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00:00 * Extrait de « Les Matins de France Culture » de Guillaume Erner *
00:06 Le livre culte de Ray Bradbury, « Fahrenheit 451 » à 70 ans, il est publié avec une préface de vous Hervé Lottelier, bonjour !
00:15 Bonjour !
00:16 Puis-je dire que vous avez obtenu le Goncourt en 20 ?
00:19 Oui, vous pouvez le dire, elle est très bien radiophoniquement parlant, elle ne marche pas du tout à l'écrit.
00:24 Vous l'avez eu en 2020 pour « L'anomalie » aux éditions Gallimard et vous avez décidé de préfacer ce livre à un livre où il est question de livres, Hervé Lottelier.
00:36 Quelques mots tout d'abord pour présenter « Fahrenheit 451 » à ceux qui ne l'auraient pas lu.
00:41 C'est un livre écrit en 1953 par Ray Bradbury, qui a une trentaine d'années.
00:47 Il est écrit un peu sous le coup de la colère et qui est le résultat de la fusion de deux livres antérieurs, des petites nouvelles.
00:55 Résumé, c'est l'histoire d'un homme qui est un pompier, c'est-à-dire un homme qui brûle des livres.
01:02 Dans une société post-atomique, on le comprend parce qu'on voit dans les premières pages du livre qu'il y a eu deux guerres après 1960,
01:11 et que ces deux guerres ont été provoquées et gagnées par les Etats-Unis.
01:15 Dans ce monde, qui est un monde utopique, le livre est devenu interdit pour des raisons qui sont développées par Bradbury plus tard.
01:24 Ce sont quelques individus qui vont porter la culture en la mémorisant, en la retenant, en apprenant par cœur des livres,
01:34 de Confucius à Aristophanes, en passant par l'Ecclésiaste, en passant par Platon, en passant par Swift.
01:40 Tout ce qu'on peut imaginer de la culture mondiale est retenu par des individus qui sont cachés dans les forêts
01:46 et qui tentent à leur manière de préserver ce qui reste de l'écrit.
01:51 Les êtres humains sont devenus des livres. D'ailleurs, vous Hervé Le Tellier, si vous deviez être un livre, comme dans Fahrenheit 451, quel livre choisiriez-vous ?
01:59 C'est un peu étrange ma réponse, parce qu'en fait, c'est le livre que Montag, qui est le pompier, choisit de porter, qui est l'Ecclésiaste.
02:08 Et qui est un livre que j'ai lu, c'est une sorte de retour des choses, que j'ai lu grâce à Bradbury.
02:14 Quand j'avais 13 ans et que j'ai lu Bradbury, j'ai découvert le nom de l'Ecclésiaste.
02:18 Et je l'ai lu à ce moment-là, je trouve que c'est un des plus beaux poèmes de la littérature.
02:24 C'est ce texte de la Bible, qui s'appelle Coëlette, qui est l'histoire du fils de David,
02:33 qui raconte la manière dont il perçoit le monde et qui raconte que le monde est vain sans la présence d'un être supérieur.
02:41 Et ce qui m'intéresse dans ce livre, c'est la vanité de la vie, c'est-à-dire la manière dont c'est abordé dans Coëlette,
02:53 dont il nous reste un nombre d'éléments dans le langage extrêmement important.
02:58 Rien de nouveau sous le soleil, tous les ruisseaux vont vers la mer et la mer n'est jamais remplie.
03:03 On peut multiplier les exemples de vanité, dévanité, qui est une mauvaise traduction d'ailleurs.
03:08 Pourquoi la bonne traduction serait ?
03:10 C'est très compliqué parce que c'est "havel, havelim" et je ne suis pas du tout anébrizant,
03:18 mais c'est le souffle du souffle, c'est-à-dire que c'est le petit souffle qui agite le sable lorsque le vent tourne dans le désert.
03:26 C'est une toute petite chose, c'est presque rien.
03:28 Et donc "havel, havelim" c'est rien de rien, c'est vraiment la substance même du quasi-vide.
03:34 Et donc dire que le monde n'est rien, c'est quand même incroyablement puissant.
03:39 Et "havel, havelim" c'est un très très beau texte.
03:41 "Fahrenheit 451" a aussi été porté à l'écran, bien sûr, j'ai envie de dire,
03:47 puisque là aussi un classique du cinéma par François Truffaut.
03:50 On écoute un extrait justement de "Fahrenheit 451", cette fois-ci par François Truffaut, c'était en 1966.
03:58 "Dites-moi, pourquoi brûlez-vous les livres ?"
04:00 "Ah, eh bien, c'est un métier excellent, un métier plein de diversité.
04:05 Le lundi on brûle Miller, le mardi Tolstoy, une autre fois Shakespeare, puis c'est Faulkner,
04:10 et un samedi ce sera Chopin-Horrer et Sartre.
04:13 Les réduire en cendres et brûler les cendres, voilà notre slogan officiel."
04:18 "Je vois que vous n'aimez pas les livres."
04:20 "Moi je dis que les livres n'ont aucun intérêt, ils se contredisent tous."
04:25 "Alors je ne comprends pas pourquoi on les lit, puisque c'est si dangereux."
04:28 "Précisément parce que c'est défendu."
04:30 "Pourquoi est-ce que c'est défendu ?"
04:32 "Parce que les livres ne font que du mal."
04:34 "Vous croyez vraiment ce que vous dites ?"
04:36 "Ah oui, ils troublent l'ordre public, ils empêchent le progrès social."
04:40 "Vous nisez jamais les livres que vous voulez ?"
04:42 "Pourquoi faire ? Premièrement je n'en vois pas l'utilité,
04:45 deuxièmement je n'ai pas le temps, et troisièmement c'est défendu."
04:47 "Oui, bien sûr."
04:49 "Vous êtes heureux ?"
04:51 "Hein ? Évidemment je suis heureux."
04:53 Un extrait de Fahrenheit 451, Hervé Letellier,
04:59 au moins les pompiers rendent hommage à la littérature.
05:02 "Oui, d'ailleurs il connaît un nombre d'auteurs impressionnants,
05:05 Schopenhauer, Sartre, Confucius, il en cite beaucoup."
05:08 Et puis, une des raisons pour lesquelles il aime son métier,
05:10 le fait de voir brûler des livres, c'est parce que de temps en temps
05:13 on peut saisir une phrase de l'un de ses auteurs, de Dostoevsky par exemple,
05:18 et ça c'est quelque chose de gratifiant.
05:21 Il y a là donc une manière de rendre hommage,
05:24 c'est un triste hommage à la littérature,
05:28 ce qu'avait imaginé Bradbury, il l'avait fait aussi notamment
05:32 parce qu'il avait vu aux actualités de véritables autodafés.
05:36 "Oui, il avait donc presque dix ans, lorsqu'il a vu les nazis brûler les livres,
05:42 il a connu les procès de Moscou, et puis on est en plein maccartisme,
05:45 donc on est en pleine interdiction de livres communistes,
05:50 d'auteurs communistes, de scénaristes communistes,
05:52 c'est le moment des Hollywood 10, et l'année 53 c'est aussi l'année
05:56 où les époux Rosenberg sont condamnés à la chaise électrique."
06:00 "Ah ça je crois qu'il va falloir rappeler qui sont les époux Rosenberg,
06:03 les époux Rosenberg sont..." "Jeunes." "Oui, alors ce sont sans doute deux espions communistes
06:11 qui travaillent effectivement pour l'Union soviétique,
06:14 et qui vont être arrêtés, condamnés à mort,
06:19 et bien sûr c'est un moment un peu noir de l'histoire américaine,
06:24 parce que c'est un de ces moments très violents après Stjako Evanzeti,
06:29 de la répression et du maccartisme, c'est la première expression extrêmement puissante du maccartisme,
06:36 et de la lutte contre une Union soviétique fantasmée qui a depuis 1948 la bombe atomique,
06:43 et c'est vraiment au cœur de la guerre froide qu'on est à ce moment-là, en 53,
06:48 donc c'est aussi pour ça que je pense Bradbury a écrit ce livre,
06:51 c'est un livre un peu inquiet sur ce que peuvent venir les Etats-Unis potentiellement,
06:56 c'est pas le seul livre qui raconte une Amérique fantasmée,
07:01 comme par exemple je pense à Philippe Roth et au complot contre l'Amérique,
07:04 qui est aussi un de ces livres un peu dyschroniques,
07:09 et dans lequel on peut présenter une évolution potentielle des Etats-Unis à un autre moment qu'il y a 1939,
07:16 et la manière dont Lindbergh pourrait prendre le pouvoir et devenir pro-nazi,
07:21 il y a cette idée qui est toujours présente chez beaucoup d'intellectuels américains
07:26 du danger fasciste aux Etats-Unis, qui les inquiète énormément dans les années 40, 50, 60, 70, 80,
07:34 parce que c'est une tendance qu'on voit, l'Amérique est un pays partagé en deux,
07:39 qui peut-être plus que n'importe quel autre n'est pas complètement unifié,
07:44 qui porte en lui les germes, on voit bien encore aujourd'hui,
07:49 c'est encore présent, c'est encore une forme extrêmement forte de division,
07:55 non seulement sociale mais culturelle au sein des Etats-Unis, entre deux mondes.
07:59 Hervé Le Tellier, justement, s'est attrait parce qu'il y a aujourd'hui énormément de dystopie,
08:03 c'est devenu d'ailleurs un genre en tant que tel,
08:06 il y a beaucoup de questions de genre autour de Fahrenheit 451,
08:09 Bradbury disait qu'il n'avait pas fait de la science-fiction mais du fantastique,
08:13 nous on pourrait le lire comme une dystopie,
08:16 c'est-à-dire que vous avez écrit avec l'anomalie un livre qu'on peut classer parmi les livres fantastiques ?
08:22 Oui, moi je l'avais qualifié d'expérience de pensée,
08:25 mais je ne rejette ni le terme de science-fiction, ni le terme de fantastique,
08:30 il y a des éléments dans l'anomalie qui ne sont pas tout à fait réalistes,
08:36 nous l'espérons en tout cas, goûte le sombre peut-être trop.
08:39 Dans le livre de Bradbury, il y a des éléments aussi qui ne sont pas réalistes,
08:44 mais en tout cas, il touche du doigt des peurs que nous avons,
08:48 pourquoi y a-t-il autant de dystopie aujourd'hui,
08:51 alors même que l'actualité suffit en fait pour faire peur Hervé Letellier ?
08:56 Je crois qu'il y a, d'abord, il y a toujours eu, depuis l'origine de la littérature,
09:02 un besoin d'imaginer une autre manière d'organisation de la société et du monde,
09:08 depuis quasiment l'origine mythologique des textes,
09:14 depuis Gilgamesh, d'ailleurs dans Gilgamesh, il y a déjà cette idée d'une dystopie...
09:18 Gilgamesh qui est considéré comme étant...
09:20 Oui, oui, l'origine même, en tout cas pour la partie occidentale du monde,
09:24 l'origine de la littérature, il y a toujours eu cette idée d'un autre monde possible,
09:29 avec une autre évolution, une flèche de temps,
09:32 dans laquelle les choses se passeraient différemment de ce qu'elles suivent dans la nôtre,
09:36 donc je crois qu'il y a toujours eu ce désir-là,
09:39 et puis depuis que ça s'est installé avec Moore, avec Utopie, avec Swift,
09:44 beaucoup d'anglo-saxons,
09:46 il y a toujours eu ce désir de pouvoir projeter dans un monde fantasmé
09:51 ce qui est les caractéristiques d'une autre,
09:54 et de faire de la satire et de la sotie avec la définition d'un univers différent d'une autre.
10:01 Donc il y a toujours eu ça,
10:03 et je crois qu'aujourd'hui on a encore besoin de pouvoir imaginer un monde différent,
10:07 même s'il y a une noirceur, je pense, beaucoup plus profonde aujourd'hui,
10:11 on est dans des projections apocalyptiques.
10:14 Je ne sais pas parce que la période où Bradbury écrivait, par exemple, le MacCarthyisme,
10:19 n'était certainement pas une période heureuse aux Etats-Unis,
10:23 je ne pense pas que la guerre du Vietnam ait été non plus une période heureuse par la suite,
10:27 mais on a l'impression effectivement que notre époque a une forme de noirceur particulière.
10:33 Oui, peut-être parce qu'on est arrivé au bout de la nature,
10:37 on ne parle pas du tout de la nature, par exemple,
10:40 et de notre place, et de la menace sur la planète en tant que telle.
10:43 A l'époque, en 1953, la grande peur c'est la bombe atomique,
10:46 c'est vraiment ça qui les terrorise.
10:48 Les gens construisent des abris,
10:50 les gens commencent à envisager la destruction de l'Union soviétique avec des ogives multiples,
10:56 c'est un monde qui va culminer avec la crise des missiles à Cuba quelques années plus tard,
11:02 mais qui est un monde dans lequel la terreur est omniprésente.
11:05 Il y a une forme à la fois de développement économique et industriel extrêmement fort,
11:10 avec ce fantasme qu'on va retrouver dans "My Grand Graffiti",
11:13 qui est quelque chose qui est aussi contrasté par rapport au fait que c'est un pays qui est en permanence en guerre,
11:19 avec la guerre de Corée, avec la guerre du Vietnam qui va commencer,
11:21 et qui simultanément connaît une gloire hollywoodienne, musicale,
11:30 avec des emblèmes qui vont de Elvis Presley en passant par Gary Cooper.
11:34 Et donc il y a ce contraste entre les deux,
11:38 entre un monde qui est un monde qui peut être extrêmement idéalisé,
11:43 extrêmement même séduisant pour tout l'Occident,
11:47 et simultanément un monde qui a peur, qui est pris dans une angoisse de la guerre atomique.
11:52 Vous avez lu énormément de science-fiction à l'époque, Hervé Letellier,
11:57 vous avez lu Bradbury, j'imagine Asimov, les classiques de la science-fiction,
12:01 quelques mots à ce sujet, puis peut-être aussi pour les présenter pour ceux qui ont la chance de ne pas les avoir encore lus.
12:08 Oui, c'est une chance de ne pas les avoir encore lus, effectivement.
12:11 Quand j'avais 15 ans, dans les années 70, j'ai quasiment lu une grande partie de la science-fiction américaine qui était fondatrice,
12:22 c'est-à-dire Savadev Asimov, en passant par Heinlein, en passant par Clifford Decima,
12:26 qui a écrit un livre assez étonnant qui s'appelle Demain les chiens.
12:30 Et ce qui, moi, m'intéressait dans la science-fiction à l'époque, c'était une manière de faire de la philosophie sans en faire,
12:35 c'est-à-dire c'est un peu comme la philosophie par les blagues,
12:38 c'est-à-dire la philosophie par l'utopie, par des mondes différents dans lesquels on questionne finalement ce que c'est que l'univers.
12:45 Il faut se souvenir qu'un livre comme, ce qui n'a pas la science-fiction d'ailleurs,
12:51 mais comme par exemple Le Seigneur des Anneaux a été un livre qui a été interdit par le Vatican.
12:56 Et pourquoi ?
12:58 Il a été mis à l'index parce que ce qu'il proposait, c'était une vision du monde dans laquelle il n'y avait pas que la création de l'homme,
13:05 mais il y avait aussi des mondes avec les orques, quelque chose qui n'est pas dans le canon.
13:10 Et donc dans cette époque, les livres importants sont vraiment des livres qui, pour des adolescents, font des expériences de pensée.
13:19 Essayer d'imaginer autre chose à partir de choses très concrètes.
13:22 Hervé Le Tellier, écrivain où vous doit l'anomalie notamment, nous célébrons l'anniversaire de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.
13:32 Vous serez rejoint dans une vingtaine de minutes par l'écrivaine Tania de Montaigne qui vient de publier Sensibilité aux éditions Grasset.
13:38 Mais en attendant, je vous présente le neurologue Lionel Nacage qui est en face de vous.
13:42 Deux écrivains pour célébrer les 70 ans du livre de Ray Bradbury Fahrenheit 451.
13:55 Hervé Le Tellier qui a notamment publié Moi et François Mitterrand aux éditions Folio et Tania de Montaigne que nous accueillons.
14:04 Bonjour Tania de Montaigne, vous êtes écrivaine et séiste et vous venez de publier un ouvrage, un roman intitulé Sensibilité aux éditions Grasset.
14:12 Un ouvrage où il est question notamment des sensitivity readers de ces personnes qui sont donc désormais employées dans des maisons d'édition
14:21 pour savoir ce qui choque ou ce qui ne choque pas. Mais moi j'aimerais savoir si l'écriture inclusive vous choque ou ne vous choque pas
14:29 car Stéphane Robert a consacré son billet politique à cette nouvelle graphie.
14:33 Oui, que j'ai écoutée attentivement. En fait ce qui est intéressant c'est pourquoi, les raisons en fait.
14:40 Là quand vous décrivez cette sénatrice, on voit bien que bon elle s'en fout complètement de l'illettrisme.
14:45 Finalement ce n'est pas tellement son sujet alors que ça, ça m'aurait beaucoup intéressé de savoir comment est-ce qu'elle sur ces 13% d'illettrés
14:51 elle allait faire quelque chose et donc elle se focalise là-dessus.
14:55 Voilà, c'est encore un support mais profondément on voit bien que ce que c'est censé agiter, c'est-à-dire la question de l'égalité,
15:04 la question... tous ces gens s'en foutent complètement quoi.
15:07 Et sur la question de l'inclusivité, moi je trouve que ce qui est intéressant, ce que là vous disiez, curieux, puis entre parenthèses on met le "se"
15:16 enfin donc le masculin est quand même toujours devant donc de ce point de vue là, peut-être qu'il faudrait inverser vraiment
15:21 et donc mettre curieuse et puis le "x" entre parenthèses et là je crois que ça deviendrait vraiment quelque chose.
15:28 Là, ça agiterait vraiment quelque chose.
15:30 Et puis après il y a aussi une espèce de fainéantisme parce qu'il y a un truc efficace.
15:35 Donc vous voulez une écriture inclusive, encore plus inclusive ?
15:38 Bah non mais en tout cas si le sujet c'est de faire apparaître et émerger le féminin, les femmes,
15:45 puisque il y avait cette question d'égalité homme-femme, alors soit on y va franchement et donc peut-être on fait quelque chose de moins fainéant,
15:51 c'est-à-dire qu'on la fait vraiment apparaître et donc on se coltine d'écrire les deux mots à chaque fois,
15:56 soit il va falloir... enfin en tout cas je pense qu'il y a des choses à réfléchir autour de ça.
16:01 Et si ça devient pratique, je trouve que ce qu'on vise a disparu du sujet.
16:05 On ne sait plus du tout ce qu'on visait.
16:07 Hervé Lautelier ?
16:08 Je suis pour certaines choses. Par exemple, je suis pour qu'on dise "le canard et les oies sont méchantes".
16:14 Je suis assez pour ça parce que je pense qu'il n'y a aucune raison qu'on ne fasse pas l'accord avec le plus proche.
16:20 C'est une des choses qui me paraît intéressante.
16:22 Je suis très très favorable à l'idée de la fumidisation des dons de métier.
16:26 Il y a un très bon livre qui s'appelle "Le ministre est enceinte" de Bernard Zarchiglini qui pose bien le problème.
16:31 Il est évident qu'il faut féminiser les dons de métier.
16:34 Pour le reste, je suis d'accord avec Tania de Montaigne.
16:36 C'est-à-dire qu'il y a deux problèmes.
16:39 D'abord, le problème, c'est que la langue est très autonome, donc elle fait ce qu'elle veut.
16:42 Et on ne peut pas décider de manière arbitraire et législative de ce qui va advenir.
16:48 Je pense qu'il y a aussi une dimension anglo-saxonne qui nous arrive.
16:52 Et on ne peut pas plaquer sur une langue qui a du genre quelque chose qui vient d'une langue qui n'en a pas.
16:59 Donc on a cette difficulté qu'effectivement on dit "citoyens, citoyennes" alors que les Américains n'ont pas ce problème.
17:04 Donc il faut qu'on trouve un modus vivendi pour que les choses se passent bien.
17:11 Je ne suis pas tout à fait certain que ça se prononce bien de mettre "citoyens.ne.s".
17:18 C'est compliqué. Je pense qu'il ne faut pas être flémard.
17:22 Il faut mettre "les citoyens et les citoyennes" quand ça a du sens.
17:25 Et parfois, ça n'a pas de sens de mettre "les citoyens et les citoyennes".
17:28 C'est comme si on séparait les hommes et les femmes.
17:30 Et c'est bien que le neutre qui est dans la langue française reste un neutre.
17:34 En tout cas, on voit que la langue est politique, qu'elle peut être dangereuse ou cesser de l'être.
17:40 Dans "Fahrenheit 451", le livre de Ray Bradbury, reparu aux éditions de Noël avec votre préface Hervé Letelli,
17:48 on voit que les livres sont dangereux et les livres peuvent l'être aussi d'une autre manière.
17:53 Tanya de Montaigne, c'est ce que vous racontez dans votre roman "Sensibilité"
17:57 où il est notamment question d'Eunice, une ancienne éditrice d'une maison d'édition qui s'appelle Feelgood.
18:03 Elle est virée car pas assez sensible.
18:05 Elle doit désormais travailler dans une maison d'édition qui s'appelle Mémoire.
18:09 Elle a notamment violé la charte de Feelgood.
18:12 Que chacun puisse se sentir bien confortable.
18:16 Est-ce à dire, Tanya de Montaigne, que la littérature, dans cette forme de dystopie que vous êtes en train de décrire,
18:25 mais qui est une dystopie peut-être proche, je ne sais pas, vous me le direz,
18:28 elle peut servir à ne choquer personne ?
18:33 Le sujet de cette maison d'édition, c'est d'essayer de sentir suffisamment ce qui pourrait faire de la peine aux gens,
18:43 de façon générale, et puis alors ce "aux gens" commence à devenir de plus en plus large.
18:48 Et pour ça, comme on est à partir du sensible, toute chose qui pourrait faire de la peine
18:55 ou qui est signalée comme en faisant, doit être éliminée pour que la lecture soit enfin un havre de paix
19:01 sans aspérité et plein de bonheur.
19:06 C'est un beau projet. Dans l'absolu et d'un point de vue complètement infantile, oui, on adorerait faire plaisir à tout le monde
19:13 et que le bien irradie l'espace de chacun.
19:17 Mais le problème, c'est qu'envisager ça, c'est se mettre immédiatement du côté de la tyrannie.
19:23 Puisque par définition, la sensibilité de l'un n'est pas celle de l'autre.
19:27 Et que vous êtes obligé de retirer au fur et à mesure tout.
19:32 Puisque potentiellement, tout peut venir percuter quelqu'un dans son histoire, dans ce qu'il a vécu, dans ce qu'il agite.
19:39 Donc vouloir être comme ça, dans la possibilité que tout soit merveilleux,
19:46 c'est interdire l'ensemble de ce qui nous traverse, que la vie n'est pas merveilleuse.
19:52 On pourrait peut-être œuvrer pour qu'elle soit améliorée. D'où cette profession.
19:57 Il y a trop peu de professions créées dans le domaine de l'édition.
20:01 Voici une nouvelle, Tania de Montaigne, qui consiste à relire des textes pour éviter que ceux-ci soient blessants,
20:09 offensants pour les uns ou pour les autres.
20:12 Ça fait très longtemps que les textes sont relus, peut-être que les vôtres d'ailleurs le sont aussi par des amis,
20:17 par différentes personnes qui vous donnent des avis.
20:20 Bien sûr, la question ce n'est pas de faire lire son texte à quelqu'un et qu'il vous donne son avis.
20:25 La question c'est de faire lire un texte à quelqu'un à qui on prête une expertise,
20:31 sur la base de critères qui, au final, si par exemple on parle des lecteurs de sensibilité noirs,
20:38 quand même on prête à quelqu'un qui est noir la possibilité de savoir ce qui agit tous les noirs, ce qui n'est quand même pas banal.
20:45 En l'occurrence, ces lecteurs de sensibilité sont engagés dans la maison d'édition, mais souvent ils ne le sont pas.
20:53 Souvent ils sont consultants, donc ils sont extérieurs à la maison.
20:56 Ils ont du travail, disons.
20:57 Ils ont du travail, mais c'est intéressant de voir, parce qu'en fait c'est comme l'écriture inclusive.
21:01 La question de départ, c'était la discrimination, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui ne sont pas représentés,
21:08 qui ne sont pas présents dans certaines entreprises ou institutions.
21:11 La réponse à ça, c'est de dire qu'on ne va pas du tout changer notre mode de recrutement et on va complètement rester ensemble,
21:17 mais on va embaucher de façon intermittente des gens qui seront destinés à nous garantir
21:25 que ce que nous produisons ne fera pas de la peine à des gens qui ne sont pas présents, d'ailleurs, dans notre entreprise.
21:31 Voilà, donc en fait ce que vous voulez, c'est vous garantir qu'il n'y a pas de risque,
21:35 ce qui n'est quand même pas banal quand on fait, quand on édite des livres ou même pour toute forme artistique.
21:41 Le principe de l'art, c'est quand même de prendre le risque de l'autre,
21:44 de quelque chose qui n'est pas exactement soi ou de regarder quelque chose avec un prisme qui est risqué, par définition.
21:53 Mais par exemple, ça peut être utile.
21:55 Je ne sais pas si je décidais d'écrire un roman où l'un des personnages était une femme noire,
22:02 je pourrais avoir affaire à un sensitivity reader ou à une personne autorisée qui me dirait si j'ai bien saisi la spécificité de cette histoire.
22:11 Je vous fais sourire parce qu'en fait je prends un véritable exemple qui est celui de Kevin Lambert.
22:17 Oui, oui, ou d'autres.
22:18 Oui, j'en parle parce qu'il est dans la rentrée.
22:21 En fait, ce qui est intéressant, c'est dans la phrase que vous avez dite, c'est une personne autorisée.
22:26 Le sujet, c'est elle est autorisée par qui ?
22:29 En l'occurrence, que vous vous fassiez lire votre livre à quelqu'un dont vous pensez que son regard est intéressant,
22:35 oui, on fait tout ça et puis on s'en fout, c'est un non-événement.
22:39 La chose qui est bizarre, c'est si vous pensez que cette personne-là, parce qu'elle vous a dit ça oui, ça non,
22:46 que cette personne-là parle au nom de tous.
22:49 Donc en fait, vous êtes en train de travailler gentiment avec votre impensé raciste et de croire qu'un dit tous.
22:55 Non, la seule chose que ça vous garantit, c'est que la personne à qui vous avez fait lire vous a donné son avis.
23:00 Bon, eh bien voilà.
23:02 À un certain niveau de généralité sociologique, par exemple, on peut imaginer que les mêmes causes produisent les mêmes effets
23:08 que les mémoires ou la mémoire, pour prendre le nom de cette maison d'édition au travail EUNIS dans votre ouvrage Tania de Montaigne, Sensibilité.
23:17 Eh bien voilà, la mémoire, ça peut façonner une forme de sensibilité commune à un groupe racisé.
23:23 Alors là, on a la totale.
23:25 Non, parce que la mémoire, c'est le fruit du collectif et du singulier.
23:32 Donc un événement va faire événement de façon très différente entre plusieurs personnes.
23:37 Et par ailleurs, les Noirs n'existent pas en fait, parce que vous avez un taux de mélanie qui peut être semblable,
23:46 que vous avez traversé la même chose, que vous avez les mêmes parents, que vous habitez le même pays.
23:50 Donc c'est pour ça que je parle d'un pensée raciste, parce qu'il y a quand même l'idée qu'un Noir ou qui que soit d'autre,
23:57 je veux dire, il y a des lecteurs de sensibilité schizophrène par exemple, ça supposerait que la schizophrénie, c'est la même chose pour tout le monde.
24:03 Non, la schizophrénie, c'est une maladie.
24:05 Et après, comment elle vous traverse ? Comment elle s'inscrit en vous ?
24:09 Eh bien alors, tout ça, c'est le fruit de la singularité de votre parcours.
24:13 Donc, personne ne peut parler au nom de tous.
24:17 Ça n'est pas possible, c'est un rêve de raciste ou de misogyne, mais ça n'existe pas.
24:25 En tout cas, c'est une manière d'essentialiser selon vous.
24:27 Ben totalement.
24:28 Hervé Lottelier, vous en pensez quoi de l'idée d'écrire, de réécrire ?
24:33 Parce qu'on peut aussi imaginer qu'un certain nombre de textes choquants puissent être réécrits pour ne plus choquer.
24:41 J'ai fait la préface d'un autre livre qui était celui de Mark Twain et qui était Tom Sawyer,
24:47 dans lequel la question du noir est aussi posée de manière crue parce qu'on fait parler des Noirs qui sont des Noirs du Mississippi.
24:55 Et comment est-ce qu'on traduit le langage noir tel qu'il est restitué, qui est même le langage nègre pour Mark Twain ?
25:02 Comment est-ce qu'on restitue ce type d'écriture en français ?
25:05 Et c'était une vraie question. Personne aujourd'hui ne peut savoir comment au 19e siècle pensait un Noir, comment parlait un Noir.
25:14 Et l'écriture de ça pose cette question directement du langage et de la manière dont est vécu collectivement un idiome par une communauté.
25:25 Moi, je trouve que c'est compliqué. Dans l'anomalie, j'avais trois personnages noirs.
25:29 Et j'ai eu d'ailleurs des remarques de mes éditeurs américains, qui n'ont pas été des remarques de censeurs, ni des remarques de modifications,
25:37 mais qui posaient la question de savoir si sur tel ou tel point, ils n'allaient pas affronter ce qu'on appelle aux États-Unis un « shitstorm »,
25:44 c'est-à-dire une tempête de merde, parce qu'à un moment donné, vous utilisez un mot.
25:48 Et j'avais en particulier une phrase à laquelle je tenais, parce qu'on était dans la tête d'un raciste.
25:54 Et ce raciste disait la phrase exactement qui était « petite naigresse surdouée de Houston ».
26:00 On est clairement dans la tête de ce raciste. Il faut pouvoir évoquer ce mot-là pour que, à mon avis, surgisse chez le lecteur la colère, la révolte,
26:10 qu'il se mobilise contre même la pensée du raciste. Et si ce mot est occulté par un N-word avec trois petits points, il y a quelque chose qui disparaît.
26:18 Cette disparition qui, moi, m'embête parce qu'elle prend le lecteur pour un imbécile. Elle diminue sa capacité d'autonomie et d'intelligence.
26:28 Qu'est-ce que vous en pensiez ?
26:29 Oui, j'abonde totalement. Et non seulement ça prend le lecteur pour un imbécile, mais en plus, ça prend l'histoire pour une anecdote.
26:39 Donc, il se trouve que ce mot « naigresse » a été employé, a existé, qu'il raconte quelque chose.
26:45 Et donc, l'éliminer, c'est éliminer l'histoire qui va avec ce mot, donc tout un pan de ce qui nous traverse.
26:51 C'est pour ça qu'il y a la nécessité de pouvoir dire « voilà, cette personne est raciste ».
27:00 Mais ça me fait penser à une expo que j'ai vue où il y avait ce souci, justement, de ne pas choquer les Noirs.
27:06 Et donc, il y avait des tableaux qui étaient renommés. Un tableau qui s'appelait « La naigresse au bouquet devient la jeune fille noire ».
27:12 Je sentais qu'ils avaient gambergé pendant des plombes pour savoir si « la jeune fille noire », « la jeune fille sympa noire », « la super noire sympatoche ».
27:20 On voit bien que là, on était à côté de la plaque.
27:24 Mais ça, on peut le dire lorsque le mot a valeur de document, mais lorsqu'il est là comme une forme d'impensé, héritage de l'inconscient colonial ou raciste.
27:35 Dans « Dix petits nègres », par exemple, si l'on modifiait ce titre, et évidemment, je prends cet exemple à dessein, Tania de Montaigne,
27:42 c'est plutôt une bonne idée de faire disparaître ces héritages inconscients de la pensée raciste d'hier ?
27:49 Non, je pense que si ce livre a été vendu avec ce titre pendant des années, je trouve ça intéressant qu'on puisse savoir que ce livre a été vendu pendant des années avec ce titre.
28:00 Et en plus, pour moi, prendre quelqu'un dans toute la liberté et la responsabilité qu'il a, c'est aussi dire « si toi, ça te dérange d'acheter un livre qui s'appelle comme ça »,
28:12 le truc formidable, parce qu'on parle quand même d'art, et en l'occurrence, il n'y a pas du tout une vision totalitaire, comme si on ne pouvait pas s'en défendre.
28:20 Mais c'est très simple, il suffit de ne pas acheter ce livre. Donc, on a quand même une grande liberté par rapport à ça.
28:25 Hervé Le Ténier, vous qui êtes largement inspiré par l'oulippo, autrement dit une technique d'écriture sous contrainte.
28:32 Ce serait une bonne technique d'écriture sous contrainte d'écrire en ne choquant personne ?
28:37 Oui, il y avait eu un texte qui, je crois, avait été écrit par Luc Etienne. Luc Etienne, c'était l'homme qui avait inventé dans « Le canard enchaîné », l'album de la Comtesse, qui sont des contrepaix.
28:47 Il avait écrit un assez long texte dans lequel il faisait disparaître tous les mots qui pouvaient choquer.
28:51 Par exemple, « France culture » deviendrait « France-ture », vous voyez ? C'est l'idée. « France-ture », c'est quand même mieux, c'est moins vulgaire que « France-ture ».
29:00 Et donc, il avait écrit un très long texte dans lequel il avait accumulé les mots qui devaient disparaître. Et c'était assez formidable.
29:09 Oui, c'est une contrainte, effectivement. Mais s'appliquer la contrainte, justement, de n'écrire en choquant personne, c'est quand même le risque d'écrire « Oui, oui, la voiture jaune ». C'est un peu embêtant.
29:20 C'est peut-être aussi une manière d'avoir un effet de contraste par rapport à un écrivain qui choisirait d'essayer de choquer, d'utiliser des thèmes choquants, un traitement du thème.
29:32 Je pense par exemple à Houellebecq, lorsque « Soumission » était sorti. Il y avait probablement une volonté de mettre en scène comme cela ce qui choquerait l'époque,
29:44 ce qui relève d'un certain talent, mais ce qui relève là aussi d'un exercice littéraire, avec Lothélier.
29:50 Oui, je pense qu'il faut dissocier deux choses. Il y a l'appel à la haine, genre « Gazelle pour un massacre » de Céline, qui doit continuer à être publié, à mon avis, avec Anne-Marie Critique,
30:00 pour que les gens puissent savoir à quel point Céline était un sale raciste. Et puis, simultanément, il y a des textes qui sont des textes polémiques sur lesquels tout le monde doit pouvoir discuter
30:11 du moment qu'il n'y a pas un quelconque instant d'infraction vis-à-vis de la loi, c'est tout. La loi, elle a beaucoup évolué, elle a beaucoup bougé.
30:21 Il y a aujourd'hui une sorte de garde-fou généralisé sur ce qu'on peut faire et ne pas faire. L'appel à un « sensibility reader », je peux comprendre, mais à la limite, un juriste devrait pouvoir suffire, parfois.
30:31 Et puis, on doit pouvoir s'assumer et pouvoir faire parler, justement, que je le disais, des individus qui ne sont pas sympathiques dans les livres. La fiction doit permettre aussi de faire intervenir des gens odieux.
30:43 - Tania de Montaigne, par exemple, si on prenait, je ne sais pas, un pédophile qui écrivait son journal et qui le publiait, ça ne vous choquerait pas, ça ?
30:53 - Mais après, il y a plein de choses qui me choquent. Si, en fait, vous voulez savoir si des choses me choquent ou pas, oui. La question, là, c'est de savoir, du point de vue légal, qu'est-ce qu'on peut opposer.
31:08 - Mais mettons de côté le côté légal. - Oui, mais alors, il est fondamental. C'est-à-dire qu'on ne peut pas mettre de côté l'aspect légal parce que, justement, il est fondamental.
31:16 Dans le cas de Matzneff, puisque j'imagine que vous parlez de lui, ce qui est problématique, c'est ce qu'il fait dans la vie. C'est-à-dire que c'est parce que nous savons que dans la vie, il fait ça, que c'est problématique.
31:29 Mais en l'occurrence, c'est bien que Nabokov ait écrit Lolita et que Lolita existe. Et pourtant, on est dans la tête d'un pédophile.
31:38 Donc on voit bien qu'on est obligé, toujours, de s'interroger sur le contexte et sur le sujet dont il est question. Parce que si on fait un truc en masse en disant qu'on n'a plus jamais le droit d'écrire sur l'inceste,
31:51 eh bien ça, qui est un sujet fondamental, doit être dit. Si l'inceste disparaît, s'il n'y a pas Neshino, c'est dommage, par exemple. Donc on ne peut pas fonctionner en masse.
32:09 On est obligé de regarder de quoi il est question, de savoir si, du point de vue légal, il y a une problématique. S'il n'y en a pas, eh bien alors il faut supporter qu'une peinture, un film existe.
32:23 Et puis après, encore une fois, on peut ne pas y aller. On peut dire qu'on n'aime pas. On peut recommander à ses proches de ne pas y aller, de ne pas le lire.
32:32 Mais on voit bien qu'il y a certaines œuvres, certains sujets qui peuvent poser problème à certaines personnes et pas à d'autres. Donc c'est pour ça que la sensibilité ne peut pas être un critère.
32:43 C'est quand même, encore une fois, Hervé Le Tellier, comme dans Fahrenheit 451, une manière, cette façon de censurer les livres, parce que ça a été fait aux États-Unis.
32:51 Alors généralement, plutôt là, par l'extrême droite qui considérait qu'un certain nombre de livres étaient offensants, il y a là aussi une manière de croire encore en la littérature.
33:01 C'est peut-être une manière, une triste manière, mais ça signifie que les livres, encore pour ces gens-là, ont leur importance.
33:10 Oui, j'ai du mal à comprendre le sens profond de votre question.
33:14 Je ne sais pas s'il y avait un sens profond, mais en tout cas, ce que je voulais dire, c'est qu'il rend hommage à la littérature à une époque où celle-ci pourrait devenir, ou risque de devenir de plus en plus périphérique par rapport à d'autres formes de...
33:26 Oui, c'est vrai. Ce qui est intéressant vraiment dans la reparution...
33:30 Il faudrait que tu la comprennes, cette question.
33:32 J'ai tout compris. Ce qui est intéressant dans la reparution aujourd'hui, 70 ans plus tard, de Fahrenheit, c'est de voir son actualité, vraiment.
33:38 C'est-à-dire de voir que quelque chose qui était écrit dans un contexte donné en 1953 devient aujourd'hui quelque chose de très très différent.
33:46 Et qui pose des questions qui sont presque visionnaires de la part de Fahrenheit, de la part de Bradbury.
33:54 Il y a trois choses qu'il dit qui justifient qu'on brûle les livres, et ces trois choses sont vraiment très intéressantes.
34:00 La première, c'est que les intellectuels et leur existence posent un problème de fracture dans la société.
34:06 Et que pour rompre cette fracture, il faut supprimer les intellectuels, et donc les livres.
34:10 La deuxième, c'est que, grosso modo, tous les livres sont complexes.
34:16 Et comme ils sont trop complexes, on va les simplifier.
34:18 Et plus on les simplifie, plus on arrive à quelque chose qui est tellement insipide qu'autant les supprimer.
34:23 Et la troisième chose, c'est qu'il ne faut choquer personne.
34:25 Ce dont on parlait, et l'idée de la sensibilité étant quelque chose de central dans Fahrenheit,
34:31 puisque tous les livres peuvent à un moment donné choquer quelqu'un, il faut les supprimer aussi.
34:35 Et ces trois questions sont aujourd'hui d'actualité, ce qui fait que ce livre est devenu presque prophétique.
34:40 Et oui, parce qu'il y a aussi Tanya de Montaigne dans le monde que vous décrivez dans Sensibilité, dans cette façon de vouloir relire les livres.
34:47 Finalement, il y a alors même, qu'on se situe parmi les intellectuels, une forme d'anti-intellectualisme,
34:52 comme dans La civilisation décrite par Bradbury, où l'anti-intellectualisme est finalement ce qui prédomine.
35:00 Oui, et puis, encore une fois, c'est ce que disait Hervé sur comment on considère les gens qui lisent.
35:08 C'est bien ça aussi, c'est-à-dire que cette idée qu'il n'y a pas besoin, c'est pas la peine,
35:13 c'est pas la peine qu'on voyage, c'est pas la peine qu'on voyage dans l'autre, qu'on essaye d'étendre sa capacité à son imaginaire.
35:23 En fait, le sujet, c'est aussi ça. Comment est-ce que l'imaginaire est dangereux ?
35:28 Tanya de Montaigne, Sensibilité aux éditions Grasset, Fahrenheit 451, une republication chez De Noël,
35:34 c'est de Ray Bradbury, c'est avec une préface d'Hervé Le Telier.
35:38 Et d'Hervé Le Telier, on peut aussi lire avec intérêt, Moi et François Mitterrand, ça c'est encore beaucoup ça.
35:44 Et le voir au théâtre, au Rive-Gauche, en ce moment à 19h.
35:48 Dans quelques instants, nos deux camarades vont s'élancer.

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