Alain Bauer, professeur de criminologie au Cnam, publie "Tu ne tueras point", aux éditions Fayard.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 13 février 2024 avec Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 13 février 2024 avec Yves Calvi.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 7h, 9h
00:06 RTL matin. RTL 8h24. Bonjour Alain Bauer. Bonjour. Merci d'être avec nous ce matin sur RTL. Vous êtes professeur de criminologie
00:12 au Centre national des arts et métiers. Vous publiez "Tu ne tueras point" aux éditions Fayer, un livre qui fait suite à votre essai
00:18 "Au commencement était l'ère guerre", je le rappelle. Je vous cite "Les faits divers
00:22 exceptionnels qui hier ponctuaient une relative tranquillité publique sont devenus l'ordinaire".
00:27 Nous vivons une résurgence de la violence Alain Bauer. Oui, la violence physique, la violence
00:31 homicidaire car le seul indicateur à peu près stable qu'on ait depuis cinq siècles, depuis la création de l'état civil par François 1er, à qui
00:37 il faut rendre hommage aujourd'hui en particulier,
00:39 c'est qu'on sait qui naît, qui meurt et de plus en plus de quoi on meurt.
00:43 Et en fait nous avions domestiqué l'homicide en cinq siècles, on est passé de 150 homicides pour 100 000 habitants à 1,2,
00:50 mais depuis 20 ans il y a une inversion de tendance en accélération,
00:54 en intensité, y compris durant la période du confinement. Donc oui, il y a un retour de la violence physique dans ce qu'elle a d'ultime,
01:01 l'homicide. - De quelle violence parlons-nous exactement ?
01:05 Les homicides ? - Les homicides et les tentatives qui ne sont que des homicides ratés de la même manière que les homicides
01:11 sont des tentatives réussies.
01:14 Et on a deux indicateurs. L'indicateur de l'homicide qui était monté jusqu'à 1400, qui avait baissé à
01:20 quasiment 700 et qui est remonté à plus de 1000 l'année dernière, donc une inversion de tendance
01:24 considérable. Et deuxièmement, les tentatives d'homicide sont passées de 1 ou 2 000 à 4 000 l'an dernier et nous atteignons le plus haut degré
01:32 d'homicidité, homicides et tentatives connus, depuis 50 ans. Si on rajoute à ça les coups et blessures volontaires
01:38 et les agressions à caractère sexuel,
01:41 le niveau de violence physique en France atteint des degrés que nous n'avions pas connus depuis des dizaines d'années.
01:48 Et il ne s'agit là que de la statistique de ce qu'on connaît.
01:51 Si vous prenez les enquêtes de victimation qui rajoutent à cela ce qui n'est pas déclaré, notamment les violences intrafamiliales
01:56 où l'auteur et la victime vivent ensemble, où les victimes sont essentiellement des femmes, des enfants et des étrangers,
02:01 vous avez un niveau de violence dans ce pays qui a repris une dynamique et un rythme
02:06 qu'on n'avait pas vu parce que nous avions réussi à inverser cette tendance sur quatre siècles. Et là, depuis 20 ans, c'est l'inverse.
02:14 - Comment l'expliquez-vous ? Est-ce qu'on a des éléments d'appréciation de cette
02:18 augmentation de la violence dans la société française et notamment au sein de la famille ? Vous venez de nous le rappeler.
02:22 - Alors quand on n'est pas en guerre, ce qui est un élément qui perturbe tout, quand on n'est pas victime d'un attentat,
02:26 ce qui a eu deux effets d'accident statistique, c'est comme ça qu'on appelle une courbe qui a un peu déraillé en 2015 et 2016,
02:33 en général c'est parce que l'État, en France, a inventé la nation. Il est le garant et son offre, sa promesse, c'est la
02:40 protection. Quand l'État se retire, quand il sous-traite, quand il dit "ce n'est pas mon problème",
02:45 quand il ne se comporte plus en État protecteur mais en comptable,
02:49 la nature ayant horreur du vide, la violence devient l'élément régulateur de la société. En fait, la violence n'est pas le chaos, c'est un
02:55 ordre parallèle à l'ordre qui fonctionne avec la loi. C'est un peu le Far West sans le shérif ou
03:00 la route sans le code. - A chaque fois que l'État recule, la violence progresse, en France ? - Oui, en France. - Ça n'est pas vrai partout ?
03:07 - Non, parce que d'abord les autres États sont des États fédéraux, décentralisés et donc les politiques sont plus locales
03:13 ou fédérales qu'elles ne sont centralisées et nationales. L'État, en France, est un État très particulier.
03:19 Il a construit la nation. Partout ailleurs, les nations ont construit des États. Et deuxièmement, parce qu'il a une promesse monopolistique.
03:25 Il a le monopole de la violence légitime, il a le monopole de l'ordre, il a le monopole de la sécurité. Or, tout ce qui a
03:31 dérapé au cours des dernières années, instruction publique,
03:34 santé publique,
03:37 agriculture publique, si j'ose m'exprimer ainsi, c'est-à-dire la gestion du modèle agricole français,
03:41 situation désespérée de désagrégation du service public de proximité, comme du service public national,
03:48 armée réduite à une force exchantionnaire, expéditionnaire, qui est un peu tout et beaucoup de rien. Tous ces éléments-là cumulés
03:55 amènent une désespérance par rapport à la promesse de l'État. Et donc, pour compenser cette désespérance,
04:01 les gens décident de faire la loi eux-mêmes, décident de régler leur compte eux-mêmes, et ils utilisent la violence comme un exutoire
04:07 naturel, puisqu'on ne va pas en plus porter plainte pour qu'elle ne soit pas traitée avant quelques années et éventuellement
04:13 aboutisse à un classement sans suite.
04:14 - Peut-on parler d'ensauvagement ? C'est un terme qui a été employé récemment par notre ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.
04:19 Est-ce que vous le reprenez à votre compte ? Ensauvagement, ça a un sens ?
04:22 - Non, enfin, je n'utilise pas ce... enfin, je ne fais pas de politique, donc,
04:25 la matière, ce n'est pas mon sujet, ça c'est de l'emballage.
04:29 Je pense qu'il y a... - J'ai ma réponse, c'est de l'emballage. - Non, je pense qu'il y a une
04:33 situation où nous avons civilisé le crime et qu'il est en train de
04:36 regagner du terrain, et que de ce point de vue-là, il y a un problème de
04:39 violence. Mais le bon ou le mauvais sauvage est un sujet que je n'ai pas traité en philo depuis Rousseau et Voltaire, donc
04:44 j'ai passé l'âge, entre guillemets, mais je veux bien faire un cours de remise à niveau.
04:49 - Cette violence que nous décrivons et que vous écrivez, comment peut-on l'endiguer ?
04:53 - Si l'État s'est retiré et que la violence a pris sa place, si l'État revient, la violence reculera. C'est un phénomène assez mécanique.
05:01 Et de ce point de vue-là, l'offre, qui est à la fois l'offre sociale, l'offre éducative, bref, on se lamente beaucoup.
05:07 La France est le pays des
05:10 lamentations, des récriminations, etc. Mais l'offre publique, qui est de sortir du fait que ça coûte, alors que c'est un
05:16 investissement, c'est un investissement pour notre vie, c'est un investissement pour notre avenir, pour les élèves, les étudiants comme les autres,
05:22 tout a été jaugé au rythme de la
05:24 comptabilité. La comptabilité, ça marche en deux fonctions, comptabilité de fonctionnement, comptabilité d'investissement. Je suis pour passer en investissement,
05:31 tout ce qui garantit la vie de bonne qualité et en sécurité des citoyens.
05:35 Ça devrait nous changer la vie, y compris au ministre des Comptes publics.
05:38 - À quelques mois des Jeux olympiques, la sécurité autour de l'événement demeure une vraie question.
05:42 Est-ce que vous avez des inquiétudes, et en particulier pour l'inauguration ?
05:45 - J'ai une inquiétude que j'ai exprimée en des termes qui m'ont été pas souvent reprochés d'ailleurs, parce qu'en général j'ai reçu beaucoup de courriels,
05:51 y compris de hauts responsables de la sécurité publique,
05:54 pour me dire qu'ils étaient très contents que quelqu'un ait enfin dit publiquement ce qu'ils pensaient très très très très très fort,
05:59 y compris le préfet Lallement à l'époque. C'est-à-dire que la cérémonie d'ouverture était
06:02 extrêmement dangereuse et qu'on pouvait difficilement mettre des milliers d'athlètes au milieu de la scène,
06:07 sur 12 km pendant 6 heures ou 5 heures.
06:11 Voilà, c'est-à-dire quand vous voulez monter l'Everest, vous ne l'avez jamais fait, vous ne rajoutez pas 20 kg à chaque bras et à chaque jambe,
06:16 juste pour montrer que c'est possible.
06:17 Mais il y a un effort qui est fait, un plan B, un plan C, un plan Z qui sont prévus. On peut faire un très beau
06:22 spectacle d'ouverture sur la scène sans y avoir des athlètes vulnérables et des populations qui pourraient,
06:28 qui courent un risque divers, notamment d'être proche d'un fleuve sur lequel il y aura beaucoup de
06:33 bateaux et on peut avoir un mouvement de bateaux, un mouvement de foules et peut-être
06:37 une mauvaise volonté d'un pays qui ne nous vaut pas que du bien.
06:40 - Donc vous nous dites qu'on a des solutions de repli mais qu'en revanche nous sommes bien
06:43 potentiellement en danger.
06:46 - Oui bien sûr, les Jeux Olympiques ça attire les choses en matière de cyberattaques etc.
06:50 Hier Viginome a publié un excellent rapport sur le risque qui existait de manipulation de l'information, de hacking etc.
06:56 par des pays qui sont actuellement en conflit en Ukraine par exemple.
07:00 Ce n'est pas l'Ukraine qui va nous attaquer mais en la matière, l'effort qui est fait n'empêche pas le risque majeur qui peut être
07:07 Munich ou Atlanta et un micro événement quand il y a des Jeux Olympiques prend un effet
07:12 absolument invraisemblable en termes de médiatisation
07:16 et de risque sur l'opinion. Si en plus vous rajoutez des dispositifs extraordinairement compliqués et
07:21 extraordinairement difficiles à sécuriser malgré tous les efforts, le préfet de police en fait beaucoup ou le ministre d'intérieur d'ailleurs pour le
07:27 citer cette fois-ci en en termes plus positifs, il faut bien reconnaître que cette idée étrange
07:32 de maximiser les risques et de dépuiser les forces de sécurité apparaît comme très curieuse alors qu'on a
07:40 comme l'a dit très bien le président de la république
07:42 récemment, très récemment, des plans alternatifs. Le moment est venu de passer à l'alternative.
07:48 - Au revoir. - Au revoir.
07:49 [SILENCE]