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Frédéric Taddeï et ses invités débattent des grandes questions du XXIe siècle dans les #VisiteursDuSoir

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00:00:00 Marie-Estelle Dupont, Roger Pauldroit, Jérôme Sainte-Marie et Roland Carole sont déjà autour de moi.
00:00:07 Ils seront neufs ce soir. Mais d'abord, le rappel des titres. Isabelle Piboulot.
00:00:13 Le pronostic vital des victimes de l'attaque de Annecy n'est plus engagé.
00:00:20 L'assaillant, lui, a été mis en examen pour tentative d'assassinat et rébellion avec arme.
00:00:25 Il a été placé en détention provisoire. La mairie d'Annecy organisera demain à 11h un rassemblement citoyen
00:00:32 en soutien aux victimes et à leurs proches pour un moment de solidarité et de fraternité.
00:00:37 L'hommage sera à suivre en direct sur CNews.
00:00:40 En visite surprise à Kiev, Justin Trudeau a exprimé son soutien à Volodymyr Zelensky.
00:00:45 Le Premier ministre canadien s'est engagé à verser 500 millions de dollars pour aider l'armée ukrainienne.
00:00:51 Il a par ailleurs blâmé la Russie pour la destruction du barrage hydroélectrique dans le sud de l'Ukraine.
00:00:57 La catastrophe a fait au moins cinq morts et plusieurs dizaines de disparus.
00:01:01 Et puis aux Etats-Unis, Donald Trump est en meeting.
00:01:05 Deux conventions républicaines sont organisées ce samedi en Géorgie, puis en Caroline du Nord.
00:01:10 Il s'agit de la première prise de parole publique du milliardaire depuis son inculpation par la justice fédérale,
00:01:16 inédite pour un ancien président américain.
00:01:19 Donald Trump est visé par 37 chefs d'inculpation pour avoir emporté des documents confidentiels
00:01:24 lors de son départ de la Maison-Blanche.
00:01:26 (Générique)
00:01:41 – Bonsoir, bienvenue sur le plateau des visiteurs du soir.
00:01:44 Il est 22h, on peut se poser les questions qui fâchent.
00:01:48 On se demandera tout à l'heure si l'État islamique est vaincu ou pas
00:01:52 avec Myriam Benrad et Adel Bakawan,
00:01:54 et s'il va vraiment falloir rationner les billets d'avion à quatre par personne,
00:01:58 et cela pour toute sa vie, avec Fergan Asiari et Nathael De Vallén-Horst.
00:02:03 Mais d'abord à 22h20, on va faire un état des lieux de la Ve République,
00:02:07 après la séquence désastreuse de la réforme des retraites,
00:02:11 avec Roland Quairol, l'ancien directeur de l'Institut de sondage CSA,
00:02:14 qui publie "Mon voyage au cœur de la Ve République".
00:02:17 Et Jérôme Saint-Marie, l'auteur de "Bloc contre bloc",
00:02:21 sondeur également, qui est désormais en charge de la formation
00:02:24 des cadres du Rassemblement National, bien qu'il n'en soit pas adhérent.
00:02:28 Il y aura également Laetitia Ries, la rédactrice en chef du Média en ligne,
00:02:33 le vent se lève.
00:02:34 Mais d'abord, on revient sur l'attaque au couteau à Annecy,
00:02:37 comment peut-on s'attaquer à des enfants ?
00:02:41 On s'est tous posé la même question, d'après ce qui s'était passé.
00:02:44 Marie-Estelle Dupont, vous êtes psychologue clinicienne,
00:02:47 vous vous passionnez pour les problèmes liés aux enfants,
00:02:54 à l'enfance plus exactement, et vous venez de publier
00:02:56 "Réussir son divorce" aux éditions La Rousse.
00:02:58 Roger Pauldroit, vous êtes philosophe,
00:03:00 vous êtes l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages,
00:03:02 dont "Esprit d'enfance" chez Odile Jacob en 2017.
00:03:07 C'est donc la même émotion qui nous étreint aujourd'hui
00:03:10 que nous avons connue quand Eric Schmitt,
00:03:12 alias "Human Bomb", a pris une maternelle en otage à Neuilly en 1993,
00:03:17 quand Mohamed Merah a battu trois enfants
00:03:19 dans la cour d'une école juive de Toulouse en 2012,
00:03:21 ou quand le corps du petit Ali Aylan,
00:03:24 un enfant de Syrien de trois ans,
00:03:25 a été retrouvé sur une plage turque en 2015.
00:03:27 Sa photo avait fait basculer l'opinion publique
00:03:29 en faveur de l'accueil des réfugiés syriens en Europe,
00:03:32 exactement comme le crime d'Annecy,
00:03:34 perprétré par un réfugié syrien,
00:03:37 pourrait provoquer la réaction inverse.
00:03:39 C'est devenu un crime absolu.
00:03:42 - Aujourd'hui, Marie-Estelle ?
00:03:43 - Alors, c'est devenu un crime absolu,
00:03:46 puisqu'en fait on touche à l'innocence,
00:03:47 on touche aux plus vulnérables,
00:03:49 mais on touche aussi à notre futur,
00:03:50 c'est-à-dire que la survie de l'espèce,
00:03:53 la civilisation est là pour protéger la survie de l'espèce.
00:03:55 Et donc il y a des cadres moraux,
00:03:56 il y a une éthique qui fait qu'il y a des lois avec un grand L
00:03:59 au-delà des petites lois historiques
00:04:00 qui, elles, sont toujours modifiables,
00:04:03 qui interdisent, il y a un tabou de l'inceste
00:04:06 et un tabou du meurtre,
00:04:06 qui interdisent de s'en prendre aux plus vulnérables
00:04:09 et qui obligent à porter secours aux enfants.
00:04:11 Donc il est évident qu'à partir du moment
00:04:13 où on s'en prend avec lâcheté à quelqu'un
00:04:15 qui ne peut pas se défendre,
00:04:16 à un bébé attaché dans sa poussette,
00:04:17 à un enfant de maternelle,
00:04:18 il est bien évident qu'on sort de l'entendement humain
00:04:20 et qu'on bascule dans la barbarie pure,
00:04:22 puisque cet individu ne peut pas se défendre.
00:04:24 Donc le combat est d'entrée de jeu parfaitement inhumain.
00:04:28 En revanche, là où vous avez raison,
00:04:29 c'est nouveau dans le droit.
00:04:31 C'est-à-dire qu'autrefois, au Moyen-Âge, etc.,
00:04:34 il était normal, du fait de cette morale,
00:04:36 du fait de ce sacré qu'il y avait dans la société,
00:04:39 immanent ou transcendant, selon qu'on soit croyant ou non,
00:04:41 il y avait un sacré qui interdisait de toucher à l'enfant.
00:04:44 Et puis, la déspiritualisation de la société
00:04:47 qui a commencé au début du XXe siècle,
00:04:49 a rendu nécessaire que le droit humain
00:04:51 et les petites lois définissent le cadre du droit de l'enfant.
00:04:55 L'infance n'existait pas sur le plan juridique.
00:04:57 Et donc on s'est aperçus, par exemple en neurosciences,
00:04:59 on s'est aperçus très tardivement
00:05:01 que les bébés avaient une proprioception,
00:05:03 une nociception, c'est-à-dire la perception de la douleur.
00:05:07 On pensait que le bébé était insensible.
00:05:09 Et donc, à partir de 1924, il y a un droit international.
00:05:14 En septembre 1924, la déclaration de Genève,
00:05:17 sur la base des travaux d'un médecin polonais qui s'appelle Korczak,
00:05:21 va dire "oui, il y a un respect de l'identité de l'enfant et de sa dignité".
00:05:24 Et ça va donner, après la Seconde Guerre mondiale,
00:05:26 du fait des atrocités qui ont été commises,
00:05:28 une déclaration universelle des droits de l'homme
00:05:30 qui reconnaît que la maternité et l'enfance
00:05:32 ont droit à une aide spéciale.
00:05:34 Puis, en 1959, la déclaration des droits de l'enfant.
00:05:37 Mais finalement, toucher à un enfant,
00:05:39 qu'il y ait un droit ou non, il y a un sacré.
00:05:42 Et ce sacré est aboli et on bascule dans le chaos.
00:05:45 C'est-à-dire que la civilisation est mise en pire.
00:05:47 Vous attaquez un bébé, mais vous attaquez aussi l'ordre social,
00:05:51 puisque c'est la survie de l'espèce qui est menacée.
00:05:55 - Roger Baldura ?
00:05:56 - Alors, je voudrais revenir sur le mot de "sacré"
00:06:00 qui peut avoir plusieurs sens.
00:06:02 Il me semble que, pour avoir longtemps,
00:06:06 toute ma vie, fréquenté les philosophes,
00:06:08 il n'y a que trois sources de la morale,
00:06:11 des valeurs, de l'éthique.
00:06:13 Ou bien c'est Dieu, et à ce moment-là,
00:06:16 on a une loi divine ou un décret de ce qui est bien,
00:06:20 mal, juste, injuste, qui est révélé d'une manière ou d'une autre
00:06:25 aux hommes, ou bien c'est la raison.
00:06:28 Et on élabore, par exemple, à travers les déclarations,
00:06:32 internationales, des droits de l'enfant ou des droits de l'homme,
00:06:34 quelque chose de rationnel pour l'humanité.
00:06:37 Ou bien c'est le cœur.
00:06:40 C'est ce que Rousseau dit à travers l'indignation
00:06:44 qui immédiatement nous étreint.
00:06:47 Ça suppose, et je serais pas loin de croire que Rousseau n'a pas tort,
00:06:51 même si d'autres disaient autre chose avant,
00:06:54 ça suppose qu'il y ait des sentiments universels.
00:06:58 Ça suppose que finalement, tuer, massacrer, égorger, maltraiter
00:07:04 des enfants sous les yeux de leur mère ou de leur entourage,
00:07:07 c'est quelque chose qui révulse de façon absolument universelle,
00:07:12 transhistorique et d'une certaine manière.
00:07:15 Je ne connais pas de culture,
00:07:18 quelle qu'elle soit à travers les siècles,
00:07:20 où aller massacrer des enfants sous les yeux de leur mère
00:07:25 soit quelque chose de glorieux, d'héroïque, de valorisé.
00:07:28 Ça n'existe pas.
00:07:30 Alors ça peut avoir lieu.
00:07:32 Et par exemple, on a vu des djihadistes massacrer des enfants azéris
00:07:37 en les regardant dans les yeux.
00:07:39 On a vu aussi évidemment les officiers nazis massacrer des enfants juifs
00:07:44 en les regardant.
00:07:47 Il faut passer au-dessus de quelque chose,
00:07:49 d'humains d'eux-mêmes qu'on a vus,
00:07:52 des Hutus massacrer des enfants Tutsis à la machette.
00:07:56 Comment, à chaque fois, il me semble,
00:07:59 quelle que soit la différence extrême de ces quatre figures,
00:08:01 il faut avoir quelque chose qui vous justifie,
00:08:06 au-delà de l'horreur, c'est-à-dire poser une vérité,
00:08:09 un sacré, encore plus sacré si j'ose dire,
00:08:12 que les sentiments humains,
00:08:13 quelque chose qui est tellement absolument vrai et supposé à faire
00:08:20 que ça justifie de passer au-delà,
00:08:23 de devenir finalement inhumain pour quelque chose qui est supposé bien.
00:08:27 À moins, encore, dernier cas de figure,
00:08:30 dernière hypothèse, que ça ne soit un cas de démence
00:08:33 et que finalement, face à des pulsions incontrôlables
00:08:39 internes à l'individu,
00:08:41 sans aucune justification possible idéologique,
00:08:45 il y ait cette forme, effectivement, de barbarie, d'inhumanité,
00:08:51 parce que, alors, on ne va pas enfoncer des portes ouvertes,
00:08:54 mais il est clair que chacun de nous,
00:08:57 finalement, immédiatement se sent en empathie avec cette horreur,
00:09:05 et avec les parents et avec les victimes,
00:09:08 parce que nous tous, nous avons pour les enfants,
00:09:12 une suraffection, une surabondance de protection,
00:09:16 d'inquiétude, d'amour,
00:09:19 qui est probablement aussi, et vous avez raison,
00:09:22 un phénomène plus contemporain.
00:09:24 Oui, c'est là où je disais, c'est devenu,
00:09:27 parce que je voulais dire, il n'y en a pas toujours été ainsi,
00:09:30 pendant la Seconde Guerre mondiale, vous l'avez dit,
00:09:32 les enfants étaient presque encore moins bien traités que leurs parents,
00:09:36 et jusqu'à une date assez récente,
00:09:39 il y avait des châtiments corporels,
00:09:42 les orphelinats étaient des prisons,
00:09:46 les maisons de redressement étaient des bagnes pour enfants,
00:09:49 j'ai l'impression qu'on a fait des progrès récemment.
00:09:51 Plusieurs choses.
00:09:52 Il est vrai que l'on considérait que l'enfant était personne,
00:09:55 et qu'aujourd'hui, on considère que l'enfant est une personne,
00:09:57 mais pour revenir simplement sur le point des actes de barbarie,
00:10:00 il faut bien comprendre que dans les actes de barbarie,
00:10:02 le fait de s'acharner sur un enfant est une stratégie de bouc-émissarisation,
00:10:06 dont parle très bien d'ailleurs René Girard,
00:10:08 c'est-à-dire qu'on sait qu'on va détruire l'adulte qui est en face,
00:10:11 et qui est impuissant à secourir cet enfant, en s'en prenant à l'enfant.
00:10:15 On fait un bouc-émissaire, et c'est une logique sacrificielle.
00:10:18 Pour revenir au mot d'empathie qui est très important,
00:10:20 en fait l'empathie, c'est une fonction cognitive
00:10:23 qui apparaît dans l'évolution à partir du moment où apparaissent les mammifères.
00:10:26 On a un cerveau émotionnel, limbique,
00:10:28 qui s'occupe de la mémoire et des émotions,
00:10:30 et cette empathie permet que tienne en fait un corps social,
00:10:34 parce que c'est la capacité à s'identifier aux émotions de l'autre.
00:10:36 Or aujourd'hui, on rencontre malgré tout
00:10:39 beaucoup d'adultes qui sont dissociés, qui sont clivés de leurs affects,
00:10:43 et qui ne peuvent donc pas s'appuyer sur cette capacité de s'identifier à l'autre,
00:10:46 c'est ce qu'on voit dans les cas de harcèlement scolaire notamment,
00:10:48 pour poser une limite à leur pulsion destructrice.
00:10:52 Donc la question de l'empathie aujourd'hui dans la société,
00:10:56 en fait elle se pose, c'est-à-dire vous, vous avez plutôt l'impression que ça va mieux,
00:10:59 mais sur le plan du droit ça va mieux,
00:11:02 sur le plan de la structuration...
00:11:04 - La sensibilité, ça va mieux.
00:11:06 - Sur le plan de la reconnaissance du fait que l'enfant est une personne et n'est pas personne.
00:11:09 - Qu'il est sacré.
00:11:10 - Mais en tant que mère et psychologue, j'ai envie de vous dire, encore heureux,
00:11:13 il y a quand même des points sur lesquels le progrès ne va pas vers la mort.
00:11:16 - C'est gentil.
00:11:18 - Toutefois, sur le plan de la structuration psychique des individus,
00:11:22 on est quand même beaucoup moins encadré par des codes moraux,
00:11:25 par un surmoi, on voit bien en psychothérapie qu'on a des profils
00:11:28 où les gens n'ont plus ce surmoi, cette instance qui leur permet
00:11:31 de réguler leurs impulsions, de différer le passage à l'acte.
00:11:34 Et donc, on voit bien que ce sont des gens qui vont être dissociés de leurs affects,
00:11:38 qui ne vont plus pouvoir recourir à ce sentiment d'empathie
00:11:41 pour arrêter un geste agressif.
00:11:45 - Vous n'avez pas le droit ?
00:11:46 - Oui, je crois qu'il y a une question qu'il faut poser,
00:11:49 c'est de savoir aussi pourquoi nous sommes aujourd'hui
00:11:52 plus submergés par l'émotion, plus sensibles,
00:11:55 parce qu'il est tout à fait possible que le même type d'événement
00:12:00 à une autre époque et à fortiori, même simplement à quelques décennies près,
00:12:05 ne déclenche pas la même vague d'émotions, de commentaires.
00:12:11 Alors évidemment, il y a la diffusion médiatique,
00:12:14 il y a les caisses de résonance des chaînes d'info,
00:12:18 mais je crois qu'il y a aussi le fait que nous vivons une époque
00:12:22 qui veut de plus en plus tout contrôler.
00:12:24 - Non, dans le massacre des innocents, dans la Bible,
00:12:27 le fait de s'en prendre aux enfants est déjà le crime absolu,
00:12:32 le crime qui fait sortir le criminel du statut d'être humain quasiment.
00:12:36 C'est-à-dire qu'à partir du moment où vous en prenez un enfant,
00:12:39 vous déshumanisez l'enfant, vous déshumanisez la mère,
00:12:41 mais vous vous déshumanisez par votre acte barbare.
00:12:44 Et le massacre des innocents, ça date pas des années 60 quand même.
00:12:47 - Non, mais ce qui est contemporain, c'est la diffusion et l'ampleur
00:12:52 démographique, sociale, médiatique de cette émotion.
00:12:57 Il faut distinguer, si vous voulez, le jugement de l'ampleur
00:13:02 de l'émotion qui est diffusée.
00:13:05 Et là, il me semble que ce fait divers, qui en lui-même est consternant,
00:13:12 atroce, effroyable, a lieu en un temps et un moment, simplement,
00:13:20 et devient une affaire nationale, voire mondiale,
00:13:26 puisque c'est repris aussi partout, en raison non seulement des moyens
00:13:31 de diffusion, mais en raison de changements dans la sensibilité.
00:13:35 Je crois que c'est l'irruption de quelque chose d'absolument imprévisible,
00:13:41 incontrôlable, parce que quelle que soit la nécessité, évidemment,
00:13:45 de filtrer, de sécuriser, par définition, il n'y a aucune possibilité
00:13:52 de contrôler un individu qui...
00:13:55 - Mais vous n'avez pas l'impression que c'est devenu insupportable.
00:14:01 Et je pense que ça n'a certainement pas toujours été le cas, malheureusement.
00:14:06 Et c'est là où je dis, j'espère en tout cas, qu'on a fait des progrès
00:14:10 dans ce domaine-là.
00:14:11 On est tout à coup beaucoup plus protecteurs avec nos enfants.
00:14:15 C'est devenu un bien plus précieux, plus sacré que ça ne l'était.
00:14:18 Vous avez tout à fait raison. Dans la Bible, ça a toujours été le cas.
00:14:21 Et dans la morale publique, ça a toujours été le cas.
00:14:23 On ne s'en prend pas aux enfants.
00:14:25 Mais les sensibilités étaient malheureusement plus rugueuses.
00:14:29 - Montaigne dit "j'ai eu trois ou quatre enfants".
00:14:32 - Non, il y a la question de la mortalité infantile.
00:14:35 - Oui, mais il ne sait pas...
00:14:36 - De nos jours, on meurt rarement d'éclampsies en perdant le bébé
00:14:39 et on est très déçant.
00:14:40 La question de la mort de l'enfant, l'attachement, vient.
00:14:42 - Sans doute.
00:14:43 - Il venait un peu plus tard, parce qu'il y avait des mécanismes de défense
00:14:45 qui faisaient que quand une femme savait qu'elle aurait 12 grossesses
00:14:47 et qu'à l'arrivée, elle perdrait 6 ou 7 enfants,
00:14:49 il est bien évident qu'elle se verrouillait contre ses émotions.
00:14:52 Mais ce lien d'attachement, il est viscéral, il est très fort.
00:14:56 Et quand vous dites qu'on a fait des progrès, c'est vrai que c'est difficile.
00:14:59 Je ne veux pas vous contredire pour le plaisir,
00:15:02 mais c'est difficile pour une psychologue qui a vu l'effondrement de la jeunesse,
00:15:05 notamment dans les années qui ont précédé la crise Covid,
00:15:08 et particulièrement depuis la crise Covid,
00:15:09 et c'est le sujet de mon livre qui sort en septembre,
00:15:11 l'état de la santé mentale de nos enfants.
00:15:13 Je suis obligée d'en conclure que nous avons une mauvaise anthropologie
00:15:16 et que notre société s'y prend très très mal
00:15:18 et que notre société a renoncé à offrir aux enfants
00:15:22 les cadres et les exemples dont ils ont besoin pour se structurer
00:15:25 et devenir des adultes équilibrés
00:15:27 qui ne passeront pas à l'aide sur d'autres enfants plus tard.
00:15:29 C'est le constat que je fais dans mon cabinet,
00:15:31 c'est le constat que les chiffres, malheureusement, reflètent
00:15:34 quand on voit la quantité d'enfants harceleurs,
00:15:36 quand on voit la quantité d'enfants qui passent aux urgences,
00:15:39 encore 300 sont passés aux urgences de moins de 15 ans pour des gestes suicidaires.
00:15:43 Donc je ne peux pas me glorifier après trois ans
00:15:46 à accueillir des enfants dans un état catastrophique
00:15:49 sur le plan de la santé physique et mentale,
00:15:51 je ne peux pas me glorifier de ce que fait la société contemporaine pour la jeunesse.
00:15:56 - Roger Poldoron ?
00:15:57 - Oui, mais la question me paraît différente,
00:16:00 de savoir pourquoi nous sommes si sensibles
00:16:04 et si submergés d'émotions à partir de ce fait diverti.
00:16:09 - Mais la question...
00:16:10 - Ah, mais c'est très intéressant.
00:16:11 - Est-ce que vous n'avez pas l'impression, pardon de vous interrompre,
00:16:13 c'est plutôt pourquoi nous étions moins sensibles au conflit ?
00:16:16 C'est plutôt cette question-là qu'on peut se poser.
00:16:18 - Non, mais je pourrais répondre à monsieur en lui disant que là où il a tout à faire les uns...
00:16:20 - Tellement ça nous paraît évident aujourd'hui.
00:16:21 - Mais qu'en fait, monsieur dénonce un écueil dans l'éducation
00:16:24 qui est le sentimentalisme.
00:16:26 Et quand vous lisez Winnicott, quand vous lisez Philippe Jamey,
00:16:29 vous comprenez bien qu'éduquer un enfant, c'est lui donner des cadres
00:16:31 et que l'amour ne permet pas le sentimentalisme.
00:16:33 C'est qu'on est dans un émotionnel qui est monté en épingle,
00:16:36 parfois de manière inappropriée,
00:16:38 mais qu'à côté de ça, on n'est pas capable de leur donner la véritable tendresse
00:16:41 qui est une tendresse structurante avec des limites.
00:16:43 - Oui, mais je ne parle pas...
00:16:44 - Et je pense qu'on ne peut pas confondre les deux.
00:16:45 - Je ne parle pas de l'éducation des enfants,
00:16:48 ni de leur psychisme actuel.
00:16:51 Je parle de l'émotion vis-à-vis d'enfants attaqués
00:16:58 dans la France d'aujourd'hui.
00:17:01 Et il me semble que derrière cette sursensibilité à l'attaque d'enfants,
00:17:07 il y a le fait notamment que nous voulons,
00:17:11 en sous-main dans des tas d'aspects de notre société,
00:17:15 éliminer du négatif.
00:17:17 Que le négatif soit réduit, c'est une cause noble
00:17:21 et tout le monde est d'accord,
00:17:22 qu'il soit supprimé totalement dans le hasard,
00:17:26 dans la violence, dans le meurtre, dans le sadisme, etc.
00:17:32 C'est impossible.
00:17:33 C'est-à-dire qu'il faut bien évidemment savoir
00:17:38 que quelles que soient les vertus de nos processus de sécurité,
00:17:44 que quels que soient les efforts que nous faisons,
00:17:46 je pense à Nietzsche si vous voulez, Nietzsche dit que dire oui à la vie,
00:17:50 c'est bien évidemment dire oui à l'amitié, à la jouissance,
00:17:54 à la tendresse, à la beauté, à l'amour, à la solidarité,
00:17:58 mais c'est dire oui aussi, parce que ça n'est qu'un seul lot
00:18:01 à la crasse, à la misère, à la violence, à la trahison, à la pauvreté.
00:18:05 Alors si je peux me permettre de vous répondre en deux phrases,
00:18:08 parce que je pense que nous vivons dans une époque très paradoxale,
00:18:10 où on observe d'une part un déni du mal.
00:18:13 Moi je vois bien, à chaque fois que quelque chose d'abominable existe,
00:18:16 le premier réflexe c'est d'appeler un psy en disant "est-ce que la personne est malade ?"
00:18:19 Mais on peut être malade et ne pas commettre d'actes criminels
00:18:22 et on peut ne pas souffrir de pathologie mentale,
00:18:25 ne pas avoir l'excuse de la psychiatrie et commettre des actes abominables.
00:18:28 Donc il y a un déni du mal. On voudrait se raconter que le mal n'existe pas,
00:18:31 on voudrait être un peu dans une idéologie rousseauiste,
00:18:33 où de toute façon l'homme n'est perverti par la société et il est parfait.
00:18:37 Mais à côté de ça, et c'est très paradoxal et c'est très pernicieux,
00:18:40 il y a une banalisation de la violence qui est absolument hallucinante.
00:18:43 Moi quand je parle avec des professionnels de la petite enfance, etc.,
00:18:46 je vois une banalisation de la violence, de la violence quotidienne faite aux enfants
00:18:51 et pour moi la violence c'est aussi l'absence de sanctions et l'absence d'interdits.
00:18:54 Attention, je ne suis pas du tout dans une logique de la permissivité,
00:18:58 il est interdit d'interdire.
00:18:59 Et je pense que ce paradoxe est vraiment caractéristique de notre époque.
00:19:03 D'un côté le déni du mal, d'un autre côté la banalisation de la violence,
00:19:06 parce que quand vous dites "pourquoi on surréagit ?"
00:19:08 Pardon, je suis mère de famille et je suis psychologue,
00:19:10 quand je vois des bébés trucider dans une poussette
00:19:12 dont ils ne peuvent même pas tomber pour se sauver la vie, je pleure.
00:19:16 Et je pense que ce n'est pas de la sensiblerie de ma part.
00:19:19 Je vous interromps là parce qu'on est obligés de s'interrompre.
00:19:23 Je remercie Roger Paule-Droit de nous avoir, d'être venu ce soir,
00:19:27 vous nous quittez dès maintenant.
00:19:29 Et on se retrouve dans un instant avec Laetitia Harris.
00:19:31 On va parler crise de régime ou pas crise de régime.
00:19:35 Laetitia Harris, la rédactrice en chef du Média en ligne Le Vent se Lève,
00:19:43 nous a rejoints. Bonsoir, bienvenue.
00:19:45 La bataille de la réforme des retraites a normalement,
00:19:49 normalement pris fin cette semaine, lorsque Yael Bouroun-Pivet,
00:19:52 la présidente de l'Assemblée nationale, a agité l'article 40 de la Constitution
00:19:56 et que la dernière tentative d'abrogation de la loi a été retirée par le groupe Lyo.
00:20:00 Mais deux tiers des Français restent hostiles au passage de l'âge légal
00:20:04 du départ à la retraite de 62 à 64 ans.
00:20:06 Et beaucoup de commentateurs considèrent que la séquence a été désastreuse
00:20:10 pour tout le monde, provoquant un véritable rejet de nos institutions.
00:20:14 Alors le fait qu'une majorité dans la population et à l'Assemblée
00:20:17 s'opposent à quelque chose et que c'est adopté quand même
00:20:20 est considéré comme un déni de démocratie.
00:20:23 En même temps, la démocratie, c'est le respect de la Constitution
00:20:26 et les partisans de la réforme des retraites ont beau jeu de répliquer
00:20:29 que la Constitution a été respectée.
00:20:31 Les deux visions, l'une défendant l'éthique, l'autre la légalité,
00:20:35 semblent irréconciables, irréconciliables, ce qui pose un sacré problème, non ?
00:20:41 - Bon, alors Carole ? - Écoutez, comme vous le résumez, oui.
00:20:46 Moi, je suis de ceux qui croient qu'il y a une crise démocratique,
00:20:50 mais pas forcément une crise de régime.
00:20:53 La démocratie ne fonctionne pas bien dans notre pays.
00:20:56 La démocratie représentative ne fonctionne pas bien
00:20:59 parce que les gens ont le sentiment que ces gens-là,
00:21:02 les politiques qui nous gouvernent, ne nous représentent pas
00:21:06 au sens propre du terme.
00:21:08 Ce ne sont pas des gens comme nous.
00:21:10 Ils ont leur propre logique dans leur bulle, ils font leur carrière,
00:21:14 ils viennent nous mentir dans les élections,
00:21:17 et puis ils se moquent de tout ce qu'on pense après.
00:21:20 Cette démocratie représentative, elle est socialement pas représentative non plus.
00:21:25 Et en plus, il n'y a pas de démocratie participative.
00:21:28 On est un pays qui a jusqu'à maintenant refusé toutes les formes de participation
00:21:33 plus ou moins directe des citoyens, que ce soit par référendum,
00:21:38 par participation à des conseils municipaux, des conseils de quartier,
00:21:42 tout ce qu'on voudra.
00:21:43 Donc ça ne marche pas bien.
00:21:45 Mais la Constitution existe.
00:21:48 C'est une Constitution assez formidable,
00:21:51 parce qu'on peut la tirer dans n'importe quel sens.
00:21:54 C'est une Constitution à la fois hyper présidentielle
00:21:57 et une Constitution qu'on appelle chez les juristes
00:22:00 un parlementarisme rationalisé.
00:22:03 Et tous les moyens qui ont été utilisés par le gouvernement à l'envie
00:22:08 dans cette réforme des retraites,
00:22:10 ils ont été chercher tous les articles possibles et imaginables
00:22:13 pour s'opposer à leurs opposants.
00:22:16 Tous ces articles permettent en effet à l'autorité gouvernementale
00:22:21 de s'exercer dans le respect d'une minorité qui est l'opposition.
00:22:26 Et ça fonctionne comme ça.
00:22:29 Le 49-3 est devenu le symbole pour beaucoup de Français
00:22:33 de la dictature quasiment.
00:22:36 - Le 40 aussi maintenant.
00:22:38 - Le 40 aussi, voilà.
00:22:40 Tous les articles utilisés.
00:22:42 J'ai même vu dans le journal Le Monde un article
00:22:45 d'un professeur de droit allemand qui nous disait
00:22:47 que dans la Constitution allemande, il n'y a pas de 49-3.
00:22:50 Il n'a pas lu la Constitution allemande,
00:22:52 parce qu'il y a pire que le 49-3.
00:22:55 En Allemagne, pour renverser un gouvernement,
00:22:57 il faut comme dans le 49-3, une majorité absolue
00:23:01 des membres composant le Bundestag qui votent contre.
00:23:04 Et il faut en plus qu'on se mette d'accord sur le remplaçant.
00:23:08 C'est-à-dire que ça n'a encore jamais existé.
00:23:11 Donc, ce n'est pas la dictature.
00:23:14 C'est une façon de dire le gouvernement gouverne
00:23:17 et il doit pouvoir dire à l'Assemblée,
00:23:19 écoutez, ce texte que je vous propose,
00:23:22 il fait partie de mon ADN.
00:23:24 C'est quelque chose de fondamental pour moi.
00:23:26 Donc, si vous n'en voulez pas, vous rejetez le texte
00:23:28 et en même temps, vous vous débarrassez de moi.
00:23:30 Moi, je ne vois pas là où est la dictature.
00:23:33 Donc, voilà, je crois qu'on n'a pas de crise de régime.
00:23:35 Je crois qu'on peut tirer ces institutions
00:23:37 dans un sens ou dans l'autre, selon la conjoncture politique.
00:23:41 Le Conseil constitutionnel, d'ailleurs habilement,
00:23:44 ne juge pas seulement en droit, mais aussi en opportunité.
00:23:48 Mais qu'on a une crise démocratique.
00:23:50 C'est ça qu'il nous faut savoir affronter dans les temps qui viennent.
00:23:54 On ne peut pas, ad vitam aeternam, fonctionner
00:23:57 comme si le peuple n'existait pas
00:23:59 et comme si on pouvait s'arranger entre partis politiques.
00:24:01 C'est plutôt une crise de régime, ça.
00:24:03 Parce que la démocratie, en France, personne ne la remet en cause.
00:24:06 On continue d'avoir envie de voter,
00:24:08 y compris pour des gens qui nous représentent.
00:24:10 Même si on voudrait la tempérer avec un peu plus de démocratie directe.
00:24:13 Non, ce n'est pas seulement ça.
00:24:15 Il y a quand même beaucoup de gens qui mettent en cause la Constitution,
00:24:18 qui nous disent qu'ils veulent changer de République.
00:24:20 Changer de régime, oui.
00:24:21 Voilà, et c'est ça qui ne me paraît pas le problème.
00:24:23 Les Français, ils s'en fichent des changements de régime.
00:24:26 Ils nous disent dans les sondages depuis 30 ans
00:24:28 qu'on veut garder l'élection présidentielle au suffrage universel direct.
00:24:33 C'est notre élection.
00:24:34 Ils croient à les Français qu'ils l'ont arrachée aux politiques,
00:24:37 alors que c'est le général De Gaulle qui le leur a proposé.
00:24:39 Donc ils sont pour ça et ils sont pour augmenter les droits du Parlement.
00:24:43 Moi, je crois que les Français n'ont pas de tort.
00:24:45 On peut garder cette Constitution, mais modifier sur ces deux points.
00:24:48 On fait une pause, on laisse Isabelle Piboulot nous faire le rappel des titres
00:24:53 et on reprend ce débat tout de suite après.
00:24:55 Face aux multiples règlements de comptes à Marseille,
00:25:01 les habitants font front commun.
00:25:03 Une centaine de personnes se sont rassemblées devant la mairie
00:25:06 pour soutenir les familles des victimes.
00:25:08 La population appelant les pouvoirs publics à réagir davantage.
00:25:12 De nombreux drames ont endeuillé les quartiers populaires de la cité fosséenne
00:25:15 sur fond de rivalités liées au trafic de drogue.
00:25:18 23 morts sont à déplorer depuis le début de l'année.
00:25:21 La fête a tourné au drame à Clary-Saint-André dans le Loiret.
00:25:25 Vers 14h, une voiture a heurté une foule lors d'un mariage,
00:25:29 faisant 8 blessés, dont 3 en urgence absolue.
00:25:32 Près de 70 pompiers et 25 gendarmes ont été déployés.
00:25:36 La préfecture appelle les personnes qui disposeraient de photos
00:25:39 à les mettre à la disposition des services pour les besoins des investigations.
00:25:43 Mais à ne pas en faire usage sur les réseaux sociaux.
00:25:47 Drapeau, tricolore en main, la légende du basketball Lebron James
00:25:51 a donné le départ des 24h du Mans cet après-midi,
00:25:54 à l'occasion du centenaire de la course.
00:25:57 En pole position sur le circuit Bugatti, la Ferrari n°50 a rétrogradé à la 2ème place
00:26:02 au profit de la Toyota n°8, victorieuse l'an dernier au Mans.
00:26:06 La voiture de l'équipe japonaise est pour l'heure en tête de cette édition.
00:26:12 Quand la majorité relative et l'opposition s'accusent mutuellement
00:26:17 de ne pas respecter la démocratie, est-ce que c'est une crise de régime, Laetitia Ries ?
00:26:22 Je crois qu'effectivement c'est plutôt une crise démocratique,
00:26:26 je vous rejoindrai là-dessus, mais ça dépend de ce qu'on entend par démocratie.
00:26:31 Vous avez dit tout à l'heure, la démocratie du côté de la majorité,
00:26:35 c'est le respect de la constitution.
00:26:37 Je crois qu'il y a beaucoup de philosophes politiques
00:26:39 qui bondiraient à cette définition de la démocratie,
00:26:41 puisque la démocratie c'est avant tout le respect du pouvoir du peuple
00:26:45 et de la souveraineté populaire.
00:26:47 Ici, on sort d'une séquence où on a un pays qui s'est massivement mobilisé,
00:26:53 aussi bien à travers ses syndicats qu'à travers des manifestations légales,
00:26:58 et un Parlement qui a démontré sa détermination,
00:27:02 aussi bien via les différents partis politiques
00:27:05 que via des unions invraisemblables qu'on n'aurait pas imaginées avant cette séquence.
00:27:09 Donc on a bien là la preuve que la société a été contre cette réforme.
00:27:13 Et elle reste contre d'ailleurs, je crois, d'après toutes les études d'opinion.
00:27:16 Et elle reste effectivement contre, et ce qu'elle signale,
00:27:19 c'est qu'effectivement cette crise a finalement révélé
00:27:22 l'ampleur de ce gouffre démocratique entre les aspirations d'un pays
00:27:27 et ce qu'il est possible de faire.
00:27:28 Et on disait tout à l'heure que ces institutions sont très flexibles,
00:27:30 et c'est vrai, on peut y voir à la fois quelque chose d'assez réjouissant,
00:27:35 puisqu'on pourrait se dire très bien, on s'adapte ainsi à tous les moments de l'histoire,
00:27:38 mais on peut aussi s'inquiéter de ce qui se passe aujourd'hui.
00:27:40 Parce que ça veut bien dire qu'on peut les tirer d'un côté
00:27:43 qui est radicalement différent de ce qui se joue dans une société,
00:27:45 et donc provoquer des blocages et provoquer beaucoup de cristallisation,
00:27:48 et surtout se rendre compte aujourd'hui à quel point l'ambiance dans le pays s'est radicalisée,
00:27:54 et effectivement, je crois que les...
00:27:58 Il y a un problème.
00:27:59 Il y a un problème.
00:28:00 Gérard de Saint-Marie.
00:28:01 Oui, alors j'entends cet hommage finalement,
00:28:03 c'est un hommage au sondage, parce qu'on dit finalement le pays est contre,
00:28:07 parce qu'il y a 70% des Français, grosso modo, à un sondage qui était hostile à cette réforme,
00:28:13 et ça s'est levé encore beaucoup plus haut parmi les seuls actifs.
00:28:16 Mais c'est un sondeur qui parle, il n'y a pas que les sondages dans la vie,
00:28:20 il y a aussi les élections.
00:28:21 Et je pense que ce discours tenu par les oppositions,
00:28:24 et notamment par la dupesse, sur la crise de régime, sert à effacer les traces.
00:28:28 Sert à effacer les traces, c'est-à-dire les traces du scrutin présidentiel
00:28:33 et de l'attitude de la dupesse, notamment de Jean-Luc Mélenchon,
00:28:36 entre les deux tours.
00:28:37 Parce qu'il faut quand même bien voir qu'Emmanuel Macron,
00:28:41 qui a été réélu largement au second tour, qui a accru son score au premier,
00:28:46 qui est passé de 24 à 28% en 5 ans.
00:28:48 Emmanuel Macron a fait une campagne assez courte,
00:28:50 il y avait une seule chose qui était vraiment claire dans son programme,
00:28:54 c'était que la retraite allait passer, l'âge de départ à la retraite, à 65 ans.
00:29:00 Et les oppositions, et notamment la gauche,
00:29:03 feignent de découvrir que quand on vote pour un candidat
00:29:06 qui promet la retraite à 65 ans,
00:29:09 eh bien finalement on a plutôt de la chance de s'en sortir avec une retraite à 64 ans.
00:29:14 Là pour le coup on n'est pas du tout dans la trahison par les politiques de leur promesse.
00:29:20 Il avait fait la promesse, Emmanuel Macron, d'une retraite à 65 ans.
00:29:24 Il a reçu pour cela l'appui de 28% du camp électoral au premier tour.
00:29:29 On pourrait même ajouter, je ne vais pas me faire la vocale d'Emmanuel Macron,
00:29:32 ce n'est pas tout à fait moron à l'habituel, mais tout de même,
00:29:35 on pourrait même ajouter qu'il y avait d'autres candidats
00:29:37 qui soutenaient également le report de l'âge de la retraite,
00:29:41 je pense à Éric Zemmour, à Valéry Pécresse,
00:29:43 ça commence à faire du monde au premier tour.
00:29:45 Et ce qui est très surprenant, et ce que payent la gauche et les syndicats,
00:29:49 et qui vont payer, à mon avis, très sévèrement dans les mois qui viennent,
00:29:53 c'est le fait que non seulement on savait cela,
00:29:56 on savait aussi qu'il y aurait sont un second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
00:30:01 Ce n'était pas inévitable, mais c'était ce que les sondages annonçaient.
00:30:04 Qu'à aucun moment, ni avant le premier tour, ni entre les deux tours,
00:30:08 il n'est conditionné leur ralliement massif à Emmanuel Macron,
00:30:12 ni eux, ni les syndicats, je me souviens de l'appel le 23 avril de M. Martinez
00:30:20 et le nom de Laurent Berger dans le JDD,
00:30:25 qui appellent à voter contre Marine Le Pen.
00:30:28 Ce sont deux syndicalistes, les deux principales centrales,
00:30:31 et qui ne font pas mention, on leur rappelle d'ailleurs, de la réforme des retraites.
00:30:35 C'est la seule chose qu'on connaît de manière certaine dans le programme de Macron.
00:30:38 Donc, s'ils voulaient, effectivement, ils se sont mis dans une situation un peu compliquée
00:30:42 par rapport à leurs électeurs, notamment les actifs modestes,
00:30:46 notamment les classes populaires, tout simplement.
00:30:48 Et du coup, là, ils brandissent l'argument démocratique, à mon avis, à contresens,
00:30:53 et ils parlent de ces généralités sur la crise de régime,
00:30:57 alors que, tout simplement, ils n'ont pas voulu s'opposer à cette réforme
00:31:01 lorsqu'il était temps, c'est-à-dire au moment du scrutin.
00:31:04 – Alors, il y a une question que je n'avais pas posée,
00:31:06 mais plus particulièrement à vous, Marie-Estelle Dupont, en tant que psy,
00:31:09 c'est la question de ce qu'on appelle le syndrome de l'homme fort.
00:31:12 C'est-à-dire qu'en France, on veut un homme providentiel, un homme fort,
00:31:16 qui monopolise le devant de la scène, capable d'éclipser les corps intermédiaires
00:31:22 pour réformer le pays, mais quand il le fait, on l'accuse d'autoritarisme.
00:31:26 Ça peut paraître étrange comme ça, mais peut-être pas à vous.
00:31:30 – Oui, il y a toujours de l'ambivalence chez l'être humain,
00:31:34 et cette ambivalence, elle s'exprime y compris sur son rapport aux politiques,
00:31:37 et puis il y a toute l'histoire de la France aussi, avec le rapport à la monarchie,
00:31:42 et en même temps ce désir révolutionnaire de renverser le rapport de force.
00:31:49 Mais, ceci étant dit, je ne pense pas que ce soit ça qui se joue en ce moment.
00:31:54 Je crois que ce qui se joue, c'est vraiment, réellement,
00:31:57 mais ça a déjà été dit sur beaucoup de plateaux,
00:31:59 ce sentiment d'une déconnexion totale avec les élites dans une bulle,
00:32:04 et la réalité de ce que vivent les gens au quotidien,
00:32:08 et le sentiment de ne pas du tout être entendu.
00:32:10 Parce qu'on peut avoir un monarque assez autoritaire,
00:32:12 on peut tolérer un certain nombre d'interdits dès lors qu'ils font sens, en fait.
00:32:17 – Pardon de vous interrompre, mais pour l'élite, pour le monarque dont vous parlez,
00:32:21 ça fait sens, il l'a dit, il faut faire une réforme des retraites, sinon c'est la catastrophe.
00:32:26 – C'est un dialogue de sourds, parce que c'est un sens insensé pour le peuple,
00:32:30 puisque pour la réforme des retraites, une des manières de comprendre cette colère,
00:32:34 c'est quand même la question du contexte, c'est-à-dire qu'à un moment donné,
00:32:37 on leur dit qu'il n'y a plus du tout d'argent pour les retraites,
00:32:41 alors que ces gens, deux ans avant, ont assisté au quoi qu'il en coûte,
00:32:45 ont assisté à énormément de dépenses publiques,
00:32:48 et moi je ne suis pas du tout dans l'analyse politique,
00:32:51 et moi-même j'ai beaucoup de sujets sur lesquels je ne sais pas exactement quelle est mon opinion.
00:32:55 Mais quand j'essaye d'écouter la colère que j'entends chez mes patients,
00:32:59 ils me disent "mais c'est insupportable qu'un jour,
00:33:02 il y ait de l'argent magique à plus savoir quoi en faire,
00:33:05 et que le lendemain, on ne puisse pas attendre six mois,
00:33:09 on ne puisse pas tolérer quelqu'un, il y a un travail pénible,
00:33:12 qu'il fasse des burn-out et que de toute façon, ce soit contre-productif économiquement
00:33:15 parce qu'il sera en arrêt de travail prolongé,
00:33:18 donc l'entreprise n'aura pas son salarié opérationnel".
00:33:21 Et je pense que cette sorte de rigidité et de déconnexion entre les élites et le peuple,
00:33:25 en ce moment, s'exprime avec une colère qui a été refoulée,
00:33:28 parce que l'argument "massue de la santé publique" a fait taire
00:33:31 toute la culture de la manifestation en France à un moment donné,
00:33:35 et que cette colère n'est pas uniquement le fait de militants politiques,
00:33:39 elle n'est pas uniquement sur l'objet des retraites,
00:33:42 elle va couver comme un feu qui mouronne,
00:33:45 et je pense qu'elle va continuer à s'exprimer de diverses manières,
00:33:48 mais en tout cas, elle est toujours là, la colère.
00:33:50 – Roland Caron ?
00:33:51 – Je ne crois pas à cette histoire des traces profondes
00:33:55 qui restent une fois que les réformes sont adoptées.
00:33:59 On le dit chaque fois, c'était la 8ème réforme des retraites depuis 1982,
00:34:05 à part la réforme Touraine qui est passée sans que personne ne la voie,
00:34:09 elle avait eu l'habileté de ne pas toucher à l'âge légal,
00:34:12 ce qu'aurait peut-être dû faire le président sur ce coup-là,
00:34:16 peu importe, mais sous toutes les autres, on a eu la même opposition,
00:34:22 les sondages étaient à peu près les mêmes,
00:34:25 et si je peux me permettre, la mobilisation très supérieure,
00:34:29 parce que moi je veux bien des mobilisations historiques,
00:34:32 mais enfin par rapport à 1995 où on avait un pays à l'arrêt
00:34:37 pendant des semaines, et avec un arrêt joyeux,
00:34:40 les gens s'entraidaient, se prenaient en bagnole…
00:34:43 – Mais parce qu'à l'époque, les syndicats jouaient la carte
00:34:45 de la grève reconductible, ce qu'ils ne font plus maintenant.
00:34:48 – Peut-être, en tout cas, ça s'est passé comme ça,
00:34:50 et même en 2010, il y a eu une mobilisation très supérieure
00:34:54 avec des taux de présence dans les manifestations très supérieurs.
00:34:58 Donc il y a eu là, je crois que les gens n'ont pas protesté seulement
00:35:03 sur la réforme des retraites, je crois qu'ils ont protesté
00:35:06 sur le malaise dont vous parliez, cette espèce de souffrance au travail,
00:35:11 très française, la retraite est passée à peu près à 67 ans
00:35:16 dans tous les pays d'Europe, sans la moindre manifestation,
00:35:20 y compris dans des pays qui sont très habitués à faire des manifs,
00:35:24 nous qui en avions un peu perdu le sens, même si elles étaient moins fortes
00:35:28 qu'avant, il y a eu des manifs parce qu'on protestait en même temps
00:35:32 sur les retraites, sur les conditions de travail, sur les salaires,
00:35:35 sur l'inflation, bref, sur ce sentiment qu'il y a quelque chose
00:35:38 qui ne va pas dans le travail, et ça se voit dans toutes les enquêtes,
00:35:41 ce n'est pas seulement sur les retraites, on voit que les Français
00:35:45 se plaignent beaucoup plus de leurs conditions de travail
00:35:48 que tous les Européens. Donc je crois qu'il y a quelque chose
00:35:50 de particulier qu'il va falloir aborder, maintenant,
00:35:53 dans le fameux pacte social dont on nous parle,
00:35:56 et il paraît qu'on va changer les méthodes pour y arriver, tant mieux,
00:36:00 si on devient nous aussi des pratiquants du dialogue social,
00:36:04 on était les seuls à ne pas le pratiquer, c'est bien si on devient des pratiquants,
00:36:09 mais voilà, je crois qu'on est en train de s'apercevoir qu'à travers
00:36:13 cette réforme des retraites, à laquelle les gens se sont résignés très tôt,
00:36:17 dès le début des manifestations, 80% ont dit aux sondeurs,
00:36:23 sans arrêter, que la réforme aboutirait et serait appliquée.
00:36:27 Donc il y a une espèce de fatalisme qui, en même temps,
00:36:31 est dans la société française, l'argument démographique a pesé
00:36:35 depuis longtemps sur ces réformes continues, probablement ça jouera encore
00:36:40 dans 5 ou 6 ans pour la prochaine réforme.
00:36:42 Jérôme Saint-Marie ?
00:36:43 Un peu moins d'accord avec Roland Quirole cette fois-ci,
00:36:45 je crois que c'est pas tout à fait de la résignation,
00:36:47 c'est de l'intelligence élémentaire du citoyen, qui sait,
00:36:50 qui en plus a eu l'expérience...
00:36:51 Nous sachons dire les choses.
00:36:52 C'est l'expérience en plus que vous signaliez, de la grande réforme précédente
00:36:56 qui est celle de 2010, menée par François Fillon,
00:37:00 où effectivement la mobilisation, on l'a effectivement oubliée
00:37:03 pendant ces derniers mois, mais était énorme, j'ai entendu des sociologues
00:37:05 éminents nous raconter que c'était un climat pré-révolutionnaire,
00:37:08 pré-insurrectionnel, mais ça c'est leur mauvaise conscience,
00:37:11 à mon avis, électorale qui parle, mais ça c'est mon analyse personnelle.
00:37:13 Mais tout de même, je crois qu'il y a tout un discours
00:37:19 qu'on entend parfois sur le sens du travail, sur la souffrance au travail,
00:37:23 quand on regarde quand même ce que nous disent les gens,
00:37:25 également qui réagit ou pas, on voit bien que c'est aussi des raisons
00:37:29 très matérialistes, c'est-à-dire que beaucoup de Français
00:37:31 savent très bien, beaucoup d'actifs, que leur problème n'est pas
00:37:34 qu'ils vont travailler plus longtemps, c'est qu'ils ne pourront pas
00:37:36 travailler plus longtemps, et que donc il y aura une décote en plus
00:37:39 quand ils partiront à la retraite.
00:37:41 Je crois que, encore une fois, moi je suis, enfin c'est un analyste
00:37:43 comme souvent, assez matérialiste, mais je pense que les gens
00:37:46 ont une réaction très concrète, après, ils sont effectivement
00:37:50 dans une seringue, et ils voient bien qu'ils ne peuvent pas lutter
00:37:53 de la même manière qu'ils ne peuvent plus en réalité se mettre en grève.
00:37:56 Laetitia Ries ?
00:37:58 Oui, alors, une troisième manière de dire les choses,
00:38:00 résigner très tôt l'intelligence élémentaire du citoyen,
00:38:03 ou plutôt un symptôme assez inquiétant dans les deux cas,
00:38:06 puisque tous les deux, en fait, si on vous entend bien,
00:38:09 ce que vous nous dites, c'est finalement plus personne
00:38:11 ne veut faire de politique, alors qu'en fait, je crois que c'est aussi,
00:38:14 c'est un sujet qui peut se poser, et est-ce qu'effectivement
00:38:17 on ne veut plus faire de politique de manière au sens absolu,
00:38:20 ou est-ce qu'au contraire, on ne veut plus jouer ces règles-là ?
00:38:23 Et c'est aussi sans doute de ce point de vue-là que les questions institutionnelles
00:38:26 aujourd'hui reviennent sur le devant du débat public,
00:38:30 puisque ça pose quand même la question de à quel contrat social
00:38:32 on a consenti, pour reprendre les termes d'un philosophe,
00:38:36 en l'occurrence Rousseau, et de réfléchir finalement
00:38:39 à cette nouvelle génération qui est arrivée sur les scènes politiques
00:38:45 qui n'étaient pas celles qui a manifesté, évidemment,
00:38:48 il y a plusieurs décennies, qui se pose la question de selon quelles règles,
00:38:51 selon quels contrats on veut vivre.
00:38:52 Et quelque chose m'a beaucoup frappée dans vos discussions,
00:38:55 le mot monarque est revenu aussi.
00:38:57 Alors certes, j'entends la figure rhétorique, et puis on en parle
00:39:01 pour la cinquième de monarchie présidentielle,
00:39:03 mais la question que moi je me pose aujourd'hui en tant que citoyenne aussi,
00:39:06 c'est dans quelle mesure c'est inquiétant de voir surgir,
00:39:09 comme si ça allait de soi, de parler de monarque
00:39:11 dans un pays qui se dit et démocratique et républicain.
00:39:14 Ça fait très longtemps qu'on parle de monarque et de monarchie républicaine,
00:39:17 c'est pas nouveau.
00:39:18 Non, je sais bien que tu parles...
00:39:20 Ensemble, il fera faire des trucs là-dessus.
00:39:21 Mais je pense que ça n'a rien de nouveau, mais simplement,
00:39:24 dans la facilité avec laquelle ça se repose dans le débat,
00:39:28 qui en fait devrait de cette manière nous inquiéter aussi,
00:39:31 puisque l'histoire républicaine de ce pays a aussi été une histoire
00:39:34 fondamentalement anti-monarchiste,
00:39:36 à ne pas dire que l'histoire française n'est pas divisée, évidemment,
00:39:40 mais je crois que c'était les deux éléments sur lesquels je voulais en parler.
00:39:43 Juste, pardon, c'est pour relancer ce que vous êtes en train de dire.
00:39:46 On a pu constater le peu de pouvoir dont dispose le Parlement en France.
00:39:52 On en a eu la preuve, si elle nous manquait.
00:39:55 Et pourtant, j'ai pas l'impression que les gens veulent revenir
00:39:58 à la 3e ou à la 4e République, ni qu'ils veulent tellement
00:40:02 que le Parlement ait plus de pouvoir.
00:40:04 J'ai l'impression que ça les a juste fâchés avec les institutions, en général.
00:40:08 Donc, vous parlez de monarque, mais j'ai pas l'impression
00:40:12 qu'on ait envie de plus de parlementarisme et moins de présidentialisme.
00:40:16 Non, effectivement, je pense que les gens ont peut-être plus envie
00:40:19 de démocratie au sens de souveraineté populaire.
00:40:21 La question du référendum n'est pas arrivée non plus ce soir,
00:40:24 mais une des questions institutionnelles qui peut se poser aussi,
00:40:27 c'est comment on contrôle aussi bien nos élus parlementaires
00:40:30 que les responsables exécutifs.
00:40:32 Après, ce sont des arbitrages à trouver, effectivement,
00:40:35 à la faveur d'une réflexion institutionnelle,
00:40:37 mais sur cette question du Parlement, effectivement,
00:40:40 c'est pas forcément plus de responsables politiques qu'on désire,
00:40:43 mais plus de souveraineté politique.
00:40:45 Et ça, je crois que c'est quelque chose qui se traduit aujourd'hui.
00:40:47 - Pardon, vous en prie. - D'un mot.
00:40:51 - Dire simplement qu'à mon avis, c'est moins un problème d'institution
00:40:54 qu'un problème de pratique politique.
00:40:57 Au fond, on est un régime particulier en France
00:41:01 parce qu'on a cet alexandre au suffrage universel
00:41:04 et qu'on pense que du coup, on a ce monarque républicain
00:41:07 qui a une légitimité telle qu'il veut l'imposer.
00:41:10 Franchement, ça se passe comme ça dans tous les régimes parlementaires européens.
00:41:14 Quand vous votez dans la maire des parlements en Grande-Bretagne,
00:41:19 vous votez conservateur, vous savez que vous aurez Sounac comme Premier ministre
00:41:24 et c'est lui qui mène la campagne.
00:41:26 Les profs de droit constitutionnel anglais,
00:41:29 dans ce pays où il n'y a pas de constitution,
00:41:31 disent "le Premier ministre a tous les pouvoirs,
00:41:34 sauf changer un homme en femme".
00:41:36 Il me paraît que maintenant, ça pourrait se discuter.
00:41:39 En vérité, la personnalisation du pouvoir, la médiatisation,
00:41:43 tout ça existe dans tous les pays d'Europe.
00:41:45 Dire qu'il suffirait de passer à un régime parlementaire pour changer,
00:41:49 ce n'est pas vrai.
00:41:50 C'est pareil partout, y compris dans les deux pays
00:41:53 qui votent au scrutin majoritaire, qui sont la France et la Grande-Bretagne.
00:41:56 Donc je crois que quand les Français disent qu'ils s'en foutent des institutions,
00:42:00 c'est ce qu'ils répondent aux sondeurs, ça ne les concerne pas beaucoup.
00:42:03 Ils voudraient participer plus, ça c'est clair.
00:42:05 Mais sur les institutions, je crois qu'il n'y a pas vraiment de problème.
00:42:08 C'est un problème de pratique politique du pouvoir.
00:42:11 Les pouvoirs, Roland-Cairol, en fait, les Français approuvent très concrètement
00:42:16 la 5ème République.
00:42:17 Ils l'approuvent comment ?
00:42:18 En votant encore massivement, sa dernière élection,
00:42:21 ils votent massivement à la présidentielle.
00:42:23 Près de 7 sur 10 ont voté.
00:42:25 En fait, c'est assez stable la participation.
00:42:27 C'était faible en 2002, depuis c'est remonté,
00:42:29 et maintenant c'est assez stable.
00:42:30 Près de 7 sur 10 votent à la présidentielle.
00:42:32 Alors qu'ils étaient que la moitié à voter aux dernières législatives.
00:42:35 Premier point.
00:42:36 Le second point, c'est qu'à mon avis, ce que les Français réclament,
00:42:39 c'est aussi l'usage du référendum.
00:42:42 Et ça fait maintenant, je crois, 18 ans, depuis 2005,
00:42:46 qu'on n'a pas eu de référendum.
00:42:47 En plus, le résultat du référendum de 2005, comme on le sait,
00:42:51 n'a pas été respecté.
00:42:53 Et il a été détourné par un vote parlementaire,
00:42:56 trois ans plus tard, par le Congrès rassemblé à Versailles.
00:42:58 Ce n'est pas le meilleur modèle de démocratie parlementaire.
00:43:01 Dernière chose, ce qui est en crise, à mon avis, actuellement,
00:43:04 c'est beaucoup plus la manière dont fonctionne le Parlement,
00:43:08 et de manière différente.
00:43:10 Le 49.3, je crois que vous l'avez bien connu,
00:43:13 cette période a été beaucoup utilisée par Michel Rocard.
00:43:15 À chaque fois qu'on n'a pas la majorité absolue,
00:43:18 ça a été utilisé par...
00:43:19 Le 49.3, à mon avis, pose moins de problèmes.
00:43:21 Le général de Gaulle, quand même.
00:43:22 On n'aurait pas la force de dissuasion nucléaire
00:43:24 si le général de Gaulle n'avait pas utilisé trois fois le 49.3.
00:43:27 Je n'avais pas la majorité absolue non plus.
00:43:29 Je pense que le 49.3 pose moins de problèmes
00:43:31 que l'usage actuel de l'article 40
00:43:33 et la manière dont ça se passe au Parlement,
00:43:35 qui est assez confuse.
00:43:36 Elle est confuse de la part du gouvernement,
00:43:39 mais elle est très confuse de la part de l'opposition.
00:43:41 Je remets de nouveau en cause la NUPES,
00:43:43 qui refuse de faire alliance avec le RN sur
00:43:46 pour lutter contre cette réforme des retraites.
00:43:49 Donc, qui refuse l'union des classes populaires
00:43:51 au profit de l'union de la gauche,
00:43:53 et qui, par ailleurs, s'est calmé un petit peu
00:43:55 par l'attitude de la NUPES,
00:43:56 qu'on n'a pas eu de vote sur la loi.
00:43:58 C'est bien parce qu'à un moment donné,
00:43:59 il y a eu une obstruction parlementaire massive
00:44:01 qu'on n'a jamais eu de vote.
00:44:03 Et à l'époque, Jean-Luc Mélenchon, il y a quelques semaines,
00:44:05 nous a expliqué que c'était formidable,
00:44:07 que c'était même une réussite du groupe,
00:44:09 qui permettait de délégitimer la réforme
00:44:12 et qui permettait à la rue de s'y opposer efficacement.
00:44:16 On n'est pas dans un climat insurrectionnel.
00:44:18 Fort heureusement, ce n'est pas la rue qui va empêcher cela.
00:44:21 Quand on refuse de mener le combat aux élections,
00:44:23 puis après au Parlement,
00:44:24 quand on refuse de s'unir et d'unir les classes populaires
00:44:27 contre une réforme,
00:44:28 eh bien cette réforme s'applique.
00:44:29 Ce n'est pas un scoop.
00:44:30 On voit bien que personne ne s'en grandit de cette bataille.
00:44:32 Ni le président, ni la Première ministre,
00:44:34 ni l'opposition, ni les syndicats.
00:44:37 Marie-Estelle Dupont ?
00:44:39 Je n'avais pas du tout préparé cette question.
00:44:46 Je ne souhaite pas commenter
00:44:48 parce que je ne me sens pas légitimement sur le sujet.
00:44:50 Mais il n'y a pas de problème.
00:44:52 Roland Carole ?
00:44:53 Oui.
00:44:54 Personne ne s'en grandit de cette séquence ?
00:44:57 Forcément.
00:44:58 Tout le monde a joué un jeu de dupe.
00:45:01 Chacun a tiré la couverture
00:45:06 en essayant de montrer qu'ils étaient les plus forts.
00:45:09 Il y a tout de même des vainqueurs dans l'opinion,
00:45:12 qui est le mouvement syndical.
00:45:14 On avait quand même un mouvement syndical
00:45:16 qui avait de moins en moins de soutien dans le pays.
00:45:19 Je sais que dans la toute dernière période,
00:45:21 les sondages sont un petit peu en baisse pour eux.
00:45:23 Mais enfin, tout de même,
00:45:25 ils ont quasiment approché les 50% de Français et de salariés
00:45:30 qui font désormais confiance au syndicat.
00:45:32 Et pas seulement confiance au syndicat,
00:45:34 comme il le disait avant,
00:45:35 en cas de crise, pour défendre mes intérêts.
00:45:38 Ça, ça marchait encore pas mal.
00:45:40 Mais tout simplement, dans la situation actuelle,
00:45:43 pour ce qu'ils disent.
00:45:45 Là, je crois que, voilà, mon sentiment, moi,
00:45:48 mais peut-être que mes préférences personnelles
00:45:51 viennent influer mon analyse.
00:45:54 Mais Berger, je pense à jouer de façon incroyablement habile
00:45:58 l'ensemble de cet intersyndical.
00:46:01 Mais l'ensemble des syndicats,
00:46:03 tous ont réussi à se mettre d'accord sur une plateforme
00:46:07 et sur une conduite des choses
00:46:09 qui a été tout de même remarquée par les gens.
00:46:12 - Marie-Estelle Dupont.
00:46:13 - Sur le coup, j'ai été prise de cour.
00:46:15 Mais vraiment, ce que j'observe, moi, en tout cas,
00:46:17 à travers mes patients,
00:46:18 c'est qu'il y a une perte de confiance qui est problématique
00:46:22 parce que l'abstention,
00:46:24 qui augmente quand même considérablement,
00:46:27 même si les gens se déplacent encore pour la présidentielle,
00:46:30 l'abstention est très, très importante.
00:46:32 Les gens ont vraiment le sentiment que,
00:46:34 de toute façon, on se fout de nous.
00:46:36 De toute façon, ça ne change rien.
00:46:38 Si les élections servaient à quelque chose,
00:46:40 ça ferait longtemps qu'elles seraient interdites,
00:46:42 pour le dire entièrement.
00:46:43 Donc, de toute façon, ces bonnets blancs et blancs bonnets,
00:46:46 ce sont des magouilles.
00:46:47 Ça ne sert plus à rien.
00:46:48 Donc, ce qu'on ressent, le sentiment d'humiliation,
00:46:51 le sentiment d'injustice,
00:46:52 le sentiment de ne pas du tout avoir été compris,
00:46:54 le sentiment de ne pas être représenté,
00:46:56 finalement, eux, ils sont dans leur sphère.
00:47:00 Et donc, ça ne se traduit pas de manière effective par un acte.
00:47:05 Et effectivement, la blessure du référendum de 2005,
00:47:08 moi, j'ai beaucoup de gens dans mon entourage
00:47:09 qui ne votent plus depuis 2005 parce qu'ils ont voté non,
00:47:12 qu'on a mis ça à la poubelle
00:47:14 et que donc, ils se disent, donc, ça ne sert à rien.
00:47:16 Et cette perte de confiance, pour moi, elle est très inquiétante
00:47:19 parce que c'est là qu'il y a une sorte de...
00:47:21 La démocratie se vide de sa substance.
00:47:23 Puisque pour qu'il y ait démocratie,
00:47:25 il faut effectivement que le peuple pense
00:47:26 et que le peuple exerce cette liberté.
00:47:28 Et finalement, on dirait qu'il y a une sorte de dépression collective
00:47:31 où on renonce, on lâche la sphère politique
00:47:34 tellement on a perdu confiance.
00:47:36 - Laetitia Ries ?
00:47:37 - J'ajouterais, effectivement, sur ça,
00:47:39 qu'il y a aussi un élément assez cynique, finalement,
00:47:42 de la part de ceux qui nous vernent,
00:47:43 qui savent aussi très bien ce sentiment d'impuissance
00:47:45 et qui, d'une certaine manière, à la fois savent la résignation,
00:47:49 savent le sentiment de dépossession de la chose publique
00:47:52 et finalement se disent, bon, tant qu'on y va, ça va passer.
00:47:55 Et puis en plus, on a avec nous des arguments massifs.
00:47:58 On dira que c'est dans le programme,
00:47:59 on dira qu'il faut respecter le vote qui n'a pas lieu,
00:48:04 on dira que finalement, c'est dans l'intérêt des Français
00:48:06 qu'ils ne l'ont pas encore compris, mais ils le comprendront plus tard.
00:48:09 Et néanmoins, on peut entendre ces arguments.
00:48:11 C'est l'argument d'une majorité qui a été élue.
00:48:13 Ça fait partie du débat politique.
00:48:15 Néanmoins, je crois qu'on voit quand même là aussi
00:48:18 un débat qui est assez asymétrique.
00:48:19 Vous voyez, d'un côté, vous avez des responsables qui ont le pouvoir
00:48:23 face à des gens qui se sentent dépossédés du pouvoir
00:48:25 et qui ne savent plus comment y avoir droit à nouveau.
00:48:28 Et on leur explique que finalement, on va faire sans eux pour eux.
00:48:31 C'est quand même un grand problème.
00:48:33 La politique, c'est faire pour eux sans eux.
00:48:35 Oui, et là, on revient à la sémantique,
00:48:36 c'est-à-dire que la question de la manière dont on s'adresse aux gens
00:48:40 et le langage est quand même porteur d'un inconscient
00:48:42 et symptomatique et le langage politique est devenu très infantilisant
00:48:46 et en même temps très managériel.
00:48:48 On a l'impression d'être dans une réunion chez Danone,
00:48:51 dans un séminaire d'entreprise.
00:48:53 Et la manière dont on parle aux gens,
00:48:55 elle est véritablement mobilisatrice ou destructrice.
00:48:57 Et donc, je pense que la difficulté dans la démocratie actuelle
00:49:00 est aussi que nos politiques s'adressent à nous comme des managers.
00:49:03 C'est des technocrates pour les gens.
00:49:04 Ils sortent de les nards et ils ne sont plus du tout connectés
00:49:08 à la réalité du terrain.
00:49:10 Et donc, ils sont manipulables aussi par des lobbies.
00:49:12 C'est très présent dans ce que les gens rapportent.
00:49:14 C'est finalement la pression des lobbies est très forte
00:49:16 puisque ces gens étant déconnectés du terrain,
00:49:18 ils n'ont pas de retour d'expérience.
00:49:19 Et donc, ils vont faire du management.
00:49:21 Ils vont faire du management et ils vont nous infantiliser.
00:49:24 Effectivement, ils vont nous humilier en nous disant
00:49:25 "tu comprendras plus tard".
00:49:26 Mais alors, comment concilier le besoin de participation des citoyens
00:49:30 au XXIe siècle, qui est indéniable,
00:49:33 et avec l'autorité, la stabilité et le pouvoir en deux mots
00:49:38 dont ont besoin ceux qui nous gouvernent,
00:49:40 quels que soient ceux qui nous gouvernent ?
00:49:42 Est-ce que les deux sont compatibles ?
00:49:44 Oui, je ne sais pas.
00:49:45 Moi, je trouve quand même beaucoup plus trivial.
00:49:46 Je suis désolé que tout ce que j'entends,
00:49:47 c'est-à-dire que là, on est quand même dans une situation de crise
00:49:50 qui est beaucoup moins une crise institutionnelle
00:49:53 qu'une crise politique et qu'une crise du système partisan.
00:49:56 Il se trouve que, et c'est la faute de personne,
00:49:59 il se trouve, et surtout pas des institutions en réalité,
00:50:02 qu'il y a plusieurs oppositions et que ces oppositions
00:50:04 ne peuvent pas se mettre d'accord entre elles.
00:50:06 Tant et si bien qu'il y a un pouvoir minoritaire, dans l'opinion,
00:50:10 qui a été très largement reconduit et qui est donc légitime électoralement,
00:50:15 mais qui demeure minoritaire.
00:50:17 Dès qu'Emmanuel Macron a été réélu avec plus de 58% des suffrages exprimés,
00:50:21 ce n'est pas rien, il était aussitôt impopulaire.
00:50:24 Tout simplement parce qu'en face de lui,
00:50:26 et encore une fois, ce n'est pas de sa faute,
00:50:27 eh bien en face de lui, il y a des oppositions
00:50:29 qui ne veulent pas s'entendre.
00:50:31 Et ces oppositions, c'est la lecture que j'en fais,
00:50:33 l'histoire du bloc élitaire et le bloc populaire,
00:50:35 qui correspond à des intérêts sociaux qui sont désormais incompatibles.
00:50:40 Je crois, malgré tout, qu'il y a une opposition qui va souffrir,
00:50:43 c'est quand même l'opposition de gauche.
00:50:44 Et là, je ne serais pas un peu d'accord avec Roland Quairol,
00:50:48 je pense que quelle que soit la performance personnelle de Laurent Berger,
00:50:52 l'efficacité, la bonne tenue de la CFDT, la messe n'est pas dite.
00:50:57 Je ne suis pas sûr que leur bon score, actuellement, soit attiré là-dessus.
00:51:00 Il y a une phrase, je parle à un philosophe,
00:51:02 Hegel disait "le boison de mercure s'envole au crépuscule",
00:51:05 mes ancêtres disaient plutôt "c'est à la fin de la foire qu'on compte les bouses".
00:51:08 Et donc, tout simplement, c'est que là, il y a un problème.
00:51:12 Les syndicats, ils ont une fonction toute simple,
00:51:14 ce n'est pas de représenter une idéologie, etc.,
00:51:17 c'est de défendre les intérêts des salariés.
00:51:19 Ils ne le font pas tous avec la même conception,
00:51:21 il y a effectivement une approche originale de la CFDT depuis longtemps,
00:51:24 mais malgré tout, leur fonction, leur raison sociale,
00:51:26 c'est de défendre les intérêts des salariés.
00:51:28 Là, ils ont réussi à mobiliser, et à mobiliser en vain.
00:51:31 C'est-à-dire que les gens se sont déplacés,
00:51:34 certains ont fait grève, et on aboutit quand même à un échec total.
00:51:38 Et généralement, dans l'histoire du mouvement social,
00:51:41 les victoires syndicales entraînent un regain de l'activité syndicale,
00:51:45 les défaites entraînent une démobilisation.
00:51:47 Alors, il ne reste que deux minutes, mais un dernier mot chacun.
00:51:50 Roland-Kyrouel, très court.
00:51:51 Moi, je crois que beaucoup va dépendre de la capacité de Macron
00:51:55 à remplir une tâche qu'il nous a annoncée.
00:52:00 Dans son discours à la télé, juste après la promulgation de la loi,
00:52:05 où il nous a dit que cette fois-ci, il y aurait discussion d'un contrat social
00:52:09 sur les conditions de travail, les salaires, etc.
00:52:14 Et que l'État se contenterait d'accompagner une discussion
00:52:18 qu'il devrait avoir lue entre les partenaires sociaux
00:52:20 et qu'il s'engageait à l'appliquer.
00:52:22 Voilà une façon d'avoir à la fois de l'autorité
00:52:24 et de respecter les partenaires sociaux.
00:52:27 Ce serait une indication absolument formidable.
00:52:30 Il l'a promis. Bon, on verra.
00:52:33 Marie-Esthèle Dupont.
00:52:35 Je pense aussi que ce qui va être très difficile,
00:52:38 c'est qu'avec la crise sanitaire, les gens ont pris conscience
00:52:43 du poids de Bruxelles et du fait qu'on était,
00:52:45 au niveau de la souveraineté nationale,
00:52:47 quand même beaucoup pieds et poings liés sur beaucoup de sujets.
00:52:50 Et je pense que ça participe d'une désaffection de la politique nationale
00:52:54 parce que les gens ont beaucoup le sentiment
00:52:57 que finalement nos politiques nationaux se battent sur certains sujets
00:53:01 mais que Bruxelles a très souvent le dernier mot.
00:53:03 Alors peut-être qu'on se cache derrière Bruxelles
00:53:05 pour faire passer des choses de force.
00:53:07 Mais cette question va devoir à nouveau,
00:53:09 et finalement c'est la question de 2005, le retour du refoulé,
00:53:12 cette question va s'opposer, le rapport au pouvoir
00:53:15 de l'Union européenne dans notre démocratie.
00:53:17 Laetitia Ries.
00:53:19 Peut-être pour dire un mot sur un élément qui est beaucoup revenu
00:53:22 de la pratique politique.
00:53:24 Je crois qu'aujourd'hui on a quelque chose qui ressemble
00:53:26 à une république sans républicain.
00:53:28 Et je ne le dis pas juste pour la formule,
00:53:30 je le dis vraiment du point de vue de l'histoire politique.
00:53:32 A savoir la république, on la pense comme une forme institutionnelle,
00:53:35 comme un régime, qu'il y en aurait eu plusieurs,
00:53:37 1, 2, 3, 4, 5, comme si elles étaient équivalentes au fond
00:53:40 et qu'on changeait quand on en avait envie.
00:53:42 Mais en fait, ce que nous apprend aussi l'histoire républicaine,
00:53:44 c'est que c'est précisément aussi une question de pratique.
00:53:46 Et aujourd'hui, on a je crois une majorité
00:53:48 qui défend la république comme un argument rhétorique
00:53:50 qui n'a en rien une pratique républicaine du pouvoir,
00:53:52 puisque leur seul élément pour justifier leur pratique républicaine du pouvoir,
00:53:56 c'est de dire que c'est écrit dans la Constitution.
00:53:58 Or ça, c'est en réalité contraire à un certain esprit de la république,
00:54:01 puisque avoir une pratique républicaine du pouvoir,
00:54:04 c'est gouverner en vue de l'intérêt général,
00:54:06 c'est faire droit au pouvoir législatif,
00:54:08 c'est écouter la souveraineté populaire,
00:54:10 et tout ça n'est pas fait aujourd'hui.
00:54:12 – Je vous remercie toutes les deux, parce que vous nous quittez,
00:54:15 Marie-Hazel Dupont et Elie Tissier-Riess.
00:54:17 Merci d'être venus.
00:54:19 – Vous ne quittez pas.
00:54:21 On se retrouve juste après le rappel des titres d'Isabelle Piboulot.
00:54:24 On va se demander si Daesh a vraiment été vaincue,
00:54:28 si c'est vraiment un mauvais souvenir.
00:54:30 [Musique]
00:54:33 – Le verdict suscite l'indignation et la déception des proches de Chahina.
00:54:37 L'ex-petite amie de l'adolescente a été condamnée
00:54:40 à 18 ans de réclusion criminelle pour l'assassinat de la jeune fille en 2019.
00:54:45 La levée de l'excuse de minorité de l'accusée, âgée de 17 ans,
00:54:49 au moment des faits, n'a pas été retenue par la cour.
00:54:52 La justice se fout des violences faites aux femmes,
00:54:55 a dénoncé l'avocate de la famille.
00:54:57 Emmanuel Macron appelle l'Iran à mettre immédiatement fin
00:55:00 au soutien à la Russie dans la guerre en Ukraine.
00:55:03 Le président français s'est entretenu par téléphone
00:55:06 avec son homologue iranien, Ebrahim Raisi.
00:55:09 Emmanuel Macron a alerté sur la gravité des conséquences,
00:55:12 à la fois sécuritaires et humanitaires,
00:55:15 de la livraison de drones par Téhéran à Moscou.
00:55:18 Des nouvelles rassurantes du pape François.
00:55:21 Le souverain pontife va bien,
00:55:23 ses fonctions cardio-respiratoires sont normales,
00:55:26 mais il ne célébrera pas publiquement la prière de l'Angélus demain.
00:55:30 Le pape, âgé de 86 ans, poursuit sa convalescence à l'hôpital
00:55:34 après une opération de l'abdomen mercredi.
00:55:37 Ses audiences ont ainsi été annulées jusqu'au 18 juin.
00:55:41 Bienvenue.
00:55:44 Si vous nous rejoignez maintenant, les visiteurs du soir,
00:55:47 c'est de 22h jusqu'à minuit.
00:55:49 Le politologue Roland Quairole est là depuis le début de l'émission.
00:55:52 Il vient de publier "Mon voyage au cœur de la Ve République".
00:55:55 Même chose pour Jérôme Saint-Marie, sondeur également,
00:55:58 l'auteur de "Bloc contre bloc".
00:56:01 À 23h30, on débattra de la déclaration de Jean-Marc Jancovici
00:56:04 pour qu'il faudrait limiter chacun à 4 billets d'avion
00:56:07 au cours de sa vie pour lutter contre le réchauffement climatique.
00:56:10 Le rationnement est-il vraiment la seule solution ?
00:56:13 Fergan Asiari, à qui l'on doit les écologistes
00:56:16 contre la modernité, n'est pas d'accord.
00:56:19 Il sera face à Nathanaël De Wallenhorst, l'auteur de "Vortex".
00:56:22 Faire face à l'anthropocène.
00:56:25 Mais d'abord, l'État islamique n'est-il plus qu'un mauvais souvenir ?
00:56:28 Myriam Benrad nous a rejoint.
00:56:31 Vous êtes chercheuse associée à l'Institut de recherche et d'études
00:56:34 sur les mondes arabes et musulmans.
00:56:37 Vous étudiez l'État islamique depuis sa création.
00:56:40 Et vous venez de publier "L'État islamique est-il défait ?".
00:56:43 Adèle Bakawan, vous êtes chercheure associée à l'IFRI,
00:56:46 directeur du Centre français de recherche sur l'Irak.
00:56:49 Et vous êtes l'auteur de "L'Irak, un siècle de faillite"
00:56:52 de 1921 à nos jours.
00:56:55 L'année dernière, en janvier, lorsqu'une centaine de djihadistes
00:56:58 ont attaqué la prison d'Assakeh en Syrie,
00:57:01 vous avez publié un article intitulé "Le retour de Daesh,
00:57:04 grand gagnant du jeu géopolitique au Moyen-Orient".
00:57:07 Alors, Daesh est-il vaincu ou pas ?
00:57:10 Myriam Benrad.
00:57:12 C'est la question que je pose dans cet ouvrage,
00:57:15 en deux parties d'ailleurs.
00:57:18 En première partie, je conclue à la défaite pour un certain nombre de raisons.
00:57:21 Tout d'abord, la perte du territoire.
00:57:24 On se souvient de ces revers majeurs.
00:57:27 Ce critère territorial qui avait fait la différence
00:57:30 était complètement défait.
00:57:33 Ensuite, on a la perte de l'organisation, de la structure.
00:57:36 On a un certain nombre d'émirs qui se sont tués les uns après les autres.
00:57:39 Et encore un récemment d'ailleurs.
00:57:42 Oui, parce que la traque n'a jamais cessé.
00:57:45 C'est une guerre maintenant qui est redevenue un peu plus secrète,
00:57:48 du côté de la coalition et des forces spéciales américaines,
00:57:51 mais qui se poursuit.
00:57:54 La seconde partie de l'ouvrage, c'est l'aspect plus nuancé,
00:57:57 qui est le cas de mon collègue et d'autres.
00:58:00 On a un mouvement qui a perduré dans la clandestinité,
00:58:03 qui se renouvelle, qui dispose de complicités,
00:58:06 qui s'est replié notamment en zone syro-irakienne dans le désert
00:58:09 ou dans les montagnes, à la frontière,
00:58:12 qui opère encore une fois de manière très secrète.
00:58:15 Tout cela rend les choses très compliquées.
00:58:18 On n'en a pas fini aussi sur le plan d'idéologie.
00:58:21 On le voit encore avec un certain nombre d'informations,
00:58:24 qui disent qu'on pourrait faire face à de nouveaux attentats en Europe.
00:58:27 C'est une question complexe à laquelle j'essaie de mateler.
00:58:30 – On va essayer d'y répondre quand même succinctement.
00:58:33 Ça ne remplace pas la lecture d'un livre,
00:58:36 mais on va essayer de poser toutes les questions que vous venez de poser.
00:58:39 Adel Bakawan, pour vous, l'État islamique n'a pas été vaincu, pas encore.
00:58:46 – Entre 2014 et 2017, on avait une parenthèse.
00:58:51 Moi j'appellerais le califat islamique, cette entité étatique, une parenthèse.
00:58:56 Pourquoi ? Parce que ça ne correspond pas aux trajectoires des djihadistes,
00:59:01 de la création d'Al-Qaïda, dans les années fin 1980 jusqu'à aujourd'hui.
00:59:11 Les mouvements terroristes islamistes n'ont jamais géré une entité étatique.
00:59:17 Et donc là, on ouvre une parenthèse. Pourquoi ?
00:59:21 Parce qu'on est dans un contexte très particulier au Moyen-Orient.
00:59:24 On a le printemps arabe, on a les États en situation de faillite,
00:59:29 la Syrie, l'Irak, le Liban et d'autres pays.
00:59:33 On a un contexte géopolitique, la Turquie, les pays du Golfe,
00:59:37 qui ont des intérêts à financer cette entité étatique, terroriste,
00:59:43 pour des raisons bien évidemment spécifiques.
00:59:46 Et donc, dans cette exception, dans cette parenthèse-là,
00:59:49 on a eu cet État islamique, cette entité.
00:59:53 Depuis 2017, on redevient l'État islamique, reprend sa méthode classique,
01:00:00 son approche classique d'un mouvement terroriste normal.
01:00:03 C'est pourquoi, dans mon article je dis, l'État islamique,
01:00:08 l'organisation de Daesh déterritorialisée, est beaucoup plus dangereux
01:00:13 que l'État islamique territorialisé.
01:00:15 Et si vous me permettez une phrase, lorsque vous avez un territoire,
01:00:19 une armée, une population, des frontières, c'est-à-dire un front contre un front,
01:00:25 c'est beaucoup plus simple pour la coalition internationale d'engager un combat.
01:00:30 Mais lorsque vous avez des djihadistes dans chaque rue, dans chaque maison,
01:00:34 dans chaque ville, cachés avec des méthodes classiques,
01:00:37 là, ça devient beaucoup plus compliqué et c'est le cas aujourd'hui.
01:00:40 En même temps, justement parce qu'il avait choisi la territorialisation
01:00:45 et ça le différencie, Daesh d'Al-Qaïda par exemple,
01:00:49 à son apogée en 2014, quand il règne entre la Syrie et l'Irak
01:00:54 sur à peu près 5 millions d'habitants, ça lui confère du prestige et des ressources.
01:01:00 Et c'est ce qui a favorisé un certain nombre d'adhésions.
01:01:03 Il y a eu, tout à coup, il y a eu plusieurs milliers, 6 000 je crois à peu près,
01:01:07 de départs d'Occident vers la Syrie à l'époque, Myriam Ben Had.
01:01:13 Oui, alors ça a été vraiment, on peut le dire, en 2014,
01:01:17 ce fameux prêche à la mosquée de Mossoul par Al-Bardadi.
01:01:23 Il est vrai que c'est un moment clé puisque c'est la première fois qu'on le voyait en plus.
01:01:28 C'est la première fois qu'il se met en scène après des années de clandestinité
01:01:33 parce que c'était un vétéran du djihad irakien contre les Américains dès les années 2000.
01:01:38 Il était passé par les prisons, les bases américaines,
01:01:41 donc il y avait quand même un passif très lourd.
01:01:43 Mais surtout, c'est à partir de là qu'on voit vraiment s'enclencher
01:01:47 un processus de transnationalisation avec un certain nombre de mouvances djihadistes.
01:01:53 Tout d'abord au niveau des mouvances en Afrique, en Asie, en Afghanistan
01:01:58 et puis évidemment les réseaux plus ou moins organisés en Europe
01:02:02 vont y voir la réalisation d'un rêve.
01:02:05 Tout le monde veut évidemment migrer vers le Califat
01:02:08 et c'est là qu'on assiste à ces départs massifs dans l'histoire du terrorisme des combattants étrangers.
01:02:15 Il y en a eu d'autres, évidemment, concernant d'autres insurrections armées de ce type.
01:02:19 Mais là, c'était quelque chose d'assez impressionnant.
01:02:22 Ils n'avaient pas l'impression de rejoindre un mouvement terroriste,
01:02:24 ils avaient vraiment l'impression d'être des brigades internationales.
01:02:26 Exactement, oui, parce qu'en arrière-fond, on a cet homme qui apparaît,
01:02:31 qui rétablit le Califat, qui se prononce donc "Calif", commandant des croyants.
01:02:36 Et puis surtout, on a derrière un dispositif de propagande
01:02:40 qui a été quand même assez largement, abondamment étudié depuis,
01:02:44 qui promet une utopie, qui promet un véritable paradis musulman,
01:02:49 en quelque sorte, à ceux qui le rejoignent.
01:02:51 Alors évidemment, la désillusion est très grande.
01:02:53 C'est bien aussi pour ça que je dis que par rapport à cette base militante
01:02:56 ou du reste, une partie de la base, la déception est quand même aussi synonyme de défaite.
01:03:01 La défaite, elle est morale par rapport aux civils,
01:03:03 mais elle est aussi, tout de même, je dirais, interne, organisationnelle.
01:03:07 Parce que dès les premières heures, de nombreux militants ont été déçus
01:03:11 et assez même horrifiés de ce qu'ils trouvaient sur zone.
01:03:14 Le problème, c'est qu'ils ne pouvaient pas partir.
01:03:16 Ils étaient otages du mouvement.
01:03:19 Mais la propagande, en effet, a joué un rôle fondamental.
01:03:23 – D'accord, ça a été une désillusion totale pour ceux qui ont rejoint Daesh.
01:03:27 En fait, ça a déçu, y compris les plus fanatiques.
01:03:33 – Vous avez trois catégories au sein de l'organisation Daesh.
01:03:38 La première catégorie, c'est les cadres dirigeants.
01:03:41 Ces cadres dirigeants, ce sont les théoriciens de Daesh.
01:03:45 Ils viennent un peu de l'Égypte, des pays du Golfe, de la Syrie, de l'Irak.
01:03:52 Ce sont les lénines de cette organisation, si vous voulez, de terroristes.
01:03:58 Là, ils sont là, ils étaient là, ils sont là et ils seront là demain aussi.
01:04:02 La deuxième catégorie, et là ça devient beaucoup plus complexe,
01:04:06 c'est la base sociale, ce qui différencie Daesh d'Al Qaïda.
01:04:11 La base militante d'Al Qaïda, c'est une base militante
01:04:16 qui est passée par ce que j'appelle le filtre de la socialisation religieuse.
01:04:22 Autrement dit, ils sont formés, informés, accompagnés,
01:04:27 pris en otage sur la durée.
01:04:31 En revanche, la base sociale, la vraie base sociale de Daesh
01:04:35 se trouve en Irak et en Syrie, et notamment depuis l'occupation d'Irak
01:04:42 par les États-Unis d'Amérique.
01:04:44 Pourquoi ? Parce que de 1921 jusqu'en 2003,
01:04:48 vous avez une composante de la société irakienne.
01:04:51 En Irak, on ne parle pas de minorité ou de majorité,
01:04:54 on parle des composantes de la société irakienne,
01:04:57 à savoir les sunnites qui dirigeaient le pays.
01:04:59 De 2003 jusqu'à aujourd'hui, cette composante essentielle
01:05:05 qui dispose de la tradition et de la culture étatique en Irak
01:05:09 est totalement, structurellement et systématiquement exclue.
01:05:13 Vous avez bien évidemment une représentation sunnite
01:05:17 au sein de l'Assemblée nationale et au sein de l'État irakien,
01:05:20 mais ça ne reflète pas cette base sociale sunnite.
01:05:24 Cette base sociale sunnite est totalement exclue.
01:05:27 Exclue socialement, exclue économiquement, exclue politiquement,
01:05:30 même au sein de l'armée irakienne, elle est exclue.
01:05:33 Aujourd'hui, on pourrait dire que le Kurdistan irakien
01:05:37 devient un deuxième pays pour cette composante de la société irakienne
01:05:41 qui abandonne le territoire sunnite.
01:05:43 Et donc, cette composante constitue vraiment en Irak,
01:05:47 de 2003 jusqu'à aujourd'hui, un vrai pilier de la base militante du Daesh.
01:05:53 Numéro un. Numéro deux, depuis le printemps arabe,
01:05:56 la composante sunnite en Syrie, la majorité, à peu près 72 %
01:06:01 de la société syrienne, là aussi, on est dans une exclusion
01:06:05 depuis le printemps arabe, systématique de la composante,
01:06:08 de la communauté sunnite. Et Daesh a parfaitement réussi
01:06:13 à mobiliser cette exclusion des sunnites des deux côtés de la frontière.
01:06:18 Alors ça, c'était la deuxième catégorie, la plus dangereuse,
01:06:21 la plus importante, qui fournit des milliers et des milliers
01:06:25 de combattants à Daesh et qui sont encore mobilisables à tout moment
01:06:29 parce que la totalité, et je me répète vraiment,
01:06:32 la totalité des conditions objectives qui ont préparé l'émergence du Daesh,
01:06:37 elles sont encore là, ces conditions. Elles sont encore là.
01:06:41 Mais si Daesh n'a pas encore remonté en puissance,
01:06:45 c'est parce qu'il y a d'autres causes qui expliquent.
01:06:47 Et la troisième catégorie, et là je m'arrête, bien évidemment,
01:06:50 ce sont les Européens qui prennent le chemin du Califat
01:06:57 en pensant que c'est la terre promise des djihadistes, etc.
01:07:01 Et bien évidemment, là, on est dans ce que j'appelle le désenchantement.
01:07:05 Mais justement, là, on vient d'évoquer à la fois,
01:07:09 il y a eu des réactions qui ont pu permettre à Daesh de se développer.
01:07:14 Mais il y a aussi, c'est un soulèvement, Daesh, il y a aussi une idéologie,
01:07:18 vous le disiez, et cette idéologie, elle reste puissante,
01:07:21 ce qui a attiré aussi un certain nombre de combattants
01:07:24 qui pensaient faire les brigades internationales, c'était cette idéologie.
01:07:28 Oui, alors l'idéologie, enfin moi j'ai peut-être une vision un peu plus nuancée
01:07:32 des populations sunnites qui sont quand même elles-mêmes très divisées.
01:07:36 Parce qu'aujourd'hui, on a des complices, certes,
01:07:39 on a, je dirais, peut-être un cœur militant qui persiste,
01:07:45 qui terrifie la population, y compris d'ailleurs les sunnites eux-mêmes,
01:07:48 puisque c'est quand même aussi une affaire, on va dire, intra-sunnite.
01:07:52 Mais on a quand même aussi énormément de civils
01:07:54 qui ne veulent pas voir, évidemment, revenir l'État islamique,
01:07:57 y compris de nombreux civils sunnites qui eux-mêmes ont été pris à partie
01:08:01 et violemment meurtris par cette occupation djihadiste.
01:08:04 Donc l'idéologie, oui, elle se perpétue, mais je dirais quand même maintenant,
01:08:09 et c'est là que je nuance un peu cette résurgence,
01:08:12 dans des cercles quand même très restreints,
01:08:15 parce qu'on a un gros travail dans les services de renseignement,
01:08:19 on a évidemment cette traque que j'ai mentionnée qui se poursuit,
01:08:22 on n'en entend pas parler, sauf lorsque les forces américaines
01:08:26 sont dépêchées pour aller tuer un émir du groupe,
01:08:31 mais on a quand même un travail contre eux qui les a fortement affaiblis.
01:08:38 Donc cette population sunnite, c'est vrai qu'elle peut se remobiliser,
01:08:41 mais encore faudrait-il, maintenant pour prendre un peu peut-être aussi de distance
01:08:45 par rapport à ce qui s'est passé en 2014,
01:08:48 il faudrait aujourd'hui un contexte, le contexte ne sera pas celui de 2014,
01:08:54 un environnement favorable, ce qui me semble aujourd'hui plus difficile,
01:08:58 ce qui ne signifie pas qu'on n'a pas une instabilité structurelle dans certaines zones,
01:09:05 notamment par exemple dans les territoires disputés,
01:09:08 dans les villes qui ont été occupées un long moment par l'État islamique,
01:09:12 donc le gouvernement de Nives, une ville comme Mossoul,
01:09:15 on a évidemment encore des conditions favorables à sa réémergence,
01:09:19 mais alors de là à dire qu'on reviendra à un proto-État,
01:09:22 qu'on reviendra à des institutions qui passent aussi facilement aux mains des djihadistes,
01:09:26 d'ailleurs une chose quand même importante,
01:09:28 ces institutions passent aux mains des djihadistes aussi en partie en 2014
01:09:32 parce que l'armée a fait, a déserté, parce que l'armée irakienne quitte son poste.
01:09:37 Donc je pense qu'il faut peut-être prendre un peu de distance aussi
01:09:42 quand même par rapport à la terreur qu'ils inspirent, et c'est légitime,
01:09:47 mais le danger est quand même encore à mon avis loin de représenter ce qu'il a été entre 2013 et 2014.
01:09:54 – Mbaka Wan ?
01:09:55 – Oui, alors donc, tout d'abord l'histoire ne se répète pas,
01:09:59 et nous n'allons probablement pas assister à la renaissance d'une entité étatique,
01:10:05 terroriste, barbare comme ce qu'on a vécu entre 2014, non, bien évidemment, numéro un.
01:10:11 Numéro deux, 2017, et à Paris, le Premier ministre, le 7, je me souviens très bien, le 7 décembre à Paris,
01:10:19 lorsque le Président de la République invite le Premier ministre Haïda El Abadi,
01:10:23 c'est à l'Elysée que Haïda El Abadi annonce la défaite définitive du Daesh.
01:10:29 Ok, pendant cette période-là, nous avons fait une enquête,
01:10:33 63% des sunnites étaient optimistes par rapport à leur avenir au sein de l'État irakien en 2017,
01:10:40 et ils pensaient que cet État irakien, après cette expérience si barbare, si douloureuse, si dramatique,
01:10:46 enfin, avec l'aide de la communauté internationale, Bagdad, désormais chiite,
01:10:52 va accepter une réintégration de la communauté sunnite au sein de l'État, numéro un,
01:10:58 et que la communauté internationale va s'engager dans la reconstruction de leur pays totalement détruit,
01:11:04 Doun Moussoul, Ambar, Fallujah, Tikrit, etc.
01:11:08 Totalement détruit, 83 pays engagés dans cette guerre, avec des bombes,
01:11:13 enfin, on ne va pas rentrer dans les détails.
01:11:16 Aujourd'hui, en fin 2022, on a fait une enquête, seulement 17% des sunnites ont l'espoir,
01:11:24 on passe de 63% à 17% des sunnites qui ont confiance en cet État irakien,
01:11:30 à un moment donné, aujourd'hui, jusqu'à aujourd'hui, on est en 2023,
01:11:34 le premier pas de la reconstruction des pays des sunnites n'a pas commencé.
01:11:40 Le premier pas, numéro un.
01:11:42 Numéro deux, jusqu'à aujourd'hui, le gouvernement central,
01:11:46 hélas, avec qui je suis en dialogue quotidiennement,
01:11:49 je discute avec tout le monde, avec les ministres, premiers ministres, tout le monde,
01:11:53 je demande tous les jours de réintégrer cette base militante,
01:11:59 les enfants, les petits-enfants, entre l'âge de 10 à 15 ans,
01:12:05 n'ont pas le droit, parce que leur père ou leur mère était d'âge, de s'intégrer dans...
01:12:10 – Il faut se souvenir aussi que l'Irak, du temps de Saddam Hussein,
01:12:13 était gouverné par les sunnites. – Absolument.
01:12:15 – Et les chiites, qui étaient la majorité du pays, n'avaient guère accès au pouvoir.
01:12:21 Troisième point, ces sunnites qui ont quitté massivement 1,7 million,
01:12:27 leur ville, leur village, installés dans le Kurdistan irakien,
01:12:31 lorsque je vais dans les camps et je fais des enquêtes, je fais des entretiens,
01:12:35 ils n'ont aucune envie, aucune volonté de retourner dans leur ville et dans leur village.
01:12:40 Et la première cause, c'est qu'on ne se sent pas en sécurité.
01:12:44 On ne se sent pas en sécurité.
01:12:46 Et quatrième cause, tu le sais bien Myriam,
01:12:49 aujourd'hui nous avons 80 organisations miliciennes en Irak.
01:12:54 Chiites, n'est-ce pas, hautement idéologisés et hautement armés avec des armes,
01:13:01 et ils se sont déployés dans toutes les villes et les villages sunnites.
01:13:05 Et là, ces organisations miliciennes sèment la terreur dans chaque village, dans chaque village.
01:13:12 Dans ce contexte-là, un dernier point, c'est qu'aujourd'hui, sur le marché,
01:13:18 nous n'avons pas une force organisationnelle, politique, ou militante,
01:13:24 ou même révolutionnaire sunnite, en dehors de Daesh,
01:13:28 qui peut ou qui pourrait prendre en main la représentation de cette colère sunnite.
01:13:34 C'est dans ce contexte-là, bien évidemment, il n'y aura pas un autre califat, une autre entité,
01:13:39 mais il est fort probable que Daesh puisse mobiliser cette colère
01:13:45 de certaines catégories sunnites, et non pas la totalité de la communauté sunnite, bien évidemment.
01:13:51 – Alors ma question suivante, c'est hors d'Irak et de Syrie,
01:13:55 est-ce que Daesh peut rebondir, que ce soit au Maghreb, en Somalie,
01:14:03 on parle de Daesh dans le Sahel également, est-ce que c'est toujours Daesh,
01:14:09 est-ce que c'est la même organisation, est-ce que ça n'a rien à voir ?
01:14:13 Et vous parliez tout à l'heure d'attentats éventuels en Europe,
01:14:17 qu'est-ce que l'on sait exactement sur ce point ?
01:14:21 – Bon alors oui, on a la situation évidemment syro-irakienne,
01:14:24 qui est en fait le terreau de ce mouvement, et puis on a la bannière,
01:14:27 la marque en quelque sorte de l'organisation,
01:14:30 qui a déjà en fait rencontré un certain nombre de succès,
01:14:34 puisqu'on a vu par exemple en Afrique, c'est la préoccupation sécuritaire
01:14:38 pour un certain nombre d'agences de renseignement aujourd'hui, majeure,
01:14:42 on a vu un certain nombre de groupes, dont beaucoup, disons-le,
01:14:45 étaient pré-existés à l'avènement du califat de 2014,
01:14:49 on a vu ces groupes se rallier au projet État islamique,
01:14:53 parce que, comme vous le disiez précédemment, c'était synonyme de prestige,
01:14:56 parce qu'Al-Bardadi a été pour eux un émir charismatique,
01:15:00 donc ce projet s'est transnationalisé.
01:15:03 Alors tous les facteurs socio-économiques, politiques,
01:15:05 qui dans le cas de l'Irak particulièrement, ou de la Syrie,
01:15:08 notamment des facteurs communautaires,
01:15:10 ont participé au succès de l'État islamique en zone siro-irakienne,
01:15:14 sans aller trop loin dans la comparaison,
01:15:16 il faut quand même, chaque configuration est particulière, mais on les retrouve.
01:15:19 On a aussi des conflits communautaires au Sahel,
01:15:22 qui ont bien sûr nourri l'expansion du djihadisme au cours des dernières années,
01:15:27 dont l'expansion de l'État islamique.
01:15:29 On a aussi des États faillis, on a aussi des guerres civiles,
01:15:32 ou des héritages de guerres civiles irrésolus.
01:15:35 On a évidemment un chômage massif,
01:15:37 alors les aspects socio-économiques, on les remet un peu en cause
01:15:40 quant à l'engagement par exemple des Européens,
01:15:43 mais du côté des populations locales, et ça a été le cas aussi en Irak,
01:15:47 ces aspects socio-économiques de classe, j'irais même jusqu'à dire,
01:15:51 sont une dimension majeure des engagements militants,
01:15:55 notamment de l'engagement djihadiste en Afrique.
01:15:57 En Asie, on a vu évidemment aussi des branches se développer,
01:16:01 ils sont encore très présents en Afghanistan,
01:16:03 où ils livrent une guerre impitoyable aux talibans aujourd'hui,
01:16:06 notamment dans l'est de l'Afghanistan,
01:16:08 avec des attentats qui se multiplient.
01:16:10 Quant à l'Europe, je dirais qu'on marche sur des œufs,
01:16:13 parce qu'on n'a pas été frappés depuis un certain temps
01:16:17 par des attentats majeurs.
01:16:18 Il y a eu une succession d'attentats,
01:16:20 mais qui n'avaient évidemment rien de comparable
01:16:22 avec ceux qu'on a connus en 2015.
01:16:24 Et donc on est dans une espèce de latence qui peut préoccuper,
01:16:30 parce que l'idéologie bien sûr n'a pas disparu,
01:16:32 les solidarités militantes n'ont pas disparu,
01:16:34 la tentation djihadiste, si on peut l'appeler comme ça, n'a pas disparu.
01:16:38 Et puis peut-être un dernier point,
01:16:40 cette propagande qui a joué un rôle, encore une fois,
01:16:42 un rôle instrumental vraiment essentiel,
01:16:45 elle est encore accessible.
01:16:47 Parce qu'on a beaucoup entendu au cours des derniers mois,
01:16:50 notamment qu'on n'y avait plus accès,
01:16:53 que c'était plus compliqué sur les plateformes,
01:16:55 qu'on avait des régulations.
01:16:57 En fait, c'est quand même tout le contraire qui se passe,
01:16:59 je le dis parce que, pour en avoir discuté avec certains chercheurs,
01:17:02 ces mêmes chercheurs m'ont dit,
01:17:04 non mais en réalité, les contenus sont toujours là,
01:17:06 et ils ont même su se transporter ailleurs,
01:17:08 enfin ils s'adaptent.
01:17:09 Donc bien évidemment qu'ils vont s'adapter aussi,
01:17:11 ils vont continuer à s'adapter en Europe,
01:17:13 et qu'il ne faut pas tomber dans la paranoïa,
01:17:15 parce que ça ne sert pas,
01:17:17 ne pas vivre dans les froids,
01:17:19 mais bien sûr, ne pas perdre de vue qu'ils n'ont pas,
01:17:23 ils sont défaits en zone siro-irakienne,
01:17:25 le cœur est défait, mais on a encore un certain nombre,
01:17:28 je dirais, de métastases qui peuvent être très dangereuses.
01:17:33 Je ne serais absolument pas étonné,
01:17:36 récemment j'ai donné un entretien très détaillé
01:17:39 au magazine Le Point,
01:17:41 sur l'aspect, la puissance économique du Daesh.
01:17:45 Je ne serais absolument pas étonné
01:17:47 si dans les mois ou les années à venir,
01:17:50 on assiste à des attentats à Berlin,
01:17:54 à Londres, à Washington ou à Paris.
01:17:56 Pourquoi ? Parce que tout simplement,
01:17:59 Daesh déterritorialisé est dans une perspective
01:18:05 de la diffusion de la terreur globale.
01:18:08 Aujourd'hui, Daesh, certes, conduit des opérations,
01:18:13 une opération par jour, selon notre base de données,
01:18:17 une journée égale une opération,
01:18:19 ou bien en Irak ou bien en Syrie,
01:18:21 mais c'est important,
01:18:23 mais la plus importante opération,
01:18:25 la visibilité,
01:18:27 ce moins très visible, c'est Paris,
01:18:30 c'est Berlin, c'est Washington.
01:18:33 Alors, numéro un, en termes de visibilité.
01:18:35 Numéro deux, en termes de puissance économique.
01:18:38 Daesh est mille fois plus riche que l'Al Qaïda en 2001,
01:18:42 lorsque l'Al Qaïda a conduit les attentats du 11 septembre.
01:18:47 Donc, mille fois plus riche, pourquoi ?
01:18:49 Parce qu'il a eu accès à la rente du pétrole,
01:18:53 parce que jusqu'à aujourd'hui,
01:18:55 il a des milliers et des milliers de projets,
01:18:58 micro-projets économiques un peu partout dans le monde,
01:19:01 qui ramènent de l'argent, etc.
01:19:04 Numéro trois, il y a une base, il y a une demande,
01:19:08 une demande en Europe par rapport à cette attente d'Oudaj.
01:19:13 Numéro quatre, c'est vrai, les services de renseignement
01:19:16 ont bien domestiqué les méthodes de traitement.
01:19:20 Mais aujourd'hui, Daesh est à la recherche d'autres méthodes
01:19:24 qui dépassent les filtres des services de renseignement.
01:19:27 – Jérôme Sade-Parié, vous pouvez intervenir.
01:19:29 – Oui, j'ai une question par rapport aux politiques des puissances occidentales.
01:19:34 Il semblerait, sans être un spécialiste comme vous,
01:19:37 que la destruction des États arabes par l'Occident,
01:19:42 dont le cas le plus fort et le plus évident est bien sûr la guerre en Irak en 2003,
01:19:47 ait favorisé les puissances islamistes, Daesh et tout cela.
01:19:53 Est-ce que vous pensez que les puissances occidentales
01:19:55 en ont tiré les enseignements ?
01:19:57 Par exemple, je pense à leur attitude actuelle par rapport à l'Afghanistan.
01:20:00 C'est-à-dire, est-ce que les puissances occidentales s'attellent à reconstituer
01:20:03 ou à soutenir des États pouvant contenir ces forces subversives islamistes ?
01:20:08 – Oui, alors un mot pour ma part sur la politique.
01:20:11 Si on parle spécifiquement de la politique américaine au Moyen-Orient,
01:20:15 ça a été au cours des 20 dernières années une politique qu'on peut qualifier d'ératique.
01:20:19 Que ce soit sur le dossier afghan, on a vu la manière dont les Américains
01:20:22 se sont retirés en abandonnant littéralement la population civile aux talibans.
01:20:26 D'ailleurs, dans le cadre d'un accord, de l'accord de Doha,
01:20:29 donc sans le dire de manière explicite, c'était "débrouillez-vous".
01:20:33 Ils ont fait pareil sur le dossier syrien tout de même.
01:20:36 Et puis sur le dossier irakien, bon, c'est compliqué parce que l'engagement
01:20:39 a été très très très très important en Irak.
01:20:42 Donc, ils essaient de maintenir une coopération militaire,
01:20:45 d'entraîner, de continuer à entraîner à la marge les forces irakiennes,
01:20:49 de garder un peu le précaré, mais ça devient très compliqué parce qu'en fait,
01:20:52 on a aujourd'hui un syndrome littéralement irakien à Washington qui s'est développé.
01:20:58 C'est-à-dire que le dossier irakien est devenu un dossier interne, quasi interne,
01:21:04 donc d'une question, j'irais, de politique étrangère.
01:21:07 C'est devenu vraiment une question de crise existentielle américaine
01:21:11 qui a quand même précipité le retrait américain de la région du Moyen-Orient.
01:21:17 D'ailleurs, les Américains parlent aujourd'hui, y compris ceux qui étaient
01:21:20 pour la guerre en 2003, de "post-American Middle East".
01:21:23 C'est vraiment aujourd'hui le...
01:21:26 - Moyen-Orient après les Américains.
01:21:28 - Post-Américains, voilà, le Moyen-Orient post-Américain.
01:21:30 Donc maintenant, la vraie question, en fait, évidemment, alors le "regime change",
01:21:34 si c'est ce à quoi vous faites référence, cette idée de changer les régimes
01:21:37 pour y installer la démocratie, je pense en tout cas que pour un certain temps,
01:21:42 c'est largement discrédité et d'ailleurs, les Américains eux-mêmes n'y font plus référence.
01:21:47 Maintenant, la question, c'est quel nouvel ordre régional ?
01:21:52 Est-ce que justement, on va vers une politique plus arabe,
01:21:57 puisqu'on voit avec la réconciliation entre l'Arabie saoudite et l'Iran,
01:22:00 le retour d'Assad dans la Ligue arabe, est-ce qu'on revient finalement
01:22:03 à une politique plus régionale ? Mais enfin, tout de même,
01:22:05 quel sera aussi le rôle des autres puissances dans cette région ?
01:22:09 Aujourd'hui, on a quand même un certain nombre, je pense, de questions sur la table.
01:22:12 Mais en tout cas, revenir à ce qu'on a connu, et on n'a pas cité la Libye non plus,
01:22:17 mais ce qu'on a connu au cours des dernières années, à mon avis,
01:22:20 pas pour le moment parce qu'il y a vraiment, je terminerai vraiment là-dessus,
01:22:23 aussi du côté des populations civiles. On a parlé des printemps arabes,
01:22:27 mais aujourd'hui, il y a une envie de stabilité, il y a une envie d'ordre.
01:22:30 On a certes encore des oppositions qui s'expriment, mais les effets,
01:22:34 par exemple, en Syrie, en Irak, ont été tellement catastrophiques
01:22:37 que les gens aspirent à avoir une vie, je dirais, quotidienne relativement normalisée
01:22:41 après des années de guerre civile, parce que ce n'est pas simplement un attentat ou deux.
01:22:44 Là, on parle de 20 ans de guerre civile avec des pertes, évidemment,
01:22:48 effroyables pour les civils.
01:22:50 – Il nous reste une minute. – Une minute.
01:22:53 Je pourrais dire la réponse à votre question est à deux niveaux.
01:22:57 Le premier niveau, est-ce que les pays engagés dans la coalition internationale
01:23:02 contre Daesh ont une connaissance et une conscience de la gravité de la situation ?
01:23:08 La réponse est oui.
01:23:10 Alors, si je discute avec les Américains, et enfin avec les autres pays aussi,
01:23:15 je saisis cette connaissance.
01:23:20 Est-ce qu'ils construisent ces pays-là, leur système de comportement avec Daesh,
01:23:26 en partant de cette connaissance ? Malheureusement, non.
01:23:29 La seule approche aujourd'hui que la communauté internationale adopte
01:23:33 pour traiter Daesh, et le terrorisme d'une manière générale,
01:23:38 malheureusement, malheureusement, c'est l'approche sécuritaire.
01:23:41 On met entre parenthèses toutes les conditions qu'ont élaborées l'émergence,
01:23:46 la montée en puissance de ce terrorisme de Daesh.
01:23:49 On va laisser Isabelle Piboulot faire le rappel des titres,
01:23:53 et ensuite on va accueillir Fergan Asiari et Nathanael De Wallenhorst,
01:23:59 qui nous a déjà rejoints en duplex. Mais d'abord, Isabelle.
01:24:03 [Musique]
01:24:07 À Annecy, le pronostic vital des victimes de l'attaque n'est plus engagé.
01:24:11 L'assaillant, lui, a été mis en examen pour tentative d'assassinat et rébellion avec arme.
01:24:16 Il a été placé en détention au provisoire.
01:24:19 La mairie d'Annecy organisera demain à 11h un rassemblement citoyen
01:24:24 en soutien aux victimes et à leurs proches, pour un moment de solidarité et de fraternité.
01:24:29 L'hommage sera à suivre en direct sur CNews.
01:24:32 Après l'échec d'une tentative d'abrogation de la retraite à 64 ans,
01:24:36 la motion de censure déposée par la NUPES devrait être débattue lundi devant l'Assemblée nationale.
01:24:42 Le gouvernement et sa majorité ont à nouveau bafoué les droits du Parlement,
01:24:46 dénonce l'Alliance de gauche, défendue à la tribune par la socialiste Valérie Rabault.
01:24:51 La motion de censure devrait être discutée et mise au vote à partir de 16h.
01:24:56 Enfin, à Istanbul, le rêve s'est réalisé pour Manchester City.
01:25:01 Les Anglais ont décroché leur première Ligue des champions.
01:25:04 Les hommes de Pep Guardiola ont battu l'Inter Milan 1-0 en finale, grâce à un but de Rodri à la 68e minute.
01:25:11 Vainqueur de la Première Ligue et de la CUP, les citizens signent le triplé
01:25:16 et succèdent ainsi au palmarès du Real Madrid.
01:25:19 Va-t-il vraiment falloir rationner les billets d'avion à quatre par personne et par vie,
01:25:28 comme l'a déclaré Jean-Marc Jancovici, l'auteur du best-seller "Le Monde sans fin" ?
01:25:32 Le rationnement est-il vraiment la seule solution ?
01:25:35 Fergan Azziari n'est pas d'accord, on lui doit les écologistes contre la modernité.
01:25:40 Nathanael de Wallenhorst est avec nous en duplex.
01:25:43 Vous êtes l'auteur de "Vortex", "Faire face à l'anthropocène".
01:25:47 Vous êtes professeur à l'Université catholique de l'Ouest et doyen de sa faculté d'éducation.
01:25:52 Alors, limiter le nombre de voyages en avion, est-ce que c'est un bon moyen de faire face, Fergan Azziari ?
01:25:59 Non, pas du tout, pour une raison assez simple en réalité.
01:26:03 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, nous avons à notre disposition des instruments qui sont beaucoup plus efficaces
01:26:08 et beaucoup plus abordables pour réduire les émissions de CO2.
01:26:11 C'est-à-dire qu'on n'a pas besoin de solutions aussi radicales et extrémistes que celles-ci.
01:26:16 Et pour ma part, je m'interroge sur les raisons qui font que notre obsession aujourd'hui
01:26:21 est tournée vers des mesures sacrificielles à impact nul,
01:26:24 au détriment des instruments les plus efficaces et les plus abordables.
01:26:27 Pourquoi on se précipite toujours vers les solutions les plus autoritaires,
01:26:31 alors même que nous n'avons pas exploré le dixième, le centième des instruments les plus efficaces,
01:26:36 les plus abordables pour réduire nos émissions le plus rapidement possible
01:26:40 et en infligeant le moins de sacrifices à la collectivité.
01:26:43 Puisque si on lutte contre le changement climatique, il faut quand même le rappeler,
01:26:46 c'est bien pour assurer aux générations futures le plus haut niveau de prospérité et de liberté possible.
01:26:50 Donc je m'interroge vraiment sur les motivations de ceux qui font du rationnement une fin en soi,
01:26:54 quand toutes les données montrent qu'on peut réduire des émissions sans passer par ce type de solution.
01:27:01 Et l'histoire le montre, puisque la France, par exemple, a réduit drastiquement ses émissions dans le passé,
01:27:06 notamment dans la décennie 77-88, qui était l'une des périodes les plus rapides en matière de réduction des émissions de CO2.
01:27:14 Alors j'ai vérifié avant de venir, on n'était pas sous un régime autoritaire entre 77 et 88,
01:27:20 c'était un mandat entre Gilles Cardestin et François Mitterrand,
01:27:23 il n'y avait pas de Tijay de rationnement, il n'y avait pas Kim Jong-un au pouvoir à ce moment-là.
01:27:26 Simplement, nous avons assisté à une mise en service progressive des réacteurs nucléaires.
01:27:30 Donc c'est via la technologie, finalement, qu'on est parvenu à réduire nos émissions territoriales.
01:27:35 Alors demeure la question des émissions importées, ça c'est vrai, mais il serait beaucoup plus efficace...
01:27:39 - Du transport, parce qu'on ne résoudra pas le problème du transport aérien, avec le nucléaire malheureusement.
01:27:44 - Alors ça c'est sur le long terme c'est discutable, mais sur le court terme il est vrai que l'aviation
01:27:49 est un secteur qui est particulièrement difficile à décarboner.
01:27:51 L'avion électrique, ce n'est pas pour demain, personne n'y croit.
01:27:54 Aujourd'hui, on se dirige plutôt vers les bio ou les électrocarburants,
01:27:58 mais on sait que ça coûte très très cher, et donc on a une difficulté technique à décarboner cette industrie.
01:28:03 Maintenant, est-ce à dire qu'il faut absolument arrêter de prendre l'avion ?
01:28:07 Si on se souvient que le but de la transition écologique, c'est de réduire les émissions le plus vite possible
01:28:12 en infligeant le moins de sacrifices à la collectivité, il existe une solution alternative
01:28:16 qui consiste à dire que le but du jeu n'est pas de comprimer tous les secteurs à n'importe quel prix,
01:28:20 mais de réduire les émissions totales en commençant par les secteurs les plus faciles à décarboner.
01:28:26 En fait, en économie de l'environnement, il y a une notion qui est aussi fondamentale
01:28:30 que méconnue du grand public qui s'appelle le coût d'abattement,
01:28:32 qui sert à évaluer la rentabilité écologique et environnementale de telle ou telle action.
01:28:38 Quand j'impose des quotas dans le secteur de l'aviation, j'ai un coût d'abattement qui est très élevé,
01:28:44 qui est démesuré pour un effet marginal, donc sur le plan écologique et sur le plan humain,
01:28:49 il est beaucoup plus utile et rentable de prélever, me semble-t-il, une partie des profits de l'aviation
01:28:53 pour investir dans la décarbonation des secteurs les plus faciles,
01:28:57 et ce faisant, vous offrez un sursis, vous élargissez le budget de carbone
01:29:02 des secteurs les plus difficiles à décarboner, quand vous commencez par les secteurs les plus faciles à décarboner.
01:29:07 Nathanaël de Vallée-Norste.
01:29:10 Bonjour Frédéric. Alors moi, je ne suis pas Nathanaël de Vallée-Norste, mais Nathanaël Vallée-Norste tout court.
01:29:17 Pardonnez-moi.
01:29:19 Alors ce que je pourrais dire, avant de répondre directement sur la question des quotas,
01:29:24 ça c'est de l'écologie politique en fait, de se demander qu'est-ce qu'on peut faire
01:29:30 pour accompagner au mieux les sociétés humaines à la surface de la Terre.
01:29:35 Il me semble important de faire juste un tout petit détour par l'écologie scientifique,
01:29:40 c'est-à-dire moi fondamentalement, je travaille dans le domaine des sciences du système Terre comme chercheur,
01:29:47 et donc quand on prend les choses à partir de ce point de vue-là,
01:29:52 c'est-à-dire quand on regarde les choses à partir du système Terre et des grands processus actuels,
01:29:59 c'est-à-dire le climat et puis l'emballement du climat, les écosystèmes de la biosphère qui s'effondrent,
01:30:04 et puis aussi toutes nos sociétés humaines qui accélèrent depuis ces dernières décennies.
01:30:11 On identifie combien on a affaire à un vortex, je vois que vous mettez la couverture « vortex »,
01:30:16 c'est-à-dire à un moment donné à un risque, à un emballement en ce moment qui est de plus en plus conséquent,
01:30:23 avec des températures à la surface de la Terre qui au cours du siècle ne vont cesser de s'augmenter,
01:30:30 et puis court le risque de désertifier des pans entiers du territoire national,
01:30:36 si on prend les choses à partir de la France,
01:30:38 et des secteurs entiers qui étaient tout simplement destinés à la production agricole risquent de ne plus l'être dans les décennies à venir.
01:30:46 Donc quand on prend les choses à partir de là, c'est-à-dire des sciences du système Terre,
01:30:53 on se rend compte qu'il est absolument vital de contenir l'emballement bioclimatique,
01:30:58 et dans ce couple notionnel qu'amène le GIEC, adaptation-atténuation,
01:31:04 c'est toujours à partir d'un primat sur l'atténuation du dérèglement bioclimatique.
01:31:10 Et donc là, à ce niveau-là, si maintenant on reprend une casquette plus de politiste,
01:31:15 pour se dire « alors qu'est-ce qu'il faut faire ? »
01:31:17 de fait, je n'identifie pas bien la façon dont on pourrait,
01:31:22 évidemment, moi je n'ai rien, enfin je veux dire, à titre personnel,
01:31:25 je serais très heureux d'avoir une existence illimitée,
01:31:27 et puis de ne pas avoir à faire à des quotas, etc.
01:31:30 Mais je n'identifie pas la façon dont on pourra contenir l'emballement bioclimatique
01:31:35 de façon suffisante, satisfaisante, sans amener cette question de quotas,
01:31:41 en lien avec l'empreinte environnementale, au niveau des flux de matière et puis des flux énergétiques,
01:31:47 aussi parce que, de fait, ce sont bien les personnes les plus riches
01:31:52 qui ont une empreinte environnementale la plus conséquente.
01:31:55 Si on regarde juste un chiffre, par exemple,
01:31:57 1% des plus riches de la planète ont capté 38% des richesses depuis 1995.
01:32:03 Et donc, ça donne, et quand on sait en plus que la captation des richesses,
01:32:07 elle s'accompagne d'une empreinte environnementale qui est à peu près proportionnelle,
01:32:11 ça donne un ordre d'idée de l'endroit où, de fait, il y a un problème aujourd'hui,
01:32:16 et puis des leviers d'action pour pouvoir contenir l'emballement bioclimatique,
01:32:20 ce qui est une question de fait de pérennité de la vie humaine en société.
01:32:24 Fergus Naziari ?
01:32:26 Non, non, je ne suis pas d'accord avec ce qui vient d'être dit là,
01:32:28 c'est-à-dire qu'encore une fois, le rapport entre richesse et émissions de CO2
01:32:31 est loin d'être évident aujourd'hui.
01:32:32 Il est vrai qu'à l'heure où l'on parle, les riches sont surreprésentés
01:32:36 parmi les plus gros émetteurs, ça c'est une réalité, mais ce n'est pas une fatalité.
01:32:40 C'est-à-dire que lorsque vous regardez aujourd'hui les trajectoires d'émissions de nombreux pays riches,
01:32:44 ça fait quelques années que beaucoup de pays ont avancé ce qu'on appelle leur découplage,
01:32:48 c'est-à-dire une déconnexion entre la croissance économique et les émissions de CO2,
01:32:52 précisément parce que les technologies évoluent,
01:32:54 et que la manière de produire aujourd'hui n'est pas la même que la manière de produire il y a 70 ans.
01:33:00 Donc ça aboutit aujourd'hui, par exemple, à ce que les émissions territoriales par tête en France
01:33:04 soient inférieures à celles des émissions sud-africaines, chinoises ou même mongoles,
01:33:09 et ceci alors que nous sommes bien plus riches que les sud-africains, les mongols et que les chinois.
01:33:14 Alors demeure encore une fois la question des émissions importées,
01:33:16 il est vrai que la France importe encore beaucoup trop d'émissions de la part de ses partenaires commerciaux,
01:33:22 mais là encore, si on veut réduire ces émissions sans compromettre la prospérité de l'humanité,
01:33:28 l'enjeu n'est pas de rationner l'économie, ce qui compromettrait notre capacité à investir dans les infrastructures bas carbone,
01:33:35 mais bien d'accélérer le déploiement des infrastructures chez nos partenaires commerciaux,
01:33:40 les mêmes infrastructures dont nous bénéficions aujourd'hui.
01:33:44 Quand par exemple la France travaille avec la Chine pour lui fournir un EPR,
01:33:48 elle travaille dans la bonne direction, c'est-à-dire qu'elle travaille à décarboner les systèmes électriques de nos partenaires commerciaux,
01:33:54 ce qui a quatre vertus sur le plan économique et environnemental.
01:33:57 Économique parce que vous offrez des débouchés à vos industries,
01:34:00 économique encore puisque vous investissez dans la croissance économique mondiale en enrichissant votre partenaire commercial,
01:34:06 environnemental car en aidant à décarboner vos partenaires commerciaux, vous les dissuadez de recourir à des énergies fossiles localement,
01:34:13 et environnemental enfin, puisqu'en décarbonant les systèmes électriques des pays étrangers,
01:34:18 vous réduisez les émissions importées de tous les pays qui commercent avec ces pays-là.
01:34:25 Donc les émissions importées en France reculent depuis une dizaine d'années sans que la croissance économique ait été compromise.
01:34:31 Ça ne va pas assez vite, ça ne va pas assez loin.
01:34:34 Là-dessus, on est parfaitement d'accord sur l'état des lieux, mais si on veut aller beaucoup plus rapidement,
01:34:38 il me semble-t-il beaucoup plus juste et beaucoup plus efficace d'investir davantage dans la décarbonation de nos processus de production.
01:34:45 Et ce n'est pas par une politique de quota qui appauvrira l'humanité qu'on y parviendra,
01:34:50 puisque appauvrir l'humanité, c'est la meilleure manière précisément de nous éloigner des solutions coûteuses,
01:34:56 indispensables à la mise en œuvre des investissements dont nous avons besoin,
01:35:00 à la fois pour décarboner, mais aussi pour nous adapter,
01:35:04 puisque nous savons que l'adaptation est là encore un luxe de pays riches,
01:35:07 et qu'il est beaucoup plus facile de résister aux aléas naturels quand on est un pays développé que lorsqu'on est un pays du tiers-monde.
01:35:14 – Nathanael Wallenhorst, on commence à voir un peu partout dans le monde les effets du réchauffement climatique.
01:35:21 On pensait que ça viendrait plus tard, que ça toucherait nos enfants, on est déjà touché aujourd'hui.
01:35:28 Donc fatalement, plus ça va avancer, plus on risque effectivement de convaincre tout le monde que ça irait mieux en rationnant,
01:35:39 mais pas seulement en rationnant les billets d'avion, en rationnant tout, les ordinateurs, la voiture, l'eau va manquer,
01:35:45 il va falloir la rationner, l'air conditionné, il va falloir le rationner aussi, la viande rouge, il va falloir la rationner.
01:35:53 J'ai l'impression que la liste est sans fin.
01:35:55 – Alors, moi je dirais, je me permets à nouveau un tout petit pas de côté avant de revenir à cette question rationnement,
01:36:03 rationnement, moi je suis pas un militant du rationnement,
01:36:06 et puis je ne connais pas grand monde qui soit un militant du rationnement.
01:36:09 Donc de fait, on commence à apercevoir certains des effets du dérèglement bio-climatique,
01:36:14 mais pour l'instant, ils sont encore très très largement insensibles à nos sens,
01:36:18 c'est-à-dire qu'on n'a pas encore franchi des seuils brusques et irréversibles, sans retour en arrière possible,
01:36:24 qui réorganisent complètement l'ensemble de la vie humaine en société sur la Terre.
01:36:29 Et pour sentir, pour comprendre ce que seraient ces franchissements de seuil,
01:36:36 de fait, il faut plonger dans les savoirs scientifiques,
01:36:41 qui sont la seule médiation dont on dispose pour être en prise avec le réel.
01:36:45 C'est-à-dire le système Terre aujourd'hui connaît des changements, des transformations,
01:36:50 ce qu'on appelle des forçages anthropiques, c'est-à-dire les activités humaines,
01:36:54 principalement les activités économiques, forcent en ce moment des grands processus écologiques
01:37:00 qui organisent le système Terre.
01:37:02 Et c'est à partir de là, c'est à partir d'un contexte favorable, stable et prévisible,
01:37:08 un contexte bio-climatique, qu'émergent les grandes civilisations,
01:37:13 qu'on maîtrise les écosystèmes, qu'on peut dégager des excédents agricoles
01:37:16 et puis ensuite qu'on peut dealer les excédents agricoles.
01:37:19 Et c'est ce qui nous permet aujourd'hui de pouvoir parler tranquillement,
01:37:22 sans se faire confiance parce qu'on a mangé un sandwich avant l'émission, etc.
01:37:26 Et si à cet endroit-là, on n'est plus en mesure à un moment donné
01:37:30 de maîtriser les écosystèmes pour dégager des excédents agricoles,
01:37:34 de fait, ça vient complètement fragiliser et compromettre la vie humaine en société.
01:37:38 Alors, pour moi, c'est ça le risque.
01:37:41 Et à cet endroit-là, il faut que les mesures,
01:37:44 mais c'est ce que nous dit le sixième rapport du GIEC dans le troisième volet,
01:37:49 soient possibles de contenir l'emballement bioclimatique
01:37:53 en adoptant des mesures radicales et en s'y tenant fermement.
01:37:57 Là, je dis ni plus ni moins ce troisième volet du sixième rapport du GIEC.
01:38:02 Et aujourd'hui, la ligne que j'entends, de Fergan, que je comprends tout à fait,
01:38:09 c'est une ligne qu'on pourrait qualifier d'une certaine façon de techno-solutionniste,
01:38:13 c'est-à-dire qui continue d'espérer dans des solutions techniques
01:38:18 à des problèmes qui sont systémiques et globaux.
01:38:21 Moi, je n'ai toujours pas identifié,
01:38:23 je ne pense pas que nous puissions avoir des solutions techniques
01:38:27 qui puissent, à un moment donné, prendre en charge la complexité des problèmes globaux que nous ayons.
01:38:33 C'est-à-dire que ce n'est pas uniquement une question de gaz à effet de serre,
01:38:36 c'est qu'aujourd'hui, on compte tout en équivalent CO2.
01:38:40 C'est une unité de calcul, une unité de mesure, c'est intéressant.
01:38:43 Le risque, c'est qu'elle simplifie énormément.
01:38:45 Ça ne nous dit pas la façon dont on bouleverse les sols.
01:38:50 Ça ne nous dit pas la façon dont on acidifie les océans.
01:38:53 Ça ne nous dit pas la pollution chimique à l'égard des sols, de l'air, de l'eau.
01:38:57 Ça ne nous dit pas la façon dont le cycle de l'eau, c'est ce que vous avez mentionné,
01:39:01 est en train de se réorganiser, notamment le cycle de l'eau verte.
01:39:04 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, les sols ne captent plus l'humidité
01:39:07 de la même façon qu'ils le captaient il y a encore quelques décennies.
01:39:11 Ça donne à voir tout de suite la façon dont les rendements agricoles sont fragilisés
01:39:16 et ne cesseront de l'être davantage au fur et à mesure qu'on va rentrer
01:39:21 année après année dans ce XXIe siècle.
01:39:25 Face à ça, il s'agit d'avoir des moyens qui soient à la hauteur des enjeux.
01:39:31 Aujourd'hui, le relatif des couplages qui est mentionné,
01:39:35 il n'est pas à la hauteur des enjeux.
01:39:38 C'est-à-dire que ce que nous dit les accords de la COP de Paris, de la COP 21,
01:39:44 c'est que si on prend l'unité de calcul d'équivalent CO2 par habitant,
01:39:48 aujourd'hui on est à peu près à 10 tonnes d'équivalent CO2 par habitant en France.
01:39:53 Et il faut qu'on arrive dans 27 ans à être à 2 tonnes,
01:39:56 c'est-à-dire à diviser par 5 l'empreinte équivalent CO2 par personne.
01:40:02 Et donc du coup à cet endroit-là, pour l'instant, je n'identifie pas de technique
01:40:08 de découplage qui soit suffisamment à la hauteur des enjeux.
01:40:11 Et de mon point de vue, un régime est nécessaire.
01:40:14 – Et ce régime peut éventuellement passer par du rationnement ?
01:40:18 Roland Carole ?
01:40:19 – Je crois que votre débat de ce soir est très annonciateur du débat politique à venir.
01:40:26 Il fut un temps où on avait des gens qui croyaient au réchauffement climatique
01:40:30 et des gens qui n'y croyaient pas.
01:40:32 Ça c'est fini.
01:40:34 Tout le monde s'est convaincu qu'il y a réchauffement climatique.
01:40:36 Mais il y a maintenant, M. Vallénor, je te le disais tout à l'heure,
01:40:39 un emballement de ce changement climatique.
01:40:43 Et sur les 2022-2023, le GIEC a dû revoir ses analyses,
01:40:48 tellement on est dépassé par les projections fondées sur ces années-là.
01:40:54 Et donc il faut vraiment agir plus vite et plus fort.
01:40:58 Et là, on ne peut plus avoir le débat d'avant et on va avoir le débat…
01:41:04 Il faut bien prendre des mesures radicales rapides,
01:41:08 sans quoi on ne tiendra vraiment pas les minimums des promesses des accords de Paris.
01:41:16 Et par rapport à ça, on va avoir ceux qui disent "attention, pas la peine de faire tout ça,
01:41:22 la technologie va évoluer, l'inventivité humaine est très forte,
01:41:27 on va pouvoir maîtriser autrement".
01:41:29 Je crois que, pour ma part, c'est une façon de nier le problème.
01:41:35 Je suis persuadé qu'on ne peut pas y arriver sans un minimum de sobriété collective.
01:41:41 Alors que ce soit quatre voyages par an en avion, j'en sais rien,
01:41:44 mais l'avion fait partie des solutions.
01:41:47 – Enfin du problème pour l'instant.
01:41:48 – Pardon, du problème, par rapport…
01:41:50 – Vous avez tout à fait raison.
01:41:52 Moi je suis plutôt pour qu'on prenne des choses plus simples,
01:41:57 qu'on ne prenne pas l'avion dans les endroits où on peut aller autrement,
01:42:00 dans des conditions simples.
01:42:02 – Oui mais si vous voulez dire, genre Covid-6, ça ne suffira pas.
01:42:05 – Ça ne suffira pas, alors peut-être qu'il faudra en venir à des mesures comme ça.
01:42:08 Mais en tout cas, je ne crois pas à cette idée,
01:42:10 balayons tout ça et espérons que la technologie va nous aider.
01:42:13 Je crois que c'est une façon de nier le problème
01:42:16 et de nous détourner de notre nécessaire responsabilité,
01:42:20 à chacun d'entre nous, sur la sobriété énergétique.
01:42:23 – Chagall Naziari ?
01:42:24 – C'est une question d'espoir, c'est-à-dire qu'aujourd'hui,
01:42:27 toutes les données nous montrent,
01:42:28 enfin je ne dis pas l'état des lieux que l'on pose aujourd'hui,
01:42:30 effectivement il y a un impératif qui est de plus en plus urgent.
01:42:33 Je remarque simplement que les données nous montrent aujourd'hui
01:42:36 que les sociétés les plus industrialisées sont les mieux armées
01:42:39 face au changement climatique et face à la nécessité d'une part de décarboner
01:42:43 et d'autre part de nous adapter à un monde, à un climat qui change.
01:42:47 Je vous prends juste un chiffre, depuis le début du XXème siècle,
01:42:50 la population mondiale a été multipliée par 4,
01:42:53 nous sommes passés de 2 milliards à 8 milliards d'êtres humains.
01:42:55 Et pourtant le nombre de victimes de catastrophes naturelles
01:42:58 ne cesse de diminuer en valeur relative et en valeur absolue à l'échelle mondiale.
01:43:02 Comment cela s'explique ?
01:43:03 – Pour que ce soit clair, les catastrophes naturelles font moins de morts qu'avant.
01:43:08 – Exactement, comment cela s'explique ?
01:43:09 Tout simplement par le fait qu'à mesure que les sociétés se développent
01:43:13 économiquement et technologiquement,
01:43:15 elles sont beaucoup plus résilientes face aux aléas naturels.
01:43:18 Quand vous vous appelez le Japon et que vous avez les moyens
01:43:21 d'adopter des normes parasismiques, vous êtes moins vulnérable au séisme
01:43:24 que lorsque vous vous appelez Haïti.
01:43:26 Quand vous vous appelez Israël et que vous avez les moyens
01:43:28 de dessaler l'eau de mer et que vous recourez à des systèmes agricoles sophistiqués,
01:43:32 vous êtes beaucoup moins vulnérable aux sécheresses
01:43:34 que lorsque vous vous appelez Madagascar.
01:43:35 Quand vous vous appelez les Pays-Bas et que vous bénéficiez
01:43:38 d'une ingénierie hydraulique sophistiquée, vous êtes capable de bâtir
01:43:41 votre civilisation sous le niveau de la mer et être paradoxalement
01:43:44 moins vulnérable à la montée des eaux que lorsque vous vous appelez le Bangladesh.
01:43:48 Donc vous voyez bien que les technologies dont je parle
01:43:50 ne relèvent pas d'une boule de cristal, elles existent déjà en particulier
01:43:53 et que l'un des grands défis de la transition écologique et climatique,
01:43:56 c'est de faire en sorte que les pays en voie de développement émergents,
01:43:59 c'est-à-dire les Bangladesh, les Madagascar et les Haïti d'aujourd'hui,
01:44:03 soit sur le plan technologique, les Japon, les Pays-Bas et les Israël de demain.
01:44:09 Donc ça, ça vous montre l'importance de ne pas abandonner la croissance économique
01:44:13 et le développement technologique, étant entendu que la croissance
01:44:16 au XXIe siècle devra prendre une forme radicalement différente
01:44:19 de la croissance telle que nous la connaissons.
01:44:21 C'est quand même la croissance de ces pays qui a provoqué le bouleversement climatique.
01:44:25 Mais bien sûr.
01:44:26 C'est la croissance de nos pays.
01:44:27 C'est ce que je voulais dire.
01:44:29 Mais les connaissances scientifiques ont évolué, nous ne sommes plus
01:44:32 au XIXe siècle, on n'a plus besoin aujourd'hui du charbon et du pétrole
01:44:35 pour générer la croissance économique.
01:44:37 Et l'âge de pierre ne s'est pas terminé faute de pierre.
01:44:39 Il reste une minute. Je vais la donner à Nathanael Van Enhorst.
01:44:42 Je veux bien dire quelque chose, un grand merci.
01:44:44 Moi, je suis d'accord avec les exemples qui ont été donnés par Fergan Azari.
01:44:48 Mais par contre, il me semble que ces exemples-là,
01:44:51 ils ne concernent pas la problématique à laquelle on est confronté aujourd'hui.
01:44:54 C'est-à-dire les exemples, notamment par rapport à un nombre de personnes
01:44:58 qui décèdent du fait des catastrophes naturelles qui est inférieur.
01:45:03 C'est-à-dire, il y a une formule qui est bien connue de tous les environnementalistes
01:45:07 par rapport à l'empreinte environnementale des activités humaines.
01:45:11 L'empreinte environnementale, c'est le nombre de personnes, la population,
01:45:16 multipliée par la consommation, multipliée par la technologie.
01:45:21 C'est-à-dire nos arsenales techniques et technologiques,
01:45:25 ils démultiplient l'impact que nous avons sur notre environnement.
01:45:30 Mais c'est ce qui a permis d'avoir, à un moment donné,
01:45:34 un environnement qui pouvait nous être favorable pendant un laps de temps donné,
01:45:39 mais qui, sur le moyen terme ou le long terme, génère des problèmes systémiques
01:45:44 qui entravent la capacité même, à un moment donné, de maîtriser les écosystèmes.
01:45:48 Et à cet endroit-là, moi, je n'identifie pas comment on peut passer outre un régime,
01:45:53 mais un régime surtout qui ne soit pas le fait d'un autocrate, d'une dictature
01:45:58 et de quotas comme ça qui nous tomberaient du ciel, mais que ces "quotas"
01:46:05 soient bien le fait de l'émanation de la démocratie,
01:46:08 et soient bien une activité du législateur, et à un moment donné, prendre notre emprunte.
01:46:15 Ce sera le mot de la fin, Nathaniel Ballénors, mais on l'a bien compris.
01:46:20 Vous voulez que ce soit démocratique, mais carrément, il faudra trancher.
01:46:24 Merci tous d'avoir participé à cette émission.
01:46:27 Merci de nous avoir suivis. Passez une très bonne nuit.
01:46:30 On se retrouve demain à 22h pour un autre numéro des Visiteurs du Soir.
01:46:35 Merci à tous !

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