pas lui qui décide d'entrer en guerre.
01:00:24 Il est consulté, comme plein d'autres citoyens.
01:00:26 Donc on a un extrait, et là on peut dire que quelque part,
01:00:30 ces 6 000-10 000 qui vont voter la guerre par exemple,
01:00:33 ou qui vont voter une décision sur l'inflation du cours du blé,
01:00:38 des décisions aussi graves qu'aujourd'hui, ou sur la peste,
01:00:41 l'épidémie, l'inflation, la guerre, ça nous rappelle les mauvais souvenirs actuels.
01:00:45 Exactement les mêmes questions, aussi difficiles, aussi graves, aussi techniques.
01:00:49 Ces 6 000-10 000, on peut considérer qu'ils ont le rôle de représentants du démos.
01:00:54 Donc il y a une logique de représentation,
01:00:57 mais ce qui est fondamental, c'est que la démocratie athénienne
01:01:01 refuse absolument que le représentant soit un individu esselé,
01:01:06 ou un petit groupe qui s'isolerait du démos,
01:01:09 et qui deviendrait irrationnel du même coup dans ses comportements.
01:01:13 Que vous appelez aujourd'hui l'oligarchie.
01:01:15 Ce que eux appellent, c'est un terme grec,
01:01:19 ce que eux appelaient l'oligarchie, et ils n'en voulaient pas.
01:01:21 Ils ne voulaient pas qu'un petit nom gouverne pour les autres.
01:01:25 Donc parce qu'ils pensaient, et c'est ce que dit la tragédie grecque,
01:01:28 que dès qu'il y a du kratos, il y a un risque d'ivresse, du brice,
01:01:32 par rapport au kratos, et il est extrêmement dangereux
01:01:35 de donner à un seul, Tyrannos, ou à quelques-uns, le pouvoir.
01:01:39 Parce que de toute façon, le pouvoir est dangereux,
01:01:41 comme le dira bien plus tard Montesquieu.
01:01:43 Donc on a un système qui a existé, nous on le prend très au sérieux,
01:01:47 parce que ce système, il se trouve qu'il a percuté notre histoire contemporaine.
01:01:51 Dans plein d'endroits, dans plein de pays dans le monde, évidemment,
01:01:54 et on n'a pas le temps là.
01:01:55 Mais si on parle depuis ici, il a percuté la France en 1789.
01:02:02 La révolution athénienne, la démocratie athénienne,
01:02:04 la psuisse révélateur, parce que c'est une révolution,
01:02:07 le moment où les Athéniens, c'est une sorte d'insurrection,
01:02:11 ils deviennent le démos, sans charnier, sans massacre, sans violence.
01:02:15 La révolution n'implique pas nécessairement la violence, je tiens à le rappeler.
01:02:19 Donc la révolution française, elle va remettre à l'heure du jour,
01:02:23 pour beaucoup de révolutionnaires, le modèle athénien,
01:02:26 qu'ils connaissent plus ou moins bien, mais qui les inspire, vraiment.
01:02:30 Qui les inspire, mais ils choisissent la représentation.
01:02:33 Alors, ils sont, c'est très juste ce que vous dites,
01:02:36 mais ils sont dans une tension permanente.
01:02:38 Je vous rappelle que les Athéniens aussi ont une logique de représentation,
01:02:42 mais pas au sens où il y aurait des représentants
01:02:44 qui personnaliseraient le pouvoir.
01:02:46 Ils refusent la personnalisation.
01:02:48 En revanche, ils voient bien que les 60 000 ne vont pas décider ensemble.
01:02:52 Donc il y a cet extrait qui représente le démos.
01:02:56 La révolution française, j'y travaille beaucoup en ce moment,
01:02:59 elle est travaillée, les démocrates, ce qu'on appelle les démocrates,
01:03:02 Camille Desmoulins, Robespierre, etc.,
01:03:04 travaillée par la tension entre la Chambre, l'Assemblée nationale
01:03:08 et les communes insurrectionnelles, la démocratie type athénienne.
01:03:12 Donc en fait, c'est très compliqué pour eux, ils essaient de concilier les deux.
01:03:15 Comme aujourd'hui, quand on essaie d'entendre ce qui se passe dans la rue,
01:03:18 ce qui se passe chez les Gilets jaunes, ce qu'on peut faire à l'Assemblée nationale,
01:03:21 exactement ce qui s'est passé pendant ce printemps.
01:03:23 Donc il y a un effort de réaliser la démocratie dans un grand pays.
01:03:30 Et pendant la révolution française, il va y avoir tous ces districts
01:03:33 qui seront autant de petites pnics, de petites collines délibérantes,
01:03:37 des communes qui vont un peu partout prendre des collectifs délibérants.
01:03:41 Il y a aussi les salons, les cercles.
01:03:44 Enfin, il y a une effervescence démocratique extraordinaire
01:03:47 puisque tous les Français qui sont engagés dans cette révolution
01:03:50 délibèrent en permanence ensemble.
01:03:52 Et ça, c'est quelque chose qui est profondément...
01:03:54 qui est une condition de la démocratie.
01:03:56 - Alors réaction Arnaud Tessier ?
01:03:59 Ce qui paraît que la Vème République que vous défendez, c'est pas la démocratie.
01:04:04 - Ce que je viens d'entendre me rappelle beaucoup de souvenirs de l'être classique.
01:04:10 Mais aujourd'hui, gouverner une démocratie de 70 millions d'habitants,
01:04:15 ça ne peut pas se faire à la manière de la démocratie grecque,
01:04:18 qui par ailleurs présente des caractéristiques assez peu démocratiques.
01:04:23 Mais enfin, c'est pas le débat du jour.
01:04:25 Je crois qu'il y a au cœur, ça a été très bien expliqué dans un ouvrage récent
01:04:28 par un grand politologue qui est Yves Ményis,
01:04:30 il y a au cœur de la démocratie une frustration originelle
01:04:33 qui est qu'elle repose sur la souveraineté du peuple
01:04:36 et que le peuple est presque immédiatement,
01:04:38 se voit presque immédiatement confisquer cette souveraineté
01:04:40 parce que pour l'exercer concrètement, il faut qu'il la délègue.
01:04:43 D'où la démocratie représentative avec différentes formes.
01:04:47 Alors la France, sur le plan constitutionnel,
01:04:50 la révolution, ça a été plutôt un désastre, il faut bien le dire.
01:04:52 Et il a fallu le passage par la moulinette consulaire et impériale
01:04:56 pour remettre les choses un peu en ordre.
01:04:58 Et ensuite, on a expérimenté à peu près tous les régimes.
01:05:00 Il faut bien voir que la construction de la démocratie en France
01:05:02 a été longue, difficile et qu'on a vraiment tout expérimenté,
01:05:06 toutes les formes d'empires, de monarchies constitutionnelles,
01:05:08 toutes les formes de républiques.
01:05:09 Donc c'est difficile la démocratie par nature,
01:05:12 parce que le peuple, effectivement, il y a une frustration d'origine
01:05:15 qui s'atténue lorsque la démocratie montre qu'elle est synonyme de progrès.
01:05:19 Et à partir du moment où elle apporte du progrès et du bien-être,
01:05:22 et une certaine justice sociale, évidemment imparfaite,
01:05:26 mais on a bien vu comment la Troisième République
01:05:28 et la Quatrième République et puis la Cinquième République
01:05:31 ont mis en avant la question sociale.
01:05:33 Parce qu'il est évident qu'il y a une dimension sociale dans la démocratie,
01:05:36 ce n'est pas seulement des libertés politiques,
01:05:38 c'est une dimension sociale.
01:05:39 Donc il a fallu beaucoup de temps pour arriver au modèle de la Cinquième République,
01:05:43 qui n'est pas un modèle parfait de démocratie représentative.
01:05:46 On cumule sous la Cinquième la démocratie représentative et la démocratie directe.
01:05:51 L'article 3 de la Constitution dit "le peuple est souverain",
01:05:54 il exerce sa souveraineté par deux voies qui sont mises sur le même plan,
01:05:58 l'élection de ses représentants et le référendum.
01:06:01 – Oui mais il n'a pas l'initiative du référendum.
01:06:03 – Voilà, bien sûr, mais quand même,
01:06:05 et l'élection du Président de la République au suffrage universel est passée en 1962.
01:06:09 Donc il y a un équilibre dans la Cinquième République
01:06:11 qui est assez judicieux puisqu'il tire les leçons de siècles laborieux
01:06:16 d'échecs et de recherches démocratiques
01:06:18 pour essayer d'atténuer cet effet de frustration démocratique
01:06:21 dont de Gaulle était très conscient.
01:06:23 C'est lui qui avait remis à l'honneur le référendum en 1945,
01:06:26 en même temps d'ailleurs il donnait le droit de vote aux femmes,
01:06:28 parce qu'il ne faut pas oublier que le droit de vote des femmes
01:06:31 est quelque chose d'assez récent en France.
01:06:33 – Et n'existait pas dans la démocratie athénienne non plus.
01:06:35 – Qui n'existait nulle part, je tiens à le rappeler.
01:06:38 – Ni sous la Révolution française.
01:06:40 – Donc l'idée de de Gaulle et de la Constitution de 1958
01:06:42 et pas seulement de de Gaulle, des constituants,
01:06:44 c'était d'avoir une sorte d'équilibre.
01:06:45 Alors je crois qu'aujourd'hui il y a une frustration démocratique,
01:06:48 ce qui est certain, qui ne vient pas des défauts inhérents
01:06:51 à la démocratie représentative ni à la démocratie directe,
01:06:53 mais qui vient de trois phénomènes.
01:06:55 Le premier phénomène c'est le climat lié à la mondialisation
01:06:58 et ce sentiment qu'ont les citoyens dans les démocraties occidentales
01:07:02 que finalement on ne leur promet plus du bien-être,
01:07:05 qu'on leur dit simplement, et là je rejoins votre propos,
01:07:09 on leur dit simplement de s'adapter à un monde,
01:07:12 à s'adapter à la mondialisation,
01:07:13 donc c'est une première source de frustration.
01:07:15 La contrepartie qui est à la base du contrat démocratique n'existe plus
01:07:19 puisqu'on ne vous propose plus du progrès,
01:07:21 mais la transition écologique, un horizon assez sombre
01:07:27 et tout cela évidemment est une source de frustration.
01:07:29 Et puis il y a une deuxième source de frustration,
01:07:31 c'est que les institutions de la Ve République
01:07:33 ne marchent plus de la manière dont elles ont été conçues,
01:07:36 c'est-à-dire qu'il n'y a plus de référendum,
01:07:38 on a élargi le champ du référendum en 1995,
01:07:41 mais les gouvernants ont peur de s'en servir,
01:07:43 surtout depuis suite 2005,
01:07:45 puisque la réponse n'était pas celle qui était attendue ou espérée,
01:07:48 donc là on voit bien quand même que le peuple s'exprime,
01:07:50 même si il s'exprime de manière collective,
01:07:52 il s'exprime, il dit quelque chose qui ne correspond pas
01:07:54 à ce qui est attendu par le pouvoir en place,
01:07:56 donc il va contourner, comme l'a fait Nicolas Sarkozy,
01:07:58 il va passer par d'autres voies,
01:08:00 et donc le référendum tombe en désuétude.
01:08:02 Donc ce mélange, je trouve, assez original,
01:08:05 et qui est le fruit, encore une fois, de deux siècles
01:08:08 de laborieuses constructions démocratiques.
01:08:11 Cette construction originale, qui est la Ve République,
01:08:13 cette combination de démocratie directe
01:08:15 et de démocratie représentative,
01:08:17 elle ne marche plus à cause de ce phénomène,
01:08:20 de cette appréhension de la mondialisation,
01:08:22 c'est par contre pas la France,
01:08:23 et à cause aussi de ce déséquilibre,
01:08:25 c'est comme si les institutions marchaient sur une seule jambe.
01:08:27 - Est-ce qu'il n'y a pas une troisième raison
01:08:29 qu'on évoquait tout à l'heure,
01:08:31 quand on parlait du monde d'avant, Jean-François Cyrinelli,
01:08:33 c'est que dans le monde d'avant,
01:08:35 on ne contestait pas la démocratie représentative,
01:08:37 parce qu'il y avait une petite minorité
01:08:39 qui faisait des études supérieures,
01:08:41 et que tous les autres, en fait, ne se sentaient pas
01:08:43 de venir contester l'autorité des élus ou des gouvernants.
01:08:48 Aujourd'hui, tout le monde a fait des études supérieures,
01:08:50 tout le monde est très informé,
01:08:52 et tout le monde a à peu près l'impression
01:08:54 que le ministre ou le député
01:08:56 n'en sait pas beaucoup plus que lui.
01:08:58 - Oui et non. Vous avez raison, probablement,
01:09:00 ça créait de la distance
01:09:02 entre le bon et le mauvais sens du terme.
01:09:04 En même temps, il y avait de très grands partis
01:09:06 qui étaient des véritables puissances tribunitiennes,
01:09:08 notamment le Parti communiste français,
01:09:10 et qui étaient capables de relayer,
01:09:12 en quelque sorte, la voix des absents
01:09:15 ou de ceux qui étaient, si vous voulez,
01:09:18 apparemment tenus en lisière.
01:09:20 Si vous m'autorisez à garder la parole quelques secondes,
01:09:23 j'aurais tendance, pour ma part,
01:09:25 à plaider pour la Ve République,
01:09:27 mais auparavant, je veux dire que j'ai lu ce livre,
01:09:29 avec vraiment beaucoup d'intérêt,
01:09:31 j'allais dire avec passion.
01:09:33 Je m'explique.
01:09:35 On est en face actuellement d'une crise
01:09:37 de la démocratie représentative,
01:09:39 et plus largement de la démocratie libérale.
01:09:41 Et donc, qu'une grande spécialiste
01:09:43 de philosophie politique
01:09:45 et qu'un grand spécialiste d'histoire grecque
01:09:47 essayent de conjuguer leurs réflexions
01:09:49 dans un manifeste,
01:09:51 qui est une forme d'engagement,
01:09:53 c'est un livre aussi d'intellectuels engagés,
01:09:55 mais pour essayer de nous dire,
01:09:57 au niveau du néolibéralisme,
01:09:59 voilà, selon nous, ce qu'est
01:10:01 l'état de la démocratie libérale.
01:10:03 A leurs yeux, il me semble,
01:10:05 un mauvais état,
01:10:07 un état plutôt défaillant,
01:10:09 un état fait de trompe-l'œil et de travers.
01:10:11 Je trouve ça passionnant
01:10:13 parce que c'est argumenté
01:10:15 et c'est très fort.
01:10:17 En plus, ça s'interroge sur
01:10:19 les Gilets jaunes,
01:10:21 et je trouve qu'il faut,
01:10:23 en historien, en philosophe,
01:10:25 réfléchir sur les Gilets jaunes.
01:10:27 Cela étant, j'en reviens très brièvement
01:10:29 à la Ve République.
01:10:31 Ne jamais oublier que dans quelques jours,
01:10:33 début octobre, nous y sommes,
01:10:35 la Ve République va avoir
01:10:37 65 ans, alors vous allez me dire
01:10:39 "c'est l'âge de la retraite".
01:10:41 Je répondrai "pas forcément",
01:10:43 car elle est en train de battre
01:10:45 le record de longévité
01:10:47 de tous les régimes politiques
01:10:49 depuis 1789.
01:10:51 Donc, certes, peut-être proche
01:10:53 de la retraite, mais pour le moment,
01:10:55 quelque chose qui a tenu
01:10:57 et qui a traversé, notamment,
01:10:59 le passage du monde d'avant au monde d'après.
01:11:01 Par ailleurs, comme le disait
01:11:03 mon voisin, c'est vrai que c'est difficile,
01:11:05 me semble-t-il, en tout cas, je vous soumets
01:11:07 cette remarque, de comparer
01:11:09 des communautés humaines
01:11:11 de 60 000 citoyens
01:11:13 au rouage extrêmement
01:11:15 complexe d'un État-nation
01:11:17 de 67 millions de personnes
01:11:19 et à peu près 47 millions
01:11:21 d'électeurs et d'électrices.
01:11:23 Et, enfin, et j'en ai terminé,
01:11:25 la démocratie représentative
01:11:27 actuellement est en crise.
01:11:29 Mais moi, il me semble qu'il faut
01:11:31 plutôt que de l'attaquer,
01:11:33 mais au demeurant, c'est du débat,
01:11:35 donc c'est parfaitement votre droit.
01:11:37 Moi, je suis dans le camp des défenseurs,
01:11:39 parce que cette démocratie représentative,
01:11:41 j'allais dire, dans le monde qui nous entoure,
01:11:43 c'est, comme l'avait
01:11:45 dit Churchill, le pire des régimes
01:11:47 à l'exception de tous les autres.
01:11:49 Et donc, on est...
01:11:51 Il faut, me semble-t-il, défendre.
01:11:53 Or, la démocratie directe,
01:11:55 de mon point de vue, merde,
01:11:57 c'est le débat de fond. C'est pas de la démocratie
01:11:59 représentative. Ça l'affaiblit plus que tout.
01:12:01 - Mais c'est quand même intéressant
01:12:03 qu'il y ait tant de débats autour de la démocratie
01:12:05 aujourd'hui, qui n'existaient pas
01:12:07 il y a 20 ou 30 ans. La semaine
01:12:09 dernière, il y avait Pascal Laurie à votre
01:12:11 place, et lui, il nous disait qu'on n'avait
01:12:13 jamais vécu en France en démocratie libérale.
01:12:15 Ça avait toujours été une démocratie
01:12:17 autoritaire. Vous nous dites qu'on n'avait
01:12:19 jamais vécu en démocratie. C'est
01:12:21 autre chose. C'est la démocratie représentative.
01:12:23 Mais, effectivement, on se dit
01:12:25 comment ça pourrait être différent ?
01:12:27 Alors, pas pour que ça devienne une démocratie
01:12:29 libérale. On sait la différence entre
01:12:31 notre démocratie et les démocraties libérales
01:12:33 des pays voisins. Mais dans la démocratie
01:12:35 dont vous
01:12:37 manifestez dans votre livre,
01:12:39 pour laquelle vous manifestez
01:12:41 à certains engouements,
01:12:43 ça ressemblerait à quoi, aujourd'hui ?
01:12:45 On a une réelle admiration, une certaine
01:12:47 passion pour la démocratie athénienne, mais on ne considère pas
01:12:49 que c'est un modèle qu'on pourrait transposer.
01:12:51 On a une passion pour la démocratie athénienne
01:12:53 comme on a une passion pour les tragédies qui
01:12:55 effoncent les problèmes de la démocratie athénienne,
01:12:57 etc. Et on est très remonté contre
01:12:59 les philosophes qui ont fait passer
01:13:01 cette démocratie athénienne pour le règne
01:13:03 du n'importe quoi et du chaos, ce qui est extrêmement
01:13:05 malhonnête de la part de Platon.
01:13:07 Bon, ça c'est nos...
01:13:09 Mais si vous voulez, on ne considère pas qu'on n'a pas
01:13:11 à vous proposer une Pnyx qui serait, par exemple,
01:13:13 à la Concorde pour un peu d'or.
01:13:15 En revanche, en 1789 jusqu'en
01:13:17 93, je ne crois pas que 89
01:13:19 jusqu'à 93 soit un désastre, au contraire,
01:13:21 je pense que c'est fondationnel
01:13:23 de l'histoire de France et je suis extrêmement fière
01:13:25 qu'on ait fait cette grande révolution française.
01:13:27 Il y a vraiment la question
01:13:29 de la démocratie qui revient à l'ordre du jour.
01:13:31 Et ils essaient d'affronter cette question
01:13:33 par la République,
01:13:35 une République sociale et démocratique,
01:13:37 qui va ensuite, ou démocratique et sociale, c'est selon,
01:13:39 qui va ensuite inspirer tout le XIXe
01:13:41 siècle social et républicain,
01:13:43 dont, effectivement,
01:13:45 la révolution citoyenne promue
01:13:47 par LFI, prônée par,
01:13:49 enfin attendue par LFI, et l'héritière.
01:13:51 C'est un parti révolutionnaire,
01:13:53 LFI, mais au sens de la révolution
01:13:55 française, au sens des grandes révolutions
01:13:57 de 1830, 1848, 1870,
01:13:59 la Commune, et pas au sens
01:14:01 d'une... d'autres
01:14:03 modèles révolutionnaires. Je voulais
01:14:05 répondre à votre question sur la révolution.
01:14:07 Ensuite, donc, le diagnostic
01:14:09 très critique que nous faisons, c'est sur
01:14:11 la réponse des libéraux à
01:14:13 cet énorme poussé démocratique, qui n'était pas
01:14:15 qu'en France à la fin du XIXe siècle, mais comme vous savez,
01:14:17 dans le monde entier. Dans le monde
01:14:19 entier, en réalité. Et les libéraux vont répondre
01:14:21 par des textes majeurs, les textes de
01:14:23 l'abbé Sieyès, Benjamin Constant
01:14:25 et plein d'autres, en disant
01:14:27 "la démocratie n'est pas possible".
01:14:29 C'est-à-dire, le peuple n'est pas...
01:14:31 soit il n'est pas rationnel,
01:14:33 et il n'est pas compétent, il n'a pas
01:14:35 les moyens d'affronter
01:14:37 des problèmes. Donc, seuls
01:14:39 les notables, eux,
01:14:41 parce qu'ils sont aux affaires, ont la compétence.
01:14:43 - Et ont le sentiment de l'intérêt général.
01:14:45 - Et ils savent saisir
01:14:47 l'intérêt général, parce qu'ils gèrent des normes...
01:14:49 - Alors que le peuple, lui, ne sait pas.
01:14:51 - Ne sait pas, il est ignorant. Donc ça, c'est le
01:14:53 premier argument, je vais vite.
01:14:55 Et donc, c'est la logique de l'élection,
01:14:57 de l'élu, qui est très bien
01:14:59 décrite par Bernard Manin dans "Les principes du gouvernement
01:15:01 représentatif". L'élu,
01:15:03 l'élu sort du peuple.
01:15:05 Il a, voilà, par sa compétence.
01:15:07 Donc ça, c'est le premier argument
01:15:09 des libéraux, qui est un argument aujourd'hui
01:15:11 qui ne tient plus pour la raison que vous avez dite,
01:15:13 à savoir qu'on est tous à peu près éduqués,
01:15:15 et je vais être un peu dure, mais il m'arrive quand je vois
01:15:17 un certain nombre de ministres être assez inquiètes
01:15:19 sur leur niveau scolaire, et de me dire comment est-il possible
01:15:21 que cette jeune fille ou ce jeune homme soit
01:15:23 ministre de l'éducation nationale ou de je ne sais quoi.
01:15:25 C'est effrayant, et c'est effrayant pour énormément
01:15:27 de gens. Je parle beaucoup avec des chauffeurs de taxi,
01:15:29 qui m'expliquent qu'ils sont consternés
01:15:31 de, quand je viens dans les émissions,
01:15:33 vous savez, ils sont consternés du niveau
01:15:35 scolaire,
01:15:37 intellectuel des gouvernants.
01:15:39 Et on appelle ça des arguments populistes,
01:15:41 mais ce n'est pas vrai, c'est juste du bon sens, il y a un problème
01:15:43 de ce côté-là. Deuxième
01:15:45 grand argument, c'est l'argument,
01:15:47 et ensuite je répondrai sur la taille, c'est l'argument
01:15:49 "ça n'intéresse pas le peuple".
01:15:51 Parce que, et ça c'est la notion,
01:15:53 la fiction libérale de la société
01:15:55 civile, il y aurait
01:15:57 la cité, l'État,
01:15:59 l'ordre politique, les citoyens, voilà,
01:16:01 et puis à côté, il y aurait un autre ordre,
01:16:03 qui est la société civile, qui est le lieu où on échange.
01:16:05 On échange des idées, on échange des avis,
01:16:07 on échange des chaussures contre des...
01:16:09 contre de la bière, etc.
01:16:11 Et ce lieu d'échange serait
01:16:13 un lieu dans lequel on a envie de s'occuper de nos affaires.
01:16:15 Le mot "business" est au sens
01:16:17 le plus large, s'occuper de ses affaires,
01:16:19 de vos intérêts. Donc ce serait le lieu
01:16:21 de l'intérêt individuel,
01:16:23 et c'est tout. Et ce serait ça qui intéresserait
01:16:25 le peuple. Ça c'est une fiction,
01:16:27 enfin c'est une fiction, c'est une théorie.
01:16:29 La fiction a toujours cours aujourd'hui ?
01:16:31 Non, je pense plutôt que c'est une théorie
01:16:33 très puissante des libéraux.
01:16:35 Moi je suis extrêmement admirative de la théorie libérale
01:16:37 du gouvernement représentatif, c'est très fort
01:16:39 intellectuellement. Mais c'est
01:16:41 une réponse, c'est
01:16:43 contre la démocratie, c'est pour expliquer que la démocratie
01:16:45 n'est pas possible. Et qu'il faut donc déléguer
01:16:47 un petit nombre d'élus, qui eux
01:16:49 sont intéressés à l'intérêt général,
01:16:51 etc. Ça n'a pas cours,
01:16:53 ça n'a plus cours aujourd'hui, pour deux raisons.
01:16:55 Le niveau d'éducation
01:16:57 qui fait qu'on est tous à peu près...
01:16:59 Evidemment il y a des normes disparaissantes, mais pas
01:17:01 entre les gouvernants et les gouvernés.
01:17:03 Donc ça ne tient plus. Et puis surtout,
01:17:05 le fait que tout le monde est saisi
01:17:07 par la question générale de savoir
01:17:09 où allons-nous ? C'est-à-dire que plus personne n'a envie
01:17:11 de déléguer à je ne sais pas qui
01:17:13 les affaires de la cité,
01:17:15 parce qu'il y a une grosse inquiétude
01:17:17 sur notre destin collectif.
01:17:19 - Mme Le Tessier.
01:17:21 - D'accord, d'abord cette idée de vision
01:17:23 libérale de la démocratie,
01:17:25 elle ne résume pas l'histoire de la démocratie en France.
01:17:27 - Je n'ai pas dit ça.
01:17:29 - La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
01:17:31 parce que vous avez parlé de la révolution de 89
01:17:33 à 93, c'est la monarchie
01:17:35 jusqu'en 1792. Et 1791,
01:17:37 c'est une constitution
01:17:39 qui crée une monarchie constitutionnelle.
01:17:41 La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
01:17:43 a été promulguée sous la monarchie, sous le règle de
01:17:45 Louis XVI. - Absolument. Non, non, c'est juste que
01:17:47 vous disiez que la révolution... - Voilà.
01:17:49 - Non mais je répondais... - Non mais ça s'est gâté assez vite après.
01:17:51 - Non, mais parce que vous répondez... Non, non, je répondais juste à votre
01:17:53 proposition qui était que la révolution française avait été
01:17:55 un désastre. - Non. - Je ne suis
01:17:57 pas d'accord. - Sur le plan constitutionnel. - Je n'ai
01:17:59 jamais dit que 89 a mis à l'ordre
01:18:01 du jour la démocratie. - J'ai dit sur le plan constitutionnel.
01:18:03 - D'accord. - Je n'ai pas dit que c'était un désastre.
01:18:05 - Oui, enfin... - Et en particulier, moi, j'admire
01:18:07 beaucoup la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. - Eh bien, c'est constitutionnel.
01:18:09 - Parce qu'il y a une idée très forte
01:18:11 dans cette Déclaration qu'on oublie,
01:18:13 c'est qu'elle définit l'individu
01:18:15 comme étant un individu,
01:18:17 effectivement, mais qui a aussi la qualité
01:18:19 de citoyen. Et c'est-à-dire que
01:18:21 l'individu, lorsqu'il agit dans l'ordre politique,
01:18:23 agit comme citoyen et qu'il est pris
01:18:25 dans un réseau de droits et de devoirs réciproques.
01:18:27 La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
01:18:29 est un texte assez extraordinaire parce qu'à chaque fois qu'elle énumère
01:18:31 un droit individuel, elle
01:18:33 met une contrepartie d'ordre
01:18:35 public parce qu'il y a l'intérêt collectif,
01:18:37 il y a ce qu'on appelle l'intérêt général, l'intérêt collectif,
01:18:39 qui n'est pas une fiction, qui est quelque chose
01:18:41 qui a fondé toute l'expérience
01:18:43 de l'État en France et du rôle de l'administration
01:18:45 comme élément de la démocratie,
01:18:47 comme inscription dans la durée de l'expérience
01:18:49 démocratique. Donc cette dimension
01:18:51 du citoyen est essentielle parce que
01:18:53 cela veut dire qu'il y a
01:18:55 un acte de foi
01:18:57 dans la tradition française.
01:18:59 C'est que l'individu qui va dans un isoloir,
01:19:01 il ne va pas se comporter forcément...
01:19:03 - Non mais attendez, là on ne se comprend pas. Je revendique
01:19:05 comme d'ailleurs les républicains
01:19:07 aujourd'hui que je soutiens,
01:19:09 la République précisément, je revendique
01:19:11 la Déclaration des droits de 1780 d'homme.
01:19:13 Donc là il n'y a pas de débat.
01:19:15 - Là où j'ai l'impression qu'il y a un débat,
01:19:17 c'est que les Français,
01:19:19 enfin une partie des Français,
01:19:21 a l'air de plus en plus
01:19:23 avoir de mal à supporter
01:19:25 l'idée qu'on délègue
01:19:27 son pouvoir
01:19:29 à quelqu'un, pour 5 ans,
01:19:31 par exemple,
01:19:33 et qu'ensuite on n'est plus
01:19:35 consulté. J'ai l'impression que c'est ça
01:19:37 qui passe mal aujourd'hui dans la démocratie
01:19:39 représentative.
01:19:41 - Je crois, et je crois
01:19:43 d'ailleurs, que je parlais du référendum de 2005,
01:19:45 je crois que ça joue un rôle important,
01:19:47 je ne crois pas du tout qu'ils contestent le principe,
01:19:49 qu'ils contestent le fait
01:19:51 que ce pour quoi ils ont voté finalement
01:19:53 n'aboutit à rien ou qu'd'une certaine
01:19:55 manière le politique a abdiqué.
01:19:57 C'est le problème qu'on connaît depuis 30 ans.
01:19:59 Je crois qu'il y a un désenchantement
01:20:01 vis-à-vis de la politique et de la capacité des politiques
01:20:03 à changer les choses,
01:20:05 à proposer à la société un véritable
01:20:07 progrès, mais je ne crois pas que ce soit une critique
01:20:09 contre la démocratie elle-même.
01:20:11 - Mais je ne dis pas ça !
01:20:13 - La démocratie représentative...
01:20:15 - On écrit un manifeste pour la démocratie.
01:20:17 - Mais c'est contre le principe de la démocratie.
01:20:19 - Alors Jean-François Sienneli, vous n'avez pas l'impression
01:20:21 que ça pose un problème aujourd'hui
01:20:23 de se dire qu'on est consulté
01:20:25 une fois tous les cinq ans et que pendant le reste du temps,
01:20:27 on attend, on regarde,
01:20:29 on voit ce qui se passe,
01:20:31 mais on n'a plus son mot à dire.
01:20:33 - Deux remarques. C'est vrai que
01:20:35 les chiffres de l'abstention nous montrent
01:20:37 un désenchantement,
01:20:39 pour autant ce désenchantement
01:20:41 est-il contre la démocratie
01:20:43 ou au contraire parce que sa démocratie
01:20:45 ne fonctionnerait pas ?
01:20:47 Et donc là, on est au cœur du débat.
01:20:49 Et vous-même, je vous en remercie,
01:20:51 vous l'avez amené sur ce point, le débat,
01:20:53 c'est-à-dire l'intérêt général.
01:20:55 Il y a tout un chapitre, enfin pas des chapitres,
01:20:57 mais tout un passage du livre
01:20:59 sur l'intérêt général.
01:21:01 Et c'est là que se trouve probablement notre désaccord.
01:21:03 Je ne veux pas vous donner l'impression d'être tombé
01:21:05 dans un guet-apens, mais...
01:21:07 - Non, mais pas du tout !
01:21:09 - Je ne vois pas comment,
01:21:11 si vous voulez,
01:21:13 une myriade d'avis personnels
01:21:15 au demeurant chacun respectable
01:21:17 peut dégager l'intérêt général
01:21:19 mieux que ne l'ont fait...
01:21:21 - Alors là, je peux vous répondre.
01:21:23 - Oui ?
01:21:25 - Et ça m'inquiète un peu,
01:21:27 parce que je sais que vous êtes un très bon lecteur,
01:21:29 un très fin lecteur,
01:21:31 mais on ne s'est pas très clairement fait comprendre.
01:21:33 Il n'y a pas d'avis personnel.
01:21:35 Vous arrivez à l'Assemblée,
01:21:37 bon, imaginons les assemblées municipales
01:21:39 de la Révolution française,
01:21:41 vous avez cette idée de rotation,
01:21:43 de mandat impératif.
01:21:45 Ils se sont posés pendant des années ces questions,
01:21:47 et ce n'est pas seulement en France qu'on l'a fait,
01:21:49 d'ailleurs, il ne faut pas non plus...
01:21:51 - Aujourd'hui, on parle de tirage au sort.
01:21:53 - Mais bien sûr, en fait, il y a énormément de réflexions
01:21:55 là-dessus, et il y a énormément d'imagination,
01:21:57 et qu'il faudrait peut-être un peu mettre au pouvoir là-dessus.
01:21:59 Donc, on avait... Quand on arrive à l'Assemblée,
01:22:01 à l'Ecclésia, quand on est dans cette logique-là,
01:22:03 vous arrivez effectivement avec un avis personnel.
01:22:05 Au fond, ce n'est pas très intéressant.
01:22:07 C'est-à-dire que ce qui est intéressant,
01:22:09 c'est le fait d'endurer pendant une journée
01:22:11 sur l'Apnix ou dans votre commune démocratique,
01:22:13 votre district,
01:22:15 d'endurer la confrontation avec les autres
01:22:17 points de vue, et comprendre qu'en réalité,
01:22:19 personne, aucun individu
01:22:21 n'est capable, et ça, c'est quelque chose...
01:22:23 C'est une sorte d'épistémologie
01:22:25 qui correspond tout à fait
01:22:27 à la pensée tragique des Grecs.
01:22:29 Personne n'est capable de saisir
01:22:31 la réalité en soi.
01:22:33 Donc, seul,
01:22:35 le travail de
01:22:37 affectation réciproque des points de vue
01:22:39 permet, au bout d'un moment,
01:22:41 de fabriquer ce qu'on appelle dans le livre,
01:22:43 ce que les Grecs appelaient une "doxa",
01:22:45 c'est-à-dire, le peuple,
01:22:47 il lui apparaît que la meilleure
01:22:49 des hypothèses, à cet instant-là,
01:22:51 finalement, c'est ça, par exemple, de partir à la guerre
01:22:53 ou de ne pas y partir,
01:22:55 et on a bien conscience que c'est un avis
01:22:57 collectif, provisoire, qui essaie
01:22:59 de saisir au mieux l'intérêt général.
01:23:01 - C'est pas une myriade d'avis personnels.
01:23:03 Ça suppose un travail de délibération.
01:23:05 - Je vous suis là-dessus,
01:23:07 d'autant que vous le dites dans votre livre
01:23:09 où vous appuyez sur votre expérience personnelle
01:23:11 à l'intérieur même de l'université,
01:23:13 participation à un certain nombre
01:23:15 de réunions, où on sort
01:23:17 plus informé qu'on est entré
01:23:19 dans la réunion. - Exactement.
01:23:21 - Dont acte a une remarque près,
01:23:23 c'est que ça suppose que même
01:23:25 que les gens dans cette réunion soient
01:23:27 à égalité. Or, regardez les initiatives
01:23:29 récentes prises par notre président
01:23:31 de la République sans politiser
01:23:33 notre débat. On voit par exemple
01:23:35 que sur l'écologie, on s'est
01:23:37 réunis à 150, mais on a
01:23:39 très bien vu, parce qu'il ne faut pas
01:23:41 avoir une vision naïve des choses,
01:23:43 qu'au bout de quelques jours, en tout cas
01:23:45 quelques semaines, quelques personnes
01:23:47 avaient pris le pouvoir intellectuel,
01:23:49 et donc d'une certaine façon politique,
01:23:51 à l'intérieur de la réunion.
01:23:53 Cette démocratie directe était encore
01:23:55 plus biaisée que ne l'aurait
01:23:57 été, j'allais dire, le débat
01:23:59 parlementaire entre des partis informés.
01:24:01 En tout cas, vous voyez, là,
01:24:03 raisonnement sceptique. - Je ne me prononcerai pas sur la convention citoyenne
01:24:05 sur le climat, parce que je ne suis pas à l'intérieur,
01:24:07 et je ne sais pas le travail qu'a fait
01:24:09 le président. - Moi non plus. Et qu'en plus,
01:24:11 il nous reste 40 secondes. - Non, voilà.
01:24:13 Je dirais juste que les Athéniens étaient
01:24:15 parfaitement conscients de tous ces problèmes,
01:24:17 d'où la notion d'ostracisme,
01:24:19 etc. Donc, il y a toute une série
01:24:21 de contrepoids, de garde-fous
01:24:24 à mettre en place pour, dans le
01:24:26 rapport à la parole, qu'on
01:24:28 ne se retrouve pas avec un petit groupe, finalement,
01:24:30 de factieux qui prennent
01:24:32 le pouvoir. Donc, voilà, il y a des possibilités
01:24:34 de répondre à ça. Le problème, c'est
01:24:36 que, et aujourd'hui, il y a une attente populaire,
01:24:38 on n'a pas parlé des Gilets jaunes, mais c'est quand même ce qu'ils ont demandé.
01:24:40 L'Assemblée des Assemblées,
01:24:42 etc., c'est ce qu'ils demandent, le référendum.
01:24:44 Un référendum non pas plébiscitaire,
01:24:46 pour dire oui au grand homme et
01:24:48 à ses propositions, qui risque d'ailleurs
01:24:50 de revenir à l'ordre du jour, il y en a une question,
01:24:52 mais un référendum véritablement démocratique,
01:24:54 c'est-à-dire on réfléchit.
01:24:56 C'est les citoyens qui imposent une question,
01:24:58 qui imposent une question à l'ensemble
01:25:00 des citoyens, c'est pas un grand homme qui décide
01:25:02 voulez-vous ceci, voulez-vous cela, c'est-à-dire êtes-vous pour moi
01:25:04 ou pas ? Donc,
01:25:06 on a des outils. Je crois qu'il faut
01:25:08 un peu débloquer notre imaginaire.
01:25:10 La société fourmille,
01:25:12 fourmille, contrairement à la manière dont on
01:25:14 met en scène, comme un peu crétin,
01:25:16 apathique, la société fourmille
01:25:18 d'inventivité,
01:25:20 d'envie de démocratie.
01:25:22 Le populisme, en disant le culte
01:25:24 du chef chez le peuple, c'est pas vrai.
01:25:26 Pas forcément. La preuve législative,
01:25:28 je ne voulais pas de chef. Et donc, je crois
01:25:30 qu'il faut vraiment s'intéresser
01:25:32 à cette hypothèse démocratique, peut-être l'essayer
01:25:34 avant de passer à quelque chose de dictatorial.
01:25:36 Voilà, c'est ça qu'on propose.
01:25:38 On va laisser
01:25:40 féliciter Kindoky
01:25:42 faire le rappel des titres et après
01:25:44 on s'intéressera à l'autonomie,
01:25:46 l'autonomie corse promise
01:25:48 par Emmanuel Macron.
01:25:50 (musique)
01:25:52 Face à la recrudescence
01:25:54 de l'épidémie de Covid-19, le gouvernement
01:25:56 lance sa nouvelle campagne de vaccination
01:25:58 dès demain avec deux semaines
01:26:00 d'avance. La vaccination ciblera
01:26:02 essentiellement les personnes les plus à risque,
01:26:04 les plus de 65 ans ou encore
01:26:06 les femmes enceintes. Parallèlement,
01:26:08 les autorités sanitaires continuent
01:26:10 de recommander les gestes barrières en cas d'infection.
01:26:12 Une enquête administrative
01:26:14 est ouverte après l'évasion nocturne
01:26:16 d'un détenu de Freyne. La nuit dernière,
01:26:18 l'individu de 26 ans a été
01:26:20 hospitalisé au Kremlin Bicêtre dans le Val-de-Marne.
01:26:22 Laissé sans surveillance,
01:26:24 l'homme s'est échappé peu avant 1h du matin,
01:26:26 pieds nus, vêtu d'un caleçon
01:26:28 et d'une chemise d'hôpital, domicile
01:26:30 lié à Marseille. Il était en détention
01:26:32 provisoire pour trafic de stupéfiants
01:26:34 et association de malfaiteurs.
01:26:36 Il est actuellement recherché.
01:26:38 La ministre française des Affaires étrangères,
01:26:40 Catherine Colonna, a annoncé dans un
01:26:42 court message posté sur X qu'elle
01:26:44 se rendra mardi en Arménie
01:26:46 où elle réaffirmera le soutien de la France
01:26:48 à la souveraineté et à l'intégrité
01:26:50 territoriale de ce pays.
01:26:52 La chef de la diplomatie française se rendra
01:26:54 auprès des réfugiés arméniens
01:26:56 ayant fui le Haut-Karabagh.
01:26:58 Le président de la République, Emmanuel Macron,
01:27:02 a déclaré jeudi devant l'Assemblée corse
01:27:04 à Ajaccio, ayant l'audace
01:27:06 de bâtir une autonomie
01:27:08 à la Corse dans la République.
01:27:10 Il a été aussitôt accusé par certains de
01:27:12 séparatisme, de vouloir en finir avec la République,
01:27:14 une et indivisible,
01:27:16 de préparer l'indépendance de la Corse,
01:27:18 preuve que l'on ne sait pas très bien
01:27:20 en France ce qu'est l'autonomie
01:27:22 et lui-même a l'air
01:27:24 d'oublier dans ses propos
01:27:26 la façon dont l'autonomie est pratiquée par nos voisins
01:27:28 dans toute l'Europe.
01:27:30 Alors, on peut être pour ou contre l'autonomie
01:27:32 de la Corse, mais il faudrait savoir de quoi on parle.
01:27:34 Vanda Mastor,
01:27:36 bonsoir, vous êtes professeur de droit
01:27:38 public, détaché à
01:27:40 l'université de Corte, vous êtes
01:27:42 auteur de "Vers l'autonomie"
01:27:44 pour une évolution institutionnelle de la
01:27:46 Corse qui est parue il y a un an et demi.
01:27:48 La première chose à savoir, c'est
01:27:50 que toutes les îles en Europe,
01:27:52 je parle des grandes îles évidemment, sont
01:27:54 autonomes. La Sicile, la Sardaigne,
01:27:56 les Canaries, les Baleares, Madère,
01:27:58 les Açores, le Groenland, les îles Ferroé,
01:28:00 Jersey, Guernesey, les Îles de Man,
01:28:02 les îles finlandaises. La Corse
01:28:04 fait figure d'exception en fait.
01:28:06 Oui, absolument.
01:28:08 Vous venez le rappeler,
01:28:10 la Corse est l'une des rares,
01:28:12 on peut aussi ajouter les îles
01:28:14 en mer du Nord, en mer Baltique,
01:28:16 la Corse est l'une des très rares
01:28:18 îles
01:28:20 méditerranéennes mais aussi européennes
01:28:22 à ne pas jouir de l'autonomie législative.
01:28:24 Le problème étant vraiment,
01:28:26 vous l'avez dit en mots de
01:28:28 présentation, plutôt la
01:28:30 méconnaissance, voire l'inculture
01:28:32 parfois, parce que ça fait quand même quelques années
01:28:34 maintenant qu'on parle de la possible
01:28:36 autonomie de la Corse, de ce qui est effectivement ce que
01:28:38 recouvre cette notion d'autonomie
01:28:40 qui, je le découvre, fait manifestement
01:28:42 extrêmement peur et c'est dommage
01:28:44 parce que ça obscurcit le débat uniquement
01:28:46 vraiment par méconnaissance
01:28:48 et par une peur qui est constitutionnellement
01:28:50 infondée. Alors Emmanuel
01:28:52 Macron a bien dit "ayons l'audace
01:28:54 de bâtir une autonomie à la Corse
01:28:56 dans la République". Là aussi
01:28:58 on a le vif de lui dire "pas besoin de le préciser,
01:29:00 l'autonomie c'est forcément dans
01:29:02 la République, la Sardaigne,
01:29:04 la Sicile sont
01:29:06 autonomes et font partie de la
01:29:08 République italienne".
01:29:10 Encore une fois, l'autonomie, ça n'est
01:29:12 pas l'indépendance.
01:29:14 Oui, mais il a été obligé
01:29:16 de le rappeler et vous, vous êtes obligé de le rappeler
01:29:18 parce que malheureusement,
01:29:20 et je le vois par rapport
01:29:22 aux réactions que j'entends dans les médias
01:29:24 suite au discours du Président de la République,
01:29:26 que cette peur totalement irrationnelle continue
01:29:28 de se propager. Je prends l'exemple de l'Italie
01:29:30 puisque c'est le dernier que vous venez de
01:29:32 citer. Non seulement effectivement,
01:29:34 alors pas seulement les îles,
01:29:36 toutes les régions italiennes jouissent de l'autonomie,
01:29:38 c'est-à-dire le pouvoir pour leurs parlements
01:29:40 régionaux d'adopter
01:29:42 leur propre loi dans un certain
01:29:44 nombre de domaines et sous le regard de la Cour
01:29:46 constitutionnelle, mais en plus
01:29:48 la Constitution d'Italie
01:29:50 proclame dès ses trois premiers articles
01:29:52 que la République italienne est
01:29:54 indivisible, mais qu'elle reconnaît en son
01:29:56 sein les autonomies régionales.
01:29:58 C'est à peu près, pratiquement, très sensiblement
01:30:00 la même chose en Espagne
01:30:02 par exemple, ou dans tous les autres pays
01:30:04 que vous avez cités. Donc oui, l'autonomie
01:30:06 évidemment n'est que et n'a jamais
01:30:08 été que le maintien d'une région
01:30:10 au sein d'une République ou d'une monarchie.
01:30:12 L'indépendance, c'est n'en sortir.
01:30:14 - Voilà. Alors la Corse
01:30:16 a déjà un statut particulier, elle dispose
01:30:18 d'une assemblée territoriale,
01:30:20 d'un conseil exécutif dont Gilles Simeoni
01:30:22 qui est autonomiste,
01:30:24 est le Président. La Corse
01:30:26 a des compétences particulières en termes
01:30:28 d'aménagement du territoire, de transport et de
01:30:30 agriculture. Pour
01:30:32 devenir autonome, il lui faudrait
01:30:34 un pouvoir législatif.
01:30:36 C'est ça l'autonomie, et ce
01:30:38 pouvoir législatif, évidemment, c'est dans le
01:30:40 cadre de la Constitution française.
01:30:42 - Oui, absolument.
01:30:44 Offrir l'autonomie
01:30:46 législative à la Corse
01:30:48 ne peut passer que par une révision
01:30:50 de la Constitution. Ça c'est absolument
01:30:52 certain. Il ne peut pas en être autrement.
01:30:54 Parce que la Corse sortirait, si vous voulez,
01:30:56 du moule "métropolitain
01:30:58 classique", même si elle a déjà,
01:31:00 vous l'avez rappelé, le statut d'une collectivité
01:31:02 à statut particulier.
01:31:04 Si demain, la collectivité de Corse peut
01:31:06 adopter ses propres lois dans
01:31:08 un certain nombre de domaines, il faudra passer
01:31:10 évidemment par une révision de la Constitution
01:31:12 pour déjà y faire entrer la Corse.
01:31:14 Je rappelle aux téléspectateurs que
01:31:16 l'île de Klippertod, par exemple,
01:31:18 sans du tout mépriser celle-ci,
01:31:20 a les honneurs de la gravure dans la main reconstitutionnelle.
01:31:22 Le mot "Corse" part du tout. Donc déjà, entrer
01:31:24 de la Corse dans la Constitution
01:31:26 avec tous les statuts particuliers
01:31:28 dont elle a joui depuis le début
01:31:30 d'ailleurs, à la Ve République,
01:31:32 pas seulement les lois de décentralisation,
01:31:34 c'est déjà évidemment une sorte
01:31:36 de minimum vital, si vous voulez.
01:31:38 Et ensuite, évidemment, offrir l'autonomie
01:31:40 législative, ceci aussi ne peut passer
01:31:42 que par une révision de la Constitution.
01:31:44 - Mais on a l'impression que là,
01:31:46 Emmanuel Macron ne sait pas très bien ce qu'est
01:31:48 l'autonomie, puisque l'autonomie,
01:31:50 vous l'avez dit partout, c'est
01:31:52 le pouvoir législatif
01:31:54 dans un certain nombre de domaines,
01:31:56 pas dans tous, pas dans les domaines régaliens,
01:31:58 on le verra, mais lui, il ne parle pas du tout de pouvoir législatif,
01:32:00 il parle d'un pouvoir normatif.
01:32:02 - Oui, mais alors,
01:32:06 est-ce que c'est au président de la République
01:32:08 qu'il appartient d'entrer dans les détails
01:32:10 lors d'un discours aussi solennel
01:32:12 que celui qu'il a prononcé dans l'hémicycle insulaire ?
01:32:14 Je ne sais pas. C'est vrai
01:32:16 qu'à titre personnel,
01:32:18 évidemment, en travaillant sur cette question,
01:32:20 j'ai tendu l'oreille en
01:32:22 espérant tout le long entendre le mot "pouvoir législatif".
01:32:24 Cette expression n'est jamais arrivée.
01:32:26 Il a parlé de pouvoir normatif,
01:32:28 qu'il a décliné en deux sortes.
01:32:30 Il voulait le pouvoir d'adapter les normes nationales
01:32:32 aux spécificités locales
01:32:34 et le pouvoir de définir ses propres normes.
01:32:36 Donc, il a parlé d'un pouvoir normatif.
01:32:38 Il l'a ajouté sous contrôle du Conseil d'État
01:32:40 et du Conseil constitutionnel,
01:32:42 ce qui laisse la porte ouverte
01:32:44 aussi, on va dire, à l'hypothèse
01:32:46 haute, si on veut être optimiste,
01:32:48 quand, bien sûr, on épouse
01:32:50 les revendications autonomistes, qu'elles soient d'ailleurs
01:32:52 politiques ou de droit constitutionnel.
01:32:54 Je précise que beaucoup de constitutionnalistes
01:32:56 sont favorables aux régimes régionaux
01:32:58 qui sont largement majoritaires en Europe
01:33:00 par ailleurs. – Cela dit, il y a six mois
01:33:02 pour débattre de tout ça, pour négocier
01:33:04 tout ça, mais bon,
01:33:06 pour l'instant, d'après ce qu'a dit
01:33:08 le président de la République, on est loin de l'autonomie.
01:33:10 Alors,
01:33:12 juste une dernière question, et puis je
01:33:14 me tournerai vers mes autres invités
01:33:16 au Vendée d'Amastor. En ce qui concerne
01:33:18 les îles que vous avez étudiées dans votre livre,
01:33:20 qui ont toutes, on l'a dit,
01:33:22 un statut d'autonomie,
01:33:24 aucune n'a le pouvoir de les vigiférer
01:33:26 dans les domaines régaliens, les finances,
01:33:28 la police, la justice,
01:33:30 la défense et les affaires étrangères.
01:33:32 – Oui, jamais.
01:33:34 C'est un argument que nous mettons
01:33:36 souvent en avant pour rassurer les craintifs de l'explosion
01:33:38 de l'indivisibilité de la République,
01:33:40 c'est qu'évidemment, dans toutes ces régions
01:33:42 autonomes, qu'elles soient encore une fois insulaires
01:33:44 d'ailleurs ou pas,
01:33:46 le législateur ne peut pas tout faire.
01:33:48 Il légifère déjà sous contrôle
01:33:50 de la Cour constitutionnelle,
01:33:52 dans l'écrasante majorité
01:33:54 des cas, premièrement,
01:33:56 et deuxièmement, sans ne jamais toucher
01:33:58 aux bras souverains de l'État en quelque sorte.
01:34:00 Donc, l'État, quoi qu'il advienne,
01:34:02 et quel que soit d'ailleurs le degré
01:34:04 des négociations
01:34:06 par rapport à cette autonomie matérielle,
01:34:08 c'est-à-dire les matières touchées
01:34:10 par l'autonomie législative, dans tous les cas,
01:34:12 jamais l'État ne délègue
01:34:14 ces domaines que l'on appelle régaliens
01:34:16 qui sont ceux que vous venez de citer.
01:34:18 – Alors réaction Arnaud Tessier,
01:34:20 Jean-François Cyrienneli,
01:34:22 déjà qu'un président de la République
01:34:24 dans une assemblée corse
01:34:26 prononce le mot "autonomie", déjà je suis premier,
01:34:28 il faut bien le reconnaître.
01:34:30 Mais comme on ne sait pas ce que c'est que l'autonomie,
01:34:32 ça n'a pas l'air de…
01:34:34 – Pour la Corse, on sait à peu près,
01:34:36 ce n'est pas un problème nouveau,
01:34:38 comme d'ailleurs cela vient d'être dit,
01:34:40 ce n'est pas un problème insulaire,
01:34:42 je ne sais pas si la Sicile est un modèle à suivre,
01:34:44 mais enfin à mon avis ce n'est pas un problème insulaire,
01:34:46 on n'est pas dans le même système que l'Italie ou l'Espagne,
01:34:48 on n'est pas un État fédéral.
01:34:50 – On est une démocratie autoritaire.
01:34:52 – Si on bascule vers un État fédéral
01:34:54 et qu'on met fin à ce qui est quand même
01:34:56 un des grands héritages de la Révolution française
01:34:58 et de notre tradition républicaine,
01:35:00 c'est que c'est une même loi, égale pour tous sur le territoire,
01:35:02 et que les régions peuvent avoir
01:35:04 une certaine marge d'autonomie,
01:35:06 ça s'appelle la décentralisation,
01:35:08 mais en étant engagées dans un processus
01:35:10 de solidarité collective qui s'appelle la nation,
01:35:12 l'État-nation, l'État républicain,
01:35:14 c'est un basculement énorme,
01:35:16 parce que ce qui a fait débat en réalité,
01:35:18 pas tellement débat d'ailleurs je trouve,
01:35:20 ce qui a pu faire débat l'espace d'un instant,
01:35:22 ce n'est pas tellement l'annonce sur l'accord,
01:35:24 c'est la réaction du président de la région Bretagne,
01:35:26 parce qu'on voit très bien ce qui se profile derrière,
01:35:28 effectivement c'est le passage
01:35:30 de l'État républicain français classique,
01:35:32 traditionnel, qui repose quand même
01:35:34 sur des principes qui à mon avis
01:35:36 sont congénitaux à notre démocratie,
01:35:38 aux principes de solidarité sociale
01:35:40 et territoriale, et si on bascule
01:35:42 vers un système fédéral,
01:35:44 et c'est un changement énorme
01:35:46 qui ne correspond pas à notre culture politique,
01:35:48 alors ça peut être le fait d'un choix
01:35:50 effectivement, typiquement fait par référendum,
01:35:52 mais ce n'est pas un sujet anodin,
01:35:54 on ne peut pas dire simplement
01:35:56 c'est parce qu'il y a des îles dans des pays
01:35:58 qui sont fédéraux et qu'il faut faire la même chose.
01:36:00 - Non mais il n'y a pas que dans les pays
01:36:02 qui sont des fédérations qu'il y a des îles
01:36:04 qui sont autonomes, toutes les îles sont autonomes
01:36:06 et en fait l'Angleterre n'est pas une fédération,
01:36:08 les îles sont autonomes.
01:36:10 - L'Angleterre évolue quand même
01:36:12 vers quelque chose de très différent
01:36:14 de ce qu'était la monarchie britannique
01:36:16 et la démocratie britannique classique,
01:36:18 elle est proche. Pour résumer,
01:36:20 je répéterai ce qu'avait dit
01:36:22 Philippe Séguin sur ces sujets, il avait dit
01:36:24 "nous avions choisi la décentralisation, pas la décomposition"
01:36:26 donc c'est quand même un enjeu
01:36:28 qu'il faut avoir présent à l'esprit
01:36:30 dans le débat s'il s'ouvre véritablement.
01:36:32 - Vendéma Thorne, vous vouliez dire un mot ?
01:36:34 - Oui, je précise juste que
01:36:36 les deux exemples sont faux, pardon monsieur,
01:36:38 mais l'Espagne et l'Italie précisément
01:36:40 ne sont pas des états fédéraux, pas du tout.
01:36:42 Ce ne sont absolument pas des états fédéraux,
01:36:44 ce sont des monarchies qui sont indivisibles,
01:36:46 pour l'autre une république indivisible.
01:36:48 - Mais indivisible c'est un mot.
01:36:50 - Ils proclament pour les deux l'indivisibilité
01:36:52 et la monarchie et la république
01:36:54 en sauvegardant en leur sein
01:36:56 des autonomies régionales.
01:36:58 Enfin c'est tout, je me permets une petite précision
01:37:00 qui est quand même hyper importante,
01:37:02 c'est-à-dire que ces exemples-là ne sont pas comparables
01:37:04 parce que ce sont des fédérations.
01:37:06 Il n'est pas du tout question de faire exploser une nation
01:37:08 en reconnaissant en son sein des particularités,
01:37:10 il ou pas d'ailleurs.
01:37:12 - Réaction de Jean-François Cyrinelli ?
01:37:14 - Oui, à nouveau il n'y a pas
01:37:16 de collusion entre nous,
01:37:18 mais je suis d'accord avec mon voisin,
01:37:20 pas sur le fond, et je remercie madame Mastor
01:37:22 de nous éclairer sur la notion constitutionnelle
01:37:24 qu'est l'autonomie,
01:37:26 reste que historiquement
01:37:28 on est en face d'un basculement.
01:37:30 C'est un moment, si vous voulez,
01:37:32 qui est un moment tournant
01:37:34 que ce président de la République
01:37:36 qui a tort ou a raison,
01:37:38 après ce qui est passionnant
01:37:40 c'est qu'on en débat ici même.
01:37:42 - On commence mais ça va durer six mois.
01:37:44 - Tout à fait, mais nous sommes en face d'un basculement
01:37:46 et d'ailleurs on le voit à tel point
01:37:48 que le président de la République
01:37:50 a totalement évolué sur la question
01:37:52 puisque quand il fait son premier voyage en Corse
01:37:54 en 2018, il est symboliquement
01:37:56 accompagné par Jean-Pierre Chevènement
01:37:58 et il tense
01:38:00 publiquement ce qui en Corse
01:38:02 est presque une insulte.
01:38:04 Gilles Siméon,
01:38:06 en lui reprochant implicitement
01:38:08 d'avoir été l'avocat de Colonna
01:38:10 et là, si vous voulez,
01:38:12 il prend exactement le contre-pied.
01:38:14 A-t-il raison ou pas ?
01:38:16 C'est une décision de toute façon politique
01:38:18 autant que constitutionnelle
01:38:20 mais incontestablement
01:38:22 en termes d'histoire institutionnelle
01:38:24 même si je ne suis pas
01:38:26 constitutionnel, même si je
01:38:28 comprends les arguments qui ont été développés,
01:38:30 c'est un basculement.
01:38:32 Basculement ne veut pas dire condamnation.
01:38:34 On est en face d'un moment dire.
01:38:36 - Réaction de Barbara Stiegler ?
01:38:38 - Je suis un peu engagée
01:38:40 par les hasards de ma propre vie
01:38:42 auprès des Corses.
01:38:44 J'ai un projet avec eux,
01:38:46 ce projet sur la démocratie,
01:38:48 le manifeste qui s'accompagne d'ailleurs
01:38:50 d'interventions théâtrales, d'actions
01:38:52 avec les collectifs militants et délibérants
01:38:54 qui fleurissent un peu partout.
01:38:56 Nous avons un volet Corse.
01:38:58 Je suis extrêmement
01:39:00 heureuse de partir en Corse
01:39:02 avec ce projet, précisément dans le contexte
01:39:04 où mes amis
01:39:06 autonomistes, républicains,
01:39:08 progressistes qui se battent pour cette
01:39:10 collectivité de Corse depuis des années,
01:39:12 je vais citer le nom de Marie-Antoinette Maupertuis
01:39:14 pour laquelle j'ai énormément d'amitié,
01:39:16 je suis très heureuse
01:39:18 que cette possibilité devienne
01:39:20 de plus en plus... - Possibilité !
01:39:22 - Voilà. Alors maintenant, ce que je voulais dire,
01:39:24 c'est que ça pose
01:39:26 toute une série de questions passionnantes
01:39:28 sur l'articulation
01:39:30 entre République et démocratie.
01:39:32 Donc là, on est exactement au cœur des thèmes
01:39:34 qui nous passionnent dans
01:39:36 notre livre. Donc vraiment, je vous remercie
01:39:38 d'avoir mis cette question à l'ordre du jour.
01:39:40 - C'est pas moi, c'est Emmanuel Macron.
01:39:42 - Oui, mais enfin d'avoir rappelé qu'il fallait
01:39:44 mettre sur des bases sérieuses. - Vous avez raison, tout communique
01:39:46 dans cette émission. - Et vraiment, c'est
01:39:48 un genre d'expérimentation
01:39:50 passionnante pour la question républicaine.
01:39:52 - Alors, encore quelques questions,
01:39:54 Vandamastor.
01:39:56 Il y a trois revendications
01:39:58 en Corse. L'officialisation
01:40:00 de la langue corse dans les documents administratifs.
01:40:02 Est-ce que
01:40:04 c'est compatible juridiquement
01:40:06 avec un statut d'autonomie ?
01:40:08 Les nationalistes
01:40:10 corse voudraient également que la Corse
01:40:12 ait le pouvoir de voter des taxes
01:40:14 spéciales. Mais d'après
01:40:16 ce que vous dites, dans
01:40:18 les statuts d'autonomie
01:40:20 des îles que vous avez étudiés,
01:40:22 la fiscalité, c'est régalien,
01:40:24 ça n'est pas du domaine de compétences,
01:40:26 a priori. Je vous pose la question.
01:40:28 On pourrait se dire, non, la fiscalité,
01:40:30 ils pourront pas y toucher.
01:40:32 Et puis, il y a le statut du résident
01:40:34 qui favoriserait les locaux
01:40:36 pour loger dans l'île.
01:40:38 Est-ce qu'une Corse autonome
01:40:40 demain pourrait avoir
01:40:42 la possibilité de voter
01:40:44 le statut du résident ? Voilà, c'est trois revendications.
01:40:46 Est-ce que c'est compatible avec
01:40:48 un statut d'autonomie tel qu'il existe
01:40:50 dans d'autres îles en Europe ?
01:40:52 Déjà, je
01:40:54 rectifie juste un point. La matière
01:40:56 fiscale n'est pas considérée comme une matière régalienne.
01:40:58 Donc, dans tous les pays
01:41:00 voisins, la matière fiscale
01:41:02 est transférée
01:41:04 du centre au périphérie,
01:41:06 dans un certain nombre évidemment, enfin, encadrée
01:41:08 par certaines conditions, mais en général,
01:41:10 elle l'est absolument.
01:41:12 Il est vrai que
01:41:14 trois revendications fortes
01:41:16 de la majorité territoriale, je ne parle même pas
01:41:18 des autonomistes ou pas, je parle de démocratie
01:41:20 et la République ne doit pas avoir peur
01:41:22 de la démocratie. Je parle quand même d'élections
01:41:24 qui ont été remportées, comme vous le savez, par 68%
01:41:26 quand même des voix. Les trois revendications
01:41:28 étaient les suivantes reconnaissances du peuple
01:41:30 corse, statut de résident et
01:41:32 co-officialité de la langue. Et vous
01:41:34 aurez évidemment remarqué que le président de la République
01:41:36 a pris soin de ne pas mentionner les trois.
01:41:38 Les trois choses se plaident,
01:41:40 tout se plaide de toute façon,
01:41:42 les trois choses se plaident et les trois choses
01:41:44 sont juridiquement compliquées, mais pas
01:41:46 impossibles. Enfin, en tout cas, moi,
01:41:48 c'est le but de mes travaux depuis
01:41:50 de longues années, de prouver que les choses sont possibles,
01:41:52 mais évidemment à condition de
01:41:54 beaucoup de négociations. Et d'ailleurs,
01:41:56 c'est en cours, je suis un peu étonnée qu'on soit si
01:41:58 choquée par, je ne parle pas de vos invités,
01:42:00 mais de manière générale par le discours du président,
01:42:02 ces négociations
01:42:04 pour une évolution institutionnelle
01:42:06 de la Corse, elles se sont
01:42:08 en réalité jamais arrêtées.
01:42:10 Il y a eu évidemment les lois de 1982,
01:42:12 mais après il y a eu aussi le statut jocs,
01:42:14 les accords dits de Matignon,
01:42:16 la loi NOTRe, etc.
01:42:18 Et puis après, depuis les dernières élections
01:42:20 territoriales, les négociations ont été
01:42:22 entreprises entre le
01:42:24 pouvoir central et la Corse.
01:42:26 Donc tout ça sont des choses
01:42:28 qui se travaillent petit à petit.
01:42:30 C'est la raison pour laquelle évidemment le président
01:42:32 de la République est resté dans les grandes lignes,
01:42:34 mais n'est pas entré dans le détail.
01:42:36 Et de toute façon, juridiquement, le détail appartient
01:42:38 à la loi organique qui viendra compléter
01:42:40 la Constitution, pas la révision constitutionnelle.
01:42:42 - Arnaud Tessier ?
01:42:44 - Oui, non, mais je reviens
01:42:46 toujours, l'histoire du
01:42:48 statut de la Corse, c'est une longue histoire,
01:42:50 effectivement. Je ne rentrerai pas dans
01:42:52 les détails de cette longue aventure
01:42:54 politico-institutionnelle.
01:42:56 Encore une fois, ce qui a
01:42:58 créé quand même la surprise
01:43:00 et l'alerte, c'est les propos du président
01:43:02 de la région de Bretagne.
01:43:04 L'idée du statut de
01:43:06 résident, parce qu'effectivement,
01:43:08 on ne voit pas pourquoi,
01:43:10 ce qu'écrivait Anne-Marie Le Pourrier dans Marianne,
01:43:12 on ne voit pas pourquoi la Bretagne,
01:43:14 la péninsule bretonne, n'aurait pas les mêmes
01:43:16 droits que ceux qui sont reconnus à la Corse.
01:43:18 Donc, on voit très bien la mécanique qui peut
01:43:20 s'enclencher. - La Corse a déjà
01:43:22 un statut particulier que n'a pas la Bretagne.
01:43:24 - Oui, le statut du résident. Si on généralise
01:43:26 ce type de procédure... - Des réflexions.
01:43:28 - C'est la fin
01:43:30 du modèle français qui est fondé sur l'égalité.
01:43:32 Avec toutes ces imperfections,
01:43:34 toute notre expérience démocratique
01:43:36 est fondée là-dessus. - Et effectivement,
01:43:38 ça pourrait être retoqué par
01:43:40 le claufet constitutionnel dans ces cas-là.
01:43:42 Un dernier mot,
01:43:44 Vandamastor, on a 11 secondes.
01:43:46 - Oui, je voudrais juste répondre à l'argument sur la
01:43:48 peur de la contagion, que je peux
01:43:50 comprendre tout à fait. Il y a quand même une grande différence,
01:43:52 puisque, sur votre plateau, vous avez
01:43:54 beaucoup parlé de lien entre démocratie et République.
01:43:56 C'est qu'en Bretagne, le Parti autonomiste
01:43:58 n'a jamais remporté les élections
01:44:00 à une majorité de 68%. Après, on peut considérer
01:44:02 que l'argument démocratique
01:44:04 est un petit argument, j'en conviens.
01:44:06 Comme on considère souvent que l'argument culturel
01:44:08 est supérieur aux autres. Mais à ce compte-là,
01:44:10 en 1958,
01:44:12 la culture du contrôle de constitutionnalité
01:44:14 était totalement absente,
01:44:16 et personne n'oserait dire aujourd'hui que le Conseil constitutionnel
01:44:18 ne sert à rien, par exemple.
01:44:20 Pour ne donner qu'une création qui a fait, à l'époque,
01:44:22 couler beaucoup d'encre, avec beaucoup d'arguments
01:44:24 qui étaient mis en avant. C'est pas culturel, c'est pas historique.
01:44:26 Le contrôle de constitutionnalité en France.
01:44:28 Voilà. Juste ce que je voulais dire par rapport
01:44:30 à la crainte de la contagion, la Bretagne n'en est pas
01:44:32 du tout au même point que la Corse.
01:44:34 Notamment pour une raison géographique,
01:44:36 l'insularité, et surtout démocratique,
01:44:38 la victoire
01:44:40 du Parti autonomiste
01:44:42 très largement aux dernières élections.
01:44:44 - Merci, Vanda Mastor.
01:44:46 Je renvoie à la lecture de votre livre
01:44:48 vers l'autonomie,
01:44:50 parce qu'on y apprend vraiment ce que c'est
01:44:52 ou ce que ça peut être que l'autonomie.
01:44:54 Merci tous les trois d'avoir participé
01:44:56 à cette émission. Merci de nous avoir suivis.
01:44:58 Et rendez-vous au prochain numéro
01:45:00 dimanche à 22h.
01:45:02 Bonne nuit.
01:45:04 Bonne nuit.