L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 20 Décembre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 En Russie, Vladimir Poutine prononçait dimanche son premier discours de campagne dans l'optique
00:10 de la prochaine élection présidentielle qui se tiendra en mars dans le pays avec peu
00:14 de suspense.
00:15 Il a renouvelé sa confiance vis-à-vis des troupes russes alors que l'Ukraine a affirmé
00:19 mardi que son armée était en situation d'infériorité et ne pourrait continuer à se battre sans
00:25 des aides internationales supplémentaires.
00:28 Le conflit éclipsé par les événements tragiques se déroulant entre Israël et le Hamas depuis
00:33 octobre pourrait-il se conclure par une défaite ukrainienne ? Avec quelles conséquences ?
00:38 Bonjour Pierre Grosser, vous êtes avec moi dans ce studio.
00:42 Vous publiez une somme d'une très grande richesse, histoire mondiale des relations internationales
00:47 de 1900 à nos jours.
00:49 C'est aux éditions bouquins.
00:51 On va essayer de tracer des bords entre cette situation que nous vivons avec la guerre en
00:57 Irlande et aussi peut-être avec le conflit au Proche-Orient et d'autres épisodes passés.
01:03 Nous sommes en direct avec notre envoyée spéciale à Kiev, Claude Guibal.
01:07 Bonjour Claude.
01:08 Bonjour.
01:09 Quelle est la situation aujourd'hui à Kiev ? Qu'avez-vous observé depuis que vous y
01:15 êtes ?
01:16 Alors écoutez, la situation ce matin, elle est celle d'un matin qui est bien, j'allais
01:21 vous dire, avec à nouveau des attaques de drones cette nuit sur la capitale.
01:27 C'est-à-dire avec à nouveau les sirènes qui retrentissent à un moment, à nouveau
01:30 les alertes sur vos téléphones portables qui se font entendre et à nouveau, j'allais
01:35 dire, comme la majorité des habitants de Kiev, on éteint son téléphone portable,
01:41 on essaie de se retourner.
01:42 Voilà.
01:43 C'est ce harcèlement permanent en fait sur la capitale, le harcèlement qui se gère
01:49 au quotidien et qui d'un coup, comme la semaine dernière, se manifeste parce que
01:52 là, ce sont des missiles qui sont interceptés mais les débris des missiles font des blessés.
01:58 50 la semaine dernière.
01:59 C'est comme il y a trois semaines, 70 drones qui arrivent sur une nuit, c'est-à-dire
02:03 6 heures d'attaque.
02:04 Voilà.
02:05 À part cela, la capitale vit comme une ville quasiment normale.
02:09 On se prépare à Noël, les magasins clignotent de guirlande.
02:13 Mais les Ukrainiens ici à Kiev vivent aussi dans cette espèce de culpabilité, je dirais,
02:22 de malaise d'être dans une ville qui fonctionne à peu près alors qu'à l'arrière et
02:25 sur le front, évidemment, la situation est très différente.
02:28 Mais le moral est-il atteint ? Il y a quelques mois, il y avait une sorte de confiance en
02:35 Ukraine.
02:36 Celle-ci semble grignoter, Claude Guimbal.
02:39 Alors, c'est difficile à dire parce que quand vous discutez avec les gens, ils ne
02:44 baissent pas les bras.
02:45 Ils ne sont pas en train de vous dire qu'ils perdent la guerre et qu'ils la perdront.
02:49 Au contraire, la détermination est toujours viscérale parce que les Ukrainiens savent
02:56 pertinemment qu'ils n'ont pas le choix.
02:58 Mais il y a ce sentiment d'une amertume qui commence parce qu'effectivement, le
03:03 soutien international se fissure, notamment depuis le début de la guerre à Gaza où
03:10 les Ukrainiens comprennent bien qu'ils ne sont plus prioritaires au niveau de l'aide
03:17 pour certains pays, à commencer par les États-Unis dont le Congrès a acté hier qu'il n'y
03:23 aurait pas de rallonge budgétaire, les fameuses 61 milliards de dollars que l'Ukraine réclame.
03:28 Il y a besoin ici.
03:30 J'ai du mal à trouver les mots pour retranscrire exactement ce que disent les Ukrainiens.
03:37 Mais il y a cette espèce de sidération désespérée de dire « mais vous ne comprenez pas, si
03:42 vous ne nous envoyez pas cette aide, on ne va pas s'en sortir.
03:46 Et si on ne s'en sort pas, on est en train de faire rempart et ça ne va pas s'arrêter
03:51 aux frontières de l'Ukraine.
03:52 »
03:53 Commencez-vous Pierre Grosser ?
03:54 C'est vrai que c'est une vraie interrogation depuis un moment parce qu'effectivement,
04:00 ce qui se passe aujourd'hui à Gaza depuis le mois d'octobre…
04:04 A Kiev ? Vous voulez dire à Gaza ?
04:07 A changer, à effectivement en partie éclipser la priorité qui était donnée auparavant
04:13 notamment aux Etats-Unis à ce qui se passait en Ukraine.
04:17 Mais en fait, les packages d'aide ont diminué depuis cet été.
04:22 Et donc je pense que du côté ukrainien, on sait qu'à partir du moment où la contre-attaque
04:28 n'a pas eu tous les effets escomptés, même s'il y a quand même un peu de terrain
04:31 qui a été reconquis, que tout ça allait être compliqué d'une part.
04:35 Et deuxième chose, c'est qu'on s'attend évidemment à une campagne électorale américaine
04:40 et à la possibilité d'une élection de Trump.
04:42 Et c'est ça finalement qui est quand même le grand problème, c'est-à-dire c'est
04:44 à un décalage d'un an.
04:46 C'est une forme de guerre asymétrique tout simplement parce que la Russie est beaucoup
04:50 mieux dotée, beaucoup plus numériquement importante que l'Ukraine.
04:55 Pierre Grosser, est-ce que cela vous renvoie à d'autres épisodes ? Est-ce que ce type
05:01 de guerre peut être remportée par le petit État ?
05:05 Alors, on a vu quand même ces derniers temps, notamment avec les guerres américaines, que
05:13 la puissance américaine face à des petits États, que ce soit le Vietnam, on s'en
05:17 souvient, ou l'Afghanistan par exemple, que ces guerres ne sont pas forcément gagnées
05:22 par la puissance la plus importante.
05:24 Mais là quand même, il y a une forte spécificité, c'est que du côté russe, l'Ukraine c'est
05:30 voisin.
05:31 Ou du côté russe, on a l'impression que l'Ukraine c'est la Russie, alors que ce
05:35 n'était absolument pas le cas dans des guerres lointaines des Américains, que ce
05:38 soit en Irak, que ce soit en Afghanistan ou que ce soit au Vietnam.
05:41 C'est une différence qui est tout à fait majeure.
05:43 Et on l'avait vu par exemple avec les guerres en Tchétchénie, à partir du moment où
05:47 c'était à l'intérieur même de la Russie, qu'on pouvait utiliser à peu près tous
05:51 les moyens pour remporter la victoire.
05:53 Donc la question de la proximité, et évidemment la question de l'idéologie et du fait que
05:57 ça fait partie du pays que l'on attaque, c'est évidemment quelque chose d'absolument
06:01 fondamental.
06:02 Claude Guibal, on entend dire que les Ukrainiens ont du mal à recruter, que beaucoup de jeunes
06:08 Ukrainiens préfèrent ne pas se battre.
06:11 Est-ce que c'est quelque chose que vous avez entendu vous aussi, qui est vérifié ?
06:15 Vous savez que c'était d'ailleurs hier un des points forts de la conférence de Volodymyr
06:20 Zelensky, qui disait qu'il allait devoir étudier cette demande insistante de son chef
06:26 d'état-major et du reste de l'armée de recruter 450 000 à 500 000 personnes supplémentaires
06:32 pour rejoindre les rangs de l'armée.
06:35 Alors, la question de la mobilisation, la plupart des jeunes Ukrainiens vous disent
06:39 "je suis prêt à y aller, quand on m'amènera, je me suis enregistré au bureau de recrutement".
06:47 Le fait est que beaucoup redoutent aussi cet enrôlement.
06:52 La conférence se prépare d'ailleurs un peu spécifiquement parce que maintenant les
06:57 termes de cet engagement peuvent changer, vous pouvez choisir l'unité dans laquelle
07:00 vous allez être affecté.
07:02 Des gens commencent notamment à s'entraîner au pilotage de drone en espérant comme ça
07:06 être recruté pour ces compétences-là qui leur permettraient de ne pas être au front.
07:10 Ce front, moi j'y étais il y a quelques jours sur le front Est, notamment près de
07:15 Marmout, près de Avdiivka, et quand on parle avec les soldats là-bas, ils l'attendent
07:20 cette mobilisation parce qu'ils ont besoin de se reposer, ça fait deux ans que certains
07:26 sont au front.
07:27 Maintenant la rotation des permissions se fait un petit peu plus, mais beaucoup sont
07:34 obligés de passer leur tour parce que ça manque d'hommes au front, c'est une guerre
07:38 qui fait énormément de victimes.
07:40 La plupart des gens qui sont au front sont relativement âgés, la moyenne d'âge d'un
07:46 soldat mort sur le champ c'est 49 ans, et c'est aussi à 40-45 ans l'âge moyen des
07:52 gens parce qu'en même temps il faut aussi des forces vives pour continuer à faire fonctionner
07:57 le pays, fonctionner l'économie, fonctionner les entreprises.
08:01 Et du côté russe, qu'entend-on ? Claude Guibal, est-ce qu'il y a au contraire une
08:07 forme de confiance ? On pensait que l'économie russe allait s'effondrer, ce n'est pas
08:12 le cas, on pensait qu'il y avait de nombreuses difficultés logistiques avec l'armée russe
08:19 et puis soudainement elle semble beaucoup plus puissante qu'il n'y paraissait au
08:24 départ.
08:25 Claude Guibal, je crois que…
08:29 Pardon, excusez-moi, on a été coupé.
08:32 La connexion, j'étais en train de vous demander si du côté russe, au contraire,
08:36 il n'y avait pas un sentiment de confiance grandissant ?
08:38 Alors, ce qu'on voit, c'est difficile à en juger depuis Kiev, excusez-moi, mais
08:44 on entend effectivement Vladimir Poutine se féliciter justement de voir que ce soutien
08:52 qui se fissure avec l'occidentale finalement affaiblit l'Ukraine et vu d'ici on ne
08:59 veut justement pas laisser de prise à cela, on ne veut justement pas faire entendre qu'il
09:04 puisse y avoir des dissensions entre Volodymyr Zelensky et son chef d'état-major Valery
09:09 Zalunji, comme on l'entend régulièrement.
09:12 Et évidemment que la Russie n'attend qu'une chose, elle compte sur l'affaiblissement
09:18 du camp occidental, elle compte sur l'arrêt de cette aide américaine et on voit bien
09:24 sur le terrain qu'elle redouble d'intensité pour faire lâcher prise aux Ukrainiens.
09:31 J'étais il y a quelques jours, j'étais il y a deux jours dans la ville de Kherson
09:35 qui est donc au sud de l'Ukraine sur le fleuve Dniepr, c'est là où les Ukrainiens
09:40 ont remporté une petite avancée dans la contre-offensive en réussissant à passer
09:46 le Dniepr.
09:47 Alors, sur l'autre rive du Dniepr face à Kherson, il y a l'armée russe, donc les
09:54 Ukrainiens sont passés là, mais alors pas en masse parce qu'il faudrait beaucoup de
09:56 moyens pour pouvoir traverser le fleuve en masse, il faudrait des barges, etc. pour faire
10:00 traverser à des tanks. Malgré tout, il y a eu cette avancée symbolique et depuis,
10:05 les Russes bombardent de façon ahurissante cette ville, les frappent, c'est 100 à
10:13 150 frappes par jour sur la population qui ne sait jamais à quelle seconde ça va leur
10:18 tomber dessus. Et il y a cette stratégie de harcèlement, on le sent le harcèlement
10:22 aussi avec ces envois massifs de drones qui sont là pour user les gens. C'est vraiment
10:28 une guerre d'attrition, c'est une guerre d'usure. Tout est fait pour que les Ukrainiens
10:32 en rentrent grâce en disant qu'il faut que ça s'arrête.
10:35 Qu'en pensez-vous Pierre Grosser ? Le discours de Vladimir Poutine était un discours parfaitement
10:43 conquérant, qu'en est-il selon vous ?
10:44 Oui, on sent un changement d'attitude de Poutine qui semblait avoir quelques doutes.
10:50 Quand il était allé voyager voir Xi Jinping, on avait l'impression qu'il était un peu
10:55 isolé, que c'était finalement le petit garçon qui allait voir le grand maître qui
11:02 finalement le tenait à bout de bras. On a l'impression quand même qu'il y a aujourd'hui
11:07 du côté russe la certitude que les choses vont beaucoup mieux, que l'opinion finalement
11:13 tient, vous l'avez rappelé que l'économie tient. Après ça a été un coup absolument
11:19 terrible. C'est toujours un peu sujet à caution quand aujourd'hui les services de
11:23 renseignement américains disent qu'il y a eu 350 000 morts du côté russe. Mais en
11:27 tout cas on sait que traditionnellement la Russie n'est pas économe en vie humaine
11:31 quand elle fait la guerre. Et évidemment l'Union Soviétique ça a été la même
11:34 chose, notamment pendant la deuxième guerre mondiale. Ce qui je crois est très frappant
11:38 c'est qu'on a souvent dit que finalement le vieillissement de la population, le fait
11:42 qu'on ait beaucoup moins d'enfants, c'était finalement une garantie d'une certaine façon
11:46 de paix. On parle même de paix gériatrique. Parce que voilà, on ne fait pas la guerre
11:50 quand on est plus âgé et qu'on ne veut pas sacrifier des enfants qui sont devenus
11:54 très rares. Or là ce qui est assez fascinant c'est qu'en fait un pays qui est effectivement
11:58 vieillissant avec peu d'enfants et certains les jeunes sont plutôt partis, en envahit
12:03 un autre qui est à peu près dans la même situation démographique. Mais on voit aussi
12:06 que finalement ce qui a été rappelé c'est qu'aujourd'hui c'est les bombardements,
12:10 ce sont les drones et donc une partie aussi de guerre indirecte. Ou alors on le voit du
12:15 côté russe où on va recruter absolument n'importe qui, on va chercher aussi à l'étranger.
12:20 Voilà, on va chercher tout ce qui peut se battre. Mais les réserves démographiques
12:25 ne sont pas énormes et ça n'empêchera pas la Russie d'être en situation plutôt
12:28 favorable.
12:29 Merci Pierre Grosser pour vos explications. On se retrouve dans une vingtaine de minutes.
12:34 Histoire mondiale des relations internationales. C'est l'ouvrage que vous publiez aux éditions
12:39 Bouquins. Claude Guibbal, on se retrouve également. Vous êtes notre envoyé spécial à Kiev.
12:45 7h56 sur France Culture.
12:48 6h39, les matins de France Culture. Guillaume Erner.
12:54 Décryptage des nouvelles dynamiques internationales à l'aune des conflits en Ukraine et à Gaza.
13:00 Nous sommes en compagnie de Claude Guibbal qui est en duplex depuis Kiev, notre envoyé
13:06 spécial et de Pierre Grosser, historien, auteur d'une imposante somme sur l'histoire
13:11 des relations internationales de 1900 à nos jours. Pierre Grosser, qu'est-ce que ces
13:16 deux conflits changent à la polarité du monde puisque finalement on le voit, on a
13:21 affaire à un monde qui est à la fois à nouveau en guerre et à de nouvelles polarités qui
13:28 se font jour à la fois en Ukraine mais aussi au conflit du Proche-Orient.
13:32 Alors depuis en fait quelques années, on a l'impression que le monde est à la fois
13:38 encore unipolaire et c'est quelque chose que l'on constate puisque les Etats-Unis
13:43 ont encore une puissance absolument indispensable, on le voit au Proche-Orient, on le voit aussi
13:47 pour le soutien à l'Ukraine, on le voit aussi que la dédolarisation est un processus
13:52 beaucoup plus compliqué que certains ne l'imaginaient.
13:54 On a des formes de repolarisation et notamment une bipolarité, Etats-Unis-Chine qu'on
14:00 estimait être absolument indispensable dans le monde aujourd'hui et peut-être même
14:05 de pouvoir le stabiliser.
14:07 La rencontre il y a quelques semaines entre Biden et Chill a fait penser qu'on pouvait
14:12 avoir cette forme de bipolarité.
14:15 Un monde multipolaire avec des acteurs extrêmement divers qui mènent leur propre politique,
14:21 soit la Russie, la Turquie, les pays du Golfe, etc.
14:24 Et un monde apolaire, c'est-à-dire qu'on a l'impression qu'aujourd'hui plus personne
14:27 n'est capable de mettre un peu d'ordre dans le monde et que de tous les côtés des
14:31 conflits sont en train de s'esquisser.
14:33 On l'a vu dans le Caucase avec Azerbaïdjan et Arménie, on voit ce qui se passe avec
14:37 le Venezuela et donc tout ça fonctionne à peu près en même temps et donc la lisibilité
14:44 du monde diminue énormément.
14:46 Et ce qui est assez fascinant finalement, c'est qu'on a de côté notamment des deux
14:49 grands dirigeants de la planète, ces discours, que le monde se transforme très très rapidement.
14:53 Du côté de Jinping, il répète depuis très longtemps qu'il y a des changements considérables
14:57 pas vus depuis un siècle.
14:58 Donc il y a vraiment cette perception.
15:01 Alors c'est à la fois une opportunité, c'est aussi un risque pour la Chine.
15:04 Et récemment, Biden commençait à dire qu'en gros toutes les 6-8 générations, il se passe
15:09 en quelques années des grandes transformations du monde et que peut-être dans les 2-3 années
15:13 à venir, il va y avoir des bouleversements absolument majeurs.
15:16 Le risque évidemment, c'est de surinterpréter tout ce qui se passe, que ce soit la guerre
15:23 en Ukraine et que ce soit évidemment ce qui se passe au Proche-Orient en disant voilà
15:26 le monde s'est complètement transformé, va complètement se transformer.
15:30 Ce qu'on a vu déjà par exemple pendant la crise du Covid où on nous avait fait des
15:33 prédictions extrêmement nombreuses sur que le monde ne sera plus jamais comme avant.
15:37 Mais Claude Guibal, c'est un peu le risque qu'agitent les Ukrainiens, notamment en
15:40 disant qu'ils sont aux avant-postes de la guerre contre la Russie et que si d'aventure
15:46 ils perdaient, eh bien notre tour ou le tour des Européens viendrait ensuite.
15:50 Oui absolument, ils n'arrêtent vraiment pas de le dire et c'est pour ça qu'ils
15:55 ont un regard un peu plus, j'allais dire un peu plus amène envers les pays baltes
16:03 qui ont selon eux l'attitude qu'il faut par rapport à la Russie.
16:09 Il y a ici vraiment ce sentiment très très fort, les gens nous disent, qu'ils font
16:16 des parages, ils sont vraiment les derniers avant-postes en fait, avant une déferlante
16:27 qu'ils ne peuvent pas arrêter.
16:28 Ils se sentent très impuissants d'avoir le sentiment qu'on n'entend pas, qu'on
16:36 n'a pas voulu voir ce qui s'était passé avant en Géorgie, l'annexion de la Crimée.
16:41 Les gens nous disent, c'est un empire qui est en face et un empire ne survit que tant
16:47 qu'il envahit.
16:48 Et cette logique d'empire impérialiste c'est quelque chose que l'on entend très
16:54 fréquemment.
16:55 Ils ont aussi tout à fait cette conscience que les équilibres mondiaux se sont modifiés.
17:03 Ça va sur des choses aussi simples aussi que hier par exemple des chefs d'entreprise
17:10 avec qui je parlais, on discutait de la question des drones, ces drones dont l'Ukraine a
17:17 désespérément besoin, qu'elle achète de façon massive et on me parlait de cette
17:21 entreprise chinoise qui n'avait pas livré à l'Europe, suffisamment de drones cet
17:27 été, cette année, il y avait une pénurie.
17:30 Les gens disaient, voilà, parce qu'il y a eu cet accord entre la Chine et la Russie
17:35 qui se fait et où indirectement on joue sur les livraisons européennes pour ne pas
17:44 qu'on puisse acheter ces drones nous-mêmes.
17:47 Pierre Grosser, qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu'effectivement l'Ukraine est
17:51 aujourd'hui aux avant-postes ? Est-ce que la stratégie de Moscou, si d'aventure
17:57 l'Ukraine tombait, est-ce qu'il y aurait une stratégie d'empire qui pourrait concerner
18:02 d'autres pays ?
18:03 L'affaiblissement d'autres pays qui sont rentrés dans l'OTAN depuis un certain
18:08 nombre d'années sans doute, après qu'il y ait la continuation d'offensives vers
18:14 des pays comme les Pays-Baltes, d'offensives militaires, est quand même un peu moins probable.
18:20 Quoique le problème aujourd'hui c'est qu'on n'avait pas vraiment prévu l'agression
18:24 russe et qu'il faut être évidemment extrêmement prudent dans les prévisions.
18:29 Mais c'est vrai qu'on a un petit air des années 30 à s'inquiéter effectivement
18:33 que si on laisse la Russie l'emporter en Ukraine, c'est une défaite majeure pour
18:40 la démocratie, c'est une défaite majeure pour l'équilibre des puissances en Europe.
18:45 Le seul problème c'est qu'en fait cette rhétorique des années 30 sur une menace
18:50 d'une puissance hyper-révisionniste s'est un peu épuisée parce qu'on l'a beaucoup
18:54 utilisé depuis la fin de la guerre froide sur tout un tas de pays, c'était l'Irak,
19:00 c'était l'Iran, etc.
19:01 Et c'est assez étonnant que finalement cette rhétorique est maintenant essentiellement
19:06 sur le plan intérieur, c'est-à-dire l'idée que le fascisme est en train de triompher
19:10 dans les pays occidentaux et non pas sur l'extérieur en parlant de la Russie.
19:14 En revanche, là où vous avez une vraie comparaison avec les années 30, c'est sur
19:18 les interrogations par rapport aux Etats-Unis, c'est-à-dire que quand on réfléchit vraiment
19:22 à ce qu'était l'appeasement dans les années 1930 et qu'on sort de la carte européenne,
19:27 un des gros problèmes des Britanniques c'était qu'ils faisaient face à la fois à l'Allemagne,
19:30 à l'Italie et au Japon parce que c'était avant tout un empire britannique.
19:34 Et donc l'appeasement était une stratégie en partie logique jusqu'en 1938 au moins,
19:39 c'est-à-dire d'essayer finalement de tendre un peu la main à chacun des pays,
19:43 empêcher que le Japon et l'Allemagne se litent trop, que l'Italie se jette dans
19:48 les bras de l'Allemagne, etc.
19:49 Or on a l'impression aujourd'hui aux Etats-Unis qu'un certain nombre de stratèges sont
19:53 en train de réévaluer finalement cette stratégie en disant finalement que ce n'était pas
19:57 si mal et nous nous sommes dans la même situation.
19:59 C'est-à-dire que nous avons le problème avec l'Iran, nous avons le problème avec
20:02 la Russie, nous avons le problème avec la Chine, peut-être même avec le Venezuela,
20:05 la Corée du Nord, etc.
20:07 Nous n'avons plus les moyens maintenant de faire comme dans les années 1940 et jusque
20:13 dans les années récentes, c'est-à-dire d'amener la sécurité partout dans le monde
20:16 et donc peut-être il faut se rapprocher au moins peut-être de la Russie, essayer de
20:21 trouver des équilibres au Moyen-Orient pour se contre-envoyer soit sur la Chine, soit
20:25 comme le disent certains républicains, sur les menaces aux frontières, on a entendu
20:28 parler tout à l'heure, c'est-à-dire la question migratoire qui pour certains Américains
20:32 du Sud est absolument essentielle.
20:34 Vous parlez des années 30, si on parlait des années 10, je veux dire de cette première
20:39 guerre mondiale, d'aucuns évoquent le terme de somnambule, faisant référence au livre
20:47 de l'historien Christopher Clarke, autrement dit d'un enchaînement qui part d'événements
20:52 qui sont a priori des événements tout à fait secondaires et qui aboutissent à des
20:57 cataclysmes mondiaux.
20:58 Est-ce que ce type de spirale pourrait être à l'œuvre, d'une manière différente
21:03 certes, mais pourrait être à l'œuvre aujourd'hui Pierre Grosser ?
21:06 Alors effectivement, on constate qu'il y a énormément de rappels à 1914, alors
21:13 évidemment le centenaire est passé par là et surtout tout ce qui a suivi aussi, parce
21:18 qu'évidemment la guerre de 1914-1918 c'est d'une certaine façon prolongée avec la
21:22 crise économique, avec l'expansion du communisme, avec le fascisme, avec la seconde guerre mondiale,
21:27 donc on sait que 1914 est un cataclysme bien au-delà de la seule première guerre mondiale.
21:34 Ça c'est vraiment un élément fondamental, c'est la peur de revivre cela, comme aussi
21:39 tout le XIXe siècle on avait peur de revivre les guerres révolutionnaires et napoléoniennes,
21:43 et on a eu un siècle sans guerre majeure en Europe à cause de cela.
21:48 La question des somnambules c'est vraiment la responsabilité des chefs d'État et
21:53 des chefs de gouvernement qui finalement avec des mauvais calculs ou avec certaines ambitions
21:58 ou l'impression finalement d'être entraîné, de ne pas pouvoir faire autre chose, sont
22:02 rentrés dans une guerre, effectivement cataclysmique, un peu contre la volonté des peuples.
22:07 C'est ça vraiment l'idée fondamentale quand on réutilise cette expression.
22:11 Et effectivement on a eu ce discours-là quand on a imaginé qu'il pouvait y avoir
22:17 une escalade nucléaire entre la Russie et les États-Unis sur l'Ukraine, et bien
22:20 entendu avec tous les incidents qu'il y a aujourd'hui avec les Philippines, ou en
22:24 mer de Chine du Sud, et évidemment la question de Taïwan, on imagine qu'il puisse y avoir
22:29 ce type d'escalade.
22:30 Alors évidemment on se rassure en disant première chose qu'on sait ce qui s'est
22:33 passé en 14 donc il ne faudrait pas recommencer, vous allez me dire il y a eu 39 après, mais
22:38 on sait ça.
22:39 Deuxième chose, il y a le nucléaire et donc c'est quand même un élément stabilisateur,
22:44 même si évidemment en dessous du seuil nucléaire il peut se passer énormément de choses.
22:48 Et la grande question aussi, est-ce que le tabou nucléaire est toujours durable, notamment
22:53 si on voit les rapports qu'on peut avoir avec la Corée du Nord, voire peut-être un
22:56 jour avec la Russie.
22:57 Mais l'idée que les hommes ne savent pas forcément l'histoire qu'ils font, qu'ils
23:01 ne connaissent pas nécessairement les conséquences de leurs actes au moment où ils prennent
23:04 leurs décisions, je ne parle même pas des peuples qui ont été entraînés dans la
23:08 guerre de 14-18, mais même les dirigeants, est-ce qu'aujourd'hui par exemple cela
23:12 pourrait être aussi d'actualité ?
23:14 Je crois que ce qui est… les hommes ne savent jamais l'histoire qu'ils font, c'est-à-dire
23:19 qu'ils prennent des décisions à court terme avec un éventail de conséquences qui
23:23 ne sont pas toujours totalement maîtrisables.
23:26 C'est une… par exemple sur la première guerre mondiale, on pouvait imaginer que
23:30 la guerre pourrait être longue, mais la plupart tablaient sur une guerre qui serait relativement
23:36 courte.
23:37 Je crois que ce qui est vraiment important, et quand on vit les moments que nous vivons
23:40 aujourd'hui, il faut faire attention de ne pas reconstituer l'histoire comme étant
23:44 quelque chose de finalement totalement connu et évident.
23:47 Par exemple que la deuxième guerre mondiale, il va y avoir une grande alliance qui allait
23:50 gagner la guerre, ou qu'entre 1989 et 1991 on allait avoir la réunification allemande,
23:56 la fin de l'Union Soviétique, etc.
23:57 Les acteurs, au moment même où ils agissent, ils ne savent absolument pas ce qui va se
24:03 passer et il peut y avoir beaucoup d'autres avenirs alternatifs qui auraient pu se passer,
24:08 mais évidemment il y en a un seul qui a eu lieu et donc on a tendance à dire que c'est
24:13 celui-là qui devait advenir.
24:14 Et c'est d'ailleurs ça qui rend parfois difficile l'écriture de l'histoire.
24:18 Et le conflit au Proche-Orient, qu'est-ce qui change, Pierre Grosset ?
24:21 C'est justement assez difficile de savoir, parce qu'il me semble, vous avez suivi ça
24:28 au jour le jour aussi, qu'on a fait beaucoup de projections, là aussi très rapidement,
24:34 et qu'aujourd'hui, c'est assez terrible à dire, mais d'une certaine façon on s'est
24:40 installé dans cette violence à Gaza, que finalement les Etats-Unis dans l'ensemble
24:47 ont plutôt tendance à soutenir Israël, tout en leur demandant de se calmer un peu
24:51 et de ne pas faire trop de bêtises, et que finalement les autres acteurs qu'on avait
24:54 peut-être surévalués, finalement acceptent plus ou moins ce qui se passe.
24:58 On a l'impression qu'il n'y a pas énormément de médiation, il y a toute une activité
25:01 diplomatique, il y a des votes aux Nations-Unies, où je pense qu'un certain nombre de pays
25:05 se cachent derrière le veto des Américains, et qu'on ne voit pour le moment pas du tout
25:11 comment on peut en sortir.
25:13 Et donc il pourrait y avoir finalement une destruction de l'essentiel de la bande de
25:17 Gaza, dans une certaine passivité, acceptation de ce qui se passe.
25:22 Après, les conséquences sur le terrain, la conséquence évidemment sociale, peut
25:26 être tout à fait considérable.
25:28 Mais en termes diplomatiques, on n'a pas l'impression de voir une révolution diplomatique
25:32 qui est issue de ce conflit.
25:34 Quand vous parlez des autres acteurs, vous parlez par exemple de l'Iran ?
25:37 De l'Iran, mais aussi évidemment de tous les pays du Golfe, qui normalement, officiellement
25:42 prennent la défense des Palestiniens, mais qui pour le moment, parlent énormément.
25:45 Tout à l'heure, votre reportage se passait en Égypte.
25:48 L'Égypte, les frères musulmans et donc le Hamas, ce n'est pas les amis.
25:53 C'est ceux qu'on a détruits à partir de 2013, et qu'on a combattus.
25:57 Et même si on remonte plus loin, depuis les années 50, depuis Nasser, c'est une
26:00 opposition entre les militaires et les frères musulmans.
26:02 Mais alors, donc là, est-ce qu'on a affaire finalement à une cause qui demeure une cause
26:08 isolée ? Parce que c'est quand même assez paradoxal.
26:10 C'est un conflit qui attire énormément l'attention, qui est très largement observé,
26:16 alors que d'autres conflits à la surface du globe ou d'autres souffrances humaines
26:20 passent au second plan.
26:21 Et dans le même temps, il n'y aurait pas véritablement d'action.
26:25 Qu'est-ce que vous en pensez, Pierre Grosser ?
26:27 Alors, il y a une résonance au Moyen-Orient qui est évidente, et évidemment dans les
26:33 populations musulmanes, en partie d'ailleurs liées aux Palestiniens, puisqu'il y a
26:37 beaucoup de Palestiniens aussi à l'étranger, en Amérique du Nord, etc.
26:40 Vous avez une résonance tout à fait importante.
26:43 Pourquoi est-ce que ça prend tellement d'importance ?
26:46 Alors, c'est peut-être un petit peu provocateur ce que je vais dire, mais il faut bien voir
26:51 qu'on a en gros terminé les grandes mobilisations révolutionnaires, les grands moments, finalement,
27:01 de lutte anticoloniale des années 60 et 70.
27:04 Tout ça est dernière nous.
27:05 La lutte anti-apartheid s'est terminée depuis la fin des années 80, le début des
27:10 années 90.
27:11 Et donc, en fait, pour les jeunes générations notamment qui veulent s'engager, ou celles
27:17 des années 60-70 qui ont vécu ces événements et qui veulent, j'allais dire, d'une certaine
27:21 façon se réengager, elles trouvent dans ce conflit-là, finalement, tous les ingrédients.
27:26 C'est-à-dire, vous avez la question coloniale, vous avez la question, entre guillemets, de
27:31 l'apartheid.
27:32 C'est une question qui n'est pas posée depuis longtemps, de la comparaison qu'on
27:35 peut faire avec l'apartheid.
27:36 On a l'impression qu'en faisant, finalement, ce qui d'ailleurs n'a pas été la seule
27:40 raison de la chute de l'apartheid, mais en faisant finalement un boycott, on va arriver
27:44 à résoudre les problèmes.
27:45 Vous avez aussi l'impérialisme américain qui est derrière, voire l'impérialisme
27:49 occidental.
27:50 Et donc, toutes ces luttes, finalement, qui étaient des grandes luttes des années 60-70
27:54 et qui sont mortes au début des années 80, sont toutes concentrées sur la Palestine.
27:59 Alors que quand vous regardez, évidemment, du côté du Sinkiang ou quand vous regardez
28:04 même du côté de la Tchétchénie, on n'avait pas finalement tous ces éléments-là qui
28:08 étaient concentrés de la même manière.
28:12 Aujourd'hui, Claude Guibal, l'impérieuse nécessité d'une aide pour l'Ukraine
28:19 se fait ressentir sur le terrain.
28:20 Qu'est-ce que les Ukrainiens attendent ? Vous qui êtes allé sur le front, vous qui
28:26 êtes à Kiev aujourd'hui, qu'est-ce qu'ils attendent de nous, de l'Occident,
28:30 des Américains ? De quoi ont-ils besoin rapidement ?
28:33 En termes d'armement, ce que les militaires disent, c'est ce que le chef d'état-major
28:41 Zalouchny a dit il y a un mois et quelques dans une interview à la presse britannique.
28:47 C'est qu'ils ont besoin d'un saut de technicité.
28:50 En termes de matériel, ils ont besoin notamment d'aviation.
28:54 Ils ont besoin de missiles de longue portée également.
29:00 Et avant tout, ce dont ils ont besoin, c'est une chose que seule l'Ukraine peut leur
29:07 donner, c'est des hommes.
29:08 On en a parlé tout à l'heure, il y a la question de la mobilisation.
29:12 En termes d'armement, c'est ce qui est réclamé.
29:16 Ce qui est réclamé aussi, c'est une interopérabilité de l'armement.
29:21 Parce que cet armement qu'on leur a donné, il est très dispersé.
29:24 Ce qu'on vous dit, c'est qu'il faut des pièces pour continuer à faire fonctionner
29:32 ces chars, ces lances-missiles et compagnie.
29:36 J'ai vu des unités logistiques qui s'arrachaient les cheveux parce que pour changer les plaquettes
29:42 de frein, il faut aller acheter des véhicules civils pour pouvoir les adapter à certains
29:46 matériaux militaires parce qu'on a donné ou vendu des Humvees et qu'il n'y a pas
29:51 ce qu'il faut pour les faire fonctionner.
29:52 Ici, le matériel, c'est du consommable.
29:56 Ça s'épuise très vite.
29:57 Ils ont besoin de drones.
29:59 Vladimir Zelensky annonçait hier que l'Ukraine allait produire un million de drones l'an
30:05 prochain.
30:06 Les Ukrainiens estiment à 100 000 à 150 000 je crois par mois leurs besoins en drones.
30:11 Ce sont des appareils qui sont extrêmement utilisés dont la durée de vie est parfois
30:16 d'une seule sortie.
30:17 Ces drones, c'est à la fois ces fameux drones kamikazes dont on entend parler, qui
30:24 portent des charges explosives, mais ce sont aussi des drones de renseignement, ce sont
30:27 des drones de déminage.
30:28 Un drone de déminage, ça vous permet d'épargner la vie d'un certain nombre d'hommes sur
30:33 le terrain.
30:34 C'est cette nouvelle guerre qui est en train de se faire en Ukraine.
30:41 Il faut vraiment avoir conscience de cette télescopage anachronique où vous avez encore
30:49 les hommes dans les tranchées, vous avez une guerre d'artillerie et vous avez en
30:54 même temps cette guerre de l'espace et cette guerre de l'intelligence artificielle
30:57 puisque désormais ces drones qui sont à l'action par exemple en Ukraine sont capables
31:03 de tirer sans avoir à en référer à un cerveau humain.
31:06 Donc on voit effectivement ce qui est nécessaire aujourd'hui.
31:11 Pierre Grosser, est-ce que vous pensez que les Occidentaux ont tort d'avoir tant d'atterrement,
31:18 les Américains mais aussi les Européens par rapport à l'Ukraine ?
31:22 C'est vraiment une question extrêmement difficile parce que le sort des Ukrainiens
31:29 est absolument terrible et que c'est effectivement laisser la Russie triompher est quelque chose
31:33 d'assez inimaginable.
31:36 Après je pense que sur l'idée que la Russie allait s'effondrer, que son économie allait
31:41 s'effondrer, on a eu beaucoup trop d'espoir.
31:45 Le seul problème c'est que tout accord de toute façon avec la Russie ne peut être
31:49 que provisoire.
31:50 Donc les questions diplomatiques et les questions de négociations, on l'a vu encore dans
31:53 les dernières déclarations de Poutine, ces buts de guerre sont toujours tout à fait
31:58 maximaux.
31:59 Donc c'est extrêmement difficile de négocier avec lui.
32:01 Et en fait ça renvoie aussi à des questions des années 30 et 40, c'est-à-dire que
32:07 pour que l'Allemagne et le Japon ne soient plus des puissances militaristes et expansionnistes,
32:13 finalement on a utilisé le maximum, c'est-à-dire on les a écroulés sous les bombes et ensuite
32:17 on a changé en allant jusqu'au cœur du pays, on a changé les régimes politiques.
32:22 Et d'une certaine façon on sait très bien qu'en 2003 pour l'Irak, c'était un des
32:26 objectifs des Américains en disant voilà Saddam Hussein a envahi ses voisins, massacré
32:31 une partie de sa population, a fait un quasi-génocide sur les Kurdes, etc.
32:35 Donc il faut complètement changer le régime.
32:37 Or là on n'imagine pas évidemment changer le régime de par nous-mêmes.
32:41 On peut espérer que effectivement Poutine meure parce qu'il n'est quand même pas
32:45 si jeune que ça, mais sans savoir évidemment ce qui va se passer derrière, mais en tout
32:49 cas qu'il y ait une transformation interne.
32:50 Mais pour que la Russie ne soit plus la puissance revanchiste, agressive qu'elle est aujourd'hui,
32:58 on ne sait absolument pas ce qu'il faut faire puisqu'on n'ira pas à Moscou.
33:03 Justement, est-ce que ça veut dire, Pierre Grosser, qu'il faut prolonger la guerre
33:08 en soutenant l'Ukraine ou bien est-ce qu'il faut tenter une initiative diplomatique ou
33:14 une tentative de résolution du conflit comme certains l'appellent de leur vœu ?
33:18 Dans toutes les guerres, il y a toujours un mélange des deux.
33:21 C'est-à-dire que si vous faites des négociations, il faut avoir une carte de guerre qui soit
33:24 plutôt bonne parce que sinon vous êtes en position de faiblesse.
33:28 Aussi, finalement, une des grandes ambiguïtés de ces discussions pendant que l'on combat,
33:35 c'est que si vous n'êtes pas en train de gagner ou même vous êtes en train de reculer,
33:38 vous n'avez pas intérêt à négocier parce que la carte de guerre sera négative.
33:42 Et si vous êtes au contraire dans une dynamique positive, s'il y avait une aide massive,
33:47 il y aurait une dynamique positive.
33:48 Vous dites pourquoi arrêter maintenant et rentrer dans un processus de négociation.
33:52 Donc dans tous les conflits que l'on connaît, c'est très difficile de trouver le moment
33:57 pour lequel les deux parties seraient d'accord pour discuter.
34:00 Et pour le moment, on ne voit pas cette réalité.
34:03 Et je crois qu'en tout cas, du côté des Européens, on n'a pas vraiment fait les
34:07 efforts massifs qu'il aurait fallu faire et qu'on s'aperçoit justement de l'état
34:11 de déshérence de notre système militaire malgré évidemment quelques rebonds dans quelques
34:16 pays.
34:17 Et puis du côté américain, la grande inquiétude c'est évidemment 2024.
34:20 Je reviens encore une fois à cette élection de Trump.
34:22 Et quand même, on peut imaginer que du côté du Kremlin, on se dit qu'on va attendre
34:26 que Trump arrive.
34:27 Trump qui nous a promis qu'en deux coups de cuillère à peau, il allait résoudre
34:31 sans doute au détriment de l'Ukraine cette réalité.
34:35 Il faut bien rappeler encore une fois que pour les États-Unis, l'Ukraine au-delà
34:38 de l'aspect symbolique, ce n'est pas absolument essentiel.
34:42 Ce n'est pas la même chose que par rapport à la Chine, l'ensemble de l'Asie du Sud-Est
34:46 qui a un impact économique absolument déterminant.
34:49 Pierre Grosser, histoire mondiale des relations internationales de 1900 à nos jours.
34:54 C'est la somme que vous publiez aux éditions Bouquins.
34:56 Merci beaucoup Claude Guibal d'avoir été avec nous ce matin.
35:00 Je rappelle que vous êtes notre envoyé spécial à Kiev.