Savoir critiquer pour imaginer : des mad skills à l'art thinking [Sylvain Bureau]

  • il y a 2 heures
Xerfi Canal a reçu Sylvain Bureau, professor à l'ESCP Business School, Scientific Director of the Improbable Chair by Galeries Lafayette, Head of the Art Thinking Network, pour parler de la critique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Sylvain Bureau. Bonjour Sylvain Denis. Sylvain Bureau, professeur SCP Business School,
00:12vous êtes directeur scientifique de la chère improbable Galerie Lafayette. Et il y a un sujet
00:19très en vogue aujourd'hui, les mad skills. On est passé des softs aux mads. Voilà,
00:24on a eu les hards quand même, les softs, les mads. Et donc, c'est assez stimulant et assez
00:31amusant finalement. Ce qui m'inquiète un peu dans cette mouvance parfois, c'est le fait de
00:37revenir à une forme de romantisme de la création. Donc, on pense tout de suite à des profils comme
00:42Van Gogh. Après le profil Modi, alors on est HPE, on est assez bizarre, etc. Donc, c'est ce qui fait
00:49qu'on va être exceptionnel sans remettre en cause l'enjeu de ces pratiques et l'importance
00:54de ces approches. Ce qui m'intéresse, c'est plutôt de revenir à des pratiques. Qu'est-ce que les gens
00:57font et comment on organise leur travail ? Parce que si vous êtes manager, c'est finalement aussi
01:02ça l'enjeu, c'est l'organisation du travail. Et aujourd'hui, on est un peu dans cette espèce de
01:07difficulté, je pense qu'on est manager aujourd'hui, entre la peur absolue du harcèlement. Et donc,
01:14on peut tomber dans une forme de bienveillance à outrance où la critique devient absolument
01:20interdite et impossible, ce qui est juste inimaginable dans le monde de la création.
01:26Donc, si vous êtes chercheur, vous connaissez la dureté des critiques quand vous soumettez des
01:32publications. Et évidemment, quand vous êtes dans un contexte où vous essayez de transformer le réel,
01:37la critique est déterminante pour apprendre, pour comprendre ce que l'on fait. Et donc, l'idée de
01:43l'approche Art Thinking, c'est d'apprendre comment les créateurs dialoguent, comment, quand on veut
01:47transformer le réel, on dialogue. Le pitch entrepreneurial inonde également les discussions,
01:54mais le pitch, c'est qu'une seule facette et qu'un moment très réduit, finalement, des discussions
01:58qu'on peut avoir quand on crée. Et donc, il y a tout un tas de travaux de recherche qui vont
02:02nous aider à comprendre la façon de dialoguer. Donc, la première chose qu'on peut dire, c'est
02:06que vous avez besoin d'établir ce que Catherine Eisenhardt, par exemple, parle de règles simples,
02:11ou mon collègue qui est également à Stanford, Jack Fuchs, parle de principes d'entreprise qui
02:17vont permettre de faciliter la coordination avec des principes qui ne sont pas, je dirais,
02:21extrêmement précis, mais qui vont donner un cadre de discussion. Donc, par exemple, le fait d'établir
02:27une grille de feedback, comment on fait un feedback, le fait d'établir un principe, par
02:33exemple, je sais que l'entreprise, les entreprises utilisent ce principe de, ils appellent ça en
02:39anglais « disagree and commit », par exemple. Donc, on va, si je ne suis pas d'accord avec mon chef,
02:44je vais pouvoir le dire, si la décision est actée, je dois m'engager. Donc, toutes ces règles vont
02:49faciliter les relations et les dialogues et en fait vont permettre ce qu'on peut appeler aussi la
02:54polyphonie, c'est-à-dire que dans un processus qui va créer de l'intelligence et de l'apprentissage,
02:59il faut qu'il y ait plusieurs types de voies, de visions. Donc, si vous n'avez que des business,
03:04mais vous n'avez pas intégré les développeurs, les designers, ça ne fonctionnera pas. Donc,
03:09il y a tout un tas d'enjeux sur les dispositifs qui permettent de faire vivre ces relations et le
03:16conflit, l'incompréhension, en fait, est tout à fait fonctionnelle et n'est pas à être banni
03:22absolument. Et je pense qu'il y a un peu cette obsession aujourd'hui de trouver des profils un
03:28peu étranges qui vont comme ça créer un peu en seul, on ne sait pas bien comment, alors qu'on a
03:35besoin d'un équilibre entre des profils assez variés. Et si on prend dans l'histoire de l'art,
03:40pour reprendre un cas emblématique, Pablo Picasso ne crée pas sans Georges Braque, sans Daniel-Henri
03:47Kahnweiler qui a vendu beaucoup de ses œuvres. Avant lui, il y avait Berthe Weil qui a beaucoup
03:50vendu les œuvres de Picasso, sans Marc Jacob qui l'a accueillie chez lui, qui lui a appris le
03:55français. Donc, tous ces gens-là, ou Guillaume Apollinaire, ont leur propre originalité, leur
04:01propre façon de faire, mais ont surtout des complémentaires de compétences, ne parlent pas
04:04exactement la même langue, ne se comprennent pas toujours. Le premier tableau qu'ont vraiment
04:09cubiste les demoiselles d'Avignon, personne ne le comprend, y compris le plus proche de Picasso. Et
04:15donc, si à chaque fois qu'on ne se comprend pas et qu'on est en opposition, on s'arrête, ça va être
04:19compliqué. Au-delà des math skills individuels, j'allais dire un détour par l'art thinking pour
04:26organiser une polyphonie organisationnelle, c'est très, très joli ça. Oui, c'est-à-dire que c'est
04:31aussi beaucoup moins ennuyeux. Merci à vous.

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