Mathieu Bock-Côté propose un décryptage de l’actualité des deux côtés de l’Atlantique dans #FaceABockCote
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00:00 Quasiment 19h sur CNews, merci d'être avec nous pour Face à Mathieu Bocote.
00:04 Mathieu Bocote, bonsoir.
00:05 Bonsoir.
00:06 Bonsoir Arthur de Vatrigol.
00:08 L'émission commence dans un instant, avant cela le point sur l'information avec vous
00:11 Michael De Santos.
00:12 Cher Michael, bonsoir.
00:13 Bonsoir Elliot, bonsoir à tous.
00:15 Les Français inquiets par la hausse du déficit public.
00:17 Malgré les promesses du gouvernement, ils sont de plus en plus nombreux à craindre
00:20 une augmentation des impôts pour combler la dette.
00:23 D'après un sondage Odoxa Backbone, le Figaro, 85% d'entre eux y sont opposés.
00:28 Ils préfèrent la baisse du nombre de fonctionnaires ou encore la réduction des aides sociales.
00:32 Environ 5 600 000 ménages modestes vont recevoir des mardis leurs chèques énergie.
00:37 Les montants varient de 48 à 277 euros.
00:40 Selon le ministère de l'économie, aucune démarche préalable est nécessaire depuis
00:44 2018.
00:45 Et ils permettent, ces chèques, de payer les factures d'électricité, de gaz ou encore
00:49 de chauffage.
00:50 Enfin en Russie, 5000 enfants évacués de la région de Belgorod, près de la frontière
00:54 ukrainienne.
00:55 Les autres, ceux restés sur place, vont devoir suivre des cours à distance.
00:59 Cette décision fait suite au bombardement et aux frappes de drones menées par Kiev
01:02 ces dernières semaines.
01:03 Merci cher Michael pour le point sur l'information.
01:07 A travers la condamnation, on appelle d'Eric Zemmour, cette semaine pour un juge raciste.
01:12 Vous souhaitez, cher Mathieu, revenir sur la limite du débat public, sur les digues
01:16 à ne pas franchir.
01:18 Et cet espace qui serait peut-être de plus en plus restreint pour certains.
01:22 Une condamnation doit-elle être accompagnée d'une mort sociale, politique, médiatique ?
01:27 On en parle dans un instant.
01:29 A la une également, les catholiques se retrouvent en ce week-end pascal, période la plus importante
01:35 de l'année.
01:36 En 2024, 12 000 adolescents et adultes seront baptisés.
01:40 En 2024, un rebond dont se réjouit l'épiscopat.
01:44 Ce soir, vous vous demandez, cher Mathieu, la France historiquement judéo-chrétienne,
01:50 l'est-elle encore ?
01:51 Aujourd'hui, enfin, vous recevez ce samedi soir le philosophe Pascal Bruckner.
01:56 Il vient de publier "Je souffre donc je suis" aux éditions Grasset.
02:01 Voilà le programme de face à Mathieu Bocoté.
02:03 Mathieu Bocoté, c'est parti.
02:05 Mathieu Bocoté cette semaine, Éric Zemmour s'est vu condamné en appel pour ses propos
02:23 à l'endroit de Absa Toussi.
02:25 Elle avait dit de son prénom qu'il s'agissait d'une insulte à la France.
02:30 Il avait dit cela.
02:31 Ce n'est pas la première fois qu'Éric Zemmour est d'ailleurs condamné.
02:34 Le président de Reconquête se dit victime de harcèlement judiciaire.
02:38 C'est à cette question que vous souhaitez consacrer votre premier édito Mathieu Bocoté.
02:43 Oui, je pense qu'il ne faut pas se laisser berner dans ce débat sur la nature du propos.
02:49 Son prénom serait une insulte à la France qui est un propos évidemment plus que regrettable,
02:53 un propos plus que discourtois, un propos qu'Éric Zemmour n'aurait pas dû tenir.
02:57 Tenons cela comme à l'ordre de soi.
03:01 Donc ce sont des propos que nul ne reprend.
03:03 Mais le véritable enjeu ici, ce n'est pas ce propos en tant que tel.
03:07 Je pense que tout le monde aurait avantage d'être plus courtois en politique que l'existence
03:12 d'un dispositif politico-juridique, techno-juridique qui permet aujourd'hui ce qu'on pourrait
03:19 appeler la judiciarisation exagérée, la pénalisation exagérée de la parole publique
03:25 dans nos sociétés.
03:27 La France est frappée par cela, mais elle n'est pas la seule.
03:29 En Europe, c'est très présent.
03:30 En Amérique du Nord, un peu moins.
03:32 Donc ce que j'appelle disposition à la pénalisation qui s'accompagne d'une logique de censure,
03:38 c'est qu'est-ce qu'on voit à travers cela?
03:39 C'est que tous les propos qui peuvent choquer, qui peuvent heurter, et il y en a, je l'entends,
03:42 Dieu sait qu'il ne manque pas de propos qui peuvent choquer.
03:44 Mais qu'est-ce qu'on voit dans nos sociétés?
03:46 De plus en plus, certaines catégories que l'on dira protégées de la population,
03:52 ne sont pas venues à sanctuariser, à institutionnaliser leur vision de la société, leur lecture
03:58 de leur propre identité, et à faire en sorte que tous propos qui viennent les heurter,
04:02 ne passent pas non plus sur le signe de la critique publique, le débat public est toujours
04:06 permis, mais sera judiciarisé.
04:08 Il y a trois grandes catégories à partir desquelles on judiciarise les propos, aujourd'hui,
04:13 les propos litigieux.
04:14 Il y a la question de la haine, la question du racisme, la question de l'appel à la
04:19 discrimination.
04:20 On pourrait faire une sociologie plus fine, rajouter des catégories, mais globalement,
04:22 ce sont les trois grandes catégories à partir desquelles on poursuit les gens devant les
04:27 tribunaux pour des propos que l'on juge condamnables.
04:31 Le problème de ces trois termes, haine, racisme et appel à la discrimination, c'est que ce
04:36 sont des termes relativement imprécis, dont la définition n'a cessé de s'étendre
04:41 ces dernières années, et qui, à ce jour-là, sont pris en charge de l'extension, toujours
04:46 du domaine de ces trois termes, s'associer au dispositif où n'importe quelle association
04:51 peut décider de traîner devant les tribunaux quelqu'un en se portant parti civil en disant
04:55 « moi, je me sens insulté pour cette personne ou pour cette communauté ou pour ce groupe,
05:00 et dès lors, je décide d'aller devant les tribunaux ».
05:02 Donc, voyons ce que veulent dire ces trois termes aujourd'hui.
05:05 La haine.
05:06 La haine, évidemment, c'est mal, tout le monde est en désaccord avec la haine, mais
05:09 qu'est-ce qu'on entend par haine aujourd'hui?
05:11 Et je donne souvent l'exemple suivant.
05:12 Si je dis « Eliott Deval, je vous déteste, je veux vous arracher la tête et vous battre
05:17 avec votre tête ensuite tellement je vous déteste », est-ce que c'est un propos
05:20 haineux?
05:21 Globalement, non.
05:22 Ce n'est pas un propos haineux, parce que la haine, comme le dit par exemple Caroline
05:26 Emcke, qui est une philosophe allemande, une intellectuelle allemande qui a touché à
05:30 ces questions, elle dit « la haine, globalement, c'est s'opposer aux revendications légitimes
05:39 d'égalité et d'accès à la reconnaissance publique des différentes minorités ».
05:43 Par exemple, si vous affirmez « un homme ne peut pas être enceinte et ne pourra jamais
05:49 être enceinte », ou encore « une femme ne pourra jamais devenir un homme et un homme
05:53 ne pourra jamais devenir une femme, et même s'il le ressentit de genre, dit le contraire,
05:57 c'est faux ».
05:58 Imaginons que quelqu'un me dise un propos comme ça, je ne le prends pas à mon compte,
06:01 mais je dis « quelqu'un dirait ça », eh bien ça, ça peut être considéré comme
06:04 un propos haineux.
06:05 Si par exemple, vous affirmez « certaines civilisations sont condamnées à ne pas pouvoir
06:10 cohabiter sur le même territoire », il y a un choc, et si vous utilisez un langage
06:14 qui évoque par exemple les croisades ou la colonisation, mais dans le sens inverse, pour
06:18 parler du choc des civilisations, ça peut être assimilé à un propos haineux.
06:22 Donc là, on a un problème avec ce concept de haine aujourd'hui, c'est qu'il sert
06:27 en fait à interdire toute réflexion critique, au-delà des cas particuliers, sur la crise
06:32 de la société diversitaire.
06:33 De même le racisme.
06:34 Le racisme est-il condamné dans nos sociétés?
06:37 Pas autant qu'on le croit.
06:38 Le racisme anti-blanc est tout à fait permis, valorisé, il est mis de l'avant, et on considère
06:42 que c'est bien lorsqu'on dit par exemple que certains postes, tout ce qui touche à
06:45 la logique de la discrimination positive, ou encore la critique de la blanchité dans
06:49 l'université, la blanchité serait nécessairement négative, eh bien ça c'est tout à fait
06:53 permis.
06:54 Donc notre société n'a rien contre le racisme en général, elle en a contre le racisme
06:57 en endroit de certaines communautés, les minorités, très bien, effectivement, ce
07:00 racisme est condamnable, mais elle n'a rien contre le racisme contre la majorité, parce
07:04 qu'on décrète même qu'il n'existe pas et qu'il est politiquement impossible.
07:07 Donc le concept de racisme, dans les faits, il sert surtout à interdire toute critique
07:12 de l'immigration massive.
07:13 Et quant à l'appel à la discrimination, qui est l'autre grande catégorie par laquelle
07:17 on cherche à enserrer ou à codifier, à faire restreindre la liberté d'expression, eh bien
07:22 toute remarque sur des observations statistiques, par exemple, telle communauté est davantage
07:26 présente dans tel champ d'activité, négatif ou positif, que tel autre, et que ça a des
07:31 effets sur la lecture de la société, eh bien là, c'est un appel à la discrimination.
07:35 Vous mentionnez le rôle plus grand de telle communauté dans tel champ d'activité, dont
07:38 on se déshonora peut-être, alors vous êtes dans l'appel à la discrimination.
07:42 Donc le constat du réel, il ne s'agit plus de savoir si c'est vrai ou si c'est faux,
07:45 ce qui devrait être le seul critère à mon avis, mais de savoir si c'est conforme ou
07:49 non à la lecture de la société diversitaire.
07:51 Donc qu'est-ce qui se trouve avec ces motifs-là?
07:53 Eh bien il y a l'extension du domaine de la condamnation juridique, l'extension du domaine
07:57 de la pénalisation des propos, donc on crée une forme de délit d'opinion en effet.
08:01 Un délit d'opinion, certains, et là on va nous dire quelquefois, le racisme, entre
08:05 guillemets, n'est pas une opinion, c'est un délit.
08:08 J'entends l'argument, mais si on prend au sérieux l'extension du domaine du racisme
08:12 aujourd'hui, on comprend que la critique de l'immigration massive, demain ou après-demain,
08:16 sera classée, ou peut-être même aujourd'hui, sera classée, si elle n'est pas formulée
08:19 dans les termes permis par le système, sera considérée comme un délit.
08:23 Donc quelle est la fonction de ces procès qui se multiplient, qui relèvent du harcèlement
08:30 judiciaire souvent?
08:31 Ça sert fondamentalement à marquer, ça sert à créer une censure sur le débat public.
08:36 Vous savez que si vous avancez sur certains terrains, vous allez en payer le prix, et
08:40 le prix sera cher à payer.
08:41 Ensuite, la fonction de ces procès, qui viennent avec une condamnation, c'est que ça permet
08:46 de réduire l'identité civique ou sociale d'une personne à cette condamnation.
08:50 Donc ça permet de marquer au fer rouge de l'infréquentabilité le condamné pour des
08:55 propos dont on perd souvent la trace.
08:57 Il ne faut pas se tromper, quelquefois on dit souvent condamné pour les différents
09:02 délits que j'ai évoqués, mais on prend rarement la peine de mentionner quels étaient
09:05 les propos exactement condamnés.
09:06 De même, ça permet de réduire ces individus à leur condamnation, et on les rappelle toujours,
09:12 comme s'il s'agit de délinquants sur la place publique, donc ils ne sont plus que
09:15 ces propos condamnés.
09:16 Ça permet aussi de les étiqueter à l'extrême droite, entre guillemets, avec l'idée encore
09:20 une fois de les transformer en paria.
09:22 Vous voyez, avec cette idée que cette marque indélébile devrait assurer leur mort sociale.
09:26 Mais certains veulent que ça aille plus loin aujourd'hui, que ça aille plus loin.
09:30 Les sénateurs communistes ont espéré, il y a quelque temps, faire en sorte que ceux
09:33 qui sont condamnés pour incitation à la haine ou ainsi de suite, je n'ai pas le détail
09:38 du terme à l'esprit, vous comprendrez l'idée, soient une peine d'inéligibilité.
09:42 Donc si vous êtes frappé par une telle condamnation, vous perdez vos droits civiques, vos droits
09:48 électoraux, vos droits politiques.
09:50 Jean-Michel Apathy vient tout juste de dire sur Twitter, il a dit « Zemmour est encore
09:55 invité ici et là, alors qu'il a de telles condamnations, pourquoi accepte-t-on de recevoir
09:59 sur des plateaux télé quelqu'un qui a de telles condamnations ? »
10:01 Donc on comprend que ce sont des condamnations idéologiques, ce sont des condamnations qui
10:05 relèvent du délit d'opinion.
10:06 Et quand je dis ça, je ne me porte pas à la défense de toutes les opinions condamnées,
10:09 qu'on se comprenne bien.
10:10 Il y a plusieurs des opinions qu'on peut entendre que je trouve tout à fait condamnables aussi.
10:13 Mais il y a une différence entre la condamnation dans le débat public et la condamnation juridique.
10:18 Et ensuite, quelles seront les conséquences de ces condamnations en répétition ?
10:21 Restriction de la liberté d'expression et d'association, manifestation interdite,
10:26 colloque interdit, j'ai eu l'occasion d'en parler ici quelques fois, si vous portez
10:28 la mauvaise étiquette, si vous avez été condamné une fois de trop, on peut décider
10:32 de restreindre votre liberté au colloque, aux associations.
10:34 Des complications pour l'embauche, des complications bancaires, des pertes de droits civiques et
10:38 sociaux.
10:39 Donc autour de ça, qu'est-ce qu'on voit ? C'est un dispositif qui pousse à la censure,
10:43 donc à l'autocensure, qui restreint le périmètre du débat public autorisé et qui à la fin
10:47 est antidémocratique.
10:48 En démocratie, on devrait débattre des différents points de vue et non pas poursuivre le débat
10:52 devant les tribunaux.
10:53 - Est-ce que, à l'extérieur de la loi, les lois de la démocratie, ces lois n'ont-elles
10:57 pas la vertu de civiliser le débat public en refoulant la part la plus mauvaise de l'âme
11:01 humaine à l'extérieur du périmètre de la loi ?
11:04 - J'entends cet argument parce qu'on me laisse souvent ferme en me disant « il y a certaines
11:08 choses qui ne devraient tout simplement pas se dire dans l'espace public ». J'entends,
11:11 mais le problème c'est que les choses qui ne doivent pas se dire se sont tellement multipliées
11:14 ces dernières années qu'on comprend que la liste des interdits est appelée à s'enrichir
11:19 sans cesse.
11:20 Tout ce qu'on ne peut pas dire, qu'on ne peut plus dire, c'est assez inquiétant.
11:24 Alors, Jean-Denis, j'ai parlé récemment sur ce plateau de la proposition de loi de
11:30 Mathieu Lefebvre, du gouvernement, un homme intelligent, un homme intellectuellement
11:33 construit, mais qui a porté avec d'autres cette idée d'une loi qui vise à pousser
11:38 plus loin la condamnation ou la pénalisation des propos dits « haineux » dans le domaine
11:43 non public.
11:44 Certains nous disent que ce n'est pas le domaine privé, moi je n'en crois absolument
11:46 rien.
11:47 Il y a le public et le privé.
11:48 Le non public comme domaine, c'est une catégorie jésuitique qui sert en effet à étendre
11:52 le domaine de la surveillance étatique.
11:54 Qu'est-ce qu'on voit avec ça?
11:55 Je vais donner l'exemple suivant.
11:57 On nous a dit comme argument pour plaider pour ce projet de loi, imaginez que quelqu'un
12:00 à la machine à café dise d'un autre « sale juif ». Est-ce qu'on ne pourrait pas le
12:03 condamner?
12:04 Est-ce qu'on ne doit pas donner les moyens à l'État de condamner quelqu'un qui dirait
12:06 ça?
12:07 Effectivement, l'exemple donné est scandaleux.
12:09 Quelqu'un qui dirait « sale juif », c'est atroce.
12:11 C'est un propos qui est absolument irrecevable.
12:13 Mais sachant la définition aujourd'hui du propos haineux, imaginons que quelqu'un
12:17 dise, vous connaissez la fameuse théorie du grand emplacement, certains s'en réclament,
12:21 d'autres non, ce n'est pas mon cas ici.
12:22 Mais imaginons que quelqu'un dise « il y a un grand emplacement en France aujourd'hui
12:26 ». Pour une partie de la gauche, c'est une théorie haineuse.
12:29 C'est une théorie qui relève du propos haineux.
12:32 Est-ce que dans ce cas, une personne qui dirait ça à la machine au café au travail pourrait
12:36 voir ses propos sanctionnés, pénalisés par les tribunaux?
12:39 Moi, c'est une chose dont je m'inquiète.
12:41 La surveillance du domaine privé, c'est une chose dont je m'inquiète.
12:44 Mais qu'est-ce qu'on voit?
12:45 Il y a eu une très faible résistance devant cette proposition de loi.
12:48 On n'en parle pas beaucoup.
12:49 J'en parle comme un obsédé monomaniaque, mais je constate que très, très peu en parlent.
12:54 J'essaie de comprendre ce qui fait que très peu se portent à la défense d'une liberté
12:59 d'expression sérieuse et conséquente.
13:01 Et on le comprend.
13:02 On l'a vu, notamment avec des députés qui auraient pu s'y opposer à l'Assemblée
13:05 nationale, quand on leur demandait pourquoi ils ne le faisaient pas, ils disaient « on
13:08 ne veut pas se faire soupçonner d'un antisémitisme ».
13:09 Mais à quel moment la défense de la liberté d'expression relève-t-elle de l'antisémitisme?
13:14 Et là, j'entends l'argument, on me dit « oui, mais c'est une loi dans le contexte
13:17 des suites du 7 octobre ».
13:19 Et moi, personnellement, je vous avouerais que je trouve un peu odieux le fait d'instrumentaliser
13:24 quelque chose d'aussi atroce que le 7 octobre, un crime qui relève du pogrom comme le 7
13:29 octobre, pour ensuite chercher à restreindre le domaine de la liberté d'expression des
13:33 Français.
13:34 Pour moi, il y a eu une instrumentalisation malvenue qui n'est pas nécessairement conforme
13:39 à mon sens du débat public.
13:40 Et de quelle manière tout cela transforme-t-il notre vie médiatique?
13:44 Parce que dans les médias, normalement, on est censé avoir le débat, c'est-à-dire
13:48 que ça devrait être le lieu du débat.
13:49 Mais si vous vous présentez dans l'espace public, en ayant toujours peur de vous faire
13:52 sanctionner, toujours peur d'avoir une poursuite contre vous, en ayant toujours peur de le
13:56 dérapage du moment, puisque la possibilité de déraper se multiplie, vous développez
14:01 une culture de l'autocensure.
14:02 Et je note que les médias ne sont pas neutres.
14:04 Et les médias publics, surtout, ne sont pas neutres.
14:07 Madame Adèle Van Riet, qui dirige France Inter, une femme de qualité, nul doute là-dessus,
14:12 a quand même dit tout récemment « France Inter, dans le Figaro, est une radio progressiste.
14:17 » Je m'excuse.
14:19 On ne peut pas être une radio progressiste et pluraliste à la fois.
14:22 Une radio pluraliste, c'est une radio qui accueille une diversité de points de vue.
14:26 Une radio pluraliste, c'est qu'elle décide de prendre à sa charge une certaine philosophie
14:29 de la société, un certain point de vue.
14:31 À la rigueur, on va faire ses droits d'une opposition résiduelle aux minoritaires.
14:34 Mais quand vous dites « je suis une radio progressiste », vous nous dites « je suis
14:38 une radio idéologique ». Si la radio publique disait « je suis une radio conservatrice »,
14:42 qu'est-ce que vous pensez que l'opinion dirait?
14:44 Mais que c'est scandaleux.
14:45 Si on disait « c'est une radio réactionnaire ou populiste », on dirait « c'est scandaleux
14:48 ». Pourquoi lorsqu'on dit « c'est progressiste, c'est pas scandaleux »?
14:50 Parce que ça nous en dit beaucoup sur le sens du débat public dont je vous parle depuis
14:53 tantôt.
14:54 Qu'est-ce qu'on voit à travers ça?
14:55 C'est que certaines opinions vont dans le sens de l'histoire et d'autres sont jugées
14:59 désuètes, périmées, inacceptables, inadmissibles.
15:03 Donc là, le service public dit « je vais piloter le débat public dans une direction
15:07 en particulier et ceux qui ne participent pas à ça seront laissés de côté, mais
15:11 ils l'auront bien cherché parce qu'ils ne marchent pas au rythme du progrès revendiqué.
15:15 » Et de ce point de vue, un dernier mot.
15:16 On l'a vu, je disais qu'il peut y avoir une condamnation à la mort sociale lorsqu'on
15:19 vous soupçonne de penser coupable.
15:21 Le sort de Jean-François Aquilli, qui a été géré en partiaux dans l'espace public
15:26 parce qu'on le soupçonne d'avoir peut-être envisagé de participer à la rédaction d'un
15:31 livre avec Jordan Bardella.
15:32 On ne connaît pas les modalités de la participation, on ne sait pas si c'est un livre d'entretien,
15:35 on ne sait pas de quelle manière, mais le soupçon d'avoir touché le contaminé, le
15:39 radioactif, l'infréquentable, l'extrême-droitisé Bardella vous vaut ensuite condamnation au
15:44 début de mort sociale dans votre travail.
15:46 C'est quand même assez inquiétant.
15:47 Arthur de Vatrigor, quel regard portez-vous sur ce sujet, sur la liberté d'expression?
15:52 Est-ce qu'on peut tout dire autour d'un plateau, par exemple?
15:56 Je n'ai pas grand-chose à ajouter à la brillante démonstration de Mathieu, sinon
15:59 je suis en désaccord avec beaucoup de choses qu'il a dit.
16:02 Mathieu, c'est le nouveau progressiste, c'est le 68oir 3.0.
16:06 Il débarque comme ça du Québec et dit on va tout autoriser.
16:09 En fait, non, parce que justement, une société sans ordre moral n'existe pas.
16:15 Et c'est parce qu'on a voulu abattre l'ordre ancien au nom d'une fausse liberté qu'on
16:19 a vu apparaître ces dernières années une morale qatar allaitée au campus américain,
16:24 qui ont comme seule morale de vouloir créer l'homme nouveau et d'abattre socialement,
16:30 en première partie peut-être plus, à l'avenir tout adversaire politique.
16:34 J'aurais juste cité un film, Salaud de Pasolini, qui paradoxalement montrait dans son film
16:39 que c'était peut-être aussi de l'absence de censure que pouvait naître le fascisme.
16:44 Donc la possibilité d'une censure devrait être, je pense, remis au goût du jour en France.
16:48 Ne vous inquiétez pas, cher ami, elle est là.
16:51 Dans votre second édito, vous allez parler de la France.
16:57 Est-ce que la France est encore un pays catholique?
16:59 Nous arrivons au terme de la semaine sainte et naturellement, vous teniez à parler du
17:03 rapport de la France au catholicisme.
17:05 En vous posant une question simple mais existentielle, la France est-elle encore un pays catholique?
17:11 Alors je me ferai plus bref sur ce sujet parce que je vais laisser plus de temps à notre
17:14 ami Arthur qui est très très travaillé par ces questions et je le comprends.
17:17 J'irai très simplement.
17:18 Un homme qui aujourd'hui se promène en Europe, un européen, un Français qui se promène
17:22 en Europe, il voit les cathédrales, il voit les églises, il voit les noms de saints partout,
17:26 le boulevard Saint-Germain, Saint-Michel, et ainsi de suite.
17:29 Est-ce qu'il sait tout simplement, est-ce qu'il est capable de lire l'environnement
17:32 symbolique dans lequel il évolue?
17:35 Est-ce qu'il le comprend ou est-ce qu'il regarde ça comme un spectateur décentré
17:39 de sa propre histoire?
17:40 Est-ce qu'il voit le monde qui est nommé tel qu'il est nommé?
17:43 Est-ce qu'il le voit comme s'il était dans un musée, tout ça ne lui dit plus rien,
17:48 il a le privilège de vivre dans un musée.
17:50 C'est plus beau de vivre à Paris que de vivre à Milwaukee.
17:53 C'est mieux de vivre au cœur d'une ville travaillée par l'histoire que de vivre
17:56 dans un espace d'extension, de développement résidentiel moche où toutes les maisons
18:01 sont interchangeables.
18:02 Mais est-ce qu'on est capable de comprendre l'environnement dans lequel nous vivons
18:06 ou est-ce que désormais on pense que le destin de l'Europe doit se dissocier de sa matrice
18:10 catholique, de l'histoire du catholicisme, de l'histoire du christianisme?
18:13 Certains le croient aujourd'hui et ça nous condamne à devenir touristes dans nos propres
18:17 pays.
18:18 Et pourtant autant aussi à vouloir dissocier l'Europe du catholicisme, cette dissociation
18:22 n'est-elle pas définitive?
18:24 C'est la conviction de ceux qui croient que nous sommes sortis de l'histoire, que
18:27 nous ne sommes plus en fait, nous sommes dés...
18:29 C'est terminé.
18:30 Ça serait notre passé, notre préhistoire, notre histoire à la rigueur mais ce ne serait
18:33 plus notre présent ni notre avenir.
18:35 Mais il y a derrière ça la terrible arrogance des modernes.
18:38 C'est l'héritage de la modernité révolutionnaire qui voulait recommencer l'histoire à zéro,
18:43 qui voulait un grand recommencement, qui voulait nettoyer l'histoire de ses...
18:48 En fait, nettoyer le présent des scories historiques et porter le rêve d'une société
18:52 intégralement planifiée, délivrée des traditions, délivrée de la religion, délivrée
18:56 de la culture, délivrée de son identité.
18:58 Donc c'est son présent, c'est l'hubris des modernes, c'est l'utopisme des modernes.
19:02 Un monde intégralement recommencé à neuf.
19:05 C'est un monde absolument qui nous condamne à mourir de froid.
19:09 J'ajoute que c'est un monde qui nous condamne à faire tout petit.
19:11 Ça c'est le paradoxe de la croyance en fait.
19:14 C'est-à-dire l'homme lorsqu'il voulait, moi je ne me prononce pas sur la croyance des
19:18 uns et des autres, mais lorsque l'homme croyait à plus grand que lui, il construisait dans
19:22 l'idée d'immortaliser sa présence sur terre, les cathédrales en sont la trace.
19:25 Dès lors que l'homme ne croit plus en d'autres choses que lui-même, quelquefois, il tend
19:29 à se dire finalement je n'ai plus aucune place spécifique dans la création, je ne
19:32 suis qu'un élément parmi d'autres dans le vivant, je n'ai pas un statut spécifique,
19:36 je suis peut-être même un élément nuisible du vivant, dans le magma terrestre comme on
19:40 l'entend aujourd'hui.
19:41 Donc de ce point de vue, rompre avec la matrice chrétienne catholique de l'Europe, je ne
19:46 dis pas qu'elle se résume à ça, mais c'est rompre avec une part vitale de soi.
19:48 Mathieu Bocoté, il nous reste un peu moins de quatre minutes, est-ce que je vous pose
19:53 la dernière question ou je donne la parole ?
19:54 Oui, très rapidement.
19:55 Parfait.
19:56 La quête de sens de l'homme moderne ne l'amène-t-il pas à avoir de temps en temps la nostalgie
20:02 de son ancienne religion ?
20:03 Oui, je le vois.
20:04 Parce que vous savez, moi j'aime dire, quand on...
20:05 Chesterton nous disait, l'homme lorsqu'il cesse de croire en Dieu, il ne croit pas en
20:09 rien, il croit en n'importe quoi.
20:10 Et j'ai tendance à penser qu'on a, c'est le New Age, on est passé du Christ au cristaux.
20:14 On est passé du...
20:15 Bien dit.
20:16 On a besoin de croire, mais quand vient le temps, les grandes étapes de la vie, naissance,
20:20 mort, mariage, on a besoin de rituels, mais on a souvent des rituels en toque, des rituels
20:24 artificiels, des rituels fabriqués de dernière main, des rituels qui nous ennuient, et à
20:29 ce moment-là, soudainement, nous avons la nostalgie, non pas d'un monde ancien vers
20:32 lequel on voudrait se réfugier, mais d'une part de nous que nous avons peut-être oublié.
20:35 Parole à Arthur.
20:36 Arthur de Vatrigan, la France est-elle encore catholique ? Elle l'était hier, elle l'est
20:40 aujourd'hui encore ou pas ?
20:41 La chrétienté, comme le démontrait brillamment la philosophe Chantal Delsol dans son essai
20:48 "La fin de la chrétienté", c'est une société dans laquelle le christianisme insuffle ses
20:52 idées, dirige les mœurs, s'inspire les lois.
20:54 Alors, Borgne, aujourd'hui, vous confirmerez que notre société française n'est plus
20:59 chrétienne.
21:00 Mais le christianisme, c'est encore autre chose.
21:02 Le christianisme, ce n'est pas une idée, ce n'est pas un idéal, ce n'est pas un ensemble
21:05 de valeurs.
21:06 Le christianisme, c'est avant tout la foi.
21:08 Et là, il faut lire un autre philosophe, Pierre Manon, qu'on avait reçu ici d'ailleurs,
21:12 et son superbe essai "Pascal et la proposition chrétienne".
21:14 Alors, qu'est-ce qu'il dit ? Il dit "la proposition chrétienne, ça veut dire que
21:17 Dieu se propose aux hommes et que les hommes doivent répondre par oui ou par non, à la
21:21 différence d'un idéal ou d'une valeur, ou c'est nous qui sommes à la manœuvre et
21:25 on choisit notre idéal.
21:26 Là, la proposition chrétienne, vous n'avez pas le choix de la question, mais vous avez
21:31 le choix de la réponse.
21:32 Vous avez le choix de la réponse, mais il faut répondre.
21:33 Vous êtes obligés de répondre.
21:35 Et y répondre favorablement, c'est accepter justement que la foi catholique n'est pas
21:40 un ingrédient identitaire.
21:42 En tout cas, c'est accepter que le catholicisme est constitutif d'une identité, que si l'on
21:46 admet la véracité, la validité, les dogmes, les mœurs qu'elle induit.
21:51 Et autant vous dire que dans notre ère post-moderne, même un martien paraîtrait plus assimilé
21:55 qu'un catholique.
21:56 Alors, la foi, c'est quoi ? C'est ce que dit et écrit Pierre Manon.
22:00 La foi, c'est découvrir son incapacité à se délivrer de l'esclavage du péché originel
22:04 par ses propres forces et donc découvrir que le pouvoir libérateur et éclairant de
22:09 la grâce divine.
22:10 Donc là, je reviens à la chrétienté.
22:11 Il ne peut pas y avoir de chrétienté sans christianisme.
22:14 Et la chrétienté, en fait, c'est une manifestation institutionnelle d'une surabondance intérieure
22:19 de la vie.
22:20 Donc le christianisme assume une morale et une anthropologie, mais qu'il faut absolument
22:24 transmettre avec une foi, parce que sinon, ça devient un mythe ou une belle histoire
22:28 qu'on raconte.
22:29 Et s'il y a un enracinement authentique dans une vie de prière ou dans une vie de foi,
22:33 alors le christianisme peut résister.
22:34 Si ça devient une sorte de militantisme extérieur, identitaire, la résistance finit par s'étioler,
22:42 évidemment.
22:43 Ce qui est bien, c'est que les catholiques connaissent déjà la fin.
22:45 Ils ont suivi la passion du Christ hier, ils vont vivre sa résurrection ce soir.
22:49 Donc ils n'ont aucune excuse pour refuser le combat, qui est un combat, je le rappelle,
22:53 une insurrection intérieure.
22:54 Ce n'est pas un combat contre le monde réel.
22:56 Et on les voit peu parce qu'à la différence d'autres, ils ne brandissent pas de pancartes,
23:01 ils ne hurlent pas de slogans.
23:02 Leur moteur, c'est l'humilité, leur mission, c'est l'exemplarité.
23:07 Donc ils sont là, mais si vous voulez, c'est des laboureurs qui sont humbles, qui sont
23:10 discrets, qui nourrissent le clochard à la tombelle de la nuit, qui vont faire sonner
23:13 les cloches des églises désertes des campagnes.
23:15 Ils vont dans la pénombre où plus personne ne va, un peu comme des petites femmes qui
23:19 vont éclairer les ténèbres.
23:20 Mais si vous voulez, c'est des vrais héros, ce sont des tombes qu'on ne visite plus.
23:23 Et ils sont là pour nous rappeler qu'à force de se regarder le nombril, c'est un
23:27 peu le défaut de notre ère moderne, on ne sera bientôt plus capable ni de lever les
23:31 yeux au ciel pour convoiter l'absolu, ce qu'ont fait nos anciens, par l'art, l'architecture,
23:36 ni pour voir qu'un sauveur est né un 25 décembre à nos pieds.
23:38 Merci Arthur de Vatrigan.
23:40 On se retrouve dans un instant.
23:43 Avec Pascal Bruckner.
23:44 Puisque Pascal Bruckner sera notre invité.
23:47 Je souffre donc je suis la publicité.
23:49 A tout de suite pour la suite de Face à Mathieu Bocoté.
23:51 La suite de Face à Mathieu Bocoté dans un instant.
23:57 Mais avant cela, l'information avec vous, Mickaël Dos Santos.
24:00 Rebonsoir Mickaël.
24:01 Rebonsoir Eliott, rebonsoir à tous.
24:02 Les opérations Place Nette XXL produisent énormément d'effets et elles vont continuer.
24:07 Le site Assain de Nigeral Darmanin a adressé un bilan provisoire et positif de ces opérations
24:12 de lutte antidrogue.
24:13 Au niveau national, 1738 personnes ont été interpellées, 150 kilos de drogue et 2 millions
24:19 400 000 euros ont été saisis.
24:21 Au Pays-Bas, la prise d'otage dans un café qui a eu lieu à une centaine de kilomètres
24:25 de l'AE a connu une fin heureuse.
24:27 Les quatre personnes retenues pendant plusieurs heures, dès 5h du matin, ont été libérées
24:31 sans être blessées.
24:32 Le suspect a été arrêté, placé en détention provisoire.
24:36 Les autorités semblent avoir écarté tout motif terroriste.
24:40 Enfin, une enquête a été ouverte après la disparition d'un couple de Français sur
24:43 l'île de Madeira au Portugal.
24:45 L'annonce a été faite par le procureur de la République à Montauban.
24:48 Partis en randonnée, les deux boulangers, originaires du Tarn-et-Garonne, n'ont donné
24:52 aucun signe de vie depuis le 16 mars dernier.
24:54 Merci Mickaël pour le point sur l'information.
24:58 On est toujours avec Mathieu Bocoté et avec Arthur De Vatrigan.
25:00 Merci à vous d'être présents.
25:02 Pascal Bruckner, pour cette émission, bonsoir.
25:06 Vous avez publié il y a une dizaine de jours « Je souffre, donc je suis », cher Mathieu
25:11 Bocoté, pourquoi avoir invité ce samedi soir Pascal Bruckner ?
25:14 Je lis d'aussi loin que je me souvienne de mes premières lectures sur les questions
25:19 d'adultes, j'ai lu Pascal Bruckner.
25:21 Et j'ai l'impression que ce livre, c'est le point d'aboutissement d'une enquête
25:24 commencée au début des années 80 avec le sanglots de l'homme blanc et qui culmine
25:28 aujourd'hui dans « Je souffre, donc je suis ».
25:30 Pascal Bruckner, bonsoir.
25:31 Bonsoir Mathieu.
25:32 Alors justement, je présentais, je dis ce livre pour moi, c'est inscrit dans un travail
25:35 de fond que vous menez pour comprendre, alors le terme est peut-être trop fort, mais l'anthropologie
25:39 propre de notre époque, c'est-à-dire le type d'être humain que produit notre époque.
25:42 Est-ce que je me trompe en disant que du sanglots de l'homme blanc à « Je souffre, donc
25:46 je suis », il y a une continuité dans votre enquête ?
25:48 Non, vous avez raison.
25:50 Je pense qu'on écrit toujours le même livre, en tout cas on essaie de broder autour des
25:53 mêmes thèmes, des mêmes obsessions.
25:55 Et déjà dans le sanglots de l'homme blanc, j'abordais le thème de la victime et du
25:59 bourreau.
26:00 C'était le tiers monde, le bourreau c'était l'Occident, coupable, forcément coupable.
26:05 Et aujourd'hui, je vois qu'une sorte effectivement de nouvelle anthropologie est en train de
26:10 se mettre en place dans les pays européens et américains où chaque citoyen a tendance
26:17 à vouloir s'assimiler à une victime absolue, puisque l'état de victime est devenu depuis
26:23 précisément les années 80 un état éminemment désirable en raison de tous les avantages,
26:29 tous les privilèges, à la fois matériels et existentiels qu'il procure.
26:33 Et donc, il y a eu un basculement dans les années 80, c'est-à-dire qu'on est passé
26:39 dans l'imaginaire collectif français mais aussi européen, de l'exaltation du résistant,
26:45 du maquisat qui s'était battu contre l'allemand, à l'exaltation du déporté, du concentrationnaire.
26:53 Beaucoup de films sortent à cette époque, donc vous ne les avez pas vus parce que vous
26:56 n'étiez peut-être pas nés.
26:57 Beaucoup de films sortent qui exaltent la figure du sacrifié, du martyr absolu.
27:03 Et par une métamorphose qui est intéressante, le survivant de la Shoah devient presque
27:13 un idéal sur lequel chacun voudrait aligner sa propre souffrance.
27:17 À cela s'ajoute un autre phénomène qui est effectivement l'allergie des citoyens
27:25 des pays occidentaux aux épreuves, à l'adversité, le fait que depuis la Seconde Guerre mondiale
27:32 et ma génération en est le premier témoin, nous tolérons de moins en moins les obstacles,
27:39 les petits tracas.
27:40 Et vraiment, c'est la génération 68 qui a commencé à se conduire de cette façon-là.
27:45 Mais ça a empiré avec la génération XYZ.
27:49 Et pour les jeunes, on a parlé, surtout aux États-Unis, du syndrome de la princesse
27:55 aux petits pois, c'est-à-dire du fait que beaucoup de jeunes gens et jeunes filles
28:00 vivent les remarques des obligeantes, les regards ou les comportements à la manière
28:08 d'une agression.
28:09 C'est le fameux concept de microagression qui a eu tant de succès et qui fait qu'un
28:16 nouvel être humain est apparu à la fin du XXe siècle, qui est un être humain hyper
28:20 susceptible.
28:21 Alors, vous avez évoqué le statut de victime qui a des avantages symboliques et financiers.
28:26 Je poserai plus tard la formule.
28:28 Est-ce qu'on n'est pas en train de reconstituer le principe aristocratique, mais à travers
28:32 sa dimension victimaire?
28:33 Donc, globalement, vous devez réussir à vous inscrire parmi les victimes et il y a
28:37 l'aristocratie de ceux qui ont souffert d'une manière ou de l'autre.
28:40 Et si on est capable de conjuguer plusieurs souffrances, l'intersectionnalité, alors
28:44 on gagne des points et probablement des avantages.
28:47 Absolument, vous avez raison.
28:48 C'est une nouvelle noblesse dans laquelle on entre non pas par sa naissance, mais par
28:57 les malheurs endurés au cours de sa vie, malheurs réels.
29:00 Ou par ses ancêtres quelquefois.
29:01 Ou par ses ancêtres, puisqu'il y a transmission du statut de victime, transmission du statut
29:07 de victime du père en fils et transmission du statut de bourreau de père en fils de
29:12 la même façon.
29:13 Et effectivement, c'est un club très fermé, un club élitiste.
29:17 Il faut se battre pour y entrer.
29:19 Il faut avoir ses quartiers de noblesse, ses quartiers de souffrance.
29:23 Et une fois qu'on y est, la difficulté, c'est d'y rester.
29:27 On s'aperçoit que le principal problème de la victimisation, et encore une fois, il
29:32 faut faire une distinction très claire, le souci des victimes, le souci des faibles,
29:37 des opprimés, c'est la grandeur de la civilisation, notamment judéo-chrétienne, à laquelle
29:41 nous appartenons, puisque c'est la figure du Christ qui a donné lieu à cette promotion
29:46 de l'humilié.
29:48 Mais la victimisation, c'est un phénomène parasitaire qui s'est greffé là-dessus,
29:52 très tôt d'ailleurs dans l'histoire de l'Europe, et qui fait que tout le monde voudrait
29:57 pouvoir accéder à cet État qui est un État béni.
30:01 On entre dans une sorte de saint de famille qui fait de vous effectivement un être hors
30:06 du temps.
30:07 Et on peut dire qu'on pourrait distinguer trois étapes dans l'histoire de la souffrance
30:12 en Occident.
30:13 Il y a l'étape chrétienne, jusqu'à la Révolution française.
30:18 La souffrance est un signe de notre péché, mais c'est une manière aussi de se racheter,
30:24 c'est donc un signe de rédemption.
30:25 Avec le XIXe siècle intervient dans le droit la notion de réparation.
30:30 Vous êtes blessé, vous êtes victime d'un accident, vous avez droit à des dédommagements,
30:35 et c'est ce qui va construire tout l'édifice de la justice aujourd'hui.
30:38 Et depuis les années 80, depuis l'après-guerre, il y a un troisième phénomène que j'ai
30:45 appelé la résurrection, mais c'est une résurrection de son vivant.
30:48 C'est-à-dire on accède à une sorte d'empiré, c'est un Olympe magique qui fait que vous
30:53 êtes, de par votre statut, de par votre naissance, votre couleur de peau, si vous êtes un homme
30:58 ou une femme, si vous appartenez à une minorité, vous êtes effectivement sauvé.
31:02 Et quoi que vous fassiez, vous échappez au jugement des autres, vous avez tous les droits
31:07 et vous avez le minimum de devoirs.
31:09 Et effectivement, c'est tellement enviable que personne ne veut abandonner cet état-là.
31:14 J'ai l'impression que ça marque en fait les comportements de la vie ordinaire.
31:18 Je m'explique, l'homme qui autrefois souffrait prenait sur lui.
31:22 On lui disait ça, "prends sur toi", et c'est la fameuse scène du parrain, avec,
31:27 je ne sais pas si vous avez le souvenir, Johnny Fontaine au début qui pleure et dit "qu'est-ce
31:31 que je peux faire parrain?"
31:32 Le parrain répond en lui jetant "mais comporte-toi comme un homme, globalement, retiens-toi,
31:36 ne souffre pas publiquement".
31:37 Aujourd'hui, j'ai l'impression que dans la culture populaire, celui qui se présente
31:40 quelque part doit à un moment donné confesser sa souffrance, pleurer publiquement aussi
31:45 pour être admis dans le club de l'empathie.
31:46 Donc j'ai l'impression que ça touche même le commun et mortel dans sa vie ordinaire.
31:50 Oui, vous avez totalement raison.
31:52 Et vous savez que dans les disciplines olympiques, certains sportifs qui ont renoncé à concourir
32:00 parce qu'ils étaient malades ou parce qu'ils avaient des problèmes familiaux ont été
32:04 plus félicités que ceux qui ont gagné la médaille.
32:07 Et ça, c'est un phénomène vraiment nouveau.
32:11 Alors le grand symptôme de cet état d'esprit, c'est la décision de François Hollande en
32:15 2015 après les attentats du Bataclan d'accorder la Légion d'honneur aux victimes des attentats
32:20 terroristes.
32:21 Le grand chancelier de la Légion d'honneur a refusé en disant "non, c'est un contresens,
32:26 ça va tout à fait à l'encontre de cette institution".
32:29 Et donc Hollande et le gouvernement ont décidé de créer une médaille de reconnaissance
32:34 des victimes qui vient en quatrième dans la hiérarchie des récompenses républicaines.
32:39 Mais ça va devant la croix de guerre et devant toutes les médailles du mérite des soldats.
32:46 Ce qui a beaucoup d'ailleurs froissé la hiérarchie militaire.
32:49 Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'au fond, celui qui a subi vaut mieux que celui
32:53 qui agit.
32:54 Le malheureux a plus d'importance que le valeureux.
32:57 Mais c'est un renversement complet effectivement des principes sur lesquels nous vivons depuis
33:03 toujours.
33:04 Et si aujourd'hui un garçon qui pleure vous dit "conduis-toi en homme, arrête de pleurnicher",
33:10 alors là immédiatement on se précipite sur vous en disant que vous lui inculquez une
33:14 virilité toxique.
33:15 Moi j'étais élevé dans ce principe.
33:17 Effectivement, j'appartiens à une génération où il y avait encore des châtiments corporels.
33:22 Aujourd'hui c'est impensable et c'est sans doute beaucoup mieux.
33:25 Mais c'est vrai que l'héroïsme est aujourd'hui considéré comme une chose étrange.
33:35 Vous savez que Arnaud Beltrame, vous le savez sans doute, a eu une plaque à Paris où on
33:41 dit "Arnaud Beltrame, mort à Trèbes entre les mains d'un terroriste, victime de son
33:46 héroïsme".
33:47 Victime de son héroïsme, c'est hallucinant.
33:49 On n'est pas victime de son héroïsme car l'héroïsme c'est précisément cette attitude
33:53 qui vous élève au-dessus du commun, qui fait de vous un être exemplaire qui doit être
33:58 imité par les autres puisque le héros c'est l'homme ou la femme qui décide sur un coup
34:03 de tête et sans réfléchir de tout sacrifier pour sauver une personne en danger.
34:08 Mais là, on voit bien que l'idéologie victimaire est tellement prégnante, tellement puissante
34:14 qu'elle veut même s'inscrire dans l'éloge d'un héros incontestable.
34:18 Arthur de Batrigan.
34:19 Justement, la célébration de la victime, l'éloge victimaire, est-ce que c'est une
34:22 nouvelle séquence de l'épopée moderne ou une nouveauté qui serait le symbole de
34:26 sa décomposition ?
34:27 C'est les deux.
34:29 C'est les deux, effectivement.
34:30 C'est la séquence ultime d'une certaine décomposition de l'Occident.
34:34 Il faut le dire très clairement, une société de victime est une société invivable.
34:41 Elle est invivable parce que personne ne veut assumer la responsabilité de ses actes.
34:45 C'est la fameuse phrase de Nietzsche "Je souffre, quelqu'un doit en être la cause".
34:50 Donc si je souffre, ça n'est jamais de ma faute, c'est toujours la faute du système,
34:54 du patriarcat, de la bourgeoisie, de la religion, etc.
34:57 Et s'il n'y a que des victimes, eh bien personne ne veut prendre la tête d'un pays.
35:05 Et puis surtout, une société de victime, ce n'est pas du tout une société de la
35:09 bienveillance, car le victimisme est un bellicisme.
35:12 C'est-à-dire que si on vous attribue ce titre, si on vous dit "Bravo, vous avez vraiment
35:17 mérité la couronne victimaire", immédiatement vous avez le droit de pointer un doigt accusateur
35:23 sur quelqu'un d'autre, de saisir la justice.
35:25 Et donc en réalité, ce victimisme larmoyant est très agressif aussi.
35:29 C'est ça qui est étonnant.
35:30 Donc c'est un symptôme de décomposition et on voit bien que dans la situation géopolitique
35:34 que nous sommes aujourd'hui, où les menaces sont multiples, menaces internes, menaces
35:39 externes, je ne suis pas sûr que nous pourrons continuer à nous conduire comme des damnés
35:45 de la terre très confortables si à certains moments nous ne nous ressaisissons pas, si
35:51 nous ne décidons pas d'affronter les choses avec, à gros gros, ne hésite pas à utiliser,
35:57 une certaine virilité, sachant que la virilité est une qualité masculine et féminine.
36:01 Alors, je reviens sur le système producteur des victimes.
36:05 Parce qu'on pourrait croire que c'est une évolution des mœurs, des mentalités, mais
36:08 c'est codifié juridiquement.
36:10 On pourrait dire que l'ensemble des sciences sociales aujourd'hui produisent des catégories
36:13 victimaires qui sont relayées par le droit, relayées par la bureaucratie.
36:17 Donc, c'est presque, on ne peut pas échapper au circuit producteur de la victime, sauf
36:23 à consentir paradoxalement, ne pas être victime, c'est consentir à sa marginalisation
36:27 symbolique, être un résidu des temps anciens.
36:30 On peut difficilement en sortir.
36:31 Alors, on peut difficilement en sortir.
36:33 La grande pierre d'achoppement de cette construction des catégories victimaires, donc qui est très
36:39 forte dans le wokisme, et alors on peut dire qu'aux États-Unis, effectivement, les universités,
36:44 les grands médias ne fonctionnent que comme ça.
36:46 La pierre d'achoppement, c'est la justice.
36:48 Donc, le grand défi auquel sont contraints les juges dans les tribunaux, c'est savoir
36:53 si les plaintes sont recevables ou non.
36:54 Et c'est là où il y a évidemment peut-être une voie de sortie possible.
37:01 Donc, vous savez qu'aux États-Unis, vous connaissez bien l'Amérique.
37:04 Récemment, une petite fille qui avait pris des nuggets dans un McDo a renversé une boîte
37:12 de nuggets brûlant sur sa jambe.
37:14 Et donc, s'est brûlée, a pleuré.
37:16 La famille a exigé, a pris un avocat, a exigé 12 millions de dollars.
37:19 Elle a quand même reçu 800 000 dollars de dénommagement, ce qui est pas mal.
37:24 Moi, je veux bien me brûler toutes les parties de mon corps pour toucher 800 000.
37:28 Et alors, ce genre de litige est extrêmement répandu puisque sur les compagnies aériennes,
37:37 si vous renversez votre tasse de café, là aussi, vous aurez…
37:40 Bon, mais l'Amérique est le pays du litige juridique par excellence.
37:43 Mais en France aussi, on voit bien qu'il y a parfois un certain excès, un certain excès
37:48 rhétorique où on se dit victime d'une agression alors qu'il s'agit simplement
37:54 d'un acte assez anodin.
37:55 Et donc, ça va être vraiment à la justice de décider si elle accède aux demandes des
38:00 plaignants ou si elle dit à un certain moment, on a peut-être des choses plus importantes
38:04 à faire et on va aller du côté des vraies victimes parce qu'en réalité, on s'aperçoit
38:09 que les vraies victimes dans notre société où cette parole est répandue, ce sont les
38:14 victimes oubliées.
38:15 Et la meilleure illustration qu'on en a eue, même si à mon avis, le mouvement a
38:19 mal tourné, c'est les Gilets jaunes.
38:21 On ne parlait que des racisés, que des minorités opprimées, écrasées et en réalité, les
38:26 Gilets jaunes, on dit, nous aussi, on existe, on est la France périphérique.
38:29 Les victimes n'étaient pas les bonnes, c'est-à-dire qu'elles n'entraient pas
38:31 dans les catégories de la sociologie victimaire.
38:33 Elle polluait un peu le paysage.
38:35 Exactement.
38:36 Donc, il faut élargir la sociologie victimaire et ne pas rester focalisé sur les catégories
38:41 qui ont été sanctifiées à l'avance.
38:43 Et c'est là où le raisonnement blesse et c'est là où il faut véritablement renverser
38:48 complètement la table et dire, attendez, le statut de victime, d'abord, il n'est
38:53 pas à vie.
38:54 Ce n'est pas un titre, ce n'est pas comme être fonctionnaire.
38:56 Ce n'est pas un titre que vous gagnez à l'âge de 20 ans et qui ne vous abandonne
39:00 qu'à la mort.
39:01 Et puis, beaucoup de victimes, de vraies victimes, c'est leur honneur, disent, moi,
39:05 je ne me sens pas victime.
39:06 C'est ce que dit par exemple Neschinou dans son livre « Tristotique », je ne suis
39:09 pas une victime.
39:10 Pourtant, elle a été violée par son beau-père pendant sept ou huit ans.
39:14 Et donc, effectivement, il y a des hommes et il y a des femmes qui ont subi des traumatismes
39:21 épouvantables et qui pourtant se vivent aujourd'hui comme des êtres libres, capables d'affronter
39:25 leur destin et de ne pas remâcher à l'infini les blessures reçues dans l'enfance ou
39:31 dans l'adolescence.
39:32 Arthur de Matrigan, et ensuite nous reviendrons sur la virilité.
39:34 Justement, sur le constater l'absence d'héroïsme et que le mérite n'appartient plus à une
39:40 valeur, en tout cas n'est plus quelque chose qu'il faut rechercher.
39:42 Mais la question c'est, est-ce que c'est possible dans une société qui n'est plus
39:45 horizontale ? Est-ce que l'héroïsme et le mérite peuvent exister sans verticalité,
39:50 sans transcendance même ?
39:51 Oui, c'est la vraie question.
39:54 En plus, on vit dans une société qui est une découragement.
39:56 C'est-à-dire que le courage est aujourd'hui une vertu obsolète, associée aux valeurs
40:01 militaires.
40:02 Et Dieu sait si l'armée a été discréditée et vilipendée en France, notamment par toute
40:08 l'idéologie gauchiste à laquelle j'ai participé vaguement dans ma jeunesse.
40:11 Vous vous en êtes rapidement délivré.
40:13 Je m'en suis vite délivré, mais c'est vrai que je n'ai pas fait mon service militaire
40:15 et que l'idée de servir sous les armes nous paraissait absurde.
40:19 Mais ce qui va nous forcer à changer, ce n'est pas notre bonne volonté, ce n'est
40:26 pas les livres ou les appels que l'on lance à la télévision, c'est la réalité elle-même
40:32 qui va nous forcer à considérer que le courage, la vaillance, la bravoure, une certaine forme
40:38 de transcendance que certains trouvent dans les religions, mais d'autres dans l'idéal
40:43 national.
40:44 Après tout, la survie de la nation à laquelle on appartient n'est pas un idéal méprisable.
40:48 Et tout ça nous sera dicté par ce qui se passe.
40:54 Et ce qui se passe depuis maintenant presque dix ans, il y a eu la guerre au Mali, il y
40:58 a eu les attentats de 2015.
41:00 Ça, je crois, a transformé les gens.
41:03 D'abord, on s'aperçoit que les Français ont survécu aux attentats.
41:07 Et ça, c'est quelque chose qui m'a étonné.
41:10 Je me suis dit, la société va s'effondrer.
41:12 Non, les attentats nous tuent, mais ne nous brisent pas.
41:16 Ça, c'est quand même quelque chose d'assez extraordinaire en France comme en Israël,
41:20 pour prendre un pays qu'on subit régulièrement.
41:22 Et puis, la proximité de la guerre fait que de plus en plus dans les médias, ça me frappe,
41:29 on célèbre les gestes héroïques.
41:31 Non pas les héros, mais les gestes héroïques.
41:33 C'est-à-dire, ce que je disais tout à l'heure, ces hommes ou ces femmes qui, tout d'un coup,
41:37 par une sorte de folie, se jettent à l'eau, s'il s'agit de sauver un noyé ou dans une
41:45 maison en feu, et disent « ma vie a moins d'importance que celle d'un inconnu ».
41:49 Et donc, on peut imaginer un scénario, mais je peux me tromper complètement, où l'idéal
41:56 héroïque reviendra en point d'équilibre de l'idéal victimaire et peut-être fera
42:01 que les gens réfléchiront un peu et se diront, se battre pour les autres, se sacrifier, parce
42:07 que c'est la notion de sacrifice qui est centrale, vieille notion religieuse, chrétienne,
42:14 mais qui est en train peut-être de retrouver une certaine auréole ou une certaine aura.
42:21 Peut-être que là, l'idéal victimaire va reculer et qu'au fond, la société va se
42:26 dire « oh, il y en a marre de ces victimes, il y en a marre de ces gens qui se plaignent
42:30 ». Parce qu'évidemment, la plainte, et ça je ne sais pas si vous vouliez me poser
42:35 la question Mathieu, mais la plainte est corrélative de la victimisation.
42:39 Et nous sommes en France une société qui manifeste une certaine intempérance dans
42:43 le gémissement perpétuel.
42:45 Alors, je vais plutôt vous poser une question de reprise en main, à un moment comme ça,
42:49 c'est la question de, ce qu'on pourrait appeler, vous avez utilisé le bon mot de
42:52 virilité.
42:53 Mais l'éducation à la virilité, qu'est-ce que ça peut vouloir dire pour une jeune génération
42:57 qui est élevée dans un tout autre monde ? Que serait une éducation à la virilité
43:01 ? Vous l'avez dit pour les jeunes garçons et les jeunes filles.
43:03 Vous savez qu'il y a un podcast qui est très célèbre qui s'appelle « Mes couilles
43:06 sur la table ».
43:07 Oui, oui, oui.
43:08 Donc, qui marche très bien.
43:09 Je ne suis pas certain qu'on y fasse la promotion de la virilité.
43:12 Oui, non, je suis d'accord avec vous.
43:14 Mais non, la virilité ça a deux sens.
43:18 Soit c'est la virilité toxique du casseur ou de la brute qui, dans la cour de récréation,
43:25 ça nous est tous arrivé quand on était enfant, peut absolument vous dominer et vous
43:29 tester pour savoir si vous résisterez au coup ou si au contraire vous serez un esclave
43:32 docile.
43:33 Donc ça, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui le harcèlement scolaire.
43:36 La virilité, c'est plutôt le très beau poème de Rudyard Kipling, « Tu seras un
43:41 homme mon fils ».
43:42 Mais on peut aujourd'hui le mettre au féminin, « Tu seras une femme ma fille », c'est-à-dire
43:46 que tu seras capable, dans une situation de danger ou de risque, d'aller au secours
43:51 d'une personne que tu ne connais pas mais qui est en péril.
43:56 Et donc la virilité, c'est justement la capacité de s'oublier en tant que personne
44:02 pour aller vers les autres et pour ne pas se replier sous son petit confort personnel.
44:07 Parce que le contraire, ça s'appelle la lâcheté.
44:11 Et évidemment, spontanément, nous sommes tous des lâches.
44:14 Donc il faut être capable de surmonter sa peur, sa terreur naturelle pour aller vers
44:21 cet idéal qu'on pourrait appeler virilité.
44:23 Mais je suis sûr que certaines féministes vont trouver immédiatement un néologisme
44:27 pour le transformer.
44:28 Pourquoi pas, moi ça ne me dérange pas, ça ne mange pas de pain, pourvu que ça dise
44:32 la même chose.
44:33 Merci beaucoup Pascal Bruckner.
44:35 « Je souffre donc je suis » votre nouvel ouvrage.
44:39 Merci à tous les deux.
44:40 Tu es bon côté Arthur de Vattregan.
44:41 Il n'y aura pas d'heure des pro 2 ce soir.
44:44 Un point sur l'information et puis après vous suivrez à partir de 20h15 sur CNews.
44:50 Enquête d'esprit en direct d'Ajaccio, la messe de la Vigie Pascale, célébrée par
44:56 le cardinal François Bustillot, en la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption.
45:00 A demain matin.
45:02 merci à bientôt !
45:04 Merci.