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Le Journal de la Défense vous fait le récit d'une opération qui a permis d'évacuer du Soudan, un pays plongé dans le chaos, près d'un millier de ressortissants dont 700 étrangers.
Notre équipe a rencontré celles et ceux qui ont eu un rôle clé dans ce sauvetage. Des témoignages inédits pour une mission hors norme.

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00:00 ...
00:10 -C'est une histoire qui finit bien.
00:12 Le récit d'une opération qui a permis d'évacuer
00:15 d'un pays plongé dans le chaos, près d'un millier de ressortissants,
00:19 dont 700 étrangers de 80 nationalités différentes.
00:22 Pour la raconter, nous avons rencontré
00:25 celles et ceux qui ont eu un rôle clé dans ce sauvetage,
00:29 un document inédit dans lequel ils reviennent sur ces 15 jours
00:32 où l'audace a su répondre à l'urgence.
00:35 ...
00:38 Coup de feu
00:40 En avril 2023, des affrontements éclatent au Soudan
00:43 entre les forces armées soudanaises
00:45 et les paramilitaires des forces de soutien rapide.
00:48 Après deux guerres civiles, le troisième plus grand pays africain
00:52 est une nouvelle fois fragilisé.
00:54 Rapidement, la capitale Khartoum est coupée de tout.
00:57 Le début d'une longue angoisse.
00:59 -Quand la guerre a commencé, c'était un samedi matin,
01:02 donc j'étais à la résidence, puisque c'était un jour de week-end.
01:06 Et il était 9h20 du matin, à peu près,
01:08 quand je reçois un appel de l'un de mes collègues de l'ambassade.
01:11 Il me dit que la guerre revient de commencer.
01:14 Je dis "quoi ?" Je n'en croyais pas.
01:16 -Le samedi soir, le général Bouhité,
01:18 qui commande les forces françaises stationnées à Djibouti,
01:22 les FFDJ, convoque l'ensemble de ses grands subordonnés
01:25 pour donner une appréciation de situation
01:28 sur ce qui se passe au Soudan.
01:29 On y apprend que des combats violents font rage
01:33 depuis le début de la journée d'Ankartoum,
01:36 que nos ressortissants,
01:38 qu'on estime à peu près à 250, 300,
01:42 se retrouvent au milieu de ces combats.
01:44 -Sallim, sallim, yaa burkhane !
01:47 -Tout ce qu'on savait, c'était que les RSF,
01:51 les Rapid Support Forces du général Heveti,
01:54 le vice-président soudanais,
01:56 et les forces armées soudanaises se tiraient dessus.
01:59 On avait constaté, quelques jours avant,
02:01 une intensification des tensions entre les deux hommes.
02:04 Mais de là à s'imaginer que ce ton qui montait entre les deux
02:08 allait déboucher sur des fusillades et des bombardements
02:11 dès le premier jour, le samedi 15 avril, non.
02:14 -Moi, j'étais rastreinte, donc, au CPCO,
02:18 assez calme, le samedi, il y a moins de monde, en tout cas.
02:22 Là, on a une première alerte avec des combats qui commencent.
02:25 On met en oeuvre toute la chaîne de décision
02:28 et de planification telle qu'elle est conçue.
02:31 On éclenche la cellule de crise dans la foulée,
02:34 dès le dimanche matin.
02:36 On prend contact avec le théâtre
02:38 et on envoie nos éléments de liaison
02:40 vers le MEAE, le ministère de la France étrangère
02:43 et de l'Europe, au sein du CDCS,
02:45 pour justement réaliser les premières réunions
02:49 de consultation avec eux.
02:51 Au centre de crise, nous sommes en permanence d'astreinte.
02:54 On a une équipe de 13 agents d'astreinte toutes les semaines
02:57 qui doit être en capacité d'activer une cellule de crise en une heure.
03:01 C'est ce qu'on fait le 17 avril.
03:03 À ce moment-là, nous rejoignent d'autres agents très vite.
03:06 L'ouverture d'une cellule de crise,
03:08 ça veut dire, très concrètement,
03:10 qu'on commence à contacter l'ensemble de nos concitoyens
03:14 via mail, via SMS, via messagerie instantanée,
03:18 pour leur demander de nous dire s'ils sont bien au Soudan,
03:22 s'ils vont bien, combien ils sont,
03:24 s'ils ont des stocks, des vivres, de l'eau,
03:27 pour qu'on puisse avoir une cartographie assez précise
03:30 de combien de ressortissants on a effectivement sur place
03:33 et de combien on va avoir à en évacuer.
03:36 J'étais responsable de l'échelon national d'urgence du CPA10,
03:41 qui comprend deux groupes actions,
03:44 plus des éléments de renfort, qui sont d'alerte à 6h
03:47 et avec une composante contre-terrorisme et libération d'otages.
03:50 Donc, mardi matin, je suis tranquillement en train de me réveiller vers 10h,
03:54 vu que je vais passer la nuit à travailler,
03:56 et je reçois un coup de téléphone de mon escadron qui me dit
03:59 "Tu ne vas peut-être pas faire l'exercice, mais partir sur une alerte."
04:04 Je demande quelques précisions sur la température à prévoir,
04:07 histoire de faire une valise en conséquence.
04:09 Je sais juste qu'on nous demande à quelle heure au plus tôt on peut décoller.
04:14 En réfléchissant, on annonce qu'à 17h, heure locale France,
04:19 on peut partir d'Orléans pour la destination qu'on nous donnera.
04:23 Donc là, on me dit soit Djibouti, soit Khartoum,
04:28 soit en direct, soit en passant par l'Orient
04:30 pour récupérer les commandos marines du COS.
04:33 Je reçois un coup de téléphone vers 20h en me disant
04:36 si j'étais disponible pour partir en mission potentiellement le soir même,
04:41 parce qu'une action se déclenchait sans qu'on ait plus de précision.
04:45 Une demi-heure après, le téléphone ressonne en disant
04:48 qu'une mission se déclenche avec le module de chirurgie vitale.
04:52 On apprend qu'on ne va pas rejoindre la zone d'action directement,
04:56 mais qu'on va générer l'ensemble de la force sur Djibouti
04:59 et que ça nous servira de base arrière pour effectuer notre opération.
05:03 On a projeté dans les tous premiers jours
05:08 des premiers éléments de renfort au sein de l'état-major de Djibouti,
05:13 et puis un certain nombre de capacités particulières,
05:15 capacités d'avions de transport,
05:17 ainsi que de l'allétagement du commandant des opérations spéciales,
05:19 si jamais il fallait qu'on réalise une opération d'extraction de force
05:23 de nos ressortissants, avec un renfort notamment du GIGN également
05:26 pour la protection de l'ambassadrice et de l'ambassade.
05:29 Ils sont partis depuis la base ARN d'Orléans-Brécy,
05:34 trois avions A400M,
05:37 et un avion Hercule,
05:38 qui se sont étalés pour ce qui est des départs
05:41 sur une période de 48 à 72 heures.
05:44 D'ailleurs, le général Boïté annonce que le 18,
05:54 les forces françaises stationnées à Djibouti sont en opération.
05:58 À ce moment-là, on ne sait pas exactement
06:01 quel mode d'action va être choisi.
06:02 Est-ce qu'on va y aller par les airs ?
06:04 Est-ce qu'on va y aller par la mer ?
06:06 Est-ce qu'on va y aller par la route ?
06:07 Voilà, donc on prépare tous les cas de figure.
06:10 Et donc, on a franchi Suez le 18 avril,
06:13 et le 19 avril, on est dans le golfe de Suez,
06:16 en sortie du canal.
06:17 Là, la frégate reçoit la directive
06:20 de rallier rapidement les approches des côtes soudanaises
06:24 pour, dans un premier temps, effectuer du recueil de renseignements
06:27 et puis se tenir paré à toute éventualité.
06:29 Au niveau opératif et tactique,
06:33 évidemment, on a plein d'options qui sont envisagées
06:36 et qui, des fois, malheureusement,
06:38 s'entrechoquent avec la réalité stratégique.
06:40 Il y a des partenaires, il y a des enjeux de territoire,
06:44 de souveraineté,
06:46 il y a des luttes d'influence qui, des fois,
06:49 peuvent mettre à mal la planification.
06:51 C'est le jeu des opérations.
06:53 C'est donc le président de la République
06:55 qui décide de déclencher l'évacuation
06:57 sur la base des informations
06:59 que nous lui faisons remonter via nos ministres respectifs
07:03 et le chef d'état-major des armées,
07:05 ainsi que le chef d'état-major particulier.
07:07 Un volet aérien est privilégié
07:09 parce que la ville de Khartoum est à 800 km des côtes.
07:12 Donc, il est évident qu'il est plus aisé
07:14 d'aller évacuer les personnes par voie aérienne.
07:17 Malgré tout, côté maritime,
07:19 la Lorraine est prépositionnée
07:23 et se tient paré au cas où.
07:25 On a étudié, au niveau géographique,
07:27 toutes les options qu'il pourrait y avoir d'aéroport
07:31 autre que celui de Khartoum,
07:33 puisque très rapidement, c'est un aéroport
07:34 qui a une piste qui doit faire à peu près 2 500 m.
07:36 Puis, au fur et à mesure des combats,
07:37 la voie se réduire à 1 800, 1 200,
07:39 puis devenir complètement inopérationnelle
07:40 puisqu'il y a des obus qui sont en permanence dessus.
07:42 On a trouvé assez rapidement, au nord-ouest de Khartoum,
07:46 une base aérienne de l'armée soudanaise.
07:50 Le COS est impliqué
07:55 parce que les ressortissants ne seront pas rassemblés
07:57 directement sur l'aéroport,
07:58 mais qu'il va falloir aller les chercher en ville
08:01 à différents points de rassemblement.
08:03 Je serai probablement l'avion qui va ouvrir le terrain
08:09 pour être sûr de le sécuriser avec des éléments du COS
08:12 avant que d'autres avions fassent une noria de réservaques.
08:15 Et le reste de la partie réservaques
08:18 sera réellement géré par la partie conventionnelle,
08:21 que ce soit les avions ou l'armée de terre,
08:23 qui est plus spécialisée dans le tri et le rassemblement
08:26 de tous les ressortissants.
08:27 Je vais partir avec un détachement d'environ 150 personnes,
08:33 un petit PC tactique pour conduire l'opération à mes côtés.
08:37 Je vais avoir des marsouins de la première compagnie,
08:40 avec leur capitaine à leur tête,
08:42 qui vont être en charge principalement
08:44 de la partie sécurisation.
08:46 Je vais avoir un détachement du groupement de soutien
08:49 des forces françaises stationnées à Djibouti,
08:52 dont la mission va être véritablement
08:54 l'accueil des ressortissants, leur filtrage,
08:57 l'organisation un peu administrative de leur évacuation,
09:02 avec le renfort de deux personnes
09:04 du centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay,
09:07 sur la partie interministérielle et gestion des ressortissants.
09:11 Je vais avoir également une équipe d'aviatrices et d'aviateurs
09:14 de la base aérienne 188 de Djibouti,
09:17 en charge de la coordination aérienne
09:19 et en charge de toute la partie escale
09:22 et gestion logistique, parking des avions.
09:24 Bien évidemment, un gros détachement santé,
09:27 y compris un module de chirurgie vitale.
09:30 Une de nos premières craintes, c'était notamment
09:32 d'avoir des ressortissants qui soient isolés,
09:35 bloqués chez eux, qui soient tués ou blessés.
09:38 Ça a été une crainte permanente.
09:40 Ça, plus le fait d'avoir un avion abattu en l'air,
09:43 par exemple, au poser ou au décollage.
09:45 Les risques ont été très importants.
09:49 Je pense au commandant de bord qui a posé le premier C-130
09:53 en pleine nuit sur un terrain
09:56 dont on ne savait absolument pas comment on serait accueilli.
09:58 Ça a été vraiment des risques qui ont été très importants.
10:03 40, 50 km avant d'approcher l'aéroport,
10:06 on se prépare pour la phase de descente.
10:08 Donc, on commence à réellement observer le sol
10:09 avec des conflits qui sont finalement beaucoup plus denses
10:12 que ce à quoi on s'attendait.
10:13 On était réellement sur une guerre civile
10:15 avec deux forces en présence qui combattaient jour et nuit.
10:19 C'était assez impressionnant, mais comme c'était très silencieux,
10:22 on voyait la guerre sans l'entendre.
10:25 On s'est ensuite donc rapprochés de l'aéroport
10:28 et là, pour la première fois, j'ai eu un contrôleur,
10:30 puisque c'était un contrôleur militaire,
10:31 qui était très surpris d'avoir quelqu'un en fréquence.
10:34 Il avait été informé, mais je pense qu'il était convaincu
10:36 qu'on ne viendrait pas.
10:38 Et donc, sa remarque a juste été
10:41 "On m'a demandé de vous autoriser à atterrir.
10:43 Je vous le déconseille.
10:45 Plus personne ne pose, c'est dangereux."
10:48 Et donc, à partir de ce moment-là, on est passé en autonomie.
10:51 On a sorti notre caméra
10:52 et on a survolé pendant 15 à 30 minutes l'aéroport.
10:56 Le but était, un, d'évaluer s'il y avait une menace,
10:59 donc d'essayer de voir les groupes armés qu'il y avait,
11:01 si on était encore sur de la force du pays ou sur la force rebelle,
11:05 mais aussi principalement de vérifier l'état de la piste.
11:08 Relativement vite, en 15-20 minutes,
11:09 on confirme que la piste est accessible,
11:12 que le parking est accessible et que nous sommes attendus.
11:15 Un certain nombre de pick-up, le long de la piste,
11:18 sont clairement en train d'attendre notre atterrissage.
11:20 Moi, je suis dans le quatrième avion.
11:28 Il y a quatre avions qui posent à ce moment-là.
11:32 Et au moment où on sort de l'avion,
11:35 donc nuit totale, optique de nuit sur les yeux,
11:38 parce que toutes les lumières sont éteintes,
11:40 bien évidemment pour des questions de sécurité.
11:43 Et moi, à ce moment-là, je vais prendre contact,
11:46 évidemment, avec les commandos qui sont arrivés en premier,
11:49 établir une première appréciation de situation,
11:51 notamment sur le volet sécurisation,
11:53 qui va être mon principal sujet.
11:55 Est-ce que l'aérodrome est sécurisé ?
11:58 Et mon deuxième sujet, ça va être de prendre contact
12:00 avec les autorités soudanaises.
12:01 Il y a les marins avec le GIGN,
12:04 qui avait, on va dire, le lead sur la partie convoi,
12:08 premier convoi motorisé.
12:09 Donc, eux, ils se mettent en ordre de bataille.
12:12 Ils préparent leur itinéraire.
12:13 On avait trois points de regroupement
12:15 qui ont été connus que dans les dernières heures, évidemment.
12:18 Donc, la résidence où j'étais, de l'autre côté du Nil,
12:21 là, j'avais déjà quelques Français qui étaient là.
12:24 L'ambassade, qui a accueilli le plus gros du contingent,
12:27 dès le début, y compris les agents avec leur famille, leurs enfants.
12:31 Et petit à petit, il y a eu des gens qui sont venus,
12:33 petit à petit, tout au long de la semaine.
12:36 Il y a eu un troisième point de regroupement également,
12:38 qui avait été identifié grâce à une Française
12:42 qui avait une très grande villa.
12:44 Pendant encore quelques heures,
12:45 on me demande de garder la capacité de redécoller
12:48 avec le C-130 du Poitou.
12:51 Si jamais les convois ne passent pas, je vais sauter sur Cartoum.
12:54 Donc, ça dure encore pendant deux heures.
12:56 Et ensuite, on arrive à savoir que la situation
12:59 pourrait nous permettre, à l'aube ou en fin de nuit,
13:02 d'envoyer le premier convoi des marins et du GIGN.
13:06 Donc, je range mes parachutes.
13:07 Le Poitou redécolle et on reste entre commandos sur la plateforme.
13:12 Et nous, en fait, toute cette phase d'attente,
13:15 on va préparer notre dispositif d'accueil.
13:17 Moi, je vais continuer à gérer la partie soudanaise,
13:22 également à planifier l'ensemble des vols,
13:25 puisque dès le lendemain, on a aussi des avions
13:28 d'autres nations qui vont arriver.
13:30 Et l'idée, c'est que dès le moment où les ressortissants
13:34 arrivent sur l'aéroport, on puisse faire un tri,
13:38 un "comptage" des ressortissants très rapides
13:42 et qu'il y ait un avion qui soit juste là,
13:45 qui puisse embarquer directement et partir sur Djibouti.
13:48 On commence à monter notre module de chirurgie vitale
13:51 sur le tarmac de l'aéroport,
13:53 parce que ce qu'il faut, c'est que nous, on soit,
13:55 certes, pas trop loin des combats,
13:57 mais aussi proche d'une structure d'évacuation,
14:00 notamment là, les avions,
14:02 parce qu'on ne peut pas garder un malade et un blessé éternellement.
14:06 Il faisait extrêmement chaud, plus de 40 degrés dehors,
14:09 donc sous la tente, on pouvait rajouter 10 ou 15 degrés de plus.
14:12 Ce qui m'a beaucoup frappée quand j'ai été exfiltrée,
14:20 c'était que sur 30 km à peu près,
14:23 donc normalement, c'est un trajet qui se fait en voiture
14:26 pendant 25, 30, 40 minutes, pas plus, jusqu'à la base,
14:30 là, on a mis presque deux heures, à cause des checkpoints.
14:35 Et donc, vous avez des gens armés, bien sûr,
14:38 des combattants armés, des soldats, enfin, lourdement armés,
14:42 et vous vous sentez bien qu'il y a une frénésie,
14:46 une sorte de nervosité.
14:58 Une fois que l'ambassadrice de France
15:01 est récupérée et ramenée sur la plateforme,
15:05 je prends la tête d'un convoi motorisé,
15:10 et ma mission, c'est de rallier l'ambassade française.
15:14 Donc là, c'est le deuxième convoi qui partira de la plateforme.
15:19 On n'arrive pas à avoir d'escorte, on lance quand même le convoi.
15:22 On est 32, on est 8 véhicules,
15:25 et malgré tout, on est la cible à chaque checkpoint,
15:28 des volontés, des sautes d'humeur de jeunes, de moins jeunes,
15:34 qui sont dans un état de nerfs vraiment très avancé.
15:37 Et on voit vraiment, on se fait braquer à tous les checkpoints.
15:40 Je rends compte à ma hiérarchie que je franchis le Nil
15:42 et que la prochaine étape, pour moi, c'est l'ambassade française.
15:46 En parallèle, j'ai des copains de la marine
15:47 qui ont choisi un autre itinéraire,
15:50 et qui sont en train d'arriver ou qui sont déjà arrivés à l'ambassade.
15:53 Et eux commencent l'extraction d'une partie des ressortissants,
15:58 et les premiers convois entre l'ambassade française
16:01 et la plateforme qui est au nord.
16:03 Et eux reçoivent aussi des tirs sur leur trajet retour,
16:07 donc ils ne peuvent pas m'aider.
16:08 Ils sont en train de gérer des bus,
16:10 des volumes impressionnants de Français,
16:12 et en fait, je suis tout seul.
16:14 Donc là, on s'engage sur le pont.
16:18 Donc arrivé à la moitié, là, on s'est fait prendre la partie.
16:23 Il y a des gerbes de balles qui ricochent sur le bitume.
16:30 Assez rapidement, mon véhicule prend un tir sur le capot.
16:34 Et quand on redescend de ce pont,
16:38 on contourne l'aérodrome, l'aéroport international de Khartoum.
16:41 Là, on est à 3 ou 4 kilomètres de l'ambassade.
16:45 Donc là, je fais accélérer franchement le convoi.
16:47 On roule à 70, 80 km/h.
16:49 On essaie de sortir pour appliquer des feux,
16:51 mais franchement, ça va vite.
16:53 Et là, j'entends...
16:56 5, 10 secondes après, j'entends un blessé, un blessé.
16:59 J'envoie trois véhicules directement sur le blessé.
17:04 Et moi, je me tiens à 50 mètres
17:07 pour essayer d'avoir une appréciation correcte
17:09 de ce qui est en train de se jouer.
17:12 Là, il y a des mecs qui veulent nous tuer vraiment.
17:15 Donc on a cette info-là qu'il y a un militaire blessé.
17:19 On sait que c'est par balles et potentiellement
17:21 au niveau du thorax et de l'abdomen.
17:23 Donc on sait que c'est d'emblée une blessure grave
17:25 et qu'on s'attend déjà, nous,
17:27 à devoir le prendre en charge au bloc opératoire.
17:29 Donc à partir de ce moment-là, on met tout en place
17:32 pour pouvoir l'accueillir le plus rapidement possible.
17:35 On sait ce qu'on a à faire. Ça s'organise très, très rapidement.
17:37 Mon adjoint a déjà récupéré le médecin et l'infirmier.
17:41 Ils sont déjà en train de travailler sur le blessé à la stabilisation.
17:45 Là, quand on a un peu de temps,
17:46 tous les gens qui sont qualifiés dans le domaine médical,
17:49 ils vont se rendre disponibles auprès du binôme santé.
17:53 Les autres essaient de prendre des initiatives,
17:55 c'est-à-dire de regarder avec quel véhicule on va pouvoir repartir,
17:58 quel véhicule est encore en état de repartir.
18:00 Quand on l'a récupéré, il était stabilisé par l'équipe sur place.
18:04 Et après ce premier check, on voyait qu'il n'y avait potentiellement
18:07 pas d'atteinte au niveau thoracique, mais au niveau abdominal,
18:11 qu'il y avait un risque d'atteinte abdominale qu'on ne voyait pas bien,
18:13 que l'échographie n'était pas très concluante.
18:16 Donc là, on a décidé de lui faire une chirurgie abdominale
18:20 pour aller arrêter le saignement.
18:23 À dix minutes du posé, je me souviens qu'on a reçu un appel à ce moment-là
18:28 qui a un petit peu compliqué la mission,
18:31 puisqu'il s'agissait cette fois-ci non pas seulement d'évacuer des ressortissants,
18:36 mais on nous a parlé d'un blessé au combat en stade A.
18:41 Comme c'est un militaire, nous, on doit tout faire
18:43 pour qu'il puisse garder ses aptitudes ultérieures.
18:47 Donc voilà, il ne faut pas trop qu'on en fasse,
18:49 mais il faut qu'on arrive à faire de quoi traiter ces lésions,
18:53 notamment hémorragiques, sachant qu'en aval,
18:55 il sera évacué rapidement vers des structures chirurgicales,
18:58 que ce soit Djibouti et plus tard vers la métropole.
19:01 Je ne dirais pas que ça rajoute un stress,
19:03 mais à ce moment-là, pour être tout à fait honnête,
19:06 il y a un regain de motivation et de concentration pour aller au bout.
19:11 Il va falloir sortir des ressortissants,
19:13 qui sont pour beaucoup complètement désespérés,
19:19 et potentiellement sauver la vie d'un frère d'armes.
19:21 Finalement, on n'a pas eu à attendre beaucoup de temps après la chirurgie,
19:24 puisque l'avion s'est posé une quinzaine, vingtaine de minutes
19:27 après qu'on ait fini l'opération.
19:29 C'est sûr que si le module n'avait pas été mis sur place,
19:32 l'intervention aurait été trop tardive.
19:35 On sait que c'était le bon choix,
19:37 et puis pour le coup, ça a révélé extrêmement utile,
19:41 puisque c'est ce qui a permis de sauver la vie
19:43 de notre camarade qui avait été blessé.
19:44 Sur le tarmac, une fois qu'on a contrôlé nos armes,
19:47 qu'on a soufflé un coup, qu'on a mangé, qu'on a débriefé,
19:51 en fait, il y a une mission qui nous attend, c'est les ressortissants.
19:55 On est venus pour ça, en fait.
19:57 Donc on se remobilise, on va voir les opérateurs,
20:00 on leur demande comment ça va,
20:02 et là, on comprend que rapidement, il y a un convoi,
20:05 on va dire un peu plus lourd,
20:07 qui va recevoir la mission de rejoindre l'ambassade,
20:11 et là, ce coup-ci, on va réussir.
20:13 On est arrivés dans la nuit du samedi au dimanche,
20:16 et on va repartir dans la nuit du lundi au mardi,
20:20 avec l'ensemble du détachement,
20:22 et je vais malgré tout laisser sur place mon chef opération
20:25 avec une toute petite équipe, avec une mission particulière,
20:30 ça va être justement de faciliter
20:33 la coordination de l'opération générale d'évacuation
20:37 qu'on va confier au partenaire allemand,
20:40 d'établir une transition entre les Soudanais et les Allemands,
20:44 avec mon chef opération,
20:47 également de nous assurer qu'il n'y ait pas de ressortissants français
20:50 qui arrivent de manière un petit peu isolée,
20:52 ou qui n'étaient pas forcément dans le scope
20:55 des autorités consulaires.
20:58 On arrive dans ces 48 heures, 10 combattants restent à peu près,
21:02 et on évacue à peu près 600 ressortissants,
21:05 nos 200 Français tels qu'ils étaient prévus,
21:08 et puis en fait, tous nos alliés européens,
21:11 et il n'y a plus que quatre nationalités qui sont représentées,
21:14 un certain nombre d'autres nations qui se présentent,
21:17 et que l'EME fait embarquer dans les avions en direction de Djibouti.
21:20 Je connaissais Djibouti, mais je n'avais jamais été là.
21:23 C'est très impressionnant, naturellement.
21:25 Une profonde reconnaissance également aux autorités djiboutiennes
21:28 de nous permettre d'avoir une base logistique aussi importante.
21:32 J'ai été accueillie par ma collègue,
21:33 ma collègue et amie Dana Poukareskou.
21:35 Elle m'a accueillie sur le tarmac avec le général Boïté,
21:39 qui m'a régulièrement tenue au courant,
21:41 et qui a été vraiment très, très proche
21:45 d'une très grande humanité.
21:47 On pourrait avoir cette image,
21:49 et c'est certainement ce qu'on imagine,
21:51 ce qu'on souhaite assez bizarrement avant la mission,
21:53 de se dire qu'on va faire quelque chose
21:55 pour lequel on va être potentiellement récompensé.
22:00 Humainement parlant, on va avoir des regards de gratitude.
22:02 Et en fait, c'est pas du tout ça, et c'est encore plus fort.
22:04 Et c'est simplement des regards de relâchement,
22:09 d'apaisement, quand les gens descendent de l'avion,
22:12 où on se rend compte que pour eux, le calvaire est terminé.
22:15 Les militaires étaient vraiment très calmes,
22:18 chacun était à sa tâche.
22:20 Moi, vraiment, je leur tire mon chapeau,
22:22 parce que c'est vraiment quelque chose.
22:24 On sent les très grands, très grands professionnels.
22:27 Et ils savent gérer des gens qui sont peut-être un petit peu fatigués,
22:31 psychologiquement, etc. Ils savent les gérer également.
22:35 Et il faut bien imaginer que certains arrivent sans bagage,
22:40 sans rien, ils ont juste eu le temps de prendre le strict nécessaire,
22:43 n'ont pas forcément de change.
22:45 Et à Djibouti, bien évidemment,
22:47 l'ensemble des militaires des FFDJ vont organiser leur accueil,
22:54 faciliter leur départ vers la France ou leur pays de repli.
22:58 Mais il n'y a pas que les militaires, il y a également toutes nos familles,
23:02 qui, elles aussi, sont bien évidemment sur place.
23:05 Et il va y avoir un élan très naturel,
23:08 de générosité, d'aide.
23:10 On va essayer au maximum de permettre à nos ressortissants
23:19 de sortir en sécurité.
23:21 Et si on peut en prendre d'autres, on va le faire.
23:24 On a une obligation de moyens, c'est une obligation qui est la nôtre,
23:28 c'est vraiment la grandeur de la France de faire ça,
23:31 si je puis le dire en mots un peu grandiloquents,
23:34 mais qui révèle vraiment la manière dont se font les choses.
23:37 C'est-à-dire que le ministère des Armées,
23:40 le ministère des Affaires étrangères, nos autorités,
23:42 si on peut le faire, on va le faire.
23:44 Donc là, il se trouve qu'il y avait effectivement
23:46 la frégate La Lorraine qui était mobilisable.
23:48 Le Soudan est un pays où, effectivement,
23:50 il y avait depuis un certain nombre d'années,
23:52 quasiment une vingtaine d'années, plus d'escales de bateaux français.
23:55 Donc dans un premier temps, on a cherché à récupérer des cartes à jour
23:59 pour naviguer en sécurité jusqu'au quai.
24:04 Ensuite, on a envoyé une reconnaissance nautique
24:08 pour vérifier deux aspects.
24:10 Un aspect sécuritaire, évaluer la situation sécuritaire
24:14 du port et de ses approches,
24:17 voir si on pouvait s'accoster
24:20 sans subir une attaque.
24:24 Et deuxième aspect, également, vérifier la qualité du quai
24:30 et vérifier les sondes, c'est-à-dire vérifier
24:32 qu'il y a assez de profondeur pour que le bateau puisse accoster dans cette zone.
24:35 Nous avions proposé 400 places pour évacuer les personnes
24:41 sur un convoi de 1 200.
24:43 Et donc le choix qui a été fait par les officiers de sécurité des Nations Unies
24:46 était de nous envoyer évidemment les personnes les plus vulnérables,
24:49 les plus fragiles, les plus fatiguées.
24:50 Embarquer une centaine d'enfants, c'est quelque chose d'assez inédit.
24:53 Quand on s'entraîne, en général, on a toujours un ou deux enfants,
24:56 une ou deux personnes âgées.
24:57 Et là, c'était le cœur,
24:58 quasiment un quart des personnes embarquées étaient des enfants.
25:01 Puis le volume de personnes est également assez inédit.
25:03 On n'avait pas d'expérience sur frégates multimissions.
25:06 C'est la première fois que l'on procédait à une évacuation
25:08 avec ce type de bateau.
25:09 Une fois qu'on nous avait appareillés de Port-Soudan,
25:14 nous avons fait route vers l'Arabie saoudite.
25:18 Donc on traverse la mer Rouge.
25:19 C'est une navigation qui dure 8-10 heures à vitesse maximum.
25:24 Nous allons appareiller dans la nuit vers 11h30
25:27 pour arriver le lendemain matin à Jeddah, en Arabie saoudite.
25:30 On va récupérer un autre convoi de terrestres de l'ONU
25:38 qui essaie de sortir, pour le coup, par l'ouest du pays,
25:41 qui est bloqué dans la ville d'Al-Fachar.
25:42 On était donc, cette fois-ci, deux à 400 m,
25:47 un C-130 du Poitou,
25:49 avec une manœuvre d'infiltration
25:53 qui a été assez similaire à celle de Khartoum,
25:57 avec un C-130 du Poitou qui pose en premier,
26:01 qui nous donne le feu vert pour intervenir.
26:06 Une heure pour que le CPA10 prenne en compte
26:08 tous les personnels de l'ONU,
26:10 qui, cette fois-ci, devaient rejoindre l'aéroport en autonomie.
26:13 C'était un peu le contrat.
26:15 Une fois que tous les personnels étaient bien triés
26:17 et pris en compte par le CPA10,
26:19 un A-400M posait pour les récupérer.
26:21 On parlait à ce moment-là d'une centaine de passagers.
26:24 C'est une grande satisfaction,
26:34 quand on est fonctionnaire et qu'on travaille pour l'État,
26:36 de voir ce que les agents et les services peuvent faire
26:39 quand ils sont vraiment en symbiose
26:42 et tous motivés par le même objectif.
26:45 On a vu toute l'efficacité du travail qu'on fait au quotidien
26:48 avec les ambassades, avec nos homologues,
26:51 avec nos partenaires à l'étranger, pour se coordonner.
26:54 Le vrai point fort de cette manœuvre,
26:56 je pense que ça a été la situation de nos forces prépositionnées.
27:00 Le fait d'avoir sur place un état-major opératif
27:02 qui connaît la zone,
27:04 qui a fait des connexions et des liens avec des acteurs sur place,
27:08 et qui a une véritable capacité de commandement,
27:10 ça nous a fait gagner plusieurs jours.
27:12 Je retiens ces maisons.
27:14 Ces maisons qui n'ont pas forcément besoin d'être commandées,
27:17 qui auraient pu se passer de moi ce jour-là,
27:19 mais qui ont fait un travail incroyable.
27:21 Ce que je retiens, c'est ces sourires allés en port.
27:25 Et malgré tout, une fois qu'on a ouvert les portes du bus
27:27 ou qu'on a ouvert les portes de notre voiture,
27:29 on leur souhaite bon vent et on ne les revoit jamais.
27:32 Sous-titrage ST' 501
27:34 ...

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