L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 6 Décembre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 * Extrait de la vidéo *
00:06 Comment relever le niveau en mathématiques ?
00:09 La dernière enquête internationale met en évidence une forte baisse du niveau des élèves français âgés de 15 ans.
00:16 Pourquoi et comment tenter d'y remédier ?
00:19 Nous sommes en duplex avec Hugo Dumigny-Le Copain. Bonjour !
00:24 - Bonjour !
00:25 - Hugo Dumigny-Le Copain, vous êtes lauréat de la médaille FILZ, cette prestigieuse distinction mathématique.
00:33 Dans ce studio, une autre forte en maths, Laure Saint-Raymond. Bonjour !
00:38 Vous êtes professeure à l'Institut des Hautes Etudes en Sciences.
00:41 Je vous ai invitée notamment parce que vous représentez deux positions par rapport à cette pétition.
00:47 Une pétition qui lance un appel pour que soit mise en œuvre, je cite les premiers mots,
00:53 une stratégie nationale ambitieuse en matière de mathématiques.
00:56 Vous, Laure Saint-Raymond, vous n'avez pas signé cette tribune.
01:00 En revanche, vous, Hugo Dumigny-Le Copain, vous l'avez signée.
01:04 Pourquoi l'avez-vous fait ?
01:06 Quelles sont, selon vous, les causes et les tentatives de remédier à cette baisse du niveau en maths ?
01:15 - Alors, c'est une vaste question.
01:17 Concernant cette tribune, je pense qu'elle souligne un point important qui est cette difficulté en maths et en sciences,
01:25 d'ailleurs c'est bien précisé, dans notre société qui se révèle à tous les niveaux.
01:33 C'est-à-dire qu'au niveau de l'enseignement, il y a une difficulté en mathématiques et en sciences,
01:38 en fait, à peu près dans toutes les disciplines, comme on a pu le voir dans PISA.
01:41 Mais ça va au-delà de ça, c'est dans la formation des enseignants,
01:45 c'est dans la recherche, l'interaction avec la société et l'économie.
01:51 Il y a un enjeu réel de parité et d'égalité sociale.
01:59 Et je trouve que c'est important de le rappeler à nos hommes politiques,
02:03 enfin à nos politiques en général d'ailleurs,
02:06 afin qu'on essaye de faire quelque chose et qu'on ne garde pas cette pente négative et très inquiétante.
02:14 - En tout cas, on voit que les choses ne vont pas bien.
02:16 Vous dites que vous n'êtes pas forcément obnubilé par PISA d'ailleurs,
02:20 mais qu'au-delà de ça, il y a une forme de hiérarchie des valeurs en France
02:25 qui fait que la culture scientifique n'est peut-être pas autant valorisée qu'elle devrait l'être.
02:31 - Oui, j'ai cette impression qu'on a tendance à mettre à différents niveaux, différents types de cultures.
02:37 Or, je pense qu'elles se complètent toutes quand on parle de la culture littéraire,
02:41 quand on parle de la culture musicale.
02:43 On devrait aussi parler de la culture scientifique comme étant un bien pour tous les concitoyens et concitoyennes.
02:48 Il ne faut pas tout de suite associer une valeur et un niveau pour parler de culture.
02:55 Moi, je suis nul en musique, mais j'adore la musique et j'ai une culture musicale.
02:59 Je pense que c'est la même chose pour les sciences.
03:01 Il n'y a pas besoin d'être bon en maths pour avoir envie de connaître quelque chose en mathématiques.
03:06 - Lorsin-Raymond, votre point de vue là-dessus ?
03:09 - Alors, sur le fait que je n'ai pas...
03:10 Je vais peut-être expliquer pourquoi je n'ai pas voulu signer ce texte, même si je partage un certain nombre de constats du haut.
03:17 Pour moi, le problème de ce texte, c'est qu'il met dans la même boîte la question de l'éducation et la question de la recherche,
03:27 avec une confusion qui, à mon avis, maintient le système éducatif dans cette idée qu'on va sélectionner des élites.
03:36 Et pour moi, la question d'enseigner des maths à tous, elle n'est pas du tout celle de...
03:41 Enfin, évidemment, on espère que parmi les jeunes, certains auront du talent et feront des carrières scientifiques.
03:49 Mais pour moi, la raison d'enseigner des maths à tous, elle n'est pas celle-là.
03:53 Elle est que, justement, il y a des valeurs qu'on peut partager.
03:56 Je voudrais en donner trois.
03:58 Pour moi, la première, c'est apprendre à raisonner.
04:00 Et raisonner, ce n'est pas un truc compliqué, c'est savoir jouer avec des règles.
04:04 Et je trouve qu'il y a beaucoup de gâchis parce que les maths, avant d'être une discipline de jeu, c'est une discipline de sélection.
04:11 Pour moi, c'est aussi un jeu qui est collectif, donc apprendre à faire ensemble, je pense que c'est très important.
04:18 Et pareil, en étant dans la compétition plutôt que le travail collectif, je pense qu'il y a une forme de gâchis.
04:26 Et puis, une chose qui, pour moi, est essentielle dans les maths et dans les sciences en général, c'est de se tromper.
04:32 Et à l'école, on n'apprend pas à se tromper.
04:35 - À l'école française, parce que souvent, on a tendance à dire que l'échec est plus sévèrement jugé en France qu'ailleurs.
04:43 - En fait, on a un système qui repose sur des notes toujours.
04:48 Et donc, c'est pas de chance.
04:49 Si on se trompe le jour où il y a une note, on en a deux.
04:51 Et pour toute la vie, on est nul en maths.
04:53 Et il n'y a pas de raison de ça, en fait.
04:55 Donc pour moi, finalement, cette question des maths à l'école, elle doit être quelque part dissociée du fait qu'on veut aussi produire des scientifiques.
05:07 Et quelque part, si l'école est capable de produire des gens qui sont heureux, qui sont capables de faire grandir leur talent,
05:15 des talents, il y en a aujourd'hui comme il y en avait hier.
05:18 Donc on en aura des scientifiques.
05:20 - Hugo Dumigny, le copain, ce qui est toujours étonnant dans votre discours, c'est que...
05:24 Vous êtes un grand mathématicien et vous êtes à la fois très humble et vous avouez qu'il y a des choses que vous ne comprenez pas,
05:32 que vous n'êtes pas né en étant médaille Fils.
05:37 - Oui, pour vous donner un exemple, les deux derniers jours, je les ai passés à essayer de démontrer quelque chose.
05:42 Et en fait, j'essayais de montrer la mauvaise chose.
05:45 C'est-à-dire que j'essayais de montrer le contraire de ce qui est vrai.
05:47 Et en fait, c'est le quotidien des mathématiciens et des mathématiciennes.
05:51 Et là, je rejoins entièrement Lorent Saint-Raymond là-dessus.
05:53 C'est qu'aujourd'hui, on est en train de nier, en quelque sorte, la façon dont on apprend en général, qui est par l'erreur.
06:01 Quand on voit un petit enfant apprendre à peu près n'importe quoi, on voit qu'il fait ça en se trompant et en réitérant, réitérant, réitérant.
06:08 C'est la même chose en mathématiques.
06:10 Et c'est quelque chose qu'il faut effectivement absolument remettre au centre de l'école et en particulier convaincre nos concitoyens et concitoyennes,
06:18 les parents en particulier, qu'un enfant qui se trompe, ce n'est pas un enfant qui est nul en maths.
06:22 Il ne faut surtout pas aller lui dire qu'il est nul en maths.
06:25 - Mais vous, justement, puisque vous êtes venu relativement tard aux mathématiques,
06:30 est-ce que ça veut dire que, d'abord, c'est possible, c'est la preuve qu'on peut avoir un déclic tardif ?
06:37 Qu'est-ce qui a été la cause, la raison de ce déclic, Hugo Dumigny, le copain ?
06:43 - Dans mon cas, ça a été un échec, en fait.
06:45 En début de première, dans une classe particulière, qui était une classe de bon niveau,
06:49 j'étais pas un mauvais en maths avant ça, mais je me suis retrouvé dans une classe où je me suis retrouvé avant avant-dernier.
06:56 Et c'est ce choc, en fait, qui a déclenché chez moi une...
07:01 J'ai changé de logiciel d'apprentissage.
07:03 En quelque sorte, je me suis dit, bon, là, je ne comprends plus les choses.
07:05 Qu'est-ce que je fais face à quelque chose que je ne comprends pas, que je ne maîtrise pas ?
07:10 Et j'ai retrouvé des similarités avec ce que les gens ont l'habitude de voir en sport ou en musique.
07:16 C'est des choses qui sont évidentes. En sport, c'est évident qu'on va répéter un geste pour pouvoir le maîtriser.
07:20 Et en fait, puisque je faisais beaucoup de sport à cette époque,
07:22 c'est quelque chose que j'ai transféré assez naturellement aux mathématiques
07:28 et qui s'est révélé être très agréable, en fait.
07:30 Mais cette chose-là, j'ai eu presque un énorme coup de bol, en quelque sorte, de le faire.
07:36 Et ce n'était pas quelque chose qu'on nous apprenait à l'école, au du moins, ce n'est pas mon souvenir.
07:41 - Et vous, Laure Saint-Raymond, comment êtes-vous devenue matheuse ?
07:44 - Un petit peu par hasard.
07:46 Non, en fait, j'ai été à l'école à une époque où, quand on était un bon élève, on allait faire des études scientifiques.
07:54 Ce n'était pas vraiment une passion au départ.
07:57 Et quelque part, j'ai réalisé que c'était quelque chose de...
08:02 que les mathématiques avaient un aspect presque artistique, enfin, une forme d'esthétique.
08:07 Il a fallu que j'attende d'être en classe prépa pour ça.
08:09 Donc, quelque part, ce qui m'attire dans les maths, c'est ce que ne verront jamais les gens qui ne feront que des maths jusqu'au lycée.
08:16 - C'est-à-dire ?
08:18 Parce que, pour le dire en quelques mots, en tout cas avec des mots que je suis capable de maîtriser,
08:23 vos travaux portent sur la dynamique des gaz.
08:27 Cela, par exemple, c'est quelque chose qu'on ne comprendrait pas.
08:33 Cette approche-là, elle serait impossible à communiquer pour quelqu'un qui n'aurait pas commencé à faire de la recherche en maths ?
08:39 - Si je vous dis "dynamique des gaz", c'est peut-être compliqué, mais si je vous dis "un billard", vous savez ce que c'est ?
08:43 Moi, je regarde un très grand billard avec beaucoup de boules.
08:46 Et voilà, il y a des comportements très étonnants.
08:50 Ce que j'aime dans les maths, c'est que finalement, ça bouscule de temps en temps nos intuitions, nos idées.
08:59 Et j'aime bien cette idée d'être déplacé, en fait.
09:03 - Par exemple ?
09:04 - Par exemple, le fait que si vous regardez le comportement d'un billard,
09:10 vous attendez à ce que si vous changez toutes les vitesses, vous allez revenir à votre point de départ.
09:15 Quand vous faites ça avec un très très grand billard, en fait, vous obtenez effectivement la description d'un gaz et ce n'est pas réversible.
09:20 Donc, il y a un certain nombre de paradoxes qui interrogent, qui obligent à se déplacer.
09:25 Je trouve que c'est important de concevoir les maths aussi comme, d'une part, il y a une esthétique dedans, une forme d'art.
09:32 Et puis, d'autre part, un chemin de doute.
09:36 Et pour moi, c'est important de dire ça.
09:39 On ne vient pas résoudre un problème, résoudre un exercice.
09:43 Et je trouve que ce serait important qu'on arrive à toucher ça du doigt des plus petites classes, en fait.
09:49 - Hugo Dumini, le copain, vous travaillez sur un domaine des probabilités,
09:53 mais un domaine des probabilités qui est appliqué aux propriétés de la matière.
10:00 Là aussi, il est question de gaz avec le passage de l'eau à l'état gazeux.
10:06 En quoi, d'ailleurs, cela relève-t-il des probabilités ?
10:10 - Alors, juste avant ça, je vais rebondir sur ce qu'a dit Laure, parce que ça va être relié à ce que je vais expliquer après.
10:18 Je pense qu'une chose qui a été bien mise en valeur par Laure, c'est l'importance des émotions, en fait, dans l'apprentissage.
10:24 Et ça, c'est quelque chose qui a été prouvé, et en particulier la fierté, par exemple.
10:28 Ressentir de la fierté, il faut l'avoir méritée, il faut avoir un petit peu "galéré", entre guillemets, en mots.
10:35 Pour la surprise, c'est aussi une sensation qui est très grisante, etc.
10:41 Donc moi, ce que j'aime dans mon domaine, c'est que pour bien décrire un système à notre échelle,
10:50 comme un gaz dans une pièce ou comme un aimant,
10:53 en fait, surprenamment, une chose qui nous aide, c'est le hasard.
10:58 Parce que ça va nous permettre de savoir ce qu'est le comportement typique, au lieu d'avoir un comportement particulier.
11:03 Si je vous demande ce que vous avez fait lundi 14 mars, probablement vous ne vous souviendrez pas.
11:09 Mais si je vous dis "Qu'est-ce que vous faites un lundi typique ?"
11:11 Là, vous allez avoir des idées de ce que c'est qu'un lundi typique pour vous.
11:15 C'est la même chose pour moi, et d'ailleurs pour Laure.
11:18 On étudie la même chose, on essaye d'étudier le comportement typique des objets.
11:22 Là, il y a des surprises, il y a des choses plus simples qui se passent, il y a des découvertes.
11:27 Et on arrive à décrire ces systèmes relativement bien.
11:30 Vous allez nous expliquer ça dans une vingtaine de minutes.
11:34 Hugo Dumigny, le copain, vous avez obtenu la médaille FINS en 2022.
11:39 Laure Saint-Raymond, vous êtes professeure à l'Institut des Hautes Etudes en Sciences.
11:43 On se retrouve donc dans une vingtaine de minutes pour parler du niveau en maths et des manières de le faire progresser.
11:50 6h39, les matins de France Culture.
11:55 Guillaume Erner.
11:56 C'est un cri unanime, comment relever le niveau ? La dernière enquête internationale
12:00 met en évidence une forte baisse du niveau des élèves français en mathématiques.
12:06 Notamment ceux âgés de 15 ans, parce que ce sont ceux qui sont testés avant, après.
12:11 Les choses sont-elles bien différentes ? On en parle avec Hugo Dumigny, le copain, qui est médaille FINS 2022.
12:17 Laure Saint-Raymond, vous êtes professeure à l'Institut des Hautes Etudes en Sciences.
12:21 Et puis, comme moi, vous avez des enfants à qui vous tentez.
12:25 Vous m'avez dit que vous aviez eu quelques facilités pour les faire travailler en mathématiques,
12:30 qu'ils n'avaient pas eu véritablement de difficultés en la matière.
12:35 Pour vous, Laure Saint-Raymond, à la fois au travers de votre expérience de parent et de votre expérience de matheuse,
12:42 quels sont les moments charnières pour apprendre les mathématiques ?
12:46 Je ne sais pas s'il y a des moments charnières.
12:48 Pour moi, ce qui est important, ce n'est pas tant le contenu de ce qu'on va apprendre que l'approche.
12:56 Et pour moi, il y a plusieurs choses qui sont importantes.
12:58 Il y a d'abord de développer une intuition.
13:00 Et je ne comprends pas comment on peut faire des maths sans faire des dessins.
13:05 Et dans les maths, ça vaut dans tout ce qui est abstrait.
13:08 C'est important d'arriver à faire une connexion entre ce qui se passe dans sa tête
13:12 et ce qu'on va pouvoir formuler.
13:17 Je trouve ça un bon exercice.
13:18 Ce n'est pas juste pour les maths.
13:19 Je trouve ça intéressant.
13:21 Si vous prenez une coupure de journal, vous lisez et vous réfléchissez deux secondes à ce qui se passe dans votre tête pendant ce temps-là.
13:27 Je trouve que toute cette question de comment on va d'une intuition à une idée qui est formulée,
13:33 pour moi, c'est quelque chose qui est essentiel en mathématiques.
13:36 Et puis après, il y a la question de la règle du jeu.
13:40 Comment est-ce qu'on raisonne ?
13:46 Je me souviens dans mon parcours qu'il y a eu quelque part une première étape importante en quatrième,
13:54 quand on a commencé à faire des démonstrations qui passaient plus ou moins bien.
13:58 Je pense que tout le monde n'a pas forcément ni la même impétence ni la même facilité à le faire.
14:06 Mais je pense que tout le monde peut le faire.
14:08 C'est une question de patience, d'envie, de curiosité.
14:12 Ça a été quoi en quatrième pour vous ?
14:16 Moi, je trouvais ça très amusant.
14:18 C'était un jeu.
14:20 Mais je pense que la façon dont c'était présenté pour certains, ce n'était pas du tout un jeu.
14:23 C'était juste le calvaire.
14:26 C'était les premières démonstrations, les Thalès, Pythagore, tout ça.
14:33 Mais parce que ce n'était pas présenté comme un jeu.
14:35 Parce que c'était présenté comme quelque chose qui avait un enjeu en termes de notes, de sélection.
14:46 En fait, on identifie un élève à une note, à son niveau, et ça, c'est la cata.
14:52 D'un autre côté, il faut bien évaluer les élèves.
14:55 J'imagine que vous, en tant qu'enseignante, vous évaluez vos étudiants.
15:00 J'évalue mes étudiants, certes.
15:01 Mais pas pour qu'ils soient comparés aux autres, ni pour qu'une fois pour toutes, ils soient dans une case.
15:11 Moi, aujourd'hui, ce que j'essaie de faire, je n'enseigne plus beaucoup.
15:16 Mais pour moi, ce qui est plus important, c'est qu'un élève refasse le même devoir jusqu'à ce qu'il l'ait compris.
15:22 Je m'en fiche que la première fois, il ne sache pas faire.
15:25 Et c'est ça le but de l'enseignant.
15:26 C'est de faire grandir l'élève.
15:28 Ce n'est pas que de le mettre dans une case.
15:30 - Hugo Dumigny, une copain, qu'en pensez-vous ?
15:33 - Je suis entièrement d'accord.
15:35 Et il y a des systèmes, le système finlandais par exemple, où les notes n'existent quasiment pas dans les premières années de l'éducation.
15:43 C'est souvent des auto-évaluations, justement, pour essayer de savoir si une notion est acquise ou non.
15:50 Et si elle n'est pas acquise, l'élève va continuer à travailler dessus.
15:53 Donc, je ne pense pas que la note soit une fatalité.
15:56 Ce n'est pas un passage nécessaire dans l'enseignement.
16:01 Je n'y crois pas en tout cas.
16:03 - Et vous, par rapport à ce que vous avez observé, je ne sais pas si vous avez des enfants, Hugo Dumigny, le copain,
16:08 si vous avez eu l'occasion de voir comment ils apprenaient les mathématiques, s'ils sont déjà à ce stade-là de leur cursus.
16:17 Mais en tout cas, si vous deviez vous prononcer sur la façon dont on peut revoir l'apprentissage des mathématiques,
16:25 puisque j'ai entendu dire, par exemple, des grands matheux que ce qu'ils pêchaient d'abord,
16:30 c'était la manière dont on apprenait vraiment les bases de l'arithmétique, voire l'étape de multiplication.
16:37 Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
16:39 - Alors, ma fille a deux ans et demi, donc elle est au tout début de son cursus,
16:42 mais elle a déjà commencé à apprendre des maths.
16:44 C'est ça qui est intéressant, c'est qu'on ne se rend pas compte,
16:46 mais l'apprentissage de la notion de forme, le dénombrement, etc., ça commence très, très jeune.
16:52 Et la chose que je trouve intéressante, c'est de voir, en fait, à travers ces très jeunes enfants,
16:59 qu'il y a les bases de ce qui se produira plus tard, c'est-à-dire la géométrie,
17:04 l'étape de multiplication, l'addition, etc., toutes les opérations.
17:10 En fait, ils commencent à les manipuler, dans des cas extrêmement simples, très, très jeunes.
17:16 Je pense que c'est plutôt ça qui est intéressant, c'est d'avoir ces notions qui viennent lentement,
17:22 tranquillement, au rythme de la personne.
17:24 Et bien, ma fille, elle a deux ans et demi, elle commence à apprendre à compter, en quelque sorte.
17:28 Alors, bien sûr, elle ne va pas faire 213 + 512,
17:31 mais elle est en train de commencer à toucher du doigt ce que c'est que prendre un objet, en prendre un autre,
17:37 de les additionner, en quelque sorte, etc., etc.
17:40 Et je pense que dans l'éducation, c'est quelque chose d'intéressant,
17:42 d'essayer d'avoir l'introduction des concepts très tôt, dans des cas très simples.
17:47 C'est un petit peu d'ailleurs ce qui est défendu dans la méthode de Singapour, par exemple,
17:51 d'avoir la division dès le CP, dans des cas extrêmement simples,
17:56 pour donner, en quelque sorte, le début d'intuition qui va donner confiance à l'élève,
18:01 de créer sa propre vision du concept, et qui va l'amener plus loin, in fine,
18:07 parce que ce sera par petites étapes.
18:09 - Mais alors, vous, par exemple, vous y croyez, en cette méthode de Singapour ?
18:12 Si vous pouviez, en quelques mots, nous dire en quoi elle consiste et en quoi elle diffère,
18:16 si elle diffère des méthodes d'apprentissage qu'on utilise en France, Hugo Dumini, le copain ?
18:22 - Alors, bon, je ne suis pas enseignant, donc je me garderais de dire si c'est une bonne méthode ou pas,
18:27 mais elle est beaucoup plus basée sur l'aspect de rendre quelque chose abstrait en plusieurs étapes.
18:34 C'est-à-dire, il y a vraiment un processus d'abstraction.
18:37 On ne vous envoie pas à la figure quelque chose d'abstrait immédiatement.
18:40 Il y a ces fameuses trois étapes.
18:42 On commence par quelque chose de concret, c'est-à-dire qu'on va même manipuler, probablement, des objets.
18:47 Ensuite, on va tenter de faire exactement ce qu'a dit Laure Saint-Raymond,
18:52 c'est-à-dire de schématiser, de rendre la notion un peu plus abstraite.
18:58 Et enfin, dans un dernier temps, il y a ce processus d'abstraction qui est parfois le plus...
19:06 Excusez-moi, le plus désiré pour les gens, ce qui est de passer au chiffre ou au symbole.
19:13 C'est cette chose qui... la formule, cette chose qui traumatise les gens.
19:18 Mais en fait, elle vient dans un troisième temps.
19:20 Et du coup, par ces deux étapes préliminaires, cette formule, elle prend un sens totalement différent.
19:25 Les mathématiciens et mathématiciennes, quand ils vous envoient une formule à la figure,
19:28 en fait, c'est une histoire qu'ils vous racontent.
19:30 Derrière, ils voient l'histoire.
19:32 Mais si on n'explique pas comment voir ce qu'une formule dit à une personne, à un jeune enfant,
19:38 il verra juste une suite de symboles et ça va le braquer.
19:41 Donc cette méthode de Singapour, de ce point de vue-là, elle tente de casser ce mécanisme de peur
19:48 en ayant différentes étapes concrètes.
19:50 Mais bon, je ne suis pas pédagogue, donc je ne saurais pas vous en dire plus sur le sujet.
19:54 - Moi, j'aimerais savoir, Laure Saint-Raymond,
19:59 s'il y a justement une différence entre les questions d'abstraction et de mathématiques concrètes.
20:06 Car je ne sais pas si ça vous parle pour vous qui êtes une grande mateuse,
20:10 mais il y a un moment où les mathématiques, justement, cessent d'être intuitives pour devenir,
20:16 en tout cas pour le profane, profondément contre-intuitives,
20:19 avec des objets qui sont difficiles à se représenter,
20:22 voire des objets qui n'existent pas dans la réalité sensible.
20:26 Est-ce que ce niveau-là, ce décrochage-là,
20:30 il n'est pas aussi responsable d'une partie du niveau faible de ceux qui décrochent en mathématiques ?
20:38 J'ai l'impression que ma question est complètement abstraite pour vous.
20:41 - Non, non, elle est tout à fait concrète, parce que j'ai beau être mathématicienne,
20:46 ce que je peux comprendre à l'intérieur des maths, c'est une infime partie de ce qui est connu aujourd'hui.
20:52 Donc peut-être on ne le dit pas assez, mais même quand on est mathématicien,
20:55 il y a plus de maths qu'on ne comprend pas que de maths qu'on comprend.
20:58 Et donc je vois très bien, je me vois très bien dans un séminaire où je ne comprends rien du début jusqu'à la fin.
21:03 Et c'est important de le dire, je crois.
21:07 On n'est pas des surhommes ou des surfemmes.
21:10 On a notre domaine d'expertise, notre domaine de compétence.
21:14 Comme dit Hugo, en fait, c'est une certaine familiarité avec certains objets avec qui on vit tous les jours.
21:22 Et je pense qu'il n'y a pas de fatalité pour moi.
21:25 Il n'y a pas de gens qui sont doués pour ça ou pas doués.
21:27 C'est encore une fois, c'est toute une histoire.
21:31 Il y a des objets qu'on a vus sous plein de formes différentes.
21:35 - Pas de fatalité, mais il y a des choses qui sont abstraites et on n'est pas égaux face à l'abstraction,
21:41 face à toutes les abstractions.
21:43 Il s'est passé dans votre cerveau des choses qui ont fait que vos capacités d'abstraction ont été supérieures à celles d'autrui, les miennes.
21:50 Par exemple, vous avez observé peut-être avec vos enfants qu'à certains moments, cette capacité se mettait en place ou pas.
21:58 Est-ce que vous avez réfléchi aux raisons pour lesquelles elle peut mieux se mettre en place ou alors pas se mettre en place du tout ?
22:04 - C'est une question qui est difficile.
22:06 Et je voudrais dire quand même que même pour un même objet abstrait, quand on est plusieurs, on n'a jamais la même représentation.
22:13 Et ça, pour moi, c'est très riche, en fait, parce que finalement, un objet, il prend corps, il prend forme.
22:18 Parce que moi, j'ai une idée de cet objet, parce que mon voisin a une autre idée.
22:22 Et voilà, je crois beaucoup quand même à ce travail collectif pour aider à l'abstraction.
22:29 Moi, dans ma tête, j'ai des images, j'ai des images, elles sont concrètes.
22:35 Je vous parlais tout à l'heure d'un billard, des boules qui se tapent dedans.
22:40 Je pense que finalement, la capacité d'abstraction, elle est liée à la capacité d'imagination et de créativité.
22:46 Et moi, j'ai l'impression qu'on a une action dans le système scolaire qui est contraire à ce qu'il faudrait.
22:52 On bride l'imagination.
22:54 - Qu'est-ce que vous en pensez, vous, Hugo Dumini, le copain, pour les notions en mathématiques qui sont impossibles à représenter, en tout cas de manière triviale ?
23:02 - Mais il n'y en a pas, en fait.
23:03 Pour moi, toutes les notions de l'abstraction, c'est juste une description des choses qu'on n'a pas encore transformées en quelque chose d'intuitif.
23:14 Et c'est comme si vous me disiez que vous ne savez pas courir.
23:17 Il y a des gens qui courent beaucoup plus vite que vous.
23:20 Mais pourquoi ils courent plus vite ?
23:21 Parce qu'ils se sont entraînés, parce qu'ils se sont exercés.
23:24 Et en fait, cette capacité d'abstraction, cette capacité à rendre intuitif des choses qui ne le sont pas forcément au départ, cette chose-là, ça s'entraîne.
23:33 - Donnez-moi des exemples, Hugo Dumini, le copain, sur des notions qui peuvent paraître abstraites, voire inexistantes.
23:41 Je ne sais pas, quand on touche à l'infini, au nombre imaginaire, il y a des choses qui sont très contre-intuitives.
23:47 Une dérivée, encore, on peut à peu près comprendre ce que c'est intuitivement, mais il y a beaucoup de notions mathématiques qui ne se laissent pas traduire aisément.
23:58 - Je pense que vous avez mentionné la plus belle.
24:00 L'infini, en fait, c'est peut-être la barrière que les gens estiment comme étant la propriété abstraite qu'un mathématicien ou une mathématicienne maîtrise
24:09 et que le reste du monde ne comprend pas.
24:11 Mais en fait, je pense que si on me demande alors, ou si on me demande à moi, comment je me représente l'infini, on aura des réponses totalement différentes.
24:20 - Et alors vous, par exemple, vous vous représentez l'infini comment ?
24:23 - Moi, ça va dépendre du moment.
24:26 C'est-à-dire, si je fais de la percolation, c'est-à-dire ce que je fais dans ma vie de tous les jours, c'est de comprendre les transitions de phase.
24:33 Ça va plutôt être de l'infiniment petit, ça va être un changement extrêmement brusque, infiniment brusque de mon système.
24:41 Est-ce que dans d'autres cas, quelqu'un qui fait de la théorie des nombres peut-être va imaginer quelque chose qui sera, ou de la théorie des ensembles, quelque chose d'infiniment grand ?
24:50 Et pourtant, on parle de la même notion au départ.
24:55 On a tous des images mentales extrêmement personnelles et d'ailleurs, elles sont très, très dures à décrire.
25:01 Et c'est peut-être la beauté de la chose.
25:03 - Alors si je vous demande, Hugo Dumini, le copain, par exemple, un nombre complexe, un nombre imaginaire, un nombre dont le carré est négatif,
25:11 alors qu'on nous a expliqué a priori qu'il ne pouvait pas y avoir de carré négatif ?
25:17 - Oui, ben moi, un nombre imaginaire, pour moi, c'est un point du plan.
25:21 Ça, c'est pas forcément la chose la plus abstraite à imaginer parce que ça a presque été défini comme ça.
25:27 Et en fait, le carré, dans le cas des nombres complexes, c'est presque comme une rotation, il y a un espèce de rotation dans le plan.
25:37 Et donc du coup, en faisant une rotation de deux fois l'angle, on peut se retrouver sur la ligne réelle négative.
25:43 Il n'y a aucun souci, il suffit de partir d'un point qui est sur la ligne verticale au-dessus de zéro.
25:50 Et donc du coup, une fois qu'on comprend ce carré comme étant une sorte de rotation dans l'espace du plan,
25:57 on se retrouve à intuiter sans aucun souci qu'on peut obtenir des nombres négatifs comme le carré de quelque chose.
26:04 Mais ce processus, justement, c'est vraiment, on est dans la schématisation dans notre esprit,
26:11 on essaie de se trouver des images mentales qui vont nous décrire notre intuition de la chose que vous décrieriez comme abstraite,
26:19 mais qui devient très concrète dans mon esprit en fait.
26:22 Et c'est la même chose à tous les niveaux de l'apprentissage, je ne pense pas qu'il y ait de notion qui échappe mécaniquement aux gens comme étant trop abstraite,
26:32 c'est juste que ces personnes n'ont peut-être pas encore atteint le niveau de schématisation nécessaire pour cette notion.
26:39 Et c'est ce qui m'arrive moi tous les jours, et c'est ce qui arrive à Laure Sarramon aussi tous les jours,
26:45 quand on fait des mathématiques, en fait on est en train de faire ce processus, c'est comme si on essayait de systématiquement rendre moins abstrait les choses au contraire.
26:54 Laure Sarramon, vous, même tarif, si je vous dis un nombre complexe par exemple, vous représentez quoi ?
27:00 C'est la même chose que Hugo, mais en fait la radio ce n'est pas la bonne façon de...
27:05 Moi j'ai besoin d'un tableau pour vous faire un dessin.
27:07 Bah voilà, sinon c'est compliqué en fait.
27:10 Pour moi...
27:11 Peut-être parce que votre intelligence est...
27:13 Visuelle aussi, oui, et je pense que...
27:17 Elle est visuelle et elle est aussi dans la main en fait, dans le fait de faire un dessin.
27:22 Je trouve que c'est important de dire aussi qu'on ne fait pas juste des maths avec juste son cerveau, on fait des maths avec ses yeux, avec ses oreilles, avec...
27:29 Et alors pour l'infini aussi, vous auriez besoin de faire des dessins ?
27:33 C'est plus difficile sans doute de représenter l'infini, mais...
27:39 Mais je pense qu'en fait, pour le coup, je pense que c'est une notion qui est très intuitive.
27:44 Si on demande à un enfant de dessiner un cercle, et on lui demande où ça commence, où ça finit, il va vous dire que ça ne commence pas et ça ne finit pas.
27:53 Donc je pense que c'est une notion qui est quand même relativement intuitive.
27:58 Et lorsque l'on ne peut pas dessiner une géométrie par exemple supérieure à une géométrie à trois dimensions,
28:05 est-ce que ça aussi vous réussissez à vous la représenter ? Est-ce que vous la dessinez, je ne sais pas, de quelle manière ?
28:09 Je la représente comme font les gens qui font des plans même en trois dimensions, parce que dessiner les gens en trois dimensions c'est déjà compliqué.
28:18 On fait des coupes, et ça les gens le font depuis toujours.
28:22 Donc quelque part, oui il y a une capacité d'abstraction en maths, mais quand même,
28:29 quand vous vous imaginez autant des romains, vous avez quand même besoin aussi d'une capacité d'abstraction.
28:33 Vous ne voyez pas ça dans la rue, vous n'avez pas une expérience sensible.
28:38 Donc de toute façon, cette capacité d'abstraction existe toujours dans la vie.
28:42 Quand vous lisez un livre, vous lisez des mots, ça se transforme dans votre tête comme une image, une histoire.
28:50 Les maths c'est pareil.
28:51 Et alors, à titre personnel, Laure Saint-Raymond, ce qui vous résiste en mathématiques,
28:57 comment expliquez-vous que quelque chose, qu'une notion vous résiste de trop ?
29:01 Est-ce que c'est par surcroît d'abstraction ?
29:03 Est-ce que c'est au contraire parce que vous n'arrivez pas à l'interpréter correctement ?
29:10 Parce que pour le coup, mon esprit n'est pas infini, il est même assez limité, et je ne comprends pas.
29:16 Donc ce n'est pas parce qu'on peut avoir une idée des objets eux-mêmes,
29:20 et ce n'est pas pour ça qu'on comprend comment ils se connectent entre eux.
29:23 Et les maths, quelque part, c'est là aussi que les maths peuvent peut-être rendre service à d'autres disciplines.
29:30 C'est cette aptitude à faire des connexions.
29:32 Et voilà, quelque part, un objet abstrait, on n'a jamais fini d'en faire le tour,
29:39 de comprendre toutes ses propriétés, d'avoir vu justement toutes ses faces.
29:44 Et il y a cette notion aussi d'infini.
29:46 Donc voilà, je pense que c'est important de se dire aussi que ce qui reste à faire,
29:54 c'est toujours plus grand que ce qu'on sait déjà faire.
29:57 - Hugo Dumini, le copain, d'ailleurs, dans les termes que vous employez,
30:00 on a toujours l'impression qu'on pourrait vous comprendre.
30:02 Vous parlez de percolation, par exemple,
30:04 ce qui est quelque chose qu'on peut voir chaque matin lorsque le café coule,
30:09 alors même que ce sont des notions de probabilité qui sont évidemment des notions très abstraites
30:16 et très compliquées à maîtriser.
30:20 - Oui, mais après, on apprend.
30:24 C'est ce qu'a dit Laure Saint-Raymond de façon très éloquente.
30:28 On apprend à devenir proche de ses notions.
30:31 Ça prend du temps.
30:32 Moi, ça a pris énormément de temps.
30:34 On dit souvent que les mathématiciens et mathématiciennes ont fini leur travail de créativité très, très jeune.
30:40 Je crois que c'est de plus en plus faux parce que, justement,
30:44 il y a ce processus d'acquisition des connaissances qui est permanent.
30:48 Et pour moi, la percolation, c'est presque plus abstrait.
30:52 Quand je regarde mon percolateur qui me fait mon café que quand je regarde ma feuille ou mon tableau avec mes dessins
30:59 et j'arrive à travailler en dimension 4 parce que je me représente exactement ma dimension 4 comme quelque chose en dimension 3.
31:07 C'est tout plein de processus de simplification.
31:09 - Comment vous passez de la dimension 3 à la dimension 4 ?
31:11 Racontez-moi.
31:12 - Moi, je vois en fait, dans mon travail à moi, par exemple, la dimension 4, je la vois comme la dimension 3.
31:19 Sauf que j'imagine juste que les boules, l'espace croît plus vite.
31:25 C'est tout.
31:26 Il croît à la puissance 4, entre guillemets, au lieu de puissance 3.
31:29 Mais je me fais exactement les mêmes dessins dans ma tête, mes chemins,
31:32 parce que la percolation, c'est vraiment une étude des chemins aléatoires,
31:36 comme si on regardait des labyrinthes aléatoires en quelque sorte.
31:39 Et donc, je regarde les chemins dans mes labyrinthes aléatoires exactement comme si j'étais en dimension 3.
31:44 Et en fait, mon intuition, elle permet quand même de faire ce que j'ai envie de faire.
31:49 - Mais est-ce qu'il vous résiste, Hugo, d'y diminuer le copain ?
31:51 Puisque vous nous avez dit que vous aviez passé deux jours en prenant un problème dans le mauvais sens.
31:57 Alors, est-ce qu'il vous résiste ?
31:58 Ça vous résiste pourquoi ?
32:01 Avez-vous réfléchi à ça ?
32:02 - Tout me résiste quasiment.
32:04 Moi, c'est...
32:05 - Oui, vous êtes d'une modestie.
32:06 - J'ai du mal à enfanter à peu près.
32:07 Non, non, non, mais c'est une réalité.
32:09 Je pense qu'en fait, ce n'est pas forcément un désavantage d'avoir besoin de temps pour découvrir quelque chose.
32:14 J'ai des collègues qui sont beaucoup plus rapides que moi.
32:17 Et finalement, d'être lent, ça a aussi son avantage.
32:20 - Est-ce que vous êtes lent ou est-ce que vous vous posez trop de questions ?
32:22 Parce que bien souvent, les gens qui ont du mal à comprendre sont des gens qui ont trop de questions dans leur tête.
32:28 Et c'est cela aussi qui leur permet d'avoir un avantage en matière d'intellectuon des choses.
32:33 - Alors ça, c'est très vrai.
32:34 Je pense que dans mon cas, en tout cas, j'ai beaucoup de mal à réprimer les questions qui me viennent.
32:39 J'ai besoin d'une compréhension tellement précise de la chose que j'ai toujours des questions qui viennent
32:43 pour tenter d'améliorer la compréhension de ce que je suis en train de regarder.
32:49 Et même sur mes papiers, même sur mes théorèmes, je continue à les revisiter systématiquement
32:55 parce que me viennent de nouvelles questions, de nouvelles idées pour partir dans de nouvelles directions.
33:01 Donc justement, je trouve que c'est au contraire, c'est presque un super pouvoir d'être incapable
33:06 d'estimer qu'on a tout compris à quelque chose en général.
33:10 Quand on pense avoir tout compris, c'est le début d'une grande catastrophe, quel que soit le domaine.
33:15 Et c'est vrai en mathématiques également.
33:17 - Vous aussi, vous l'avez ce super pouvoir, Laure Saint-Raymond, quand vous dites que vous ne comprenez pas tout.
33:23 - Que je ne comprends essentiellement rien, oui, même.
33:25 - Mais pourquoi vous dites ça ?
33:27 - Non, mais si, je pense que c'est important.
33:28 Et c'est important pour rester à ce que dit Hugo, rester éveillé, rester en marche.
33:34 Ne pas trop se reposer sur ses certitudes.
33:38 Je pense que ça vaut en maths, ça vaut dans la vie en général.
33:40 - Mais le fait là aussi de complexifier les choses,
33:44 puisque votre regard est un regard évidemment beaucoup plus érudit
33:50 que celui de la plupart des mortels lorsque vous êtes confronté à une question mathématique.
33:53 Donc si vous ne comprenez pas, c'est parce que vous vous posez des questions
33:56 que les gens "normaux" ne se posent pas.
34:01 - Je ne sais pas, je suis allée la semaine dernière faire un atelier mathangine dans un lycée
34:07 avec des élèves plutôt de milieu pas très favorisé,
34:10 des élèves en tout cas répertoriés comme étant nuls en maths avec d'autres moyennes.
34:16 Des questions, ils en avaient plein en fait, juste jamais on les autorise à se les poser.
34:20 Donc pour moi, la question, elle n'est pas de savoir si certains ont plus de questions que d'autres,
34:25 ou plus de facilité à comprendre.
34:26 La question, elle est celle de la liberté. Est-ce qu'on s'autorise à ne pas comprendre ?
34:32 Est-ce qu'on s'autorise à faire des hypothèses qui peut-être sont bêtes
34:35 et peut-être mènent dans une mauvaise voie ?
34:38 Pour moi, c'est ça qui est essentiel, c'est d'avoir cette liberté.
34:42 Et la question, est-ce que l'école aujourd'hui permet cette liberté ? Je ne suis pas sûre.
34:46 - Merci en tout cas beaucoup d'avoir été avec nous,
34:49 Laure Saint-Raymond, professeure à l'Institut des Hautes Etudes en Sciences.
34:51 Et merci mille fois Hugo Dumini, le copain lauréat de la médaille Fields 2022.
34:57 Dans quelques secondes, juste après 8h45, vous aurez droit au 2, François c'est promis.